A-760-86
Marcelle Tétreault-Gadoury (requérante)
c.
Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada (intimée)
et
Leon Vellone, Rodrigue Deraiche et Andre
Manocchio (mis-en-cause es-qualité de membres
du conseil arbitral en vertu de la Loi sur
l'assurance-chômage)
et
Sous-procureur général du Canada et procureur
général du Canada (mis-en-cause)
RÉPERTORIÉ: TÉTREAULT-GADOURY C. CANADA (COMMISSION
DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA)
Cour d'appel, juges Hugessen, Lacombe et Desjar-
dins—Montréal, 25 avril; Ottawa, 14, 15 juin et 23
septembre 1988.
Assurance-chômage — Demande de révision et d'annulation
de la décision par laquelle le conseil arbitral confirmait la
décision de la Commission qui déclarait la requérante inad
missible aux prestations d'assurance-chômage ordinaires en
raison de son âge — Sauf l'exclusion en raison de son âge, la
requérante remplissait toutes les autres conditions de la Loi —
Aux termes de l'art. 31, elle avait droit à la prestation spéciale
de retraite équivalant à trois semaines de prestations — La
requérante a interjeté appel au motif que l'art. 31 était con-
traire à l'art. 15 de la Charte — En rédigeant l'art. 31, le
législateur entendait éviter le chevauchement de l'assurance-
chômage avec les autres programmes sociaux comme la pen
sion de vieillesse — L'exclusion en raison de l'âge est abusive
et n'est plus justifiable compte tenu des modifications appor-
tées à la Loi et ses règlements depuis son instauration en 1971
— Il n'a pas été démontré que le législateur ne peut atteindre
son objectif en appliquant d'autres dispositions de la Loi et de
son règlement d'application — Le Conseil a commis une erreur
en donnant effet à une disposition incompatible avec la Charte.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — Discrimination en raison de l'âge — La requérante,
agée de 65 ans, a perdu son emploi — La Commission de
l'emploi et de l'immigration a avisé la requérante qu'en raison
de son âge, elle n'était plus admissible aux prestations d'assu-
rance-chômage ordinaires — Aux termes de l'art. 31 de la Loi
sur l'assurance-chômage, elle avait droit à la prestation spé-
ciale de retraite équivalant à trois semaines de prestations —
La requérante a interjeté appel auprès du conseil arbitral au
motif que l'art. 31 était contraire à l'art. 15 de la Charte, et
celui-ci a confirmé la décision de la Commission sans se
prononcer sur la question constitutionnelle — Le conseil arbi-
tral ou le juge-arbitre a le pouvoir de déclarer inopérantes des
dispositions d'une loi ou d'un règlement parce que contraires à
la Charte — Le conseil a commis une erreur en refusant de
considérer les arguments relatifs à la question constitution-
nelle — L'exclusion en raison de l'âge est abusive et incompa
tible avec l'art. 15 de la Charte — L'art. 31 de la Loi est
déclaré inopérant.
Compétence de la Cour fédérale — Division d'appel —
Demande de révision et d'annulation de la décision du conseil
arbitral — La requérante pouvait-elle soumettre la question
de la validité constitutionnelle de l'art. 31 de la Loi sur
l'assurance-chômage à la Cour par le truchement de la
demande fondée sur l'art. 28? — La requérante a contesté la
décision du conseil sans faire appel â un juge-arbitre — En
matière de détermination de la compétence, il importe peu que
la demande de révision concerne la décision d'un conseil
arbitral ou d'un juge-arbitre — Le conseil arbitral ayant
commis une erreur en refusant de considérer les arguments
d'ordre constitutionnel, la Cour d'appel a compétence pour le
faire.
En septembre 1986, la requérante, qui avait alors 65 ans, a
perdu son emploi. La Commission de l'emploi et de l'immigra-
tion l'a avisée qu'en raison de son âge, elle n'était plus admissi
ble à recevoir des prestations d'assurance-chômage ordinaires,
mais qu'aux termes de l'article 31 de la Loi, elle avait droit à la
prestation spéciale de retraite, équivalant à trois semaines de
prestations. La requérante a interjeté appel au motif que
l'article 31 était contraire à l'article 15 de la Charte. Le conseil
arbitral a confirmé la décision de la Commission sans se
prononcer sur la question constitutionnelle. La requérante a
contesté la décision du conseil par le truchement de cette
demande de révision judiciaire plutôt que de s'en remettre à un
juge-arbitre.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Le juge Lacombe: Les tribunaux administratifs, qu'il s'agisse
d'un conseil arbitral ou d'un juge-arbitre, ont le pouvoir de
constater qu'un texte législatif ou réglementaire est inopérant
parce qu'il est incompatible avec la Charte. Le pouvoir de
refuser de donner effet à un texte législatif ou réglementaire,
jugé inconstitutionnel, est inhérent à tout organisme doté du
pouvoir d'adjudication entre les droits des parties dans une
instance particulière. Conséquemment, le conseil ayant commis
une erreur en refusant de considérer les arguments d'ordre
constitutionnel que la requérante lui avait soumis, il y a lieu
pour la Cour de s'en saisir et de se prononcer à cet égard.
L'article 31 de la Loi est déclaré inopérant parce que con-
traire à la Charte. La négation totale du droit aux prestations
d'assurance-chômage aux chômeurs âgés de 65 ans ne peut plus
se justifier compte tenu des récentes modifications apportées à
la Loi et aux règlements. Le législateur pourrait parvenir à
éviter le chevauchement de l'assurance-chômage avec les autres
programmes sociaux en appliquant d'autres dispositions perti-
nentes de la Loi ou des règlements.
Le juge Desjardins (motifs concordants quant au résultat):
Les organismes chargés d'interpréter la loi doivent le faire
intégralement. Il appartient à l'organisme en cause de décider
du caractère inopérant d'une disposition législative eu égard à
la Charte, sous réserve de la révision judiciaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1, 15(1), 24(1).
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. 1977,
chap. C-12.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art.
91, 96.
Loi constitutionnelle de 1940, 3 & 4 Geo. VI, chap. 36
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 27] (mod. par
la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 18), art.
91.2A.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52(1).
Loi de 1973 sur les allocations familiales, S.C. 1973-74,
chap. 44.
Loi de 1940 sur l'assurance-chômage, S.C. 1940,
chap. 44 (mod. par S.C. 1955, chap. 50).
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72,
chap. 48, art. 19 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art.
32), 22(2) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 34),
24(1), 25, 31 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 80, art.
10), (1) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 39),
(2),(4), 34 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 41),
35(1) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 41), 91,
92(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 158, art.
55), 94, 956) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art.
56), 96 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 56).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 109(1)b), 117(1)c).
Loi des liqueurs alcooliques, S.R.Q. 1941, chap. 255.
Loi favorisant la retraite anticipée et améliorant la rente
des conjoints survivants, L.Q. 1983, chap. 12.
Loi modifiant le Régime de rentes du Québec, L.Q. 1977,
chap. 24.
Loi sur l'assurance-maladie du Québec, L.R.Q. 1977,
chap. A-29.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap.
10, art. 28(1),(4).
Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.C. 1951, chap. 18
(mod. par S.C. 1957-58, chap. 3; 1966-67, chap. 65).
Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.R.C. 1970, chap.
O-6.
Loi sur le dimanche, S.R.C. 1970, chap. L-13.
Loi sur le réexamen de l'admissibilité aux prestations
d'assurance-chômage (pension), S.C. 1987, chap. 17.
Régime de pensions du Canada, S.R.C. 1970, chap. C-5
(mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 4; 1986, chap. 38).
Régime de rentes du Québec, L.Q. 1965, chap. 24, art.
119a).
Règlement sur l'assurance -chômage, C.R.C., chap. 1576,
art. 57(1),(2)e),(3)j) (mod. par DORS/87-188), 66(1),
70(4) (mod. par DORS/82-1046, art. 1).
Règlement sur les allocations familiales, C.R.C., chap.
642.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
R. c Big M Drug Mart Ltd., et autres, [1985] 1 R.C.S.
295; Zwarich c. Canada (Procureur général), [1987] 3
C.F. 253 (C.A.); Nixon c. Canada (Commission de l'em-
ploi et de l'immigration du Canada) (A-649-86 et
A-728-86, juges Urie, Mahoney et Hugessen, jugement
en date du 14-12-87 (C.A.), encore inédit); Douglas/
Kwantlen Faculty Assn. v. Douglas College (1988), 21
B.C.L.R. (2d) 175 (C.A.); Union des employés de com
merce, local 503 c. WE. Bégin Inc., (19 décembre 1983,
Québec, 200-09-000-709-821, J.E. 84-65 (C.A.) non
publié); R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; R. c. Edwards
Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S 713; Northern
Telecom Canada Ltée. c. Syndicat des travailleurs en
communication du Canada, [1983] 1 R.C.S 733; Thé-
berge (J.R.) Ltée v. Syndicat National des Employés de
!'Aluminum d'Arvida Inc. et autres, [1966] R.C.S. 378;
Roncarelli v. Duplessis, [1959] S.C.R. 121; P.P.G.
Industries Canada Ltd. c. Procureur-général du Canada,
[1976] 2 R.C.S. 739; Capital Cities Communications
Inc. et autre c. Conseil de la Radio-Télévision cana-
dienne, [1978] 2 R.C.S. 141; Innisfil (municipalité du
canton) c. Municipalité du canton de Vespra et autres,
[1981] 2 R.C.S. 145; Northern Telecom Canada Limitée
c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1
R.C.S. 115; Côté v. Commission de l'emploi et de l'im-
migration du Canada (1986), 69 N.R. 126 (C.A.F.);
Bliss c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 183;
Le procureur général du Canada c. Walford, [1979] 1
C.F. 768 (C.A.); Hills c. Canada (Procureur général),
[1988] 1 R.C.S. 513.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Canada (Procureur général) c. Viner, [1988] 1 C.F. 714
(C.A.); Canada (Procureur général) c. Alli, [1988] 3
C.F. 444 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Sirois
(A-559-86, juge Pratte, jugement en date du 24-6-88,
encore inédit); Schachter c. Canada, [1988] 3 C.F. 515
(1" inst.); Séminaire de Chicoutimi c. La Cité de Chi-
coutimi, [1973] R.C.S. 681.
DECISIONS CITÉES:
Ontario Public Service Employees' Union v. Algonquin
College of Applied Arts and Technology, Cour division-
naire (juges Steele, Holland et White, 16 avril 1987,
encore inédit); Moore v. B.C. (Govt.) (1988), 23 B.C.L.R.
(2d) 105 (C.A.); Terminaux portuaires du Québec c.
Association des employeurs maritimes (A-1080-87, juges
Pratte, Marceau et Desjardins, jugement en date du
11-8-88 (C.A.), encore inédit).
DOCTRINE
Ouellette, Yves «La Charte canadienne et les tribunaux
administratifs» (1984), 18 R.J.T. 295.
