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T-4178-78
Joseph Apsassin, chef de la bande indienne de la rivière Blueberry, et Jerry Attachie, chef de la bande indienne de la rivière Doig, en leur nom et en celui de tous les autres membres de la bande indienne de la rivière Doig, de la bande indienne de la rivière Blueberry et de tous les descendants encore vivants de la bande indienne des Castors (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représen- tée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et le directeur des terres destinées aux anciens combattants (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: APSASSIN c. CANADA (MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN)
Division de première instance, juge Addy—Van- couver, 12-15, 20, 22, 30 janvier, 2-6, 9-13, 16-19, 23-27 février, 9-12 mars; Ottawa, 20 mars 1987.
Pratique Preuve Règle du ouï-dire et ses exceptions Décision concernant l'admissibilité de la preuve documen- taire dans une action relative au titre juridique sur une ancienne réserve indienne et les droits miniers afférents à ces terres Analyse des principes généraux et de la jurisprudence relative aux exceptions à la règle du ouï-dire Témoignage d'opinion Double ouï-dire Preuves documentaires pré- sentées à une fin limitée Rapport des agents des Indiens Témoins décédés Obligation des agents des Indiens de faire rapport Formation des personnes faisant rapport Vérifi- cation des sources Fiabilité Admissibilité des résolu- tions des conseils de bande Admissibilité des «consente- ments à l'acceptation de nouveaux membres dans la bande», des procès-verbaux des réunions des conseils de bande Admissibilité des rapports fondés sur les renseignements obte- nus par l'intermédiaire d'un interprète.
L'ordonnance en l'espèce concernant l'admissibilité de la preuve a été rendue dans une action [[1988]'3 C.F. 20 (1" inst.) dans laquelle la principale question en litige concernait le titre sur une ancienne réserve indienne (I.R. 172) en Colombie- Britannique et les droits miniers afférents à ces terres. L'issue dépendait des points suivants: (1) la portée du traité de 1900 portant que la réserve est créée; (2) la portée de la cession des droits miniers en 1940; (3) la validité et la portée de la cession et du transfert de la réserve en 1945 et 1948 respectivement. La plupart des documents importants datant de ces années soulè- vent plusieurs questions relatives à la preuve par ouï-dire.
Les principes gouvernant les exceptions au ouï-dire ne pour- raient être qualifiés avec exactitude de clairs, d'absolus ou de certains. L'opinion canadienne semble se situer à mi-chemin entre la jurisprudence américaine qui préconise une application élargie des exceptions et les tribunaux du Royaume-Uni qui ont une opinion plus conservatrice et plus rigide. Dans l'arrêt Ares
c. Venner, la Cour suprême du Canada a reconnu la nécessité du rôle actif des tribunaux et le besoin d'adapter le droit à la société moderne.
Selon la common law, la règle générale dit que les déclara- tions sont admissibles lorsqu'elles ont été faites par une per- sonne décédée, dans l'exercice ordinaire de ses fonctions, au moment les faits relatés se sont produits et si cette personne n'avait aucune raison de déformer ceux-ci. Les déclarations doivent avoir été faites à un tiers mais les tribunaux anglais ont déjà admis les simples notes d'un défunt et un journal commer cial contenant des faits et des chiffres précis que l'auteur signalera plus tard dans un rapport devrait être admissible. L'obligation de faire rapport a été étendue au-delà du principe rigide original de faire un rapport particulier et de l'enregistrer lorsqu'il est exécuté. Quant à la contemporanéité de la déclara- tion, la règle est désormais qu'elle soit faite dès qu'il est raisonnablement possible de le faire, compte tenu de la nature de la déclaration et des circonstances. Quant à la fiabilité, lorsqu'une déclaration est faite en exécution d'une obligation envers un employeur ou un supérieur et qu'il existe un risque de censure si l'on n'exécute pas cette fonction et si l'on ne fait pas un rapport exact, les tribunaux ont considéré qu'il s'agit d'un motif très valable pour se fier à la crédibilité de la preuve.
Le témoignage d'opinion, qui n'est pas une simple déduction à partir de faits connus, ne peut être accepté en vertu de cette exception à la règle du ouï-dire. On a également statué que le double ouï-dire était admissible lorsque la personne qui a consigné les renseignements et celle qui les a fournis sont décédées. Lorsque l'authenticité d'un document n'est pas con- testée et qu'une partie désire le produire en preuve à une fin limitée seulement, elle doit en faire part au moment de la production, autrement l'autre partie n'est pas liée par une telle fin limitée. En l'espèce, les auteurs des documents sont décédés. Quant aux comptes rendus écrits des agents des Indiens au ministère des Affaires indiennes, il ne fait aucun doute qu'ils avaient l'obligation de faire un tel rapport. L'inclusion dans les rapports de renseignements qu'ils n'étaient pas tenus de rappor- ter ne rendent pas automatiquement ces rapports inadmissibles. L'absence de formation officielle des personnes qui présentaient des rapports ne rend pas ces rapports inacceptables en preuve. La preuve démontre que les sources étaient vérifiées par le supérieur. De façon générale, il y avait une preuve prima facie que les rapports des agents des Indiens seraient objectifs et, si jamais ils étaient partiaux, ils le seraient en faveur des Indiens plutôt qu'à leur désavantage. Toutefois, chacun des documents présentés a être examiné pour voir s'ils satisfaisaient aux critères de crédibilité et d'objectivité leur permettant d'être admis.
