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T-772-88
Affaire intéressant Sham Sunder Ahluwalia (appelant)
RÉPERTORIE: AHLUWALIA (RE) (P` INST.)
Section de première instance, juge Muldoon— Vancouver, 6 décembre 1988; Ottawa, 1e' février 1989.
Citoyenneté Appel du rejet de la demande de citoyenneté L'appelant a été déclaré non coupable de meurtre pour cause d'aliénation mentale, et il a été ordonné qu'il soit interné à un établissement psychiatrique au bon plaisir du lieutenant- gouverneur La demande de citoyenneté a été rejetée parce que les art. 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté interdisent l'octroi de la citoyenneté si le requérant est visé par une ordonnance de probation ou détenu dans une maison de cor rection Sens des expressions «ordonnance de probation», «détenu» et «maison de correction» Application du sens ordinaire donné dans les dictionnaires.
Interprétation des lois Art. 19, 20 de la Loi sur la citoyenneté Sens des expressions «ordonnance de probation, «détenu» et «maison de correction» La nouvelle loi a supprimé les mentions de détention dans un asile d'aliénés et d'incapacité mentale comme des obstacles à la citoyenneté On doit interpréter les dispositions édictées par le législateur dans leur rédaction actuelle Application du sens ordinaire donné dans les dictionnaires.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité La détention en vertu d'un mandat du lieutenant- gouverneur n'équivaut ni à un acquittement pur et simple ni à une libération sous condition.
Il s'agit d'un appel du rejet de la demande de citoyenneté. Ayant été déclaré non coupable de meurtre pour cause d'aliéna- tion mentale, l'appelant a été tenu sous garde rigoureuse à un établissement psychiatrique au bon plaisir du lieutenant-gou- verneur. Le juge de la citoyenneté a conclu que l'appelant avait été mis en détention et qu'il ne devrait pas recevoir la citoyen- neté en vertu des articles 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté. L'article 19 prévoit que les périodes au cours desquelles une personne est visée par une ordonnance de probation ne peuvent être considérées comme des périodes de résidence. En vertu de l'article 20, nul ne peut recevoir la citoyenneté pendant la période il est visé par une ordonnance de probation ou il est détenu dans une maison de correction. Il s'agit de déterminer (1) si l'appelant est sous le coup d'une ordonnance de proba tion; (2) si une ordonnance de détention au bon plaisir du lieutenant-gouverneur après une déclaration de non-culpabilité pour cause d'aliénation mentale équivaut à une libération sous condition et (3) si l'appelant est détenu dans une prison ou une maison de correction. L'appelant fait valoir que puisqu'il n'a été déclaré coupable d'aucune infraction, l'expression «visé par une ordonnance de probation» ne s'applique pas à lui. Il invoque également l'affaire Secrétariat d'État c. Holmes, le juge Collier a statué qu'une condamnation est requise avant qu'il ne puisse y avoir une période de probation.
Jugement: l'appel devrait être rejeté.
L'appelant est «visé par une ordonnance de probation» et est «détenu» dans une «maison de correction», selon le sens ordi- naire que le dictionnaire donne de ces expressions. Il n'est pas loisible à la Cour d'établir l'intention du législateur lorsqu'il a supprimé les mentions de détention dans un asile d'aliénés et d'incapacité mentale comme des obstacles à la citoyenneté. Les dispositions législatives doivent être interprétées dans leur rédaction actuelle: le législateur a clairement exprimé son intention. Le mot probation et le mot probation en anglais comportent l'idée d'une période de mise à l'épreuve ou d'efforts à laquelle est soumise une personne qui doit se montrer apte à recevoir un statut, un rang ou un reclassement meilleurs et qui doit s'en montrer digne. Le Forensic Psychiatric Institute de Port Coquitlam est une «maison de correction». La définition que le Code criminel donne du mot «prison» à l'article 2 est simplement inclusive et ouverte. Elle n'est ni exclusive ni exhaustive. L'expression «maison de correction» (reformatory) désigne un établissement les délinquants sont envoyés en vue de leur correction. La définition du terme «correction» (refor- mation) comprend l'amélioration de la santé. L'établissement psychiatrique en question accueille et traite uniquement les personnes qui lui sont confiées par l'entremise du système de justice pénale.
Il ressort de la jurisprudence que l'accusé qui a été déclaré non coupable pour cause d'aliénation mentale ne se trouve pas dans la même situation que celui qui est purement et simple- ment acquitté, compte tenu du paragraphe 15(1) de la Charte. Une détention en vertu d'un mandat du lieutenant-gouverneur n'équivaut pas non plus à une libération sous condition, bien que l'accusé n'ait réellement pas été déclaré coupable de l'in- fraction. L'affaire Holmes se distingue de l'espèce en ce qu'elle portait sur l'effet d'une libération sous condition, qui fait que l'accusé fait l'objet d'une libération conditionnelle. Dans le cas d'une détention au bon plaisir du lieutenant-gouverneur, l'ac- cusé est détenu conditionnellement sous une garde rigoureuse. Une personne détenue au bon plaisir du lieutenant-gouverneur fait l'objet d'une probation d'une durée indéterminée jusqu'à ce que le lieutenant-gouverneur soit persuadé qu'elle s'est montrée digne de confiance. Le verdict de «non-culpabilité pour cause d'aliénation mentale» (bien qu'un accusé ait clairement commis l'infraction) s'explique par le partage des pouvoirs au Canada: le Parlement a compétence exclusive pour légiférer sur le droit criminel, alors que le traitement des maladies mentales relève des provinces.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 542(2), 545(1) (mod. par S.C. 1972, chap. 13, art. 45), 546(3),(4),(5), 662.1(1) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 105, art. 20), 745.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91(27), 92(7).
