T-320-88
Syndicat des travailleurs en communication et en
électricité du Canada, Syndicat des travailleurs en
télécommunications (demandeurs)
c.
Procureur général du Canada (défendeur)
et
Call-Net Telecommunications Limited (interve-
nante)
RÉPERTORIÉ: S.T.C. c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
Division de première instance, juge Denault—
Ottawa, 27 juin et 21 juillet 1988.
Interprétations des lois — Loi nationale sur les attributions
en matière de télécommunications, art. 64(1) — L'art. 64(1)
visait à donner au gouverneur en conseil un pouvoir discrétion-
naire étendu de modifier les décisions du CRTC pour des
raisons politiques — L'art. 64(1) doit s'interpréter de façon
juste, large et libérale de manière à ne pas restreindre les
pouvoirs conférés au gouverneur en conseil par le législateur
— Une stricte interprétation, conférant un pouvoir législatif de
modifier ou d'annuler une seule fois, détruirait la capacité du
gouverneur en conseil de réagir aux préoccupations politiques
du jour — Sens de l'expression «à toute époque++ par opposi
tion à l'expression «à l'occasion» ou «au besoin. — Applica
tion des art. 3 et 26 de la Loi d'interprétation — L'expression
«à tout moment» employée dans la version française de l'art.
64 de la Loi nationale de 1987 sur les transports correspond à
l'expression vat any time+.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — Lorsque le gouverneur en conseil agit en vertu
de l'art. 64(1) de la Loi nationale sur les attributions en
matière de télécommunications, son pouvoir n'est pas limité à
la prise d'un seul décret portant modification ou abrogation
d'une ordonnance particulière du CRTC — L'art. 64(1) vise à
donner au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire
étendu de modifier les décisions du CRTC pour des raisons
politiques — L'expression functus officio ne s'applique pas au
gouverneur en conseil lorsqu'il exerce des fonctions législatives
en vertu de l'art. 64(1) — Les décrets ne modifient pas le
décret antérieur, mais modifient la décision du CRTC — La
Cour se borne à déterminer si les exigences législatives ont été
respectées.
Télécommunications — Le gouverneur en conseil tient de
l'art. 64(1) de la Loi nationale sur les attributions en matière
de télécommunications le pouvoir de modifier ou d'abroger
toute ordonnance du CRTC — Son pouvoir n'est pas limité à
la prise d'un seul décret portant modification ou abrogation
d'une décision du CRTC.
11 s'agit d'une action en jugement déclaratoire portant que
deux décrets étaient nuls parce que le gouverneur en conseil a
épuisé les pouvoirs que lui confère le paragraphe 64(1) de la
Loi nationale sur les attributions en matière de télécommuni-
cations. La décision 87-5 du CRTC a eu pour effet de mettre
fin à la plus grande partie de l'entreprise de l'intervenante, et a
donné à cette dernière trente jours pour se conformer aux
exigences du CRTC. A la révision de sa décision, en vertu de
l'article 63, le CRTC a rejeté la demande (CRTC 87-14), mais
il a prorogé le sursis d'exécution de la décision CRTC 87-5. A
la révision fondée sur l'article 64, le gouverneur en conseil a
refusé de modifier la décision CRTC 87-5, mais il a modifié la
décision 87-14 du CRTC en prolongeant le sursis d'exécution
de la décision CRTC 87-5. Au moyen d'un deuxième décret, le
gouverneur en conseil a abrogé sa décision antérieure et modifié
la décision 87-14 du CRTC en prolongeant encore une fois le
sursis. En dernier lieu, au moyen d'un troisième décret, le
gouverneur en conseil a abrogé le deuxième décret et modifié la
décision 87-14 du CRTC en prorogeant de nouveau le sursis
d'exécution. Les demandeurs soutiennent que le gouverneur en
conseil a épuisé le pouvoir qu'il tient du paragraphe 64(I), et
qu'il est devenu functus officio lorsqu'il a pris le premier
décret. Ils soutiennent en outre que, selon une interprétation
stricte du paragraphe 64(1), le gouverneur en conseil ne pouvait
réexaminer ni annuler sa propre décision. Ils soutiennent en
dernier lieu que l'emploi au paragraphe 64(1) de l'expression «à
toute époque», plutôt que l'expression «à l'occasion» ou «au
besoin» (il a été jugé que cette expression permettait une
modification ultérieure ou une annulation d'ordonnances), indi-
que que le législateur n'envisageait pas la possibilité pour le
gouverneur en conseil d'annuler une ordonnance antérieure,
mais voulait simplement qu'il n'y ait aucune limite de temps
pour procéder à l'examen initial d'une ordonnance ou d'une
décision de la Commission. A l'appui de cet argument, les
demandeurs mentionnent l'article 49 de la Loi, qui permet à la
Commission d'agir «au besoin», et le délai d'un mois pour
interjeter appel figurant au paragraphe 64(2).