Les rapports rédigés en 1941 et en 1943 par un inspecteur dans le cours de ses fonctions et contenant des renseignements provenant des agents des Indiens sur place ou d'autres sources doivent être admis même s'il s'agissait d'un double ouï-dire puisqu'ils constituent la meilleure sinon l'unique preuve dispo- nible. Quoiqu'elles doivent être tenues pour très crédibles, les conclusions de fait que l'on peut en tirer peuvent être restreintes ou contredites par d'autres éléments de preuve.
Les résolutions des conseils de bande sont admissibles en preuve. Ces documents faisaient état de ce que les Indiens avaient décidé même s'ils ne décrivaient pas très bien la façon dont les décisions avaient été prises. Il n'est pas nécessaire de
prouver l'exactitude de chaque mot d'une résolution ou d'un procès-verbal d'une réunion pour que le document soit accepté en preuve en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada. De toute manière, les documents étaient admissi- bles à titre de déclarations écrites faites contre l'intérêt des parties à l'action. Le fait que les Indiens aient signé d'un «X» des documents formels rédigés en anglais ne signifie pas qu'ils n'en comprenaient pas le fond.
Le fait que les agents des Indiens ont écrit des rapports sur la base des renseignements reçus par l'intermédiaire d'un inter- prète n'écartent pas ces rapports. Il s'agit d'un type de ouï-dire double qui doit être admis. On doit présumer que les deux parties à la conversation ont accepté dans chaque cas d'avoir recours à l'interprète, et ce dernier devrait donc être considéré simplement comme un intermédiaire qui transmet les paroles de chaque partie. La crédibilité demandée par cette exception à la règle du ouï-dire n'exige pas que la Cour soit absolument convaincue que la preuve ne contient aucune erreur humaine. Il serait ridicule de refuser d'admettre les conversations tenues par l'intermédiaire d'un interprète puisque dans ce cas, même si les parties étaient vivantes et voulaient témoigner de vive voix de ces conversations, elles seraient inadmissibles.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 11.
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 30.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Ares c. Venner, [ 1970] R.C.S. 608; 14 D.L.R. (3d) 4.
DÉCISIONS CITÉES:
Myers v. Director of Public Prosecutions, [1965] A.C. 1001 (H.L.); Re Knapp's Settlement, [1952] 1 All E.R. 458 (Ch.D.); Setak Computer Services Corporation Ltd. v. Burroughs Business Machines Ltd. et al. (1977), 76 D.L.R. (3d) 641 (H.C. Ont.); R. v. Grimba and Wilder (1977), 38 C.C.C. (2d) 469 (C. de cté); R. v. Mudie (1974), 20 C.C.C. (2d) 262 (C.A. Ont.).
AVOCATS:
Leslie J. Pinder et Arthur Pape, pour les
demandeurs.
J. R. Haig, c.r. pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Mandell, Pinder & Ostrove, Vancouver et Pape & Salter, Vancouver, pour les deman- deurs.
Le sous-procureur général du Canada, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ADDY: Afin de laisser aux avocats le plus de temps possible pour préparer leur argu mentation finale à la fin de l'instruction et pour qu'ils connaissent bien toute la preuve à considérer en l'espèce, le lundi 16 mars 1987, j'ai fait envoyer par télécopieur, à Vancouver, mes décisions sur l'admissibilité de certains documents. Les parties avaient été informées qu'en raison du peu de temps à ma disposition, je ne pourrais fournir de motifs. Le texte du message envoyé par télécopieur est joint aux présentes, à l'annexe A.
Cependant, réflexion faite, j'ai décidé de donner des motifs, car ils pourraient être utiles aux avo- cats. Je mentionnerai les principes généraux et certaines circonstances particulières à l'espèce, mais je n'ai pas l'intention de donner des motifs détaillés ou de traiter chacun des 65 documents sur lesquels ont porté les plaidoiries des avocats, même si j'ai examiné chacun des documents.
À aucun moment, de mémoire récente du moins, les principes régissant les exceptions à la règle du ouï-dire n'ont pu être qualifiés avec exactitude de clairs, d'absolus ou de certains: ils ont été constam- ment réexaminés et ont fait l'objet de distinctions subtiles et équivoques découlant de la recherche incessante de la vérité de la part tant des avocats que des juges. Dans le cours de cette recherche, ces derniers se sentent souvent et injustement limités par la jurisprudence ainsi que par des règles artifi- cielles et des interdictions d'ordre procédural pres- crivant diverses restrictions aux exceptions de la règle du ouï-dire et ils tentent donc régulièrement d'outrepasser celles-ci. Toutefois, il existe des limi- tes claires et nettes qu'ils ne peuvent dépasser sans mettre sérieusement en jeu cet objectif et, naturel- lement, sans compromettre à certains moments les deux principes qui doivent régir tout le processus judiciaire, soit le caractère raisonnable et l'équité.
