T-2493-87
L.M. Lipski Ltd. (demanderesse)
c.
Dorel Industries Inc. et Babytyme Products Ltd.
(défenderesses)
RÉPERTORIÉ: L.M. LIPSKI LTD. c. DOREL INDUSTRIES INC.
Division de première instance, juge Reed—
Toronto, 21 mars; Ottawa, 31 mars 1988.
Dessins industriels — Contrefaçon — La défenderesse était
le distributeur exclusif au Canada du garde-corps de plasti-
que portatif fabriqué par la demanderesse — Une compagnie
américaine fabriquait et commercialisait une copie du dessin
industriel de la demanderesse — La défenderesse copiait la
copie et la commercialisait sous son propre non, — Apparence
de contrefaçon — Le fait que la défenderesse copiait une copie
ne constitue pas un moyen de défense à une action en contrefa-
çon — Enregistrement — Vu l'absence des lettres "Enr." et de
l'indication de l'année d'enregistrement, le produit n'était pas
marqué conformément à l'art. 14 de la Loi sur les dessins
industriels — Renseignement non partinent: n° d'enregistre-
ment du dessin en Israël, qui risque de créer de la confusion —
Il suffit de se conformer de façon substantielle aux exigences
en matière de marquage — Les conséquences du défaut de se
conformer aux exigences ne seront connues avec certitude
qu'une fois que la Cour d'appel fédérale se sera prononcée sur
la question — Effet de l'avis d'enregistrement — Le respect
substantiel des exigences en matière de marquage constitue-
t-il en l'espèce une question sérieuse à juger — L'interpréta-
tion est compatible avec les dispositions de la convention
internationale signée par le Canada et selon laquelle les droits
en matière de propriété intellectuelle sont protégés même en
cas de défaut de marquer les objets visés d'une manière
déterminée.
Injonctions — Demande d'injonction interlocutoire en vue
d'empêcher la vente de garde-corps qui seraient fabriqués en
contrefaçon du dessin industriel de la demanderesse — La
demanderesse a établi l'existence d'une question sérieuse à
juger — La demanderesse subirait un préjudice irréparable si
l'injonction n'était pas accordée, en ce qu'elle perdrait une part
du marché des accessoires pour enfants — La balance des
inconvénients penche en faveur de la demanderesse puisque
l'injonction n'aurait qu'une incidence financière réduite sur
Dorel — L'equity favorise la demanderesse puisque la défen-
deresse ne se présente pas devant la Cour les mains propres —
Le critère fondé sur l'existence d'une question sérieuse à juger
est le critère indiqué — L'injonction interlocutoire n'a pas
pour effet de régler les questions en litige.
Il s'agissait en l'espèce d'une demande en vue d'obtenir une
injonction interlocutoire visant à empêcher la défenderesse de
vendre des garde-corps qui auraient été fabriqués en contrefa-
çon du dessin industriel enregistré de la demanderesse. Les
garde-corps portatifs, qui étaient faits de plastique, étaient
conçus de façon à empêcher les jeunes enfants de tomber du lit.
Le dessin de la demanderesse, créé en 1984, différait énormé-
ment de tout ce qui existait déjà à l'époque. La défenderesse
(Dorel) était le distributeur exclusif du produit de la demande-
resse au Canada tout au long de 1986 ainsi qu'en 1987. Une
réplique du garde-corps de la demanderesse était commercialisé
aux E.-U. (le modèle DMKA) à un prix inférieur. Cette copie
était distribuée au Canada à des détaillants tels que Sears.
Dorel a fait fabriquer une copie de cette copie et en a com-
mencé la commercialisation au Canada à la place du produit de
la demanderesse.
Pour obtenir l'injonction interlocutoire demandée, la deman-
deresse devait, notamment, établir l'existence d'une apparence
de droit ou d'une question sérieuse à juger. Cette question
dépendait de la question de savoir si le garde-corps de la
défenderesse différait de celui de la demanderesse au point de
ne pas constituer contrefaçon, et si les lacunes dans le mar-
quage du produit et de son emballage avaient pour effet de
priver la demanderesse de la protection que lui aurait par
ailleurs conférée l'enregistrement de son dessin industriel. Aux
termes du paragraphe 140) de la Loi sur les dessins indus-
triels, »Pour protéger tout dessin, ... le nom du propriétaire
doit apparaître sur l'objet ... ainsi que les lettres «Enr.» ...
avec l'indication de l'année de l'enregistrement.» Étaient gra
vées dans le plastique dont était fait le produit de la demande-
resse les inscriptions suivantes »L.M. Lipski Ltd., R. Design
10037, R. Design 10259». Les numéros d'enregistrement étaient
les numéros d'enregistrement en Israël. La marque était donc
déficiente en ce qu'elle ne comportait ni les lettres «Enr.» ni
l'indication de l'année de l'enregistrement, et qu'elle renfermait
des renseignements non pertinents (les numéros d'enregistre-
ment en Israël) susceptibles de créer de la confusion au
Canada. Le numéro d'enregistrement canadien a été délivré en
1986 et la défenderesse était au courant de ce fait.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
La demanderesse a fait la preuve de l'existence d'une »ques-
tion sérieuse à juger» et même satisfait au critère de la forte
apparence de droit en ce qui a trait à la contrefaçon. Les trois
critères énoncés dans l'arrêt Mainetti S.P.A. c. E.R.A. Display
Co. Ltd. en matière de contrefaçon de dessins industriels ont été
satisfaits. Même si le dessin de la défenderesse différait, à
certains égards, de celui de la demanderesse, son allure géné-
rale était la même et, de l'avis de la Cour, risquait de créer de
la confusion. Deuxièmement, la thèse selon laquelle la défende-
resse aurait copié de façon substantielle le dessin de la deman-
deresse reposait sur des arguments très solides. Il ne faisait
aucun doute que la défenderesse avait tiré son inspiration du
dessin de la demanderesse. Sans l'existence de ce dessin, le
dessin de la défenderesse n'aurait jamais vu le jour. Finalement,
le dessin de la défenderesse s'apparentait davantage à celui de
la demanderesse qu'à tout autre dessin antérieur (exception
faite du modèle DMKA copié sur celui de la demanderesse). Le
fait que la défenderesse ait, dans les faits, copié une copie du
dessin de la demanderesse ne constituait pas un moyen de
défense à l'encontre d'une action en contrefaçon. Une copie
d'une copie n'en demeure pas moins une imitation frauduleuse
de l'original.
L'arrêt Allaire, Georges v. Hobbs Glass Ltd. a été cité à titre
de précédent au soutien de la thèse selon laquelle le défaut de
marquer les objets de la façon requise était fatal à la validité de
l'enregistrement du dessin. Cet arrêt a été critiqué à maintes
reprises et l'examen de l'historique du texte législatif n'a rien
révélé qui vienne étayer la conclusion selon laquelle le législa-
teur voulait que l'article 37 de la Loi des marques de commerce
et dessins de fabrique produise les mêmes effets que l'article 51
de la loi du Royaume-Uni.
En cas d'ambiguïté, les articles litigieux de certaines lois (en
l'occurrence l'article 14) devraient être interprétés de manière à
ne pas faire échec à l'intention exprimée dans les conventions
internationales signées par le Canada, en l'espèce la Convention
internationale pour la protection de la Propriété industrielle
(qui interdit aux signataires de refuser aux propriétaires leurs
droits de propriété intellectuelle en cas de défaut de marquer
les objets d'une manière déterminée).
Il ressort de la jurisprudence que le fait de se conformer de
façon substantielle aux exigences applicables en matière de
marquage est suffisant pour satisfaire aux dispositions de l'arti-
cle 14 et que les conséquences du défaut de s'y conformer de
façon substantielle sont incertaines. Si l'inobservation n'a pour
effet que de faire obstacle aux demandes de dommages-intérêts
ou de sanctions en cas de contrefaçon inintentionnelle (en
l'absence de notification) alors le fait que, en l'espèce, la
défenderesse avait été effectivement avisée emporte que le
défaut de marquer l'objet de la manière prescrite n'empêche
pas la demanderesse d'obtenir le redressement qu'elle demande.
Vu l'absence d'une décision de la Cour d'appel fédérale établis-
sant les conséquences de l'inobservation, l'injonction interlocu-
toire ne devrait pas être refusée parce que la demanderesse ne
peut établir l'existence d'une question sérieuse à juger. Surtout
que la demanderesse a établi l'existence d'une telle question.
Même si le marquage était clairement déficient, les objets
comportaient suffisamment de renseignements susceptibles
d'indiquer à un observateur que le dessin avait probablement
été enregistré et de lui permettre de retracer cet enregistrement
sans trop de difficulté. La question de savoir si les marques
étaient substantiellement conformes aux exigences de l'article
14 constituait une question sérieuse à juger.
Les autres éléments nécessaires à la délivrance d'une injonc-
tion interlocutoire penchaient également en faveur de la
demanderesse. Si l'injonction n'était pas accordée, la demande-
resse subirait un préjudice irréparable. La demanderesse était
un acteur important sur le marché canadien des «accessoires
pour enfants'. Si la défenderesse était autorisée à vendre ses
garde-corps, la demanderesse serait, dans les faits, exclue du
marché canadien non seulement en ce qui a trait à ses garde-
corps mais également à l'égard des autres produits qu'elle vend.
Les garde-corps ouvriraient la porte aux autres produits de la
demanderesse, qui n'ont pas de liens fonctionnels avec le garde-
corps, bien qu'il s'agisse dans tous les cas d'accessoires pour
enfants. La balance des inconvénients penche en faveur de la
demanderesse. La délivrance de l'injonction n'aurait qu'une
incidence financière minime en ce qui concerne Dorel, mais le
fait pour la demanderesse de perdre une part importante du
marché canadien pour son garde-corps aurait pour elle des
répercussions financières importantes. De plus, comme la déli-
vrance d'une injonction est un redressement prévu en equity, les
tribunaux tiennent compte de la conduite des parties en regard
de l'éthique. Tous les aspects de l'equity favorisaient la
demanderesse.
