T-2345-86
Shalom Schachter (demandeur)
c.
La Reine et Commission de l'emploi et de l'immi-
gration du Canada (défenderesses)
et
Le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour
les femmes (intervenant)
RÉPERTORIÉ: SCHACHTER C. CANADA
Division de première instance, juge Strayer—
Toronto, 12, 13, 14, 15, 18, 19, 20; Ottawa, 7 juin
1988.
Droit constitutionnel Charte des droits — Droits à
l'égalité — Assurance-chômage — Critère applicable sous le
régime de l'art. 15(1) de la Charte — Est-il suffisant d'établir
que la conséquence d'une disposition législative est péjorative,
négative et n'est pas insignifiante ou est-il nécessaire d'établir
que la distinction imposée par la loi est abusive ou injuste? —
En l'espèce, ces deux critères sont remplis — Discrimination à
l'égard des parents naturels de nouveau-nés puisqu'ils n'ont
pas droit à des prestations au même titre que les parents
adoptifs sous le régime de l'art. 32 de la Loi sur
l'assurance- chômage.
Assurance-chômage Il est discriminatoire et contraire à
l'art. 15 de la Charte de ne pas accorder aux parents naturels
de nouveau-nés le droit à des prestations dont bénéficient les
parents adoptifs sous le régime de l'art. 32 de la Loi sur
l'assurance-chômage L'art. 30 porte sur la maternité alors
que l'art. 32 de la Loi sur le soin des enfants On ne devrait
pas priver la mère naturelle du droit aux prestations pour le
soin des enfants parce qu'elle a reçu des prestations de gros-
sesse au cours de la même période de prestations.
L'épouse du demandeur a donné naissance à un bébé le 28
juillet 1985, et elle a reçu des prestations de maternité du 21
juillet au 1" novembre 1985. Le demandeur a pris trois semai-
nes de congé sans rémunération à la suite de la naissance, et le
2 août 1985, il a demandé des prestations d'assurance-chômage
en vertu de l'article 30 (prestations de maternité) et de
l'article 32 (prestations d'adoption) de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage. Sa demande a été rejetée, et il a fait
appel tout d'abord devant un conseil arbitral, puis devant un
juge-arbitre, invoquant les droits à l'égalité garantis par l'arti-
cle 15 de la Charte. Le Conseil a rejeté l'appel, et le juge-arbi-
tre en chef a suggéré de porter l'action devant la Cour fédérale.
Il s'agit d'une action en jugement déclaratoire, sous diverses
formes, portant que des prestations d'assurance-chômage
devraient être payables aux pères naturels de nouveau-nés à
l'égard du congé qu'ils ont pris pour s'occuper de ces enfants
après leur arrivée à la maison, tout comme ces prestations sont
maintenant payables aux parents adoptifs en vertu de l'article
32 de la Loi. Une forme subsidiaire du jugement sollicité
prévoirait que ce droit n'affecte en rien les prestations de
maternité existantes prévues à l'article 30, et une autre prévoi-
rait un partage entre les parents naturels de prestations équiva-
lentes aux prestations visées à l'article 32 pour les parents
adoptifs. Le demandeur conclut également à une ordonnance
portant qu'il a droit à des prestations pour le temps qu'il a
consacré à son nouveau-né en 1985.
Jugement: il devrait être rendu un jugement déclaratoire
portant que le père naturel ou la mère naturelle d'un nou-
veau-né devrait avoir droit à des prestations sous le régime de la
Loi, tout comme les parents adoptifs y ont droit, et précisant
qu'on ne devrait pas priver la mère naturelle du droit aux
prestations pour le soin des enfants parce qu'elle a reçu des
prestations de grossesse dans la même période de prestations.
L'action du demandeur est renvoyée à la Commission pour
qu'elle décide en tenant pour acquis que si le demandeur
satisfait, à d'autres égards, aux exigences de la Loi, il a droit à
des prestations.
La question de savoir si la validité de la distinction entre les
parents adoptifs et les parents naturels devrait être examinée
sous le régime de l'article 15 ou de l'article I de la Charte, une
décision ayant des conséquences pratiques et conceptuelles
importantes, ne se pose pas en l'espèce puisque les défendeurs
n'ont pas invoqué l'article 1.
Le demandeur a la qualité nécessaire pour agir. Il a un
intérêt personnel direct et il a suivi la procédure appropriée. La
décision de ne pas continuer l'appel devant le juge-arbitre était
bien justifiée. Lorsqu'il faut trancher des questions constitu-
tionnelles importantes, une action devant cette Cour avec tous
ses moyens procéduraux pour la détermination des faits et des
questions juridiques est de beaucoup préférable à une procédure
sommaire informelle devant un juge-arbitre.
Le premier critère à appliquer sous le régime de l'article 15
consiste à savoir si la législature a recouru à une catégorisation
interdite dans son application inégale de la loi afin de traiter de
façon différente des personnes qui se trouvent dans la même
situation. Les facteurs applicables permettant une telle déter-
mination sont ceux reconnus par la Cour d'appel fédéral dans
l'arrêt Smith, Kline & French Laboratories Ltd. Une fois
l'existence d'une «inégalité» établie, il faut examiner si cette
inégalité équivaut à une discrimination. Certaines cours, telles
la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Smith, Kline & French
Laboratories Ltd., ont appliqué un critère minimaliste de dis
crimination: elles sont disposées à conclure que la discrimina
tion est établie si la conséquence est «péjorative», si elle est
négative et si elle n'est pas insignifiante. D'autres cours, feuÎes
la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire
Andrews v. Law Soc., ont statué que pour établir la discrimina
tion, il faut prouver que la distinction imposée par la loi est
«abusive ou injuste». En l'espèce, le demandeur a rempli les
exigences plus rigoureuses énoncées dans l'arrêt Andrews.
Il existe des prestations nettement différentes pour les
parents adoptifs d'une part et pour les parents naturels d'autre
part. L'article 32 prévoit jusqu"aquinze semaines de prestations
pour que l'un ou l'autre des parents adoptifs admissibles reste à
la maison à la suite du placement d'un enfant dans leur foyer.
L'article 30 n'accorde pas au père naturel le choix d'utiliser ou
de partager ces prestations aux fins de lui permettre de rester à
la maison pour s'occuper du nouveau-né, et l'article 32.1 ne le
fait que dans des situations exceptionnelles. La mère peut
utiliser une partie de ses prestations de maternité pour le soin
des enfants après son accouchement, mais les critères et les
conditions applicables aux prestations sous le régime de l'article
30 diffèrent substantiellement de ceux de l'article 32. L'article
30 repose sur l'idée que, à la naissance d'un bébé, la mère
naturelle est naturellement et inéluctablement celle qui s'oc-
cupe de lui, et que le père naturel est le soutien naturel.
L'article 30 ne donne donc pas aux parents naturels la possibi-
lité et le choix qu'accorde aux parents adoptifs l'article 32 de
laisser le père s'occuper principalement de l'enfant pour que la
mère retourne au travail. Il s'agit là d'une discrimination
fondée sur le sexe au sens du paragraphe 15(1) de la Charte.
Elle est fondée sur le stéréotype sexuel des rôles respectifs du
père et de la mère en général, et particulièrement en ce qui
concerne leur nouveau-né naturel.
Il ressort également de la preuve, prise en corrélation avec le
texte de l'article 32, que le but et l'effet de cet article recher-
chent leur justification dans l'importance que la société attache
à la possibilité pour les parents de rester à la maison avec un
enfant d'âge préscolaire, sans tenir compte du sexe du parent
qui demande des prestations. Ce raisonnement s'appliquerait
également au soin donné par les parents naturels à leur nou-
veau-né. Puisqu'il n'existe aucune disposition à cet égard, il y a
inégalité dans les prestations. De plus, des objectifs et des
obligations à l'échelle internationale renforcent l'idée que la
société canadienne s'engage à égaliser autant que possible le
rôle des parents dans le soin des enfants.
Cette inégalité équivaut à une discrimination, que l'on appli-
que le critère minimaliste adopté dans l'affaire Smith, Kline &
French Laboratories Ltd. ou le critère plus exigeant dégagé
dans la décision Andrews. Ces distinctions ne sauraient s'expli-
quer par des différences naturelles qui touchent les catégories
de gens en cause, et elles désavantagent substantiellement ceux
à qui on refuse des prestations pour le soin des enfants. Les
prestations qu'on refuse aux parents naturels sous le régime de
l'article 32 ne peuvent pas non plus être compensées par les
prestations de maternité dont bénéficie la mère naturelle sous le
régime de l'article 30. Cette disposition est conçue de manière à
avantager les femmes enceintes, et elles seules, pour la mater-
nité et le rétablissement post-natal. Il est déraisonnable et
injuste d'accorder des prestations à un groupe et non à l'autre.
Il ne serait pas «convenable et juste», eu égard aux circons-
tances, de résoudre la question en radiant l'article 32, privant
ainsi les bénéficiaires visés à l'article 32 de leurs prestations. Il
est préférable de déclarer que les parents naturels devraient
avoir les mêmes avantages que ceux dont bénéficient les parents
adoptifs, sous réserve des mêmes conditions.
En vertu de la Règle 341A, le présent jugement est suspendu
dans l'espoir que, entre-temps, une mesure législative appro-
priée sera nécessairement envisagée si un appel était formé et
rejeté. Les prestations prévues actuellement par la loi continue-
ront d'être versées.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1, 15, 24(l).
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art.
59.2 (ajouté par S.R.C. 1970 (2» Supp.), chap. 17, art.
16; 1984, chap. 39, art. 6).
Convention sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination à l'égard des femmes, 18 décembre
1979, [1982] R.T. Can. n° 31, Préambule, Art.
I 1(2)c).