La vérification de l'exactitude d'une déclaration de fait est, en règle générale, aussi importante que la preuve elle-même. Puisque l'un des moyens les plus efficaces pour ce faire est de contre-interroger la personne réputée avoir une connaissance directe de la question, ce moyen doit toujours être protégé, ne jamais être attaqué, lorsqu'il est raisonnable-
ment possible d'y avoir recours. Pendant l'instruc- tion, le contre-interrogatoire ne permet pas de bien vérifier le fondement du ouï-dire. Ce facteur ainsi que l'absence du serment sont les deux principales raisons de l'existence de la règle très stricte contre ce type de preuve et les limites également aussi strictes imposées aux exceptions.
J'ai examiné la jurisprudence, notamment les décisions anglaises et australiennes invoquées par les avocats des deux parties, portant sur les excep tions de common law à la règle du ouï-dire, l'effet de l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10] et certaines lois provin- ciales et autres de même nature portant sur des questions comme les pièces commerciales contem- poraines. J'ai également eu l'occasion d'étudier plusieurs autres jugements anglais et américains ainsi que les ouvrages de Wigmore, de Cross et de Phipson en la matière.
Tous les auteurs s'entendent sur la nécessité théorique de la règle du ouï-dire et des exceptions à cette règle. Les principes généraux à appliquer aux exceptions font également presque l'unani- mité, mais, leur application dans le détail et la mesure dans laquelle ils s'appliquent soulèvent des divergences d'opinion importantes. Comme c'est habituellement le cas, le Canada semble se situer à mi-chemin entre la jurisprudence américaine qui préconise une application élargie des exceptions et les tribunaux du Royaume-Uni, qui ont une opi nion plus conservatrice et plus rigide.
Dans l'arrêt Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608; 14 D.L.R. (3d) 4, la Cour suprême du Canada s'est prononcée sur une tout autre sorte d'exception à la règle du ouï-dire, à savoir l'admis- sion de dossiers d'hôpitaux à titre de preuve prima facie sans que témoignent effectivement les infir- mières, même si elles étaient disponibles. Toute- fois, en ce qui concerne l'espèce, cet arrêt n'en demeure pas moins très intéressant, parce qu'il illustre la façon dont s'appliquent les principes généraux relatifs au ouï-dire et aussi parce que la Cour a reconnu la nécessité du rôle actif des tribunaux en la matière et du besoin d'adapter le droit à la société moderne. Parlant au nom de la Cour, le juge Hall a mentionné aux pages 622 à 626 du recueil les difficultés relatives à cette bran- che particulière du droit. Il a décidé d'adopter
l'opinion de la minorité de la Chambre des lords dans Myers v. Director of Public Prosecutions, [1965] A.C. 1001, appuyant l'élargissement des exceptions apporté par les tribunaux. Le juge Hall a déclaré ce qui suit, aux pages 625 et 626 R.C.S.; 16 D.L.R.:
Même si Lord Donovan et Lord Pearce forment la minorité dans l'affaire Myers, je suis d'avis que cette Cour doit adopter et suivre l'opinion de cette minorité plutôt que de dire: «Ce droit prétorien doit être redéfini pour répondre aux besoins de la société moderne, mais nous devons laisser cette tâche au Parle- ment et aux dix législatures provinciales».
Selon la common law, les déclarations sont admissibles lorsqu'elles ont été faites par une per- sonne décédée, dans l'exercice ordinaire de ses fonctions, au moment les faits relatés se sont produits et si cette personne n'avait aucune raison de déformer ceux-ci. La règle de common law originale selon laquelle le témoin devait être décédé a par la suite été élargie pour inclure les cas les témoins éventuels ne sont pas disponi- bles. Les tribunaux ont jugé qu'étaient ainsi visés les cas d'aliénation mentale, de maladie empêchant effectivement un témoin d'être présent ainsi que d'absence du témoin du ressort judiciaire, lorsque celui-ci refuse de comparaître et n'est pas contrai- gnable. Aux États-Unis, l'impossibilité de témoi- gner pour des raisons liées aux affaires a constitué un motif valable d'exception à la règle du ouï-dire. Cependant, cette règle ne pose aucune difficulté en l'espèce, car les témoins sont décédés.
Il n'est pas nécessaire que les déclarations aient été faites à l'employeur ou au supérieur, mais elles doivent avoir été faites à un tiers. Cependant, les tribunaux anglais ont déjà admis les simples notes d'un défunt (Re Knapp's Settlement, [1952] 1 All E.R. 458 (Ch.D)). Un journal personnel ne serait pas admissible mais, à mon sens, un journal com mercial contenant des faits et des chiffres précis que l'auteur signalera probablement plus tard dans un rapport ou enregistrera officiellement dans le cadre de ses fonctions d'employé le sera. Il semble- rait tout à fait illogique de conclure qu'il ne l'est pas.
