Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-142-87
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
Vanguard Coatings and Chemicals Ltd. (intimée)
RÉPERTORIÉ: VANGUARD COATINGS AND CHEMICALS LTD. C. M.R.N.
Cour d'appel, juges Pratte, Urie et MacGuigan— Vancouver, 8 et 9 juin; Ottawa, 18 juillet 1988.
Douanes et accise Loi sur la taxe d'accise Pouvoir du ministre de déterminer, sous le régime de l'art. 34, un prix raisonnable de vente de marchandises Le ministre a outre- passé sa compétence prévue par la loi en examinant seulement un critère pertinent sur au moins trois Tout en examinant l'existence d'un niveau de distribution comparable au rôle de la société mère de l'intimée dans le secteur d'activité économi- que en général, le ministre aurait examiner les prix exter- nes concurrentiels, le coût des ventes, la marge sur coût d'achat et la marge de profit de l'intimée pour arriver à un prix raisonnable.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Le ministre s'est fondé sur l'art. 34 de la Loi sur la taxe d'accise pour déterminer un prix de marchandises raisonnable Le minis- tre a-t-il outrepassé sa compétence en omettant d'examiner des éléments pertinents ou sans tenir compte de considérations pertinentes? Il n'est pas raisonnable de déterminer un prix en n'utilisant qu'un critère pertinent sur au moins trois Détermination annulée.
Droit constitutionnel Primauté du droit Pouvoir du ministre sous le régime de l'art. 34 de déterminer un prix raisonnable de vente de marchandises L'art. 34 n'est pas inconstitutionnel parce que violant la primauté du droit, malgré l'inexistence de lignes directrices ou directives pour l'exercice du pouvoir, ou d'un droit d'appel La primauté du droit ne comprend pas le droit d'appel Le pouvoir discré- tionnaire du ministre de déterminer un prix raisonnable n'est pas entièrement subjectif puisque le mot «faim (raisonnable) est toujours employé par la loi pour exprimer des normes objectives.
Droit constitutionnel La délégation au ministre du pou- voir, prévu à l'art. 34 de la Loi sur la taxe d'accise, de déterminer un prix raisonnable est-elle une délégation incons- titutionnelle de pouvoir discrétionnaire? Le principe améri- cain de la séparation des pouvoirs ne s'applique pas à une constitution fondée sur un gouvernement responsable L'«in- constitutionnalité., s'il en est, n'entraîne aucune conséquence juridique.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Il n'y a pas eu violation de l'art. 7, puisque l'imposition d'une corporation ne constitue pas une menace à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, ce concept se rapportant au bien-être physique d'une personne physique.
L'intimée est un fabricant de produits de finition appliqués au pinceau. Elle vendait pratiquement toute sa production à sa société mère qui, à son tour, vendait les produits à d'autres sociétés. Ainsi que l'exige l'article 50 de la Loi sur la taxe d'accise, l'intimée a dûment remis chaque mois la taxe de vente requise calculée en fonction du prix de vente du fabricant, conformément à l'article 27 de la Loi. Le prix était équivalent au coût calculé par l'intimée et majoré de 25 %.
Par suite de discussions avec l'intimée, le ministre s'est fondé sur l'article 34 de la Loi pour déterminer que le prix de vente raisonnable aurait être le prix que la société mère avait fait payer à ses grossistes, moins les rabais applicables, ce qui a fait augmenter la taxe d'accise due par l'intimée.
En établissant le prix raisonnable, le ministre n'a pas com- paré les prix des produits semblables vendus par d'autres fabricants, et il n'a pas procédé à ;a vérification du coût des ventes, de la marge sur coût d'achat et de la marge de profit de la demanderesse. Le ministre n'a pas cru bon de tenir compte du calcul du prix de vente fait par l'intimée, selon la formule du coût majoré d'un taux de marge. Au lieu de cela, il s'est appuyé sur sa détermination qu'il n'existait aucun niveau de distribu tion comparable au rôle de la société mère dans le secteur d'activité économique en général; selon le ministre, normale- ment les fabricants vendaient leurs produits directement aux grossistes. Il a conclu que l'intimée se verrait accorder un avantage fiscal à moins de déterminer que le prix raisonnable était le prix de vente que la société mère faisait payer à ses grossistes.
Le juge de première instance a annulé la décision du minis- tre, et il a accordé un jugement , déclaratoire portant que l'article 34 était inconstitutionnel du fait qu'il était contraire au principe de la primauté du droit puisqu'il prévoyait l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire qu'aucune règle ni aucune direc tive n'entravait, et qu'il n'existait, à l'époque, aucun droit d'appel. Il a également statué que le ministre avait commis une erreur de droit en déterminant que le «prix raisonnable» prévu à l'article 34 devait être fixé en fonction de la réalité commer- ciale et non en fonction des conditions ayant servi à déterminer le prix de vente entre le vendeur et l'acheteur.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli en partie. La décision du juge de première instance d'infirmer l'ordonnance du ministre devrait être confirmée.
Le juge MacGuigan: Rien dans la jurisprudence ni dans la Constitution ne permet de faire droit à l'argument de l'intimée selon lequel l'article 34 contient une délégation inconstitution- nelle de pouvoir discrétionnaire. Le principe constitutionnel américain de la séparation des pouvoirs ne s'applique pas à une constitution fondée sur un gouvernement responsable. Comme dans l'affaire Résolution pour modifier la Constitution, l'«in- constitutionnalité», s'il en est, n'entraîne aucune conséquence juridique.
La question de savoir si la sécurité économique est incluse dans la protection de la «liberté» et de la «sécurité de la personne» figurant à l'article 7 n'est pas encore tranchée. Il est toutefois inutile de trancher cette question en l'espèce, puis- qu'on attribue uniquement aux personnes physiques les élé- ments vie, liberté et sécurité de la personne.
L'article 34 n'est pas inconstitutionnel parce que contraire au principe de la primauté du droit. Les auteurs de manuels
proposent que les tribunaux doivent utiliser ces notions pour démontrer laquelle des deux interprétations possibles est la meilleure; ils ne laissent pas entendre que les tribunaux devraient refuser d'appliquer un texte législatif qui est clair. La primauté du droit n'a jamais été considérée comme incluant un droit d'appel, qui est strictement une création de la loi. Le pouvoir discrétionnaire du ministre de déterminer un prix rai- sonnable n'est pas entièrement subjectif, puisque le mot «fair» et le mot «raisonnable» en français ont toujours été utilisés pour exprimer des normes objectives.
Le ratio decidendi de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans The King v. Noxzema Chemical Company of Canada Ltd., affaire semblable à l'espèce, selon lequel une décision purement administrative n'est pas susceptible de contrôle judi- ciaire, n'a plus cours par suite de l'évolution ultérieure du droit. Il ne fait plus de doute que même les décisions purement administratives sont susceptibles de contrôle judiciaire. Puis- que, en l'espèce, la contribuable a eu droit à une audition impartiale, il reste seulement à déterminer si le ministre a outrepassé la compétence qu'il tient de la loi en omettant d'examiner des éléments pertinents, ou en exerçant son pouvoir sans tenir compte de considérations pertinentes.
L'existence d'un niveau de distribution dans le secteur d'acti- vité économique en général est une question raisonnable, mais appliquer ce critère seul est déraisonnable. Seuls les prix extrin- sèques concurrentiels permettent d'arriver à un prix concurren- tiel, qui serait un prix raisonnable. De même, pour déterminer si un prix a été fixé au-dessous du coût exigerait une analyse du coût des ventes, de la marge sur le coût d'achat et de la marge de profit. Une interprétation de la Loi qui ne tient compte que d'un seul critère pertinent sur au moins trois ne saurait être considérée comme juste ni raisonnable.
Le juge Pratte, dissident en partie: En exerçant le pouvoir discrétionnaire qu'il tient de l'article 34, le ministre n'a ni omis d'examiner des éléments pertinents ni agi sans tenir compte de considérations pertinentes. Il incombe au ministre de détermi- ner le prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être imposée, et non le prix juste du marché. Lorsqu'un fabricant vend ses produits à une personne dans des conditions de non-concur rence, le ministre, pour décider si l'intervention de la société mère a artificiellement baissé le prix de vente des produits, doit faire une étude du secteur d'activité économique concerné pour décider si la société mère joue le même rôle dans la commercia lisation des produits que ceux qui achètent de semblables marchandises à d'autres fabricants. Puisque le ministre a conclu que les fabricants avaient pour pratique normale, dans ce secteur d'activité économique, de vendre leurs produits direc- tement à des grossistes plutôt qu'à des distributeurs, il peut en déduire que, en prenant des dispositions pour que sa société mère assume les coûts de distribution de ses produits, le fabri- cant a baissé son prix de façon factice, et qu'il bénéficiera d'un avantage fiscal inéquitable à moins que la taxe ne soit imposée sur le prix de vente que la société mère fait payer à ses grossistes.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1).
Loi spéciale des revenus de guerre, S.R.C. 1927, chap. 179, art. 98 (mod. par S.C. 1932-33, chap. 50, art. 20).
Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 27, 34, 50, 51.1, 51.39 (ajouté par S.C. 1986, chap. 9, art. 37).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procu- reur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274 (1" inst.); [1987] 2 C.F. 359 (C.A.); Ridge v. Baldwin, [1964] A.C. 40 (H.L.); R. v. Higgins (1987), 40 D.L.R. (4th) 600 (C.A. Sask.); Healey v. Ministry of Health, [1954] 3 All E.R. 449 (C.A.); Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau c. Comité de discipline de l'Insti- tution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Prince George (Ville de) c. Payne, [1978] 1 R.C.S. 458.