Bien que l'on ait identifié un certain nombre de situations
dans lesquelles il n'est pas indiqué d'avoir recours au critère de
la question sérieuse à juger, les faits de la présente espèce ne
constituaient pas un tel cas. Le fait d'accorder l'injonction
interlocutoire ne réglera pas les questions en litige et il n'existe
pas de raisons impérieuses de refuser le redressement demandé.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Acte des Marques de Commerce et des Dessins de Fabri-
que de 1879, S.C. 1879, chap. 22, art. 23.
Acte pour amender l'Acte relatif aux marques de fabri
cation et pour pourvoir à l'enregistrement des dessins,
S.C. 1861, chap. 21, art. 11, 13.
An Act to consolidate and amend the Laws relating to
the Copyright of Designs for ornamenting Articles of
Manufacture, 1842 (R.-U.), 5 & 6 Vict., chap. 100,
art. IV.
Convention internationale pour la protection de la Pro-
priété industrielle.
Loi des marques de commerce et dessins de fabrique,
S.R.C. 1927, chap. 201, art. 37.
Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8,
art. 14.
Patents and Designs Act, 1907 (R.-U.), 7 Edw. 7, chap.
29.
Patents and Designs (Amendment) Act, 1907 (R.-U.), 7
Edw. 7, chap. 28, art. 32.
Patents, Designs, and Trade Marks Act, 1883 (R.-U.),
46 & 47 Vict., chap. 57, art. 51.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Mainetti S.P.A. c. E.R.A. Display Co. Ltd. (1984), 80
C.P.R. (2d) 206 (C.F. Ife inst.); Algonquin Mercantile
Corporation c. Dart Industries Canada Limited, [I984] I
C.F. 246; (1983), 71 C.P.R. (2d) 11 (l" inst.); confirmé
(1984), I C.P.R. (3d) 75 (C.A.F.); Cimon Ltd. et ai v.
Bench Made Furniture Corpn et al, [1965] I R.C.É. 811;
House of Faces, Inc. et al. v. Leblanc et al. (1984), 2
C.P.R. (3d) 177 (H.C. Ont.); Heinrichs v. Bastendorff
(1893), 10 R.P.C. 160 (Q.B.); Fielding v. Hawley (1883),
48 L.T. 639 (Q.B.); John Harper & Co., Limited v.
Wright and Butler Lamp Manufacturing Company,
Limited, [1896] I Ch. 142 (C.A.); American Cyanamid
Co v Ethicon Ltd, [1975] I All ER 504 (H.L.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Allaire, Georges v. Hobbs Glass Ltd., [1948] R.C.É. 171;
7 Fox Pat. C. 145.
DÉCISIONS CITÉES:
Epstein v. 0-Pee-Chee Company Ltd., [1927] R.C.É.
156; Aetna Financial Services Ltd. c. Feigelman et
autres, [1985] 1 R.C.S. 2; Manitoba (Procureur général)
c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; Inter-
lego AG et autre c. Irwin Toy Ltd. et autre (1985), 3
C.P.R. (3d) 476 (C.F. 1" inst.); Ikea Ltd. et autre c. Idea
Design Ltd. et autre (1987), 13 C.P.R. (3d) 476 (C.F. 1'e
inst.); Cabot Corp. et autre c. 3M Canada Inc. (1987), 15
C.P.R. (3d) 247 (C.F. I re inst.); Hoffman-La Roche Ltd.
v. Apotex Inc. (1982), 72 C.P.R. (2d) 183 (H.C. Ont.);
Mirabai Art Glass Ltd. c. Paradise Designs Ltd. (1986),
13 C.P.R. (3d) 88 (C.F. Ise inst.); Duomo Inc. c. Giftcraft
Ltd. (1984), I C.P.R. (3d) 165 (C.F. lie Inst.); Syntex
Inc. c. Apotex Inc., [1984] 2 C.F. 1012; 1 C.P.R. (3d)
145 (C.A.); Creations 2000 Inc. et autres c. Canadian
Tire Corp. et autres (1986), 15 C.P.R. (3d) 33 (C.F. 1"
inst.); Supreme Aluminium Industries Ltd. c. Kenneth
M. Smith Inc. et autre (1985), I C.P.R. (3d) 1 (C.F. Ire
inst.); Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc. (1988),
17 F.T.R. 28 (C.F. Ife inst.); Yri-York Ltd. c. Canada
(Procureur général), [1988] 3 C.F. 186 (C.A.).
DOCTRINE
Goldsmith, Immanuel. Trade Marks and Industrial
Design, Toronto: Carswell, 1982.
Hughes, Roger T., c.r. Hughes on Copyright and Indus
trial Design Scarborough, Ontario: Butterworths,
1984.
Hughes on Copyright and Industrial Design Newsletter,
Issue I, No. 1, Nov. 1984.
AVOCATS:
Christopher J. Pibus pour la demanderesse.
Peter R. Hammond pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Toronto, pour la
demanderesse.
Hammond, Reininger, Mississauga (Ontario),
pour les défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La demanderesse sollicite une
injonction interlocutoire visant à empêcher la
défenderesse de vendre des «garde-corps» qui cons-
titueraient des objets faits en contrefaçon du dessin
industriel enregistré n° 56622 de la demanderesse.
Ces «garde-corps» sont faits de plastique et jouent
le rôle de barres de retenue. À la fois portatifs et
repliables, ils sont conçus de façon à empêcher les
jeunes enfants (de moins de cinq ans) de tomber
du lit.
Les «garde-corps» n'ont pas été marqués d'une
manière rigoureusement conforme à l'article 14 de
la Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970,
chap. I-8. La principale question en litige dans la
présente demande consiste à déterminer si cette
lacune est suffisamment grave pour priver mani-
festement la demanderesse de la protection que
procure l'enregistrement du dessin industriel. Si tel
est le cas, la demanderesse n'est alors en mesure
d'établir ni l'existence d'une «apparence de droit»
ni d'une «question sérieuse à juger» et ne peut donc
satisfaire à l'une des exigences essentielles pour
obtenir une injonction interlocutoire. Si, par
contre, la marque défectueuse n'a pas cet effet, à
tout le moins à l'égard d'une défenderesse qui
connaissait réellement l'existence de l'enregistre-
ment, le critère relatif à l'«apparence de droit» ou à
la «question sérieuse à juger» est alors satisfait.
Il importe d'abord d'énoncer les faits pertinents.
La demanderesse a conçu et créé ses garde-corps
en 1984. De toute évidence, ceux-ci diffèrent énor-
mément de tout ce qui existait déjà à l'époque. Il
ressort de la preuve qu'il existait déjà des barres de
retenue en métal ainsi que d'autres faites d'un
cadre en métal et d'un filet. Toutefois, le modèle
de la demanderesse était clairement unique en son
genre et très différent de tout ce qui existait déjà.
La demanderesse, L.M. Lipski Ltd., est une société
israélienne. Les garde-corps, qui ont été dessinés
par MM. Lipski et Herschkovitz, ont été fabriqués
en Israël. Vers la fin de 1985, aux termes d'une
entente verbale conclue avec les défenderesses, il
fut convenu que ces dernières seraient les distribu-
teurs exclusifs du produit de la demanderesse au
Canada. Les deux défenderesses, Dorel et Baby-
tyme, peuvent, à toutes fins pratiques, être consi-
dérées comme formant une seule entité et seront
donc appelées ci-après Dorel.
L'emballage initial dans lequel les garde-corps
ont été expédiés était rédigé en anglais seulement
et comportait le nom BABYJOY ainsi qu'un logo
«lipski» et un personnage de bande dessinée dans le
coin inférieur gauche de la boîte. Le logo et le
personnage de bande dessinée figurant dans le coin
étaient accompagnés de la phrase «Another great
idea from Lipski!» (une autre idée merveilleuse de
Lipski). Figurait sur l'emballage un sceau rouge
(mesurant environ 1 1 / 2 " de diamètre) comportant
en son centre la mention «R. Design 10259». Le n°
10259 correspond au numéro d'enregistrement du
dessin en Israël. La défenderesse a indiqué à la
demanderesse que l'emballage devrait être bilingue
et a discuté avec celle-ci des modifications perti-
nentes. Il a été également convenu que l'emballage
porterait le nom BABYTYME (au lieu de BABYJOY).
Le graphiste de la défenderesse a soumis à la
défenderesse un projet de croquis qui tenait
compte de ces modifications et comportait le sceau
rouge ainsi que la mention figurant sur celui-ci (R.
Design 10259).
L'emballage dans lequel les garde-corps ont par
la suite été expédiés et vendus au Canada était
essentiellement le même que l'ancienne version
unilingue, sauf pour les détails suivants: l'embal-
lage était maintenant bilingue; le mot BABYJOY
avait été remplacé par le mot BABYTYME et une
figure de chérubin; on avait substitué au logo
Lipski et au personnage de bande dessinée du coin
inférieur gauche de la boîte la brève mention
suivante en caractères d'imprimerie:
MADE AND PRINTED IN ISRAEL
© ALL RIGHTS RESERVED LIPSKI LTD 1985
Sur le sceau rouge où figurait auparavant la men
tion «R. Design 102594, on pouvait maintenant
lire:
U.S.
DES. APP.
6.719.748
Figuraient depuis le début (gravées dans le plasti-
que moulé) sur le produit, en l'occurrence sur le
garde-corps, les inscriptions suivantes:
L.M. LIPSKI LTD.
R. DESIGN 10037
R. DESIGN 10259
et sur une autre partie du cadre:
MADE IN ISRAEL
ainsi que l'avis suivant:
© ALL RIGHTS RESERVED LIPSKI LTD 1984
Tout comme l'emballage bilingue, l'emballage
unilingue anglais initial a parfois été utilisé.
Comme nous l'avons mentionné précédemment, un
numéro d'enregistrement (n° 10259) avait été déli-
vré en Israël en décembre 1984. (Une version
antérieure avait été enregistrée en août 1984 et
c'est à cette version que renvoie le n° 10037.) En
mars 1985, avant la conclusion des ententes de
distribution entre la défenderesse et la demande-
resse, cette dernière avait présenté une demande
d'enregistrement de dessin industriel au Canada.