Quant à la fonction elle-même, même en Angle- terre, les tribunaux ont, depuis, complètement écarté dans de nombreux cas le principe rigide original selon lequel il ne pouvait s'agir d'une
fonction générale de faire un rapport ou d'enregis- trer des données, mais plutôt d'une fonction pré- cise, c'est-à-dire de faire un acte particulier et de l'enregistrer ou d'en faire rapport lorsqu'il est exé- cuté. Toutefois, une simple habitude ne faisant pas appel à la responsabilité n'est pas suffisante, et des questions connexes, qui ne sont pas liées à la fonction elle-même, ne seraient pas admissibles. Quant à la contemporanéité de la déclaration, il n'est pas nécessaire que celle-ci soit faite au moment le fait survient ou immédiatement après, mais seulement dès qu'il est raisonnable- ment possible de le faire après, compte tenu de la nature de la déclaration et des circonstances.
La crédibilité ou la fiabilité de la preuve est un autre élément dont le tribunal doit tenir compte avant d'admettre une preuve par ouï-dire. Il va presque sans dire que les déclarations ne doivent pas avoir été faites dans l'éventualité d'un litige et que le déclarant ne doit avoir aucun intérêt person nel à ne pas dire la vérité. Il ne doit avoir aucune raison de mentir. Toutefois, le tribunal doit aller au-delà de ces considérations et voir s'il y a une raison positive, par opposition à une raison néga- tive, pour laquelle la déclaration doit, selon toute probabilité, être fiable et véridique. Lorsqu'elle est faite en exécution d'une obligation envers un employeur ou un supérieur et qu'il existe un risque de censure si l'on n'exécute pas cette fonction et si l'on ne fait pas un rapport exact, les tribunaux ont considéré qu'il s'agit d'un motif très valable, sinon le plus valable de tous, pour se fier à la crédibilité de la preuve.
Il est évident que le témoignage d'opinion ne peut être accepté en vertu de cette exception à la règle du ouï-dire.
Cependant, il existe une nette différence entre le témoignage d'opinion faisant appel à des connais- sances pratiques spéciales ou scientifiques ou au jugement personnel, d'une part, et, d'autre part, une déclaration qui est en fait une déduction ou une conclusion fondée sur des faits ne nécessitant pas l'opinion d'un expert ou ne mettant pas vrai- ment en cause un jugement ou une opinion par opposition à une simple déduction à partir de faits connus. Une conclusion de fait est admissible lors- que quiconque ayant une connaissance des faits principaux peut y arriver normalement. Par exem- ple, la déclaration suivante «les peaux de castor se
vendent plus cher cette année que l'an passé» n'est pas une opinion mais une conclusion de fait tirée par une personne qui, dans la position de l'agent des Indiens à Fort St. John, aurait remarqué le prix auquel les peaux se vendaient au cours des deux années. Quant aux documents admis à titre de preuve de leur contenu, nous ne tiendrons pas compte des parties qui contiennent une opinion comme celle que nous venons de définir.
Dans certains cas, les tribunaux ont statué que le ouï-dire double est admissible lorsque la per- sonne qui a consigné les renseignements et celles qui les ont fournis sont décédées. Les tribunaux ont également admis, dans certains cas, le ouï-dire double même si les témoins étaient apparemment encore vivants; mentionnons les décisions Setak Computer Services Corporation Ltd. v. Burroughs Business Machines Ltd. et al. (1977), 76 D.L.R. (3d) 641 (H.C. Ont.); et R. v. Grimba and Wilder (1977), 38 C.C.C. (2d) 469 (C. de cté). Ces jugements portaient sur des pièces commerciales ordinaires. Dans la cause criminelle R. v. Mudie (1974), 20 C.C.C. (2d) 262 (C.A. Ont.), le juge en chef Gale de la Cour d'appel de l'Ontario, auquel s'est rallié le juge Kelly, a indiqué qu'il aurait admis le ouï-dire double dans cette affaire si les dispositions de l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada avaient été respectées. Naturellement, il s'agit d'une opinion incidente qui a néanmoins quelque valeur.
[TRADUCTION] Lorsqu'il est admissible en vertu de l'une de ces exceptions, le ouï-dire n'est pas exclu si un témoignage direct est disponible relativement aux mêmes faits. Les objec tions faites pour ce motif porteraient sur la force probante et non l'admissibilité (Phipson On Evidence, 11 e éd., p. 660)
Avant de clore le sujet des principes généraux et de la jurisprudence, j'aimerais préciser que lorsque l'authenticité d'un document n'est pas contestée et qu'une partie décide de le produire en preuve sans indiquer clairement à ce moment-là qu'elle ne le produit pas comme preuve des faits qui y sont mentionnés mais seulement à des fins accessoires précises, comme la preuve de l'intention de l'au- teur, la partie adverse peut, par la suite, invoquer la pièce à titre de preuve des faits qui y sont mentionnés, et la partie qui l'a produite en premier lieu ne peut prétendre plus tard au cours de l'ins- truction qu'elle l'avait présentée à une certaine fin seulement.
J'examinerai maintenant brièvement l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada. Voici le texte du paragraphe 30(1):
30. (1) Lorsqu'une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure judiciaire, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseigne- ments sur cette chose est, en vertu du présent article, admissible en preuve dans la procédure judiciaire sur production de la pièce.
