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A-638-87
Procureur général du Canada (requérant) c.
Carla Druken, Hilda Isbitsky, Myrna McMillan et Jeanne Bérubé (intimées)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) C. DRUKEN
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone— Toronto, 13 et 14 juin; Ottawa, 15 août 1988.
Droits de la personne Les prestations d'assurance-chô- mage ont été refusées à des femmes qui étaient employées par leur mari ou par des sociétés dont plus de 40 % des actions donnant droit de vote étaient contrôlées par leur mari Le Tribunal canadien des droits de la personne a-t-il eu raison d'ordonner à la CEIC de payer des prestations d'assurance- chômage ainsi qu'une indemnité pour préjudice moral et de cesser d'appliquer les art. 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi sur l'assurance-chômage au motif qu'ils sont discriminatoires? Demande de révision rejetée Lorsque la Loi canadienne sur les droits de la personne est entrée en vigueur en 1977, ces alinéas de la Loi sur l'assurance-chômage ont été implicite- ment abrogés.
Assurance-chômage Les prestations d'assurance-chô- mage ont été refusées aux femmes qui étaient employées par leur mari ou par des sociétés dont plus de 40 % des actions donnant droit de vote étaient contrôlées par leur mari Le Tribunal canadien des droits de la personne a ordonné à la CEIC de payer des prestations d'assurance-chômage ainsi qu'une indemnité pour préjudice moral et de cesser d'appli- quer les dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage Les art. 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi et l'art. ISa) du Règlement ont été abrogés implicitement lorsque la Loi canadienne sur les droits de la personne est entrée en vigueur en 1977.
Les intimées se sont vu refuser des prestations d'assurance- chômage en vertu des alinéas 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi sur l'assurance-chômage et de l'alinéa l4a) du Règlement au motif qu'elles avaient été employées par leur mari ou par des sociétés dont plus de 40 % des actions donnant droit de vote étaient contrôlées par leur mari. Un tribunal établi en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne a ordonné à la Commission canadienne de l'emploi et de l'immigration de payer aux intimées des prestations d'assurance-chômage ainsi qu'une indemnité de 1 000 $ chacune pour préjudice moral et de cesser l'application de ces dispositions législatives.
La présente demande de révision judiciaire soulève deux points. Le premier est celui de savoir si le Tribunal s'est trompé en ordonnant à la CEIC de cesser d'appliquer les alinéas 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi et l'alinéa I4a) du Règlement, ce qui revenait effectivement à déclarer ces dispositions inopérantes. La seconde question consiste à savoir s'il a commis une erreur en concluant que cette privation des prestations ne s'appuyait sur aucun motif justifiable faisant relever l'acte discriminatoire visé de l'exception prévue par l'alinéa 14g). Le requérant a soutenu: (1) que la Loi sur les droits de la personne n'a point prépondérance sur les autres lois du Parlement, (2) qu'un
tribunal ad hoc n'est pas habilité à prononcer une ordonnance ayant pour effet de rendre des dispositions législatives inopéran- tes, et (3) que le tribunal a fait erreur en ordonnant à la CEIC de payer à chacune des intimées une indemnité de 1 000 $ pour préjudice moral.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
(1) La règle applicable à l'incompatibilité d'une loi sur les droits de la personne avec une autre loi semble être qu'une disposition législative postérieure à une loi sur les droits de la personne ne doit s'interpréter comme abrogeant une disposition de cette dernière que si elle déclare clairement y apporter une exception. La législation sur les droits de personne postérieure à une autre mesure législative avec laquelle elle est incompatible abroge cette dernière de façon implicite. Les deux articles concernés de la Loi ont été édictés antérieurement à l'entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne en 1977, qui les a abrogés implicitement. L'ordonnance du Tribu nal rendant ces articles inopérants est conforme à l'alinéa 41(2)a) de la Loi sur les droits de la personne tel qu'il se présentait lors de l'entrée en vigueur de cette Loi en 1977.
