A-620-86
Fonds international pour la défense des animaux,
Inc., Stephen Best et Brian D. Davies (appelants)
c.
La Reine, Ministre des Pêches et Océans, Minis-
tre de la Justice et Procureur général du Canada
(intimés)
RÉPERTORIÉ: FONDS INTERNATIONAL POUR IA DÉFENSE DES
ANIMAUX, INC. C. CANADA (C.A.)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Mahoney—
Toronto, 29 janvier et 9 février 1988.
Pratique — Parties — Intervention — L'Association cana-
dienne des libertés civiles tente d'intervenir dans l'appel inter-
jeté contre la décision dans laquelle il est statué que le
Règlement sur la protection des phoques viole le droit à la
liberté d'expression garanti par la Charte, mais que sa justifi
cation peut se démontrer — La requérante tente d'établir que
le droit de manifester est compris dans la liberté d'expression
— Ce point n'a pas été soulevé au procès, et les parties ne se
sont pas proposées de le soulever en appel — La demande est
rejetée — Il importe, lorsqu'il s'agit de questions fondées sur
la Charte soulevées pour la première fois, que les tribunaux
aient la possibilité d'entendre des arguments de tous les sec-
teurs de la collectivité — La question dont veut traiter un
intervenant doit au moins avoir été soulevée au procès, parti-
culièrement si une partie s'oppose à l'intervention.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Il importe,
lorsqu'il s'agit de questions fondées sur la Charte soulevées
pour la première fois, que les tribunaux aient la possibilité
d'entendre des arguments de tous les secteurs de la collectivité
— L'Association canadienne des libertés civiles tente d'interve-
nir dans l'appel interjeté dans une affaire mettant en cause la
liberté d'expression pour établir que cette liberté comprend le
droit de manifester — La demande est rejetée parce que la
question n'a pas été soulevée au procès et les parties n'enten-
daient pas la soulever en appel.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1, 2b).
Règlement sur la protection des phoques, C.R.C., chap.
833, art. 1 1(5),(6) (mod. par DORS/78-167, art. 3).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Re Canadian Labour Congress and Bhindi et al. (1985),
17 D.L.R. (4th) 193 (C.A.C.-B.); Re Schofield and
Minister of Consumer and Commercial Relations
(1980), 112 D.L.R. (3d) 132 (C.A. Ont.).
AVOCATS:
D. V. MacDonald pour les appelants.
John B. Laskin pour l'Association canadienne
des libertés civiles.
Urszula Kaczmarczyk pour les intimés.
PROCUREURS:
McMillan, Binch, Toronto, pour les appe-
lants.
Tory, Tory, DesLauriers & Binnington,
Toronto, pour l'Association canadienne des
libertés civiles.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: L'Association canadienne
des libertés civiles, requérante, demande à interve-
nir en l'espèce à titre d'amicus curiae. Les appe-
lants appuient sa demande mais les intimés s'y
opposent.
L'appel doit être entendu dans deux mois. Il
s'agit d'un appel d'un jugement publié de la Divi
sion de première instance, [1987] 1 C.F. 244,
déclarant notamment que certaines dispositions du
Règlement sur la protection des phoques, C.R.C.,
chap. 833, portaient atteinte à la liberté d'expres-
sion des appelants garantie par l'alinéa 2b) de la
Charte canadienne des droits et libertés [qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] mais qu'il s'agissait de limites
justifiables. Les dispositions en cause sont les para-
graphes 11(5) et (6) [mod. par DORS/78-167,
art. 3].
11. ...
(5) Sauf avec la permission du Ministre, il est interdit
a) d'atterrir en hélicoptère ou autre aéronef à moins de '
mille marin d'un phoque qui se trouve sur la glace dans la
région du Golfe ou dans la région du Front; ou
b) de survoler en hélicoptère ou dans un autre aéronef, à une
altitude de moins de 2,000 pieds, un phoque qui se trouve sur
la glace, sauf s'il s'agit d'un vol commercial suivant un plan
de vol établi.
(6) À moins d'être titulaire d'un permis, il est interdit
d'approcher à moins d'un demi-mille marin de toute région où
une chasse aux phoques est en cours.
La question constitutionnelle, qui est le seul
point litigieux à l'égard duquel la requérante vise à
obtenir la permission d'intervenir, a été énoncée
par le juge de première instance dans les termes
suivants, à la page 256:
La question qui doit être tranchée est donc de savoir si le
Règlement refuse aux demandeurs la liberté d'expression
garantie par l'alinéa 2b) de la Charte. Ils prétendent que cette
liberté doit être interprétée comme incluant «la liberté de
rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des
idées de toute espèce», sous une forme orale ou écrite, sous
forme de photographie ou de tout autre moyen de communica
tion. Bien que le FIDA soit incontestablement un protestataire
redoutable, le point essentiel de l'affaire ne porte pas sur le
droit de protestation en soi. Selon la preuve des demandeurs,
ces derniers n'ont jamais gêné délibérément les chasseurs de
phoques. Leur objectif avoué est l'accès à l'information plutôt
que les altercations et la confrontation.