Selon le paragraphe 30(12), le terme «affaires» désigne toute activité exercée ou opération effec- tuée par un ministère ou un département du gou- vernement. Le terme «pièce» comprend notamment «un document, un écrit ... ou une autre chose sur ... lesquels des renseignements sont écrits, enre- gistrés, conservés ou reproduits». Cette définition viserait par exemple des lettres, des rapports, des résolutions, manuscrites ou présentées sous une autre forme, et désignent naturellement beaucoup plus que les simples inscriptions comptables ou les dossiers hospitaliers officiels qui sont tenus de façon périodique. À mon avis, le paragraphe 30(11) est également assez important, car il con- tient les dispositions suivantes:
30....
(I 1) Les dispositions du présent article sont censées s'ajouter et non pas déroger
b) à tout principe de droit existant en vertu duquel une pièce est admissible en preuve ou une chose peut être prouvée.
Cette disposition protège toutes les règles de common law relatives à l'admissibilité et les excep tions à la règle du ouï-dire.
Lorsqu'on examine la jurisprudence et la doc trine sur la preuve, il faut bien faire la distinction entre les cas il est question d'une loi précise et ceux il s'agit plutôt de la common law, car, à certains moments, les juges et les auteurs ne préci- sent pas toujours s'ils se réfèrent à l'un ou à l'autre. De plus, il faut bien prendre en note les différences de libellé entre les dispositions des lois des divers ressorts et celles de la Loi sur la preuve au Canada.
Il faut lire l'ensemble des dispositions de l'article 30 en corrélation avec l'article 11 de la Loi d'in- terprétation [S.R.C. 1970, chap. I-23]. Voici le texte de l'article 11:
11. Chaque texte législatif est censé réparateur et doit s'in- terpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objets.
Examinons maintenant les catégories de docu ments auxquelles les demandeurs se sont opposés, mais auparavant, j'aimerais faire remarquer qu'en l'espèce, il est capital de se rappeler que les auteurs des documents en cause sont maintenant décédés. Il est également important de souligner que la grande majorité des documents ont été écrits il y a si longtemps qu'on pourrait presque les qualifier de documents historiques. La cession s'est produite en 1945, et nous examinons à l'heure actuelle des documents dont la grande majorité ont été rédigés il y a presque cinquante ans. La relation écrite de faits survenus il y a quatre décennies est, en réa- lité, vraisemblablement plus fiable et précise que la mémoire de témoins qui relatent peut-être ce qui s'est dit et fait sans se reporter à de tels documents.
En déclarant qu'un document est admissible quant à la véracité de son contenu, je le considére- rai seulement comme preuve prima facie des faits invoqués par l'avocat qui en a demandé l'admis- sion.
Quant aux comptes rendus écrits par Galibois et d'autres personnes aux autorités du ministère des Affaires indiennes, je ne doute nullement, d'après la preuve produite y compris les directives généra- les données aux agents des Indiens, qu'ils avaient l'obligation de faire un rapport au Ministère sur les conditions de vie des Indiens, l'état des réserves, etc. J'ai déjà parlé du fait que la loi n'exige plus que l'énoncé des fonctions précise les points exacts sur lesquels le rapport doit porter, faute de quoi la preuve serait inadmissible. A mon avis, le simple fait que certains aspects du contenu de leurs rap ports étaient laissés au jugement des agents des Indiens n'en fait pas moins des documents fournis dans le cours normal des affaires, en exécution de l'obligation de faire un rapport. Il faut se rappeler la grande diversité des conditions sociales, géogra- phiques et financières et celles en matière d'éduca- tion existant chez les différentes bandes indiennes du pays. Il n'est pas nécessaire de présenter un rapport type pour que celui-ci soit admissible. Au contraire, une telle pratique serait, dans le cas des bandes indiennes, non seulement illogique, mais elle pourrait également donner une fausse idée de la réalité.
Les avocats se sont opposés au fait que les agents des Indiens n'avaient aucune formation officielle en tant que telle. La preuve indique qu'ils ont reçu une certaine formation au cours de confé- rences et d'ateliers sur les diverses fonctions à remplir et qu'ils ont acquis de l'expérience sur le terrain. Je ne suis pas disposé à statuer que, si une personne n'a pas eu de formation officielle, le rapport qu'elle a pu faire en exécution de son obligation de présenter un rapport à un supérieur n'est pas acceptable en preuve. Les avocats des demandeurs ont également soutenu que, comme il n'y avait eu aucun échange de lettres au sujet de la vérification des sources par le supérieur, les sour ces n'avaient effectivement pas été vérifiées. Tou- tefois, des témoins ont déclaré que les sources étaient vérifiées par téléphone ou au cours d'une rencontre avec les agents lorsqu'il existait des doutes sur l'exactitude de leur rapport. Les lettres, même celles qui ne sont pas adressées au supérieur à qui l'auteur est tenu de faire le rapport, sont admissibles en vertu de l'article 30 lorsqu'elles sont adressées à un tiers, lorsque l'auteur décédé rem- plissait son obligation de faire un rapport à cette partie par exemple, comme en l'espèce, répondre à une demande visant à savoir si la réserve était en vente (pièce 311). Il ne fait aucun doute que l'auteur aurait eu de graves difficultés s'il avait signalé dans ce rapport qu'elle était en vente alors qu'elle ne l'était pas.