Déclaration sur l'élimination de la discrimination à
l'égard des femmes, G.A. Res. 2263, 22 U.N. GAOR
(1967), Art. 6(2)c).
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C.
1976-77, chap. 33, art. 5.
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72,
chap. 48, art. 22(3) (mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 150, art. 3; 1988, chap. 8, art. 2), 25, 30 (mod.
par S.C. 1980-81-82-83, chap. 150, art. 4), 32 (mod.
idem, art. 5), 32.1 (ajouté par S.C. 1988, chap. 8,
art. 3).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap.
10, art. 28.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
341A (ajouté par DORS/79-57, art. 8).
The Employment Standards Act, C.C.S.M., chap. El 10,
art. 34.2, 34.3.
The Labour Standards Act, R.S.S. 1978, chap. L-1, art.
23, 29.1, 29.2 (mod. par S.S. 1979-80, chap. 84, art. 8).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada
(procureur général), [1987] 2 C.F. 359 (C.A.); Califano
v. Westcott, 433 U. S. 76 (1979).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Andrews v. Law Soc. of B.C. (1986), 2 B.C.L.R. (2d) 305
(C.A.); McKinney v. University of Guelph et al. (1988),
24 O.A.C. 241, autorisation d'appel accordée [1988] 1
R.C.S. xi.
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Ertel (1987), 20 O.A.C. 257; La Reine c. Oakes,
[ 1986] 1 R.C.S. 103; Headley c. Canada (Comité d'appel
de la Commission de la Fonction publique), [1987] 2
C.F. 235 (C.A.); Hunter et autres c. Southam Inc.,
[1984] 2 R.C.S. 145; Hoogbruin v. A.G.B.C. (1985), 70
B.C.L.R. 1 (C.A.); Attorney -General of Nova Scotia et
al. v. Phillips (1986), 34 D.L.R. (4th) 633 (C.A.N.-E.);
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177; Taylor c. Canada, T-2861-86,
juge Strayer, jugement en date du 7-6-88, C.F. I" inst.,
encore inédit.
DOCTRINE
Canada, Chambre des communes. Comité permanent de
la justice et des questions juridiques. Sous-comité sur
les droits à l'égalité. Procès-verbaux et témoignages,
fascicule n° 29 (Rapport Boyer) (1" secs., 33° législ.,
1984-85).
Canada. Rapport de la Commission royale d'enquête sur
la situation de la femme au Canada. Ottawa: Informa
tion Canada, 1970.
Canada. Rapport de la Commission d'enquête sur l'as-
surance-chômage (Rapport Forget). Ottawa: Ministre
des Approvisionnements et Services, 1986.
AVOCATS:
B. G. Morgan et D. Aleck Dadson pour le
demandeur.
Roslyn J. Levine et Y. Côté pour les
défenderesses.
Mary Eberts et Edward J. Babin pour
l'intervenant.
PROCUREURS:
Osier, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défenderesses.
Tory, Tory, Deslauriers & Binnington,
Toronto, pour l'intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
Introduction
LE JUGE STRAYER: Il s'agit d'une action en
jugement déclaratoire, sous diverses formes subsi-
diaires, portant que des prestations devraient être
payables sous le régime de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage' aux pères naturels de nou-
veau-nés à l'égard du congé qu'ils ont pris pour
s'occuper de ces enfants après leur arrivée à la
maison, tout comme ces prestations sont mainte-
nant payables aux parents adoptifs en vertu de
l'article 32 de la Loi [mod. par S.C. 1980-81-
82-83, chap. 150, art. 5]. Certaines formes subsi-
diaires proposées du jugement sollicité prévoiraient
expressément que ce droit n'affecte en rien les
prestations de maternité existantes prévues pour la
mère naturelle à l'article 30 de la Loi [mod. idem,
1 S.C. 1970-7I-72, chap. 48.
art. 4], et l'une de ces formes prévoirait un partage
entre les parents naturels de prestations équivalen-
tes aux prestations visées à l'article 32 pour les
parents adoptifs.
Le demandeur conclut également à une ordon-
nance portant qu'il a droit à des prestations pour le
temps qu'il a consacré à son nouveau-né en 1985.
Ces allégations reposent sur l'article 15 de la
Charte canadienne des droits et libertés [qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)]. Il est également demandé dans
la déclaration un jugement portant que le refus par
la Commission de verser au demandeur ces presta-
tions constitue un acte discriminatoire contraire-
ment à l'article 5 de la Loi canadienne sur les
droits de la personnel. Cette requête a été aban-
donnée au procès.
L'espèce a été jugée consécutivement à l'affaire
Taylor c. Canada, numéro du greffe T-2861-86, et
la preuve produite en l'espèce s'appliquait, par
consentement, à l'affaire Taylor. Les questions de
fond sont essentiellement les mêmes, et je vais
statuer sur l'affaire Taylor en prononçant des
motifs distincts mais brefs.
Par ordonnance en date du 30 juin 1987 du juge
Joyal, le Fonds d'action et d'éducation juridiques
pour les femmes a été autorisé à intervenir dans
ces actions et à exercer tous les droits d'une partie.
Par l'entremise de son avocat, il a joué un rôle très
utile au cours des présentes procédures.
Contexte législatif
Il est tout d'abord utile de reproduire les princi-
pales dispositions législatives qui sont en vigueur et
d'en exposer l'historique.
Voici la disposition de la Loi de 1971 sur l'assu-
rance-chômage qui, prétend-on, crée une discrimi
nation contrairement à l'article 15 de la Charte
canadienne des droits et libertés:
32. (1) Nonobstant l'article 25 mais sous réserve des autres
dispositions du présent article, des prestations initiales sont
payables à un prestataire de la première catégorie qui fait la
preuve qu'il est raisonnable pour lui de demeurer à la maison à
cause du placement auprès de lui, en conformité avec les lois
régissant l'adoption dans la province où il réside, d'un ou
plusieurs enfants en vue de leur adoption.
2 S.C. 1976-77, chap. 33.
(2) Sous réserve du paragraphe 22(3), les prestations initia-
les prévues au présent article sont payables pour chaque
semaine de chômage comprise dans la période qui, en retenant
la première en date des semaines en question,
a) commence avec la semaine au cours de laquelle le ou les
enfants sont réellement placés auprès du prestataire de la
première catégorie, et
b) se termine
(i) dix-sept semaines après la semaine au cours de laquelle
le ou les enfants sont placés,
(ii) avec la semaine au cours de laquelle il n'est plus
raisonnable pour ce prestataire de demeurer à la maison
pour la raison visée au paragraphe (1), ou
(iii) avec la semaine qui précède immédiatement la
semaine où les prestations sont demandées et payables en
vertu d'un autre article de la présente Partie.
(3) Lorsque des prestations doivent être versées à un presta-
taire de la première catégorie en vertu du présent article et que
celui-ci reçoit une rémunération pour une période tombant dans
une semaine comprise dans la période visée au paragraphe (2),
le paragraphe 26(2) ne s'applique pas et cette rémunération
doit être déduite des prestations afférentes à cette semaine.
(4) Les prestations ne doivent pas être versées en vertu du
présent article à plus d'un prestataire de la première catégorie
relativement à un seul placement d'un ou plusieurs enfants en
vue de leur adoption.
(5) Lorsque, avant que des prestations n'aient été versées à
un prestataire de la première catégorie relativement à un seul
placement d'un ou plusieurs enfants en vue de leur adoption,
deux assurés auprès desquels le ou les enfants sont placés pour
adoption, demandent des prestations en vertu du présent article,
aucune prestation ne doit être versée en vertu du présent article
avant l'abandon d'une de ces demandes.
Il faut souligner que bien que cette disposition
permette des prestations à un prestataire de l'un
ou de l'autre sexe à l'occasion du placement auprès
de celui-ci d'un enfant (y compris,. bien entendu,
les enfants du premier âge), ces prestations sont
destinées uniquement au soin des enfants adoptés.
De par leur nature, ces prestations se rapportent
aux soins prodigués aux enfants par leurs parents
et n'ont rien à voir avec les besoins d'une mère
naturelle pour ce qui est de sa propre condition
prénatale ou post-natale ou du soin unique qu'elle
peut prodiguer à son enfant, comme l'allaitement
maternel.
Aucune disposition semblable n'a été prise pour
prévoir des prestations pour les soins que les
parents naturels prodiguent aux enfants du pre
mier âge lorsque ceux-ci arrivent à la maison.
L'article 30 prévoit jusqu'à quinze semaines de
prestations pour une «prestataire de première caté-
gorie qui fait la preuve de sa grossesse», et ces
prestations peuvent être prises par la mère natu-
relle, si tel est son choix, dans la période qui
commence huit semaines avant la semaine présu-
mée de l'accouchement et jusqu'à concurrence de
dix-sept semaines après la semaine de l'accouche-
ment. Il est donc clair que cette disposition ne
prévoit pas de prestations pour le père naturel de
l'enfant et, pour les raisons que je vais aborder plus
tard, elle ne vise pas principalement, ni dans son
objectif ni dans ses effets, les soins prodigués aux
enfants du premier âge par leurs parents. En vertu
de l'article 32.1 que le Parlement a tout récem-
ment adopté 3 , le père d'un nouveau-né peut main-
tenant avoir droit à des prestations comparables à
celles des parents adoptifs, mais uniquement dans
les circonstances très limitées que précise l'article:
savoir lorsqu'il est raisonnable pour lui de demeu-
rer à la maison en raison du décès de la mère ou de
son incapacité «telle qu'elle ne peut prendre soin de
l'enfant». Autrement, les parents naturels n'ont pas
droit à des prestations pour les congés qu'ils ont
pris pour s'occuper de leur nouveau-né.