Duplessis, Yvon «Un tribunal inférieur peut-il se pronon-
cer sur une disposition législative ultra vires» (1984),
15 R.G.D. 127.
Pépin, Gilles «La compétence des cours inférieures et des
tribunaux administratifs de stériliser, pour cause d'in-
validité ou d'ineffectivité, les textes législatifs et régle-
mentaires qu'ils ont mission d'appliquer» (1987), 47 R.
du B. 509.
Pinard, Danielle «Le pouvoir des tribunaux administratifs
québécois de refuser de donner effet à des textes qu'ils
jugent inconstitutionnels» (1987), 33 McGill L.J. 170.
Garton, Graham R., Charter Issues in Civil Cases,
Toronto: Carswell, 1988.
Gibson, Dale, The Law of the Charter: General Princi
ples, Toronto: Carswell, 1986.
Sack, Jeffrey «Procedures in Charter Cases; Procedures
and Remedies—Examination of Questions Pertaining
to: WHICH» (1986), Charter Cases, Causes invoquant
la Charte; Cdn. Bar Assoc. 1 l .
Canada. Commission de réforme du droit. Conseil sur
l'administration publique, Série droit administratif,
Document d'étude (Ottawa: Ministre des Approvision-
nements et Services Canada, 1980).
AVOCATS:
Jean-Guy Ouellet et Gilbert Nadon pour la
requérante.
Carole Bureau et Claude Joyal pour l'intimée
et les mis-en-cause, le sous-procureur général
du Canada et le procureur général du
Canada.
PROCUREURS:
Campeau, Cousineau & Ouellet, Montréal,
pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée et les mis-en-cause, le sous-procu-
reur général du Canada et le procureur géné-
ral du Canada.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE LACOMBE: La requérante est née le 8
septembre 1921. Elle avait donc 65 ans le 8 sep-
tembre 1986. Le 19 septembre 1986, elle perdait
son emploi d'animatrice à l'Association-locataires
Villeray Inc., qu'elle avait occupé depuis le 24
mars 1986 au salaire hebdomadaire de 301,60 $.
Le 22 septembre 1986, elle déposait une demande
de prestations conformément à la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, chap. 48].
Sauf l'exclusion en raison de son âge, elle remplis-
sait toutes les autres conditions établies par la Loi;
ce qui, selon l'article 24 lui aurait donné droit à
des prestations d'assurance-chômage au montant
de 180 $ par semaine, sur une période couvrant
plusieurs semaines.
D'ailleurs, avant d'obtenir son emploi à l'Asso-
ciation-locataires Villeray Inc., elle avait reçu pen
dant 37 semaines, du 16 juin 1985 au 22 mars
1986, des prestations d'assurance-chômage au taux
de 185 $ par semaine.
Le 14 octobre 1986, la Commission de l'emploi
et de l'immigration l'avisait qu'en raison de son
âge, elle n'était plus admissible à recevoir des
prestations d'assurance-chômage ordinaires mais
qu'aux termes de l'article 31 de la Loi, elle avait
droit à la prestation spéciale de retraite au mon-
tant de 540 $, équivalant à trois semaines de
prestations.
La requérante en appela de cette décision de la
Commission devant un conseil arbitral, au motif
que l'article 31 de la Loi était contraire à la
Charte canadienne des droits et libertés [qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)]. A l'audience, la requérante
déclarait recevoir depuis son dernier anniversaire
de naissance la somme de 481 $ par mois à titre de
pensions, sans toutefois en donner la nature ni en
préciser les détails'. Elle déclara aussi qu'elle se
cherchait activement du travail. Pour étayer sa
position relativement à la Charte, elle mit en
preuve certains documents dont, entre autres, des
extraits des procès-verbaux d'un sous-comité de la
Chambre des communes portant sur la retraite
obligatoire, des extraits du rapport de la Commis
sion Forget, un document de travail intitulé «Les
droits à l'égalité et la législation fédérale» et publié
par le ministère de la Justice du Canada, etc. Sans
se prononcer sur la question constitutionnelle, le
conseil arbitral confirmait, le 12 décembre 1986,
la décision de la Commission à l'effet qu'à cause
de son âge, la requérante n'avait plus droit de
recevoir des prestations d'assurance-chômage ordi-
naires.
Sans passer par la voie de l'appel ultérieur à un
juge-arbitre, la requérante attaquait directement
en cette Cour la décision du conseil arbitral par sa
demande d'annulation et d'examen selon l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e
' À l'aide de la documentation mise en preuve, on peut
extrapoler qu'elle recevait le montant de base de la pension de
sécurité de la vieillesse qui lui était payable en décembre 1986
(294,43 $ par mois); le solde de 186,57 $ étant constitué d'une
pension qu'elle devait toucher du Régime des rentes du Québec.
Supp.), chap. 10] pour y soulever de nouveau
l'incompatibilité de l'article 31 de la Loi avec
l'article 15 de la Charte. Par décision interlocu-
toire rendue par un juge de cette Cour, les parties
étaient autorisées à faire la preuve qu'elles juge-
raient opportun de faire en rapport avec la ques
tion constitutionnelle soulevée par le pourvoi.
Cette preuve par affidavit et par le dépôt d'une
documentation abondante a été déposée au dossier
de la Cour.
Question préliminaire
Avant d'aborder le vif du sujet, il importe de
savoir si le recours choisi par la requérante permet
de trancher la question de fond qu'il soulève. En
d'autres mots, la requérante pouvait-elle demander
au conseil arbitral de décider de la validité consti-
tutionnelle de l'article 31 de la Loi et pouvait-elle
soumettre la même question à la Cour par le
truchement de la demande d'annulation et d'exa-
men prévue à l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale. La compétence des tribunaux inférieurs,
et surtout des tribunaux administratifs, de décider
des questions impliquant la Charte canadienne des
droits et libertés est controversée tant en jurispru
dence que dans la littérature juridique 2 .
La Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]
édicte en son paragraphe 52(1):
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du
Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de
toute autre règle de droit.
Dans R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres,
[1985] 1 R.C.S. 295, le juge Dixon, juge en chef
de la Cour suprême du Canada, écrivait à la page
353:
Si un tribunal judiciaire ou administratif juge une loi incom
patible avec la Constitution, ce tribunal a, en vertu du caractère
2 Voir par exemple: Yves Ouellette, «La Charte canadienne
et les tribunaux administratifs» (1984), 18 R.J.T. 295, aux p.
321 et suivantes; Yvon Duplessis, «Un tribunal inférieur peut-il
se prononcer sur une disposition législative ultra vires?»
(1984), 15 R.G.D. 127; Gilles Pépin, «La compétence des cours
inférieures et des tribunaux administratifs de stériliser, pour
cause d'invalidité ou d'ineffectivité, les textes législatifs et
réglementaires qu'ils ont mission d'appliquer» (1987), 47 R. du
B. 509; Gilles Pépin, «La compétence du Tribunal du travail de
juger une loi ineffective (inopérante)» (1988), 48 R. du B. 125;
Danielle Pinard, «Le pouvoir des tribunaux administratifs qué-
bécois de refuser de donner effet à des textes qu'ils jugent
inconstitutionnels» (1987), 33 McGill L.J. 170.
prédominant de la Loi constitutionnelle de 1982 prévu au par.
52(1), non seulement le pouvoir mais encore l'obligation de
considérer comme «inopérantes» les dispositions incompatibles
de cette loi.
Certes, cet énoncé était obiter dictum quant à la
référence aux tribunaux administratifs puisqu'il
s'agissait dans cette affaire du pouvoir d'un tribu
nal inférieur de juridiction pénale de se prononcer
sur la validité de la Loi sur le dimanche [S.R.C.
1970, chap. L-13] en regard des dispositions de la
Charte.
Forte de cette directive de la part de la Cour
suprême du Canada, cette Cour a affirmé à deux
reprises qu'en vertu de la Loi de 1971 sur l'assu-
rance-chômage, un conseil arbitral et un juge-
arbitre avaient le pouvoir de se prononcer sur
l'application de la Charte. Dans Zwarich c.
Canada (Procureur général), [1987] 3 C.F. 253, le
juge Pratte, au nom de la Cour, écrivait à la page
255:
Il est évident qu'il n'appartient ni au conseil arbitral ni au
juge-arbitre de statuer sur la validité constitutionnelle des lois
et des règlements. Il s'agit d'un privilège réservé aux instances
supérieures. Mais le juge-arbitre et le conseil arbitral doivent
appliquer le droit, comme tous les tribunaux d'ailleurs. Ils
doivent donc déterminer le droit applicable, et pour ce faire, ils
doivent non seulement interpréter les lois et les règlements
applicables mais également statuer sur la validité de leur
adoption. S'ils concluent qu'une disposition légale applicable
enfreint la Charte, ils doivent trancher la question comme si
cette disposition n'avait jamais été adoptée. Le droit sur ce
point, si j'ai bien compris, a été clairement formulé par le juge
Macfarlane de la Cour. d'appel de la Colombie-Britannique
dans l'arrêt Re Schewchuk and Ricard; Attorney -General of
British Columbia et al; Intervenors 2 :
2 (1986), 28 D.L.R. (4th), aux p. 439 et 440.
[TRADUCTION] Il est avéré que le pouvoir de rendre un
jugement déclaratoire sur la validité constitutionnelle des lois
adoptées par le Parlement ou l'une des Législatures ressortit
à la compétence exclusive des instances supérieures.
Mais il est également avéré que si une personne comparaît
devant un tribunal suite à une inculpation, à une plainte ou à
un autre acte de procédure qui relève régulièrement de la
compétence de ce dernier, il s'ensuit que le tribunal a compé-
tence d'une part, pour juger que la loi sur laquelle repose
l'inculpation, la plainte ou l'autre acte de procédure est
inopérante du fait des dispositions de la Charte canadienne
des droits et libertés, et d'autre part, pour rejeter l'inculpa-
tion, la plainte ou l'autre acte de procédure. Le prononcé
d'un jugement déclaratoire portant que la loi contestée est
inopérante n'est, dans ce contexte, rien de plus qu'une déci-
sion sur une question juridique dont le tribunal est régulière-
ment saisi. Cela n'empiète aucunement sur le droit exclusif
des instances supérieures d'accorder un redressement par
voie de bref de prérogative, y compris un jugement
déclaratoire.
Il faut noter que, dans cette cause, on avait
invoqué l'incompatibilité d'une disposition de la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage avec deux
articles de la Charte et devant le conseil arbitral et
devant le juge-arbitre qui, faute de juridiction
prétendaient-ils, avaient tous deux refusé de dispo-
ser de la question. Quelques mois plus tard, dans
Nixon c. Canada (Commission de l'emploi et de
l'immigration du Canada) (A-649-86 et A-728-86,
juges Urie, Mahoney et Hugessen, jugement en
date du 14-12-87, encore inédit), cette Cour
réitérait:
[TRADUCTION] Le juge-arbitre a refusé de se pencher sur cet
argument au motif qu'il ne constituait pas le tribunal compé-
tent visé à l'article 24. Ce en quoi il se trompait clairement. La
décision non publiée que cette Cour a rendue le 17 juin 1987
dans l'affaire Zwarich c. P. g. du Canada, numéro du greffe
A-521-86, postérieurement à la décision du juge-arbitre, est
concluante à cet égard.