Il ne fait aucun doute que la question de la fiabilité ou de l'exactitude est importante lorsqu'on examine l'admissibilité de documents à titre de pièces commerciales en vertu de l'article 30 ou de la common law. À cet égard, je pense qu'il est plutôt étrange, sinon contradictoire, que les avo- cats des demandeurs ne prétendent maintenant avec vigueur que les documents en cause ne sont pas du tout crédibles et que, pour cette raison, ils ne doivent pas être produits en preuve afin d'éta- blir la véracité des faits qui y sont mentionnés, après avoir produit comme pièces des centaines de documents de même nature, ayant le même âge et provenant des mêmes sources et auteurs, dans l'intention évidente d'inviter la Cour à conclure qu'ils devraient servir de preuves, mais à une fin limitée, c'est-à-dire établir des questions accessoi- res comme l'état d'esprit et la ligne de conduite suivie.
M. Chamberlin, l'un des principaux experts des demandeurs, a témoigné au sujet de la formation, de la compétence, du dévouement à la cause des Indiens, de l'intégrité et du rôle général de liaison des agents des Indiens et des directeurs de district, ainsi que de leur importance comme sources de renseignements pour le ministère des Affaires indiennes concernant les Indiens, les conditions dans lesquelles ils vivent et leurs besoins. D'autres éléments de preuve portent également sur ces ques tions. Par conséquent, j'ai peu d'hésitation à con- clure que, de façon générale, il semble y avoir une preuve prima facie que leurs rapports seraient objectifs et, si jamais ils étaient partiaux, ils le seraient en faveur des Indiens plutôt qu'à leur désavantage.
Ceci dit, il faut examiner chacun des documents présentés pour voir si, à première vue ou compte tenu de tous les éléments de preuve connexes, chacun satisfait aux critères de crédibilité et d'ob- jectivité lui permettant d'être admis. La force pro- bante de la preuve est une autre question qu'il faudra examiner sous tous les angles plus tard, à la lumière de toutes les preuves produites pendant l'instruction. Toutefois, il faut prendre en considé- ration la force ou la valeur probante pour ce qui est de l'admissibilité à cette étape-ci, même si toute décision concluante à ce sujet doit normale- ment attendre, car tout dépendra finalement de la crédibilité et de la force qui sera finalement attri- buée à tous les éléments de preuve produits.
L'inspecteur Schmidtt a rédigé ses rapports (pièces 209 et 235) en 1941 et en 1943 en exécu- tion de ses fonctions d'inspecteur. Il était chargé de visiter les diverses régions et de faire des rap ports à cet égard. Outre ses observations person- nelles et les renseignements recueillis auprès des Indiens eux-mêmes, il se peut que les documents contiennent des renseignements provenant des agents des Indiens sur place ou d'autres sources, ce qui, naturellement, constituerait un ouï-dire double. M. Schmidtt exécutait ses fonctions d'ins- pecteur et, en l'absence d'une preuve contraire, il tentait selon toute probabilité d'établir les faits tels qu'ils existaient à cette époque et, à cette fin, il essayait d'obtenir les meilleurs renseignements possibles provenant des meilleures sources à sa disposition. Puisqu'il ne peut plus témoigner et que, probablement, toutes les autres personnes en
cause sont également décédées, ces rapports consti tuent la meilleure preuve, et peut-être même l'uni- que preuve maintenant disponible. À mon avis, ils devraient être admis. Toutefois, je préciserais que la seule partie admissible parmi les parties de la pièce 209 sur lesquelles les avocats de la défende- resse ont déclaré vouloir s'appuyer, sera celle por- tant sur les faits relatifs aux maisons (pages 2 et 3): les mentions se trouvant aux pages 7 et 8 sont inadmissibles, car elles consistent surtout en une opinion qui peut difficilement être dissociée des déclarations de fait.
Quant aux déclarations de fait contenues dans les rapports de l'inspecteur Schmidtt, et que la défenderesse désire invoquer, je dois conclure, à cette étape du moins, qu'elles sont probablement crédibles à moins que l'auteur, pour quelque motif inconcevable, n'ait eu l'intention de tromper ses supérieurs. Par conséquent, je considère que ces déclarations, faites de bonne foi, sont très crédi- bles. Toutefois, dans le cas de tous les documents, leur admissibilité ne constitue qu'une preuve prima facie, et toute conclusion de fait découlant de ceux-ci peut naturellement être restreinte ou contredite par d'autres éléments de preuve.