(2) L'ordonnance du Tribunal rendant les articles en ques tion inopérants est compatible avec l'alinéa 41(2)a) de la Loi sur les droits de la personne, qui autorise expressément le Tribunal à prendre des mesures destinées à prévenir la répéti- tion d'actes semblables par les personnes qui sont considérées les avoir commis.
(3) Le Tribunal n'a commis aucune erreur révisable en ordonnant le paiement d'une indemnité pour préjudice moral. L'octroi de telles indemnités soulève toutefois des inquiétudes lorsque l'acte discriminatoire concerné a été posé en application des prescriptions d'une loi du Parlement, par des fonctionnaires agissant de bonne foi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 2 (mod. par S.C. 1980-81- 82-83, chap. 143, art. 28(1)), 3 (mod., idem, art. 2), 5, 14 (mod., idem, art. 7), 15 (mod., idem, art. 8), 15.1 (édicté, idem, art. 9), 41 (mod., idem, art. 20), 42.
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, art. 3, 4 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 80, art. 2), 17.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 28.
Règlement sur l'assurance-chômage, C.R.C., chap. 1576, art. 14a) (mod. par DORS/78-710, art. I).
The Human Rights Act, 1974, S.M. 1974, chap. 65; C.C.S.M. H175, art. 6(1).
The Public Schools Act, R.S.M. 1970, chap. P250, art. 39(2).
The Public Schools Act, 1980, S.M. 1980, chap. 33; C.C.S.M. P250, art. 50.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150; Re: Schewchuck and Ricard;
Attorney -General of British Columbia et al., Intervenors (1986), 28 D.L.R. (4th) 429 (C.A.C.-B.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Re Singh, [1989] 1 C.F. 430 (C.A.); Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561.
AVOCATS:
J. Grant Sinclair, c.r. pour le requérant. James M. Hendry et Cheryl L. Crane pour Carla Druken, Hilda Isbitsky, Myrna McMil- lan et la Commission canadienne des droits de la personne.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Commission canadienne des droits de la per- sonne, Ottawa, pour Carla Druken, Hilda Isbitsky, Myrna McMillan et la Commission canadienne des droits de la personne.
Jeanne Bérubé, Schefferville (Québec), pour son propre compte.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le procureur général du Canada sollicite l'annulation d'une décision rendue et d'une indemnité accordée par un tribunal nommé conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, ci-après appelée la «Loi sur les droits de la per- sonne». Ce tribunal n'a reçu aucune preuve au sujet de la plainte de l'intimée Bérubé et a rejeté cette plainte; celle-ci n'est pas visée par la présente demande. En résumé, le refus d'accorder des pres- tations d'assurance-chômage aux autres intimées a été considéré comme la privation d'un service des- tiné au public pour un motif de distinction illicite. Mmc Druken avait été employée par son mari; Mmc Isbitsky et Mmc McMillan avaient été employés par des sociétés dont plus de 40 % des actions donnant droit de vote étaient contrôlées par leurs maris. Les refus des prestations ont été prononcés en application des dispositions expresses de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970- 71-72, chap. 48 et du Règlement sur l'assurance- chômage, [C.R.C., chap. 1576].
En vertu de l'article 17 de la Loi sur l'assurance- chômage, l'admissibilité d'un prestataire à des prestations est tributaire de son exercice d'un «emploi assurable», une expression qui fait l'objet d'une définition. La Loi sur l'assurance-chômage [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 80, art. 2] déclare:
3. (I) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus ...
(2) Les emplois exclus sont les suivants:
c) tout emploi d'une personne au service de son conjoint;
i) tout emploi inclus, par règlement établi en vertu de l'article 4, dans les emplois exclus.
4....