Il faut rappeler que cet arrêt a été rendu après
la décision majoritaire de la Cour dans l'affaire
Canada (Procureur général) c. Vincer, [1988] 1
C.F. 714 (C.A.) 3 , qui a jugé qu'un comité de
révision institué en vertu du Règlement sur les
allocations familiales [C.R.C., chap. 642] n'était
pas un tribunal compétent aux désirs du paragra-
phe 24(1) de la Charte.
L'arrêt Vincer ne s'applique pas à l'espèce. Dans
cette affaire, le comité de révision avait décidé
d'accorder au père, séparé de son épouse, la moitié
des allocations payables aux enfants dont il avait,
la garde conjointement avec elle alors que les
dispositions législatives et réglementaires (que le
comité jugea être en violation de la Charte) n'au-
torisaient pas une telle solution de compromis mais
prévoyaient plutôt le versement des allocations à la
mère et à titre exceptionnel au père, mais dans
certaines circonstances très précises. Le comité
avait ainsi ordonné aux autorités du ministère de
faire une chose que la Loi n'autorisait pas; ce
faisant, il avait ordonné une réparation qu'il esti-
mait juste et convenable en application du para-
graphe 24(1) de la Charte, alors que le comité
avait seulement compétence pour juger des appels
dont il était saisi conformément à la Loi [Loi de
1973 sur les allocations familiales, S.C. 1973-74,
3 Cette décision a été suivie dans Canada (Procureur général)
c. Alli, [1988] 3 C.F. 444 (C.A.) et Canada (Procureur géné-
ral) c. Sirois, (A-559-86, juge Pratte, jugement en date du
24-6-88, encore inédit).
chap. 44] et au Règlement sur les allocations
familiales. Dans l'affaire Alli, un semblable
comité avait, entre autres choses, jugé discrimina-
toire au sens de l'article 15 de la Charte une
disposition de la Loi qui prévoyait le paiement
d'allocations familiales au parent qui n'avait qu'un
statut de visiteur mais ne les accordait pas au
résident qui attendait la détermination de son
statut de réfugié politique. Encore là, le comité
outrepassait sa juridiction, en extensionnant aux
résidents les bénéfices que la Loi accorde aux
visiteurs. Il ordonnait une réparation au sens du
paragraphe 24(1) de la Charte. La Cour a décidé
que le Comité de révision n'avait pas compétence
pour ce faire, parce qu'il n'était pas un tribunal
compétent pour ordonner réparation dans le sens
indiqué au paragraphe 24(1) de la Charte. Écri-
vant pour lui-même et ses collègues, les juges Urie
et Stone, le juge Pratte dit, aux pages 450 et 451:
Il est certainement difficile de concilier les opinions émises
dans les affaires Zwarich et Vincer. Il n'est toutefois pas
nécessaire de choisir entre ces deux décisions en apparence
contradictoires pour les fins de la présente espèce puisque rien
de ce qui a été dit dans l'arrêt Zwarich ne peut aider l'intimée.
Clairement, pour les motifs prononcés par le juge Marceau et le
juge Stone dans l'arrêt Vincer, un comité d'appel créé confor-
mément à l'article 15 de la Loi de 1973 sur les allocations
familiales n'est pas un «tribunal compétent» au sens de l'article
24 de la Charte. Rien n'a été dit à ce sujet dans l'arrêt
Zwarich. Il y a été conclu qu'un tribunal qui rend une décision
qu'il est habilité à rendre peut ignorer les dispositions de la loi
qui, selon lui, contreviennent à la Constitution et sont, pour ce
motif, «inopérantes». Cette proposition ne s'applique pas à la
présente espèce. L'avocat de l'intimée a reconnu que l'alinéa
3(1)a) et le sous-alinéa 3(1)b)(1) ne sont pas discriminatoires.
Il a seulement prétendu à cet égard que le sous-alinéa
3(1)b)(ii) était libellé de façon trop limitative et aurait dû, pour
éviter d'être discriminatoire, viser les personnes se trouvant
dans la situation de l'intimée. Si cette prétention était bien
fondée, le sous-alinéa 3(1)b)(ii) enfreindrait l'article 15 de la
Charte et serait par conséquent «inopérant». Ceci n'aiderait
évidemment pas l'intimée, qui ne peut avoir gain de cause à
moins que le comité d'appel ait eu le droit, en statuant sur son
pourvoi, d'appliquer une nouvelle version du sous-alinéa
3(1)b)(ii) comportant les modifications nécessaires pour le
rendre constitutionnel. De toute évidence, le comité n'avait pas
un tel droit.
Dans l'espèce, c'est le paragraphe 52(1) de la
Loi constitutionnelle de 1982 qu'on a invoqué et
non le paragraphe 24(1) de la Charte. La requé-
rante n'a pas demandé au conseil arbitral et à cette
Cour de déclarer que l'article 31 de la Loi de 1971
sur l'assurance-chômage devait être modifié pour
le rendre conforme à l'article 15 de la Charte ou
d'ordonner un remède qui impliquerait l'adoption
d'ajustements législatifs appropriés 4 .
Il s'agit plutôt et seulement de savoir si l'article
31 de la Loi est, dans sa totalité, inopérant parce
qu'il est incompatible avec l'article 15 de la
Charte. La requérante ne demande pas, en invo-
quant la Charte, qu'on lui attribue, pour donner
des exemples extrêmes, les mêmes bénéfices que la
Loi accorde à la prestataire enceinte ou à la mère
adoptive. Elle demande seulement, eu égard aux
exigences de la Charte, un constat d'inefficacité de
l'article 31 de la Loi qui la prive, seulement à
cause de son âge, des prestations d'assurance-chô-
mage reconnues aux autres prestataires qui sont
dans la même situation qu'elle, i.e. en chômage et
dans les mêmes conditions d'admissibilité aux
prestations.
Les textes attributifs de juridiction aux conseils
arbitraux et aux juges-arbitres ne comportent
aucune restriction, telle celle de ne pouvoir juger
que conformément à la Loi ou au Règlement
comme c'était le cas dans l'affaire Vincer selon la
Loi de 1973 et le Règlement sur les allocations
familiales. Tout ce que l'article 94 de la Loi
prescrit, c'est de prévoir, sans plus, un appel
devant un conseil arbitral de toute décision de la
Commissions. Par ailleurs, l'article 95 prévoit un
appel ultérieur à un juge-arbitre, notamment au
paragraphe b), au motif que «le conseil arbitral a
rendu une décision ou une ordonnance entachée
° Tel était le cas dans la cause Schachter c. Canada, [ 1988] 3
C.F. 515 (1" inst.) dans laquelle monsieur le juge Strayer a
accordé au père naturel d'un enfant les mêmes bénéfices prévus
à l'article 32 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage en
faveur du père adoptif, dans des conclusions déclaratoires dont
la teneur impliquait l'adoption éventuelle d'amendements à la
Loi; d'où la pertinence de ses remarques qu'en telle occurrence
il était souhaitable de procéder par action déclaratoire selon
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, de préférence à
l'appel au juge-arbitre en vertu de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage.
5 94. (1) Le prestataire ou un employeur du prestataire peut
à tout moment, dans les trente jours de la date où il reçoit
communication d'une décision de la Commission, ou dans le
délai supplémentaire que la Commission peut accorder pour des
raisons spéciales dans un cas particulier, interjeter appel de la
manière prescrite devant le conseil arbitral.
(2) La décision d'un conseil arbitral doit être consignée. Elle
doit comprendre un exposé des conclusions du conseil sur les
questions de fait essentielles.
d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non
à la lecture du dossier» 6 . De plus, selon l'article 96,
«Le juge-arbitre peut trancher toute question de
droit ou de fait pour statuer sur un appel interjeté
en vertu de l'article 95; il peut rejeter l'appel,
rendre la décision que le conseil arbitral aurait dû
rendre ... , confirmer, infirmer ou modifier totale-
ment ou partiellement la décision du conseil
arbitral».
Cela implique que le conseil arbitral a lui-même
compétence pour se prononcer sur toute question
de droit qui, à défaut de précisions dans la Loi, ne
peut être confinée aux seules questions de droit
relatives à l'application de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage et du Règlement, mais doit
s'étendre à toute question de droit se rattachant à
l'application de toute autre loi, et, bien sûr, de la
loi suprême du Canada, dont la Charte canadienne
des droits et libertés fait partie. On se plaît à dire
que le paragraphe 24(1) de la Charte n'est pas
attributif de compétence particulière aux tribu-
naux, en sus ou indépendamment de la juridiction
qui leur est attribuée par leurs lois constituantes.
Le contrepoids de cette proposition veut qu'il ne
peut être utilisé non plus pour la restreindre. Si un
tribunal n'est pas normalement compétent pour
émettre un jugement déclaratoire, il n'acquiert pas
ce pourvoir-là parce qu'on l'invite à se prononcer
sur l'application de la Charte. De même façon, si
un tribunal administratif a, de par sa loi consti-
tuante, compétence pour se prononcer sur une
question de droit, il ne perd pas cette compétence
parce que la question de droit à décider implique
des considérations qui mettent en jeu l'application
d'une disposition de la Charte. Or, décider qu'une
disposition de la Loi est inopérante en raison de
son incompatibilité avec la Charte est une question
de droit comme toute autre question de droit que
les conseils arbitraux ont droit de trancher, même
si leurs membres n'ont pas à posséder de formation
juridique comme telle.
6 95. Toute décision ou ordonnance d'un conseil arbitral
peut, de plein droit, être portée en appel de la manière pres-
crite, devant un juge-arbitre par la Commission, un prestataire,
un employeur ou une association dont le prestataire ou l'em-
ployeur est membre, au motif que
b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance
entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou
non à la lecture du dossier; ou
Bien que leur constitution soit de nature particu-
lière', les conseils arbitraux ne sont pas des créatu-
res de la Commission de l'emploi et de l'immigra-
tion. On l'a vu à l'article 96 de la Loi, ils peuvent
rendre des décisions et émettre des ordonnances
dont la Commission peut appeler devant un juge-
arbitre. Selon le paragraphe 66(1) du Règlement
sur l'assurance-chômage [C.R.C., chap. 1576],
«Un conseil arbitral doit accorder à chacune des
parties en cause dans un appel la possibilité raison-
nable de présenter ses arguments au sujet de toute
affaire dont il est saisi.»
Depuis l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., supra, on
reconnaît aux tribunaux de juridiction inférieure
en matières pénales la qualité de tribunal compé-
tent pour les fins du paragraphe 24(1) de la
Charte. Cette compétence ressortit à la notion de
la défense pleine et entière.