Au début, la Loi de 1971 sur l'assurance-chô-
mage ne prévoyait pas de prestations pour les
parents à l'égard du temps de travail perdu en
raison de la maternité ou du soin des enfants, ce
qui correspondait à la fin générale de cette Loi,
celle d'indemniser les gens qui perdent involontai-
rement leur emploi mais qui sont disponibles pour
travailler et cherchent du travail. Dans le Rapport
de la Commission royale d'enquête sur la situation
de la femme au Canada'', on a recommandé non
seulement de donner un congé de maternités aux
femmes enceintes, mais aussi de les indemniser de
la perte de salaire au cours du congé de maternité.
Après avoir examiné divers moyens de fournir
cette compensation, la Commission royale a
recommandé de recourir à la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage pour prévoir des prestations
payables pour une période d'au plus dix-huit
semaines 6 . L'année suivante, on a donné suite à
cette recommandation en adoptant un nouvel arti
cle 30 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage
3 S.C. 1988, chap. 8 [art. 3], qui a reçu la sanction royale le
29 mars 1988, et est censé entrer en vigueur un an avant cette
date.
4 Information Canada, Ottawa, 1970.
5 Ibid., par. 284.
6 Ibid., par. 286-288.
révisée. Seulement quinze semaines de prestations
étaient prévues. Dans sa forme originale, l'article
30 obligeait pratiquement une femme enceinte à
prendre davantage de ses prestations de maternité
avant la naissance de l'enfant: elle pouvait tout au
plus recevoir six semaines de prestations après la
semaine de l'accouchement. Ainsi donc, les presta-
tions de maternité visaient plus clairement à aider
une femme enceinte, que les troubles éventuels de
la grossesse pouvaient rendre inapte au travail.
Moins de temps pouvait donc être consacré au
rétablissement de la mère et au soin des enfants
après la naissance. Cette disposition a été modifiée
en 1977 7 pour permettre à la mère de prendre,
selon son choix, une plus grande partie ou la
totalité des semaines de prestations après la nais-
sance de son enfant.
En 1982, l'actuel article 32 de la Loi a été
ajoute pour prévoir des prestations pour les
parents adoptifs à l'égard du placement d'un
enfant adoptif dans leur foyer. En vertu du para-
graphe 32(1), le prestataire doit faire la preuve
qu'il est raisonnable pour lui de demeurer à la
maison pour cette fin. Il faut souligner que, en
vertu du paragraphe 32(4), seulement l'un des
parents adoptifs peut recevoir des prestations d'as-
surance-chômage relativement au placement d'un
enfant; cependant, selon le paragraphe 32(1),
même si un parent est déjà à la maison pour
s'occuper d'un enfant sans toutefois toucher des
prestations, il est possible pour son conjoint de
rester également à la maison et de recevoir des
prestations s'il est «raisonnable» pour lui de le
faire.
Une autre disposition importante qui porte sur
toutes ces prestations est le paragraphe 22(3)
[mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 150, art. 3;
1988, chap. 8, art. 2] qui est ainsi rédigé:
22....
(3) Nonobstant le paragraphe (2), le nombre maximum de
semaines pour lesquelles des prestations initiales peuvent être
servies à un prestataire
a) au cours de toute période de prestations pour une ou
plusieurs des raisons suivantes, à savoir maladie, blessure ou
mise en quarantaine prévue par les règlements, grossesse,
placement de un ou plusieurs enfants en vue de leur adoption,
décès ou incapacité de la mère d'un enfant, décès ou incapa-
cité d'une personne auprès de laquelle un ou plusieurs enfants
ont été placés en vue de leur adoption;
' S.C. 1976-77, chap. 54, art. 38(1).
8 S.C. 1980-81-82-83, chap. 150, art. 5(1).
b) relativement à une seule grossesse ou à un seul placement
d'un ou plusieurs enfants en vue de leur adoption,
est de quinze.
On verra qu'aucun prestataire ne peut, dans sa
période de prestations (qui dure normalement cin-
quante-deux semaines) recevoir cumulativement
plus de quinze semaines de prestations de gros-
sesse, d'adoption, de soin des enfants (lorsque la
mère est morte ou est victime d'une incapacité) ou
de maladie. C'est ainsi que par exemple, la mère
naturelle d'un bébé, un parent adoptif, ou le père
naturel d'un nouveau-né dont la mère est morte ou
est victime d'une incapacité, n'aura pas droit à la
totalité des quinze semaines de prestations si cette
personne a déjà, au cours de sa période de presta-
tions, reçu des prestations de maladie. Ces derniè-
res devront être déduites des autres prestations,
qu'elles réduiront à néant si elles se chiffrent déjà
à quinze semaines ou plus. On trouve au paragra-
phe 32.1(2) d'autres restrictions apportées à ces
prestations que je n'ai pas à examiner.
Les faits de base
Le demandeur est l'époux de Marcia Gilbert,
qui attendait leur second enfant à l'été 1985. Elle a
demandé des prestations de maternité le 9 juillet
1985, et sa période de prestations a débuté le 7
juillet 1985 (si je comprends bien, Mme Gilbert a
reçu des prestations au cours de la période allant
du 21 juillet au ler novembre 1985). Je veux bien
croire, comme le prétendent le demandeur et son
épouse, qu'ils avaient espéré partager le soin de
leur enfant au cours de ses quelques premières
semaines, et qu'ils espéraient plus particulièrement
que, après la naissance, Mme Gilbert pourrait, dès
que possible, retourner au travail, et que le deman-
deur pourrait rester à la maison pour s'occuper de
l'enfant. Ils préféraient cet arrangement afin de
permettre au demandeur d'établir lui-aussi des
rapports solides et positifs avec l'enfant dès le
début. De plus, en raison de l'emploi de Mme
Gilbert, il lui était plus difficile qu'à son mari de
s'absenter pendant une longue période durant l'été.
Il faut souligner également qu'il y avait à la
maison un enfant en bas âge qui avait, bien
entendu, besoin d'une attention particulière pen
dant et après l'accouchement de la mère.
Le bébé est né le 28 juillet 1985. Le demandeur
a pris pour les trois semaines suivantes un congé
sans rémunération. Le 2 août 1985, il a demandé
des prestations pour «congé de maternité». Dans la
demande 9 , il a expliqué qu'il voulait partager avec
sa femme les quinze semaines de prestations paya-
bles en vertu de l'article 30, invoquant à cet égard
l'article 15 de la Charte pour étayer son droit au
partage de ces prestations. En même temps que
cette demande, il a déposé une «Demande de pres-
tations supplémentaires de paternité», modifiant
pour cette fin une formule de demande conçue
pour les prestations d'adoption. Le 17 septembre
1985, on l'a avisé '° qu'il n'avait pas droit à des
prestations parce qu'il n'était pas disponible pour
travailler. Cet avis fait état du fait que:
[TRADUCTION] Vous avez pris un congé pour assumer la plus
grande part des soins à votre enfant.
Il a interjeté appel de cette décision devant un
conseil arbitral et, à l'audition, il a principalement
prétendu qu'on aurait dû lui accorder les presta-
tions prévues à l'article 30, et que le refus de les
accorder constituait une violation de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne et de la
Charte. Il a également invoqué l'article 32 de la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage pour préten-
dre qu'il avait reçu un traitement injuste. Le con-
seil a rejeté l'appel le 29 novembre 1985, et le
demandeur a alors interjeté appel devant un juge-
arbitre en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage. Il a invoqué une erreur de droit parce
que le fait de lui refuser des prestations sous le
régime des articles 30 et 32 allait à l'encontre de
l'article 15 de la Charte. Par lettre en date du 22
octobre 1986" provenant du bureau du juge-arbi-
tre en chef, il a été avisé que ce dernier avait des
doutes quant à la question de savoir si une question
constitutionnelle de ce genre devrait être tranchée
dans une audition ordinaire tenue devant le juge-
arbitre. À la place, le juge-arbitre en chef a évoqué
la possibilité d'une action devant la Cour fédérale.
Le même jour la présente action a été intentée.
Selon le demandeur, il aurait par ailleurs droit à
des prestations sous le régime de la Loi s'il avait
été disponible pour travailler. Son manque de dis-
ponibilité constituait un obstacle parce qu'il ne
relevait pas des catégories visées par les articles 30
et 32; ceux-ci permettent tous deux aux parents
non disponibles de recevoir des prestations. Il est
9 Pièce P2-9.
10 Pièce P2-13.
" Pièce P2-31.
constant que s'il avait été admissible aux presta-
tions, celles-ci s'élèveraient à la somme hebdoma-
daire de 276 $.
Il est également intéressant de souligner que,
après avoir été débouté de son appel par le conseil
arbitral, le demandeur a, le 18 décembre 1985,
saisi la Commission canadienne des droits de la
personne d'une plainte formée contre la Commis
sion de l'emploi et de l'immigration du Canada. Il
a fait valoir que la C.E.I.C. avait violé l'article 5
de la Loi canadienne sur les droits de la personne
qui interdit notamment la discrimination fondée
sur «l'état familial». Le 24 septembre 1987, le
président de la Commission canadienne des droits
de la personne '2 l'a informé de ce qui suit:
[TRADUCTION] La Commission ... a décidé de rejeter cette
partie de la plainte fondée sur le motif d'état familial parce
que, bien que la politique faisant l'objet de la plainte soit
discriminatoire, le recours au tribunal n'est pas justifié, aucun
redressement efficace ne pouvant être obtenu au moyen de la
Loi canadienne sur les droits de la personne.
