A-84-87
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (appe-
lant)
c.
Mokhtar Bendahmane (intimé)
RÉPERTORIÉ: BENDA I/MANE c. CANADA (MINISTRE DE L'EM-
PLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et Desjar-
dins, J.C.A.—Montréal, 7 février; Ottawa, 10 avril
1989.
Immigration — Statut de réfugié — Revendication du
statut de réfugié faite en dehors du cadre prévu par la loi —
La lettre du ministre disait que la demande de statut de
réfugié suivrait son cours normal — Le ministre refuse main-
tenant de le faire — Indépendamment de la question de savoir
si le ministre est légalement tenu d'examiner la demande, il est
lié parle principe de l',,expectative raisonnable».
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative Mandamus
— Principe de l'«expectative raisonnable» — Une autorité
publique est liée par son engagement quant à la procédure
qu'elle va suivre lorsque cet engagement n'est pas incompatible
avec ses fonctions légales — La revendication du statut de
réfugié n'a pas été faite de façon appropriée — La lettre du
ministre disait que la demande suivrait son cours normal —
Le ministre est tenu d'examiner la demande indépendamment
de la question de savoir s'il est légalement tenu de le faire.
Une ordonnance d'exclusion a été rendue le 19 juillet 1985
contre l'intimé, citoyen algérien, au motif qu'il n'était pas un
véritable visiteur. Alors que son appel était en cours et avant
qu'il ne l'abandonne environ un an plus tard, il a inexplicable-
ment reçu une lettre officielle l'avisant qu'il pourrait être
admissible au programme de révision administrative en vertu
du Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de
réfugié. L'intimé a donc déposé en juin 1986 une revendication
du statut de réfugié. En octobre 1986, il a reçu une autre lettre
l'informant qu'il n'était pas admissible à la révision administra
tive parce qu'il n'avait pas revendiqué le statut de réfugié avant
la fin de son enquête, et que sa demande de statut de réfugié
suivrait son cours normal. Lorsque l'intimé a appris que le
ministre allait l'expulser du Canada sans examiner davantage
sa revendication du statut de réfugié, il a saisi la Section de
première instance d'une demande de brefs de certiorari et de
mandamus. Le juge de première instance a annulé la décision
qui a refusé à l'intimé l'accès au programme de révision
administrative, et il a enjoint au ministre d'examiner la
demande de statut de réfugié comme si elle avait été présentée
au cours d'une enquête. Le présent appel est formé contre cette
décision.
Arrét (le juge Marceau étant dissident): l'appel devrait être
accueilli en partie.
Le juge Hugessen, J.C.A.: Le juge de première instance a eu
tort d'annuler la décision de refuser à l'intimé les avantages du
programme portant sur l'arriéré des revendications du statut de
réfugié puisque, à l'évidence, l'intimé ne remplissait pas les
conditions requises, n'ayant pas déposé sa revendication avant
la fin d'une enquête sur son statut au Canada.
La seconde partie de l'ordonnance du juge de première
instance devrait être confirmée. Certes, la revendication de
l'intimé a clairement été faite en dehors du cadre légal; mais le
ministre exerce le pouvoir d'examiner ces revendications et
d'accorder le bénéfice du statut de réfugié bien indépendam-
ment de la procédure de reconnaissance et de réexamen prévue
par la Loi. La question de savoir si le ministre est légalement
tenu d'examiner une revendication du statut de réfugié qui est
faite en dehors du cadre légal ne se pose pas en l'espèce.
Compte tenu de cela et du fait que le ministre a avisé l'intimé
que sa demande serait examinée, la doctrine de l'équité exige
du ministre qu'il procède à l'examen de la revendication de
l'intimé avant de tenter de l'expulser du Canada.
Le principe applicable est celui de l'«expectative raisonnable»
ou de l'«expectative légitime». Le Conseil privé l'a énoncé
récemment et fermement dans l'arrêt Attorney -General of
Hong Kong y. Ng Yuen Shiu, [1983] 2 A.C. 629: une autorité
publique est liée par ses engagements quant à la procédure
qu'elle va suivre, pourvu qu'ils ne soient pas incompatibles avec
ses fonctions.
Le juge Desjardins, J.C.A. (motifs concourant au résultat):
Puisque le ministre a le pouvoir d'examiner une revendication
du statut de réfugié sous un autre régime que celui de la
procédure établie à l'article 45 de la Loi, on ne peut écarter la
possibilité que la lettre du ministre puisse s'interpréter comme
l'engagement que la revendication du statut de réfugié serait
examinée malgré l'ordonnance d'exclusion. La doctrine de l'ex-
pectative légitime est clairement applicable.
Le juge Marceau, J.C.A. (dissident): C'est à tort que le juge
de première instance a accordé un bref de certiorari annulant la
décision qui déclarait l'intimé inadmissible au programme spé-
cial. En premier lieu, il n'y avait pas là de décision. Il s'agissait
strictement d'une information quant à une prescription du
règlement et à sa conséquence inévitable sur la demande de
l'intimé. En dernier lieu, même si on y voit une décision, il n'y a
rien qui puisse porter atteinte à sa validité.
C'est également à tort que le juge de première instance a
enjoint au ministre d'examiner la revendication du statut de
réfugié de la façon habituelle. La doctrine de «l'espérance ou de
l'attente légitime» ne s'applique pas en l'espèce. Elle n'est
jamais censée s'appliquer en dehors du domaine procédural, et
forcer la considération d'une revendication du statut de réfugié
faite de façon non conforme aux prescriptions de la Loi n'est
pas du domaine procédural. De plus, l'intimé est sous le coup
d'une, ordonnance d'expulsion, et rien dans la Loi ne peut être
utilisé pour en empêcher l'exécution.
En dernier lieu, sur le pur plan des faits, on ne saurait dire de
l'ensemble de la lettre qu'il suscite une espérance raisonnable
ou une attente légitime. A la lecture de cette lettre, l'intimé ne
pouvait pas ne pas se rendre compte que le projet ne s'adressait
pas à quelqu'un dans sa situation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. I l (R.-U.),
art. 7.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
18.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 6(2), 19(1)h), 20(1), 32(5), 45, 50, 51, 52, 70, 71
(mod. par S.C. 1986, chap. 13, art. 5), 72(2)b), 115(2).
Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de
réfugié, DORS/86-701, art. 2c).
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172,
art. 7(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Attorney-General of Hong Kong v. Ng Yuen Shiu,
[ 1983] 2 A.C. 629 (P.C.)
DÉCISIONS CITÉES:
Reg. v. Secretary of State for The Home Department, Ex
parte Asif Mahmood Khan, [1984] 1 W.L.R. 1337
(C.A.); Sous -ministre du Revenu du Québec c. Trans
port Lessard (1976) Ltée, [1985] R.D.J. 502 (C.A. Qué.);
Schmidt v. Secretary of State for Home Affairs, [ 1969]
2 Ch. 149 (C.A.); Council of Civil Service Unions v.
Minister for the Civil Service, [1984] 3 All ER 935
(H.L.); Re Multi-Malls Inc. et al. and Minister of
Transportation and Communications et al. (1976), 73
D.L.R. (3d) 18 (C.A. Ont.); Persad c. Canada (Ministre
de l'Emploi et de l'Immigration), A-140-83, jugement en
date du 18-10-83, C.A.F., non publié; Singh et autres c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [ 1985] 1
R.C.S. 177; Tonato c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration, [1985] 1 C.F. 925 (1" inst.); R v Secretary of
State for the Home Dept, ex p Ruddock, [1987] 2 All
ER 518 (Q.B.); Reg. v. Inland Revenue Comrs., Ex parte
Preston, [1985] A.C. 835 (H.L.); Leech v. Deputy
Governor of Parkhurst Prison, [1988] 2 W.L.R. 290
(H.L.).
DOCTRINE
Forsyth, C. F. «The Provenance and Protection of Legiti
mate Expectation», [1988] 47 C.L.J. 238.
Hadfield, Brigid «Judicial Review and the Concept of
Legitimate Expectation» (1988), 39 N.I.L.Q. 103.
Lewis, Clive «Fairness, Legitimate Expectations and
Estoppel» (1986), 49 Modern L. Rev. 251.
Riggs, Robert E. «Legitimate Expectation and Procedural
Fairness in English Law» (1988), 36 Am. J. Comp. L.
395.
AVOCATS:
Johanne LeVasseur pour le requérant.
Julius H. Grey pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous -procureur général du Canada pour le
requérant.
Grey, Casgrain, Biron, Montréal, pour l'in-
timé.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A. (dissident): La
décision que cet appel attaque a été rendue par un
juge de la Section de première instance, le 26
janvier 1987, sous l'autorité de l'article 18 de la
Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap.
F-7]. Saisi d'une demande pour l'émission d'un
bref de certiorari, de mandamus et pour tout autre
remède pouvant s'avérer approprié, le juge des
requêtes, en un premier temps, annula ce qu'il
considéra une décision de refus d'un officier du
ministre appelant relativement à une demande de
l'intimé faite dans le cadre de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 (S.C. 1976-77, chap. 52 ci-après
la Loi)'; puis, en un deuxième temps, il déclara
que l'intimé avait droit d'obtenir que sa revendica-
tion du statut de réfugié soit considéré tout comme
si elle avait été faite conformément aux prescrip
tions de la Loi. En elle-même, cette présentation
éclaire peu; ce n'est qu'une fois les faits connus que
l'on pourra voir le sens et la portée de la décision
attaquée et apprécier le problème qu'elle pose.
Les faits
Mokhtar Bendahmane, l'intimé, est né en Algé-
rie en 1958, mais, dès l'année suivante, il était
emmené en France où il a toujours résidé depuis,
sauf un bref séjour en Angleterre, de septembre
1984 mars 1985. Le 10 juin 1985, l'intimé se
présenta à l'aéroport de Mirabel (Québec). Il était
alors en possession d'un visa de visiteur, obtenu à
Paris quelques jours plus tôt. Mais comme il avait
manifestement obtenu ce visa sous des représenta-
tions inexactes et qu'au surplus il arrivait non de
Paris mais de Londres, muni d'un billet aller seule-
ment, il se vit refuser l'admission par l'agent exa-
minateur qui aussitôt, comme le veut la Loi, rédi-
gea un rapport où il alléguait qu'à son avis l'intimé
n'était pas admissible au Canada, aux termes de
l'alinéa 19(1)h) de la Loi, parce qu'il n'était pas
un visiteur véritable.
L'enquête, que le rapport de l'agent déclencha,
débuta le 12 juin. Après plusieurs ajournements,
elle fut enfin complétée le 19 juillet 1985. Ayant
pu vérifier les faits contenus au rapport, l'arbitre
émit une ordonnance de renvoi contre l'intimé
Pour raison de convenance, je compte me référer à la Loi
telle qu'elle existait au moment de la décision.
ainsi que l'exige le paragraphe 32(5) de la Loi.
L'intimé s'inscrivit aussitôt en appel de cette
ordonnance devant la Commission d'appel de
l'immigration.
En mai 1986, alors que l'intimé attendait tou-
jours sa convocation devant la Commission d'appel
de l'immigration, le ministre appelant annonça
publiquement la mise en vigueur d'un «Projet de
révision administrative des revendicateurs du
statut de réfugié». Il s'agissait d'un projet tout-à-
fait exceptionnel qui avait été élaboré en vue de
faire face au problème administratif énorme sou-
levé par la décision de la Cour suprême qui venait
de mettre en lumière l'exigence d'une audition
orale dans tous les cas de revendication de statut
de réfugié, et dont l'idée essentielle était d'admet-
tre les revendicateurs sur la seule base de leur
intégration à la vie canadienne. L'intimé eut l'idée
d'en réclamer le bénéfice. Le 17 juin 1986, il
compléta et déposa à un bureau d'immigration un
document qui se composait d'abord d'une lettre
circulaire à l'entête de Emploi et Immigration
Canada et ensuite au bas d'une formule à remplir.