II est difficile de voir qu'un conseil arbitral doit
accorder aux parties la faculté de présenter leurs
«arguments au sujet de toute affaire dont il est
saisi», mais que cette obligation cesse dès que
l'argument soulève l'inefficacité d'une disposition
' Loi de 1971 sur l'assurance-chômage:
91. (I) Seront institués des conseils arbitraux, composés
d'un président ainsi que d'un ou plusieurs membres choisis
parmi les employeurs ou leurs représentants et d'autant de
membres choisis parmi les assurés ou leurs représentants.
(2) Les présidents des conseils arbitraux sont nommés par
le gouverneur en conseil pour un mandat renouvelable de
trois ans. Ils cessent d'exercer leurs fonctions à l'âge de
soixante-quinze ans et peuvent à tout moment faire l'objet
d'une révocation motivée de la part du gouverneur en conseil.
(3) La Commission dresse des listes des employeurs et de
leurs représentants, ainsi que des assurés et de leurs représen-
tants. Les membres des conseils arbitraux sont choisis de la
manière prescrite parmi les personnes inscrites sur ces listes.
(4) La rémunération à verser au président et aux autres
membres d'un conseil arbitral ainsi que les indemnités de
déplacement, de séjour et autres, dont l'indemnité pour
manque à gagner, à verser à un président, un membre de
conseil arbitral ou toute autre personne requise de se présen-
ter devant le conseil, et les autres dépenses à faire pour le
fonctionnement d'un conseil arbitral seront celles qu'approu-
vera le conseil du Trésor.
(5) Sous réserve des autres dispositions du présent article,
la Commission peut, avec l'approbation du gouverneur en
conseil, établir des règlements concernant l'organisation des
conseils arbitraux, notamment la nomination des membres, le
nombre de membres qui forme quorum ainsi que la pratique
et la procédure des instances devant un conseil arbitral.
de la Loi ou du Règlement en face des exigences
de la Charte. La Charte doit être accessible de
même façon à tous les justiciables, tant ceux qui
ont à se défendre devant les instances pénales
devant lesquelles ils sont traduits que ceux qui ont
des recours à exercer devant les juridictions civiles
ou administratives contre les actes de l'administra-
tion ou lorsqu'une législation les brimes dans leurs
droits et libertés. Dans la mesure où la procédure
devant ces instances ne s'y oppose pas, il devrait
être loisible aux justiciables d'invoquer les droits
garantis par la Charte devant le forum naturel où
ils peuvent s'adresser. Pour le prestataire, la voie
normale de contester les décisions de la Commis
sion, c'est d'abord l'appel devant un conseil arbi-
tral, ensuite devant un juge-arbitre et de là devant
la Cour par le biais de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale, ou directement du conseil arbitral à
la Cour fédérale d'appel. Il s'agit là de procédures
expéditives, peu coûteuses et d'accès facile qui
devraient être à la portée immédiate des personnes
en faveur de qui elles ont été édictées. Le droit
d'être entendu par toutes et chacune de ces instan
ces comporte le droit d'y faire valoir efficacement
des moyens relatifs à la suprématie de la Constitu
tion du Canada.
L'arrêt Zwarich précité a traité les conseils arbi-
traux et les juges-arbitres à peu près sur le même
pied d'égalité quant à leur pouvoir de juger inopé-
rant un texte législatif ou réglementaire pour
incompatibilité avec une disposition de la Charte.
Au point de vue institutionnel et fonctionnel, ce
sont des organismes judiciaires ou quasi judiciaires
de facture similaire, bien qu'il y ait entre eux des
variantes quant à l'exercice de leur juridiction et
qu'aux termes du paragraphe 92(1) de la Loi, les
juges-arbitres soient nommés parmi les juges de la
Cour fédérale du Canada par le gouverneur en
conseil qui peut aussi déterminer leur compéten-
ce 8 . A tout événement, ce sont des tribunaux admi-
nistratifs de même nature juridictionnelle, mais à
des niveaux d'appel différents. Pour déterminer la
compétence de cette Cour en vertu de l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale, il n'y a pas lieu de
e 92. (1) Le gouverneur en conseil peut nommer, parmi les
juges de la Cour fédérale du Canada, autant de juges-arbitres
qu'il estime nécessaire aux fins de la présente loi et, sous
réserve des dispositions de cette dernière, il peut, par règlement,
déterminer leur compétence.
faire de distinction, que la demande d'annulation
et d'examen soit faite à l'encontre de la décision du
juge-arbitre ou soit prise directement contre celle
du conseil arbitral. A cet égard, il est paradoxal,
sinon significatif, de constater que le paragraphe
70(4) du Règlement sur l'assurance-chômage pré-
voit la possibilité qu'un juge-arbitre déclare ultra
vires une disposition de la Loi ou du Règlement et
décrète qu'en telle éventualité, le paiement des
prestations dans les autres cas est suspendu tant
que la décision en révision n'a pas été prononcée
par la Cour d'appel fédérale 9 . On ne peut évidem-
ment tirer de ce texte aucun argument à l'effet
qu'un conseil arbitral puisse prononcer des juge-
ments déclaratoires, valides erga omnes, mettant
en cause la validité constitutionnelle de la Loi ou
du Règlement pour violation des dispositions de la
Charte. Il peut même s'avérer que le paragraphe
70(4) soit lui-même d'une validité douteuse. Il
n'est pas nécessaire d'en décider. Tout ce qu'il
importe de signaler pour le moment, c'est que,
dans cette disposition réglementaire qui date du 26
novembre 1982 (DORS/82-1046), après la mise en
vigueur de la Charte, on ait songé à la possibilité
qu'un tribunal administratif comme un juge-arbi-
tre puisse déclarer ultra vires une disposition de la
Loi elle-même. Passe encore que l'on puisse décla-
rer ultra vires une disposition du Règlement; mais
si on envisage cette possibilité pour une disposition
de la Loi elle-même, n'est pas exclue une telle
déclaration pour cause d'incompatibilité en regard
des exigences de la Charte. Tout cela pour dire
qu'il n'y a rien d'incongru à ce que l'on reconnaisse
à un tribunal administratif, comme un conseil
arbitral ou un juge-arbitre, le pouvoir de constater
qu'un texte législatif ou réglementaire est inopé-
rant parce qu'il est incompatible avec la Charte
canadienne des droits et libertés. Le pouvoir de
refuser de donner effet à un texte législatif ou
réglementaire, jugé inconstitutionnel, est inhérent
à tout organisme doté du pouvoir d'adjudication
9 70. (4) Lorsque, dans le cas d'une demande de prestations,
le juge-arbitre déclare ultra vires une disposition de la Loi ou
du présent règlement, et que la Commission demande une
révision de la décision du juge-arbitre, conformément à la Loi
sur la Cour fédérale, il n'est versé, tant qu'une décision finale
n'a pas été rendue à ce sujet, aucune prestation à l'égard des
autres demandes de prestations présentées après la décision du
juge-arbitre et qui, si ce n'était de cette décision, ne donne-
raient pas lieu au versement de prestations.
entre les droits des parties dans une instance
particulière.
Dans l'affaire Douglas/Kwantlen Faculty Assn.
v. Douglas College (1988), 21 B.C.L.R. (2d) 175,
la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a
statué dans le même sens que cette Cour dans
l'arrêt Zwarich, supra, en reconnaissant à un arbi-
tre siégeant en vertu du Code du travail de cette
province le droit de statuer sur l'invalidité d'une
clause d'une convention collective en regard de la
Charte. Dans son opinion conjointe, la Cour s'ex-
prime ainsi, aux pages 184 et 185:
La troisième question qui est soulevée dans le présent appel
porte sur le droit de l'arbitre d'examiner la question de savoir si
la disposition relative à la retraite obligatoire était nulle en
application de la Charte. Aucun redressement n'a été demandé
sous le régime de l'art. 24 de la Charte et, en conséquence, la
question de savoir si un arbitre constitue un tribunal compétent
pour accorder un redressement fondé sur cette disposition ne se
pose pas.
Il incombe à un arbitre de trancher les questions soumises
conformément aux droits des parties reconnus par la loi et de
refuser de rendre une sentence arbitrale portant exécution d'un
contrat illégal. Dans l'affaire David Taylor & Son Ltd. v.
Barnett Trading Co., [1953] 1 W.L.R. 562, [1953] 1 All. E.R.
843 (C.A.), lord Denning s'est prononcé en ces termes à la page
847:
Il existe, non pas une règle de droit pour les arbitres et une
autre pour la cour, mais une seule règle de droit pour tous. Si
un contrat est illégal, les arbitres doivent refuser d'y faire
droit comme le ferait la cour.
Le redressement qui découlerait d'une conclusion que l'art.
4.04, la disposition impérative de la convention collective, vio-
lait le par. 15(1) de la Charte consisterait à déclarer inopérant
cet article de la convention collective en application de l'art. 52
de la Charte, ce qui, à notre avis, relève de la compétence d'un
arbitre compte tenu des faits de l'espèce.
De même façon, comme le rapporte Me Pinard
dans son article précité, aux pages 181 et 187,
notes 44 et 74, qui fait aussi état de la jurispru
dence des tribunaux du Québec sur la question, la
Cour d'appel du Québec, dans Union des employés
de commerce, local 503 c. WE. Bégin Inc. 10 , a
reconnu à un tribunal d'arbitrage le même pouvoir
de refuser de donner effet à une clause d'une
convention collective qui venait en conflit avec une
disposition prépondérante de la Charte des droits
et libertés de la personne, L.R.Q. 1977, chap.
1 °19 décembre 1983, Québec, 200-09-000-709-821, J.E.
84-65 (C.A.) non publié (autorisation d'appeler à la Cour
suprême du Canada, refusée, [1984] 1 R.C.S. y).
C-12.sIt was not the arbitrator», dit le juge Tyn-
dale, «who modified the agreement, but a law of
public order, which rendered null the discrimina
tory aspect of the clauses; and the arbitrator was
therefore entitled to disregard them, and to decide
the grievances as though they were not there».
Le conseil arbitral a donc erré en refusant de
considérer les arguments d'ordre constitutionnel
que la requérante lui avait soumis. Cela étant, il y
a lieu pour la Cour de s'en saisir et d'en disposer.
Il s'agit donc de déterminer la validité constitu-
tionnelle de l'article 31 de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage. Il se lit comme suit:
31. (1) Nonobstant l'article 19, une période de prestations
n'est pas établie au profit d'un prestataire si, au moment où il
formule une demande initiale de prestations, il est âgé de
soixante-cinq ans ou plus.