DÉCISIONS NON SUIVIES:
The King v. Noxzema Chemical Company of Canada Ltd., [1942] R.C.S. 178; 2 DTC 542, infirmant [1941] R.C.E 155; 2 DTC 519; Re Fisherman's Wharf Ltd. (1982), 40 N.B.R. (2d) 42; 135 D.L.R. (3d) 307 (B.R.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
A.L.A. Schechter Poultry Corporation et al. v. United States of America, 295 U.S. 495 (1935); Vestey v. Inland Revenue Comrs. (Nos. 1 and 2), [1980] A.C. 1148 (H.L.); Krag-Hansen, S. et autre c. La Reine (1986), 86 D.T.C. 6122 (C.A.F.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753; Re Estabrooks Pontiac Buick Ltd. (1982), 44 N.B.R. (2d) 201 (C.A.); Renvoi: Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; 19 D.L.R. (4th) 1; [1985] 4 W.W.R. 385; Welsh v. The King, [1950] R.C.S. 412; Cooper v. Wandsworth Board of Works (1863), 143 E.R. 414 (C.P.); Board of Education v. Rice, [1911] A.C. 179 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Attorney General v. Wilts United Dairies, Limited (1922), 38 T.L.R. 781 (H.L.); Gruen Watch Company of Canada Limited et al. v. A.-G. of Canada (1950), 4 D.T.C. 784 (C.S. Ont.), faisant l'objet d'un appel sous l'intitulé Bulova Watch Co. Ltd. et al. v. Atty.-Gen. of Canada (1951), 5 D.T.C. 462 (C.A. Ont.); Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; 17 D.L.R. (4th) 422; 14 C.R.R. 13; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres,
[1985] 1 R.C.S. 441; 18 D.L.R. (4th) 481; 59 N.R. 1; 13 C.R.R. 287; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; 24 D.L.R. (4th) 536; 18 C.R.R. 30; Canada, carrying on business under the firm name and style of Eve Studio et al. v. City of Winnipeg (1984), 28 Man. R. (2nd) 211 (B.R.); R. v. Robson (1985), 19 D.L.R. (4th) 112 (C.A.C.-B.); Mia v. Med. Services Comm. of B.C. (1985), 61 B.C.L.R. 273; 17 D.L.R. (4th) 385 (C.S.); Gershman Produce Co. v. The Motor Trans port Board (Man.) (1985), 36 Man. R. (2nd) 81; 15 C.R.R. 68 (C.A.); R. v. Neale (1986), 46 Alta, L.R. (2d) 225; 26 C.R.R. 1 (C.A.); Bassett v. Canada (Govern- ment) et al. (1987), 53 Sask. R. 81; 35 D.L.R. (4th) 537 (C.A.).
DOCTRINE
Dicey, A. V. Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 8th ed. London: MacMillan & Co., 1931. Jones, David Phillip and de Villars, Anne S., Principles of Administrative Law, Toronto: The Carswell Com pany Limited, 1985.
Linden, Allen M., Canadian Tort Law, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1982.
Wade, E. C. S. and Phillips, G. Godfrey Constitutional
Law, 3rd ed. London: Longman's Green & Co., 1946. Wade, H. W. R., Administrative Law, 4th ed. Oxford:
Clarendon Press, 1977.
AVOCATS:
Johannes A. Van Iperen, c.r. et Barbara A. Burns pour l'appelante.
Craig C. Sturrock et W. H. G. Heinrich pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.
Birnie, Sturrock & Co., Vancouver, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident en partie): J'ai pris connaissance des motifs de jugement rédigés par mon collègue le juge MacGuigan. Avec tout le respect que je lui dois, je ne suis pas d'accord avec lui sur un seul point. J'estime que, contrairement à ce qu'a dit mon collègue, le ministre, dans l'exer- cice du pouvoir discrétionnaire qu'il tient de l'arti- cle 34 de la Loi sur la taxe d'accise [S.R.C. 1970, chap. E-13], n'a pas omis d'examiner des éléments pertinents, et qu'on ne saurait dire qu'il a agi sans tenir compte de considérations pertinentes.
Il importe de se rappeler tout d'abord que, comme le précisent les motifs de la majorité dans l'affaire The King v. Noxzema Chemical Com pany of Canada Ltd., [1942] R.C.S. 178; 2 DTC 542, le pouvoir du ministre prévu à l'article 34 ne consiste pas à déterminer [TRADUCTION] «ce qui serait le juste prix du marché ou compte tenu de l'existence ou l'absence de concurrence», mais ce qui est, à son avis «le prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être imposée». Cela dit, le point de vue du ministre, selon mon interprétation de la preuve, est qu'il existe deux différentes situations un fabricant peut vendre ses produits au-dessous du prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être imposée. C'est tout d'abord le cas du fabricant qui vend ses marchandises à perte ou à un prix insuffi- sant pour qu'il gagne des bénéfices raisonnables, auquel cas le ministre ne saurait, à l'évidence, tirer de conclusion sans procéder à la vérification du coût des ventes, de la marge sur coût d'achat et de la marge de profit du fabricant. Mais ce cas ne nous concerne pas.
Il y a en deuxième lieu le cas du fabricant qui vend ses produits à une personne dans des condi tions de non-concurrence. C'est le cas en l'espèce: l'intimée est la filiale en propriété exclusive de Flecto Coatings Ltd., et elle vend à celle-ci les produits qu'elle fabrique. Dans une telle situation, l'intervention de la société mère est quelque peu artificielle puisque, dans un sens, la société qui traite avec sa filiale en propriété exclusive traite avec elle-même. C'est pour cette raison que le ministre juge, dans ces circonstances, nécessaire de faire enquête pour savoir si l'intervention de la société mère, qui consiste à baisser le prix de vente du produit fabriqué, entraîne un avantage fiscal inéquitable pour le contribuable. Il sera facile pour le ministre de conclure à l'inexistence d'une telle injustice s'il constate que les acheteurs des pro- duits de la société fabricante sont à la fois la société mère et des tiers, et que les produits sont vendus au même prix pour tous les acheteurs. Toutefois, lorsque, comme en l'espèce, substantiel- lement toute la production de la société fabricante est destinée à la société mère, le ministre, pour décider si l'intervention de la société mère a artifi- ciellement baissé le prix de vente des produits, doit faire une étude du secteur d'activité économique concerné pour déterminer si la société mère joue le même rôle dans la commercialisation des produits
que ceux qui achètent de semblables marchandises à d'autres fabricants. Par exemple, si, comme en l'espèce, la société mère à qui le fabricant vendait ses produits a agi en tant que distributeur et a acheté ceux-ci pour les revendre à des grossistes, le ministre fera enquête pour savoir si, dans le même secteur d'activité économique, les fabricants ven- dent normalement leurs produits à des distribu- teurs. S'il constate, comme il l'a fait en l'espèce, que les fabricants ont pour pratique normale de vendre leurs produits directement à des grossistes plutôt qu'à des distributeurs, il peut en déduire que, en prenant des dispositions pour que sa société mère assume les coûts de distribution de ses pro- duits, le fabricant a baissé ses coûts de façon factice et qu'il bénéficiera d'un avantage fiscal inéquitable à moins que la taxe ne soit imposée sur le prix des marchandises vendues par la société mère aux grossistes plutôt que sur celui que le fabricant fait payer à la société mère. Pour parve- nir à une telle conclusion, j'estime que le ministre n'a pas à examiner le coût, la marge sur coût d'achat et la marge de profit du fabricant. Il n'a pas non plus à tenir compte des prix des produits semblables vendus par d'autres fabricants. Dans les circonstances, j'estime qu'il est clair que ces facteurs ne sont pas pertinents et que c'est à juste titre que le ministre n'en a pas tenu compte puis- qu'ils ne pouvaient l'aider à rendre sa décision.
En conséquence, je serais d'avis d'accueillir l'ap- pel, d'infirmer le jugement de première instance et de rejeter l'action de l'intimée avec dépens devant les deux instances.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Le présent appel, formé contre un jugement rendu le 17 octobre 1987 par le juge Muldoon [[1987] 1 C.F. 367], porte entiè- rement sur l'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise, qui est ainsi rédigé:
34. Lorsque des marchandises frappées de taxe en vertu de la présente Partie ou de la Partie III sont vendues à un prix qui, de l'avis du Ministre, est inférieur au prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être imposée, le Ministre a le pouvoir de fixer le prix raisonnable, et le contribuable doit acquitter la taxe sur le prix ainsi fixé.
L'article 34 concernant le prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être imposée se rapporte au
paragraphe 27(1), qui impose une taxe de vente sur le prix de vente de toutes marchandises «pro- duites ou fabriquées au Canada».
Les parties ont convenu des faits, donnés dans leur exposé conjoint des faits, que je prends dans les motifs de jugement du juge de première ins tance (aux pages 374 377) et que j'ai adaptés pour qu'ils reflètent la qualité des parties en appel:
[TRADUCTION] 1. L'intimée est une société commerciale cons- tituée en vertu des lois de la province de la Colombie-Britanni- que. Elle a été constituée en juillet 1981. Les motifs de sa constitution ont été donnés à Revenu Canada. Pendant toute la période en cause, l'intimée fabriquait des produits de finition appliqués au pinceau, notamment des vernis, des teintures ou des émails.