Voici d'abord le texte de la lettre:
Monsieur, Madame,
Vous êtes une personne au sujet de laquelle une enquête
devrait être tenue en vertu de la Loi sur l'Immigration.
Or, le Ministre annonçait le 21 mai dernier un programme
spécial visant à examiner en vue de la résidence permanente
tous les revendicateurs du statut de réfugié en attente au
Canada d'une décision finale. Vous pourriez être éligible à ce
programme si vous indiquez, avant le 21 juin 1986, un agent
d'immigration, à un agent d'immigration supérieur ou à un
arbitre votre intention de revendiquer le statut de réfugié. Si tel
n'était pas le cas, vous seriez alors convoqué à une enquête et
votre cas serait traité selon la procédure normale.
Quant à la formule, une fois complétée et signée
par l'intimé, elle se lisait comme suit:
Je—Mokhtar Ben Dahmne—né 1e-1958—domicilié au-
5713 6iè''' Avenue Montréal H 1Y 2R1—ai l'intention de reven-
diquer le statut de réfugié et désire participer au programme
spécial d'examen administratif annoncé par le Ministre le 21
mai 1986.
Ben Dahmne (signature)
17-6-86 (date)
Cette lettre circulaire était destinée, comme pré
cisé en son premier paragraphe, à ceux qui atten-
daient la tenue d'une enquête relativement à leur
droit d'être au Canada, mais elle n'était adressée à
personne en particulier. L'intimé n'était évidem-
ment pas de ceux à qui elle était destinée puisque
son enquête à lui avait eu lieu un an plus tôt.
Comment alors en a-t-il eu un exemplaire? Lui-
même ne fournit aucune indication à ce sujet. En
fait, il n'avait même pas fait mention du document
dans sa requête originale et ne pensa l'introduire
qu'en réplique et sans explication, uniquement
pour attester que, dès le 17 juin, il avait exprimé
son intention de réclamer le statut de réfugié. Il est
évident qu'il n'a pas pu recevoir cette lettre par la
poste, aucune raison imaginable n'existant qui
puisse expliquer qu'elle lui aurait été adressée et
d'ailleurs, étant donné les prétentions qu'il enten-
dait faire valoir comme nous verrons, il en aurait
certes fait état. Mais de toute façon, cela n'est
aucunement de conséquence.
Le 20 juin suivant, l'intimé remplissait un exem-
plaire de la formule ordinaire de revendication du
statut de réfugié et la déposait simplement au
bureau d'immigration. Cette formule ne contient
rien de spécial, il n'est pas utile de la reproduire.
Le document suivant au dossier, dans l'ordre
chronologique, est le document central. 11 s'agit
encore d'une lettre formulaire destinée à informer
certains revendicateurs du statut de réfugié de leur
inadmissibilité au Projet spécial de révision admi
nistrative. Les espaces en blanc de la formule ont
été, comme ils le devaient, complétés par un offi-
cier d'immigration. La lettre ici est adressée à
l'intimé et porte la date du 16 octobre 1986. Elle
fait évidemment suite au document du 17 juin et à
la formule de revendication du 20 juin que l'intimé
avait déposés. La lettre est libellée sur deux colon-
nes qui se font face, l'une écrite en français, l'autre
en anglais. Seule la version française comprend les
mots ajoutés par l'officier. Je la reproduis:
Emploi et Immigration Canada
Notre dossier: 2496-86-02941
Le 16 octobre 1986
M. Mokhtar Bendhamne
953 est, rue Rachel
Montréal, Québec
H2J 2J4
Madame/Monsieur,
La présente fait suite à notre lettre d'information du début
juillet 1986, laquelle vous informait que vous pourriez être
admissible au projet de révision administrative des revendica-
teurs du statut de réfugié.
Suite à l'étude de votre dossier, il apparaît que vous n'êtes pas
admissible à ce projet, pour la(les) raison(s) suivante(s):
vous n'avez pas indiqué, à un agent d'immigration ou à un
arbitre, avant la fin de votre enquête concernant votre statut au
Canada, votre intention de revendiquer le statut de réfugié.
Par conséquent, vous ne pouvez soumettre de demande de
résidence permanente au Canada dans le Cadre de la révision
administrative et votre demande de statut de réfugié suivra son
cours normal.
Directeur/Manager (signé)
La communication du début juillet, à laquelle
cette lettre du 16 octobre fait allusion, n'est pas au
dossier; on n'en connaît pas autrement la teneur;
l'intimé n'affirme même pas l'avoir reçue. On sait,
par ailleurs, que l'intimé, au cours du mois de
juillet 1986, s'est désisté de son appel contre l'or-
dre de déportation.
Voilà qui complète la revue des faits.
La décision de première instance
Le juge saisi de la requête de l'intimé consacra
la majeure partie de ses motifs de décision à
rejeter les arguments mis de l'avant pour contester
la légitimité du refus des autorités d'inscrire l'in-
timé dans le cadre du projet spécial. Il était clair,
dit-il en substance, que l'intimé n'avait pas
réclamé le statut de réfugié au cours d'une enquête
concernant son statut au Canada, comme l'exigeait
le Règlement adopté en vue d'appliquer le projet
spécial, soit le Règlement sur l'arriéré des reven-
dications du statut de réfugié (DORS/86-701) 2 ,
car la prétention du procureur à l'effet que l'en-
quête serait poursuivie au cours des procédures
d'appel intentées contre l'ordre de déportation
n'était pas acceptable. Il était clair aussi que l'exi-
gence de la Loi à l'effet que le statut de réfugié
soit réclamé au cours d'une enquête (article 45),
exigence que le Règlement ne faisait que respecter,
n'allait pas à l'encontre des prescriptions de l'arti-
cle 7 de la Charte canadienne des droits et libertés
[qui constitue la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. C'était là, à son
avis, une exigence qui devait être respectée, à
moins qu'il s'agisse d'un cas où l'individu serait
2 Le paragraphe c) de l'article 2 du Règlement relatif à la
définition de «revendicateur» se lisait en effet comme suit:
2....
c) [Celui qui] a indiqué, au plus tard le 20 juin 1986, à un
agent d'immigration ou à un arbitre, avant la fin d'une
enquête concernant son statut au Canada, son intention de
revendiquer le statut de réfugié;
sujet à déportation sans enquête comme dans la
cause Tonato c. Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration, (décision de la Section de première
instance rapportée à [1985] 1 C.F. 925) ce qui
n'était évidemment pas le cas ici.