L'enregistrement n° 56622 lui a été délivré le 15
juillet 1986. En septembre de cette même année,
au cours d'une conférence commerciale à Cologne
en Allemagne, M. Lipski a dit à M. Schwartz (le
président de Dorel) qu'on lui avait délivré l'enre-
gistrement demandé au Canada. La preuve est
contradictoire sur ce point. En effet, M. Schwartz
affirme qu'il n'était pas au courant de cet enregis-
trement. Je n'accorde aucune crédibilité à cette
affirmation. M. Schwartz était très conscient de
l'importance de protéger les dessins et les brevets.
Il est évident qu'il s'agit là d'une question dont il
avait, à titre de distributeur exclusif des produits
Lipski au Canada, tout intérêt à se préoccuper. En
fait, il a déclaré, en contre-interrogatoire, qu'il
était probablement le plus important titulaire de
brevets (par l'entremise de la compagnie Dorel)
relatifs à des marchandises pour bébés au Canada.
La demanderesse a effectué un premier envoi de
2 958 garde-corps à la défenderesse en janvier
1986. La défenderesse s'est affairée à la mise en
marché des garde-corps de la demanderesse tout
au long de 1986 et en 1987, en vendant 27 000 à
divers détaillants tels que Distribution aux con-
sommateurs, Eaton et La Baie. M. Lipski n'a pas
contrôlé de façon active les activités de Dorel. Il se
trouvait en Israël alors que Dorel et les bureaux de
celle-ci étaient situés au Canada. Lipski avait un
mandataire aux États-Unis, un certain M. Fish-
man, qui transigeait à l'occasion avec Dorel. M.
Lipski avait confiance que Dorel (et ses dirigeants,
notamment M. Schwartz) commercialisait, avec
diligence et honnêteté, les produits Lipski, soit les
garde-corps ainsi que d'autres produits.
Les garde-corps de la demanderesse étaient éga-
lement commercialisés aux États-Unis, où une
copie appelée garde-corps DMKA était offerte sur
le marché. Cette version, fabriquée à Taiwan, était
offerte et vendue à un prix légèrement inférieur au
garde-corps original de Lipski. M. Schwartz crai-
gnait que le garde-corps DMKA ne vienne affaiblir
la position du produit Lipski sur le marché cana-
dien. Il se serait apparemment plaint de ce fait à
M. Fishman, le mandataire de Lipski. La copie
produite par DMKA était distribuée au Canada par
Gendron et vendue à des détaillants tels que Sears.
En octobre 1986, M. Schwartz et un autre cadre
(employé) de Dorel, M. Hall, se sont rendus à
Taiwan, emportant avec eux trois des barres de
raccordement faisant partie du garde-corps DMKA.
Ces pièces ainsi qu'une boîte d'emballage de
garde-corps Lipski ont été fournies au fabricant de
Taiwan. Sur la partie frontale de la boîte ainsi
fournie figurait une photographie du garde-corps
Lipski. M. Schwartz a fourni aux fabricants un
croquis du garde-corps qu'il désirait faire fabri-
quer, croquis qui a depuis disparu. Quoi qu'il en
soit, des garde-corps ont été fabriqués à Taiwan
pour Dorel. Bien que similaires au produit Lipski,
ils se rapprochent davantage du garde-corps DMKA
sur le modèle duquel, a-t-on admis, ils ont été
fabriqués. (Les différences entre le produit Lipski
et le produit Dorel vont être examinées plus loin.)
Dorel a ensuite commercialisé son propre pro-
duit au Canada, à la place du produit Lipski. Il
importe de souligner certains aspects de la com
mercialisation du produit Dorel. Dorel fournit
périodiquement à ses quelque 1 000 clients du
marché du commerce de détail à travers le Canada
des feuillets de catalogue et des listes de prix. Les
feuillets de catalogue distribués en 1987 compor-
taient une photographie du garde-corps Lipski.
Pour ce qui est des listes de prix distribuées en
1987 (y compris celles distribuées en décembre
1987), on pouvait y voir un croquis du garde-corps
Lipski. Toutefois, à la lumière du prix indiqué, il
est évident qu'après avril 1987, c'était le produit
Dorel qui était vendu. En effet, après avril 1987,
Dorel a fourni à ses clients du marché du com
merce de détail le produit fabriqué à Taiwan. La
confusion créée par cette mise en marché ressort
clairement de la publicité faite dans le catalogue
Distribution aux consommateurs pendant la
période pertinente. Distribution aux consomma-
teurs est le principal client de Dorel en ce qui a
trait aux garde-corps. Le catalogue Distribution
aux consommateurs 1986-1987 (Hiver-Printemps)
laissait voir un garde-corps Lipski, accompagné de
l'étiquette BABYTYME, offert au prix de 24,99 $.
Une description similaire figurait dans l'édition
suivante du catalogue, soit l'édition 1987 (Été-
Automne). Dans le numéro suivant, cependant,
soit l'édition 1987-1988 (Hiver-Printemps), le
garde-corps illustré est le produit Dorel fabriqué à
Taiwan, qui était accompagné de l'inscription sui-
vante [TRADUCTION] «épargnez 5 $ . .. 24,99 $ .. .
maintenant 19,99 $».
La demanderesse sollicite une injonction interlo-
cutoire en vue d'empêcher Dorel de commerciali-
ser son garde-corps fabriqué à Taiwan. Les fac-
teurs dont il faut tenir compte pour déterminer si
l'injonction doit être accordée sont les suivants: (1)
la demanderesse a-t-elle établi l'existence d'une
apparence de droit ou d'une question sérieuse à
juger? (2) la demanderesse a-t-elle établi qu'elle
subira un préjudice irréparable si l'injonction ne
lui est pas accordée? (3) la balance des inconvé-
nients favorise-t-elle la demanderesse?
Relativement aux deux derniers facteurs sus-
mentionnés, il ne fait aucun doute dans mon esprit
que sans une injonction, la demanderesse subira un
préjudice irréparable, et qu'en l'espèce, la balance
des inconvénients penche en sa faveur. La défende-
resse est un acteur important sur le marché cana-
dien des accessoires pour enfants, détenant environ
70 % de ce marché. Si on autorise la vente des
garde-corps Dorel, la demanderesse sera, dans les
faits, exclue du marché canadien non seulement en
ce qui a trait à ses garde-corps mais également à
l'égard des autres produits qu'elle vend.
L'avocat de la défenderesse a soutenu que les
autres produits de la demanderesse n'ont pas de
liens fonctionnels avec le garde-corps (bien qu'il
s'agisse pour la plupart d'accessoires pour enfants
d'un type ou d'un autre) et que, dans les faits, ils
ne présentent de toute façon pas d'attrait pour les
consommateurs nord-américains. On prétend qu'il
n'est pas fondé d'affirmer que le fait que les
garde-corps Lipski soient supplantés par le modèle
Dorel ait pour effet d'interdire à la défenderesse
l'accès au marché canadien en ce qui a trait à ses
autres produits. Je peux convenir que les autres
produits de la demanderesse n'ont pas de liens
fonctionnels avec le garde-corps, mais ils sont tous
(à l'exception d'un seul) des accessoires pour
enfants. Je conviens également que les autres pro-
duits Lipski n'ont pas autant de succès sur le
marché nord-américain que le garde-corps. Néan-
moins, je souscris à l'argument selon lequel les
garde-corps ouvrent en quelque sorte la porte aux
autres produits, car le fait qu'un distributeur
accepte de vendre le garde-corps emporte la proba-
bilité qu'il accepte de commercialiser d'autres pro-
duits Lipski. C'est exactement ce qu'a fait Dorel
en acceptant de commercialiser non seulement le
garde-corps mais également les produits «Johnny
Step Up» et le cheval «Rock 'N Play».
Il ressort clairement de l'examen de la situation
financière respective des parties que la délivrance
d'une injonction interdisant à Dorel de commercia-
liser son produit aurait une incidence financière
minime sur sa situation globale. Cela n'entraîne-
rait en effet ni déplacement de sa main-d'oeuvre ni
autre effet disrupteur important. Toutefois, dans le
cas de la demanderesse, la perte d'une part impor-
tante du marché canadien pour son garde-corps
(qui découlerait de la vente de la copie fabriquée
par Dorel) aurait des conséquences financières
importantes. La balance des inconvénients penche
donc clairement en faveur de la demanderesse.
Je tiens également à souligner que la délivrance
d'une injonction est un redressement prévu en
equity, et donc que la conduite de chacune des
deux parties («mains propres») en regard de l'éthi-
que est depuis toujours un facteur dont les tribu-
naux ont tenu compte afin de déterminer si une
injonction interlocutoire devait être accordée. En
l'espèce, il ne fait aucun doute que tous les aspects
de l'equity favorisent la demanderesse. Cela res-
sort clairement du comportement de la défende-
resse décrit plus haut.
Il reste donc à examiner cette dernière question
cruciale: la demanderesse a-t-elle établi l'existence
d'une apparence de droit ou d'une question
sérieuse à juger? Cette question comporte deux
aspects: (1) le garde-corps Dorel diffère-t-il suffi-
samment du garde-corps Lipski pour ne pas consti-
tuer une contrefaçon du dessin industriel corres-
pondant à celui-ci? (2) la marque défectueuse
apposée sur le produit et l'emballage de la deman-
deresse a-t-elle pour effet de priver celle-ci de la
protection que lui procurerait par ailleurs l'enre-
gistrement du dessin industriel?
Relativement au premier aspect, l'avocat de la
demanderesse (et celui de la défenderesse) ont cité
trois critères applicables en matière de contrefaçon
de dessin industriel. L'avocat de la défenderesse a
cité les critères énoncés par le juge Walsh dans
l'affaire Mainetti S.P.A. c. E.R.A. Display Co.
Ltd. (1984), 80 C.P.R. (2d) 206 (C.F. 1" inst.), à
la page 222. Ces critères sont résumés comme suit
dans le sommaire [à la page 207]:
[TRADUCTION] (i) un dessin pourrait-il être pris pour l'autre?