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, art. 11, 37(2),(3).
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), chap. 1-21, art. 45(2),(3).
Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, chap. 108, art.
5(1) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 52, art. 128), (3),(4), 19, 20.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 902(2), 903a).
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
R. v. Swain (1986), 50 C.R. (3d) 97 (C.A. Ont.); Rebic v. Collver Prov. J. (1986), 2 B.C.L.R. (2d) 364 (C.A.); Rex v. Trapnell, [1910] XXII O.L.R. 219; 17 C.C.C. 346 (C.A.); McCann v. Duffy (1982), 35 B.C.L.R. 133
(C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Secrétariat d'État c. Holmes, [1980] 1 C.F. 619 (l" inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Regina v. Derkson (1972), 20 C.R.N.S. 129 (C.P.C.-B.); Swain c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. xiv.
AVOCATS:
Jeffrey R. Ray pour l'appelant. Christopher Goodwin, amicus curiae.
PROCUREURS:
Howard Smith & Company, New Westmins- ter (C.-B.) pour l'appelant.
Bull, Housser & Tupper, Vancouver, amicus curiae.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON: L'appelant demande l'an- nulation de la décision par laquelle le juge de la citoyenneté a rejeté la demande qu'il a présentée en vue d'obtenir la citoyenneté en vertu du para- graphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, chap. 108. Malheureusement, l'appel sera rejeté pour les motifs qui suivent.
 l'audition du présent appel à Vancouver, le 6 décembre 1988, la Cour a ordonné à l'avocat de l'appelant et à l'amicus curiae de soumettre des observations écrites. La Cour a depuis lors reçu d'excellentes observations écrites de la part des deux avocats. Il est noté que lors de la conférence préparatoire à l'audience qui a eu lieu dans la présente affaire le 28 novembre 1988 Vancouver, l'avocat qui occupe pour le Secrétaire d'État et pour le sous-procureur général du Canada a
signalé que ses deux clients lui avaient précisé, dans le mandat qu'ils lui avaient confié, que ni l'un ni l'autre n'interviendrait dans la présente ins tance. Il a en outre déclaré que l'amicus curiae qui avait été désigné par le sous-procureur général conformément au paragraphe 902(2) des Règles [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] était l'avocat qui avait été désigné pour assister la Cour à l'égard de toutes les questions de fait et de droit relatives à l'appel. L'amicus curiae s'est effectivement acquitté de cette tâche. Ce dernier et l'avocat de l'appelant ont tous deux fait preuve d'une attitude très professionnelle dans la présente affaire.
Parce que le rôle de l'amicus curiae est vérita- blement celui qui est énoncé ci-dessus et pas néces- sairement celui d'un adversaire ni même celui d'un défenseur de l'appelant, les deux avocats se sont avec raison gardés de présenter un exposé conjoint des faits, comme en soumettent souvent de vérita- bles adversaires. Par conséquent, ils ont conclu que les faits sur lesquels étaient basés la demande initiale de citoyenneté de l'appelant et le présent appel devaient être tirés du dossier du juge de la citoyenneté, qui a été déposé au greffe de la Cour dans la présente affaire conformément à l'alinéa 903a) des Règles, en insistant sur les faits consta- tés par le juge de la citoyenneté. La Cour est du même avis.
L'appelant est le 7 juin 1956. Il est arrivé au Canada à titre d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement le 9 mai 1979 à l'aéroport interna tional de Vancouver. Suivant ses pièces d'identité, il était électricien de son métier.
Le 28 août 1981, l'appelant a été accusé d'avoir proféré des «menaces», commettant ainsi l'infrac- tion visée à l'article 745 du Code criminel [ S.R.C. 1970, chap. C-34]. On lui a ordonné de contracter un engagement de 500 $ pour une période d'un an. Cependant, parce que l'appelant a fait défaut de comparaître à la date fixée pour l'audition de sa cause, le tribunal ou le juge a accordé une suspen sion d'instance.
Le 15 février 1982, l'appelant a été inculpé du meurtre au premier degré d'une certaine Pauline Mahal, à la suite d'une dénonciation sous serment qui porte la même date et dont une copie a été versée au dossier. Il a plaidé «non coupable» et a
été, le 30 août 1982, renvoyé à son procès. Un verdict de «non-culpabilité pour cause d'aliénation mentale» a été rendu le 29 janvier 1983 et, le même jour, le juge Esson a ordonné que l'appelant [TRADUCTION] «soit tenu sous une garde rigou- reuse au Forensic Psychiatric Institute de Port Coquitlam (Colombie-Britannique) jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant-gouverneur de la pro vince soit connu, conformément au paragraphe 542(2) du Code criminel du Canada».