Ayant ainsi disposé des arguments invoqués à
l'encontre du refus d'accorder à l'intimé les avan-
tages du programme spécial, le juge enchaîna
directement comme suit (à la page 249):
Néanmoins, cela ne signifie pas que je considère que le
requérant a été traité équitablement.
Le requérant a reçu une lettre «au début de juillet» selon
laquelle il pourrait être admissible au projet de révision admi
nistrative des revendicateurs du statut de réfugié (voir la lettre
du 16 octobre 1986 annexée à l'affidavit du requérant).
Le 25 juillet 1986, le requérant apprend qu'il est admissible
au programme (alinéa 4 de l'affidavit du requérant).
Le 16 octobre 1986, le requérant est informé par une lettre
(mentionnée ci-dessus) qu'il n'est pas admissible au pro
gramme, mais que «votre demande du statut de réfugié suivra
son cours normal».
Je suis persuadé que l'intimée a erré en envoyant cette lettre
type au requérant, puisqu'elle ne s'appliquait pas à sa situation
particulière.
Néanmoins, le requérant a eu l'impression, à l'instar de toute
personne raisonnable, premièrement qu'il était admissible au
programme spécial et deuxièmement, après avoir reçu la der-
nière lettre du 16 octobre 1986, que sa revendication du statut
de réfugié ferait l'objet d'une étude.
La revendication du requérant n'a pas été étudiée suite à la
décision de l'intimé en date du 16 octobre 1986.
Je suis convaincu que le requérant a été induit en erreur par
les renseignements erronés que lui ont transmis les représen-
tants de l'intimé, ce qui l'a sans doute incité à se désister de son
appel devant la Commission d'appel de l'immigration.
Lorsqu'il a informé le requérant de son admissibilité éven-
tuelle au programme, l'intimé savait qu'une ordonnance d'ex-
pulsion valide avait été prononcée contre le requérant le 19
juillet 1985.
Dans ces circonstances, il serait injuste de ne pas étudier la
revendication du requérant.
J'accueille donc la demande de certiorari, j'annule la décision
de l'intimé en date du 16 octobre 1986 et déclare que le
requérant a droit à ce que sa demande du statut de réfugié en
vertu de la Convention déposée le 20 juin 1986 soit examinée de
la même façon que toute autre revendication du statut de
réfugié présentée au cours d'une enquête.
Je ne veux pas qu'on déduise de la présente décision que je
crois que le requérant est un réfugié. Je n'ai aucunement
réfléchi à cette question. Il incombe à l'intimé de prendre cette
décision, conformément à la loi et aux règlements.
Le requérant a droit aux dépens.
Je n'ai pas l'intention de m'attarder sur la pre-
mière partie de l'ordonnance, celle annulant l'indi-
cation contenue dans la lettre du 16 octobre 1986 à
l'effet que l'intimé n'était pas éligible au pro
gramme spécial. Il est clair que rien n'autorisait le
juge de conclure comme il l'a fait. D'abord, il n'y
avait pas là de décision puisqu'il s'agissait stricte-
ment d'une information quant à une prescription
du Règlement et sa conséquence inévitable sur la
demande de l'intimé. Mais même si on y voit une
décision pouvant faire l'objet de certiorari, il n'y a
rien qui puisse porter atteinte à sa validité. Quant
à son contenu, il est admis que l'intimé n'a pas
réclamé le statut de réfugié au cours d'une
enquête, et, quant à la façon où elle a été rendue, il
n'y a évidemment rien à redire, aucune question
d'équité procédurale n'ayant d'ailleurs été suggé-
rée. Le juge parle bien d'équité, mais dans un sens
différent qui n'entre pas dans les principes applica-
bles au niveau du contrôle de la légalité des actes
de l'administration. Au reste, cette première partie
de la décision est en complet désaccord avec la
seconde où il est déclaré que l'intimé a droit de
voir sa réclamation du statut de réfugié considérée,
non dans le cadre du Règlement spécial, mais de la
façon ordinaire prévue par la Loi.
C'est la seconde partie de l'ordonnance que le
procureur de l'intimé s'est employé à défendre. À
son avis, le juge avait eu raison de faire appel à
l'iniquité de la situation et à réagir comme il
l'avait fait. Le cas, en effet, en était un où, d'après
lui, s'appliquait directement la nouvelle doctrine
dite de «l'espérance ou de l'attente légitime» «legi-
timate expectation» en vertu de laquelle l'Adminis-
tration pouvait être forcée de respecter ses propres
représentations. Et le procureur naturellement se
référa aux deux causes anglaises où la doctrine
aurait été le plus clairement énoncée, celles de
Reg. v. Secretary of State for the Home Depart
ment, Ex parte Asif Mahmood Khan, [ 1984] 1
W.L.R. 1337 (C.A.) et Attorney -General of Hong
Kong v. Ng Yuen Shiu, [ 1983] 2 A.C. 629 (P.C.),
auxquelles il ajouta celle de la Cour d'appel du
Québec dans Sous-ministre du Revenu du Québec
c. Transport Lessard (1976) Ltée, [1985] R.D.J.
502.
Je ne suis pas d'accord.