(ii) l'article à l'égard duquel il y aurait eu contrefaçon pour-
rait-il exister, du point de vue du dessin qui s'y applique, si
ce n'était du dessin enregistré?
(iii) l'article à l'égard duquel il y aurait eu contrefaçon se
rapproche-t-il davantage du dessin original que de tout
autre dessin antérieur ...
Le premier critère, celui relatif à la probabilité
de confusion, doit faire l'objet de quelques explica-
Lions afin de permettre de mieux saisir le résumé
qui en est fait dans le sommaire. Voici ce qu'a dit à
cet égard le juge Walsh, à la page 222:
... étant donné que les diverses différences mineures délibéré-
ment créées ont été montrées à la Cour, il n'est pas difficile de
distinguer les cintres de la défenderesse de ceux de la demande-
resse, mais si ces différences n'avaient pas été signalées, j'aurais
conclu qu'il s'agissait simplement de modèles différents d'un
cintre fabriqué par le même fabricant. [Non souligné dans le
texte original.]
L'avocat de la demanderesse a fait état de ce
critère, mais en se reportant aux propos formulés
par le juge Mahoney dans l'arrêt Algonquin Mer
cantile Corporation c. Dart Industries Canada
Limited, [1984] 1 C.F. 246, la page 250; (1983),
71 C.P.R. (2d) 11 (ire inst.), aux pages 13 et 14;
confirmé (1984), 1 C.P.R. (3d) 75 (C.A.F.):
C'est à la Cour de déterminer si un dessin en contrefait un
autre. Les divers éléments qui font partie du dessin enregistré et
de l'appareil de la défenderesse, dont notamment les pieds, les
poignées, la disposition de la surface, ont une apparence exté-
rieure très différente. À mes yeux, l'appareil de la défenderesse
ressemble assez peu au dessin enregistré. [Non souligné dans le
texte original.]
Les précédents cités par la demanderesse afin
d'illustrer les deuxième et troisième critères énon-
cés par le juge Walsh dans l'arrêt Mainetti sont,
respectivement, Cimon Ltd. et al v. Bench Made
Furniture Corpn et al, [1965] 1 R.C.É. 811 et
House of Faces, Inc. et al. v. Leblanc et al. (1984),
2 C.P.R. (3d) 177 (H.C. Ont.). Dans l'arrêt
Cimon, le président Jackett a écrit ce qui suit, à la
page 848:
[TRADUCTION] Même si l'on a, à maintes reprises, attiré mon
attention sur les nombreuses distinctions entre la construction
des canapés qui constitueraient de la contrefaçon et la construc
tion du canapé créé par la compagnie demanderesse conformé-
ment à son dessin, il n'y a jamais eu aucun doute dans mon
esprit que les canapés produits par les défendeurs étaient
conçus pour ressembler autant que possible à celui de la
demanderesse ... L'ajout de boutons au rembourrage, l'agran-
dissement de l'applique noisette sur le devant, ainsi que l'emploi
de pattes et d'un élément de soutien arrière quelque peu
différents ne changent rien au fait que l'un des canapés n'est
qu'une reproduction bon marché de l'autre. [Non souligné dans
le texte original.]
Dans l'affaire House of Faces, le juge Mont-
gomery de la Haute cour de l'Ontario a déclaré, à
la page 181:
[TRADUCTION] Même si les plateaux des intimés présentent
quelques légères différences, il est possible, à mon avis, de les
comparer à ceux des demanderesses. Le dessin des intimés se
rapproche davantage de celui des demanderesses que de celui
de tout usager antérieur.
À mon avis, à la lumière de la preuve dont je dispose, on a
fait la preuve de la contrefaçon du dessin industriel. [Non
souligné dans le texte original.]
En l'espèce, le dessin de la défenderesse diffère
de celui de la demanderesse sous trois aspects: les
cercles (rondelles) dans les deux coins supérieurs
du garde-corps de la demanderesse (motif couram-
ment utilisé sur les produits Lipski) ne figurent pas
sur le dessin de la défenderesse; cette dernière a
ajouté un élément de soutien supplémentaire au
centre de chaque moitié du garde-corps, de sorte
que celui-ci comporte huit ouvertures au lieu de
quatre; le motif de plastique surélevé qui se trouve
au centre du garde-corps de la défenderesse diffère
de celui de la demanderesse (mais constitue une
réplique exacte de celui du garde-corps DMKA).
Malgré ces différences, il ressort de l'allure géné-
rale du garde-corps de la défenderesse ainsi que de
la plupart des autres détails de ce garde-corps que
celui-ci constitue une copie exacte du garde-corps
de la demanderesse. Bien qu'une demande d'in-
jonction interlocutoire ne soit pas l'occasion de
statuer sur les questions qui constituent le fond
même du litige, il est évident que la thèse de la
demanderesse selon laquelle la demanderesse
aurait copié de façon substantielle son dessin
industriel repose sur des arguments très solides. De
plus, il ne fait aucun doute que la défenderesse a
tiré son inspiration du dessin de la demanderesse.
Sans l'existence de ce dessin, le dessin de la défen-
deresse n'aurait jamais vu le jour. Il est également
manifeste que le dessin de la défenderesse est une
copie de celui de la demanderesse, auquel on a
délibérément apporté certaines modifications; de
toute évidence, le dessin de la défenderesse s'appa-
rente davantage à celui de la demanderesse qu'à
tout autre dessin antérieur (exception faite du
modèle DMKA).
La défenderesse soutient que le dessin de la
demanderesse n'a pas été source d'inspiration pour
le produit Dorel et que c'est plutôt le garde-corps
DMKA qui a joué ce rôle; de plus, on soutient que le
produit de la défenderesse s'apparente davantage
au garde-corps DMKA qu'à celui de la demande-
resse. de ne crois pas que la défenderesse puisse
échapper à une action en contrefaçon en préten-
dant qu'elle n'a copié qu'une copie d'une copie du
dessin enregistré plutôt que le dessin lui-même.
C'est la similitude dans l'allure et dans la forme
qui constitue la contrefaçon. Une copie d'une copie
n'en demeure pas moins une imitation frauduleuse
de l'original. En ce qui a trait à la contrefaçon, la
demanderesse a manifestement fait la preuve de
l'existence d'une «question sérieuse à juger» et, de
fait, a même satisfait au critère de la «forte appa-
rence de droit».
L'argument essentiel, cependant, est celui fondé
sur l'article 14 de la Loi sur les dessins industriels,
qui porte:
14. (1) Pour protéger tout dessin, il faut l'enregistrer dans
l'année qui suit sa publication au Canada et, l'enregistrement
fait, le nom du propriétaire doit apparaître sur l'objet auquel
s'applique son dessin, si c'est un tissu, en le marquant sur une
des extrémités de la pièce, ainsi que les lettres «Enr.» et, si le
produit est d'une autre substance, les lettres «Enr.. doivent être
marquées sur le bord ou sur tout autre endroit convenable de
l'objet avec l'indication de l'année de l'enregistrement.
(2) La marque peut être faite sur le produit même ou en y
attachant une étiquette qui porte les marques voulues.
Comme nous l'avons mentionné précédemment,
les marques figurant sur les garde-corps de la
demanderesse ne satisfont pas aux exigences pré-
vues par cet article. Je n'ai qu'à résumer les argu
ments de l'avocat de la défenderesse à cet égard: la
marque figurant sur les garde-corps est conforme
aux exigences israéliennes en matière d'enregistre-
ment de dessin industriel et non à celles de la loi
canadienne; la marque ne comporte pas les lettres
«Enr.» exigées à l'article 14; aucune date d'enregis-
trement n'est indiquée; cette date est importante
puisqu'elle aide à retracer l'enregistrement, en plus
d'indiquer depuis quand le dessin est protégé et à
quel moment cette protection vient à expiration;
qui plus est, la marque figurant sur les garde-corps
Lipski renferme d'autres renseignements (soit les
numéros d'enregistrement en Israël); renseigne-
ments qui n'auraient pour effet que de créer de la
confusion chez les Canadiens. L'avocat de la
défenderesse soutient de plus que la demanderesse
cherche à faire porter à la demanderesse le blâme
à l'égard des erreurs que renferment les marques
alors que la responsabilité en incombe plutôt à
l'agent de brevets canadien de la demanderesse
ainsi qu'à son avocat en Israël. Voici les arguments
de la défenderesse: si ces particuliers n'ont pas bien
conseillé la demanderesse, la défenderesse ne peut
en être tenue responsable; il appartient aux pro-
priétaires de marquer de façon adéquate leurs
marchandises et les exigences prévues à cet égard
sont indiquées de façon claire aux propriétaires
dans les renseignements qui leur sont transmis en
même temps que le certificat d'enregistrement du
dessin.
Je vais maintenant examiner la jurisprudence
qui m'a été citée relativement aux conséquences du
défaut de se conformer à l'article 14. L'avocat de
la défenderesse soutient qu'il ressort de la jurispru
dence que le défaut de marquer les objets confor-
mément aux dispositions de cet article porte un
coup fatal aux droits de la demanderesse. Dans
l'affaire Allaire, Georges v. Hobbs Glass Ltd.,
[1948] R.C.É. 171, aux pages 178 et 184 186; 7
Fox Pat. C. 145, aux pages 171 et 180 182, on a
conclu que le défaut d'inscrire sur l'article en
question les lettres «Etré» (qui étaient alors l'équi-
valent français de l'abréviation anglaise «Rd.»)
ainsi que l'année de l'enregistrement, était fatal à
la validité de l'enregistrement des dessins. Le pro-
priétaire du dessin avait placé le nom et l'adresse
du vendeur sur l'article (et non celui du proprié-
taire inscrit) ainsi que les mots «Patents pending
Canada and U.S.A. 1939». La disposition législa-
tive en litige dans cet arrêt était l'article 37 de la
Loi des marques de commerce et dessins de fabri-
que, S.R.C. 1927, chap. 201. La décision rendue
dans l'affaire Epstein v. 0-Pee-Chee Company
Ltd., [1927] R.C.E. 156 a été citée au soutien de
la conclusion selon laquelle le défaut de marquer
l'article conformément à la disposition législative
entraînait l'invalidité des droits. Dans l'arrêt
Allaire, aux pages 184 186 R.C.É.; 180 182
Fox Pat. C., on peut lire les propos suivants:
Dans une cause d'Epstein v. 0-Pee-Chee Company Ltd.