Les demandeurs soutiennent subsidiairement que le gouver-
neur en conseil, ayant expressément refusé de modifier la
décision CRTC 87-5, ne pouvait procéder à la modification de
cette décision en exigeant que Bell Canada et CNCP fournis-
sent à l'intervenante d'autres services sous-jacents. Ils soutien-
nent en outre que le gouverneur en conseil n'avait pas compé-
tence pour rendre une telle ordonnance à l'égard de Bell
Canada et de CNCP, puisqu'il n'avait aucun pouvoir légal sur
ces organismes. La question se pose de savoir si le gouverneur
en conseil, agissant en vertu du paragraphe 64(1), ne pouvait
prendre qu'un seul décret portant modification ou annulation
d'une ordonnance ou d'une décision particulière du CRTC.
Jugement: l'action devrait être rejetée.
Il a été établi de façon concluante que le paragraphe 64(l)
vise à donner au gouverneur en conseil un pouvoir discrétion-
naire étendu de modifier les décisions du CRTC pour des
raisons purement politiques. Le paragraphe 64(I) n'impose pas
de règles au gouverneur en conseil. La fonction de ce dernier
constitue un acte législatif sous la forme la plus pure. La Cour
n'a qu'à décider si les exigences du paragraphe 64(1) ont été
respectées.
Pour ce qui est de l'argument selon lequel le gouverneur en
conseil n'avait pas compétence pour réexaminer un décret,
aucun des deux décrets attaqués ne modifie ou ne rescinde un
décret antérieur. Ils modifient tous deux une décision du Con-
seil en changeant la durée du sursis d'exécution. En deuxième
lieu, la Cour n'a pas le pouvoir d'examiner et d'étudier les
raisons pour lesquelles le gouverneur en conseil a décidé de
prendre trois décrets successifs, pourvu qu'ils aient été pris en
conformité avec les lois habilitantes.
Le gouverneur en conseil n'a pas réexaminé sa décision, mais
il a jugé qu'il était dans l'intérêt public de modifier de nouveau
la décision 87-14 du CRTC. Le paragraphe 64(1) autorise
certainement le gouverneur en conseil à modifier de nouveau un
décret antérieur.
L'expression »functus officio» ne devrait s'appliquer qu'aux
personnes et organismes qui exercent des fonctions purement
administratives, ainsi qu'aux tribunaux qui exercent des fonc-
tions judiciaires ou quasi judiciaires. Le pouvoir exercé en vertu
du paragraphe 64(1) est de nature législative, et il ne convient
donc pas d'appliquer l'expression «functus officio». Il s'agit
d'une question d'interprétation consistant à se demander si un
pouvoir légal d'agir peut être exercé plus d'une fois.
Le paragraphe 64(1) devrait s'interpréter de la façon juste,
large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses
objets. La Loi d'interprétation prévoit que les fonctions législa-
tives doivent exercées à l'occasion selon que les circonstances
l'exigent, et que le pouvoir d'établir des règlements inclut le
pouvoir de les modifier. Ces règles s'appliquent à moins qu'une
intention contraire n'apparaisse. Une interprétation qui confé-
rerait un pouvoir législatif de modifier ou d'annuler une seule
fois détruirait la capacité du gouverneur en conseil de réagir
aux préoccupations politiques immédiates qui transcendent les
intérêts individuels. Une interprétation large du paragraphe
64(1) est également étayée par l'emploi de l'expression «à tout
moment», qui implique un pouvoir continu d'agir, dans la
version française du nouvel article 64 de la Loi nationale de
1987 sur les transports, dont la version anglaise accorde tou-
jours au gouverneur en conseil le pouvoir de modifier toute
décision de l'Office national des transports «at any time». Le
pouvoir d'agir à sa propre discrétion, peu importe que la
décision ait été rendue inter partes, appuie également une telle
interprétation large.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, art. 3(1),
26(3),(4).
Loi nationale de 1987 sur les transports, S.C. 1987,
chap. 34, art. 64.
Loi nationale sur les attributions en matière de télécom-
munications, S.R.C. 1970, chap. N-17 (mod. par S.C.
1987, chap. 34, art. 302), art. 49, 64(1),(2).
The Ontario Municipal Board Act, R.S.O. 1970, chap.
323, art. 64.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; Re Davisville
Investment Co. Ltd. and City of Toronto et al. (1977), 15
O.R. (2d) 553 (C.A.); Action Travail des Femmes c.
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada,
[1987] 1 R.C.S. 1114; Schavernoch c. Commission des
réclamations étrangères et autres, [1982] 1 R.C.S. 1092.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Organisation nationale anti -pauvreté c. Canada (Procu-
reur général), [1989] I C.F. 208 (lie inst.); The King v.
Minister of Finance, [1935] R.C.S. 70; Lodger's Interna
tional Ltd. v. New Brunswick Human Rights Commis
sion (1983), 4 C.H.R.R. D/1349 (C.A.N.-B.).
DECISION EXAMINÉE:
Lawrie v. Lees (1881), 7 App. Cas. 19 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
CSP Foods Ltd. c. Commission canadienne des trans
ports, [1979] 1 C.F. 3 (C.A.); Melville (City of) c.
Procureur général du Canada, [1982] 2 C.F. 3; (1981),
129 D.L.R. (3d) 488 (1« inst.); Ministre des Transports
du Québec c. Procureur général du Canada, [1982] 2
C.F. 17 (1'e inst.); Singh et autres c. Ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177.
DOCTRINE
Walker, David M. The Oxford Companion to Law
Oxford: Clarendon Press, 1980.
AVOCATS:
T. Gregory Kane et Rowland J. Harrison
pour les demandeurs.