La conclusion selon laquelle la liberté d'expression
des appelants incluait le droit d'obtenir de l'infor-
mation n'est pas en cause en appel. Elle est admise
par les intimés.
L'affidavit de M. A. Alan Borovoy, déposé à
l'appui de la demande d'intervention, énonce ce
qui suit:
[TRADUCTION] 18. Si elle obtient permission d'intervenir, l'As-
sociation compte affirmer que la liberté d'expression garantie à
l'alinéa 2b) de la Charte comprend le droit de manifester en
vue d'exercer une pression sociale et d'attirer la réprobation
publique contre ceux qui participent à des activités considérées
comme répréhensibles par ceux qui désirent manifester. En
outre, l'Association compte déclarer que le Règlement lui
refuse l'exercice de ce droit d'une manière qui ne peut être
justifiée en vertu de l'article 1. Ce refus, soutiendra-t-elle, n'est
pas atténué en l'espèce par le fait que les appelants disposent
d'autres moyens de persuasion. Le moyen défendu par le Règle-
ment est celui qui aurait vraisemblablement le plus d'effet sur
les chasseurs de phoques. Tous les autres moyens de persuasion
sont exercés loin des chasseurs de phoques et n'ont donc pas le
même effet que des manifestations directes.
Il ne s'agit pas d'un point soulevé par les appelants
en première instance ou dans leur mémoire en
appel. Tout ce que l'on pourrait affirmer, c'est que
le juge de première instance a bel et bien déclaré, à
la page 263, en ce qui concerne la justification
prévue à l'article 1, que «la banquise n'était guère
un endroit indiqué pour faire des protestations» et
ce, après avoir conclu ce qui suit:
Il y a une distinction très subtile entre le fait de chercher de
l'information afin de mener une campagne efficace de protesta
tion contre une activité commerciale légale et le fait de protes
ter contre cette activité sur les lieux mêmes où elle se déroule.
Les appelants se proposent aussi de déclarer que
le Règlement n'est pas suffisamment précis pour
justifier la restriction d'un droit garanti par la
Charte. Vu leur mémoire, je déduis que les appe-
lants peuvent soutenir une telle affirmation. La
requérante, cependant, n'a pas présenté sa
demande d'intervention dans ce but.
C'est l'inclusion du droit de manifester dans le
cadre de la liberté d'expression garantie par la
Charte que la requérante désire établir. Cette
question n'a pas été soulevée en première instance,
et elle ne devait pas l'être en appel. En fait, les
appelants ont expressément témoigné qu'ils
n'avaient pas eu l'intention de soulever cette
question.
Je suis plutôt enclin à souscrire à l'opinion du
juge d'appel Anderson dans l'affaire Re Canadian
Labour Congress and Bhindi et al. (1985), 17
D.L.R. (4th) 193 (C.A.C.-B.), à la page 204 selon
laquelle
[TRADUCTION] ... il importe, dans le cas de questions contes-
tées en vertu de la Charte pour la première fois, que les
tribunaux entendent les opinions de tous les secteurs de la
population. Les tribunaux ne devraient pas décourager mais
bien encourager une telle participation.
Dans l'affaire Re Schofield and Minister of Con
sumer and Commercial Relations (1980), 112
D.L.R. (3d) 132 (C.A. Ont.) à la page 141, le juge
d'appel Thorson a envisagé l'hypothèse d'une
demande d'intervention par un requérant placé
dans la même situation, dont aucun droit ni
aucune obligation ne sont en jeu:
[TRADUCTION] ... on pourrait envisager un requérant n'ayant
aucun intérêt direct dans l'issue de l'appel mais qui, en raison
des questions particulières qu'il soulève, a un intérêt tel qu'il se
trouve dans une situation particulièrement avantageuse et peut-
être même unique en son genre pour éclaircir un élément donné
de l'appel que la Cour devrait examiner mais qui, n'était-ce
l'intervention du requérant, ne ressortirait peut-être pas, vu les
intérêts tout à fait divergents des parties immédiates à l'appel.
En admettant que la requérante réponde à ces
critères, je suis convaincu que la question que
cherche à faire trancher un intervenant à l'appel
devrait au moins avoir été soulevée en première
instance. À défaut de cela, il ne s'agit pas d'un
point litigieux qui devrait être retenu par une cour
d'appel, malgré l'opposition d'une partie, ne
serait-ce que parce que la partie n'a pas eu une
occasion équitable de se pencher sur la question et
de soumettre une preuve pertinente.
Je rejette cette demande.
LE JUGE HEALD: J'y souscris.
LE JUGE URIE: J'y souscris.
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