2. L'intimée est un fabricant muni de licence en vertu de la Loi sur la taxe d'accise.
3. Bien que l'intimée ait essayé d'obtenir des commandes d'au- tres clients, tous les produits qu'elle fabrique, à l'exception de 2,000 gallons vendus à un autre client et représentant moins de 2 % de sa production, ont été vendus à Flecto Coatings Ltd. (ci-après désignée »Flecto»).
4. L'intimée versait tous les mois la taxe de vente relative à toutes les ventes de ces produits, comme le prévoit l'article 50 de la Loi sur la taxe d'accise. La taxe versée était calculée en fonction du prix de vente du fabricant, conformément à l'article 27 de la Loi.
5. Flecto est le propriétaire exclusif de l'intimée; d'août à décembre 1981 (période de fixation du prix raisonnable) et par la suite, elle faisait affaire à titre de distributeur des marchan- dises achetées à l'intimée ainsi que d'autres peintures sembla- bles vendues en aérosol et fabriquées par des tiers indépendants.
6. Avant la constitution de l'intimée en 1981, Flecto achetait la plus grande partie de ses produits appliqués au pinceau en vertu d'un contrat avec Bute Chemical, Reichold Chemical et KG Packaging, et achetait tous ses produits en aérosol à KG Packaging. Après la constitution de l'intimée, celle-ci achetait tous ses produits en aérosol de Spray-On.
7. Pendant plusieurs années, le ministre du Revenu national (ci-après désigné «le Ministre») a considéré Flecto comme un distributeur des produits appliqués au pinceau en cause, fabri- qués par d'autres et vendus en vrac à Flecto. Le 1 ° ' janvier 1981, la Loi sur la taxe d'accise a été modifiée, notamment la définition de fabrication marginale, de sorte que Flecto était considérée par Revenu Canada comme un fabricant réputé et payait la taxe de vente à ce titre, à l'égard des produits appliqués au pinceau en cause.
8. Après la constitution de l'intimée, Flecto achetait en vertu d'un contrat écrit tous ces produits appliqués au pinceau de l'intimée, à un prix calculé selon la formule établie à la pièce 6. Pendant les quatre mois en question, d'août à décembre 1981 inclusivement, Flecto a acheté les produits en cause de l'inti- mée, à un prix équivalent au coût calculé par l'intimée et majoré de 25 %.
9. Pendant toute l'époque en cause, Flecto vendait à son tour tous ces produits qu'elle distribuait à cinq grossistes installés au Canada.
10. Dans une lettre datée du 16 octobre 1981, la Direction de l'accise de Revenu Canada, pour la région du Pacifique, faisait part à l'intimée d'une proposition relative au prix raisonnable aux fins de taxe.
11. Dans une lettre datée du 5 mai 1982, Revenu Canada avisait l'intimée du montant des taxes et des pénalités dues pour la période du 1" août au 31 décembre 1981.
12. L'intimée s'est opposée à ladite proposition relative au prix raisonnable, par lettre en date du 14 mai 1982.
13. L'intimée a fait d'autres suggestions à la Direction de l'accise de Revenu Canada, pour la région du Pacifique, et elle a reçu de la correspondance de cette dernière.
14. L'intimée a eu la possibilité de présenter ses prétentions au Ministre, à l'égard de la proposition de fixation d'un prix raisonnable, en vertu de l'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise; en effet, elle a fait de nombreuses allégations devant le Ministre au sujet des concurrents (y compris les marchandises importées), de la définition d'«activité économique» et des paliers commerciaux.
15. Agissant conformément à l'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise et sur la recommandation de son sous-ministre, le ministre a décidé, le 27 octobre 1983, que le «prix raisonnable» des marchandises appliquées au pinceau, fabriquées par l'inti- mée et vendues à Flecto pendant la période d'août à décembre 1981, était le prix de vente de Flecto aux grossistes, moins les rabais ou déductions applicables, en conformité avec les notes de service et autres politiques relatives à la taxe d'accise ...
16. Pour rendre sa décision, le Ministre n'a pas comparé les prix de produits semblables vendus par d'autres fabricants au Canada et n'a pas procédé à la vérification du coût des ventes, de la marge sur coût d'achat et de la marge de profit de l'intimée. Le Ministre n'a pas cru bon de tenir compte du calcul du prix de vente fait par l'intimée, selon la formule du coût majoré d'un taux de marge. Le Ministre a pris en considération les chiffres et le volume de vente d'autres fabricants, par rapport à ceux des distributeurs et à la détermination de l'existence de ces derniers.
17. Le Ministre a mené une enquête dans ce secteur d'activité économique, à l'égard de l'existence d'un niveau des distribu- teurs. L'intimée n'a pas vu les résultats de cette enquête même si elle a demandé à cette Cour d'y avoir accès, dans le cadre de l'interrogatoire préalable. Le Ministre a jugé qu'il s'agissait de raisons d'intérêt public déterminées, au sens de l'article 36.1 de la Loi sur la preuve au Canada, ce que le juge en chambre a accepté.
18. La fixation du prix raisonnable faite par le Ministre était fondée sur la «justice fiscale» et avait pour but d'éviter un «avantage inéquitable», au sein de ce secteur économique.
19. Même si le ministre a pris connaissance de certains faits relatifs à la période précédant et suivant la période de fixation du prix raisonnable, il n'a pas cru bon d'en tenir compte. C'est que le Ministre a jugé que [TRADUCTION] «la fixation du prix raisonnable est fondée sur les conditions en vigueur durant la période de fixation et non sur les conditions ou circonstances passées ou futures».
20. Aucun règlement ne porte sur la délégation des pouvoirs du Ministre en vertu de l'article 34 de la Loi. En l'espèce, le Ministre a fixé lui-même le prix raisonnable en cause.
21. Le Ministre ne dispose d'aucune directive ou critère défini- tif pour savoir ce dont il faut tenir compte en fixant un prix raisonnable. Quant au palier commercial, le Ministre a cepen- dant adopté un principe général portant que 15 % des ventes d'un secteur d'activité économique doivent aller à un système indépendant de distributeurs avant qu'on puisse considérer qu'un niveau de distributeurs existe aux fins de la Loi sur la taxe d'accise. Toutefois, puisque chaque cas est jugé selon les faits, les 15 % prévus ne sont pas toujours nécessaires et dans certains cas, 10 %, et même moins pour les indépendants, peuvent être un taux représentatif, compte tenu de toutes les conditions de concurrence.
22. Après avoir fixé le prix raisonnable susmentionné, la Direc tion de l'accise au ministère du Revenu national a informé l'intimée par écrit de la somme due pour la période d'août à décembre 1981 et en a exigé le paiement.
23. Puisque l'intimée a intenté des poursuites pour contester la fixation du prix raisonnable en cause, le Ministre a accepté de ne pas faire exécuter sa décision et aucune exécution n'est en cours.
24. L'intimée et le ministre sont en désaccord sur les faits relatifs au caractère de l'entreprise, sur ce qui constitue le secteur d'activité économique en cause, les produits et les emballages semblables, ainsi que sur les paliers commerciaux de ces produits.
25. Depuis 1981, Flecto a continué d'acheter à l'intimée les produits appliqués au pinceau mais le Ministre n'a fait aucune autre fixation de »prix raisonnable» à l'égard de la période débutant le le' janvier 1982 jusqu'à nos jours, en attendant l'issue du présent appel.
Le seul élément de preuve fourni au procès, à part cet exposé conjoint des faits, réside dans la déposition de Philippe Claude Hannan («Hannan»), directeur, législation et politiques, Direction de l'accise, au ministère du Revenu national. Ce témoignage figure dans la Transcrip tion du témoignage oral («T»).
Le juge de première instance a statué en faveur de l'intimée pour les deux motifs principaux sui- vants: 1) l'article 34 était inconstitutionnel au moment le ministre a fixé, le 27 octobre 1983, le prix raisonnable', parce que contraire au prin- cipe de la primauté du droit; 2) le ministre a commis une erreur de droit lorsqu'il a décidé que le «prix raisonnable» prévu à l'article 34 doit être
1 Le juge de première instance a limité son ordonnance sur l'inconstitutionnalité à la date particulière de la décision du ministre en l'espèce, parce que la Loi sur la taxe d'accise a été modifiée en 1986 pour prévoir le droit d'interjeter appel d'une cotisation ou d'une détermination du ministre: S.C. 1986, chap. 9 [art. 37].
fixé en fonction de la réalité commerciale et non en fonction des conditions ayant servi à déterminer le prix de vente réel entre le vendeur et l'acheteur. Il a rendu un jugement déclaratoire portant sur ces deux motifs et sur plusieurs points qui ne sont soulevés qu'incidemment, si tant est, dans le pré- sent appel.
Je vais statuer tout d'abord sur les questions constitutionnelles litigieuses et ultérieurement sur la question de droit administratif.
* * *
Après avoir antérieurement fait remarquer que la primauté du droit était implicitement garantie par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)] dans son renvoi à aune constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni» (voir Reference re Alberta Statutes (l'affaire Alberta Press), [1938] R.C.S. 100) et explicitement protégée par le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] (ela Charte»), le juge de première instance a procédé à une analyse constitutionnelle de l'article 34 (aux pages 394 à 397):
On peut conclure que l'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise n'est pas un modèle d'application du principe de la primauté du droit. De fait, il contrevient tellement à cette règle qu'il peut certainement être déclaré inconstitutionnel. Il confère au minis- tre des pouvoirs administratifs discrétionnaires de nature arbi- traire, sans aucune directive ou ligne directrice, et la décision de ce dernier n'est assujettie à aucune autre opinion objective comme dans le cas d'un droit d'appel. Même si, en fait et en théorie, l'article 34 ne viole pas les droits et libertés proclamés par la Charte, l'article 26 prévoit bien que ce document consti- tutionnel ne constitue pas la seule source des droits et libertés des Canadiens. La primauté du droit est un principe fondamen- tal de notre constitution et l'article 34 y contrevient.