La qualité pour agir
Les défenderesses ne se sont pas opposées à la
qualité qu'a le demandeur pour soulever cette
question constitutionnelle, bien qu'elles aient con
testé la qualité du demandeur dans l'affaire Taylor
sur laquelle je vais statuer séparément. Je suis
convaincu que le demandeur a la qualité néces-
saire. Il ressort, à mon avis, des faits ci-dessus qu'il
avait un intérêt personnel direct puisqu'il avait par
ailleurs la qualité d'un bénéficiaire sous le régime
de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, mais
qu'on lui a refusé des prestations pour un motif
qui, selon lui, est inconstitutionnel. Il a subi un
arrêt de rémunération, il a demandé des presta-
tions et on les lui a refusées, et il a interjeté appel
de cette décision par voie de recours ordinaires. Sa
décision de ne pas continuer l'appel devant le
juge-arbitre, mais de saisir tout d'abord cette Cour
d'une action en jugement déclaratoire était, à mon
avis, bien justifiée. Lorsqu'il faut trancher des
questions constitutionnelles importantes de ce
genre, une action devant la Cour avec tous ses
moyens procéduraux pour la détermination des
faits et des questions juridiques est de beaucoup
préférable à une procédure sommaire informelle
devant un juge-arbitre.
12 Pièce P2-34.
L'interprétation du paragraphe 15(1) de la Charte
Le demandeur invoque ce paragraphe dont voici
le libellé:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
En fait, il se plaint du refus du droit «au même
bénéfice de la loi».
Cet article n'étant entré en vigueur que le 17
avril 1985, il fait l'objet d'une jurisprudence peu
développée. Les tribunaux de première instance et
les cours d'appel intermédiaires, dont les cours
d'appel provinciales et la Cour d'appel fédérale,
ont appliqué une variété de critères pour statuer
sur les contestations des lois fondées sur un conflit
avec le paragraphe 15(1). Le débat de la première
décision de ce genre portée en pourvoi devant la
Cour suprême du Canada, Andrews v. Law Soc. of
B.C. ", a eu lieu en 1987, et au moment de la
rédaction du présent jugement, aucune décision
n'avait été rendue.
La question de base dans toutes ces affaires
porte sur le rapport correct entre le paragraphe
15(1) et l'article 1 de la Charte. Bien entendu,
l'article 1 prévoit que la restriction, dans une loi,
des droits garantis par la Charte peut être valable
si ceux qui l'invoquent peuvent prouver qu'il s'agit
d'une limite «raisonnable et dont la justification
puisse se démontrer dans le cadre d'une société
libre et démocratique». Ainsi donc, voici la ques
tion à laquelle donne lieu une distinction donnée
créée par la loi entre différents individus et diffé-
rentes catégories d'individus: dans quelle mesure la
validité de cette distinction devrait-elle être exami
née sous le régime du paragraphe 15(1) et dans
quelle mesure devrait-elle être examinée sous l'em-
pire de l'article 1? Il existe une différence concep-
tuelle importante: si l'examen s'impose sous le
régime du paragraphe 15(1), la Cour procède réel-
lement de la sorte à la détermination de la portée
des droits garantis par ce paragraphe; si l'examen
se fait sous l'empire de l'article 1, c'est qu'un droit
a été violé, et l'on tente alors de déterminer la
validité de la violation ou de la restriction selon les
normes de l'article 1. Il existe également une
13 (1986), 2 B.C.L.R. (2d) 305 (C.A.).
différence importante sur le plan de la procédure:
il incombe à celui qui allègue la violation d'un
droit prévu au paragraphe 15(1) de prouver, par la
prépondérance des probabilités, l'existence et la
violation de ce droit, alors qu'une fois que cette
violation est établie, il appartient à la partie qui
invoque la validité de la loi qui porte atteinte au
droit en question de la justifier sous le régime de
l'article 1. Parmi les cours d'appel qui ont eu à
examiner cette question, il semble qu'il y ait un
consensus assez général selon lequel il existe d'im-
portants critères qu'un demandeur doit respecter
pour prouver que la distinction dont il se plaint est
de prime abord une violation du droit qu'il tient du
paragraphe 15(1), par exemple le droit «au même
bénéfice de la loi, indépendamment de toute discri
mination». Les distinctions faites par la loi n'équi-
valent pas toutes à une violation prima facie des
droits à l'égalité. C'est seulement lorsque certains
critères d'«égalité» et de «discrimination» ont été
appliqués et que la violation est établie que le
fardeau de la preuve incombe cette fois au défen-
deur si cette partie cherche à invoquer l'article 1
pour justifier la violation.
De plus, il semble qu'il y ait un degré de consen
sus selon lequel le premier critère à appliquer sous
le régime de l'article 15 consiste à savoir s'il y a
inégalité, c'est-à-dire si la législature a recouru à
une catégorisation interdite dans son application
inégale de la loi afin de traiter de façon différente
les personnes qui se trouvent dans la même
situation 14 . Il est peut-être facile de répondre à
cette question si la catégorisation se situe parmi les
motifs interdits de discrimination figurant au para-
graphe 15(1). Si la catégorisation semble reposer
sur un autre motif, la Cour doit alors examiner si
ce motif devrait être considéré comme étant égale-
ment interdit par le paragraphe 15(1). Certes, il
n'existe pas encore, à cet égard, de critères exhaus-
tifs, mais il semble acceptable d'examiner certains
facteurs et de chercher à savoir, par exemple, si le
motif de distinction en question est semblable à
ceux expressément mentionnés au paragraphe
15(1), s'il est enraciné dans un stéréotype histori-
que, s'il implique des caractéristiques personnelles
14 Voir p. ex., Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c.
Canada (procureur général), [1987] 2 C.F. 359 (C.A.); R. v.
Ertel (1987), 20 O.A.C. 257; Andrews v. Law Soc. of B.C.,
susmentionné, renvoi 13.
qui sont bien au-delà du contrôle de l'individu,
semblables à ces caractéristiques expressément
susmentionnées au paragraphe 15(1), si ceux que
touche la distinction sont des personnes tradition-
nellement défavorisées ou qui font l'objet d'un
préjudice, et si cette distinction est incompatible
avec la fin de la loi elle-même ou les valeurs
généralement reconnues dans la société cana-
dienne. Aucun de ces critères n'est nécessairement
déterminant pour décider si la distinction en ques
tion crée une inégalité au sens du paragraphe
15(1). Ce sont les types de facteurs que la Cour
d'appel fédérale a reconnus dans son arrêt Smith,
Kline & French 15 qui me lie et qui est apparem-
ment la seule décision unanime d'une formation de
cette Cour sur l'interprétation du paragraphe
15(1) 16 . Il convient également de souligner que les
avocats de toutes les parties dans l'espèce présente
se sont, à divers degrés, appuyés sur l'arrêt Smith,
Kline & French.
Lorsqu'il est initialement établi que la distinc
tion en question crée une «inégalité» au sens de ce
paragraphe, les cours d'appel ont alors générale-
ment examiné la question de savoir si cette inéga-
lité de traitement par la loi équivaut à une «discri-
mination». Puisque le paragraphe 15(1) garantit
seulement le «même bénéfice ... indépendamment
de toute discrimination», ce droit ne se trouve
réduit que si la discrimination est établie. Le cri-
tère de la «discrimination» a, semble-t-il, divisé le
plus les cours d'appel. Certaines ont appliqué un
critère minimaliste de discrimination et sont dispo
sées à conclure que la discrimination est établie si
la distinction a une conséquence «péjorative»,
c'est-à-dire négative, et si elle n'est pas insigni-
fiante. Telle était essentiellement l'approche de la
Cour d'appel fédérale dans son arrêt Smith, Kline
& French. Une telle approche fait que la violation
du paragraphe 15(1) peut être plus facilement
établie et la justification, s'il en est, de la loi doit
être démontrée sous le régime de l'article 1 par
ceux qui invoquent celle-ci. Selon le juge Huges-
sen, qui rédigeait les motifs de la Cour dans l'arrêt
Smith, Kline & French, une telle approche s'im-
15 Ibid.
16 C f. Headley c. Canada (Comité d'appel de la Commission
de la Fonction publique), [1987] 2 C.F. 235 (C.A.), dans
laquelle une autre formation de trois juges a prononcé des
motifs concourant au résultat mais n'a pas été d'accord sur le
raisonnement.
pose si l'on veut se conformer à l'arrêt de la Cour
suprême du Canada La Reine c. Oakes ", où la
Cour a élaboré le critère applicable sous l'empire
de l'article 1 pour déterminer la validité d'une
restriction de droits lorsqu'une violation est déjà
établie. Ce critère nécessite l'examen des fins et
des moyens de la restriction en question. Le juge
Hugessen a considéré qu'il importait que ces critè-
res qualitatifs ne s'appliquent pas pour déterminer
initialement s'il y avait eu violation du paragraphe
15(1); autrement le rôle de l'article 1 serait
usurpé.
Néanmoins, la Cour suprême du Canada n'a pas
hésité à appliquer des critères qualitatifs plutôt
semblables pour déterminer s'il y a initialement eu
violation d'un droit prévu à la Charte' 8 . À cette
fin, la Cour a examiné la définition de chaque
droit pour voir si elle contient des mots qualifica-
tifs dont il faut tenir compte avant de conclure à la
violation. Cette démarche précède logiquement
l'application de l'article 1, qui n'est pas un critère
applicable à des droits mais plutôt un critère
applicable à la restriction de droits. C'est ainsi
que d'autres cours d'appel ont dégagé du paragra-
phe 15(1) davantage de critères et ont, pour con-
clure à la discrimination, exigé plus que le carac-
tère péjoratif et essentiel de la distinction. Diverses
formations de la Cour d'appel de l'Ontario ont
différemment formulé ces critères. L'arrêt de cette
Cour dans l'affaire McKinney v. University of
Guelph et al. 19 , où elle semble avoir adopté un
type d'approche intermédiaire, illustre peut-être
mieux une étude de sa jurisprudence à cet égard.