(3) La Commission peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, établir des règlements en vue d'exclure des emplois assurables
d) tout emploi d'une personne au service d'une corporation si cette personne ou son conjoint contrôle, ou s'ils contrôlent à eux deux, plus de quarante pour cent des actions donnant droit de vote de cette corporation;
Le règlement suivant a été adopté en application de l'alinéa 4(3)d):
14. Sont exlcus des emplois assurables les emplois suivants:
a) l'emploi au service d'une corporation, si l'employé, son conjoint ou les deux contrôlent plus de quarante pour cent des actions donnant droit de vote; [mod. par DORS/78-710, art. I]
La Loi sur les droits de la personne [art. 2 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 28(1)); art. 3(1) (mod., idem, art. 2); art. 14 (mod., idem, art. 7)] déclare:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compé- tence du Parlement du Canada, au principe suivant: tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obliga tions au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouisse- ment, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de per- sonne graciée ou la déficience.
3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.
5. Constitue un acte discriminatoire le fait pour le fournis- seur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'héber- gement destinés au public
a) d'en priver, ou
b) de défavoriser, à l'occasion de leur fourniture, un individu, pour un motif de distinction illicite.
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
g) le fait qu'un fournisseur de biens, de services, d'installa- tions ou de moyens d'hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinc tion illicite, s'il a un motif justifiable de le faire.
Bien qu'ils fussent soulevés dans le mémoire du procureur général, n'ont pas été repris l'argument voulant que la fourniture de prestations d'assu- rance-chômage ne soit pas un service destiné au public et l'argument que sa privation en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage et de l'alinéa 14a) [mod. par DORS/78-710, art. 1] du Règlement sur l'assurance-chômage est fondée sur l'état matrimonial et/ou la situation de famille de la personne concernée. Cette dernière assertion semble si évidente en soi qu'elle n'a pas besoin d'être commentée. En ce qui concerne la proposition précédente, le requérant semble avoir trouvé convaincante l'opinion incidente exprimée dans l'arrêt Singh (Re), [1989] 1 C.F. 430 (C.A.) dans laquelle le juge Hugessen, prononçant les motifs de cette Cour, a dit à la page 440:
On peut à vrai dire soutenir que les termes qualificatifs de l'article 5
5.... le fournisseur de ... services ... destinés au public ...
ne peuvent jouer qu'un rôle limitatif dans le contexte des services qui sont rendus par des personnes physiques ou par des personnes morales et que, par définition, les services que ren- dent les fonctionnaires publics aux frais de l'État sont des services destinés au public et qu'ils tombent donc sous le coup de l'article 5. Il n'est cependant pas nécessaire de trancher cette question de façon définitive à cette étape-ci et il suffit de dire qu'il est loin d'être clair pour moi que les services rendus, tant au Canada qu'à l'étranger, par les fonctionnaires chargés de l'application de la Loi sur l'immigration de 1976 ne sont pas des services destinés au public.
Quoi qu'il en soit, la conclusion de fait fondamen- tale du tribunal que les intimées ont été victimes d'un acte discriminatoire illicite n'a pas été contes- tée. Les principaux arguments présentés concer-
naient la question de savoir si le tribunal avait commis une erreur en ordonnant à la Commission de l'Emploi et de l'Immigration du Canada, la «CEIC», d'«interrompre la pratique ... qui consiste à appliquer les alinéas 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi sur l'assurance-chômage, ainsi que l'article 14A du Règlement», ce qui revenait effectivement à décla- rer ces dispositions inopérantes, et s'il s'était trompé en concluant que cette privation des presta- tions ne s'appuyait sur aucun motif justifiable faisant relever l'acte discriminatoire visé de l'ex- ception prévue par l'alinéa 14g). Le premier des points qui précèdent se fondait sur deux moyens:
(1) la Loi sur les droits de la personne n'a point prépondérance sur les autres lois du Parlement et
(2) un tribunal ad hoc n'est pas habilité à déclarer des dispositions législatives inopérantes ou à rendre une ordonnance ayant un tel effet. Deux questions de moindre importance ont également été traitées: la question de savoir si le tribunal avait commis une erreur en ordonnant à la CEIC de payer 1 000 $ à titre d'indemnité pour préjudice moral à chaque intimée et la question de savoir s'il s'est trompé en ordonnant à cet organisme de payer à chacune des intimées les prestations auxquelles elle aurait eu droit si les dispositions législatives atta- quées n'avaient pas été appliquées.