Le principe de la primauté du droit existait dans notre constitution bien avant l'adoption de la Charte. Par conséquent, des lois pouvaient très bien déroger au principe de la primauté du droit ou être tellement vagues, et c'est peut-être encore vrai de nos jours, que les préposés de la Couronne pouvaient en profiter sans mettre en jeu la Charte ni la Déclaration des droits.
En fixant le «prix raisonnable» à l'encontre de Vanguard, le Ministre lui a imposé un fardeau fiscal considérable et ce, d'un seul trait de crayon. Comme le Ministre n'était pas d'accord
avec les prétentions de Vanguard, celle-ci, ainsi que ses action- naires et ses administrateurs, fait face à un véritable décret prononcé conformément à l'article 34 et prévoyant le «prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être imposée», en vertu de pouvoirs détenus par une autorité unique qui n'est pas tout à fait désintéressée et qu'on ne peut contredire. Le Ministre dont la tâche est de percevoir les taxes est-il seul à juger quelle «taxe devrait être imposée»? L'article 34 fait du Ministre un véritable despote. Si cette disposition était aussi logique et raisonnable que le prétend l'avocat du Ministre, le Parlement aurait fort bien pu prévoir que tous les Canadiens devraient dépendre de la décision d'un fonctionnaire désigné se trouvant dans une situa tion de conflit d'intérêts officiels des plus évidentes, comme le ministre du Revenu national lorsqu'il juge que les contribuables devraient verser plus de deniers à la Couronne, en vertu de l'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise.
Il a été allégué que le Ministre ne fait que fixer «le prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être imposée», ce qui est assez inoffensif en soi. Le Ministre ne perçoit pas vraiment la taxe. C'est bien vrai en théorie, mais quel réconfort cela apporte-t-il? Dans Morguard Properties Ltd. c. Ville de Win- nipeg, [1983] 2 R.C.S. 493; 3 D.L.R. (4th) 1, le juge Estey, au nom de la Cour suprême unanime, a affirmé ce qui suit (aux pages 511 R.C.S.; 15 D.L.R.):
En l'espèce, ce n'est pas l'évaluation qui impose directement le fardeau fiscal ... cette distinction est sans conséquence pratique puisque c'est l'évaluation qui est à l'origine du processus et augmente inévitablement le fardeau supporté par le contribuable si l'évaluation est irrégulièrement augmentée.
Nous examinerons encore la méthode utilisée par le Ministre pour fixer «le prix raisonnable», mais disons tout de suite que le ministre ne fixe jamais le «prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être imposée» à un montant inférieur au prix demandé par le contribuable. Le Ministre n'invoque jamais l'article 34 pour réduire le fardeau fiscal du contribuable. Comme en l'espèce, il augmente toujours ce fardeau. Nous déterminerons plus loin s'il l'a augmenté de façon irrégulière.
Il est également allégué que la simple absence d'un droit d'appel de la décision définitive du Ministre à l'égard du «prix raisonnable» ne rend pas l'article 34 inconstitutionnel. La Chambre des lords semble pourtant avoir considéré l'absence d'un droit d'appel importante sur le plan constitutionnel et, récemment, la Cour d'appel fédérale a jugé que l'existence même d'un droit d'appel était importante 2 .
Il semble donc qu'il soit important, sur le plan constitution- nel, de prévoir un droit d'appel, comme ce l'est nécessairement selon le principe de la primauté du droit, afin de restreindre l'exercice de pouvoirs discrétionnaires autocratiques comme ceux conférés au ministre en vertu de l'article 34 de la Loi.
L'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise est tellement contraire à la primauté du droit qu'il est facile de le déclarer
2 Les deux décisions qu'il a citées étaient Vestey v. Inland Revenue Comrs. (Nos. 1 and 2), [1980] A.C. 1148 (H.L.), à la p. 1171 (lord Wilberforce) et Krag-Hansen, S. et autre c. La Reine (1986), 86 D.T.C. 6122 (C.A.F.), à la p. 6123 (le juge Pratte).
inconstitutionnel. Si ce n'était de la suprématie du pouvoir de législation du Parlement dans son champ de compétence, il serait tout aussi facile de déclarer l'article 34 nul de nullité absolue. La Cour discutera incessamment dans quelle mesure elle pourra donner effet à cet article, mais elle tient à souligner que, selon les principes constitutionnels, elle ne peut valider l'article 34, ce qu'elle ne fait pas d'ailleurs.
On pourrait être tenté de conclure de certains propos du juge de première instance qu'il a trouvé l'article 34 inconstitutionnel dans le sens la majorité dans l'arrêt Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753 a déclaré inconstitutionnelle la proposition du gou- vernement de faire modifier la Constitution sans le consentement des provinces, savoir que, bien que la proposition allait à l'encontre des règles conven- tionnelles de la Constitution, les tribunaux ne pou- vaient appliquer ces conventions. La majorité s'est exprimée en ces termes la page 881), «Il ne s'agit pas d'un conflit d'un genre qui entraînerait la perpétration d'illégalités». Toutefois, tel n'était pas le sens entendu par le juge de première ins tance si l'on s'en tient au fait qu'il a infirmé la décision du ministre et rendu un jugement déclara- toire portant que l'article 34 était inconstitutionnel «du fait qu'il est directement contraire au principe de la primauté du droit» (dossier d'appel, page 292).
Si je comprends bien le juge de première ins tance, il a jugé l'article 34 inconstitutionnel «sur le plan juridique» parce que contraire au principe de la primauté du droit du fait que: 1) cette disposi tion prévoyait l'exercice d'un pouvoir discrétion- naire qu'aucune règle ni aucune directive n'entra- vait 2) et qu'aucun droit d'appel n'était prévu par la loi.
L'intimée a appuyé cette décision et elle a égale- ment invoqué deux arguments que le juge de pre- mière instance n'avait pas retenus, savoir que l'ar- ticle 34 est inconstitutionnel parce qu'il s'agit d'une délégation inconstitutionnelle de pouvoir dis- crétionnaire et d'une violation de l'article 7 de la Charte. Je vais examiner ces deux prétentions avant de revenir à celle fondée sur la décision du juge de première instance.
Il est facile de répondre au premier de ces arguments additionnels de l'intimée. Le véritable fondement de cet argument résidait dans la déci- sion de la Cour suprême des États-Unis A.L.A.
Schechter Poultry Corporation et al. v. United States of America, 295 U.S. 495 (1935), il a été statué qu'en l'absence de normes légales, le Congrès ne saurait déléguer ses pouvoirs législatifs au gouvernement national. Mais cette décision repose sur le principe de la séparation des pouvoirs inhérents à la Constitution américaine, et elle n'a rien à voir avec une constitution fondée sur un gouvernement responsable. De plus, on ne peut établir aucune analogie avec la situation totale- ment différente il est question de partage de pouvoir législatif entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.
Les précédents cités par l'intimée se rapportent tous à l'interprétation appropriée des lois et non à des questions constitutionnelles: Attorney General v. Wilts United Dairies, Limited (1922), 38 T.L.R. 781 (H.L.); Gruen Watch Company of Canada Limited et al. v. A.-G. of Canada (1950), 4 D.T.C. 784 (C.S. Ont.), faisant l'objet d'un appel sous l'intitulé Bulova Watch Co. Ltd. et al. v. Atty.-Gen. of Canada (1951), 5 D.T.C. 462 (C.A. Ont.); et l'arrêt Vestey susmentionné. Celui-ci est le seul qui soulève apparemment des questions constitutionnelles, dans les propos suivants tenus par lord Wilberforce la page 1172):
[TRADUCTION] Un régime prévoyant qu'un organisme admi- nistratif devrait déterminer (même dans des limites déjà fixées) si un contribuable doit ou non être assujetti à des taxes—et le cas échéant, le montant qu'il doit payer représente une déroga- tion importante aux principes constitutionnels. Le service du revenu pourrait peut-être persuader le Parlement d'adopter un tel régime, dont les termes mêmes obligeraient les tribunaux à l'appliquer; cependant, à moins qu'il ne le fasse, les tribunaux ne devraient ni ne pourraient le valider, selon les principes constitutionnels établis.
Mais les questions constitutionnelles sont apparen- tes plutôt que réelles puisque, ainsi que lord Wil- berforce le précise brièvement, tout ce qui est en jeu est [TRADUCTION] «la meilleure interprétation de l'article» la page 1175). Dans le contexte du Royaume-Uni, le concept de principe constitution- nel est une figure de rhétorique qui peut être persuasive quant à l'interprétation mais qui ne peut jamais avoir pour conséquence de rendre la loi inopérante. Comme dans l'affaire précitée Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, l'«inconstitutionnalité», s'il en est, n'entraîne aucune conséquence juridique.
Rien dans la jurisprudence ni dans la Constitu tion ne permet de faire droit à l'argument de l'intimée selon lequel l'article 34 contient une délé- gation inconstitutionnelle de pouvoir discrétion- naire, et je ferais mienne la conclusion du juge de première instance sur ce point.