((1927) Ex. C.R. 156), dans laquelle le demandeur demandait
la radiation d'un dessin de fabrique, le juge Audette a maintenu
l'action et ordonné la radiation de ce dessin principalement
parce que le sujet en avait été publié au delà d'un an avant
l'enregistrement, mais aussi pour le motif additionnel suivant
(p. 157):
[TRADUCTION] De plus, la Maple Crispette Company n'a
pas, conformément à l'art. 34 (maintenant 37) de la Loi des
marques de commerce et dessins de fabrique, protégé son
dessin en inscrivant les lettres Rd. (Etré) sur le bord ou sur
tout autre endroit convenable avec l'indication de l'année
d'enregistrement.
Fox, dans l'ouvrage précité, exprime l'opinion suivante, qui
me paraît bien fondée (p. 470):
[TRADUCTION] Aux termes de la loi anglaise, la marque
doit être appliquée sur les marchandises avant leur livraison
pour fins de vente. Bien que ces mots ne figurent pas à l'art.
37 de la Loi canadienne, on présume que l'intention est la
même et qu'un dessin n'est pas valide si les marchandises
sont vendues sans avoir été marquées conformément à cet
article.
L'article 51 du Statut anglais, Patents, Designs and Trade
Marks Act, 1883, 46-47 Vict., Chap. 57, se lit ainsi:
[TRADUCTION] 51. Avant de livrer pour fins de vente des
articles sur lesquels ont été appliqués un dessin enregistré, le
propriétaire de ce dessin doit faire inscrire sur ces articles la
marque ou les mots ou symboles prescrits, qui indiquent que
le dessin est enregistré; à défaut de ce faire, le propriétaire
perd alors ses droits d'auteur à l'égard du dessin, sauf s'il
établit qu'il a pris toutes les mesures appropriées pour faire
marquer l'article.
Fox appuie son opinion sur les décisions suivantes: Woolley y.
Broad ((1892) 9 R.P.C. 429); Wedekind v. The General Elec
tric Co. Ltd. ((1897) 14 R.P.C. 190); in the matter of Rolla-
son's Registered Design ((1897) 14 R.P.C. 893, 909).
Voir aussi Heinrichs v. Bastendorff ((1893) 10 R.P.C. 161).
Je crois convenable de citer un extrait du jugement de
Lindley M.R., de la Cour d'Appel, in the matter of Rollason's
Registered Design, qui expose clairement la doctrine sur le
point qui nous occupe (p. 913):
[TRADUCTION] Mais il y a également cet autre point,
concernant l'article 51, qui m'a échappé pour un moment. Il
s'agit de l'erreur faite par le fraiseur de matrices qui a mis un
5 à la place d'un 3. Voici comment est rédigé l'article 51,
disposition plutôt importante en l'espèce: «Avant de livrer
pour fins de vente des articles sur lesquels ont été appliqués
un dessin enregistré, le propriétaire de ce dessin doit faire
inscrire sur ces articles la marque ou les mots ou symboles
prescrits, qui indiquent que le dessin est enregistré.» Appliqué
au présent cas, cela signifie l'inscription du mot «Registered»
ou «Rd.» et du numéro «232,908». Voilà ce que, conformé-
ment aux règles, nous aurions dû retrouver; mais, sur une
plaque faite à l'intention d'un cercueil pour enfant, le frai-
seur de matrices a, par inadvertance, mis un 5 au lieu d'un 3,
et on ne s'est pas rendu compte de l'erreur. Par ailleurs, si
l'article n'en disait pas plus que ce que j'ai mentionné, il
semble que le présent dessin aurait été invalide et aurait dû
être radié. Cependant, le législateur a évidemment considéré
que cela pourrait entraîner des conséquences très graves pour
ce qui, dans les faits, pourrait n'être qu'un manquement des
plus négligeables; par conséquent, l'article se poursuit en
énonçant une réserve que je formulerais ainsi: «à défaut de ce
faire»—ce qu'a fait M. Rollason dans les circonstances—»le
propriétaire perd alors ses droits d'auteur à l'égard du dessin,
sauf s'il établit qu'il a pris toutes les mesures appropriées
pour faire marquer l'article».
Le savant juge du tribunal inférieur a considéré que le cas
de M. Rollason était visé par la dernière partie de cet article.
C'est également mon avis et ce, pour le motif suivant: il ne
s'agissait pas d'une erreur que même un observateur détaché
remarquerait; en l'espèce, l'erreur a consisté à mettre un 5 au
lieu d'un 3 et, si l'on examine l'impression sur la plaque, il est
très difficile de constater s'il y a eu ou non erreur et, de fait,
bien du temps s'est écoulé avant que l'on ne découvre l'er-
reur—une année ou deux, je crois—et dès qu'elle a été
relevée on l'a corrigée.
L'opinion du juge Kekewich de la Chancery Division de la
High Court of Justice, qu'approuve Lindley, M.R., se trouve à
la page 898 du rapport.
Après une étude approfondie de la question, j'en suis venu à
la conclusion que le second grief invoqué par la défenderesse est
fatal à la validité des dessins de fabrique du demandeur et que
ceux-ci doivent être en conséquence déclarés caducs, nuls et
invalides. Il va sans dire que, dans les circonstances, le deman-
deur ne peut recouvrer de dommages de la défenderesse, obte-
nir contre elle [sic] une injonction lui interdisant de fabriquer
et vendre des plaques protectrices semblables à celles qui font
l'objet des dessins de fabrique du demandeur ni réclamer la
livraison des plaques qu'elle a fabriquées.
Le défaut de marquer l'objet conformément aux
dispositions de la Loi a de nouveau été examiné
dans l'arrêt Cimon (précité), aux pages 845 847.
Les objets en litige dans cette affaire avaient été
marqués de la façon suivante:
Cl MON
DESIGN
Rd 1962
La défenderesse soutenait que «Cimon Limited» et
non «Cimon» était titulaire de l'enregistrement du
dessin et donc que les exigences prévues par la Loi
en matière d'inscription n'avaient pas été respec-
tées. Le président Jackett a écrit ce qui suit:
[TRADUCTION] Le dernier motif qu'invoquent les défende-
resses pour contester le monopole d'exploitation de la compa-
gnie demanderesse aux termes de la loi est leur argument selon
lequel celle-ci aurait fait défaut de se conformer aux exigences
en matière d'inscription que prévoit l'article 14 de la Loi, qui
est ainsi rédigé:
14. (1) Pour protéger tout dessin, il faut l'enregistrer dans
l'année qui suit sa publication au Canada et, l'enregistrement
fait, le nom du propriétaire doit apparaître sur l'objet auquel
s'applique son dessin, si c'est un tissu, en le marquant sur une
des extrémités de la pièce, ainsi que les lettres «Enr.» et, si le
produit est d'une autre substance, les lettres «Enr.» doivent
être marquées sur le bord ou sur tout autre endroit convena-
ble de l'objet avec l'indication de l'année de l'enregistrement.
(2) La marque peut être faite sur le produit même ou en y
attachant une étiquette qui porte les marques voulues.
À défaut de quelque précédent à ce sujet, je devrais me
demander si l'article 14 attache au défaut de se conformer aux
dispositions relatives aux marques qui y figurent, relativement à
chaque article particulier fabriqué conformément au dessin, la
conséquence quelque peu draconienne que tous les droits rela-
tifs au dessin enregistré se trouvent automatiquement suppri-
més. L'article en question ne le mentionne pas en toutes lettres,
à moins que le début du libellé de l'article, soit «Pour protéger
tout dessin», s'applique non seulement à l'exigence que le dessin
soit enregistré «dans l'année qui suit sa publication au Canada»,
mais également aux dispositions relatives aux marques qui
apparaissent dans le reste du paragraphe (1). Pour ma part, je
ne crois pas que le paragraphe en question doive être interprété
ainsi. De plus, à cet égard, je renvoie à l'article 23 du chapitre
22 des Statuts du Canada de 1979, qui, sous réserve d'une
modification sans importance apportée par le chapitre 28 des
Statuts de 1923, semble être le libellé sous lequel l'article a
pour la dernière fois été adopté par le Parlement (par opposi
tion à une reformulation émanant d'une commision de révision
des lois). L'article 23 est ainsi rédigé:
23. Tout dessin, pour que la propriété en soit garantie,
devra être enregistré avant d'être livré à la connaissance du
public; et l'enregistrement fait, le nom du propriétaire, lequel
devra résider en Canada, devra se trouver sur l'objet auquel
sera appliqué son dessin; dans le cas d'un tissu, on imprimera
sur une des extrémités de la pièce, et dans le cas d'un autre
produit sur le bord ou sur tout autre endroit convenable de
l'objet, les lettres E»»é. (Rd.), avec l'indication de l'année de
l'enregistrement; on pourra aussi marquer le produit soit en
faisant la marque sur la matière elle-même, soit en y appli-
quant une étiquette portant les signes voulus.
En cas d'ambiguïté découlant des travaux d'une commission de
révision des lois, j'aurais cru qu'il serait légitime de se reporter
au libellé de la disposition adoptée par le Parlement. Cepen-
dant, je suis conscient que dans l'affaire Allaire v. Hobbs
[[1948] R.C.É. 171], la Cour a conclu, sans examiner cette
question, que le défaut de se conformer aux dispositions en
matière d'inscription prévues par l'article 14 invalide les droits
du propriétaire du dessin enregistré.