Peut-être y a-t-il lieu pour les tribunaux cana-
diens de suivre les tribunaux anglais et d'accepter
cette dernière extension du domaine d'application
du contrôle judiciaire des actes de l'Administra-
tion. Cette doctrine de la «legitimate expectation»,
qui tire son nom, on le sait, des propos de lord
Denning dans Schmidt v. Secretary of State for
Home Affairs, [1969] 2 Ch. 149 (C.A.), à la page
170, et que la Chambre des lords semble avoir
définitivement incorporée au droit anglais dans son
arrêt Council of Civil Service Unions v. Minister
for the Civil Service, [1984] 3 All ER 935, la
page 954, repose sur une idée fort solide. Personne
ne contestera que, même en dehors de toute inci
dence de mauvaise foi ou de déraisonnabilité fla-
grante, il puisse y avoir des cas où l'Administration
ne devrait pas être admise à se dédire au détriment
de l'administré qui s'est fié à sa parole et a agi en
conséquence. On peut songer à une sorte d'applica-
tion, en matière administrative, de l'estoppel de la
common law, étant donné la représentation d'une
part et la réaction de confiance et de fiabilité
d'autre part, le tout sous la bannière de l'équité'.
Encore que, étant en droit public, l'idée doit natu-
rellement être confinée dans des limites compati
bles avec les exigences de l'ordre public. Et c'est
pourquoi les juges anglais ont pris soin de limiter
la nouvelle doctrine à certains aspects de l'action
administrative et de soumettre son application à
des conditions précises. Or, ma compréhension de
ces limites et de ces conditions me conduit à penser
que la doctrine n'a pas sa place dans un contexte
factuel comme celui qui se présente ici.
D'abord, je ne sache pas qu'on n'ait jamais
prétendu appliquer cette doctrine de la «legitimate
expectation» en dehors du domaine procédural.
C'est au niveau du processus en vue de l'exercice
de la discrétion attribuée à l'autorité administra
tive que la doctrine peut jouer. Or, le problème ici
n'est pas à ce niveau: forcer la considération d'une
réclamation du statut de réfugié faite de façon non
conforme aux prescriptions de la Loi n'est pas du
domaine procédural. D'autre part, il ne s'agit pas,
pour le ministre, de l'exercice d'une simple discré-
tion: le fait que la considération d'une réclamation
de statut de réfugié faite hors enquête ne soit pas,
à proprement parler, défendue par la Loi—et
qu'on accepte parfois de s'y prêter, notamment
' N'est-ce pas en fait l'attitude qu'a déjà prise la Cour
d'appel d'Ontario dans Re Multi -Malls Inc. et al. and Minister
of Transportation and Communications et al. (1976), 73
D.L.R. (3d) 18.
dans les cas où il n'y a pas d'enquête comme celui
qui se présentait dans la cause Tonato, supra—
n'implique pas pour autant que le ministre est libre
de ne pas tenir compte des prescriptions de l'article
45.
Ensuite, il est certain—les jugements le répètent
mais de toute façon il ne saurait en être autre-
ment—que la doctrine n'est valable que dans le cas
d'une promesse qui était, au moment où elle a été
faite, compatible avec les dispositions législatives
existantes et est restée susceptible d'être respectée
par l'autorité. Ici, non seulement il n'y a jamais eu
de promesse, et non seulement une promesse en ce
sens aurait été incompatible avec la Loi et son
article 45; mais une telle promesse serait aujour-
d'hui impossible à respecter. L'intimé est, en effet,
sous le coup d'une ordonnance d'expulsion, et rien,
dans la Loi, ne peut être utilisé pour en empêcher
l'exécution: il serait illusoire de songer aux pou-
voirs spéciaux du gouverneur-général sous le para-
graphe 115(2) 4 car, dans une telle circonstance,
ces pouvoirs sont sans portée, étant donné la teneur
des articles 50, 51 et 52 de la Loi relativement à
l'exécution des ordonnances d'expulsion'.
Enfin, même en restant sur le pur plan des faits,
peut-on parler sérieusement d'espérance raisonna-
ble ou d'attente légitime? J'ai pris la peine de citer
plus haut la lettre du 17 juin que l'intimé s'est fait
remettre, au bureau d'immigration, après avoir
connu l'existence du projet spécial, et sur laquelle
il a complété ce qu'on pourrait appeler la formule
de demande de participation. Je ne puis penser
qu'à la lecture de cette lettre et surtout de son
premier paragraphe, l'intimé pouvait manquer de
réaliser que le projet ne s'adressait pas à quelqu'un
dans sa situation; qu'il s'adressait exclusivement à
ceux qui avaient déjà réclamé le statut de réfugié
au cours de l'enquête tenue à leur sujet ou à ceux
4 Le texte est le suivant:
115....
(2) Lorsqu'il est convaincu qu'une personne devrait être
dispensée de tout règlement établi en vertu du paragraphe
(1) ou que son admission devrait être facilitée pour des
motifs de politique générale ou des considérations d'ordre
humanitaire, le gouverneur en conseil peut, par règlement,
dispenser cette personne du règlement en question ou
autrement faciliter son admission.
5 Voir: Persad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration), Cour d'appel fédérale, dossier numéro A-140-83,
jugement du 18 octobre 1983, non publié.
qui attendaient toujours la tenue de leur enquête et
partant n'avaient pas pu encore faire leur réclama-
tion. Et cela étant, l'intimé ne pouvait pas éviter de
replacer dans son contexte le paragraphe final de
la lettre du 16 octobre au lieu de s'y laisser
tromper.
Ainsi, ma conclusion est que la décision du
savant juge de première instance est aussi peu
fondée quant à sa seconde partie que quant à sa
première.
Je maintiendrais donc l'appel, casserais la déci-
sion de première instance, et rejetterais la requête
en certiorari et autres recours de l'intimé, avec
dépens des deux cours.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Appel est interjeté
du jugement par lequel le juge Teitelbaum a, en
vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédéra-
le 6 , accordé une réparation à l'intimé.
L'intimé est citoyen algérien. En 1985, il était
résident de France. Il a obtenu à Paris un visa de
visiteur canadien. Il est arrivé au Canada le 10
juin 1985. Au point d'entrée Mirabel, un agent
d'immigration a estimé qu'il n'était pas un vérita-
ble visiteur, et il a établi un rapport en ce sens sous
le régime du paragraphe 20(1) de la Loi sur
l'immigration de I976'. Il s'en est suivi une
enquête à la conclusion de laquelle une ordonnance
d'exclusion a été rendue le 19 juillet 1985. L'in-
timé n'a nullement revendiqué le statut du réfugié
avant cette date.