L'appelant a été tenu sous une garde rigoureuse à cet établissement psychiatrique depuis qu'il y a été interné par le juge Esson. L'appelant [TRADUC- TION] «jouit de certains privilèges au sein de l'éta- blissement et de certaines sorties surveillées à l'ex- térieur» comme, par exemple, pour se présenter à l'audition du présent appel devant la Cour.
L'appelant a présenté une demande en vue d'ob- tenir la citoyenneté canadienne le 25 août 1987. Il a comparu devant le juge de la citoyenneté R. Michael Latta le 11 février 1988 Vancouver.
Le juge de la citoyenneté a rejeté la demande de l'appelant dans des motifs datés du 11 mars 1988. Constatant qu'il n'existait aucune preuve justifiant de faire une recommandation favorable en vertu des paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi, ni de preuve relative à une situation particulière et inha- bituelle de détresse ou à des services d'une valeur exceptionnelle que l'appelant aurait rendus au Canada, le juge a refusé de faire une recommanda- tion à cet égard. Le juge de la citoyenneté a conclu que l'appelant respectait sans difficulté les exigen- ces essentielles du paragraphe 5(1) [mod. par S.C. 1976-77, chap. 52, art. 128]. Il a néanmoins jugé que, selon son interprétation des articles 19 et 20 de la Loi, il y avait lieu de ne pas attribuer la citoyenneté à l'appelant. Après avoir examiné la législation antérieure [S.R.C. 1970, chap. C-19], qui prévoyait que le demandeur qui, notamment, était interné dans un «asile d'aliénés» ou était atteint d'«incapacité» mentale ne pouvait recevoir la citoyenneté, le juge a conclu en ces termes son raisonnement dans les passages qui suivent:
[TRADUCTION] Après mûre réflexion, je suis d'avis que tenir l'accusé sous une garde rigoureuse au Forensic Psychiatric Institute jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant-gouverneur en conseil soit connu constitue une détention. J'estime en outre qu'au cours de sa détention, le demandeur ne s'est pas adapté aux valeurs de la société canadienne et qu'il n'a pas eu l'occa- sion de le faire.
La citoyenneté est maintenant un droit, à condition que la personne qui la demande ait respecté les divers critères qui permettent d'évaluer la mesure dans laquelle un étranger s'est intégré à la société canadienne, et il incombe au juge de la citoyenneté de décider si, compte tenu de toutes les exigences énoncées dans la Loi, une personne remplit les conditions requises.
En conclusion, j'estime que M. Ahluwalia a été mis en déten- tion et qu'il reçoit des soins psychiatriques pour un trouble mental et que tant qu'il demeurera dans cet état, le droit de recevoir la citoyenneté canadienne ne devrait pas lui être accordé.
Les dispositions législatives applicables en la matière sont ainsi libellées:
19. Nonobstant toute disposition de la présente loi, une période au cours de laquelle une personne est, conformément à une disposition législative en vigueur au Canada, visée par une ordonnance de probation, bénéficie d'une libération condition- nelle ou est détenue dans un pénitencier, une prison commune ou une maison de correction n'est pas considérée comme une période de résidence aux fins de la présente loi.
20. (1) Nonobstant toute disposition de la présente loi, nul ne peut recevoir la citoyenneté en vertu de l'article 5 ou du paragraphe 10(1) ni prêter le serment de citoyenneté
a) pendant la période
(i) il est visé par une ordonnance de probation,
(ii) il bénéficie d'une libération conditionnelle, ou
(iii) il est détenu dans un pénitencier, une prison commune ou une maison de correction,
conformément à un texte législatif en vigueur au Canada;
Les autres dispositions de l'article 20 ne sont pas en litige en l'espèce, car l'appelant n'a été ni inculpé ni reconnu coupable d'une infraction pen dant qu'il était détenu.
L'amicus curiae a mentionné trois points liti- gieux qui ont été examinés oralement à l'audience et dont les plus importants sont le premier et le troisième:
1. L'appelant est-il sous le coup d'une «ordonnance de proba tion», au sens l'entendent les art. 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté, pendant qu'il est détenu au bon plaisir du lieutenant-gouverneur de la province après avoir été déclaré non coupable pour cause d'aliénation mentale?
2. Une ordonnance en exécution de laquelle une personne est détenue au bon plaisir du lieutenant-gouverneur après avoir été déclarée non coupable pour cause d'aliénation mentale équivaut-elle, pour l'application des art. 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté, à une «libération sous condition» au sens du par. 662.1(1) du Code criminel?
3. L'appelant est-il détenu dans une «prison» ou une «maison de correction», ce qui, suivant les art. 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté, l'empêche d'obtenir la citoyenneté?
L'avocat de l'appelant, dont les observations ont été reçues en premier, a en substance exprimé le
point litigieux dans les mêmes termes que ceux qu'on lit aux questions 1 et 3 ci-dessus. L'avocat n'a pas répondu aux observations de l'amicus curiae. Invoquant l'article 11 de la Loi d'interpré- tation, S.R.C. 1970, chap. I-23, l'avocat de l'appe- lant fait valoir ce qui suit dans les passages perti- nents suivants:
[TRADUCTION] On peut découvrir l'objet ou l'abus que visent les articles 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté en examinant chaque article et son contenu. L'article 19 fait suivre l'expres- sion «visée par une ordonnance de probation» par la phrase suivante:
est détenue dans un pénitencier, une prison commune ou une maison de correction.