Eric A. Bowie, c.r. et Wendy Burnham pour le
défendeur.
Lawrence J. E. Dunbar et J. Aidan O'Neill
pour l'intervenante.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliot, Ottawa, pour les deman-
deurs.
Le sous-procureur général du Canada pour le
défendeur.
Johnston & Buchan, Ottawa, pour l'interve-
nante.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DENAULT: Il s'agit d'une action en
jugement déclaratoire. Les demandeurs sollicitent
un jugement déclaratoire portant que deux décrets
(C.P. 1987-2349 et C.P. 1988-265) sont nuls et de
nul effet parce que le gouverneur en conseil a
épuisé les pouvoirs que lui confère le paragraphe
64(1) de la Loi nationale sur les attributions en
matière de télécommunications'.
' L'ancienne Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970,
chap. N-17, modifiée par S.C. 1987, chap. 34, art. 302.
La question litigieuse à résoudre dans la pré-
sente instance est de savoir si, lorsqu'il agit en
vertu dit paragraphe 64(1) de cette Loi, le gouver-
neur en conseil ne peut prendre qu'un seul décret
qui a pour effet de modifier ou d'abroger une
ordonnance ou une décision particulière du Conseil
de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes (CRTC). À cet égard, les demandeurs
sollicitent un jugement déclaratoire portant que les
décrets C.P. 1987-2349 et C.P. 1988-265 sont nuls
et de nul effet parce que le gouverneur en conseil
avait déjà examiné et modifié une décision du
CRTC par le décret C.P. 1987-2134.
Les syndicats demandeurs comprennent des tra-
vailleurs de Bell Canada et de la British Columbia
Telephone Company Ltd. À la suite de la décision
84-18 du CRTC, Call-Net Telecommunications
Limited a offert dans un but lucratif un service au
public en utilisant les services sous-jacents de télé-
communications fournis par Bell et CNCP. Elle a
été autorisée à intervenir dans la présente instance
par ordonnance de notre Cour.
Les faits ont été brièvement résumés dans le
mémoire du défendeur et le mieux que je puisse
faire dans les circonstances actuelles est de repro-
duire ce résumé.
[TRADUCTION] 1. L'intervenante a, relativement à son entre-
prise, subi un préjudice en raison d'une décision du Conseil de
la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (ci-
après appelé ale CRTCD). Cette décision, la décision CRTC
87-5, a eu pour effet de mettre fin à la plus grande partie de
l'entreprise de l'intervenante et a donné à cette dernière 30
jours pour rendre son entreprise conforme aux exigences du
CRTC.
2. L'intervenante a alors présenté au CRTC une demande
fondée sur l'article 63 de la Loi nationale sur les transports,
S.R.C. 1970, chap. N-17, afin d'obtenir la révision de la
décision CRTC 87-5. Cette demande a été rejetée au fond par
le CRTC. Le CRTC a cependant prolongé la durée du sursis
d'exécution de la décision CRTC 87-5 jusqu'au trentième jour
suivant la date de sa décision sur la demande de révision. La
décision concernant la demande de révision a été rendue le 23
septembre 1987 et le sursis de trente jours devait donc expirer
le 23 octobre 1987.
3. L'intervenante a alors présenté une requête au gouverneur
en conseil, en vertu du paragraphe 64(1) de la Loi nationale
sur les transports, afin d'obtenir la modification de la décision
CRTC 87-14 (la décision faisant l'objet de la révision) et le
sursis de l'exécution de la décision CRTC 87-5 en attendant
que cette décision soit révisée en vertu du paragraphe 64(1).
4. Par le décret C.P. 1987-2134 (le décret n° 1), le gouverneur
en conseil a modifié la décision CRTC 87-14 en prolongeant de
trente jours après la date du 23 octobre le sursis d'exécution de
la décision CRTC 87-5. Aux termes de la même décision, il a
interdit à Bell Canada et aux Télécommunications CNCP de
fournir à l'intervenante d'autres services et installations sous-
jacents que ceux qui étaient fournis. En d'autres mots, cette
décision devait maintenir le statu quo pour une période de 60
jours après la seconde décision du CRTC (la décision CRTC
87-14).
5. Par le décret C.P. 1987-2349 (le décret n° 2), le gouverneur
en conseil
a) a refusé de modifier la décision CRTC 87-5 (c'est-à-dire
la première décision du CRTC);
b) a abrogé sa propre décision antérieure, le décret n° 1;
c) a modifié une fois de plus la décision CRTC 87-14 (la
seconde décision du CRTC) en portant de 30 jours à 240
jours le sursis d'exécution accordé par le CRTC.
6. En février 1988, par le décret C.P. 1988-265 (le décret n° 3)
le gouverneur en conseil
a) a une fois de plus refusé de modifier la décision CRTC
87-5;
b) a abrogé le décret n° 2;
c) a modifié la seconde décision du CRTC (CRTC 87-14)
en modifiant une fois de plus la durée totale du sursis en
portant celui-ci de 30 jours à 330 jours;
d) a obligé Bell Canada et Télécommunications CNCP à
fournir à l'intervenante des services sous-jacents supplé-
mentaires en conformité avec leurs tarifs.