Les intimées ont effectivement traité dans leur mémoire de la théorie de l'abrogation implicite d'une prohibition de discrimination prévue à la Loi sur les droits de la personne par une disposition d'une loi adoptée subséquemment; toutefois, ni le tribunal, ni les avocats dans leur argumentation n'ont traité de la possibilité que les alinéas 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi sur l'assurance-chômage aient été implicitement abrogés par l'entrée en vigueur subséquente de la Loi sur les droits de la personne. Lorsque, après notre audition, il est devenu évident que la question de l'abrogation implicite des dispo sitions relatives à l'assurance-chômage était soule- vée, les parties ont été invitées à soumettre des arguments par écrit.
Pour soutenir leur prétention que la Loi sur les droits de la personne avait prépondérance sur la Loi sur l'assurance-chômage, les intimées se sont appuyées particulèrement sur l'arrêt Winnipeg School Division No. I c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150, dans lequel la Cour suprême du Canada devait résoudre un conflit entre le para-
graphe 6(1) de The Human Rights Act, 1974 provinciale, S.M. 1974, chap. 65; C.C.S.M. H175, qui interdisait la discrimination dans l'emploi fondée sur l'âge, et l'article 50 de The Public Schools Act, 1980, S.M. 1980, chap. 33; C.C.S.M. P250, qui habilitait un conseil scolaire à fixer l'égard des enseignants un âge de retraite obliga- toire qui ne fût pas inférieur à 65 ans. La partie pertinente de la Loi sur les droits de la personne était ainsi libellée:
[TRADUCTION] 6 (1) Toute personne a droit à l'égalité des chances ... relatives à son occupation ou emploi ... et, sans limiter la généralité de ce qui précède ... [(a)] aucun employeur ... ne doit refuser d'employer ou de continuer d'employer ... cette personne ... en raison ... de son âge ...
The Public Schools Act de 1980 déclarait:
[TRADUCTION] 50 Un conseil scolaire peut fixer l'âge de la retraite obligatoire des enseignants qu'il emploie, mais l'âge de la retraite obligatoire ne doit pas être inférieur à 65 ans.
Cette disposition, adoptée en 1980, reprenait à peu de choses près les termes d'une disposition édictée en 1970, le paragraphe 39(2) [ThePublic Schools Act, R.S.M. 1970, chap. P250].
[TRADUCTION] 39(2) Le conseil d'un secteur peut fixer l'âge de la retraite obligatoire des enseignements qu'il emploie; mais l'âge de la retraite obligatoire ne doit pas être inférieur à soixante-cinq ans.
La Winnipeg School Division avait, par convention collective, fixé la date de la retraite obligatoire au 31 août qui coïnciderait avec le soixante-cinquième anniversaire de naissance de l'enseignant ou sui- vrait cet anniversaire.
Le jugement de la Cour, prononcé par le juge McIntyre, a défini la question en litige à la page 154:
Il n'y a donc qu'un seul point litigieux en l'espèce: l'art. 50 de The Public Schools Act de 1980 a-t-il pour effet de créer une exception à l'interdiction de discrimination fondée sur l'âge énoncée au par. 6(1) de The Human Right Act?
Il a poursuivi, à la page 155:
Le dossier montre, comme nous venons de le voir, que le par. 39(2) est le premier texte législatif qui nous intéresse. N'eût été la refonte de 1980, qui comprend l'art. 50, la question de savoir quelle disposition prévaut ne se serait pas posée. Le paragraphe 6(1) de The Human Rights Act adopté en 1974 est nettement un texte législatif ultérieur et constitue une interdiction expresse de la discrimination dans l'emploi en raison de l'âge et, même en écartant toute notion de primauté de la législation sur les droits de la personne, il aurait prévalu et abrogé implicite- ment le par. 39(2).