L'intimé a interjeté appel de l'ordonnance d'ex-
clusion devant la Commission d'appel de l'immi-
gration, comme le lui permettait l'alinéa 72(2)b),
mais il a abandonné cet appel environ un an plus
tard, soit le 4 juillet 1986.
6 L.R.C. (1985), chap. F-7.
' S.C. 1976-77, chap. 52, modifié. Puisque tous les faits de
l'espèce présente se rapportent à une période antérieure à la
date d'entrée en vigueur des Lois révisées du Canada (1985),
ou aux dates d'entrée en vigueur des chapitres 35 et 36 des
Statuts du Canada 1988, les renvois sont des renvois à la Loi
sur l'immigration de 1976, dans sa version antérieure à ces
dates.
Entre-temps, en raison, semble-t-il, d'une confu
sion, l'intimé avait reçu l'avis qu'il pourrait être
admissible au Programme de révision administra
tive en vertu du Règlement sur l'arriéré des reven-
dications du statut de réfugié". Cet avis a pris la
forme d'une lettre sur papier à correspondance
officielle (Dossier d'appel, page 239). Le dossier
est entièrement muet sur la façon dont cette lettre
est parvenue à l'intimé, et le juge de première
instance n'a tiré aucune conclusion sur ce point.
Les avocats n'en ont pas non plus parlé. Certes, il
n'y a rien qui permette de conclure que l'intimé
s'était lui-même, d'une manière ou d'une autre,
arrangé pour qu'on la lui donne. En fait, compte
tenu de l'absence d'éléments de preuve, toute con
clusion quant à la façon dont cette lettre a été
transmise (autrement, peut-être, que par la voie
postale normale) est simplement spéculative. En
tout état de cause, l'avis donné dans la lettre était
faux, et il a donné lieu au dépôt par l'intimé d'une
revendication du statut de réfugié le 20 juin 1986.
Le 16 octobre 1986, on l'a informé par écrit, avec
raison, d'ailleurs, qu'il n'était pas admissible à la
révision administrative parce qu'il n'avait pas
revendiqué le statut de réfugié antérieurement à la
fin de son enquête. La lettre l'informant de cette
décision se termine par le paragraphe suivant:
Par conséquent, vous ne pouvez soumettre de demande de
résidence permanente au Canada dans le cadre de la révision
administrative et votre demande de statut de réfugié suivra son
cours normal. (Dossier d'appel, page 4) [C'est moi qui
souligne.]
Peu de temps après, lorsqu'il est devenu évident
que l'appelant se proposait d'expulser l'intimé du
Canada sans examiner davantage sa revendication
du statut de réfugié, on a saisi la Section de
première instance des présentes procédures.
L'ordonnance faisant l'objet de l'appel est ainsi
rédigée:
Pour les motifs énoncés dans les Motifs de l'ordonnance, la
demande de certiorari est par les présentes accordée, annulant
la décision du 16 octobre 1986 rendue par l'intimé, le ministre
de l'Emploi et de l'Immigration. Il est en outre ordonné que le
requérant ait droit à ce que sa demande du statut de réfugié en
vertu de la Convention déposée le 20 juin 1986 soit examinée de
la même façon que toute autre revendication du statut de
réfugié présentée au cours d'une enquête, le tout avec dépens en
faveur du requérant. (Dossier d'appel, page 242.)
" DORS/86-701, 26 juin 1986.
Comme on peut le voir, cette ordonnance porte
sur deux questions tout à fait distinctes, quoique
connexes. La première partie vise à infirmer la
décision du 16 octobre 1986 qui a refusé à l'intimé
l'accès au Programme de révision administrative.
La deuxième partie enjoint au ministre d'examiner
la demande de statut de réfugié comme si elle
avait été «présentée au cours d'une enquête».
À mon avis, la première partie de cette ordon-
nance ne saurait, à l'évidence, tenir. L'avocat de
l'intimé a pratiquement concédé ce point. La «déci-
sion du 16 octobre 1986» portait que l'intimé ne
réunissait pas les conditions prévues au Règlement
sur l'arriéré des revendications du statut de réfu-
gié. Dans cette décision, il s'agissait, non pas d'une
simple question de procédure, mais des droits de
fond de l'intimé de devenir un résident permanent
en vertu de ce Règlement. Elle était, à l'évidence,
bien fondée, comme on peut le voir dans l'alinéa c)
de la définition de «revendicateur» figurant à l'arti-
cle 2, qui fait état d'une personne qui a:
2....
c) elle a indiqué, au plus tard le 20 juin 1986, à un agent
d'immigration ou à un arbitre, avant la fin d'une enquête
concernant son statut au Canada, son intention de revendi-
quer le statut de réfugié; (C'est moi qui souligne.)
Puisque l'intimé ne remplissait pas les conditions
de revendicateur, la décision de lui refuser les
avantages de ce programme était la seule que
l'appelant pût rendre. Avec tout le respect que je
lui dois, le juge de première instance a eu tort de
l'annuler.
La seconde partie de l'ordonnance du juge de
première instance soulève des difficultés d'un
caractère très différent. La revendication du statut
de réfugié, faite par l'intimé le 20 juin 1986, ne
remplissait évidemment pas les conditions posées
par le paragraphe 45(1), qui porte seulement sur
les revendications faites «au cours» d'«une
enquête». La procédure de reconnaissance et de
réexamen de ces revendications prévue aux articles
45, 70 et 71 [mod. par S.C. 1986, chap. 13, art. 5]
ne s'applique donc nullement en l'espèce.
Il reste toutefois que le ministre appelant a
accepté que l'intimé soit un revendicateur du
statut de réfugié: la formule de revendication datée
du 20 juin 1986 est fournie par le ministre et
contresignée par un agent d'immigration (Dossier
d'appel, page 236); un autre document provenant
du ministre, apparemment daté du 15 septembre
1986, décrit l'intimé comme une personne qui:
a revendiqué le statut de réfugié au Canada. (Dossier d'appel,
pages 7 et 236.)