De nombreuses objections ont été soulevées à l'égard de l'admission des résolutions des conseils de bande (R.C.B.). Les demandeurs ont maintenu que si un document réputé énoncer ce qui avait été décidé devait être présenté, il aurait alors être libellé en ce sens; les termes utilisés ne reflètent pas la situation et ne décrivent pas bien les circons- tances; il ne s'agit pas de documents faisant état de ce que les gens ont fait et décidé; les documents n'ont pas été rédigés pour constituer une pièce justificative mais simplement par suite d'une mesure administrative; ils n'ont pas été produits comme documents décrivant ce que les gens com- prenaient et avaient l'intention de faire dans le détail.
Je ne puis souscrire à cet argument: au con- traire, j'estime que ces écrits ont été produits pour servir de documents faisant état de ce que les Indiens ont décidé, même si, de toute évidence, ils ne décrivent pas très bien la façon dont les déci- sions ont été prises. Il est clair qu'aucun Indien n'a déclaré proposer ou appuyer une motion et qu'au- cun vote officiel à l'égard d'une motion n'a été pris, conformément à la procédure parlementaire.
En fait, le terme même de «résolution» cadre beau- coup mieux avec une réunion d'un conseil d'admi- nistration. Il ne pourrait s'appliquer à ce qui se voulait l'enregistrement des désirs de la majorité des Indiens cri-dunne-za présents à une assemblée de la bande dûment convoquée ou à une assemblée de leur conseil. Le Ministère exigeait les R.C.B. afin d'autoriser la dépense de fonds s'ajoutant au crédit de la bande. Lorsque le Ministère le jugeait souhaitable ou lorsque la bande n'avait pas suffi- samment de fonds disponibles immédiatement, dans le compte des produits par exemple, l'argent provenait des fonds généraux alloués par le Parle- ment au ministère des Affaires indiennes.
La fonction fondamentale de l'agent des Indiens était d'aider la bande, de la conseiller et de l'assis- ter dans ses rapports avec le ministère des Affaires indiennes et de tenter également de donner suite à ses désirs, mais il n'y a aucun doute que lorsque les bandes étaient, comme en l'espèce, assez peu évo- luées, l'agent était censé prendre les mesures qui pouvaient s'imposer pour le bien-être de la bande et discuter avec celle-ci de l'opportunité de deman- der certaines choses au Ministère.
L'objection des avocats des demandeurs, selon laquelle rien n'indique qui faisait les suggestions en premier pour ce qui est des diverses dépenses, par exemple, n'est pas tellement valable si la déci- sion ultime était que tous s'étaient entendus sur les dépenses indiquées.
Le libellé détaillé des résolutions contenait des erreurs manifestes, comme la description de la bande, mais, selon moi, celles-ci ne sont pas impor- tantes au point de rendre les documents inadmissi- bles. Par exemple, le simple fait que la bande indienne des Castors était décrite comme les «Cas- tors» et que, selon la formule imprimée, il s'agissait d'une résolution de la bande des Castors, à titre de «propriétaires» de la réserve à Doig (ou à Blue berry), alors qu'au moment même la résolution avait été adoptée, les bandes en cause n'étaient pas encore les propriétaires véritables des réserves décrites, n'a aucun effet sur la validité de la partie essentielle de la résolution portant que les bandes désiraient autoriser la dépense de certaines sommes à des fins précises.
De toute évidence, les formules imprimées des R.C.B. étaient destinées à transmettre des rensei- gnements et devaient être utilisées par toutes les bandes indiennes du pays, y compris celles qui étaient assez évoluées du point de vue social et du point de vue de l'éducation. Il serait ridicule d'ima- giner, comme les avocats des demandeurs semblent le laisser entendre, que les formules et procédures devraient être conçues et préparées à l'intention des diverses bandes selon leur degré d'instruction ou d'évolution. Je n'accepte pas l'argument selon lequel il faut prouver l'exactitude de chaque mot d'une résolution ou du procès-verbal d'une réu- nion, même si ces mots ne portent pas sur le fond, pour que le document soit accepté en preuve en vertu du paragraphe 30(1).
Enfin, les R.C.B. sont de toute manière admissi- bles. Elles sont censées avoir été signées par les membres du conseil et attestées par Galibois, et comme les deux parties en ont reconnu l'authenti- cité, elles sont donc réputées, aux fins de l'instruc- tion, avoir été signées par les personnes qui y sont nommées. Puisque celles-ci sont parties à l'action, les documents sont alors admissibles à toutes fins à titre de déclarations écrites faites contre l'intérêt des parties à l'action. Les demandeurs soutiennent que les Indiens ne savaient pas ce qu'ils signaient. Même si cette affirmation s'avérait juste après le dépôt de tous les éléments de preuve et même si, par conséquent, l'effet juridique voulu de ces docu ments était complètement annulé et la validité ou la valeur probante des déclarations de fait qui s'y trouvent était complètement détruite, ces docu ments sont toujours admissibles à l'heure actuelle à titre de preuve présentée à toutes fins, indépen- damment de l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada ou de toute autre exception de common law à la règle du ouï-dire.
Les remarques relatives aux R.C.B. s'appli- quent, de façon générale, aux autres documents officiels comme les consentements à l'acceptation de nouveaux membres dans la bande, lorsque le chef et les conseillers attestent qu'une assemblée générale de la bande a été convoquée afin d'autori- ser un Indien à devenir membre de la bande.