À la page 156, il a ajouté:
Une loi sur les droits de la personne est de nature spéciale et énonce une politique générale applicable à des questions d'inté- rêt général. Elle n'est pas de nature constitutionnelle, en ce sens qu'elle ne peut pas être modifiée, révisée ou abrogée par la législature. Elle est cependant d'une nature telle que seule une déclaration législative claire peut permettre de la modifier, de la réviser ou de l'abroger, ou encore de créer des exceptions à ses dispositions. Adopter et appliquer une théorie quelconque d'abrogation implicite d'une loi de ce genre au moyen d'un texte législatif ultérieur équivaudrait à la dépouiller de sa nature spéciale et à protéger fort inadéquatement les droits qu'elle proclame. En l'espèce, on ne peut pas dire que l'art. 50 de la refonte de 1980 est une indication suffisamment explicite de l'intention du législateur de créer une exception aux disposi tions du par. 6(1) de The Human Rights Act.
La règle applicable à l'incompatibilité d'une loi sur les droits de la personne avec une autre loi semble être qu'une mesure législative postérieure à une loi sur les droits de la personne et incompatible avec quelque disposition de cette dernière ne doit s'in- terpréter comme abrogeant cette disposition que si elle déclare clairement y apporter une exception; par contre, la législation sur les droits de la per- sonne postérieure à une autre mesure législative avec laquelle elle est incompatible abroge de façon implicite cette dernière.
Les circonstances de l'espèce semblent précisé- ment être de celles qui, a-t-il été dit, auraient amené l'affaire Winnipeg School à être tranchée sur le fondement de l'abrogation implicite. L'ali- néa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage, une disposition figurant dans la législation canadienne sur l'assurance-chômage depuis 1941, a été édicté le plus récemment en 1971 (S.C. 1970-71-72, chap. 48, art. 3(2)c)). L'alinéa 4(3)d), qui main- tient une exception adoptée pour la première fois en 1955, a été édicté dans sa forme actuelle en 1975 (S.C. 1974-75-76, chap. 80, art. 2). Ni l'un ni l'autre n'a été réédicté ultérieurement. Tous deux faisaient partie de «la législation canadienne actuelle» lorsque la Loi sur les droits de la per- sonne, dont l'objet est énoncé à l'article 2 cité plus haut, a été édictée en 1977 (S.C. 1976-77, chap. 33).
À mon avis, la présente demande doit être jugée en tenant pour acquis qu'en 1977, les alinéas 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi sur l'assurance- chômage ont été abrogés implicitement par l'en- trée en vigueur de la Loi sur les droits de la personne. Je crois que cette Cour agirait de façon assez irrégulière si elle tranchait la présente affaire
en partant de l'hypothèse que les dispositions rela tives à l'assurance-chômage sont celles qui ont été édictées subséquemment. Cette Cour énoncerait ainsi des avis consultatifs sur la question de savoir si, rédigés comme ils le sont, ces alinéas consti- tuaient des déclarations législatives suffisamment claires pour créer des exceptions à la Loi sur les droits de la personne et dans la négative, comme dans le cas de l'article 50 de la Public Schools Act, sur la question de savoir si les actes discriminatoi- res dont elles ordonnent l'accomplissement dans ces alinéas s'appuient sur des motifs justifiables. Il reste à statuer sur les objections présentées à l'en- contre des mesures correctrices.
Le pouvoir d'un tribunal d'ordonner des mesures correctrices se trouve énoncé à l'article 41 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 20] de la Loi sur les droits de la personne. Le paragraphe
(1) de cet article traite des plaintes jugées non fondées tandis que le paragraphe (4) a trait aux plaintes relatives à un acte discriminatoire fondé sur une déficience physique. Seuls les paragraphes
(2) et (3) sont en jeu.
41....