Dans chaque cas, l'article semble désigner des personnes qui ont été punies par suite d'agissements criminels. Il s'ensuit donc que l'expression «visée par une ordonnance de probation» se rapporte à la personne qui purge une condamnation ou qui est punie en raison d'un acte criminel qu'elle a commis.
L'article 20 renferme le même libellé que l'article 19 après l'expression «il est visé par une ordonnance de probation», mais contient aussi l'alinéa 20(1)b), qui concerne la personne qui est inculpée pour une infraction prévue au paragraphe 28(1) ou 28(2) ou pour un acte criminel prévu par une loi fédérale. L'alinéa 20(1)d) vise la personne qui a été reconnue coupable d'une infraction relativement à un acte ou à une omission mentionnés au Code criminel. Il semble donc que l'article 20 vise également les personnes qui sont frappées d'une peine.
L'appelant soutient que les articles 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté englobent le cas du demandeur de la citoyenneté qui purge encore sa peine à la suite d'une condamnation pénale. Les articles 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté s'appliquent donc uniquement aux personnes qui purgent une condamnation ou qui ont été reconnues coupables d'une infraction criminelle.
À l'article 601 et au paragraphe 720(1) du Code criminel du Canada, 1953-54, chap. 51, les termes «sentence» et «condam- nation» sont définis comme suit:
[citation omise]
L'appelant a été déclaré non coupable pour cause d'aliénation mentale en vertu de l'article 542 du Code criminel. Par consé- quent, suivant le Code criminel, l'appelant n'est pas en train de purger une condamnation au sens de l'article 601 et du para- graphe 720(1). L'appelant soutient que puisqu'il ne purge pas une condamnation au sens du Code criminel, il n'est pas visé par l'expression «ordonnance de probation» que l'on trouve aux articles 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté.
Ce raisonnement trouve appui dans la définition suivante que le Black's Law Dictionary, édition, donne du terme «probation»:
[TRADUCTION] Sentence de mise en liberté du défendeur dans la société sous la surveillance d'un agent de probation. Statut d'une personne déclarée coupable à qui l'on rend sa liberté après l'avoir condamnée à la condition que, pendant une période déterminée, elle se conduise d'une manière qu'approuve un agent spécial devant qui elle doit périodique- ment se présenter.
On trouve également une autre définition dans le Black's Law Dictionary, 5' édition:
[TRADUCTION] Régime permettant à une personne qui a été déclarée coupable d'une infraction moindre (fréquemment de jeunes contrevenants ou des délinquants primaires) d'éviter l'emprisonnement, sous réserve d'une révision de sa peine, tant qu'elle a une bonne conduite et généralement sous la surveillance d'un agent de probation.
L'essence de chacune de ces définitions est que l'individu a été reconnu coupable d'une infraction et que la période de proba tion constitue la peine que subit l'individu.
Comme il a déjà été démontré, à cause de son acquittement pour cause d'aliénation mentale, l'appelant ne purgeait pas de condamnation au sens du Code criminel. Par conséquent, l'ap- pelant fait valoir qu'il n'est pas sous le coup d'une ordonnance de probation.
CONCLUSION
L'appelant fait respectueusement valoir que puisqu'il n'a pas été déclaré coupable d'une infraction au Code criminel en vertu des articles 542 et 543 du Code criminel, l'expression «visé par une ordonnance de probation» aux articles 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté ne s'applique pas à lui. L'appelant se fonde sur l'interprétation légitime et logique des articles 19 et 20 ainsi que sur la définition que le Black's Law Dictionary, 5e édition, donne du mot «probation». L'appelant se fonde également sur le raisonnement formulé par le juge Collier dans le jugement Secrétariat d'État c. Timothy E. Holmes, [1980] 1 C.F. 619.
Par conséquent, l'appelant demande que la décision de la Cour de la citoyenneté en date du 11 mars 1988 soit infirmée et qu'on lui attribue la citoyenneté.
Dans son habile plaidoirie, l'avocat de l'appelant interprète pourtant les articles 19 et 20 de la Loi comme s'ils visaient [TRADUCTION] «l'ordonnance de probation qui est définie et mentionnée aux articles 662.1 664 du Code Criminel». A l'appui de cette interprétation, qui n'est pas exprimée dans la Loi sur la citoyenneté, l'avocat invoque la déci- sion rendue par le juge Collier de notre Cour dans l'affaire Secrétariat d'État c. Holmes, [1980] 1 C.F. 619 (i fe inst.). Voici le texte intégral du jugement la page 619]:
L'appel interjeté par le Secrétariat d'État est rejeté. Je suis d'accord avec la décision du juge de la citoyenneté ... statuant que la période au cours de laquelle une personne fait l'objet d'une ordonnance de probation, dans le cadre d'une libération sous condition, doit être prise en compte pour le calcul de la période de résidence aux fins de la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, c. 108, pourvu que le requérant ait complété sans aucune violation la période de probation.
Bref, je suis d'avis que la période de probation mentionnée à l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté existe en fonction d'une condamnation. Lorsque aucune condamnation n'a été pronon- cée en vertu de l'article 662(1) du Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, tel que modifié par S.C. 1972, c. 13, art. 57, il ne saurait y avoir de période de probation découlant de cette condamnation.