Dans son critère de discrimination, elle semble être
allée plus loin, ne se contentant pas de ce que
l'inégalité de la loi doit avoir une conséquence
importante et péjorative; elle a également recouru
à des adjectifs tels que «inéquitable», «injuste» et
«irrationnel» pour caractériser les lois qui créent
une discrimination interdite. Mais la Cour a con
firmé dans l'affaire McKinney qu'elle n'avait pas
" [1986] 1 R.C.S. 103.
s Voir, p. ex. Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2
R.C.S. 145 où la Cour a examiné les intérêts de l'État et les
intérêts privés pour déterminer s'il y avait eu des «fouilles,
perquisitions ou saisies abusives« interdites par l'article 8 de la
Charte.
19 (1988), 24 O.A.C. 241, demande d'autorisation de pourvoi
accordée par la Cour suprême du Canada le 21 avril 1988,
[ 1988] 1 R.S.C. xi.
exigé et n'exigerait pas dans ce cas qu'un deman-
deur rapporte la preuve que la loi est «abusive»
avant qu'elle ne conclue à une violation du para-
graphe 15(1). Elle a confirmé, comme l'a fait la
Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Smith, Kline &
French, qu'on doit recourir aux critères du «carac-
tère raisonnable» seulement dans l'application de
l'article 1 une fois qu'un cas prima facie de viola
tion a été établi.
Tant la Cour d'appel fédérale dans son arrêt
Smith, Kline & French que la Cour d'appel de
l'Ontario dans son arrêt McKinney se distinguent
par leurs positions qui diffèrent de celles de la
Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans son
arrêt Andrews v. Law Soc. of B.C. 20 . La Cour y a
statué que pour établir une discrimination sous le
régime du paragraphe 15(1), une partie doit rap-
porter la preuve que la distinction imposée par la
loi est «abusive ou injuste». Cette décision a été
suivie dans plusieurs affaires par la Cour d'appel
de la Colombie-Britannique et d'autres tribunaux
de cette province.
En l'espèce, les défenderesses n'ont pas invoqué
l'article 1, et elles ont expressément nié tout
recours à cette disposition. En conséquence, tout
critère qu'il me faudra appliquer pour déterminer
s'il y a violation de la Charte, doit se trouver à
l'article 15. À cet égard, j'ai trouvé utile la position
adoptée par l'avocat des défenderesses qui n'a pas
prétendu que le demandeur devait s'acquitter du
fardeau de preuve plus lourd qui lui serait imposé
par le critère appliqué dans l'affaire Andrews v.
Law Soc. of B.C. Je vais donc examiner la preuve
en tenant compte particulièrement du critère
moins exigeant de l'arrêt Smith, Kline & French
qui, en tout état de cause, me lie. Étant donné
l'incertitude actuelle de la jurisprudence, je dois
toutefois examiner également la question de savoir
si le demandeur a rempli les exigences plus rigou-
reuses énoncées dans l'arrêt Andrews.
Y a-t-il eu déni du «même bénéfice de la loi»?
Les motifs interdits précisés au paragraphe
15(1) de la Charte ne comprennent pas de critères
de distinction interdits tels que «paternité ou
maternité naturelle», «capacité de reproduction»,
«état familial» ou toute expression qui couvre bien
ce type de distinction. Il me reste à examiner si
20 Voir supra, renvoi 13.
une distinction de cette nature devrait néanmoins
être considérée comme étant de prime abord inter-
dite par le paragraphe 15(1). Pour ce faire, je dois
examiner certains des facteurs énumérés ci-dessus.
La distinction dans la Loi de 1971 sur l'assu-
rance-chômage dont se plaint le demandeur est
celle faite entre les parents adoptifs et les parents
naturels à l'égard de l'arrivée dans leurs foyers
respectifs d'enfants du premier âge. L'article 32
précité prévoit jusqu'à quinze semaines de presta-
tions pour l'un ou l'autre des parents adoptifs (à
supposer qu'ils soient tous les deux par ailleurs
admissibles à l'assurance-chômage), selon leur
choix, pour que l'un d'entre eux reste à la maison à
la suite du placement d'un enfant dans leur foyer.
Il n'existe pas de disposition semblable pour les
pères naturels à l'égard de l'arrivée chez eux d'un
nouveau-né, sauf les situations exceptionnelles
visées par le nouvel article 32.1. 11 est vrai que, en
vertu de l'article 30, la mère naturelle d'un enfant
peut recevoir quinze semaines de prestations com-
mençant avant ou à la naissance de l'enfant. Il est
également vrai qu'elle peut ainsi recevoir des pres-
tations pendant une certaine période où elle
demeure à la maison pour s'occuper de l'enfant
après son accouchement. Mais les critères et les
conditions applicables aux prestations sous le
régime de l'article 30 diffèrent substantiellement
de ceux de l'article 32. Pour les fins de l'espèce, il
suffit de souligner que l'article 30 n'accorde pas au
père naturel le choix d'utiliser ou de partager ces
prestations aux fins de lui permettre de rester à la
maison pour s'occuper du nouveau-né. Nous avons
donc des prestations nettement différentes pour les
parents adoptifs et les parents naturels.
J'estime que pour bien comprendre cette distinc
tion créée par la Loi, il faut examiner les hypothè-
ses sur lesquelles elle repose. Celles-ci se rappor-
tent non seulement au père naturel comme le
demandeur, que la distinction touche immédiate-
ment, mais aussi à la mère naturelle. Même si on
accepte (et je ne le fais pas, comme on verra plus
tard) que les prestations prévues à l'article 30 sont
principalement destinées au soin des enfants et, en
conséquence, équivalent à peu près aux prestations
prévues à l'article 32, cette approche repose sur
l'idée que, à la naissance d'un bébé, sa mère
naturelle est naturellement et inéluctablement
celle qui s'occupe de lui, et que le père est le
soutien naturel. Cela suppose non seulement qu'il
n'est pas nécessaire que le père naturel ait la
possibilité de recevoir une indemnité partielle au
lieu d'un revenu d'emploi pour rester à la maison
et s'occuper principalement de l'enfant, mais aussi
que la mère naturelle ne devrait pas avoir au moins
le choix, grâce à la présence du père à la maison
au cours de cette période, de reprendre elle-même
son emploi payé en qualité de soutien si elle est par
ailleurs en mesure de le faire. Ce sont cette possi-
bilité et ce choix refusés aux parents naturels que
l'article 32 offre aux parents adoptifs.
Je peux donc en partie considérer cette mesure
comme une discrimination fondée sur le «sexe» qui
est l'un des motifs précisés au paragraphe 15(1).
La raison en est que cette discrimination prend
racine dans le stéréotype sexuel des rôles respectifs
du père et de la mère en général, et particulière-
ment en ce qui concerne leur nouveau-né. Ainsi
que l'a statué la Cour suprême des États-Unis dans
Califano v. Westcott 2 ' l'égard d'une loi du Con-
grès qui prévoyait une aide financière aux familles
ayant des enfants à charge privées de soutien parce
que le père (et non la mère) était sans travail, cette
classification fondée sur le sexe
[TRADUCTION] fait ... partie du «vieux fonds de stéréotypes
sexuels» ... qui suppose qu'il «appartient principalement au
père de fournir un foyer et le nécessaire» ... alors que la mère
est le «centre du foyer et de la vie familiale».
De même, un comité parlementaire a tenu les
propos suivants sur la nécessité des prestations
égales pour le soin des enfants en vertu de la Loi
de 1971 sur l'assurance-chômage 22 :
Il n'y a aucun doute dans nos esprits que la perpétuation du
rôle traditionnel de la mère considérée comme principale res-
ponsable des soins à donner aux enfants a contribué à empêcher
les femmes de participer plus activement à la vie de la société.
En partie, cette distinction peut être également
considérée comme un stéréotype des rôles des
parents naturels par comparaison avec ceux des
parents adoptifs, une distinction fondée sur des
faits biologiques fondamentaux. Ceux-ci impli-
quent habituellement des caractéristiques person-
nelles qui sont inhérentes à l'individu et qui res-
semblent aux facteurs génétiques créant des
distinctions telles que la race, la couleur, le sexe ou
21 433 U. S. 76 (1979), à la p. 89.
22 Rapport du Sous-comité sur les droits à l'égalité du Comité
permanent de la justice et des questions juridiques (le Rapport
«Boyer») (Ottawa, 1985), fascicule n° 29,à la p. 11.
parfois l'incapacité physique ou mentale, qui sont
toutes mentionnées au paragraphe 15(1). En géné-
ral, ce sont ces caractéristiques qui distinguent les
parents adoptifs des parents naturels et que l'indi-
vidu ne saurait changer.
L'article 32 semble également créer une inéga-
lité entre des personnes qui se trouvent dans la
même situation si on tient compte des fins appa-
rentes de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage
en général et de l'article 32 en particulier. La Loi
vise généralement à fournir un revenu de rempla-
cement à ceux qui sont normalement sur le marché
du travail mais qui sont temporairement incapa-
bles de travailler. Bien entendu, ainsi qu'il a été
souligné ci-dessus, le but premier de la Loi était de
fournir des prestations à ceux qui étaient non
seulement sans travail mais qui étaient aussi dispo-
nibles pour travailler. Les prestations de maternité
prévues à l'article 30 et créées en 1971 constituent
une exception à ce principe général parce que,
normalement, les personnes y ayant droit ne sont
pas disponibles pour travailler. Néanmoins, on a
pensé qu'il importait, sur le plan social, de fournir
aux mères naturelles un revenu de remplacement
pendant la période où elles donnent naissance à un
enfant et le nourrissent. L'article 32 a étendu le
bénéfice du revenu de remplacement aux parents
adoptifs, apparemment parce qu'on a également
pensé que cette mesure s'imposait socialement.