Je devrais ajouter que, bien entendu, l'intention du législateur de conférer au ministre le pouvoir de déterminer un prix raisonnable sous le régime de l'article 34 est bien trop claire pour permettre un argument fondé uniquement sur une interprétation législative comme dans l'affaire Vestey, étant donné surtout que, depuis plusieurs années, le ministre agit selon l'interprétation que la Cour suprême du Canada a donnée de cet article dans l'arrêt The King v. Noxzema Chemical Company of Canada Ltd., [1942] R.C.S. 178; 2 DTC 542, décision qui fera ci-dessous l'objet d'une étude approfondie.
Le recours par l'intimée à l'article 7 de la Charte repose sur la prétention que la sécurité économique est incluse dans la protection de la «liberté» et de la «sécurité de la personne» figurant à cet article, même si son avocat a admis au débat que les droits de propriété en tant que tels ne sont pas inclus dans ces protections. Voici le libellé de l'article 7:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Il y a encore à déterminer le sens exact de ces expressions, la Cour suprême ayant laissé cette question pendante dans les arrêts Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; 17 D.L.R. (4th) 422; 14 C.R.R. 13; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; 18 D.L.R. (4th) 481; 59 N.R. 1; 13 C.R.R. 287; et dans Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; 24 D.L.R. (4th) 536; 18 C.R.R. 30. Le juge de première instance a suivi le juge Strayer dans l'affaire Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274 (1" inst.), à la page 313; 24 D.L.R. (4th) 321, aux pages 363 et 364:
À mon avis, le fait d'associer les concepts de «vie ... liberté et ... sécurité de sa personne« en colore le sens et ils se rapportent au bien-être physique d'une personne physique. Comme tels ils ne permettront pas de décrire les droits d'une société ni de
décrire les intérêts purement économiques d'une personne physique.
Il existe, il est vrai, un nombre de décisions judi- ciaires récentes qui refusent de donner au mot liberté uniquement le sens d'être dégagé de toute contrainte corporelle et qui étendent la notion de sécurité de la personne de manière à inclure au moins certains intérêts économiques: Re Fisher- man's Wharf Ltd. (1982), 40 N.B.R. (2d) 42; 135 D.L.R. (3d) 307 (B.R.); Canada, carrying on business under the firm name and style of Eve Studio et al. v. City of Winnipeg (1984), 28 Man. R. (2d) 211 (B.R.); R. v. Robson (1985), 19 D.L.R. (4th) 112 (C.A.C.-B.); Mia v. Med. Servi ces Comm. of B.C. (1985), 61 B.C.L.R. 273; 17 D.L.R. (4th) 385 (C.S.). D'autre part, il existe des décisions qui vont dans le sens contraire: Gersh- man Produce Co. v. The Motor Transport Board (Man.) (1985), 36 Man. R. (2nd) 81; 15 C.R.R. 68 (C.A.); R. v. Neale (1986), 46 Alta. L.R. (2d) 255; 26 C.R.R. 1 (C.A.); Bassett v. Canada (Government) et al. (1987), 53 Sask. R. 81; 35 D.L.R. (4th) 537 (C.A.); R. v. Higgins (1987), 40 D.L.R. (4th) 600 (C.A. Sask.). A part toutefois une seule exception, les intérêts économiques reconnus jusqu'ici par les tribunaux se rapportent à des droits personnels, à savoir le droit de con- duire une voiture (Robson); le droit à un numéro de facturation pour exercer le métier de médecin (Mia).
L'exception est l'arrêt Fisherman's Wharf, rendu immédiatement après l'entrée en vigueur de la Charte, dans lequel la Cour s'est prononcée en ces termes (aux pages 53 et 54 N.B.R.; 315 et 316 D.L.R.) 3 :
[TRADUCTION] La Charte n'a pas expressément fait état de droits de propriété. J'estime que, dans ce cas, on peut seulement présumer que l'expression «droit ... à la sécurité de sa per- sonne» figurant à l'art. 7 doit être interprétée comme englobant le droit de jouir de la propriété d'un bien qui s'étend à la «sécurité de sa personne» et que, en conséquence, le membre de phrase suivant de l'art. 7, à savoir «il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fonda- mentale» doit s'étendre au droit de ne pas être privé de droits de propriété qui tendent à englober le droit à la sécurité de la personne. Le prétendu droit de la Couronne, si ce droit est conféré par l'art. 19(1) de la Sales Tax Act, de confisquer sans dédommagement le bien d'un propriétaire autre qu'un vendeur afin de percevoir un impôt peut être, à mon avis, seulement considéré comme dérogeant aux principes de justice fondamen-
3 Pour un commentaire contraire, voir G. J. Brandt, Note, (1983) 61 R. du B. Can. 398.
tale pour reprendre l'expression employée par l'art. 7 de la Charte, et ne rentrant pas dans des limites qui soient raisonna- bles et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, expression figurant à l'art. I ...
L'intimée s'est retranchée derrière cette décision, mais j'estime que celle-ci ne saurait être considérée comme persuasive à ce stade de l'interprétation de la Charte, surtout parce que, en confirmant la décision en appel, la Cour d'appel du Nouveau- Brunswick a pris soin de fonder sa décision exclusi- vement sur des motifs d'interprétation législative: Re Estabrooks Pontiac Buick Ltd. (1982), 44 N.B.R. (2d) 201 (C.A.). Le principal jugement était celui du juge d'appel La Forest (tel était alors son titre), qui a fondé sa conclusion sur l'historique législatif et sur la présomption que [TRADUCTION] «une loi ne devrait pas, en l'absence d'une formula tion claire, être interprétée de manière à priver un individu de son bien sans dédommagement» la page 211). Dans le même ordre d'idées, le juge d'appel Stratton (tel était alors son titre), s'est exprimé en ces termes la page 206):
[TRADUCTION] Lorsque, comme en l'espèce, l'intention du législateur n'est pas claire et que la loi est susceptible de deux sens, j'estime que la cour doit faire un choix en présumant que la législature n'a pas voulu modifier les droits existants.
J'estime qu'il est inutile de décider en l'espèce de la mesure dans laquelle on devrait interpréter l'article 7 comme prévoyant la protection des inté- rêts économiques ou, en fait, de déterminer si un principe de justice fondamentale a été violé, puis- que je suis d'avis que, en tout état de cause, les trois éléments vie, liberté et sécurité de la personne doivent être considérés comme intimement liés, du moins dans la mesure on les attribue aux personnes physiques. Qu'ils forment ou non un tout pour constituer un seul droit, ils ont, à mon avis, un lien fondamental qui découle de la nature et de la dignité humaines et en est l'expression.
En fait, cette question a déjà été tranchée par cette Cour; lors d'un appel formé contre un juge- ment du juge Strayer, le juge Hugessen a, au nom de la Cour, expressément approuvé la conclusion du juge Strayer et son raisonnement: Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (procureur général), [1987] 2 C.F. 359 (C.A.), à la page 364; (1987), 27 C.R.R. 286, à la page 290. Cette approche est également compatible avec le point de vue du juge en chef de la Saskatchewan Bayda
dans l'affaire Higgins précitée, à la page 609, selon lequel [TRADUCTION] «le concept "vie, liberté et sécurité de sa personne" vise la personne humaine». Je suis donc d'accord avec la conclusion du juge de première instance en l'espèce.
Il reste à trancher la question constitutionnelle de la primauté du droit. Ce concept nous place au carrefour de la philosophie, des sciences politiques et du droit, aussi doit-on, dans un contexte juridi- que, prendre bien soin' de s'appuyer sur des princi- pes juridiques et la jurisprudence. La meilleure source juridique est l'arrêt Renvoi: Droits linguis- tiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, aux pages 750 et 751; 19 D.L.R. (4th) 1, à la page 24; [1985] 4 W.W.R. 385, la page 409, la Cour s'est prononcée en ces termes:
En plus de l'inclusion de la primauté du droit dans le préambule des Lois constitutionnelles de 1867 et de 1982, le principe est nettement implicite de par la nature même d'une constitution. La Constitution, en tant que loi suprême, doit être interprétée comme un aménagement fonctionnel des relations sociales qui sert de fondement à l'existence d'un ordre réel de droit positif. Les fondateurs de notre pays ont certainement voulu, entre autres principes fondamentaux d'édification natio- nale, que le Canada soit une société règne l'ordre juridique et dotée d'une structure normative: une société soumise à la primauté du droit. Même s'il ne fait pas l'objet d'une disposi tion précise, le principe de la primauté du droit est nettement un principe de notre Constitution.
Plus particulièrement, la Cour a distingué deux aspects de la primauté du droit aux pages 748 et 749 R.C.S.; 22 D.L.R.; 408 W.W.R.:
La primauté du droit, qui constitue un principe fondamental de notre Constitution, doit signifier au moins deux choses. En premier lieu, que le droit est au-dessus des autorités gouverne- mentales aussi bien que du simple citoyen et exclut, par consé- quent, l'influence de l'arbitraire. En réalité, c'est à cause de la suprématie du droit sur le gouvernement, établie par l'art. 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba et l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, que cette Cour doit conclure que les lois inconstitutionnelles du Manitoba sont invalides et inopérantes.
En second lieu, la primauté du droit exige la création et le maintien d'un ordre réel de droit positif qui préserve et incor- pore le principe plus général de l'ordre normatif. L'ordre public est un élément essentiel de la vie civilisée.