(2) À l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 42, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupa- ble d'un acte discriminatoire
a) de mettre fin à l'acte et de prendre des mesures destinées à prévenir les actes semblables, notamment
(i) d'adopter les programmes, plans ou arrangements spé- ciaux visés au paragraphe 15(1), ou
(ii) de présenter une demande d'approbation et de mettre en œuvre un programme prévu à l'article 15.1;
ces mesures doivent être prises après consultation de la Commission sur leurs objectifs généraux;
b) d'accorder à la victime, à la première occasion raisonna- ble, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du tribunal, l'acte l'a privée;
c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte; et
d) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recourir à d'autres biens, services, installations ou moyens d'héberge- ment, et des dépenses entraînées par l'acte.
(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu
a) que la personne a commis l'acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence, ou
b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l'acte discriminatoire,
peut ordonner à la personne de payer à la victime une indem- nité maximale de cinq mille dollars.
Les articles 15.1 {édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 9] et 42 et le paragraphe 15(1) [mod., idem, art. 8] ne s'appliquent pas dans les présentes circonstances.
Les mesures correctrices effectivement accor- dées et l'ordonnance prononcée en l'espèce étaient les suivantes:
En ce qui concerne les dépenses engagées par les plaignantes, le tribunal accorde les dommages-intérêts suivants:
À Myrna McMillan la somme de 425 $ pour rémunérations perdues pendant la tenue des audiences, intérêts perdus et dépenses diverses.
À Carla Druken, la somme de 1 385,11 $ pour frais juridi- ques, revenus perdus pendant les audiences, intérêts, sommes saisies à même ses rémunérations et dépenses diverses.
À Hilda Isbitsky, la somme de 300 $ pour dépenses, y compris des photocopies.
En ce qui concerne la réclamation pour préjudice moral, aux termes du paragraphe 41(3) de la Loi, la preuve indique que les trois plaignantes qui ont comparu devant le tribunal ont toutes subi des frustrations, des désillusions et des peines à cause du traitement qu'elles ont reçu. Dans le même temps, je suis convaincu que la mise en cause croyait suivre les exigences de la loi et avoir raison en refusant aux plaignantes leur admissibi- lité aux prestations. Il n'y a aucun indice que la mise en cause ait commis des actes gratuits, délibérés ou malicieux.
Se fondant sur ce qui précède, le tribunal accorde à Myrna McMillan, Carla Druken et Hilda Isbitsky, la somme de I 000 $ chacune pour compenser le préjudice moral qu'elles ont subi, conformément au paragraphe 41(3).
Les plaintes de Hilda Isbitsky, Myrna McMillan et Carla Druken sont fondées. Les plaignantes ont droit aux paiements des prestations normales d'assurance-chômage que chacune aurait reçues si il n'y avait pas eu interruption. Le montant final des dommages-intérêts tiendra compte de toutes les sommes reçues antérieurement et qui n'ont pas été rembour- sées, ainsi que des cotisations retournées. Il est également accordé à chacune des plaignantes une somme de I 000 $ pour préjudice moral. De plus, chacune d'elles recevra le rembourse- ment de ses dépenses, selon les montants cités plus haut.
Il est ordonné à la mise en cause, la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, d'interrompre la pratique dis- criminatoire qui consiste à appliquer les alinéas 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi sur l'assurance-chômage, ainsi que le Règle- ment 14A.
Les questions soulevées par le requérant relative- ment aux mesures correctrices et à l'ordonnance étaient les suivantes:
[TRADUCTION] (i) La question de savoir si le tribunal a commis une erreur de droit en prononçant une ordonnance prescrivant à la CEIC d'interrompre l'application des alinéas 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi sur l'assurance-chômage et de l'alinéa l4a) du Règlement;
(ii) La question de savoir si le tribunal a commis une erreur de droit en prononçant une ordonnance prescrivant à la CEIC de payer aux plaignantes les prestations d'assurance-chômage aux- quelles elles aurait eu droit n'eût été l'application des alinéas 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi sur l'assurance-chômage et de l'alinea l4a) du Règlement; et
(iii) La question de savoir si le tribunal a commis une erreur de droit en prononçant une ordonnance prescrivant à la CEIC de payer à chacune des plaignantes la somme de 1 000 $ à titre d'indemnité pour préjudice moral.