Depuis l'entrée en vigueur de l'article 32, la Com
mission a, à cet égard, émis une circulaire compre-
nant des directives permettant à ses agents de
l'admissibilité de déterminer s'il est «raisonnable»
sous le régime de l'article 32 pour un parent
adoptif de rester à la maison pendant les dix-sept
premières semaines après le placement de l'enfant
chez lui. La circulaire dit, et cela a été confirmé en
preuve par un fonctionnaire de la Commission
comme représentant la pratique de la Commission,
que (toutes autres choses étant égales) il est géné-
ralement considéré comme raisonnable pour un
parent adoptif de rester à la maison pour s'occuper
d'un enfant d'âge préscolaire. À mon avis, ce
témoignage, rapproché du texte de l'article 32
lui-même, indique que le but et l'effet de cet
article recherchent leur justification dans l'impor-
tance que la société attache à la possibilité pour un
ou des parents de rester à la maison au moment de
l'arrivée d'un enfant d'âge préscolaire, sans tenir
compte du sexe du parent qui demande des presta-
tions. Ce raisonnement s'appliquerait également
au soin donné par les parents naturels à leur
nouveau-né. Il est également évident que la politi-
que sur laquelle se fonde l'article 32 n'a rien à voir
avec les besoins et le rôle prénatals et post-natals
de la mère naturelle elle-même: en fait, il est tout à
fait possible que des prestations de maternité
soient versées à une mère naturelle en vertu de
l'article 30 et que, subséquemment, des prestations
soient versées sous le régime de l'article 32 aux
parents adoptifs de ce même enfant relativement à
son placement chez eux.
En conséquence, la distinction faite entre les
parents adoptifs et les parents naturels à l'égard de
la période de soins qu'ils accordent à l'enfant qui
arrive dans leur foyer semble créer une inégalité
dans les prestations selon la fin même de la Loi et
de l'article lui-même.
L'égalité entre les parents quant à la responsabi-
lité du soin d'un nouveau-né et à la possibilité de
l'assumer semble correspondre aux valeurs de la
société canadienne contemporaine. On en trouve la
preuve dans diverses expressions de la politique
gouvernementale. Dans l'article 59.2 du Code
canadien du travail 23 , le législateur lui-même
exige des employeurs qu'ils accordent un congé
d'au plus vingt-quatre semaines à «l'employé qui
est ou sera effectivement chargé des soins et de la
garde d'un nouveau-né». Bien entendu, cela n'exige
pas que ce congé soit donné avec rémunération,
mais garantit effectivement qu'un employé de l'un
ou de l'autre sexe peut prendre congé et reprendre
son ancien poste à son retour au travail. La loi
manitobaine, tout en accordant aux employées
enceintes dix-sept semaines de congé, prévoit éga-
lement un congé d'au plus six semaines de pater-
nité pour le père nature1 24 . Elle prévoit un congé
d'adoption d'au plus dix-sept semaines pour tout
employé, quel que soit le sexe de l'employé 25 . La
loi de la Saskatchewan prévoit un congé de mater-
nité d'au plus dix-huit semaines et un congé de
23 S.R.C. 1970, chap. L-I, (ajouté par S.R.C. 1970 (2`
Supp.), chap. 17, art. 16; 1984, chap. 39, art. 6).
24 The Employment Standards Act, C.C.S.M., chap. E110,
art. 34.2.
25 Ibid., art. 34.3.
paternité d'au plus six semaines pour le père natu-
rel, ainsi qu'un congé d'adoption d'au plus six
semaines pour tout parent adoptif 26.
Dans un contexte plus grand, le Canada fait
partie d'une communauté internationale qui a
affirmé certains principes concernant l'égalité des
parents. La Déclaration sur l'élimination de la
discrimination à l'égard des femmes proclamée
par l'Assemblée générale des Nations Unies le 7
novembre 1967 27 prévoit à l'alinéa 6(2)c):
Article 6
2....
c) Les parents auront des droits et devoirs égaux en ce qui
concerne leurs enfants. L'intérêt des enfants sera la considéra-
tion primordiale dans tous les cas.
Plus récemment, la Convention sur l'élimination
de toutes les formes de discrimination à l'égard
des femmes 28 a été ratifiée par le Canada en 1981.
Dans son préambule, elle déclare que toutes les
parties à la Convention sont:
Conscient(e)s que le rôle traditionnel de l'homme dans la
famille et dans la société doit évoluer autant que celui de la
femme si on veut parvenir à une réelle égalité de l'homme et de
la femme ...
Dans son alinéa 11(2)c), elle exige des parties à la
Convention qu'elles prennent les mesures appro-
priées afin:
(c) D'encourager la fourniture des services sociaux d'appui
nécessaires pour permettre aux parents de combiner les obliga
tions familiales avec les responsabilités professionnelles et la
participation à la vie publique, en particulier en favorisant
l'établissement et le développement d'un réseau de garderies
d'enfants;
Ces objectifs, et si l'on se reporte à la dernière de
ces dispositions, ces obligations adoptés à l'échelle
internationale renforcent l'idée que la société cana-
dienne s'engage à égaliser autant que possible le
rôle des parents dans le soin des enfants, dans
l'intérêt de la famille en général, et en particulier
pour permettre aux femmes de parvenir à une plus
grande égalité dans le monde du travail.
Ce qui précède me convainc que le genre de
distinction fait à l'article 32 de la Loi de 1971 sur
26 The Labour Standards Act, R.S.S. 1978, chap. L- I, art.
23, 29.1, 29.2 (mod. par S.S. 1979-80, chap. 84, art. 8).
27 G.A. Res. 2263, 22 U.N. GAOR (1967).
28 G.A. Res. 3 4 / 1 80 (1979) (en vigueur le 3 septembre 1981);
ratifié par le Canada (le 10 décembre 1981) [[ 1982] R.T. Can.
n° 31].
l'assurance-chômage entre les parents adoptifs et
les parents naturels, qui a pour effet de décourager
les pères naturels d'assumer un rôle et une respon-
sabilité égaux dans le soin de leur nouveau-né, crée
effectivement une inégalité de prestations aux
termes du paragraphe 15(1) de la Charte.
Y a-t-il «discrimination»?
À cette question est intimement liée celle de
savoir si l'inégalité équivaut à une «discrimina-
tion». Compte tenu de mon analyse précédente de
la jurisprudence dominante sur cette question, je
dois pour le moins examiner si le traitement inégal
revêt un caractère péjoratif, c'est-à-dire négatif ou
désavantageux, et s'il est important. On peut sta-
tuer sur ces questions ensemble. Dans l'état actuel
de la Loi, l'article 32 permet à l'un ou à l'autre des
parents adoptifs qui est par ailleurs admissible au
service des prestations d'assurance-chômage, de
recevoir jusqu'à quinze semaines de prestations
après le placement de l'enfant s'il est raisonnable
pour lui ou pour elle de rester à la maison avec
l'enfant. Cela signifie qu'au moins en principe le
père a la possibilité égale et implicitement l'obliga-
tion égale de prendre un congé lorsque les deux
parents travaillent. Si l'un des parents n'occupe
pas un emploi assurable alors que l'autre en a un,
il est à tout le moins possible que tous deux restent
à la maison et que le second reçoive des prestations
s'il peut rapporter la preuve que sa présence chez
lui était «raisonnable» dans les circonstances. De
l'aveu de tous, selon le témoignage de Joseph
Verbruggen, directeur général de la politique d'as-
surance de la Commission, la Commission considé-
rerait rarement raisonnable qu'un parent occupant
un emploi assurable reste à la maison si son con
joint y était déjà pour s'occuper de l'enfant adopté.
Cela pourrait cependant arriver, par exemple, s'il y
avait également à la maison un enfant plus âgé qui
présentait des difficultés de comportement, suscep-
tibles d'être aggravées par le placement d'un
nouvel enfant. Les parents naturels n'ont dans
aucune de ces situations un tel choix quant à leur
admissibilité au service des prestations d'assu-
rance-chômage; en fait, le parent naturel n'a nulle-
ment le droit, dans ces situations, de recevoir des
prestations par suite de l'arrivée de son nouveau-né
dans son foyer. Ainsi donc, d'après sa formulation,
la Loi semble refuser une possibilité aux pères
naturels et un choix à ceux-ci et à la mère de leur
enfant, dont bénéficient les parents adoptifs.
Il ressort de la preuve que ces distinctions ne
sauraient s'expliquer par des différences naturelles
qui touchent les catégories de gens en cause, et
elles désavantagent substantiellement ceux à qui
on refuse des prestations pour le soin des enfants.
À cet égard, nous avons la déposition du Dr George
Awad, professeur adjoint de psychiatrie à l'Univer-
sity of Toronto et directeur de la Family Court
Clinic (Clinique du Tribunal de la famille), au
Clarke Institute of Psychiatry à Toronto. C'est en
cette dernière qualité qu'il s'occupe des enfants
que lui envoie le Tribunal de la famille, pour
conseiller ce dernier notamment sur des questions
de garde. À cette fin il doit examiner et évaluer les
rapports passés et futurs entre enfants et parents,
et il s'est occupé de plus de 1 000 enfants qui lui
ont été envoyés de la sorte. Selon son témoignage,
des rapports étroits et positifs entre les parents et
leur enfant contribuent énormément au développe-
ment de ce dernier en général, et l'intérêt que
portent les parents à l'enfant dès le début aura
probablement une influence durable sur leurs rela
tions. À son avis, il n'existe aucune différence
entre mères et pères à cet égard, et les pères sont
également capables de s'occuper d'enfants du pre
mier âge. Les pères seront heureux d'apprendre
qu'il ne trouve aucun fondement dans la théorie
selon laquelle les nouveau-nés sont «matricentri-
ques» en matière d'orientation (c'est-à-dire qu'ils
ont une affinité seulement avec leur mère). Il
conclut de son expérience que [TRADUCTION]
«plus le père participe à la vie d'un enfant, mieux
s'en trouvent les rapports entre le père et l'enfant
ainsi que l'épanouissement de ce dernier». D'après
lui, les liens plus étroits entre le père et l'enfant
profitent à l'un et à l'autre, tout en renforçant les
rapports entre les parents. Il ne voit, à l'égard
d'aucune de ces questions, la raison pour laquelle il
faudrait faire une distinction entre les parents
adoptifs et les parents naturels. Sur le plan psycho-
logique, rien ne justifie, selon lui, de faire une
distinction entre les pères naturels et les pères
adoptifs à cet égard.