Toutefois, dans cet arrêt, la Cour a analysé plus profondément le second aspect de la primauté du droit, alors qu'en l'espèce, c'est le premier aspect qui est en question.
Bien entendu, l'appelante n'a pas contesté la validité de la primauté du droit, mais elle a pré- tendu notamment que celle-ci ne devrait pas être
invoquée dans une action en jugement déclara- toire, particulièrement lorsque son application n'avait pas été expressément demandée dans la déclaration. Mais, comme l'appelante l'a fait savoir, l'octroi d'un jugement déclaratoire est une question de pouvoir discrétionnaire, et le fond du litige ayant fait l'objet d'une pleine discussion devant la Cour, je ne suis pas disposé à trancher la question maintenant sur le plan de la procédure.
L'intimée a invoqué le principe de la primauté du droit en se fondant sur trois manuels (A. V. Dicey Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 8 e éd., Londres: MacMillan & Co., 1931; H. W. R. Wade Administrative Law, 4 e éd. Oxford: Clarendon Press, 1977; E. C. S. Wade et G. Godfrey Phillips Constitutional Law, 3e éd., Londres: Longman's Green & Co., 1946) et les deux décisions invoquées par le juge de première instance (les affaires Vestey et Krag-Hansen sus- mentionnées). Le texte de base est celui de Dicey, où, à la page 198, l'auteur dit de la primauté du droit:
[TRADUCTION] Cela s'entend, en premier lieu, de la supré- matie ou de la prédominance absolues du droit ordinaire par opposition à l'influence d'un pouvoir arbitraire, et cela exclut l'existence de l'arbitraire d'une prérogative ou même d'un large pouvoir discrétionnaire de la part du gouvernement. Les Anglais sont régis par la loi et par la loi seule; un homme peut en Angleterre être puni pour avoir violé la loi et pour rien d'autre.
Wade abonde dans le même sens aux pages 23 et 24:
[TRADUCTION] La primauté du droit comporte divers sens et corollaires. Son sens premier est que tout doit se faire selon la loi ...
C'est le principe de la légalité. Mais la primauté du droit exige davantage puisque, autrement, il y serait satisfait en conférant au gouvernement des pouvoirs discrétionnaires illimi- tés de sorte que tous ses actes soient conformes à la loi. Quod principi placuit legis habet vigorem (la volonté du souverain a force de loi) est un principe parfaitement juridique, mais cet adage exprime la suprématie du pouvoir arbitraire et non celle du droit dont chacun peut s'informer. Le deuxième sens de la primauté du droit est donc que le gouvernement doit respecter les règles et principes reconnus qui restreignent le pouvoir discrétionnaire ...
Le principe de la légalité est un concept précis, mais les restrictions à apporter au pouvoir discrétionnaire sont question de gradation.
Wade et Phillips ajoutent une nouvelle idée, à la page 51:
[TRADUCTION] La primauté du droit exige toutefois que, dans la mesure réalisable, le particulier qui organise ses affaires
raisonnablement en tenant compte du bien public soit dédom- magé du préjudice subi par suite d'une modification apportée à la loi ou de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré dans l'intérêt général. Pour permettre au citoyen de prévoir dans la mesure du possible les conséquences de ses actes et pour prévenir les actes arbitraires des fonctionnaires, le pouvoir discrétionnaire doit s'accompagner de lignes directrices généra- les applicables à son exercice. Le pouvoir discrétionnaire n'est pas un pouvoir arbitraire.
Même si ces auteurs ont été reconnus comme des auteurs qui font autorité, il est clair que leurs analyses s'articulent autour de certaines atténua- tions («question de gradation», «dans la mesure réalisable», «dans la mesure du possible») et qu'el- les ne prouvent pas et n'entendent pas prouver que les tribunaux refuseront d'appliquer un texte légis- latif qui est clair. Ils utilisent ces notions pour démontrer tout au plus, comme dans l'affaire Vestey, laquelle des deux interprétations possibles est la meilleure.
L'autre affaire citée par l'intimée est l'affaire Krag-Hansen, le contribuable a cherché à faire déclarer nulle une disposition législative parce que contraire à l'article 7, prétendant notamment que la disposition permettait la contestation d'une seule partie de la décision du ministre. Mais, dans cette affaire-là, la Cour n'a pas jugé nécessaire de toucher à l'article 7, parce qu'elle a statué que le contribuable avait mal interprété la disposition: en fait, la disposition permettait la contestation de l'ensemble de la décision du ministre. Cette déci- sion ne saurait donc servir de précédent pour ce qui est de l'article 7 ou de la primauté du droit.
De plus, la primauté du droit n'a jamais été considérée comme incluant un droit d'appel. En fait, la common law ne prévoit pas le droit d'appel, qu'elle a traditionnellement considéré comme étant strictement une création de la loi. C'est, selon les propos tenus par le juge Fauteux dans l'arrêt Welsh v. The King, [1950] R.C.S. 412, la page 428, [TRADUCTION] «un droit exceptionnel». Jones, David Phillip et de Villars, Anne S., dans l'ouvrage Principles of Administrative Law, Toronto: The Carswell Company Limited, 1985, aux pages 330 et 331, expriment la même idée:
[TRADUCTION] Il n'existe aucune exigence légale ou consti- tutionnelle qui impose un droit d'appel d'une décision rendue par un délégué légal ...
La création d'un mécanisme d'appel est l'apanage de la législature.
Selon le lord juge Morris dans l'affaire Healey v. Ministry of Health, [1954] 3 All E.R. 449 (C.A.), à la page 453, [TRADUCTION] «les tribunaux ne sauraient inventer un droit d'appel lorsque ce droit n'est pas conféré». On a souvent considéré que le droit d'appel indique simplement que le pouvoir discrétionnaire délégué est quasi judiciaire plutôt qu'administratif: Cooper v. Wandsworth Board of Works (1863), 143 E.R. 414 (C.P.).
Il faut également dire que l'intimée s'est trom- pée en affirmant que le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l'article 34 est entièrement subjectif en raison de l'expression «de l'avis du Ministre». J'estime qu'il s'agit d'une mauvaise interprétation de l'article. Le pouvoir du ministre consiste à déterminer «le prix raisonnable (fair) sur lequel la taxe devrait être imposée». Le mot fair est rendu par le mot raisonnable dans la version française, qui peut être traduit en anglais par «reasonable» ainsi que par «fair».
Ces deux mots ont toujours été employés pour exprimer des normes objectives de la loi. Le mot «fair» est l'un des mots le plus fréquemment employés pour exprimer l'idée d'objectivité en droit administratif comme c'est le cas pour l'adjec- tif «reasonable» en matière de responsabilité délic- tuelle et en droit pénal. Dans l'ouvrage Canadian Tort Law, 3e éd. Toronto: Butterworths, 1982, page 112, le juge Allen M. Linden écrit ceci du concept de la personne raisonnable: [TRADUC- TION] «Il s'agit d'une norme objective et non d'une norme subjective». Le mot «reasonable» est en fait le mot principal employé dans la Charte pour désigner ce qui est objectivement juste: voir arti cles 1, 6, 8 et 11. Le terme «fair» (impartial) est employé de la même façon à l'article 11.
Je reporte à quelques pages plus loin mon point de vue sur l'exercice réel du pouvoir discrétion- naire ministériel en l'espèce; pour ce qui est de la question constitutionnelle, je dois conclure que l'article 34 n'est pas inconstitutionnel comme étant contraire au principe de la primauté du droit.
* * *
La question de droit administratif à trancher nécessite un examen minutieux de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Noxzema précitée, les faits ressemblent beaucoup à ceux de l'espèce et la loi en cause est identique.
Il s'agissait d'une plainte présentée par le procu- reur général du Canada pour recouvrer des taxes de vente et d'accise. L'intimée («Noxzema») avait donné des droits de vente exclusifs à Better Pro prietaries Limited («Proprietaries») et au cours de la période de sept mois en question, lui avait vendu l'ensemble de ses produits fabriqués pour qu'elle les revende à des grossistes et à des grands maga- sins. Parce qu'un dirigeant et actionnaire de Nox- zema était également dirigeant et actionnaire de Proprietaries, l'entente avait attiré l'attention du ministre du Revenu national, qui a décidé que le prix raisonnable aux fins d'impôt était celui auquel Proprietaries avait vendu les marchandises et non le prix auquel elle les avait achetées.
Le ministre a agi en vertu de l'article 98 de l'époque de la Loi spéciale des revenus de guerre [S.R.C. 1927, chap. 179, art. 98 (mod. par S.C. 1932-33, chap. 50, art. 20] qui, excepté quelques détails mineurs, est semblable à l'actuel article de la Loi qui a succédé à cette loi spéciale :
98. Lorsque des marchandises passibles de taxe en vertu de la présente Partie ou de la Partie XI de la présente loi sont vendues à un prix qui, de l'avis du ministre, est inférieur au prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être imposée, le ministre a le pouvoir de fixer le prix raisonnable, et le contribuable doit acquitter la taxe sur le prix ainsi fixé.
34. Lorsque des marchandises frappées de taxe en vertu de la présente Partie ou de la Partie III sont vendues à un prix qui, de l'avis du Ministre, est inférieur au prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être imposée, le Ministre a le pouvoir de fixer le prix raisonnable, et le contribuable doit acquitter la taxe sur le prix ainsi fixé.