Eu égard à la preuve selon laquelle la compagnie demanderesse
était connue, de façon générale, dans les milieux commerciaux,
sous le nom de «Cimon», je suis d'avis que l'étiquette susmen-
tionnée est suffisamment conforme à l'article 14. De toute
évidence, les dispositions de l'article 14 visent à informer toute
personne qui pourrait songer à utiliser le dessin d'un article
portant l'étiquette que pareil dessin est enregistré et à lui faire
connaître le nom du propriétaire. Si elle connaît le nom du
propriétaire, pareille personne peut vérifier si le dessin du
canapé est enregistré comme on le prétend et peut, si elle le
veut, chercher à obtenir une licence du propriétaire. Quel que
soit le but dans lequel on exige que le nom du propriétaire soit
indiqué sur l'article, il suffit en tout état de cause que le nom
soit tel qu'il permette aux interessés possibles de savoir en fait
qui est propriétaire du dessin en question. Je suis convaincu
que, dans le secteur de l'ameublement au Canada, le mot
«Cimon» est assimilé à la compagnie demanderesse et donc,
qu'on a satisfait aux exigences de l'article. Je rejette la préten-
tion selon laquelle l'article 14 n'a pas été respecté.
La question a de nouveau été abordée, plus
récemment, par le juge Walsh dans l'affaire Mai-
netti S.P.A c. E.R.A. Display Co. Ltd. (1984), 80
C.P.R. (2d) 206 (C.F. ire inst.), aux pages 222 à
224:
La plupart des cintres de la demanderesse sont fabriqués
pour celle-ci par Joy et portent la marque MAINETTI S.P.A.
JOY et les mots «Rd», comme le prévoit la Loi, mais il est
reconnu qu'après l'enregistrement de son dessin, la demande-
resse a vendu au Canada une [TRADUCTION] «quantité négli-
geable» de cintres fabriqués en Italie et portant la marque
MAINETTI CASTEL GOMBERTO MOD. DEPOSE, et éga-
lement qu'une grande quantité de vêtements confectionnés à
l'étranger ont été importés au Canada sur des cintres fabriqués
par Mainetti France et portant la marque MAINETTI
SECLIN. Mainetti France ne vend pas directement des cintres
au Canada et, tout en faisant partie du même groupe de
sociétés, il s'agit d'une personne juridique distincte.
Il a été reconnu que les cintres ne sont jamais vendus au
public en tant que tels, mais qu'ils sont vendus à des firmes de
l'habillement et que la demanderesse ne contrôle pas l'importa-
tion au Canada de vêtements achetés sur des cintres obtenus de
Mainetti France. Dans l'arrêt Allaire v. Hobbs Glass Ltd.
(1948), 9 C.P.R. 3, aux p. 22 et 23; 7 Fox Pat. C. 145, la p.
181; [1948] R.C.E. 171; le juge Angers cite une opinion
exprimée par Fox, à la p. 470 de la première édition de son
ouvrage intitulé The Canadian Law of Trade Marks and
Industrial Designs (1940):
[TRADUCTION] «Aux termes de la loi anglaise, la marque
doit être appliquée sur les marchandises avant leur livraison
pour fins de vente. Bien que ces mots ne figurent pas à l'art.
37 de la loi canadienne, on présume que l'intention est la
même et qu'un dessin n'est pas valide si les marchandises
sont vendues sans avoir été marquées conformément à cet
article.»
Toutefois, il importe de souligner que l'art. 51 de la loi anglaise
[Patents, Designs, and Trade Marks Act, 1883 (R.-U.), chap.
57] prévoit que si la marque n'est pas apposée avant la livraison
pour fins de vente, [TRADUCTION] «le propriétaire perd alors
ses droits d'auteur à l'égard du dessin», ce qui n'était pas
expressément prévu à l'art. 37 de la loi canadienne, qui est
maintenant devenu l'art. 14. Dans Trade Marks and Industrial
Designs (1982), sous § 428, p. 141-254, Immanuel Goldsmith,
c.r., a récemment déclaré ce qui suit:
[TRADUCTION] Il a été jugé que le défaut d'observer les
dispositions de la loi qui ont trait aux marques avait l'effet
d'invalider l'enregistrement [voir l'affaire Allaire v. Hobbs
Glass Limited], mais le bien-fondé de cette opinion a été mis
en doute. En effet, il suffit que le nom sous lequel le
propriétaire est connu dans le monde des affaires soit inscrit
sur l'article.
À l'appui de cette déclaration, il cite l'arrêt Cimon Ltd. et al.
v. Bench Made Furniture Corp. et al. (1964), 48 C.P.R. 31, à
la p. 64; 30 Fox Pat. C. 77, la p. 108, dans lequel le président
Jackett déclare ce qui suit:
[TRADUCTION] À défaut de quelque précédent à ce sujet,
je devrais me demander si l'article 14 attache au défaut de se
conformer aux dispositions relatives aux marques qui y figu-
rent, relativement à chaque article particulier fabriqué con-
formément au dessin, la conséquence quelque peu draco-
nienne que tous les droits relatifs au dessin enregistré se
trouvent automatiquement supprimés. L'article en question
ne le mentionne pas en toutes lettres, à moins que le début du
libellé de l'article, soit «Pour protéger tout dessin», s'applique
non seulement à l'exigence que le dessin soit enregistré «dans
l'année qui suit sa publication au Canada», mais également
aux dispositions relatives aux marques qui apparaissent dans
le reste du paragraphe (1). Pour ma part, je ne crois pas que
le paragraphe en question doive être interprété ainsi.
Il a conclu que, compte tenu des faits de l'espèce, le fait que
seuls le mot «Cimon», plutôt que les mots «Cimon Limited» était
inscrit sur l'étiquette mentionnée, ne suffisait pas pour qu'il y
ait eu inobservation de l'article 14. Aux p. 65 C.P.R.; 109 Fox
Pat. C., il ajoute ce qui suit:
[TRADUCTION] De toute évidence, les dispositions de l'art. 14
visent à informer toute personne qui pourrait songer à utiliser
le dessin d'un article portant l'étiquette que pareil dessin est
enregistré et à lui faire connaÎtre le nom du propriétaire du
dessin. Si elle connaît le nom du propriétaire, pareille per-
sonne peut vérifier si le dessin du canapé est enregistré
comme on le prétend et peut, si elle le veut, chercher à
obtenir un permis du propriétaire. Quel que soit le but dans
lequel on exige que le nom du propriétaire soit indiqué sur
l'article, il suffit en tout état de cause que le nom soit tel qu'il
permette aux interessés possibles de savoir en fait qui est
propriétaire du dessin en question.
Goldsmith laisse également entendre que l'invalidation de
l'enregistrement par suite du défaut de marquer un article va à
l'encontre de la clause 5D de la Convention internationale pour
la protection de la propriété industrielle dont le Canada est
partie.
Fox lui-même semble avoir changé d'avis, étant donné que
dans la seconde édition de son ouvrage, à la p. 672, il fait
maintenant mention des arrêts Allaire et Cimon et déclare ce
qui suit:
[TRADUCTION] Il a été jugé que le défaut de marquer un
article conformément aux dispositions de la Loi a pour effet
d'invalider l'enregistrement, mais cette opinion a été mise en
doute.
Ces dispositions draconiennes vont à l'encontre des condi
tions de la Convention internationale pour la protection de la
propriété industrielle dont le Canada est partie. En effet, la
clause 5D de cette Convention prévoit ce qui suit: «Aucun
signe ou mention du brevet, du modèle d'utilité, de l'enregis-
trement de la marque de fabrique ou de commerce, ou du
dépôt du dessin ou du modèle industriel ne sera exigé sur le
produit pour la reconnaissance du droit.
À la p. 671, il déclare ce qui suit: [TRADUCTION] «Si les
articles ont mal été marqués par inadvertance et que très peu
d'articles sont touchés, il se peut qu'un moyen de défense fondé
sur ce fait soit rejeté..
La défenderesse déclare qu'elle ne cherche pas à obtenir une
déclaration que le dessin enregistré de Mainetti est invalide,
mais simplement que la demanderesse ne peut pas être proté-
gée, aux fins de l'utilisation de pareil dessin, et ne peut donc pas
accuser la défenderesse de contrefaçon. La défenderesse souli-
gne également que la date de l'enregistrement peut avoir une
certaine importance, puisqu'elle permet à la personne qui veut
fabriquer un article dont le dessin est semblable de savoir à
quel moment l'enregistrement du dessin qu'elle veut imiter
expirera. L'interprétation à donner à l'art. 14 de la Loi semble
encore être sujette à controverse, mais à mon avis, il faut
néanmoins l'observer strictement; or puisque la demanderesse a
omis de le faire, elle n'est plus protégée par celui-ci.
Dans la décision prononcée dans l'affaire Allaire
(précitée), on s'est appuyé sur l'article 51 de la Loi
du Royaume-Uni de 1883 ainsi que sur l'opinion
exprimée par Fox selon laquelle l'article pertinent
de notre loi (l'article 37 des S.R.C. de 1927, chap.
201) était conçu de façon à produire les mêmes
effets que l'article 51. Malgré l'opinion de Fox sur
cette question, je ne suis pas convaincu que l'on ait
voulu que l'article 37 de la Loi des marques de
commerce et dessins de fabrique produise les
mêmes effets que l'article 51 de la Patents,
Designs, and Trade Marks Act, 1883 (R.-U.), 46
& 47 Vict., chap. 57. Leur libellé est certes consi-
dérablement différent. L'article 37, qui correspond
à l'actuel article 14 de la Loi sur les dessins
industriels, était ainsi rédigé:
37. Pour garantir tout dessin, il faut l'enregistrer dans l'an-
née qui suit sa publication au Canada et, l'enregistrement fait,
le nom du propriétaire est apposé sur l'objet auquel est appliqué
son dessin, si c'est un tissu, en le marquant sur une des
extrémités de la pièce, ainsi que les lettres Etré, et, si le produit
est d'une autre substance, les lettres Etré sont marquées sur le
bord ou sur tout autre endroit convenable de l'objet avec
l'indication de l'année de l'enregistrement.