L'affaire Winnipeg School a été entamée au moyen d'une action intentée devant une cour supé- rieure pour obtenir un jugement déclarant invalide la disposition de la convention collective qui don- nait effet au pouvoir prévu à la Loi d'imposer la retraite obligatoire à un âge non inférieur à 65 ans. Ainsi, aucune question n'a été soulevée au sujet de la compétence de déclarer la législation attaquée inopérante. Toutefois, dans l'arrêt Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561, une affaire concernant un acte discriminatoire posé en application du Code canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1] et de son règlement d'application, le juge en chef Dickson, à la page 574, dans des motifs dissidents, mais sur un autre point que celui-là, a décrit de la manière suivante la décision du tribunal:
Le tribunal a décidé que la législation fédérale et ses règle- ments d'application devaient être interprétés et appliqués de manière à être compatibles avec la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ainsi, si la politique d'un employeur est discriminatoire selon la Loi, elle ne sera pas rendue non discri- minatoire simplement parce qu'il existe une obligation légale de suivre cette politique. En fait, le tribunal a jugé que la législa- tion fédérale est inopérante dans la mesure elle est incompa tible avec la Loi canadienne sur les droits de la personne.
L'argument du procureur général selon lequel le tribunal s'est trompé en ordonnant à la CEIC de cesser d'appliquer des dispositions attaquées s'ap- puie sur la proposition voulant qu'un tel tribunal ne soit pas habilité à prononcer des jugements déclaratoires à caractère général sur la validité des dispositions législatives. Le principe en jeu a été bien énoncé par le juge d'appel MacFarlane, de la
Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dans Re: Schewchuck and Ricard; Attorney -General of British Columbia et al., Intervenors (1986), 28 D.L.R. (4th) 429, aux pages 439 et suivantes:
[TRADUCTION] Il est clair que le pouvoir de prononcer des jugements déclaratoires à caractère général portant que les dispositions édictées par le Parlement ou la législature sont invalides est un pouvoir constitutionnel élevé découlant de la compétence inhérente des cours supérieures.
Mais il est également clair que, dans le cas une personne se trouve devant la cour relativement à une accusation, à une plainte ou à une procédure relevant régulièrement de la compé- tence de cette cour, cette instance est alors habilitée à décider que la législation sur laquelle est fondée cette accusation, cette plainte ou cette procédure est inopérante en raison des disposi tions de la Charte canadienne des droits et libertés, et elle a le pouvoir de rejeter l'accusation, la plainte ou la procédure en question. Un jugement déclaratoire portant que la législation visée est inopérante, dans un tel contexte, n'est rien de plus qu'une décision tranchant une question juridique régulièrement soumise à la cour. Une telle déclaration n'empiète pas sur le droit exclusif des cours supérieures d'accorder des brefs de prérogative, notamment celui de rendre des décision déclaratoi- res à caractère général.
Les propos qui précèdent peuvent également s'ap- pliquer à un tribunal des droits de la personne qui conclut au sujet d'une disposition législative qu'elle ordonne l'accomplissement d'un acte discrimina- toire injustifiable ou qu'elle a été implicitement abrogée par l'adoption de la Loi sur les droits de la personne.