Au procès, [1941] R.C.É. 155, le juge Maclean a statué que l'entente commerciale entre les deux sociétés était authentique et que [TRADUCTION] «Noxzema a effectivement vendu ses marchandises à Proprietaries à des prix raisonnables» la page 168). Il a conclu que l'absence d'un droit d'appel n'empêchait pas Noxzema, dans une action inten- tée par la Couronne en recouvrement de dette, de soulever une défense appropriée et utile, que la fixation par le ministre d'un prix raisonnable en vertu de la Loi constituait un acte judiciaire, et que cet acte n'a pas, en raison de son caractère arbitraire, respecté les principes judiciaires appro- priés.
En fin de compte, le litige s'est, à son avis, ramené à ceci la page 173):
[TRADUCTION] La Loi a-t-elle, compte tenu des faits de l'es- pèce, habilité le ministre à fixer les prix de vente de Noxzema à
des montants autres que ceux de ses prix de vente réels lors- qu'ils n'étaient pas inférieurs aux prix raisonnables convenus par un fabricant et un négociant, celui-ci se trouvant être une société commerciale indépendante? Je pense que non. Rien ne prouve que les prix de vente de Noxzema étaient inférieurs aux prix raisonnables; en fait, il ressort de la preuve que ses prix étaient les prix raisonnables auxquels ses marchandises étaient vendues aux organismes vendeurs et distributeurs qui devaient assumer les frais de vente et de distribution. Je ne pense pas que la loi puisse être interprétée comme signifiant que le ministre pourrait arbitrairement augmenter les prix de vente de Noxzema aux fins de l'impôt sans qu'il y ait preuve que ces prix étaient inférieurs aux prix raisonnables lors de la vente effec- tuée dans les circonstances décrites. La preuve du caractère raisonnable des prix auxquels Noxzema a vendu ses marchandi- ses à Proprietaries réside dans le fait que ces prix étaient les mêmes que ceux auxquels elle avait auparavant vendu ses produits sur le marché, moins les frais de vente et de distribu tion que Proprietaries devait désormais assumer. Il n'a pas été porté atteinte à la situation commerciale de Noxzema en ce qui concerne ses bénéfices nets; en fait, ses ventes en gros ont augmenté d'environ trente pour cent au cours des dix huit premiers mois de l'entente conclue avec Proprietaries. A mon avis, l'art. 98 envisage le cas le producteur a vendu ses marchandises à un négociant à des prix inférieurs aux prix normaux du marché, au-dessous de la moyenne des prix d'au- tres fabricants de la même catégorie de marchandises, et il n'a pas été conçu pour s'appliquer aux faits en cause. J'estime donc que le ministre n'était pas en l'espèce autorisé à décider que les prix de vente de Noxzema devraient être ceux de la société commerciale indépendante Proprietaries, et que Noxzema n'est pas tenue de payer les taxes en question sur les prix de vente déterminés par le ministre.
Devant la Cour suprême, le juge Kerwin (en son nom et au nom des juges Rinfret et Hudson) a rendu le jugement majoritaire, et le juge Davis a rendu un jugement concourant (auquel a souscrit le juge en chef du Canada Duff). Tous les mem- bres de la Cour ont estimé que le pouvoir que le ministre tenait de l'article 98 était de nature pure- ment administrative, et n'était donc pas susceptible de contrôle judiciaire. De même, tous les membres de la Cour ont aussi refusé de faire la distinction que le juge de première instance avait établie, à savoir l'absence d'un droit d'appel prévu par la loi, qu'il avait appelé la page 169) le [TRADUC- TION] «droit de common law» de soulever une défense appropriée. Le juge Kerwin a énoncé ses motifs de la façon suivante (aux pages 185 et 186 R.C.S.; 546 DTC):
[TRADUCTION] J'aborde maintenant les motifs en vertu des- quels le président s'est prononcé et sur lesquels s'appuie bien entendu l'intimée. Je prends pour acquis que Better Proprieta ries Limited est une société commerciale indépendante et que le ministre n'a pas été du même avis. Même avec ces présomp- tions, nous ne pouvons connaître tous les motifs justifiant l'acte du ministre et, en tout état de cause, pour avoir compétence en
vertu de l'article 98, il lui suffisait de décider que les marchan- dises étaient vendues à un prix inférieur—non pas inférieur au juste prix du marché ou compte tenu de l'existence ou de l'absence de concurrence—mais inférieur à ce qu'il considérait comme le prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être imposée. Le Parlement a confié au ministre et non à la Cour la tâche de trancher cette question et de fixer le prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être imposée. A mon avis, l'article 98 confère au ministre une fonction administrative qu'il a exercée et qui ne peut faire l'objet d'un appel.
Le juge Davis a abondé dans le même sens (aux pages 180 R.C.S.; 543 DTC):
[TRADUCTION] L'importante question qui se pose dans le présent pourvoi est une question de droit concernant la position du ministre sous le régime de la loi—savoir s'il accomplit un acte purement administratif en fixant le cas échéant la politi- que de son ministère sous l'empire de cette loi relativement aux divers problèmes que pose l'application de la loi, ou s'il est appelé, en vertu de cet article de la loi, à s'acquitter d'une obligation de ce genre qu'on qualifie souvent de quasi judiciaire.
J'estime qu'il s'agit d'une fonction purement administrative que le législateur a attribué au ministre dans le nouvel art. 98 pour lui permettre de veiller par exemple à ce qu'un ou plusieurs fabricants ou producteurs d'une certaine catégorie d'entreprise ne recourent pas à des manoeuvres qui, si l'on tient compte du prix de vente réel du produit, peuvent constituer une injustice flagrante et une discrimination à l'égard d'autres fabricants ou producteurs de la même catégorie d'entreprise qui ne recourent pas à ces manoeuvres ayant pour conséquence de réduire le montant sur lequel les taxes deviennent payables. S'il s'agit là, sur le plan du droit, d'une bonne interprétation de l'article en question, l'acte administratif du ministre n'est donc pas susceptible du contrôle de la Cour. Il faut souligner que la loi ne prévoit aucun droit d'appel.
En l'espèce, l'appelante a prétendu qu'il fallait prêter une attention toute particulière à l'approba- tion par la Cour, à en juger par son choix de mots, de l'exercice réel du pouvoir discrétionnaire minis- tériel. Toutefois, adoptant l'interprétation du juge de première instance, je peux interpréter les passa ges cités ci-dessus seulement comme indiquant que la Cour a reconnu le droit du ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire comme bon lui sem- blait («de l'avis du Ministre»). A mon avis, les mots employés par la Cour révélaient les motifs pour lesquels elle a conclu que la décision était purement administrative. Ainsi que le juge Kerwin l'a dit, [TRADUCTION] «nous ne pouvons connaître tous les motifs justifiant l'acte du ministre» (aux pages 185 et 186 R.C.S.; 546 DTC). Le fait que la Cour a jugé inopportun un contrôle judiciaire l'a amenée à qualifier d'administrative la décision ministérielle.
Les deux jugements, il est vrai, semblent exami ner, à titre subsidiaire, quelle aurait été la consé- quence si la décision du ministre s'était révélée être quasi judiciaire, et les deux ont conclu que, dans cette éventualité, il aurait suffi que le contribuable ait la possibilité raisonnable de se faire entendre, ce qui a effectivement eu lieu de l'aveu des deux parties. Ni l'un ni l'autre jugement n'a laissé entendre l'existence d'une contrainte imposée au ministre relativement à la question qu'il était, en vertu de la Loi, tenu de trancher, malgré la règle posée à cet égard par lord Loreburn dans l'arrêt Board of Education v. Rice, [1911] A.C. 179 (H.L.), à la page 182. Néanmoins, j'estime que le ratio decendi de l'affaire Noxzema était celui-là même exposé par la Cour, savoir que la décision du ministre était une décision administrative, et n'était donc nullement susceptible de contrôle.
Il faut souligner immédiatement que ce ratio n'a plus cours par suite de l'évolution ultérieure du droit. Après les arrêts Ridge v. Baldwin, [1964] A.C. 40 (H.L.); Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; 23 N.R. 410 et Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; 30 N.R. 119, il ne fait plus de doute que même les décisions purement admi- nistratives sont susceptibles de contrôle judiciaire. En fait, les parties en ont convenu. L'exposé des faits et du droit de l'appelante la page 12) a ainsi formulé cette question:
[TRADUCTION] 63. Dans l'exercice d'un pouvoir discrétion- naire purement administratif, un tribunal administratif peut outrepasser sa compétence notamment en poursuivant un but inapproprié ou en examinant des éléments non pertinents ou étrangers, ou en omettant d'examiner des éléments pertinents ou en exerçant son pouvoir pour des motifs non pertinents ou sans tenir compte de considérations pertinentes.
Étant donné que, en l'espèce comme dans l'af- faire Noxzema, le ministre a scrupuleusement, même généreusement donné à la contribuable une audition impartiale, il importe seulement de savoir s'il a agi dans le cadre de la compétence qu'il tient de la loi, plus précisément en omettant d'examiner des éléments pertinents ou en exerçant son pouvoir sans tenir compte de considérations pertinentes.
Avant d'examiner de près les faits par rapport à la loi, je devrais ajouter que je ne saurais souscrire au point de vue du juge de première instance selon lequel l'article 34 est défectueux parce qu'il n'y est
pas prévu un délai de paiement de la taxe. J'estime que l'expression «le contribuable doit acquitter la taxe» crée une responsabilité et implique que le paiement doive être effectué immédiatement. De même, je ne saurais souscrire à sa conclusion que la décision du ministre sous le régime de l'article 34 ne peut s'appliquer rétroactivement, puisque je suis d'accord avec l'argument de l'appelante selon lequel le texte clair de l'article 34 exige que les marchandises en question soient «vendues». J'es- time qu'il n'y a pas lieu de s'étendre sur ces questions.