Pour sa part, l'article 51 porte:
[TRADUCTION] 51. Avant de livrer pour fins de vente des
articles sur lesquels ont été appliqués un dessin enregistré, le
propriétaire de ce dessin doit faire inscrire sur ces articles la
marque ou les mots ou symboles prescrits, qui indiquent que le
dessin est enregistré; à défaut de ce faire, le propriétaire perd
alors ses droits d'auteur à l'égard du dessin, sauf s'il établit
qu'il a pris toutes les mesures appropriées pour faire marquer
l'article.
L'article 51, qui a d'abord vu le jour dans la loi du
Royaume-Uni de 1883, a été modifié en 1907:
(Patents and Designs (Amendment) Act), 1907
(R.-U.), 7 Edw. 7, chap. 28).
[TRADUCTION] 32.—(1) La partie de l'article 51 de la loi
originale qui prévoit l'invalidation des droits du propriétaire du
dessin enregistré en cas de défaut par ce dernier de se confor-
mer aux exigences de cette disposition en ce qui a trait à
l'inscription des articles auxquels le dessin a été appliqué est
par les présentes abrogée; mais, en cas de défaut par le proprié-
taire du dessin de se conformer à ces exigences, celui-ci n'aura
droit de réclamer ni sanction ni dommage-intérêt à l'égard de
quelque contrefaçon de ses droits dans le dessin, sauf s'il établit
qu'il a pris toutes les mesures nécessaires pour que les objets en
question soient marqués ou que la contrefaçon a eu lieu après
que le coupable ait connu ou ait été avisé de l'existence des
droits dans le dessin en question.'
Si la loi canadienne de 1927, mentionnée dans
l'arrêt Allaire, a été rédigée selon le modèle de la
loi du Royaume-Uni, ce fut selon la version anté-
rieure à 1883 de cette loi. La loi canadienne
semble tirer ses origines de L'Acte des Marques de
Commerce et des Dessins de Fabrique de 1879,
S.C. 1879, chap. 22, article 23, dont fait mention
le président Jackett dans l'affaire Cimon (préci-
tée), qui, à son tour, était fondée sur la loi anté-
' Repris dans Patents and Designs Act, 1907 (R.-U.), 7
Edw. 7, chap. 29.
rieure à la Confédération de la province du
Canada: Acte pour amender l'Acte relatif aux
marques de fabrication et pour pourvoir à l'enre-
gistrement des dessins, S.C. 1861, chap. 21, arti
cles 11 et 13, qui ont pu être inspirés de la loi du
Royaume-Uni de 1842: An Act to consolidate and
amend the Laws relating to the Copyright of
Designs for ornamenting Articles of Manufacture,
1842, 5 & 6 Vict., chap. 100, article IV. Cette
dernière Loi n'était pas, en ce qui a trait aux effets
du défaut de marquer les objets, aussi catégorique
que ne l'était la loi du Royaume-Uni de 1883, mais
elle l'était néanmoins davantage que la loi cana-
dienne correspondante de 1861.
Quoi qu'il en soit, le libellé de l'actuel article 14
de la Loi sur les dessins industriels est clairement
maladroit. En effet, il traite de deux sujets dis-
tincts: l'enregistrement et le marquage. L'article
semble avoir conservé ce libellé maladroit depuis
l'époque où des lois entières étaient écrites en une
seule phrase. La question d'interprétation qui se
pose est, selon moi, la suivante: (1) les mots «Pour
protéger tout dessin», s'appliquent-ils autant au
passage suivant: «il faut l'enregistrer dans l'année
qui suit sa publication», qu'à cet autre passage: «le
nom du propriétaire doit apparaître sur l'objet ...
ainsi que les lettres «Enr.» ... avec l'indication de
l'année de l'enregistrement»; et (2) si la phrase
s'applique aux deux passages précités, quelles en
sont les conséquences (c'est-à-dire en détermine-
t-on les conséquences en lisant l'article 14 en cor-
rélation avec les autres articles de la Loi ou l'arti-
cle lui-même prévoit-il les conséquences en cas
d'inobservation, c'est-à-dire l'invalidité ou le
caractère inexécutoire de l'enregistrement du
dessin?)
Le président Jackett s'est dit d'avis, dans l'af-
faire Cimon (précitée, à la page 846), que les
premiers mots de l'article 14 ne modifient que le
passage suivant: «il faut l'enregistrer dans l'année
qui suit sa publication». Le juge Walsh a adopté le
point de vue contraire dans l'arrêt Mainetti (pré-
cité), tout en déclarant, à la page 224, que l'inter-
prétation de l'article 24 «semble encore être sujette
à controverse».
Il importe également de se demander si le fait
que le Canada soit partie signataire de la Conven
tion internationale pour la protection de la Pro-
priété industrielle a quelque pertinence relative-
ment à l'interprétation d'un article ambigu d'une
loi. Dans son ouvrage Trade Marks and Industrial
Design, Toronto, Carswell, 1982, note 73 de 141-
254, Goldsmith suggère que l'alinéa 5D de la
Convention interdit aux signataires de refuser de
reconnaître les droits des propriétaires en cas de
défaut de marquer les objets d'une manière déter-
minée. Le juge Walsh mentionne également ce
point de vue dans l'affaire Mainetti, précitée.
Même si cette convention internationale n'était pas
en vigueur au Canada en l'absence d'une loi le
prévoyant, en cas d'ambiguïté, les articles litigieux
de certaines lois devraient être interprétés de
manière à ne pas faire échec à l'intention exprimée
dans les conventions internationales signées par le
Canada. On n'a pas débattu devant moi, autant
qu'on devrait le faire au procès, cet aspect de la
question.
Dans l'ouvrage Hughes on Copyright and
Industrial Design, à la page 1656, on peut lire le
résumé suivant de la jurisprudence:
[TRADUCTION] Les tribunaux ont indiqué que cette exigence
en matière de marquage a pour but d'indiquer au public qui est
le propriétaire du dessin; si le propriétaire est un cessionnaire
du propriétaire original, seul le nom du cessionnaire doit alors
figurer sur l'objet en question. On exige que le nom du proprié-
taire soit inscrit afin de permettre à quiconque désire négocier
une licence de savoir à qui s'adresser à cette fin.
Les effets du défaut de marquer les objets ne sont pas
clairement établis. Dans les cas où aucune marque ne figure sur
l'objet, il semble qu'il pourrait y avoir rejet de toute action
visant à exécuter les droits conférés par l'enregistrement du
dessin. Toutefois, si l'omission ne vise que certains articles non
destinés à des fins de distribution générale, elle ne porterait pas
nécessairement un coup fatal à l'action. Il ne semble pas non
plus qu'une irrégularité telle que le fait de ne pas écrire au
complet le nom du propriétaire du dessin mais plutôt de n'en
faire qu'une contraction entraînerait un tel résultat. Les tribu-
naux ont déclaré qu'il fallait observer strictement ces exigences
et que le défaut de marquer les objets emporterait la perte de la
protection conférée par l'enregistrement.
De plus, dans la Hughes on Copyright and Indus
trial Design Newsletter de novembre 1984 (i re
livraison, n° 1):
[TRADUCTION] a) Marquage
Bon nombre de praticiens considèrent que les dispositions de
la loi créant l'obligation de marquer les objets auxquels s'appli-
quent le dessin industriel enregistré sont assez souples et que le
défaut de marquer les objets n'entraînerait pas le rejet d'une
action mais aurait peut-être pour effet de limiter le montant des
dommages-intérêts et l'éventail des autres recours disponibles
(voir l'examen de cette question en [§12]). Le juge Walsh de la
Division de première instance de la Cour fédérale, dans l'arrêt
Mainetti SPA c ERA Display Co Ltd (1984), 80 CPR (2d)
206, examine la doctrine et la jurisprudence sur cette question
et conclut comme suit, à la p. 224:
L'interprétation à donner à l'art. 14 de la Loi semble encore
être sujette à controverse, mais à mon avis, il faut néanmoins
l'observer strictement; or puisque la demanderesse a omis de
le faire, elle n'est plus protégée par celui-ci.
Il importe de souligner que la défenderesse ne sollicitait pas une
déclaration portant que l'enregistrement était invalide; donc,
dans une certaine mesure, cet énoncé peut être considéré
comme un obiter dictum.
Voici donc la conclusion que je tire de l'examen
de la jurisprudence: (1) le fait de se conformer de
façon substantielle aux dispositions de l'article 14
en matière de marquage est suffisant pour satis-
faire aux exigences de cet article; (2) les consé-
quences du défaut de se conformer aux dispositions
de l'article 14 en matière de marquage (c'est-à-
dire en cas de défaut de s'y conformer de façon
substantielle) sont incertaines. Cette dernière con
clusion demeurera sans doute valide tant qu'une
décision de la Cour d'Appel fédérale ne viendra
pas trancher la question.
La conclusion selon laquelle il est suffisant, pour
satisfaire aux exigences de l'article 14, de s'y
conformer d'une manière substantielle découle de
la décision du président Jackett dans l'arrêt Cimon
(précité), ainsi que de décisions telles que Hein-
richs v. Bastendorff (1893), 10 R.P.C. 160 (Q.B.).
Dans l'affaire Cimon, l'irrégularité reprochée
était, comme nous l'avons souligné précédemment,
le fait d'avoir écrit le nom du propriétaire comme
étant «Cimon» au lieu de «Cimon Limited». Dans
l'arrêt Heinrichs v. Bastendorff, on avait inscrit
sur les objets la marque «Regd» au lieu de «Rd».
On a conclu que cela ne constituait pas une inob-
servation des dispositions en matière de marquage.
Dans l'affaire Fielding v. Hawley (1883), 48 L.T.
639 (Q.B.), le fait de marquer une partie d'un
beurrier (en l'occurrence la base mais non le cou-
vercle) a été jugé suffisant et, même s'il était
possible que la marque s'efface pendant la fabrica
tion de l'objet, on a conclu que cela n'empêchait
pas le propriétaire inscrit de bénéficier de la pro
tection de la loi. Dans l'arrêt John Harper & Co.,
Limited v. Wright and Butler Lamp Manufactur
ing Company, Limited, [ 1896] 1 Ch. 142 (C.A.),
on a conclu que le fait d'inscrire sur l'objet des
chiffres ne devant pas y figurer ne constituait pas
une inobservation des dispositions pertinentes en
matière de marquage.