Le procureur général, partant du point de vue qu'un tribunal n'est pas habilité à déclarer invalide une disposition législative par voie de décision déclaratoire à caractère général, a ensuite conclu qu'un tribunal n'a pas le droit d'ordonner qu'une disposition législative qu'il a jugée injustifiable- ment discriminatoire dans son application néces- saire doit cesser d'être appliquée. L'argumentation présentée serait la même si les dispositions législa- tives incriminées avaient été considérées comme implicitement abrogées. A mon avis, l'imposition d'une telle limitation au pouvoir d'un tribunal de rendre une ordonnance est incompatible avec l'ali- néa 41(2)a) de la Loi sur les droits de la personne, qui autorise expressément un tribunal à ordonner que soient prises des mesures «destinées à prévenir les actes semblables». Cette disposition n'a pas seulement pour objet d'empêcher la répétition de la pratique discriminatoire concernée à l'égard d'un plaignant particulier: elle vise à prévenir toute répétition d'un tel acte par la personne qui est considérée l'avoir commis. Ainsi, l'ordonnance
prescrivant que la CEIC interrompe l'application des alinéas 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi sur l'assu- rance-chômage et de l'alinéa 14a) du Règlement sur l'assurance-chômage semble-t-elle tout à fait valide. La seule déficience que nous notons est le défaut du tribunal de stipuler qu'une consultation entre la CEIC et la Commission canadienne des droits de la personne soit tenue au sujet des mesu- res ordonnées. Comme une telle consultation se trouve exigée expressément par la Loi sur les droits de la personne, il me semble qu'elle doit être considérée comme inhérente à toute ordonnance fondée sur l'alinéa 41(2)a) qui prescrit certaines mesures, et je suis d'avis que l'omission de men- tionner une telle consultation n'est point fatale.
La prochaine question est celle de savoir si le tribunal s'est trompé en ordonnant à la CEIC de payer aux intimées les prestations auxquelles elles auraient été admissibles si les alinéas 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi sur l'assurance-chômage et l'ali- néa 14a) du Règlement n'avaient pas été appli- qués. À mon avis, cette décision ne constituait pas une erreur dans la présente affaire puisque cha- cune des intimées avait effectivement reçu des prestations et que, en conséquence, il convenait d'inférer que chacune d'elles était par ailleurs admissible. L'ordonnance qui a été prononcée m'apparaît précisément être celle dictée par les circonstances. Il s'agit simplement d'une ordon- nance portant qu'un droit dont certaines personnes ont été privées sur le fondement d'un motif de distinction illicite soit accordé aux victimes ainsi que le prévoit expressément l'alinéa 41(2)b).
Ceci étant dit, il existe à l'égard du service des prestations d'assurance-chômage de nombreux motifs d'inadmissibilité ou d'exclusion au sujet desquels un tribunal des droits de la personne ne peut régulièrement statuer. Dans une affaire diffé- rente l'admissibilité à des prestations ne pour- rait être inférée de la preuve, l'ordonnance qui conviendrait serait celle prescrivant à la CEIC d'instruire la demande sur le fondement des direc tives que le tribunal jugerait appropriées.
J'ai examiné la preuve sur le fondement de laquelle le tribunal a conclu que chacune des intimées avait «souffert un préjudice moral». Il est évident que cette souffrance, en ce qui concerne Isbitsky (Dossier d'appel, vol. 2, aux pages 236 et 237) et Druken (vol. 3, aux pages 385 et suivan-
tes), a été causée principalement par les tentatives de la CEIC de recouvrer les prestations payées. Il n'est nullement suggéré que les efforts déployés pour obtenir ce recouvrement aient été abusifs. Le préjudice moral subi par McMillan, d'autre part, a résulté de la perte de ce qui était le seul revenu de son ménage à la suite de la faillite de la société, qu'elle a qualifiée de [TRADUCTION] «dévasta- trice» (Dossier d'appel, vol. 1, aux pages 83 et suivantes). Il n'a pas été soutenu que l'octroi de telles mesures de redressement était interdite par l'intérêt public parce que l'acte discriminatoire ayant causé le préjudice moral avait été posé en application des prescriptions d'une loi du Parle- ment et dans la simple exécution, non seulement honnête mais obligatoire, de ce que la CEIC consi- dérait comme son devoir. Bien que les indemnités ainsi allouées suscitent en moi des inquiétudes, je suis incapable de conclure que, en les accordant, le tribunal a commis une erreur révisable en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10].
Je rejetterais la demande fondée sur l'article 28 en l'espèce.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs. LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
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