Les demandeurs soutiennent que lorsqu'il agit
en vertu d'un pouvoir que lui confère la loi, le
gouverneur en conseil est un tribunal de compé-
tence limitée et que, lorsque les limites de compé-
tence fixées par le paragraphe 64(1) de l'ancienne
loi ont été outrepassées ou qu'une condition préala-
ble n'a pas été respectée, la Cour fédérale peut
examiner la façon dont le pouvoir a été exercé.
Plus précisément, ils font valoir qu'en prenant le
décret C.P. 1987-2134 (le décret n° 1), le gouver-
neur en conseil a épuisé ses attributions législati-
ves, et qu'il 2 est de ce fait devenu functus officio.
Les demandeurs soutiennent en outre que lorsqu'il
agit en vertu du paragraphe 64(1) de la Loi, le
gouverneur en conseil n'a pas le pouvoir inhérent
de réexaminer sa propre décision et que l'interpré-
tation stricte de ce paragraphe ne donne pas au
gouverneur en conseil le pouvoir de réexaminer ou
d'annuler sa propre décision.
Le défendeur et l'intervenante tiennent tous
deux le même discours: le gouverneur en conseil
n'est pas limité de la sorte dans l'exercice des
pouvoirs législatifs que lui confère la Loi nationale
2 J'ai l'intention d'employer au besoin le pronom ail» pour
désigner le gouverneur en conseil.
sur les attributions en matière de télécommu-
nications et les décrets contestés sont entièrement
valables.
Le paragraphe 64(1) de la Loi dispose que:
64. (1) Le gouverneur en conseil peut à toute époque, à sa
discrétion, soit à la requête d'une partie, personne ou compa-
gnie intéressée, soit de son propre mouvement et sans aucune
requête ni demande à cet égard, modifier ou rescinder toute
ordonnance, décision, règle ou règlement de la Commission,
que cette ordonnance ou décision ait été rendue inter partes ou
autrement, et que ce règlement ait une portée et une applica
tion générales ou restreintes; et tout décret que le gouverneur
en conseil prend à cet égard lie la Commission et toutes les
parties.
Au cours des ans, ce paragraphe et d'autres
dispositions législatives similaires ont fait l'objet de
nombreux procès. Il a été établi de façon con-
cluante que cette disposition vise à donner au
gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire
étendu de modifier les décisions du CRTC pour
des raisons purement politiques. Dans le document
de travail n° 25 intitulé «Les organismes adminis-
tratifs autonomes», la Commission de réforme du
droit du Canada a qualifié les procédures prévues
au paragraphe 64(1) d'intervention injustifiable
dans le processus réglementaire et a recommandé
qu'elles soient abolies. La Cour suprême du
Canada, par la voix du juge Estey, a déclaré ce qui
suit au sujet de cette critique, dans l'arrêt Procu-
reur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre 3 :
Certains peuvent considérer inhabituel et même inefficace que,
dans une société organisée, le gouverneur en conseil puisse
infirmer la décision soigneusement pesée d'un organisme admi-
nistratif, rendue au terme d'une audition publique complète au
cours de laquelle on a fait valoir plusieurs points de vue.
D'autre part, le législateur est apparemment d'avis qu'il s'agit
là d'un domaine particulièrement vulnérable aux changements
des politiques d'intérêt public et il l'a par conséquent réservé à
l'Exécutif qui doit en dernier ressort les appliquer. Vu l'inter-
prétation du par. 64(1) que j'adopte, le gouverneur en conseil
n'a pas à motiver sa décision, à tenir quelque audience que ce
soit ni même à accuser réception d'une requête. Il n'appartient
pas à cette Cour, cependant, de décider si les appels interjetés
au Cabinet sont souhaitables ou non. Je n'ai qu'à décider si les
exigences du par. 64(1) ont été respectées.
Moi aussi.
Dans l'arrêt Inuit Tapirisat, la Cour suprême
devait décider si le gouverneur en conseil a l'obli-
gation d'observer les règles de justice naturelle ou,
3 [1980] 2 R.C.S. 735, la p. 756.
du moins, l'obligation d'agir équitablement lors-
qu'il examine une requête que des parties ont
présentée en vertu du paragraphe 64(1) de la
présente Loi. La Cour a répondu qu'en édictant le
paragraphe 64(1), le législateur n'a pas imposé au
gouverneur en conseil des normes ou des règles
applicables à l'exercice de sa fonction de révision
des tarifs et qu'il ne lui a pas imposé non plus de
normes de procédure expresses ou même implici-
tes. Après avoir examiné en détail cet article, la
Cour a qualifié, à la page 754, la fonction du
gouverneur en conseil d'«acte législatif sous la
forme la plus pure» et a conclu, à la page 756, que
«le gouverneur en conseil a entière discrétion dans
la mesure où il respecte les limites fixées à sa
compétence par le par. 64(1)».
Le rôle de la Cour en l'espèce est très différent
de celui qui est joué lorsqu'un appel est interjeté en
vertu du paragraphe 64(2) d'une décision de la
Commission sur une question de droit ou de com-
pétence. Son rôle se borne à vérifier si le gouver-
neur en conseil a excédé ses pouvoirs ou si une
condition préalable n'a pas été respectée.