L'affaire Holmes se distingue sensiblement du cas de l'appelant à l'instance. Le juge n'examinait pas le cas d'une personne qui était détenue au bon plaisir du lieutenant-gouverneur, mais plutôt l'ef- fet d'une libération sous condition par rapport à l'ordonnance de probation dont il était question dans cette affaire. Pourtant, il est remarquable que le juge Collier lui ait donné l'effet qu'il lui a donné, en précisant: «pourvu que le requérant ait complété sans aucune violation la période de pro bation». Il semble que l'ordonnance de probation à laquelle songeait le juge Collier était d'une durée déterminée et était expirée, que la personne qui en faisait l'objet en ait ou non profité. D'autre part, une personne détenue au bon plaisir du lieutenant- gouverneur fait l'objet d'une probation d'une durée indéterminée jusqu'à ce que le lieutenant-gouver- neur en conseil soit persuadé que la personne détenue s'est montrée digne de confiance.
Il est vrai que l'appelant n'a pas été véritable- ment déclaré coupable du meurtre de Pauline Mahal, même si celle-ci a été, hors de tout doute raisonnable, assasinée par l'appelant. S'il en était autrement, il aurait évidemment eu droit à un verdict clair de «non-culpabilité», puisque dans ce cas il n'aurait eu rien à voir avec le meurtre de Pauline Mahal. En d'autres mots, l'appelant a exécuté l'actus reus, mais on a constaté qu'il était incapable de juger la nature et la qualité de son acte meurtrier, ou de savoir que cet acte était mauvais, au sens de l'article 16 du Code criminel. Peut-être avait-il sur un point particulier une idée délirante qui justifiait ou excusait selon lui son acte ou son omission, toujours au sens de l'article 16 du Code criminel. La Cour ne prend pas plaisir à choquer de la sorte les euphémismes de la socio- logie, de la pénologie et de la psychiatrie actuelles, mais elle cherche plutôt à affirmer avec assurance et sans avoir peur des mots que le méfait particu- lier qu'a commis l'appelant montre qu'il était dan- gereux et qu'il avait une propension au meurtre et que c'est peut-être encore le cas. À cet égard, il doit démontrer qu'il mérite de ne plus être consi- déré comme dangereux pour lui-même et pour autrui. Sa détention pour un acte criminel «moin- dre» aurait donné lieu aux mêmes considérations, sauf en ce qui concerne l'élément de meurtre.
Le verdict de «non -culpabilité pour cause d'alié- nation mentale» et la détention pendant le bon
plaisir du chef d'une province du Canada qui en résulte s'expliquent apparemment par le partage particulier des pouvoirs de l'État fédéral canadien. Suivant la rubrique 27 de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30, & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)], le Parlement a compétence exclusive pour légiférer sur «le droit criminel . .. y compris la procédure en matière criminelle». Le traitement des personnes souffrant d'une maladie mentale ne constitue pas, sur le plan strictement constitution- nel, une question de droit et de procédure crimi- nels. Cela tient au fait que la rubrique 7 de l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 accorde aux législatures provinciales le pouvoir exclusif de légiférer sur «l'établissement, l'entre- tien et l'administration des hôpitaux, asiles, insti tutions et hospices de charité dans la province, autres que les hôpitaux de marine». Par consé- quent, l'inculpé qui se rend coupable d'une infrac tion en l'espèce, un homicide et qui, selon ce que l'on constate, était aliéné lors de la perpétra- tion de l'infraction, s'écarte (métaphysiquement) de la compétence législative du Parlement et se retrouve de ce fait placé sous la compétence légis- lative de la législature provinciale et est ainsi détenu pendant le bon plaisir du chef d'État de la province. Dans l'État unitaire que constituent l'Angleterre et le pays de Galles, les pouvoirs du gouvernement ne sont pas partagés entre diverses composantes fédérées, et le verdict est le suivant: «coupable, mais aliéné».
Lorsque le législateur fédéral a modifié la loi antérieure pour en supprimer la disposition qui prévoyait que la période de résidence au Canada au cours de laquelle une personne était internée dans un «asile d'aliénés» ne devait pas être prise en compte, a-t-il, par inadvertance, laissé une erreur se glisser dans la loi? Avait-il l'intention de main- tenir l'inadmissibilité des personnes qui se trouvent dans la situation de l'appelant ou voulait-il permet- tre qu'une détention comme celle de l'appelant puisse être prise en compte pour le calcul de la période requise de résidence au Canada? La réponse doit s'appuyer sur les paragraphes 37(2) et 37(3) de la Loi d'interprétation, qui disposent:
37....
(2) La modification d'un texte législatif n'est censée ni être
ni impliquer une déclaration portant que le droit aux termes dudit texte différait de ce qu'est le droit aux termes du texte législatif modifié, ou que le Parlement ... le considérait comme différent de ce qu'est le droit aux termes du texte législatif modifié.
(3) L'abrogation ou la modification, totale ou partielle, d'un texte législatif n'est censée ni être ni impliquer une déclaration quelconque sur l'état antérieur du droit.
(Paragraphes 45(2) et 45(3), L.R.C. (1985), chap. I-21.)