(2) Un assuré qui présente une demande de prestations et
qui prouve
a) qu'il est âgé d'au moins soixante-cinq ans,
b) qu'il a exercé un emploi assurable pendant au moins vingt
semaines
(i) pendant la période de cinquante-deux semaines qui
précède la semaine où il présente sa demande, ou
(ii) pendant la période comprise entre le début de sa
dernière période de prestations et la semaine où il présente
sa demande, si cette dernière est plus courte, et
e) qu'il n'a pas déjà reçu une somme en vertu du présent
paragraphe (version actuelle ou antérieure au 1" janvier
1976),
doit recevoir, sous réserve des articles 48 et 49, un montant égal
à trois fois le taux des prestations hebdomadaires applicables en
vertu de l'article 24.
(3) Les paragraphes (2) à (5) de l'article 18 s'appliquent,
mutatis mutandis à la période mentionnée au sous-alinéa (i) de
l'alinéa b) du paragraphe (2).
(4) Une période de prestations établie au profit d'un presta-
taire en vertu de la présente Partie se termine à la fin de la
semaine où il atteint l'âge de soixante-cinq ans, ou à une date
antérieure si la présente Partie le prévoit.
(5) Si le total des prestations versées à un prestataire de la
première catégorie au cours d'une période de prestations pre-
nant fin en vertu du paragraphe (4) est inférieur au produit
obtenu en multipliant par trois le taux des prestations hebdo-
madaires qui lui est applicable pendant cette période de presta-
tions, le prestataire a droit, sous réserve des articles 48 et 49
mais nonobstant toute autre disposition de la Partie II, à des
prestations calculées au taux hebdomadaire qui lui est applica
ble pendant cette période de prestations pendant le nombre de
semaines nécessaire pour que le total des prestations qui lui
sont versées pendant cette période de prestations soit au moins
égal à ce produit.
Par ailleurs, le paragraphe 15 (1) de la Charte
canadienne des droits et libertés énonce:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont - droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
Aperçu historique
La Loi sur l'assurance-chômage date de 1940,
S.C. 1940, chap. 44 [Loi de 1940 sur l'assurance-
chômage], après l'amendement constitutionnel
apporté à l'article 91 de la Loi constitutionnelle de
1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C.
1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de
la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1)], par la Loi
constitutionnelle de 1940 [3 & 4 Geo. VI, chap.
36 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 27]
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution-
nelle de 1982, n° 18)], art. 91.2A. Elle a subi des
modifications majeures en 1955 et en 1971, S.C.
1955, chap. 50, et S.C. 1970-71-72, chap. 48.
L'objet de la loi, qui est toujours resté le même
nonobstant ses modifications, est d'établir un
régime d'assurance sociale aux fins d'indemniser
les chômeurs pour la perte de revenus provenant de
leur emploi et d'assurer leur sécurité économique
et sociale pendant un certain temps et les aider
ainsi à retourner sur le marché du travail".
L'inéligibilité aux bénéfices de l'assurance-chô-
mage pour raisons d'âge est apparue pour la pre-
mière fois dans la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage. Dans les années 1960, des comités d'en-
quête avaient été institués et des rapports avaient
été faits au gouvernement fédéral qui, en 1970,
publiait un livre blanc sur «l'assurance-chômage au
cours des années 1970» qui précéda l'adoption de
la nouvelle loi au mois de juin 1971. Aux termes
de l'article 31, un prestataire devenait inéligible
aux prestations s'il était âgé de 70 ans ou plus ou
s'il avait déjà acquis le droit de recevoir une
pension ou une rente de retraite en vertu du
Régime de pensions du Canada ou du Régime des
" Bliss c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 183,
aux p. 185-186; Le procureur général du Canada c. Walford,
[1979] 1 C.F. 768 (C.A.); Hills c. (Procureur général), [1988]
1 R.C.S. 513, la p. 534.
rentes du Québec. Un montant forfaitaire équiva-
lent à trois semaines de prestations lui était versé.
Selon ces régimes, qui datent tous deux de 1965,
une pension ou une rente de retraite était payable
à un cotisant qui avait atteint l'âge de 70 ans ou à
celui de 65 ans qui avait abandonné son emploi
régulier 12 . La philosophie sous-jacente à l'adoption
de l'article 31 dans la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage préconisait l'idée que les personnes visées
par cette nouvelle mesure n'étaient plus ou ne
devaient plus être considérées comme faisant
partie de la population active. On voulait ainsi
éviter le chevauchement de l'assurance-chômage
avec les autres programmes sociaux de l'État. On
considérait en effet que les personnes âgées, qui se
retiraient du marché du travail, abusaient du
régime d'assurance-chômage et touchaient une
part indue des prestations par rapport aux autres
chômeurs pour augmenter leur revenu provenant
de leur pension ou pour en tenir lieu. On pensait
que plusieurs de ces personnes avaient évacué le
marché du travail plus ou moins volontairement
ou, une fois qu'elles en avaient été écartées par une
période de chômage, n'étaient plus intéressées ou
aptes à y revenir, non plus qu'à se chercher un
nouvel emploi tout en touchant des prestations
d'assurance-chômage. La nouvelle disposition
législative devait aider à réprimer ces abus.
Bien que l'introduction de l'article 31 dans la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage n'était pas
formellement reliée au paiement des pensions de
vieillesse, le gouvernement a tenu compte de ce
facteur dans l'élaboration de sa politique de ratio
nalisation de ses programmes sociaux. Le régime
de sécurité de la vieillesse existait depuis 1927
dans un plan conjoint avec les provinces. La pre-
mière loi fédérale sur la sécurité de la vieillesse a
été adoptée en 1951, S.C. 1951, chap. 18 [Loi sur
la sécurité de la vieillesse]. Elle prévoyait le paie-
ment d'une pension aux personnes âgées de 70 ans
qui avaient résidé au Canada pendant 20 ans. La
durée de la résidence a été abaissée à 10 ans en
1957, S.C. 1957-58, chap. 3. En 1965, l'âge d'ad-
missibilité a été réduit à 65 ans. En 1966, le
gouvernement fédéral établit le programme du
supplément de revenu mensuel garanti qui ajoute
12 «Est retraité de l'emploi régulier» selon le texte de la loi
fédérale, S.C. 1964-65, chap. 51, sous-alinéa 44(1)a)(i), ou
«n'accomplit pas de travail régulier» selon le Régime de rentes
du Québec, L.Q. 1965, chap. 24, paragraphe 119a).
un paiement supplémentaire à la pension de vieil-
lesse en faveur des bénéficiaires dont la pension est
la principale ou la seule source de revenu (S.C.
1966-67, chap. 65).
L'article 31 de la Loi a été amendé en 1975
(S.C. 1974-75, chap. 80, art. 10). Un seul facteur
d'inéligibilité est retenu; l'âge du prestataire,
réduit de 70 à 65 ans. Disparaît donc l'autre
facteur fondé sur le droit du prestataire de toucher
une pension de l'un ou l'autre régime des pensions,
fédéral ou provincial, lequel était acquis à l'âge de
70 ans ou à l'âge de 65 ans si le bénéficiaire se
retirait du marché du travail ou, à tout le moins,
de son emploi régulier. L'article 31 est resté le
même depuis cette date. Parallèlement, les régimes
des pensions subissent des réajustements; celui du
Canada en 1975 (S.C. 1974-75-76, chap. 4) et
celui du Québec en 1977 (L.Q. 1977, chap. 24)
[Loi modifiant le Régime de rentes du Québec]
pour rendre les pensions payables à l'âge de 65
ans.
Est éliminée des deux lois l'ancienne option
voulant qu'on puisse toucher les pensions après
avoir atteint 65 ans mais en se retirant de son
emploi régulier. En 1983, par l'adoption de la Loi
favorisant la retraite anticipée et améliorant la
rente des conjoints survivants (L.Q. 1983, chap.
12), le régime du Québec rend possible le paiement
des rentes de retraite anticipée, avec ajustements
actuariels appropriés, dès l'âge de 60 ans. Le
Régime de pensions du Canada a été amendé dans
le même sens en 1986: S.C. 1986, chap. 38.
Depuis le 5 janvier 1986, par un amendement
apporté à l'article 57 du Règlement (DORS/
86-58), les pensions provenant d'un emploi ou
versées en vertu de l'un ou l'autre de ces régimes
de pensions gouvernementaux constituent de la
rémunération et sont déduites des prestations d'as-
surance-chômage. Une autre modification à
l'article 57 du Règlement, en vigueur à compter du
5 avril 1987, permet à une personne qui a pris sa
retraite et reçoit une pension de revenir sur le
marché du travail. Si elle travaille suffisamment
longtemps pour devenir éligible de nouveau aux
prestations d'assurance-chômage, elle reçoit, adve-
nant une autre période de chômage, le plein mon-
tant des prestations sans déduction pour la pension
qui lui est payée depuis sa retraite de son premier
emploi.
Ces dernières années, des comités d'études et
d'enquête ont recommandé au législateur fédéral
la suppression de l'inadmissibilité aux prestations
d'assurance-chômage pour raison d'âge et l'élimi-
nation de la prestation spéciale de retraite d'un
montant forfaitaire équivalent à trois semaines de
prestations à l'âge de 65 ans pour tenir lieu des
prestations régulières. Ainsi en 1981, le rapport du
groupe de travail sur l'assurance-chômage dans les
années 1980, la Commission d'enquête sur l'assu-
rance-chômage (Commission Forget) en décembre
1986 et le Comité parlementaire permanent du
travail, de l'emploi et de l'immigration dans le
cours de l'année 1987. Cependant, dans une décla-
ration ministérielle formelle donnée en Chambre
des communes le 15 mai 1987, le gouvernement
fédéral a décidé de rejeter ces recommandations et
de préserver le statu quo sur le maintien de l'arti-
cle 31 de la Loi dans sa forme actuelle.
Article 15 de la Charte
La requérante soutient que l'article 31 de la Loi
est discriminatoire à son endroit en ce qu'il la
traite, seulement à cause de son âge, d'une façon
différente et péjorative par rapport à la catégorie
de salariés dont elle se réclame, c'est-à-dire les
chômeurs de moins de 65 ans. L'examen du dossier
révèle que la requérante a réussi à se décharger du
fardeau initial qui lui incombait de montrer que
l'article 31 de la Loi viole son droit à l'égalité
garanti par l'article 15 de la Charte, de sorte que
ce sont les parties intimées qui ont maintenant
l'obligation d'en démontrer la justification, confor-
mément aux prescriptions de l'article 1 de la
Charte 13 et aux critères d'appréciation établis par
la Cour suprême du Canada notamment dans les
affaires R. c. Oakes, [ 1986] 1 R.C.S. 103, et R. c.
Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S.
713.
Il apparaît à la lecture même de l'article 31,
qu'il établit une différence de traitement fondée
uniquement sur l'âge des prestataires, soit un motif
de discrimination énuméré à l'article 15 de la
13 1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les
droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res-
treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le
cadre d'une société libre et démocratique.
Charte. «Nonobstant l'article 19» 14 , dit le paragra-
phe 31(1) de la Loi, une période de prestations
n'est pas établie au profit d'un prestataire âgé de
65 ans. En ses lieu et place, il reçoit une prestation
de retraite équivalent à trois semaines de presta-
tions (paragraphe 31(2)). Une période de presta-
tions déjà établie en faveur d'un prestataire cesse
de plein droit dès qu'il atteint l'âge de 65 ans
(paragraphe 31(4)).