L'avocat des demandeurs maintient que le gou-
verneur en conseil n'avait pas compétence pour
examiner les requêtes de l'intervenante qui ont
mené aux décrets n°` 2 et 3, car elles concernaient
la même question que celle au sujet de laquelle le
gouverneur en conseil avait pris le décret C.P.
1987-2134 le 15 octobre 1987. Le décret n° 1
constituait une décision finale sur la question.
Suivant l'avocat, le paragraphe 64(1) est clair et
non ambigu: le pouvoir conféré au gouverneur en
conseil de «modifier ou rescinder toute ordonnance,
décision, règle ou règlement» du CRTC ne lui
confère pas le pouvoir de réexaminer une telle
«ordonnance» alors qu'il l'a déjà fait par la voie
d'un décret. Ce pouvoir n'inclut pas non plus celui
de modifier ou de rescinder un décret antérieur.
Par conséquent, l'avocat fait valoir que le gouver-
neur en conseil a épuisé les pouvoirs que lui con-
fère le paragraphe 64(1).
Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation.
En premier lieu, aucun des deux décrets attaqués
ne modifie ou ne rescinde un décret antérieur. Ils
modifient tous les deux la décision CRTC 87-14
du 23 septembre 1987, en portant de 30 à 240,
puis de 30 à 330, le nombre de jours. Quant à la
révocation de décrets antérieurs, personne n'a con-
testé le pouvoir du gouverneur en conseil de le
faire. En deuxième lieu, la Cour n'a pas le pouvoir
d'examiner et d'étudier les raisons pour lesquelles
le gouverneur en conseil a décidé de prendre trois
décrets successifs sur la même question, pourvu
qu'ils aient été pris en conformité avec les lois
habilitantes. Dans l'arrêt Inuit Tapirisat, le juge
Estey a approuvé l'arrêt Re Davisville Investment
Co. Ltd. and City of Toronto et al.' de la Cour
d'appel de l'Ontario et a déclaré ce qui suit sur la
question (à la page 755):
Je suis d'avis que le pouvoir de surveillance de l'art. 64, comme
celui en cause dans l'arrêt Davisville, précité, est conféré aux
membres du Cabinet pour leur permettre de répondre aux
préoccupations politiques, économiques et sociales du moment.
Or, le libellé du paragraphe 64(1) donne-t-il au
gouverneur en conseil le pouvoir de
réexaminer toute ordonnance ou décision de la
Commission? On peut soutenir qu'en l'espèce, le
gouverneur en conseil a examiné à deux reprises
l'objet du décret n° 1, mais ce faisant, on tire une
conclusion à partir d'une série de faits. En réalité,
dans les deux décrets attaqués, le gouverneur en
conseil n'a pas réexaminé sa décision, mais a jugé
qu'ail est dans l'intérêt public de modifier de nou-
veau la décision Télécom CRTC 87-14». En habili-
tant le gouverneur en conseil à modifier et à
rescinder toute ordonnance de la Commission «à
toute époque, à sa discrétion, soit à la requête
d'une partie, personne ou compagnie intéressée,
soit de son propre mouvement et sans aucune
requête ni demande à cet égard ... que cette
ordonnance ou décision ait été rendue inter partes
ou autrement, et que ce règlement ait une portée et
une application générales ou restreintes», le législa-
teur autorise certainement le gouverneur en conseil
à modifier de nouveau un décret antérieur.
Ayant déjà modifié la décision CRTC 87-14 en
prenant le décret n° 1, le gouverneur en conseil
a-t-il épuisé les pouvoirs que la loi lui confère et
est-il devenu functus officio? Les demandeurs sou-
tiennent que le gouverneur en conseil est devenu
functus officio et ils fondent leur prétention sur les
deux arrêts suivants. Cependant, à mon avis, ni
l'un ni l'autre ne s'applique à la présente espèce.
Dans l'arrêt The King v. Minister of Finances, la
loi qui investissait le lieutenant-gouverneur en con-
seil d'un pouvoir déclarait de la façon la plus
4 (1977), 15 O.R. (2d) 553 (C.A.).
5 [1935] R.C.S. 70.
explicite que [TRADUCTION] «les décisions du lieu-
tenant-gouverneur en conseil sont finales». Il n'en
est pas ainsi avec le paragraphe 64(1) de la Loi.
Dans l'affaire Lodger's International Ltd. v. New
Brunswick Human Rights Commission l'article
[Loi sur les droits de l'homme, L.R.N.-B. 1973,
chap. H-11] en vertu duquel la Commission était
autorisée à rendre une ordonnance pour donner
effet aux recommandations d'une commission
d'enquête constituée en vertu de la Loi était libellé
comme suit [à la page D/1350]:
21 (1) Dès réception des recommandations de la commission
d'enquête, la Commission
c) peut rendre toute ordonnance qu'elle estime nécessaire
pour leur donner effet.
21 (2) Toute ordonnance rendue conformément à l'alinéa
(1)c) est définitive et toute personne qui en fait l'objet doit s'y
conformer.
Par conséquent, la Cour a statué que la Commis
sion n'avait pas le pouvoir de rendre plus d'une
ordonnance. Une fois de plus, il n'en est pas ainsi
avec le paragraphe 64(1), qui donne au gouverneur
en conseil, en des termes larges, le pouvoir d'agir à
sa propre discrétion et même de son propre chef.