En fait, malgré les modifications, on doit interpré- ter les dispositions édictées par le législateur dans leur rédaction actuelle et en fonction de ce qu'elles prescrivent. Les mots qu'a employés le législateur doivent être interprétés selon leur sens courant, à moins qu'ils aient fait l'objet d'une définition spé- ciale et explicite qui leur donne un sens différent de leur sens courant. Tout compte fait, le législa- teur a clairement exprimé son intention.
Ne faisant pas l'objet d'une définition spéciale dans la Loi sur la citoyenneté, l'expression «ordon- nance de probation» peut être interprétée comme ayant le sens courant de son mot important, le mot «probation». L'amicus curiae signale les définitions suivantes, tirées de dictionnaires:
[TRADUCTION] I. Acte ou processus de mise à l'épreuve; essai, expérience, enquête, examen.
2. Mise à l'épreuve de la conduite, du caractère ou des qualités morales d'une personne; processus conçu pour les vérifier, spéc. en ce qui a trait à la durée ou à l'état de l'épreuve.
3. En matière pénale: Régime de condamnation avec sursis par lequel de jeunes personnes, et spécialement des contreve- nants primaires, sont mis en liberté tant qu'ils gardent une bonne conduite, et par lequel ils sont placés sous la surveil lance d'un agent de probation qui leur sert d'ami et de conseiller.
Shorter Oxford English Dictionary, 3 0 éd. rév., 1973, p. 1676.
À nouveau, la version française des articles 19 et 20 de la Loi emploie l'expression «ordonnance de probation». Voici la définition que le dictionnaire donne du mot «probation»:
n.f. (1549; [épreuve), 1350; lat. probatio, de probare [prou- ver)). Relig. Temps du noviciat religieux. Année de proba- tion.—Temps d'épreuve qui précède le noviciat. Dr. pén. Méthode permettant le traitement des délinquants en vue de leur reclassement.
Le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française,
nouvelle édition revue, corrigée
et mise à jour pour 1985.
Ces mots, qui sont issus d'un parent commun, comportent tous les deux l'idée d'une période de mise à l'épreuve ou d'efforts à laquelle est soumise une personne qui doit se montrer apte à recevoir un statut, un rang ou un reclassement meilleurs et qui doit s'en montrer digne.
Il est clair que la même connotation existe sous le régime légal en vertu duquel le juge Esson a ordonné que l'appelant soit tenu sous une garde rigoureuse dans un établissement psychiatrique jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant-gouver- neur soit connu. Voici, dans l'ordre chronologique, les dispositions applicables de la Partie XVII du Code criminel [mod. par S.C. 1972, chap. 13, art. 45] qui démontrent cette connotation:
542... .
(2) S'il est constaté que l'accusé était aliéné au moment l'infraction a été commise, la cour ... devant qui le procès s'instruit doit ordonner que l'accusé soit tenu sous une garde rigoureuse dans le lieu et de la manière que la cour ... ordonne, jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant-gouverneur de la province soit connu.
545. (1) Lorsque, en application de la présente Partie, un accusé est déclaré atteint d'aliénation mentale, le lieutenant- gouverneur de la province l'accusé est détenu peut
a) rendre une ordonnance pour la bonne garde de l'accusé dans le lieu et de la manière qu'il prescrit, ou
b) s'il est d'avis que la mesure est dans l'intérêt véritable de l'accusé sans nuire à l'intérêt public, rendre une ordonnance portant libération de l'accusé, soit inconditionnellement, soit aux conditions qu'il prescrit.
546... .
(3) Lorsque le lieutenant-gouverneur est convaincu qu'une personne à qui le paragraphe (2) s'applique est rétablie, il peut ordonner
a) qu'elle soit renvoyée à la prison d'où elle a été transférée conformément au paragraphe (1), si elle est susceptible d'être encore gardée en prison, ou
b) qu'elle soit libérée, si elle n'est pas susceptible d'être encore gardée en prison.
(4) Lorsque, le lieutenant-gouverneur est convaincu qu'une personne à qui s'applique le paragraphe (2) est partiellement rétablie, il peut, lorsque la personne n'est pas susceptible d'être gardée encore en prison, ordonner qu'elle soit assujettie aux ordres du ministre de la Santé de la province, ou de telle autre personne que le lieutenant-gouverneur désigne, et le ministre de la Santé ou cette autre personne désignée peut établir telle ordonnance ou directive qu'il juge opportune à l'égard de la garde et du soin de la personne en question.
(5) Au présent article, l'expression «prison» signifie une prison autre qu'un pénitencier, et comprend une école de réforme ou une école industrielle.
La Cour conclut que, suivant le sens courant et général qu'ont les mots «ordonnance de probation» dans la Loi sur la citoyenneté, les dispositions précitées du Code criminel créent, avec les autres dispositions de ce régime légal, la quintessence d'une ordonnance de probation. Puisque, par ail- leurs, l'expression «maison de correction» n'est pas expressément définie dans la Loi sur la citoyen- neté, la Cour conclut en outre que le Forensic Psychiatric Institute l'appelant est interné est une maison de correction ou un «reformatory» au sens ordinaire et général de ces mots. L'appelant doit sûrement se montrer digne de confiance pour mériter sa libération. L'amicus curiae expose la chose dans les termes suivants:
[TRADUCTION] La détention de l'appelant à l'Institut a pour but de traiter son aliénation jusqu'à ce qu'il s'avère guéri. On peut dire qu'il fait l'objet d'un processus de «mise à l'épreuve» jusqu'à ce que le lieutenant-gouverneur estime qu'il s'est suffi- samment rétabli pour être libéré. Cette période peut être considérée comme une «mise à l'épreuve de la conduite, du caractère d'une personne».