J'ai déjà cité le paragraphe final de la lettre du 16
octobre 1986 disant que la demande de statut de
réfugié de l'intimé «suivra son cours normal» 9 .
Malgré tout cela, le ministre a refusé d'exami-
ner la revendication du statut de réfugié de l'in-
timé, et encore moins d'y répondre. Le juge de
première instance a statué que, en agissant de la
sorte, le ministre n'avait pas agi équitablement. Je
suis du même avis.
La question de savoir si le ministre est générale-
ment tenu d'examiner une revendication du statut
de réfugié qui est faite en dehors du cadre prévu
par l'article 45 ne se pose en l'espèce. Le fait est
plutôt que, à tort ou à raison, le ministre exerce en
fait le pouvoir d'examiner ces revendications et
d'accorder le bénéfice du statut de réfugié bien
indépendamment de la procédure de reconnais
sance et de réexamen prévue dans la Loi. Trois
exemples servent à illustrer ce point.
En premier lieu, la Loi dans son paragraphe
6(2) prévoit clairement l'admission au Canada de
réfugiés au sens de la Convention, mais elle
n'édicte aucune disposition précise visant la recon
naissance du statut de ces personnes pendant qu'el-
les se trouvent encore à l'extérieur du Canada.
L'article 45 ne convient clairement pas à cette fin
alors que le paragraphe 7(1) du Règlement sur
l'immigration de l978 10 laisse entendre que le
ministre a, en fait, établi un type de procédure
permettant aux agents des visas à l'étranger de
déterminer les personnes qui sont des réfugiés au
sens de la Convention. Il en découle clairement que
certaines personnes arrivent au Canada déjà dotées
du statut de réfugié sans s'être jamais soumises à
la procédure de reconnaissance prévue par la loi.
En second lieu, l'avocate du ministre a reconnu
9 Le «cours normal» aurait, bien entendu, inclus, à l'époque,
le droit d'avoir une audition (Singh et autres c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1985] I R.C.S. 177). Il convient
de noter que, à l'époque de la lettre du 16 octobre, le ministre
savait que l'intimé n'avait pas, juridiquement, un tel droit,
puisqu'il n'avait pas déposé sa revendication à temps.
10 DORS/78-172, 24 février 1978.
que ce dernier avait, à l'occasion (elle a pris soin
d'insister sur le fait qu'il ne s'agissait aucunement
d'une question de routine ou de pratique cou-
rante), examiné et accueilli des demandes de
revendicateurs du statut de réfugié «autorisés de
séjour», c'est-à-dire des revendications du statut de
réfugié au sens de la Convention faites par des
personnes qui se trouvaient à l'époque légalement
au Canada et ne faisaient pas l'objet d'une
enquête. Toute reconnaissance du statut de ces
personnes comme réfugiés doit nécessairement
sortir du cadre de l'article 45. En dernier lieu, dans
au moins une affaire", il a réellement été ordonné
au ministre d'examiner une revendication du statut
de réfugié au sens de la Convention faite par une
personne qui, étant entrée au Canada par suite de
la délivrance d'un permis du ministre sous le
régime de l'article 37, était susceptible d'être
expulsée sans enquête au moyen d'une ordonnance
ministérielle; il est clair que cette personne ne
pourrait jamais se prévaloir des premiers mots du
paragraphe 45(1).
En conséquence, la situation de l'espèce est la
suivante: l'intimé n'a pas revendiqué le statut de
réfugié conformément à la procédure prévue dans
la Loi, et il est maintenant trop tard pour le faire.
D'autre part, l'intimé a déposé une revendication
du statut de réfugié que le ministre a reconnue
comme telle par écrit; ce dernier l'a informé que la
revendication serait examinée. Le ministre a
reconnu avoir examiné d'autres revendications du
statut de réfugié faites en dehors du cadre de la
procédure prévue dans la Loi, mais il refuse d'exa-
miner celle de l'intimé.
À mon avis, les faits sont tels qu'il y a lieu
d'appliquer la doctrine de l'équité pour exiger du
ministre qu'il procède à l'examen de la revendica-
tion de l'intimé avant de tenter de l'expulser du
Canada.
Le principe applicable est parfois énoncé sous la
rubrique «expectative raisonnable» ou «expectative
légitime». Il a une importante histoire dans le droit
administratif, et le Conseil privé l'a énoncé avec
fermeté dans l'affaire Attorney -General of Hong
i' Voir Tonato c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[I985] 1 C.F. 925 (1"° inst.).
Kong v. Ng Yuen Shiu' 2 . Dans cette affaire, Ng
était un immigrant illégal ayant gagné Hong Kong
à partir de Macao comme plusieurs milliers d'au-
tres. Le gouvernement a publiquement promis que
chaque immigrant illégal aurait droit à une entre-
vue, et que chaque cas serait traité selon ses
propres faits. Malgré cela, Ng, dont le statut
illégal n'était pas contesté, a fait l'objet d'une
ordonnance d'expulsion sans avoir la possibilité
d'expliquer pourquoi le pouvoir discrétionnaire
devrait être exercé en sa faveur pour des raisons
humanitaires et autres. Le Conseil privé a statué
que, en agissant ainsi, les autorités ont rejeté les
expectatives raisonnables de Ng fondées sur les
propres déclarations du gouvernement. Lord
Fraser of Tullybelton s'est exprimé en ces termes
(à la page 638):
[TRADUCTION] . .. lorsqu'une autorité publique a promis de
suivre une certaine procédure, l'intérêt d'une bonne administra
tion exige qu'elle agisse équitablement et accomplisse sa pro-
messe, pourvu que cet accomplissement n'empêche pas l'exer-
cice de ses fonctions prévues par la loi. Le principe se trouve
également justifié par l'autre idée que, lorsque la promesse a
été faite, l'autorité doit avoir considéré que toutes observations
de la part des parties intéressées l'aideraient à s'acquitter de ses
fonctions équitablement et, règle générale, cela est exact.