Pour revenir au présent cas, il est manifeste, vu
l'état actuel de la jurisprudence, que les consé-
quences de l'inobservation des dispositions de l'ar-
ticle 14 en matière de marquage ne sont pas
claires. Si l'inobservation n'a pour effet que de
faire obstacle aux demandes de dommages-intérêts
ou de sanctions en cas de contrefaçon inintention-
nelle (en l'absence de notification) alors le fait
que, en l'espèce, la défenderesse avait été effective-
ment avisée emporte que le défaut de marquer
l'objet de la manière prescrite n'empêche pas la
demanderesse d'obtenir le redressement qu'elle
demande. Vu l'absence d'une décision de la Cour
d'appel fédérale établissant les conséquences d'une
telle inobservation, je ne refuserais pas à la deman-
deresse une injonction interlocutoire parce qu'elle
n'a pu établir l'existence d'aune question sérieuse à
juger».
Qui plus est, toutefois, la demanderesse a établi
l'existence d'aune question sérieuse à juger» à
l'égard d'un autre aspect du présent cas. Les
garde-corps de la demanderesse portaient le nom
du propriétaire L.M. Lipski Ltd. Y figurait égale-
ment une inscription comparable à la marque «Rd»
(soit R. Design) qui avait pour effet de signaler à
tout observateur que le dessin était enregistré.
L'année de l'enregistrement n'était toutefois pas
indiqué, contrairement aux exigences de l'article
14 cet égard. Cependant, une notification des
droits d'auteur donnait certaines indications quant
à la période au cours de laquelle le dessin avait dû
être publié pour la première fois. Même s'il y avait
sur les objets des chiffres n'ayant aucune perti
nence relativement à l'enregistrement du dessin au
Canada, il ne fait aucun doute que les objets
comportaient suffisamment de renseignements sus-
ceptibles d'indiquer à un observateur que le dessin
avait probablement été enregistré et de lui permet-
tre de retracer sans trop de difficulté cet enregis-
trement. La question qui se pose consiste donc à
déterminer si la marque est substantiellement con-
forme aux dispositions de l'article 14. À mon avis,
il s'agit là d'une question sérieuse à juger.
On a conclu, dans l'arrêt American Cyanamid
Co y Ethicon Ltd, [1975] 1 All ER 504 (H.L.),
qu'il suffit à un requérant d'établir l'existence
d'aune question sérieuse à juger» pour avoir droit à
une injonction interlocutoire, à la condition que les
autres éléments nécessaires à la délivrance d'une
telle injonction penchent également en sa faveur
(c'est-à-dire la balance des inconvénients, le préju-
dice irréparable). Ce critère a été adopté et appli-
qué tant par cette Cour que par la Cour suprême
du Canada: Aetna Financial Services Ltd. c. Fei-
gelman et autres, [1985] 1 R.C.S. 2, aux pages 9
et 10; Manitoba (Procureur général) c. Metropoli
tan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, aux pages
127 et 128; Interlego AG et autre c. Irwin Toy
Ltd. et autre (1985), 3 C.P.R. (3d) 476 (C.F. 1 r
inst.); Ikea Ltd. et autre c. Idea Design Ltd. et
autre (1987), 13 C.P.R: (3d) 476 (C.F. ire inst.);
Cabot Corp. et autre c. 3M Canada Inc.
(1987), 15 C.P.R. (3d) 247 (C.F. ire inst.). Il
existe également bon nombre d'autres décisions au
même effet.
Par ailleurs, on a indiqué dans d'autres arrêts
qu'il n'est pas toujours opportun d'avoir recours au
critère de la «question sérieuse à juger». La Cour
suprême du Canada, dans l'affaire Metropolitan
Stores (précitée), s'est abstenue de se prononcer de
façon catégorique sur son applicabilité générale.
Dans certains cas, il est évident qu'il faut avoir
recours à un critère plus rigoureux telle l'appa-
rence de droit ou la forte apparence de droit: voir,
de façon générale, Hoffman -La Roche Ltd. v.
Apotex Inc. (1982), 72 C.P.R. (2d) 183 (H.C.
Ont.); Mirabai Art Glass Ltd. c. Paradise Designs
Ltd. (1986), 13 C.P.R. (3d) 88 (C.F. lie inst.);
Duomo Inc. c. Giftcraft Ltd. (1984), 1 C.P.R. (3d)
165 (C.F. lie inst.); Syntex Inc. c. Apotex Inc.,
[1984] 2 C.F. 1012; 1 C.P.R. (3d) 145 (C.A.);
Creations 2000 Inc. et autres c. Canadian Tire
Corp. et autres (1986), 15 C.P.R. (3d) 33 (C.F. 1fe
inst.). Le juge McNair, dans l'arrêt Supreme Alu
minium Industries Ltd. c. Kenneth M. Smith Inc.
et autre (1985), 1 C.P.R. (3d) 1 (C.F. lfe inst.) et
le juge Addy, dans l'arrêt Turbo Resources Ltd. c.
Petro Canada Inc. (1988), 17 F.T.R. 28 (C.F. Ire
inst.), ont fait une revue de la jurisprudence
récente à cet égard.
La Cour d'Appel fédérale s'est également pen-
chée sur cette question dans les arrêts Syntex Inc.
c. Apotex Inc., [1984] 2 C.F. 1012; 1 C.P.R. (3d)
145 (C.A.) et Yri-York Ltd. c. Canada (Procureur
général), [1988] 3 C.F. 186 (C.A.).
Il n'est ni nécessaire ni utile d'énoncer les détails
de chacune de ces affaires, qu'il suffise de dire
qu'il s'agit de cas où il a été décidé que le recours
au critère de la «question sérieuse à juger» n'était
pas approprié. Cela est particulièrement vrai dans
les cas où le fait d'accorder l'injonction règle effec-
tivement les litiges. Je souscris à l'opinion selon
laquelle il n'existe pas de critère applicable en
toutes circonstances; le critère doit se caractériser
par sa souplesse. Cet assouplissement des règles
rigides, en vue de faire en sorte que le redresse-
ment en equity que constitue l'injonction interlocu-
toire puisse être accordé dans les cas où, eu égard
à tous les facteurs, il est raisonnable de le faire, est
le changement qu'a apporté l'arrêt American Cya-
namid. Certes, en l'espèce, le fait d'accorder une
injonction interlocutoire ne réglera pas le litige. De
plus, les faits du présent cas ne correspondent
d'aucune façon à ceux des autres cas où il a été
jugé opportun d'accorder une injonction sur ce
fondement. Par ailleurs, je ne vois aucune raison
impérieuse pour refuser de le faire. Dans les cir-
constances de l'espèce, je n'ai aucun doute qu'il est
opportun d'appliquer le critère de la «question
sérieuse à juger» et la demanderesse a établi l'exis-
tence d'une telle question.
La demanderesse a également soulevé l'argu-
ment selon lequel la défenderesse faisait passer son
produit pour le sien et qu'il faudrait interdire cette
activité. Cet argument repose en grande partie sur
les méthodes de marketing décrites précédemment.
L'avocat de la défenderesse a indiqué que cet
argument le prenait par surprise, qu'il ne s'atten-
dait pas à ce qu'on le soulève et donc, qu'il n'était
pas prêt à y répondre à l'occasion de la présente
demande.
Une description de certaines des procédures qui
ont précédé l'audition de la présente demande
s'impose. Dans sa demande originale, la demande-
resse sollicitait une injonction interlocutoire inter-
disant aux défenderesses:
[TRADUCTION] a) d'appliquer, pour fins de vente, en tout ou
en partie, le dessin enregistré N° 56622, ou une imitation
frauduleuse de celui-ci, en guise d'ornement, à quelque objet de
fabrication ou autre objet auquel un dessin industriel peut être
appliqué, et d'importer, de publier, de vendre ou d'exposer pour
fins de vente ou d'utilisation, quelque objet de ce genre auquel
le dessin enregistré N° 56622, ou une imitation frauduleuse de
celui-ci a été appliqué;
b) de contrefaire les droits d'auteur de la demanderesse dans
les oeuvres littéraires et artistiques originales formant l'em-
ballage du GARDE-CORPS;
c) de produire, d'imprimer, de reproduire, de publier, d'expo-
ser et d'offrir pour fins de vente dans le commerce, de
distribuer à des fins de commerce ou de vente, un embal-
lage de garde-corps qui constituerait une copie d'un
ensemble ou d'une partie importante de l'emballage du
GARDE-CORPS de la demanderesse, ou une imitation
trompeuse de celui-ci;
d) de faire affaire ou d'attirer de quelque autre façon l'atten-
tion du public sur les marchandises ou le commerce des
défenderesses de façon à créer ou risquer de créer de la
confusion au Canada entre les marchandises ou le com
merce des défenderesses et des marchandises ou commerce
de la demanderesse;
e) de faire passer leurs marchandises pour celles de la
demanderesse.
Le 16 décembre 1987, le juge Denault a délivré
une ordonnance non contestée interdisant aux
demanderesses de poursuivre les activités énoncées
aux alinéas b) à e) qui précèdent. Il s'agissait
d'une ordonnance interlocutoire en vigueur jus-
qu'au procès. La demanderesse soutient que l'or-
donnance du juge Denault ne porte que sur le
passing off de l'emballage uniquement, et non sur
le produit lui-même, et que cette dernière question
reste à déterminer dans le cadre des présentes
procédures. Je ne lis pas l'ordonnance du 16
décembre 1987 de façon aussi restrictive. À mon
avis, cette ordonnance interdit tant le passing off
du produit que celui de l'emballage. Si une telle
activité se poursuit, le recours de la demanderesse
consiste à présenter une requête pour outrage au
tribunal et non à demander une nouvelle ordon-
nance interlocutoire en vue d'interdire le passing
off.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.