Rien de ce que le législateur a exprimé ou édicté aux articles 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté ne permet d'échapper à la conclusion que l'appelant fait l'objet d'une «ordonnance de probation» et qu'il «est détenu dans ... une maison de correc tion» au sens de la Loi.
Mais l'appelant fait valoir que, parce qu'il subit un traitement et non une peine en soi, il y a lieu de souligner qu'il n'a pas été condamné, mais qu'il a plutôt été déclaré «non coupable», ce à quoi, on doit toujours ajouter du même souffle «pour cause d'aliénation mentale». Par conséquent, on ne peut simplement assimiler le verdict de l'appelant à un acquittement pur et simple, comme la Cour l'a déjà précisé. Lorsqu'une personne est acquittée, elle n'est pas mise en détention pour faire ses preuves si possible par un retour à une conduite meilleure. D'ailleurs, alors que le vingtième siècle n'avait que dix ans, le juge d'appel Meredith a écrit ce qui suit au nom de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Rex v. Trapnell, [ 1910] XXII O.L.R. 219; 17 C.C.C. 346 [aux pages 224 O.L.R.; 351 C.C.C.]:
[TRADUCTION] Il me semble que le cas tombe sous le coup de l'art. 192 du Code criminel [aider une personne à s'évader d'une garde légale]; les hommes étaient détenus légalement en
vertu d'une peine d'emprisonnement moindre qu'une peine d'emprisonnement à perpétuité. Au procès, chacun des accusés a fait l'objet d'une ordonnance de détention jusqu'à ce que le bon plaisir du lieutenant-gouverneur soit connu; le lieutenant- gouverneur a ordonné que chacun soit transféré à l'asile provin cial de Hamilton et y soit détenu. Cela équivaut certainement à une peine d'emprisonnement, et ce, même si la peine est «d'une durée indéterminée». Il s'agit d'une peine moindre qu'une peine d'emprisonnement à perpétuité parce que, même si la peine dure toute la vie, il se peut quand même qu'elle soit plus courte: un jour, un mois, une ou plusieurs années.
Toujours dans la même veine, dans l'arrêt unanime que la Cour d'appel a rendu dans l'affaire McCann v. Duffy (1982), 35 B.C.L.R. 133, le juge Hink- son, parlant au nom du tribunal, a écrit ce qui suit [aux pages 134 et 135]:
[TRADUCTION] Le 7 février 1973, l'appelant, qui était accusé de meurtre non qualifié, a été déclaré non coupable pour cause d'aliénation mentale. Suivant les dispositions du par. 542(2) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, il a été ordonné que l'appelant soit tenu sous une garde rigoureuse à l'unité River side de l'hôpital Riverview d'Essondale jusqu'à ce que le plaisir du lieutenant-gouverneur de la province de la Colombie-Britan- nique soit connu. Aux termes du Code criminel, un tel verdict a pour conséquence d'infliger une peine d'une durée indéterminée à l'accusé: Re Kleinys, 51 W.W.R. 597, 46 C.R. 141, [1965] 3 C.C.C. 102, 49 D.L.R. (2d) 225 (C.-B.). Le 16 février 1973, le lieutenant-gouverneur a fait connaître son bon plaisir en pre- nant le décret 595 aux termes duquel il a recommandé que l'appelant soit détenu à l'hôpital de Riverview jusqu'à nouvel ordre.
On s'est demandé si, compte tenu du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et liber- tés [qui constitue la Partie I de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], l'accusé qui a été déclaré non coupable pour cause d'aliénation mentale se trouve dans la même situation que celui qui est purement et simplement acquitté. La réponse à cette question a semblé claire au juge d'appel Thorson dans l'arrêt R. v. Swain (1986), 50 C.R. (3d) 97, il a écrit pour la majorité d'une formation de trois juges de la Cour d'appel de l'Ontario la page 148]:
[TRADUCTION] Ainsi que notre Cour l'a jugé dans l'arrêt Re M. and R. (1985), 51 O.R. (2d) 745, 47 C.R. (3d) 355 (sub nom. R. v. A.M.), 21 C.C.C. (3d) 330, 21 D.L.R. (4th) 397, 16 C.R.R. 361, le par. 15(1) de la Charte exige que ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même façon. Je n'accepte pas l'argument qu'un aliéné qui a été acquitté se trouve dans la même situation qu'une personne qui a été acquittée purement et simplement. Dans le cas d'un aliéné qui a été acquitté comme M. Swain, il a été jugé au procès que celui-ci avait commis les actes dont il était inculpé et qu'au moment il les a commis il était aliéné. Cette conclusion soulève la question de savoir s'il est dangeureux pour la société
et s'il a besoin de se faire soigner pour son trouble mental. Le paragraphe 542(2) est la première étape qui permet de répon- dre à ces questions, et d'y répondre dans le cadre d'un système dont l'existence même constitue à mon avis une reconnaissance que ces questions sont, sur le plan qualitatif, différentes du genre de questions qu'on conçoit généralement comme devant être jugées par un tribunal pénal.