Les demandeurs ont tort d'invoquer la théorie
du functus officio en l'espèce. Voici comment The
Oxford Companion to Law (1980) définit l'expres-
sion «functus officio», à la page 508:
Functus officio [TRADUCTION] (s'étant acquitté de sa charge.)
Se dit d'un représentant qui s'est acquitté de sa fonction et qui
a épuisé ses attributions et de l'arbitre ou du juge à qui il n'est
plus possible de s'adresser de nouveau, parce qu'il a épuisé ses
attributions.
Comme cette définition le montre, l'expression
«functus officio» ne convient qu'aux personnes et
organismes qui exercent des fonctions purement
administratives, ainsi qu'aux tribunaux qui exer-
cent des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires.
Dans tous les cas où le pouvoir d'agir est conféré
par une loi ou un autre document officiel, la
question de savoir si le pouvoir peut être exercé
une seule fois ou plus d'une fois est une question
d'interprétation. Le pouvoir législatif qu'exerce le
gouverneur en conseil en vertu du paragraphe
64(1) n'est ni judiciaire ni quasi judiciaire mais est
plutôt de nature législative, ainsi qu'on l'a décidé
dans l'arrêt Inuit Tapirisat (à la page 754).
6 (1983), 4 C.H.R.R. D/1349 (C.A.N.-B.).
L'exercice, par le gouverneur en conseil, des pou-
voirs conférés par le paragraphe 64(1) n'est pas de
la nature d'un appel judiciaire'. L'expression
«functus officio» ne convient pas lorsqu'il s'agit de
personnes qui exercent des fonctions législatives en
vue d'appliquer des politiques d'intérêt public.
Tout comme le législateur ne devient pas functus
officio lorsqu'il édicte un texte de loi sur un sujet
particulier, le gouverneur en conseil ne devient pas
functus officio lorsqu'il exerce des fonctions légis-
latives en vertu du paragraphe 64(1) et qu'il agit
dans les limites de sa compétence, sauf si la loi le
précise clairement. La loi qui nous concerne ne
contient pas de restrictions claires à cet égard.
À l'audience, l'avocat des demandeurs a fait
valoir que le gouverneur en conseil n'avait pas le
pouvoir inhérent de réexaminer sa propre décision.
L'avocat du défendeur n'a pas contesté cette affir
mation, mais l'intervenante s'est dite d'avis que
l'exercice de fonctions législatives impliquait que le
gouverneur en conseil a le pouvoir inhérent de
réexaminer ses décisions. En raison de la conclu
sion à laquelle j'en viens quant à l'interprétation
législative du paragraphe 64(1), il ne sera pas
nécessaire d'exprimer une opinion sur le sujet.
Je passe maintenant à l'interprétation des mots
«à toute époque» au paragraphe 64(1), dont voici
un extrait:
64. (1) Le gouverneur en conseil peut à toute époque ...
modifier ou rescinder toute ordonnance, décision ... de la
Commission ...
Les demandeurs prétendent qu'étant donné que
le paragraphe 64(1) comprend l'expression «à
toute époque» plutôt que «à l'occasion» ou «au
besoin», le législateur voulait que le gouverneur en
conseil ne soit habilité à rendre qu'une seule déci-
sion. Dans ce contexte, l'expression «à toute
époque» signifierait qu'aucune limite de temps
n'est imposée au moment où le gouverneur en
conseil peut entreprendre son examen. Mais, pour
eux, le sens de ces mots se distingue de celui des
mots «à l'occasion» et «au besoin». L'avocat invo-
que l'interprétation que la Chambre des lords a
fait de cette expression dans l'arrêt Lawrie v.
Lees 8 :
' CSP Foods Ltd. c. Commission canadienne des transports,
[1979] 1 C.F. 3 (C.A.), à la p. 9.
8 (1881), 7 App. Cas. 19 (H.L.), à la p. 29.
[TRADUCTION] .. , les mots «à l'occasion. et «au besoin. sont
des mots qui sont constamment employés lorsqu'on veut proté-
ger une personne qui est autorisée à agir contre le risque de
s'être complètement acquittée de sa charge une fois qu'elle a
agi et de ne pouvoir de ce fait agir à nouveau dans le même
sens. Les mots «à l'occasion» et «au besoin. signifient qu'après
que cette personne a rendu une ordonnance, elle peut en
prononcer une nouvelle pour lui ajouter ou lui retrancher
quelque chose, ou pour l'annuler complètement ...
Les demandeurs font valoir qu'en employant les
mots «à toute époque» au paragraphe 64(1), le
législateur n'envisageait pas la possibilité que le
gouverneur en conseil annule une ordonnance
antérieure, mais voulait simplement qu'il n'ait
aucune limite de temps pour procéder à l'examen
initial d'une ordonnance ou d'une décision de la
Commission.
L'avocat a également cité l'article 49 de la Loi
nationale sur les transports pour souligner la dis
tinction qui existe entre les expressions «au besoin»
et «à toute époque». Il a affirmé que l'expression ne
signifiait pas que le gouverneur en conseil pouvait
agir le nombre de fois qu'il le voulait. Aux termes
de l'article 49, le législateur a édicté que: «Tout
pouvoir ou toute autorité conféré à la Commission
peut, bien que cela ne soit pas dit expressément,
être exercé au besoin, suivant que les circonstances
l'exigent».