Comme les Indiens, lorsqu'ils étaient tenus de signer, apposaient un «X» et comme les documents étaient rédigés en anglais, il est bien évident qu'ils ne comprenaient pas le sens exact des termes et
qu'ils ne pouvaient lire eux-mêmes les documents. Cependant, rien n'indique qu'ils ne comprenaient pas le fond des résolutions elles-mêmes ou des questions discutées, à savoir des demandes d'auto- risation de dépense concernant l'achat de certains articles, le paiement d'intérêts aux membres de la bande, le paiement de prestations d'aide sociale, etc.
Quant aux procès-verbaux des réunions des con- seils de bande, il n'y a presque aucun doute que celles-ci ne se déroulaient pas selon la procédure parlementaire, c'est-à-dire que personne ne propo- sait ni n'appuyait une motion et aucun vote officiel n'était pris. Le simple fait que Galibois a décidé d'inscrire dans les rapports que les motions avaient été proposées ou proposées et appuyées (le nom des personnes n'étant pas donné) n'a trompé personne, j'en suis certain, surtout pas le ministère des Affai- res indiennes, lors de la réception des résolutions; il en est de même de ces documents qui, lus en corrélation avec les R.C.B. et les comptes rendus, qui sont des plus importants, ne tromperaient per- sonne sur l'objet des motions et des résolutions ainsi que des mesures approuvées aux réunions du conseil.
À cet égard, je dois dire qu'il ne faut pas prendre chacun des documents séparément. L'exa- men d'un document ne doit pas se faire abstraction faite des autres, en particulier s'ils ont tous été produits en même temps et s'ils portent sur le même fait ou la même série de faits. Par exemple, les listes de traités doivent être lues avec les rap ports d'accompagnement et tous les procès-ver- baux ou détails des réunions elles-mêmes, docu ments qui portent tous sur le même fait ou la même série de faits, à condition, naturellement, qu'ils semblent raisonnablement avoir été rédigés en même temps et dans le cours normal des affaires.
Les demandeurs ont également soutenu que les rapports de l'agent des Indiens devraient être reje- tés parce qu'ils constituent un ouï-dire double, du moins en ce qui concerne les renseignements prove- nant des Indiens eux-mêmes. Il semble que l'agent des Indiens aurait pu, à certains moments, commu- niquer avec des Indiens en pidgin, mais il était également obligé de communiquer avec d'autres personnes par l'intermédiaire d'un interprète. Son rapport écrit sur les renseignements reçus de l'in- terprète constituerait donc un ouï-dire double, puisque ce dernier disait d'abord à l'agent, en
anglais, ce que l'Indien avait déclaré dans la langue crie ou la langue castor. En outre, l'inter- prète n'était pas, de toute évidence, un interprète officiel et il n'avait pas prêté serment de traduire fidèlement les propos du témoin.
Il ne fait aucun doute que, dans ces circons- tances, les rapports constituent un ouï-dire double, mais à mon avis, il s'agit d'un type de ouï-dire double qui doit manifestement être admis. Rien ne permet de croire que l'interprète qui, selon toute probabilité, appartenait à la même bande que les Indiens avec lesquels la conversation était engagée, serait partiale à l'égard des Indiens ou aurait des motifs de ne pas bien rendre ce que l'une ou l'autre des parties avait dit. S'il y avait partialité, ce serait très probablement en faveur des Indiens dont l'avocat s'oppose maintenant à la production des documents. Quoi qu'il en soit, on doit présumer que les deux parties à la conversation ont accepté dans chaque cas d'avoir recours à l'interprète, et ce dernier devrait donc être considéré simplement comme un intermédiaire qui transmet les paroles de chaque partie. Il est fort possible que des erreurs se produisent dans la compréhension ou la communication du message, ce qui arrive souvent même lorsqu'il n'y a pas d'interprète. Toutefois, ce n'est pas une raison pour rejeter la preuve, en particulier dans les circonstances de l'espèce. La crédibilité demandée par cette exception à la règle du ouï-dire n'exige pas que la Cour soit absolu- ment convaincue que la preuve ne contient aucune erreur humaine. Une telle norme de preuve serait, en soi, non réaliste et ne tiendrait pas compte de la faiblesse humaine à laquelle nous sommes tous soumis.
Si l'on devait considérer comme un ouï-dire inadmissible les conversations tenues par l'inter- médiaire d'un interprète dans de telles circons- tances, alors, même si Galibois ou quiconque d'au- tre était vivant et tentait de témoigner oralement au sujet des conversations tenues avec les Indiens, aucun de ces témoignages ne serait admissible. L'inverse serait également vrai dans le cas des Indiens qui tenteraient de témoigner au sujet de ce que Galibois ou quiconque d'autre aurait pu dire en anglais. À mon sens, un tel résultat, surtout dans le contexte actuel, ne serait rien de moins que ridicule.
Le texte du message du 16 mars 1987, joint à l'annexe A des présents motifs, est confirmé sous réserve naturellement des éclaircissements appor- tés aux présentes.
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