L'article 31 de la Loi prive donc la requérante
de la protection normale contre le chômage qui est
offerte aux autres personnes sans emploi. La sécu-
rité sociale et financière à l'encontre des aléas du
chômage que la Loi a pour objet d'assurer en
faveur des salariés lui a été enlevée pour toujours
et non pas seulement pour la période de chômage
qui a suivi son licenciement du 19 septembre 1986.
Avant d'être mise à pied à cette date, la requé-
rante avait accumulé 26 semaines d'emploi assura-
ble depuis qu'elle avait repris le travail le 24 mars
1986, après avoir perçu des prestations pendant 37
semaines. Le paragraphe 22(2) 15 lui donnait droit
à un minimum de base de 25 semaines de presta-
tions, tant qu'elle restait en chômage, sans parler
des prestations complémentaires qu'elle aurait
peut-être pu recevoir en vertu du paragraphe
35 (1) 16 de la Loi dont le dossier ne donne malheu-
reusement aucune indication, faute de preuve sur
le taux régional de chômage qui lui était applica
ble. La requérante n'a touché que trois semaines
14 19. Lorsqu'un assuré, qui remplit les conditions requises
aux termes de l'article 17, formule une demande initiale de
prestations, on doit établir à son profit une période de presta-
tions et des prestations lui sont dès lors payables, en conformité
de la présente Partie, pour chaque semaine de chômage com
prise dans la période de prestations.
15 22.
(2) Le nombre maximum de semaines, pour lesquelles des
prestations initiales peuvent être servies au cours d'une période
de prestations, est le nombre de semaines où le prestataire a
occupé un emploi assurable au cours de sa période de référence
ou vingt-cinq, le nombre le moins élevé étant retenu.
16 35. (1) Si le prestataire a reçu des prestations pour le
nombre maximum de semaines prévu aux articles 22 et 34 et
que le taux régional de chômage qui lui est applicable pour la
dernière semaine pour laquelle des prestations étaient payables,
dépasse quatre pour cent, il peut, sous réserve du paragraphe
(2), recevoir des prestations complémentaires pour chaque
semaine de chômage comprise dans le reste de sa période de
prestations.
de prestations à cause de l'article 31. N'eût été de
cet article, le total des prestations d'assurance-chô-
mage qu'elle aurait pu recevoir aurait été de beau-
coup supérieur à la somme forfaitaire de 540 $
qu'elle a reçu, même en tenant compte de la
pension qui lui est payable (187 $ par mois) en
vertu du Régime des rentes du Québec, qui doit
être déduite des prestations d'assurance-chômage
depuis le mois de janvier 1986. Ce statut d'assurée,
la requérante l'a perdu pour toujours. Même si elle
réussissait à se trouver un nouvel emploi assurable
et à le garder suffisamment longtemps pour deve-
nir à nouveau éligible à des prestations, elle ne
recevrait rien du régime d'assurance-chômage.
D'un autre côté, un salairé entre 55 et 65 ans peut
avoir recours à plus d'une reprise aux pleins béné-
fices de la Loi et pendant plus d'une période
complète de prestations (pouvant aller jusqu'à 50
semaines d'affilée, si l'on tient compte de tous les
facteurs théoriques de qualifications: nombre de
semaines d'emploi assurable, prestations complé-
mentaires selon la période de référence et le taux
régional de chômage applicables à tel ou tel pres-
tataire—articles 34 et 35 de la Loi).
Le procureur de l'intimée et des mis-en-cause a
prétendu que la requérante n'est pas dans une
situation identique aux autres chômeurs ou, si elle
l'est, elle n'est pas désavantagée parce que le
manque à gagner que lui enlève l'article 31 lui est
compensé d'autres façons par le déclenchement, en
sa faveur à l'âge de 65 ans, de mesures d'assistance
sociale, telles la pension de vieillesse payable en
vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse
(S.R.C. 1970, chap. O-6), la pension payable en
vertu soit du Régime des rentes du Québec ou du
Régime de pensions du Canada, supra, l'exemption
d'impôt additionnelle de 2 610 $ qui s'ajoute à
l'exemption de base des particuliers pour les per-
sonnes âgées de 65 ans (Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-71, chap. 63, alinéas
109(1)b) et 117(1)c)), le programme de médica-
ments gratuits offert aux personnes âgées de 65
ans par la Loi sur l'assurance-maladie du Québec
(L.R.Q. 1977, chap. A-29).
La seule mesure qui soit pertinente à la question
posée est la pension payable en vertu des régimes
de pensions fédéral ou provincial, car elle seule est
reliée à l'emploi; les autres ne sont reliées qu'à
l'âge des allocataires. L'exemption d'impôt addi-
tionnelle est offerte à tous, travailleurs ou chô-
meurs, riches ou pauvres. La Loi sur la sécurité de
vieillesse est une loi d'application universelle; elle
accorde des démosubventions à toutes les person-
nes âgées de 65 ans et procure le même montant
tant à la personne aisée qu'à l'assisté social, et sans
égard au fait que le bénéficiaire a toujours eu un
emploi ou n'a jamais travaillé de sa vie ou n'a
jamais payé d'impôt. Les seuls facteurs d'attribu-
tion sont l'âge et la période de résidence au
Canada; cette loi n'a rien à voir avec l'emploi: elle
procure des avantages à tous ceux qui atteignent
l'âge de 65 ans; elle n'enlève rien à personne à
cause de cet âge, comme le fait l'article 31 de la
Loi.
L'aspect le plus néfaste et dérogatoire de l'arti-
cle 31 de la Loi est de faire perdre pour toujours à
la requérante, et à toute autre personne de son âge,
le statut d'assurée sociale pour lui attribuer celui
de pensionée de l'État, même si elle est toujours en
quête d'un nouveau travail. Sans égard à ses apti
tudes et à sa situation personnelles, elle est pour
ainsi dire stigmatisée comme faisant partie du
groupe de ceux et celles qui ne font plus partie de
la population active. Nonobstant les changements
sociaux et législatifs survenus depuis 1971, l'article
31, dans sa forme actuelle, véhicule le même sté-
réotype insidieux que celui qui a présidé à son
adoption dans la Loi de 1971 sur l'assurance-chô-
mage et qui veut qu'une personne, âgée de 65 ans
et plus, qui a le malheur de perdre son emploi,
n'est plus réhabilitable sur le marché du travail et
qu'elle doit, à ce moment, être prise complètement
en charge par les programmes spéciaux d'assis-
tance sociale de l'État, au lieu de laisser libre cours
aux lois de la nature et à l'application normale des
lois d'assurance sociale comme la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage. Des individus comme la
requérante sont irrémédiablement étiquetés et
catalogués d'après l'image d'un groupe auquel ils
sont censés appartenir: les personnes âgées de 65
ans et plus sont moins aptes au travail, une grande
proportion s'en désintéresse, la majorité prend sa
retraite, ne peut plus ou ne veut pas retourner sur
le marché du travail; il doit en être de même de
tous les autres qui restent; à quoi bon leur conti-
nuer la protection contre le chômage; ils sont tous
exclus du régime sans égard à leurs aptitudes et
désirs personnels.
Cela dit, il incombait donc aux parties intimées
de démontrer que les distinctions nettement défa-
vorables perpétuées par l'article 31 de la Loi en
violation du principe de l'égalité des droits et de la
protection et bénéfice égal de la Loi, garanti par
l'article 15 de la Charte, sont raisonnables et
justifiables dans une société libre et démocratique,
selon l'article 1 de la Charte.
Critères d'appréciation
En adoptant le principe de l'inéligibilité pour
raisons d'âge dans la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage, le législateur visait un objectif tout à fait
valable et en accord avec l'objet de la Loi elle-
même. Surtout à l'époque où il fut adopté, lorsque
la limite d'âge était fixée à 70 ans et que le droit
aux prestations était aussi nié aux prestataires de
65 ans qui pouvaient se prévaloir des régimes
fédéral et provincial des pensions et rentes, ce qui
impliquait nécessairement le retrait du marché du
travail ou, à tout le moins, l'abandon de leurs
emplois réguliers, le gouvernement était bien fondé
de vouloir éviter le dédoublement d'indemnités en
cas de perte de revenus provoquée par le chômage
des personnes âgées. Il était donc louable que
l'État veille à la meilleure utilisation possible des
fonds publics, forcément limités, qu'ils viennent du
Régime de pensions ou de la caisse de l'assurance-
chômage. Eviter qu'on abuse du système était
certes un objectif suffisamment important qui jus-
tifiait que l'on interdît à ceux qui touchaient des
pensions à la cessation de leur emploi de recevoir
l'indemnité de remplacement de revenus prévue
dans la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Il
était possible de conclure alors que la grande
majorité des personnes âgées percevait des presta-
tions d'assurance-chômage seulement pour aug-
menter leurs pensions provenant de leur emploi ou
pour en tenir lieu, mais sans plus vouloir participer
à la vie active du monde du travail.
Il devenait moins évident en 1975 cependant que
ces mêmes impératifs étaient aussi urgents et
actuels, lorsque la limite d'âge a été abaissée à 65
ans et a été retenue comme seul facteur d'exclu-
sion vu que disparaissait l'autre raison, le retrait
du marché du travail par des amendements paral-
lèles aux régimes des rentes et pensions. À 65 ans,
les salariés pouvaient les toucher sans nécessaire-
ment renoncer à leur emploi. Cependant, le postu-
lat que les travailleurs âgés avaient cessé d'être
actifs sur le marché du travail et qui avait servi à
l'adoption initiale de l'article 31 en 1971 perdait
de son actualité en 1975. Advenant chômage, on
est plus apte et plus enclin à retourner sur le
marché du travail à 65 qu'à 70 ans; si on n'assortit
plus le droit de retirer sa pension avant terme à la
condition de laisser son emploi, on ne se rend plus
légalement inhabile à retourner sur le marché du
travail en cas de chômage.
En tout état de cause et même en prenant pour
acquis qu'en 1975 le gouvernement pouvait encore
obéir à des préoccupations urgentes et réelles, il est
loin d'être certain que les moyens choisis pour
atteindre l'objectif désiré rencontraient le critère
de proportionnalité et ses composantes essentielles
établi dans l'arrêt Oakes et réitéré dans Edwards
Books and Art Ltd. Dans Oakes, le juge en chef
Dickson écrivait, à la page 139:
En deuxième lieu, dès qu'il est reconnu qu'un objectif est
suffisamment important, la partie qui invoque l'article premier
doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et
que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l'appli-
cation d'«une sorte de critère de proportionnalité»: R. c. Big M
Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Même si la nature du
critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances,
les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de
la société et ceux de particuliers et de groupes. À mon avis, un
critère de proportionnalité comporte trois éléments importants.
Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement
conçues pour atteindre l'objectif en question. Elles ne doivent
être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considé-
rations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel
avec l'objectif en question. Deuxièmement, même à supposer
qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de
nature à porter «le moins possible» atteinte au droit ou à la
liberté en question: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p.
352. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les
effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis
par la Charte et l'objectif reconnu comme «suffisamment
important».
Malgré les changements opérés dans la Loi et le
Règlement sur l'assurance-chômage, ainsi que
dans le Régime de pensions du Canada et le
Régime des rentes du Québec, sont demeurés
inchangés les moyens choisis et les raisons invo-
quées par le législateur pour réaliser l'objectif visé
par l'introduction du concept de l'inéligibilité aux
prestations dans la loi en 1971 et son maintien
dans la législation depuis cette date. Pour éviter le
chevauchement des programmes sociaux en faveur
des personnes âgées de 65 ans et plus et pour
réprimer les abus, on a instauré et perpétué le
principe absolu de la négation pure et simple du
droit aux prestations d'assurance-chômage pour les
salariés de 65 ans et plus et sans égard aux condi
tions personnelles de ces individus ou de cette
catégorie de prestataires. Aux dires des autorités
gouvernementales de l'époque, sur 600,000 chô-
meurs en 1974, 17,500 étaient âgés de 65 ans et
plus; de ce nombre, 10,500 avaient décroché du
marché du travail alors que 7,000 se cherchaient
activement du travail. Les statistiques de 1986
montrent que 175,000 personnes âgées de 65 ans et
plus étaient encore actives dans le monde du tra
vail et que, de ce nombre, 4,000 étaient en chô-
mage mais étaient encore activement en quête d'un
nouvel emploi.
La plupart des études faites et des données
établies, telles que mises en preuve par l'intimée et
les mis-en-cause au support de leur défense de
justification selon l'article 1 de la Charte portent
sur les travailleurs de 55 ans et plus, qu'ils soient
regroupés dans la catégorie des gens âgés de 55 à
60 ans, de 60 65 ans et de plus de 65 ans. Ces
statistiques montrent que c'est à compter de 55 ans
que se manifestent les tendances à se retirer pro-
gressivement du marché du travail et que la pro
gression n'est pas tellement plus accélérée à l'arri-
vée du cap fatidique de 65 ans. Ainsi, une enquête
faite en 1987 a démontré que moins de 5 % des
chômeurs de 55 à 64 ans avaient cherché du
travail. La preuve indique que se sont les incitatifs
financiers à la retraite qui poussent les gens à se
retirer de la population active à un âge de moins
en moins avancé, et non pas le fait d'avoir atteint
l'âge de 60 ou de 65 ans. Or, la prohibition de
l'article 31 de la Loi ne vise que la population âgée
de 65 ans et plus, mais en telle éventualité, elle est
totale et absolue. Elle frappe toutes les personnes
âgées de 65 ans, celles qui sont sans emploi et s'en
cherchent parce qu'il leur faut travailler pour sur-
vivre, comme les salariés qui prennent leur retraite
avec une pension substantielle de leur employeur
ou de l'un ou l'autre régime de pensions de l'Etat.
Sont donc laissés pour compte ceux qui n'ont
aucune pension, ou une pension minime et, même
à supposer que cela soit pertinent, ceux qui n'ont
pas accumulé le nombre suffisant d'années de rési-
dence au Canada pour se prévaloir de la Loi sur la
sécurité de la vieillesse.
L'article 31 de la Loi est discriminatoire par
rapport aux prestataires de 55 ans et plus qui
affichent, envers le marché du travail, le même
comportement ou à peu près que les salariés en
chômage âgés de 65 ans et plus. On n'a mis en
preuve aucune donnée indiquant que l'extension
des bénéfices de l'assurance-chômage aux chô-
meurs de 65 ans et plus exercerait sur la caisse de
l'assurance-chômage des ponctions additionnelles
que ni la caisse ni le trésor public ne pourraient
tolérer. Il faut conclure de cette absence de preuve
que le coût additionnel n'est pas un facteur perti
nent dans l'examen de la question. Il n'a pas été
démontré non plus qu'il est impossible ou plus
difficile pour la Commission de l'emploi et de
l'immigration de dépister les cas de fraude ou
d'abus chez les chômeurs âgés de 65 ans que ce ne
l'est pour les prestataires de moins de 65 ans, ceux
entre 55 et 65 ans en particulier. On se rappellera
que la répression des abus était l'un des soucis
majeurs du législateur pour adopter et maintenir le
principe de l'inéligibilité pour raisons d'âge. On
voit difficilement qu'il s'agisse là d'une mesure
soigneusement conçue à la seule taille du problème
à solutionner. Elle frappe inconsidérément tous les
chômeurs de 65 ans. Elle est à plus d'un titre
arbitraire et inéquitable puisqu'elle ne tient aucun
compte des besoins personnels et de la situation
particulière des individus. Elle est modelée sur
l'image que les tabous historiques contre les tra-
vailleurs âgés ont fait porter sur une proportion
beaucoup plus grande, la population âgée de plus
de 55 ans, que la catégorie effectivement exclue
des bénéfices de l'assurance-chômage par l'article
31 de la Loi.
Depuis le 5 janvier 1986, le Règlement sur
l'assurance-chômage a été modifie (DORS/86-58)
pour rendre déductible des prestations d'assu-
rance-chômage toute somme reçue à titre de pen
sion. Les paragraphes 57(1) et 57(2)e) [mod. par
DORS/84-32, art. 8] se lisent en partie comme
suit:
57. (1) Dans le présent article,
«pension» désigne toute pension de retraite:
a) provenant d'un emploi, y compris un emploi à titre de
membre des Forces canadiennes ou de toute force de police,
b) versée en vertu du Régime de pensions du Canada ou
e) versée en vertu d'un régime de pension provincial.
(2) Sous réserve du présent article, la rémunération dont il
faut tenir compte pour déterminer s'il y a eu un arrêt de
rémunération et quel est le montant à déduire des prestations
payables en vertu de l'article 26 ou des paragraphes 29(4),
30(5) ou 32(3) de la Loi, et à toutes autres fins relatives au
paiement de prestations en vertu de la Partie II de la Loi,
comprend
e) les sommes payées ou payables à un prestataire le 5
janvier 1986 ou après cette date, que ce soit sous forme de
montant périodique ou forfaitaire, au titre ou au lieu d'une
pension.
Par ailleurs, le même article 57 a été modifié à
compter du 5 avril 1987 (DORS/87-188, art. 1)
par l'adjonction de l'alinéa j) au paragraphe 57(3):
57... .
(3) La partie du revenu que le prestataire tire de l'une ou
l'autre des sources suivantes n'a pas valeur de rémunération
aux fins mentionnées au paragraphe (2):
j) les sommes visées à l'alinéa (2)e), dans le cas où le nombre
de semaines d'emploi assurable requis pour l'établissement de
la période de prestations du prestataire, en vertu de l'article
17 de la Loi, a été accumulé après la date à laquelle ces
sommes sont devenues payables et pendant la période pour
laquelle le prestataire a touché ses sommes.
Cette modification permet à ceux qui ont pris
leur retraite de leur emploi régulier et touchent des
pensions de revenir activement sur le marché du
travail et occuper un autre emploi. S'ils réussissent
à accumuler le nombre requis de semaines d'em-
ploi assurable selon les normes régulières et établir
de nouveau leur droits aux prestations, ils peuvent,
advenant nouvelle période de chômage, toucher le
plein montant des prestations, sans déduction pour
le montant de leur pension qui leur est payable
depuis leur mise à la retraite de leur premier
emploi. Une loi spéciale, la Loi sur le réexamen de
l'admissibilité aux prestations d'assurance-chô-
mage (pension) [S.C. 1987, chap. 17] a été adop-
tée en date du 5 avril 1987, avec effet rétroactif au
5 janvier 1986, autorisant la Commission à rem-
bourser les prestataires admissibles à cet allège-
ment depuis que les revenus de pension liés à
l'emploi étaient devenus déductibles des presta-
tions d'assurance-chômage. Cette dernière modifi
cation réglementaire, on l'aura deviné, a été adop-
tée au bénéfice surtout de ceux qui avaient pris
une retraite prématurée et favorise les prestataires
plus âgés, surtout ceux entre 55 et 64 ans.
Ainsi donc, depuis le 5 janvier 1986, par le biais
de l'article 57 du Règlement sur l'assurance-chô-
mage, le législateur réalise, par rapport aux presta-
taires âgés de moins de 65 ans, l'objectif important
qu'il a dit avoir eu en tête en niant, à l'article 31
de la Loi, le droit de recevoir des prestations aux
chômeurs âgés de 65 ans et plus; il a colmaté le
dédoublement des versements des prestations d'as-
surance-chômage aux prestataires de moins de 65
ans qui reçoivent des revenus de pension liés à
l'emploi. La pension est tout simplement déduite
des prestations d'assurance-chômage. On n'a nulle-
ment indiqué à l'audition que ce que le législateur
avait réussi à faire pour les prestataires de moins
de 65 ans par la voie d'un simple amendement au
Règlement ne pouvait être fait de même façon
cette fois pour viser les salariés en chômage âgés
de 65 ans et plus.
Il y a disproportion évidente entre le seul moyen
choisi pour réaliser l'objectif escompté en mainte-
nant en vigueur l'article 31 de la Loi dans sa forme
actuelle et les effets draconiens qu'il a envers tous
ceux qu'il affecte indistinctement. La négation
totale du droit aux prestations d'assurance-chô-
mage pour les chômeurs âgés de 65 ans est donc
déraisonnable et ne peut plus se justifier en pré-
sence de l'évolution législative et réglementaire qui
s'est effectuée depuis qu'elle a été instaurée en
1971.
L'article 25 de la Loi stipule:
25. Un prestataire n'est pas admissible au service des presta-
tions initiales pour tout jour ouvrable d'une période de presta-
tions pour lequel il ne peut prouver qu'il était
a) soit capable de travailler et disponible à cette fin et
incapable d'obtenir un emploi convenable ce jour-là, ou
b) soit incapable de travailler ce jour-là par suite d'une
maladie, blessure ou mise en quarantaine prévue par les
règlements et qu'il aurait été sans cela disponible pour
travailler.