L'avocat a également fait valoir qu'en opposant
l'expression «à toute époque» du paragraphe 64(1)
au délai d'un mois imparti pour interjeter appel
devant la Cour d'appel fédérale sur une question
de droit ou sur une question de compétence (para-
graphe 64(2)), l'on pouvait voir que le législateur
voulait simplement n'imposer aucune limite de
temps au gouverneur en conseil pour modifier ou
annuler les ordonnances de la Commission.
À mon avis, on ne peut donner au paragraphe
64(1) une interprétation aussi étroite. La règle
moderne d'interprétation des lois a récemment été
énoncée par la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt Action Travail des Femmes c. Compagnie
des chemins de fer nationaux du Canada 9 dans les
termes suivants:
Bien que cela puisse sembler banal, il peut être sage de se
rappeler ce guide qu'offre la Loi d'interprétation fédérale lors-
qu'elle précise que les textes de loi sont censés être réparateurs
et doivent ainsi s'interpréter de la façon juste, large et libérale
la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets. Voir
9 [1987] 1 R.C.S. 1114, la p. 1134.
l'article l l de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23
et ses modifications. Comme Elmer A. Driedger l'a écrit à la p.
87 de Construction of Statutes (2nd ed. 1983):
[TRADUCTION] De nos jours, un seul principe ou méthode
prévaut pour l'interprétation d'une loi: les mots doivent être
interprétés selon le contexte, dans leur acception logique
courante en conformité avec l'esprit et l'objet de la loi et
l'intention du législateur.
Non seulement la Loi d'interprétation [S.R.C.
1970, chap. I-23] dispose-t-elle à son paragraphe
26(3) que «Quand un pouvoir est conféré ou un
devoir imposé, le pouvoir peut être exercé et le
devoir doit être accompli à l'occasion selon que les
circonstances l'exigent>, mais encore le paragraphe
26(4) prévoit que «Lorsque le pouvoir d'établir des
règlements 10 est conféré, il doit s'interpréter
comme renfermant le pouvoir de les abroger,
modifier ou changer et d'en édicter d'autres, ce
pouvoir devant s'exercer de la même manière et
sous réserve des mêmes consentement et condi
tions, s'il en est». Ces règles doivent s'appliquer,
suivant le paragraphe 3(1) de la Loi d'interpréta-
tion, «À moins qu'une intention contraire n'appa-
raisse, ... à tout texte législatif, que celui-ci soit
édicté avant ou après l'entrée en vigueur de la
présente loi.»
Ainsi que la Cour suprême l'a dit dans l'arrêt
Schavernoch c. Commission des réclamations
étrangères et autres'':
Une cour n'est donc pas fondée à adopter d'autre critère que
celui du sens manifeste des mots employés par le gouverneur en
conseil dans ce règlement.
Par le passé, les tribunaux n'ont pas interprété
restrictivement le libellé clair du paragraphe 64(1)
et ont refusé de restreindre artificiellement la
portée du pouvoir conféré par le législateur au
gouverneur en conseil dans ce paragraphe (Voir
Inuit Tapirisat, (précité); Melville (City of) c.
Procureur général du Canada, [1982] 2 C.F. 3;
(1981), 129 D.L.R. (3d) 488 (lfe inst.); Ministre
des Transports du Québec c. Procureur général du
Canada, [1982] 2 C.F. 17 (1« inst.).)
Dans un contexte similaire, la Cour d'appel de
l'Ontario devait, dans l'affaire Re Davisville
Investment Co. Ltd. and City of Toronto et al.,
précitée, interpréter l'article 94 de The Ontario
Municipal Board Act [R.S.O. 1970, chap. 323],
1 ° Cf. art. 2: «règlement comprend une ordonnance, un règle-
ment, un décret du conseil ...D
11 119821 1 R.C.S. 1092, à la p. 1101.
qui prévoit que le lieutenant-gouverneur en conseil
peut confirmer, modifier ou rescinder les ordon-
nances de la Commission ou exiger qu'elle tienne
une nouvelle audience. Le juge d'appel Lacour-
ciere a déclaré, à la page 557:
[TRADUCTION] 11 ne faut pas donner à l'article 94 de The
Ontario Municipal Board Act une interprétation restrictive
comme s'il s'agissait d'un tribunal d'instance inférieure auquel
le législateur a confié certaines questions. Je préfère considérer
qu'il s'agit d'un pouvoir que le législateur a réservé à l'Exécutif
du gouvernement agissant conformément à des règles générales
d'intérêt public. Rien ne permet de restreindre et d'atténuer la
portée du pouvoir par une interprétation judiciaire étroite.
Comme nous l'avons déjà précisé, la Cour
suprême a adopté la même approche dans l'arrêt
Inuit Tapirisat, précité (page 755). Je suis d'avis
qu'il n'y a pas lieu de donner au paragraphe 64(1)
de la Loi nationale sur les attributions en matière
de télécommunications une interprétation étroite
qui aurait pour effet de restreindre les pouvoirs
conférés au gouverneur en conseil par le législa-
teur.
Interpréter le paragraphe comme conférant un
pouvoir législatif de modifier ou d'annuler une
seule fois, comme les demandeurs le suggèrent,
aurait pour effet de détruire la capacité du gouver-
neur en conseil de réagir aux préoccupations politi-
ques immédiates du jour qui transcendent les inté-
rêts individuels.