Le jugement majoritaire rendu dans l'affaire Swain a été appliqué par le juge Esson en son propre nom et pour le compte d'un collègue dans l'arrêt unanime Rebic v. Collver Prov. J. (1986), 2 B.C.L.R. (2d) 364 (C.A.). Le juge Esson s'est exprimé dans les termes suivants la page 386]:
[TRADUCTION] Je souscris à la conclusion suivant laquelle une personne qui a été acquittée pour cause d'aliénation men- tale ne se trouve pas dans la même situation que la personne qui a été acquittée aux termes d'un verdict de non-culpabilité. Le paragraphe 542(2) fait partie du cadre législatif qui vise les personnes atteintes d'aliénation mentale qui sont accusées de crimes et qui comprend également les art. 16 et 543 547 du Code.
Le 26 mars 1987, la Cour suprême du Canada a accordé l'autorisation d'interjeter appel dans l'af- faire Swain c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. xiv.
La Cour a déjà affirmé que l'arrêt Secrétariat d'État c. Holmes (précité) se distinguait de la présente espèce parce qu'une libération sous condi tion est, de par sa nature et de par ses effets, très différente d'une détention au bon plaisir du lieute- nant-gouverneur. Manifestement, dans le cas d'une libération sous condition, l'accusé fait l'objet, comme son nom l'indique, d'une libération condi- tionnelle, tandis que dans le cas d'une détention, l'accusé est détenu conditionnellement sous une garde rigoureuse jusqu'à ce qu'il convainque le lieutenant-gouverneur qu'il est digne de confiance (ou qu'il est «guéri» peut-on également dire).
D'ailleurs, comme le prévoit le paragraphe 662.1(1) [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 105, art. 20] du Code criminel, lorsqu'un accusé plaide coupable ou qu'il est reconnu coupable, le tribunal peut, s'il considère qu'une telle mesure est dans l'intérêt véritable de l'accusé sans nuire à l'intérêt public, ordonner que l'accusé soit libéré incondi- tionnellement ou aux conditions prescrites dans une ordonnance de probation. L'accusé n'est pas de ce fait incarcéré. Cependant, dans le cas de l'appelant qui est déclaré non coupable pour cause d'aliénation mentale, le législateur estime de toute évidence qu'il n'est ni dans l'intérêt véritable de
l'accusé ni dans celui du public de le mettre en liberté. Le législateur exige qu'une telle personne soit au contraire tenue sous une garde rigoureuse.
Pour un exposé plus détaillé sur le sujet des libérations sous condition et des libérations incon- ditionnelles, signalons le jugement Regina v. Derkson (1972), 20 C.R.N.S. 129 (C.P.C.-B.) et les notes qui le suivent. La Cour est d'avis que la situation dans laquelle se trouve l'appelant qui fait l'objet d'un mandat du lieutenant-gouverneur est loin d'équivaloir à une libération sous condition.
La Cour estime également que le Forensic Psy chiatric Institute constitue de façon générale une maison de correction («reformatory») qui n'est pas expressément définie dans la Loi sur la citoyen- neté. La définition que le Code criminel donne du mot «prison» à l'article 2 est simplement inclusive et ouverte. Elle n'est ni exclusive ni exhaustive. Le Shorter Oxford English Dictionary, précité, donne à la page 1778 la définition suivante du mot «reformatory» («maison de correction»):
TRADUCTION] ... conçue pour le redressement. B. subst. Etablissement les délinquants sont envoyés en vue de leur correction.
À la même page, la définition du terme «reforma- tion» («correction») comprend [TRADUCTION] «l'amélioration de la santé», ce qui inclut certaine- ment la santé physique et la santé mentale. L'éta- blissement psychiatrique de Port Coquitlam accueille, héberge et traite, suivant les observations de l'amicus curiae, uniquement les personnes qui lui sont confiées par l'entremise du système de justice pénale. Parce que l'appelant est détenu dans un établissement il doit faire ses preuves, avec l'aide du personnel phychiatrique, afin d'amé- liorer sa santé mentale, et parce que la vocation de cet établissement est orientée vers ce même objec- tif, cet établissement est une «maison de correc tion» au sens des articles 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté.
En résumé, puisqu'il a été déclaré non coupable de meurtre au premier degré pour cause d'aliéna- tion mentale et qu'il fait l'objet d'une ordonnance de garde rigoureuse au Forensic Psychiatric Insti tute de Port Coquitlam (C.-B.), la Cour conclut que l'appelant est «visé par une ordonnance de probation» et est «détenu» dans une «maison de correction» au sens le législateur a employé ces termes, dans leur sens général et sans leur donner
de définitions hors de l'ordinaire, aux articles 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté. Par conséquent, la décision par laquelle le juge de la citoyenneté a rejeté, le 11 mars 1988, la demande de citoyenneté de l'appelant est par les présentes confirmée, ainsi que le refus de ce juge de faire une recommanda- tion favorable en vertu du paragraphe 5(4) de la Loi. L'appel est rejeté.
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