* * *
L'exposé conjoint des faits précise qu'en fixant un prix raisonnable en vertu de l'article 34 de la Loi relativement à l'appelante, le ministre n'a pas tenu compte des prix des produits semblables vendus par d'autres fabricants au Canada (je vais appeler ce fait le critère du prix externe) et qu'il n'a pas procédé à la vérification du coût des ventes, de la marge sur coût d'achat et de la marge de profit de l'intimée (je vais appeler ce fait le critère du prix interne). Il n'a fait qu'examiner l'existence d'un niveau de distribution comparable au rôle de Flecto dans le secteur d'activité économique en général (je vais appeler ce fait le critère du mode de mise en marché). Pour ce faire, il a recouru à une étude de ce secteur d'activité économique, adoptant un principe général portant que de 10 % à 15 % des ventes d'un secteur économique doivent aller à un système indépendant de distributeurs avant qu'on puisse considérer qu'un niveau de distributeurs existe aux fins de la Loi.
La ministre a de fait constaté que dans l'indus- trie de la peinture au Canada, il n'existait aucun niveau de distribution mais que, en général, le fabricant vendait ses marchandises à un grossiste, qui les vendait à un détaillant, lequel à son tour les vendait au public. Il a donc conclu que le prix raisonnable sur lequel la taxe de l'intimée devrait être imposée était le prix de vente que Flecto demandait à ses grossistes.
L'intimée et le ministre ont été en désaccord sur les faits «relatifs au caractère de l'entreprise, sur ce qui constitue le secteur d'activité économique en cause, les produits et les emballages semblables, ainsi que sur les paliers commerciaux de ces pro- duits» (exposé conjoint des faits, paragraphe 24).
L'intimée a également contesté le refus du minis- tre d'envisager de fixer un prix raisonnable selon des conditions ou des circonstances passées ou futures, mais uniquement selon celles prévalant au cours de la période de la fixation, en l'occurrence la période de cinq mois allant d'août au 31 décem- bre 1981.
Je devrais dire immédiatement que je ne crois pas que cette Cour puisse examiner l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire dans la détermination de la façon dont le critère du mode de mise en marché doit être interprété et appliqué aux faits. Ainsi que l'a dit le juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'arrêt Prince George (Ville de) c. Payne, [1978] 1 R.C.S. 458, à la page 463; 15 N.R. 386, à la page 390, «il ne relève pas des devoirs de la Cour d'évaluer la sagesse de la décision du conseil ... Le seul souci de la Cour est de savoir si le conseil a agi dans les limites de sa compétence.» Donc, la question qui se pose en l'espèce n'est pas de savoir si le ministre a correc- tement exercé son pouvoir discrétionnaire quant au mode de mise en marché dans le secteur d'activité économique, mais de savoir s'il a agi dans les limites de sa compétence en abordant ce critère, et uniquement ce critère, du prix raisonnable.
L'analyse de cette question se trouve grande- ment facilitée par le témoignage du fonctionnaire ministériel Hannan. La théorie du ministre dans la fixation du prix raisonnable sous le régime de l'article 34 est expliquée en ces termes (T, 100 à 104):
[TRADUCTION] [A]ux fins de la Loi sur la taxe d'accise, le prix de vente est décrit comme le prix sur lequel la taxe sera calculée. Ce prix de vente devrait comprendre tous les coûts habituels, dont le facteur bénéfices, pour commercialiser le produit particulier en question, dans les conditions normales d'un marché public ...
En bien, le coût normal ... de la mise en marché de ce produit comprend le coût total de fabrication, c'est-à-dire le coût des matériaux, les frais généraux, le facteur bénéfices et par frais généraux, j'entends par exemple la publicité, les garanties, les commissions, tous ces types de facteurs qui ne se rapportent directement pas, dirons-nous, à la valeur particulière du coût des matériaux composant ce produit.
Or, comme je vous l'ai fait savoir, tous ces coûts habituels sont entraînés par la mise en marché de ce produit, dans des conditions de libre concurrence ... [N]ous avons pour mandat de percevoir les taxes imposées sous le régime de la Loi dans une situation ou dans des conditions justes et équitables; en conséquence, le ministre tient de l'article 34 le pouvoir d'empê- cher des manoeuvres ou ententes permettant, diriez-vous, de déformer ou de réduire le prix de vente en introduisant, disons,
des conditions anormales du marché et en réduisant de la sorte le prix de vente, ce qui réduirait le montant de l'impôt payable et donc les recettes de la Couronne, et fournirait à celui qui agit de la sorte un avantage fiscal puisqu'il paierait moins d'impôt que ses concurrents, dans les conditions normales d'un marché public ...
Maintenant si l'un quelconque des coûts habituels en cause qui forment le prix de vente ou le prix raisonnable est réduit ou éliminé, cela pourrait amener le ministre à conclure que vous n'avez pas un complet—ou que vous n'avez pas un prix de vente qui comprend tous les indices qui jouent sur les coûts, et qu'il ne s'agirait donc pas d'un prix raisonnable ... [Un] prix raisonnable serait le prix sur le marché public qui comprend tous les indices qui jouent normalent sur les coûts de commer cialisation de ce produit.
Il me semble raisonnable d'appliquer le critère du mode de mise en marché, mais l'appliquer exclusivement est déraisonnable. Par exemple, sup- posons que le prix auquel un fabricant vend des marchandises à un distributeur dans des conditions de non-concurrence soit le même que celui auquel ses concurrents vendent directement aux grossistes. Le fait qu'il soit déraisonnable dans ces circons- tances de n'avoir pas tenu compte des prix des concurrents est non seulement manifeste, mais aussi contraire à la propre politique du ministre dans un cas analogue (T, 121):
[TRADUCTION] [U]n fabricant vend des marchandises à trois détaillants qui sont complètement indépendants, sans lien de dépendance, et cela représente une grande partie de son entre- prise. Il met sur pied une autre entreprise de détail qu'il contrôle ou qu'il possède, et ses marchandises sont vendues à celle-ci au même prix qu'il fait payer aux autres et qui consti- tuerait un prix de vente acceptable; il s'agirait donc d'un prix raisonnable.
Seuls les prix extrinsèques concurrentiels permet- tent d'arriver à une conclusion raisonnable, mais l'approche du ministre exclurait cette possibilité, bien que Hannan ait reconnu qu'un prix concur- rentiel serait un prix raisonnable.
Hannan a reconnu aussi que l'on considère que l'article 34 s'applique également aux situations de pleine concurrence il existe, par exemple, des ventes de produits d'appel effectuées par une société tentant de percer un marché (T, 116, 170), ou encore un niveau de commercialisation vient s'ajouter à ce qui était normal dans le secteur d'activité économique concerné (T, 170, 187, 188). Mais pour déterminer si un prix a été fixé au-des- sous du coût exigerait certainement le recours au
critère du prix interne, tout comme seul le critère externe pourrait révéler que le prix ne correspon- dait pas à celui de la concurrence.
Pour aider à l'interprétation, le ministre a publié un Mémorandum ET 202 (dossier d'appel, pages 196 à 211) sur les valeurs imposables et un autre document «Guidelines for Fair Prices Cases Under Section 34 of the Excise Tax Act (Lignes directri- ces relatives aux cas de prix raisonnables sous le régime de l'article 34 de la Loi sur la taxe d'ac- cise) (dossier d'appel, pages 213 à 244). Hannan a reconnu que ni ET 202 ni les Guidelines n'ont force de loi (T, 217 à 218), ce qui nous ramène donc à l'article 34 lui-même.
J'ai déjà noté que dans le texte français de l'article, l'expression ((the fair price» est rendu par le «prix raisonnable». Ce texte prévoit donc une interprétation du mot fair dans le sens de raison- nable. À mon avis, une interprétation qui ne tient compte que d'un seul critère pertinent sur au moins trois ne saurait être considérée comme juste ni raisonnable. Je dois donc conclure que, en exa- minant seulement le critère du mode de mise en marché, le ministre n'a pas agi dans les limites de sa compétence, mais qu'il a omis d'examiner des éléments pertinents et a exercé son pouvoir sans tenir compte de considérations pertinentes.
L'appel devrait être accueilli en partie et le juge- ment du juge de première instance annulé pour ce qui est des quatre parties de son deuxième para- graphe. Le premier paragraphe de son jugement n'a plus à être numéroté comme tel, et l'ensemble du dispositif devrait être libellé en ces termes:
LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT:
1) La décision relative au «prix raisonnable» déterminé par le ministre du Revenu national le 27 octobre 1983, en vertu de l'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, c. E-13, et ses modifications, concernant les pinceaux fabriqués par la demanderesse et vendus à Flecto Coatings Ltd. entre le mois d'août et le mois de décembre 1981 est annulée,
2) L'action de la demanderesse fondée sur le paragraphe 17(4)(b) de la Loi sur la Cour fédérale est par les présentes rejetée,
3) La demanderesse a droit (conformément au paragraphe 57(3) de la Loi sur la Cour fédérale) à tous les frais de l'action après taxation.
Malgré l'argument invoqué par l'intimée, je ne suis pas persuadé que l'ordonnance du juge de
première instance quant aux frais doive être modi- fiée, mais étant donné que les parties ont partielle- ment gain de cause, il n'y a pas adjudication des dépens dans le présent appel.
LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.