Je suis également d'avis qu'il ne faut pas donner
aux mots «à toute époque» l'interprétation restric
tive souhaitée par les demandeurs. La version fran-
çaise du paragraphe 64(1) parle de «à toute
époque». La nouvelle version anglaise de l'article
64 de la Loi nationale de 1987 sur les transports
[S.C. 1987, chap. 34] accorde toujours au gouver-
neur en conseil le pouvoir de modifier toute déci-
sion de l'Office national des transports «at any
time», mais la version française prévoit maintenant
que ce pouvoir peut être exercé «à tout moment»,
ce qui signifie «sans cesse», «continuellement» 12 . La
version française du texte implique que le gouver-
neur en conseil détient un pouvoir continu d'agir,
et la formulation du paragraphe 64(1) l'autorise à
agir à sa propre discrétion, non seulement à la
requête d'une partie, mais de son propre chef, peu
12 Le grand Robert de la langue francaise: dictionnaire
alphabétique et analogique de la langue française (2e éd.
1986), sous les mots: époque, moment, continuel.
importe que l'ordonnance ou la décision ait été
rendue inter partes ou autrement. Tout ce qui
précède vient appuyer une interprétation large de
la Loi.
La Cour en vient donc à la conclusion que le
gouverneur en conseil avait le pouvoir législatif de
prendre les décrets C.P. 1987-2349 et C.P.
1988-265.
À titre subsidiaire, l'avocat des demandeurs fait
tout d'abord valoir qu'ayant expressément refusé
de modifier la décision Télécom CRTC 87-5, le
gouverneur en conseil ne peut procéder à la modi
fication de cette décision, comme il a eu la préten-
tion de le faire à l'alinéa d) du décret C.P. 1988-
265. L'avocat soutient également que l'alinéa d)
outrepasse la compétence du gouverneur en con-
seil, puisqu'il vise à ordonner à Bell Canada et à
Télécommunications CNCP de fournir à l'interve-
nante d'autres services ou installations sous-
jacents, même si le gouverneur en conseil n'a pas
un tel pouvoir législatif sur Bell Canada et sur
Télécommunications CNCP. Ce faisant, le gouver-
neur en conseil excède le pouvoir que la loi lui
confère de modifier ou d'annuler les ordonnances
et décisions de la Commission. Ce pouvoir ne
comprend pas celui d'ordonner à Bell Canada et à
Télécommunications CNCP de fournir des services
ou des installations.
La Cour n'est pas d'accord pour dire que c'est le
sens qu'il faut donner à l'alinéa d) du décret C.P.
1988-265. En obligeant Bell Canada et Télécom-
munications CNCP à fournir à Call-Net Telecom
Limited d'autres services ou installations sous-
jacents pendant la période du sursis d'exécution, le
décret ne modifie pas, en fait, la décision du
CRTC 87-5, mais clarifie simplement le désir du
gouverneur en conseil que Call-Net ait un accès
illimité à ces services pendant la durée du sursis,
ainsi que le démontre l'exposé de l'analyse des
incidences réglementaires qui a été annexé au
décret C.P. 1988-265 mais qui n'en fait pas partie.
En un sens, il est simplement un complément à la
modification de la décision Télécom CRTC 87-14
qui donne un sens au sursis de l'exécution de la
décision Télécom CRTC 87-5 et il est simplement
une rectification de l'interprétation donnée par le
CRTC au décret C.P. 1987-2349 dans sa lettre du
21 décembre 1987.
Le jour même où la Cour instruisait la présente
affaire, mon collègue, le juge Muldoon, a publié
ses motifs de jugement dans l'affaire Organisation
nationale anti -pauvreté c. Canada (Procureur
général), [1989] 1 C.F. 208 (1" inst.) (la décision
ONAP). Vu les commentaires formulés par le juge
Muldoon au sujet de l'arrêt Inuit Tapirisat, j'ai
demandé aux avocats de chacune des parties de
soumettre des observations écrites sur l'applicabi-
lité de l'affaire ONAP à la présente action et sur
les incidences de cette décision sur la présente
affaire.
Après avoir attentivement lu ces observations,
j'en suis venu à la conclusion que les faits et les
questions examinés dans la décision ONAP sont
très différents de ceux de la présente espèce. Je
remarque que le juge Muldoon a formulé de
sérieuses inquiétudes au sujet de l'applicabilité
continue de l'arrêt Inuit Tapirisat, qui a été rendu
par la Cour suprême en 1980, car celui-ci doit
maintenant être interprété en tenant compte des
modifications constitutionnelles de 1982 et de la
[TRADUCTION] «revivification de la Déclaration
des droits apportée par la Cour suprême du
Canada» dans l'arrêt Singh 13 . Toutefois, je suis
d'avis qu'il serait peu approprié et prématuré que
je siège en appel ou même que j'exprime des
commentaires au sujet de cette décision, qui vise à
donner au paragraphe 64(1) de la Loi nationale
sur les attributions en matière de télécommunica-
tions une interprétation différente de celle qu'a
donnée le tribunal suprême de notre pays. J'estime
qu'il y a lieu de réserver ce rôle aux cours d'appel.
La présente action est rejetée avec dépens.
13 Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.