L'article 31 de la Loi nie absolument et sans
discernement pour la situation personnelle des
individus en cause les bénéfices ordinaires de la
Loi aux chômeurs âgés de 65 ans. Il n'a pas été
démontré que l'application régulière à leur endroit
des autres dispositions pertinentes de la Loi ou du
Règlement, tels l'article 25 de la Loi et les alinéas
57(2)e) et 57(3)j) du Règlement, ne permettrait
pas au législateur de réaliser les mêmes objectifs
qui sont à la base même de la prohibition de
l'article 31. Les chômeurs, même ceux de 65 ans,
n'ont pas de droits acquis au versement de presta-
tions d'assurance-chômage ni en vertu de la Loi de
1971 sur l'assurance-chômage" ni en vertu de
l'article 15 de la Charte. Cet article de la Charte,
cependant, leur garantit à tous qu'ils ont droit à la
même protection et au même bénéfice de cette
même loi, indépendamment de toute discrimina
tion fondée sur l'âge des prestataires. Or l'âge est
le seul critère à l'article 31 qui marque l'exclusion
des chômeurs âgés de 65 ans qui font encore
partie, et veulent continuer de l'être, de la popula
tion active. Il s'agit là d'une mesure radicale,
déraisonnable et hors de proportion avec les objec-
tifs recherchés. Elle est irréconciliable avec le prin-
cipe de l'égalité des droits inscrit à l'article 15 de
la Charte canadienne des droits et libertés. Étant
incompatible avec la Constitution du Canada, dont
la Charte fait partie, l'article 31 de la Loi de 1971
sur l'assurance-chômage est donc inopérant. Cela
dit, il faut donc conclure que le conseil arbitral a
erré en donnant effet à une disposition incompati
ble avec la Constitution du Canada. Ayant omis de
la constater, il y a lieu pour la Cour de le faire en
ses lieu et place dans l'exercice de la juridiction qui
lui est conféré par l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale.
Pour ces motifs, je ferais droit à la demande
d'annulation et d'examen; je casserais la décision
rendue le 12 décembre 1986 par le conseil arbitral
et retournerais la présente affaire à un conseil
arbitral pour qu'il la décide à nouveau en prenant
pour acquis que l'article 31 de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage est incompatible avec l'arti-
cle 15 de la Charte canadienne des droits et
libertés et est, de ce fait, inopérant en vertu du
paragraphe 52(1) de la Loi Constitutionnelle de
1982.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris à ces motifs.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DESJARDINS (motifs concordants
quant au résultat): Je souscris entièrement aux
motifs exprimés par mon collègue le juge
Lacombe. Vu cependant l'importance de la ques-
" Côté v. Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada, (1986), 69 N.R. 126 (C.A.F.).
tion préliminaire et le débat qu'elle suscite, autant
dans la doctrine 18 que dans la jurisprudence 19 ,
j'ajoute mes propres remarques sur le sujet.
Que le conseil arbitral puisse ou non se pronon-
cer sur la validité constitutionnelle de l'article 31
de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage
importe peu puisque cette Cour peut le faire. Cette
Cour peut, en effet, lors d'un recours en vertu des
paragraphes 28(4) ou (1) de la Loi sur la Cour
fédérale, se prononcer sur une question constitu-
tionnelle «qui surgit à tire de question préliminaire
dans le processus de contrôle de l'acte administra-
tif en cause» (Northern Telecom Canada Ltée c.
Syndicat des travailleurs en communication du
Canada, [1983] 1 R.C.S. 733 la page 744). Dans
le même ordre d'idées, lors d'une demande en
examen et en annulation d'une décision d'un orga-
nisme administratif, cette Cour peut vérifier si la
décision administrative existe ou non sur le plan
constitutionnel avant d'en faire la révision, laquelle
révision, il est entendu, répond à des critères entiè-
rement différents d'un appel. Sinon, à quoi servi-
rait-il de faire la révision judiciaire d'une décision
administrative qui n'aurait aucune assise?
Ce point, à mon avis, suffit pour décider de la
question préliminaire. Mais, encore une fois,
n'ayant aucune difficulté avec les motifs exprimés
par mon collègue le juge Lacombe, je poursuis.
Les tribunaux administratifs sont loin de répon-
dre à un modèle uniforme. En 1965, le professeur
Jean Beetz, aujourd'hui juge de la Cour suprême
18 Aux auteurs cités par le juge Lacombe à la note 2 de la p.
4 de ses motifs, j'ajoute: Graham R. Garton, «Civil Litigation
Under the Charter» dans Charter Issues in Civil Cases, éd.
Neil R. Finkelstein and Brian MacLeod Rogers (Toronto:
Carswell, 1988) la p. 81; Dale Gibson, The Law of the
Charter: General Principles (Toronto: Carswell, 1986) aux p.
280-281; «Procedures in Charter Cases; Procedures and Reme-
dies—Examination of Questions Pertaining to: WHICH», Jef-
frey Sack, Q.C., Toronto, Ontario, aux p. 11 et suiv. dans
Charter Cases, Causes invoquant la Charte, Association du
Barreau canadien, octobre 24-25, 1986 Montréal, Québec.
19 À la jurisprudence citée par le juge Lacombe, j'ajoute:
Ontario Public Service Employees' Union v. Algonquin College
of Applied Arts and Technology, Cour divisionnaire (encore
inédit) (juges Steele, Holland et White, cause entendue les 7 et
8 avril 1987, jugement rendu le 16 avril 1987); Moore v. B.C.
(Govt.) (1988), 23 B.C.L.R. (2d) 105 (C.A.); Terminaux por-
tuaires du Québec c. Association des employeurs maritimes
(A-1080-87, juges Pratte, Marceau et Desjardins, jugement en
date du 11-8-88 (C.A.) encore inédit).
du Canada, écrivait, autant pour le Québec que
pour l'administration fédérale:
A quelque point de vue que l'on tente d'étudier ces organismes
administratifs, leur diversité défie l'analyse; elle confine à
l'invraisemblance et la raison ou le fondement de toutes ces
différences se manifestent rarement, même au chercheur le plus
obstiné. (Beetz J. «Uniformité de la procédure administrative»,
(Mémoire adressé au Comité constitué par le Barreau sur la
surveillance de la législation) (1965), 25 R. du B. 244, la page
248.)
La Commission de réforme du droit du Canada
s'exprimait dans le même sens quelques années
plus tard pour ce qui est de l'administration
fédérale 20 .
Les tribunaux administratifs, il est clair, ne sont
pas des cours de justice (Théberge (J.R.) Ltée v.
Syndicat National des Employés de l'Aluminum
d'Arvida Inc., et autre [1966] R.C.S. 378 aux
pages 382 et 383). La jurisprudence a reconnu,
dans les cas qui suivent, que les tribunaux adminis-
tratifs en cause étaient autonomes en ce qu'ils
n'étaient pas des agents ou des prolongements du
gouvernement. Ainsi en est-il de la Commission
des liqueurs du Québec créée en vertu de la Loi
des liqueurs alcooliques, S.R.Q. 1941 chap. 225
(Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la
page 185); du Tribunal antidumping (P.P.G.
Industries Canada Ltd. c. Le Procureur général
du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739, la page 742);
du Conseil de la Radio-Télévision canadienne,
(Capital Cities Communications Inc. et autre c.
Conseil de la Radio- Télévision canadienne,
[1978] 2 R.C.S. 141, la page 172), et de la
Commission municipale de l'Ontario (Innisfil
(municipalité du canton) c. Municipalité du
canton de Vespra et autres, [1981] 2 R.C.S. 145 à
la page 171). Dans cette dernière affaire, le juge
Estey précise d'ailleurs ce qu'il entend par orga-
nisme autonome:
If on its face an agency is held out in the constituting legisla
tion as "independent" of the executive, that is with functions
independent of the executive branch, it remains that way for all
purposes until the Legislature exercises its undoubted right to
alter, by providing for policy directions for example, the posi
tion and procedure of the agency. (Je souligne)
Mon collègue, le juge Lacombe, a analysé la
composition et les pouvoirs des conseils arbitraux.
20 Commission de réforme du droit du Canada, Conseil sur
l'administration publique, Série droit administratif, Document
d'étude (Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services
Canada, 1980) par Alan Leadbeater, à lap. 1.
J'en conclus qu'ils ne sont pas des prolongements
de l'exécutif. J'en conclus également, d'accord
avec lui, que ces organismes ne sont pas des créa-
tions de la Commission de l'emploi et de l'Immi-
gration du Canada.
La jurisprudence me paraît largement muette
sur la question de savoir si les organismes adminis-
tratifs autonomes pouvaient, avant l'adoption de la
Charte, prononcer l'invalidité constitutionnelle
d'une disposition de la loi qu'ils avaient charge
d'appliquer. Ils pouvaient certes être appelés à
tenir compte des concepts constitutionnels afin de
déterminer leur compétence (Northern Telecom
Limitée c. Travailleurs en communication du
Canada, [1980] 1 R.C.S. 115). Mais lorsque leurs
pouvoirs étaient l'objet d'attaque, ils l'ont généra-
lement été par voie de brefs de prérogative ou
autres recours analogues devant les cours de jus
tice plutôt que par voie d'objection ou de défense
devant ces organismes. Voilà peut-être la raison de
ce silence jurisprudentiel.
Il est vrai que dans l'affaire Séminaire de Chi-
coutimi c. La Cité de Chicoutimi, [1973] R.C.S.
681, la Cour suprême du Canada a établi que seule
une cour composée des juges nommés selon
l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867
pouvait se prononcer sur le caractère ultra vires
d'un règlement municipal eu égard à ce même
article 96. Elle reconnaissait également qu'un juge
de la Cour provinciale du Québec pouvait se pro-
noncer sur sa compétence (ou son incompétence)
en la matière, s'il en était saisi. Le raisonnement
de la Cour était basé sur le fait que le pouvoir de
cassation d'un règlement municipal pour cause
d'invalidité sur le plan constitutionnel n'était pas
conforme au genre de juridiction exercée en 1867
par les cours de juridiction sommaires mais plutôt
conforme au genre de juridiction exercée en 1867
par les cours décrites à l'article 96. Le raisonne-
ment dans l'affaire Séminaire de Chicoutimi ne
peut, à mon sens, recevoir d'emblée application
malgré son parallèle apparent. L'on ne saurait
s'autoriser de cette décision pour prétendre que
seule une cour décrite à l'article 96 de la Loi
constitutionnelle de 1867 peut déclarer inopérante
une disposition législative eu égard à la Charte.
C'est que la Charte ajoute une nouvelle dimension
au système juridique canadien en ce qu'elle
accorde des droits et libertés aux individus. La
Charte constitue un nouveau texte constitutionnel
qui n'existait pas en 1867, non plus d'ailleurs que
l'actuel paragraphe 52(1) de la Loi constitution-
nelle de 1982 selon lequel:
La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada;
elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute
autre règle de droit. (Je souligne)
Rien d'étonnant à ce que des individus, qui préten-
dent avoir ces droits, les réclament devant des
organismes qui ont été créés pour départager de
façon expéditive leurs droits vis-à-vis l'administra-
tion. Plusieurs ont souligné l'incongruité dans
laquelle se retrouvent des organismes qui d'une
part sont chargés d'appliquer la loi et qui, par
ailleurs, sont appelés à déterminer du caractère
inopérant d'une disposition législative eu égard à la
Charte. Pourtant, si ces organismes sont chargés
d'interpréter la loi, ils doivent le faire intégrale-
ment, sujets à la révision judiciaire.
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