Sur ce dernier point, les défenderesses ont cité
comme témoin le professeur Joyce Cohen de la
faculté de travail social (Social Work) du Univer
sity of Toronto, qui est expert dans le domaine de
l'adoption. Elle a démontré que, en Ontario, seule-
ment quelque 20 % des enfants adoptés sont âgés
de moins d'un an au moment de l'adoption (bien
que cette proportion semble augmenter). Elle a
insisté sur les [TRADUCTION] «besoins particu-
liers», imputables essentiellement aux problèmes
psychologiques, qu'éprouvent la plupart des
enfants adoptés au-dessus d'un an ainsi que, peut-
être, la moitié des enfants adoptés au-dessous de
cet âge, et qui exigent évidemment de la part des
parents plus d'attention qu'ils ne doivent prodiguer
à un enfant typique grandissant au sein de son
foyer naturel. A mon avis, ce témoignage n'étaye
pas forcément les distinctions faites dans la Loi de
1971 sur l'assurance-chômage en vigueur. En pre
mier lieu, la preuve statistique et le témoignage du
professeur Cohen se rapportent uniquement à la
province d'Ontario, alors que cette Loi, il faut le
souligner, touche nombre de personnes qui se trou-
vent en dehors de cette province. En deuxième lieu,
bien qu'il existe peut-être beaucoup de parents
adoptifs qui se trouvent dans des situations qui ne
sont en rien comparables à celles que connaissent
les parents naturels dans leurs rapports avec leur
enfant du premier âge, il reste néanmoins un
nombre substantiel de placements d'enfants du
premier âge qui s'apparente à l'arrivée d'un nou-
veau-né dans son foyer naturel. Les diverses
variantes de cette situation type comparable, indu-
bitablement vécues par des parents adoptifs, selon
l'âge, la situation culturelle, psychologique etc. de
l'enfant adopté, et les situations actuelles du
parent ou des parents adoptifs peuvent entrer en
ligne de compte dans l'application de l'article 32
qui prévoit des prestations pour un parent adoptif
lorsqu'il est «raisonnable» pour lui de rester à la
maison après le placement de l'enfant. Si les
parents naturels avaient droit à des prestations
pour le soin des enfants lorsqu'il est «raisonnable»
pour le père, ou pour la mère, ou pour l'un et
l'autre de rester à la maison, l'application pratique
de cet article à l'égard des deux types différents de
parents pourrait bien être différente dans beau-
coup de cas. Mais cela ne justifie pas un refus
général de prestations pour le soin des enfants pour
les parents naturels, ni le refus de permettre aux
parents de décider lequel des deux va rester à la
maison.
Je ne pense pas non plus que les prestations
qu'on refuse aux parents naturels en vertu de
l'article 32 puissent être compensées par les presta-
tions de maternité dont bénéficie la mère naturelle
sous le régime de l'article 30. La fin de l'article 30
et ses effets sont tout à fait différents. L'article 30
est conçu de manière à avantager les femmes
enceintes, et elles seules. Pour y avoir droit, une
prestataire doit prouver qu'elle attend un enfant.
Une fois ce fait établi, des prestations lui sont
payables même si son enfant est mort-né. Par
contre si elle a un bébé, les prestations l'aident
incidemment dans le soin qu'elle est en mesure de
donner à l'enfant après sa naissance et ce, jusqu'à
l'expiration de la période de quinze semaines de
prestations. Le témoignage d'expert présenté
devant moi a souligné le fardeau physique imposé
aux femmes enceintes et aux nouvelles mères,
lequel à lui seul justifie une période d'au moins
quinze semaines libres de tout emploi extérieur
rémunéré. Le Dr Karyn Kaufman, professeur
adjoint du School of Nursing (L'école des sciences
infirmières), Faculté des sciences de la santé,
McMaster University, et le D r Murray Enkin,
professeur d'obstétrique et de gynécologie, Faculté
des sciences de la santé, MacMaster University,
ont témoigné à cet égard. Ils insistent sur le far-
deau et les besoins particuliers de la femme
enceinte et de la mère d'un nouveau-né, notam-
ment les possibilités d'un accouchement difficile
(environ 20 % des accouchements au Canada s'ef-
fectuent par césarienne), les changements physi
ques et hormonaux, la perte du sommeil, et le rôle
spécial que constitue l'allaitement maternel. À cet
égard, c'est un objectif national d'augmenter, pour
des raisons de santé, le pourcentage de bébés qui
sont allaités pendant les six à neuf premiers mois.
Ces témoins ont souligné que ce congé de mater-
nité dont bénéficient les femmes établit habituelle-
ment l'ultime limite de la période d'allaitement
maternel parce que cette fonction devient beau-
coup plus difficile dès le retour à l'emploi exté-
rieur. Selon eux, bien qu'il soit impossible de fixer
la durée du congé de maternité qui correspondrait
universellement aux besoins physiologiques des
femmes enceintes, ils ont estimé que quinze semai-
nes étaient essentielles, et devaient être réservées à
cette fin seule, de manière à satisfaire aux diffé-
rents besoins de ces femmes. Le témoignage de
Julie Davis, vice-présidente administrative de la
Fédération du travail de l'Ontario, étayait généra-
lement cette conclusion.
Malgré le point de vue d'un groupe de travail de
1981 de la Commission 29 selon lequel le congé de
maternité est considéré maintenant davantage
comme congé pour le soin des enfants, il ressort
d'une étude réalisée par Statistique Canada en
février 1985 sur les femmes qui ont cessé de
travailler pour des raisons de maternité, que la
plupart des femmes prennent de nombreux jours
de congé avant l'accouchement. 49,6 % de ces
femmes ont demandé des prestations d'assurance-
chômage avant l'accouchement et ont pris en
moyenne sept semaines de congé avant l'accouche-
ment pour lesquelles elles ont reçu en moyenne 4,4
semaines de prestations. 15,7 % des femmes, bien
qu'elles n'aient pas réclamé de prestations durant
leur congé de maternité, ont pris en moyenne 8,8
semaines de congé avant l'accouchement. 34,6 %
des femmes qui n'ont réclamé des prestations qu'a-
près l'accouchement ont néanmoins pris en
moyenne 2,7 semaines avant l'accouchement. Les
trois catégories de femmes ont pris considérable-
ment plus de quinze semaines de congé relative-
ment à l'accouchement (en moyenne, de 21,8 à
25,1 semaines) 30 , ce qui laisse entendre que quinze
semaines ne suffisent pas pour la maternité et le
soin des enfants. Le congé pris avant l'accouche-
ment se rapporte manifestement à la maternité et
non au soin des enfants. Il ressort d'autres élé-
ments de preuve que de nombreuses femmes ont
différé leur congé de maternité jusqu'au dernier
moment possible parce que la période de presta-
tions est si restreinte qu'elles désirent la réserver
autant que possible pour le rétablissement post
natal, et dans une certaine mesure pour le soin des
enfants. S'il existait d'autres options pour le soin
des enfants, comme par exemple la faculté pour le
père de prendre quelques semaines de congé de
paternité avec prestations, cela permettrait à la
mère de prendre davantage de congé avant l'ac-
couchement, ce qui, d'après le témoignage, répon-
drait davantage à leurs besoins physiologiques.
Même si l'article 30 était considéré comme
l'équivalent suffisant pour la mère naturelle des
prestations pour le soin des enfants données aux
parents adoptifs en vertu de l'article 32, il serait
tout de même impossible de trouver dans ce sys-
tème une équivalence de prestations pour le père
naturel: il n'est pas acceptable de «faire la
29 Pièce 49, aux p. 67-68.
3° Pièce P2-52, à la p. 20.
moyenne des prestations» entre les unités familia-
les respectives.
En dernier lieu, il convient de souligner que les
divers organismes qui ont examiné la question ont
également conclu que le système actuel crée une
discrimination entre les parents adoptifs et les
parents naturels. Ainsi qu'il a été souligné ci-des-
sus, la Commission canadienne des droits de la
personne a informé le demandeur le 24 septembre
1987 qu'elle jugeait cette loi discriminatoire. En
1985, le rapport du Comité parlementaire sur les
droits à l'égalité, un sous-comité du Comité de la
justice et des questions juridiques de la Chambre
des communes établi pour examiner quels change-
ments pourraient être apportés aux lois fédérales
pour les rendre conformes à l'article 15 de la
Charte, a recommandé que les parents naturels
aient droit à des prestations équivalant à celles
prévues pour les parents adoptifs. Plutôt que de
permettre au père naturel de partager les presta-
tions prévues à l'article 30, le Comité 3' a adopté
cette approche
... parce que c'est, à notre avis, le meilleur moyen de résoudre
les questions d'égalité qui ont été soulevées.
Dans son rapport de 1986, la Commission d'en-
quête sur l'assurance-chômage (Commission
Forget) s'est montrée d'accord avec les conclusions
du Comité parlementaire à ce sujet, et elle a
recommandé la création d'un système à «deux
paliers» de prestations, avec une disposition dis-
tincte pour les prestations de maternité, et en plus
une disposition pour les prestations pour le soin des
enfants dont pourraient bénéficier tant les parents
naturels que les parents adoptifs 32.