Leurs Seigneuries estiment que le principe selon lequel une
autorité publique est liée par ses engagements quant à la
procédure qu'elle va suivre, pourvu qu'ils ne soient pas incom
patibles avec ses fonctions, s'applique à l'engagement que le
gouvernement de Hong Kong a donné au requérant, et à
d'autres immigrants illégaux venant de Macao, lors de l'an-
nonce faite à l'extérieur de la résidence du gouverneur le 28
octobre, savoir que chaque cas serait examiné selon ses propres
faits.
À mon avis, le passage cité s'applique parfaite-
ment à l'espèce. Le ministre a promis d'examiner
la revendication du statut de réfugié de l'intimé.
Certes, la loi ne prévoit pas expressément cet
examen; mais rien ne l'interdit, et le ministre a, en
fait, examiné d'autres revendications du statut de
réfugié faites par des personnes qui ne pouvaient se
prévaloir de la procédure légale. L'examen par le
ministre de la revendication de l'intimé ne serait
pas incompatible avec ses fonctions légales.
Il s'ensuit que, à mon avis, le juge de première
instance a eu raison d'enjoindre au ministre d'exa-
miner la demande de statut de réfugié.
12 119831 2 A.C. 629 (P.C.).
Il reste à trancher la question de la procédure.
L'ordonnance du juge de première instance exige
du ministre qu'il statue sur la demande comme si
elle avait été déposée au cours d'une enquête. Avec
déférence, j'estime cela ne convient pas entière-
ment dans les circonstances. Il a définitivement été
jugé que la procédure de reconnaissance des reven-
dications du statut de réfugié prévue à l'article 45
ne satisfait pas aux exigences de la justice
fondamentale "; il est remédié à ce défaut par
l'audition qu'exige le paragraphe 71(1) comme
faisant partie de la procédure de réexamen devant
la Commission d'appel de l'immigration. La com-
pétence de la Commission, provenant toutefois
entièrement de la Loi, ne saurait découler de l'or-
donnance du juge de première instance; cette
ordonnance aurait donc pour conséquence que l'in-
timé verrait sa revendication déterminée au moyen
de la précodure inadéquate de l'article 45 sans
pouvoir se prévaloir des remèdes apportés par les
articles 70 et 71. En conséquence, j'estime qu'il est
préférable de ne pas préciser la procédure que le
ministre doit suivre pour statuer sur la revendica-
tion du statut de réfugié de l'intimé, sauf à lui
enjoindre de se conformer aux exigences de
l'équité et de la justice fondamentale.
En conséquence, j'accueillerais l'appel en partie,
j'infirmerais la première partie de l'ordonnance
attaquée et je modifierais la seconde partie de
manière à enjoindre au ministre de statuer sur la
demande de statut de réfugié au sens de la Con
vention formulée par l'intimé en tenant compte des
règles d'équité et des principes de justice fonda-
mentale. Je ne modifierais pas l'ordonnance quant
aux dépens en première instance, et je ne rendrais
pas d'ordonnance quant à l'adjudication des
dépens en appel.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: Peut-être une
erreur administrative a-t-elle été commise en l'es-
pèce: la lettre qui a été adressée à l'intimé le 16
octobre 1986 n'aurait pas dû être libellée comme
elle l'a été. Il demeure cependant que l'intimé, qui
était visé par une ordonnance d'exclusion pronon-
" Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, supra.
cée le 19 juillet 1985, a reçu le 16 octobre 1986
une lettre du ministre qui lui était personnellement
adressée et qui l'avisait de sa non-admissibilité à la
révision administrative projetée en vertu du Règle-
ment sur l'arriéré des revendications du statut de
réfugié 14 , en ajoutant que:
... votre demande de statut de réfugié suivra son cours normal.
(Dossier d'appel, à la page 4.)
Les mots «suivra son cours normal» faisant
partie d'une formule type dans la lettre du 16
octobre 1986, ils n'ont peut-être jamais été utilisés
pour désigner le pouvoir d'examen de la revendica-
tion du statut de réfugié que le ministre peut
exercer sous un autre régime que celui de la
procédure établie à l'article 45 de la Loi sur
l'immigration de 1976.
Mais comme ce pouvoir'du ministre existe, qu'il
peut être exercé par celui-ci et n'est pas contraire à
la Loi, je ne puis écarter la possibilité que cette
lettre du 16 octobre 1986 puisse s'interpréter
comme l'engagement que la revendication du
statut de réfugié déposée par l'intimé le 20 juin
1986 serait examinée malgré l'ordonnance d'exclu-
sion, puisque l'exercice d'un tel pouvoir permet-
trait à la demande de l'intimé de suivre son cours
normal dans les circonstances. En conséquence, je
n'hésite pas à appliquer la doctrine de l'expectative
légitime 15 aux faits de la présente espèce.
Je souscris aux motifs de jugement prononcés
par le juge de la Cour d'appel Hugessen.
11 DORS/86-701, le 26 juin 1986.
15 À la jurisprudence citée par mes collègues, j'ajoute la
jurisprudence et la doctrine suivantes: R v Secretary of State
for the Home Dept, ex p Ruddock, [1987] 2 All ER 518
(Q.B.); Reg. v. Inland Revenue Comrs., Ex parte Preston,
[1985] A.C. 835 (H.L.); Leech v. Deputy Governor of Park-
hurst Prison, [1988] 2 W.L.R. 290 (H.L.), à la p. 306. Pour un
examen approfondi de la jurisprudence relative à la doctrine de
l'expectative légitime, voir: Robert E. Riggs, «Legitimate
Expectation and Procedural Fairness in English Law,,
(1988), 36 Am. J. Comp. L. 395. Pour une explication de cette
doctrine, voir: C. F. Forsyth, «The Provenance and Protection
of Legitimate Expectation», [1988] 47 C.L.J. 238; Brigid Had-
field, ,Judicial Review and the Concept of Legitimate Expecta
tion» (1988), 39 N.I.L.Q. 103. Voir également: Clive Lewis,
«Fairness, Legitimate Expectations and Estoppel», (1986), 49
Modern L. Rev. 251.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.