Ces éléments de preuve me convainquent que la
distinction qui prive les parents naturels de la
possibilité de recevoir des prestations d'assurance-
chômage à l'égard de la période qu'ils consacrent
au soin d'un nouveau-né est péjorative ou est d'un
effet négatif. De plus, cette distinction cause aux
parents naturels un désavantage considérable. Se
trouve donc rempli le critère de la violation du
paragraphe 15(1) de la Charte, critère établi par
la jurisprudence tel l'arrêt Smith, Kline &
French 33 , par lequel je me trouve lié. Étant donné
3' Supra, renvoi 22, la p. 13.
32 Pièce P2-53, aux p. 123 et 124.
3' Supra, renvoi 14.
le caractère ténu de la jurisprudence à ce sujet, et
la décision imminente de la Cour suprême dans
l'affaire Andrews 34 , où un critère plus strict a été
appliqué pour établir la violation du paragraphe
15(1), je statuerai également que les distinctions
contestées en l'espèce constituent une discrimina
tion même lorsqu'on les mesure à l'aune des critè-
res plus rigoureux. Selon les décisions du même
type que l'arrêt Andrews, pour qu'il y ait violation
du paragraphe 15(1), la distinction en question
doit être «déraisonnable ou injuste». Ainsi que je
l'ai indiqué, cette distinction entre les parents
adoptifs et les parents naturels, si on s'en tient à
celle-ci, n'a rien qui milite en sa faveur. Même si
la preuve laisse entendre que l'article 32 vise sans
doute des situations qui ne sont pas comparables à
celles que vivent les parents naturels, je suis con-
vaincu qu'il vise néanmoins nombre de situations
comparables à celles que connaissent les parents
naturels et qui ouvrent tout de même droit à des
prestations considérablement différentes de celles
qui sont versées à ces derniers. Le critère selon
lequel des prestations sont payables lorsqu'il est
«raisonnable» pour un parent de rester à la maison
avec l'enfant est susceptible de réconcilier les dis
tinctions qui peuvent exister entre les parents natu-
rels et les parents adoptifs. Cela étant, j'estime
déraisonnable et injuste d'accorder des prestations
aux seconds et non aux premiers.
Redressements
Ayant conclu que l'article 32 déroge au principe
du même bénéfice de la loi par voie de discrimina
tion, je peux me prononcer sur la question de deux
façons. Ou bien je pourrais déclarer que l'article
32 est invalide dans sa forme actuelle, refusant
ainsi des prestations à ceux qui y ont déjà droit, ou
bien je pourrais déclarer que les parents naturels
ont droit à des prestations égales à celles dont les
parents adoptifs bénéficient sous le régime de l'ar-
ticle 32. Les avocats du demandeur et de l'interve-
nant ont penché pour la dernière solution, alors
que celui des défenderesses a fait valoir que si je
concluais qu'il n'y avait pas même bénéfice de la
loi, je devrais déclarer invalides les prestations
actuelles prévues à l'article 32.
34 Supra, renvoi 13.
Dans la détermination d'un redressement sous
l'empire de la Charte, il importe de se rappeler que
le paragraphe 24(1) m'autorise dans les circons-
tances à accorder
24. (1) ... la réparation que le tribunal estime convenable
et juste eu égard aux circonstances.
L'article 32 est entaché de vice, non pas parce que
les prestations qu'il prévoit sont interdites par la
Charte, mais parce que ni cet article ni aucune
autre partie de la Loi ne veulent aller suffisam-
ment loin lorsqu'il s'agit de prévoir de façon égale
des prestations pour ceux qui se trouvent dans la
même situation: dans ce sens, «il ne couvre pas
toutes les situations». À mon avis, il n'est pas
«convenable et juste eu égard aux circonstances» de
priver les bénéficiaires visés à l'article 32 de leurs
prestations. Je doute qu'une telle approche soit
jamais «convenable et juste» lorsqu'il s'agit de
dispositions portant sur les services sociaux ou sur
l'assurance en matière de revenu et qui ne couvrent
pas toutes les situations 35 . J'estime plutôt convena-
ble et juste de me prononcer sur le droit des autres
aux mêmes prestations et de laisser au législateur
le soin de remédier à la situation conformément à
la Charte, soit en étendant de semblables presta-
tions aux parents naturels, soit en éliminant les
prestations accordées aux parents adoptifs, soit en
prévoyant des prestations plus restreintes dont
bénéficieraient également les parents tant adoptifs
que naturels à l'égard du soin des enfants. Je
n'entends pas imposer au législateur une solution
ou une autre: je dis simplement que s'il veut
prévoir des prestations, il doit les prévoir de façon
non discriminatoire. Je suis disposé à présumer, à
ce stade, que le législateur va prendre la mesure
nécessaire pour égaliser un système de prestations
que cette Cour juge injuste 36 .
Je vais donc rendre un jugement déclaratoire
portant que, tant que l'article 32 revêt sa forme
actuelle, le prestataire de la première catégorie qui
est le père naturel ou la mère naturelle d'un nou-
veau-né devrait avoir droit à des prestations sous le
régime de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage
à l'égard du congé pris pour s'occuper de cet
enfant, tout comme les parents adoptifs y ont
35 Affaire Califano, supra, renvoi 21. Mais cf. Attorney -
General of Nova Scotia et al. v. Phillips (1986), 34 D.L.R.
(4th) 633 (C.A.N.-É).
36 Voir Hoogbruin v. A.G.B.C. (1985), 70 B.C.L.R. 1 (C.A.).
droit. Selon mon interprétation, les critères et les
conditions de prestations sous le régime de l'article
32 sont les suivantes:
(1) Quinze semaines de prestations sont pré-
vues pour que l'un ou l'autre parent
demeure à la maison durant la période de
dix-sept semaines après l'arrivée de l'enfant
à la maison du prestataire sous réserve de la
limite prévue à l'alinéa 22(3)a), c'est-à-dire
jusqu'à un total de quinze semaines des
prestations spéciales y mentionnées (celles
versées en raison d'une grossesse, d'un pla
cement pour adoption ou d'une maladie) au
cours d'une période de prestations. Ces
prestations sont payables même si le presta-
taire n'est pas disponible pour travailler.
(2) L'un ou l'autre parent, s'il est par ailleurs
un prestataire qualifié, peut recevoir ces
prestations s'il est «raisonnable» pour ce
prestataire de demeurer à la maison à la
suite de l'arrivée de l'enfant, mais seule-
ment tant qu'il est «raisonnable» de le faire.
(3) Un seul parent peut recevoir des prestations
relativement à l'arrivée à la maison d'un
enfant.
(4) Ces prestations sont versées à l'égard du
soin des enfants et non de la maternité.
Étendre le même bénéfice de la loi aux parents
naturels reviendrait à leur fournir des prestations
selon les conditions susmentionnées. Ainsi que je
l'ai indiqué ci-dessus, les prestations prévues à
l'article 30 ne sauraient être considérées comme au
moins un équivalent partiel des prestations de l'ar-
ticle 32 parce que, selon les propres critères de
l'article 30, celui-ci se rapporte à l'accouchement
et ses effets portent principalement sur la mater-
nité plutôt que sur le soin des enfants.
Il faut souligner que si l'alinéa 22(3)a) de la Loi
devait être modifié pour englober toutes les presta-
tions pour le soin des enfants d'une manière sem-
blable au régime actuel de prestations de place
ment de l'article 32, la mère naturelle ne pourrait
toujours pas avoir droit à des semaines addition-
nelles de prestations au-delà de quinze. Un parent
adoptif n'a pas droit à une partie ou à la totalité
des prestations prévues à l'article 32 s'il a déjà eu,
dans la même période de prestations, d'autres pres-
tations spéciales telles que des prestations de mala-
die, aux termes de l'alinéa 22(3)a). Ces restric
tions pourraient, dans un sens, s'appliquer
également aux parents naturels. Dans le cas
normal, la conséquence pratique en serait que la
mère naturelle, ayant pris quinze semaines de pres-
tations de grossesse, ne pourrait se prévaloir des
prestations pour le soin des enfants. Bien qu'équi-
valant en pratique à une égalité formelle, un tel
régime ne pourrait donner lieu à une égalité de
conséquence puisque la mère naturelle n'aurait
pratiquement jamais le choix des prestations pour
le soin des enfants en plus des prestations de
grossesse. Autrement dit, les parents naturels n'au-
raient pas la même liberté de choix que les parents
adoptifs à l'égard des mesures visant le soin de
leurs enfants. En conséquence, dans un régime
modifié destiné à accorder l'égalité aux parents
naturels, on ne devrait pas priver la mère naturelle
du droit aux prestations pour le soin des enfants,
en tout ou en partie, parce qu'elle a reçu des
prestations de grossesse dans la même période de
prestations. Cette conclusion repose sur ma conclu
sion que les prestations de l'article 30 sont essen-
tiellement pour la grossesse et ne sauraient être
considérées comme étant d'un usage plus qu'acces-
soire pour le soin des enfants. Toutefois, il se
posera toujours la question de savoir s'il est raison-
nable pour la mère naturelle de prendre la totalité
ou une partie d'une autre période de quinze semai-
nes de prestations pour le soin des enfants.
Une telle déclaration ne correspond précisément
à aucune des solutions de rechange demandées par
le demandeur. Elle se rapproche le plus de la
demande de redressement figurant à l'alinéa 20a)
de la déclaration, qui tend à un jugement déclara-
toire de ce genre mais seulement en faveur des
pères naturels et non des deux parents naturels.
Toutefois, à l'alinéa 20(a.1) de la déclaration telle
qu'elle a été modifiée au procès, on a proposé de
donner des prestations pour le soin des enfants à
l'un ou à l'autre des parents naturels, selon leur
choix, et cette question a été examinée à fond au
débat. Je vais rendre le jugement déclaratoire sous
la forme décrite ci-dessus parce que je crois qu'il
est le plus conforme au paragraphe 15(1) de la
Charte et qu'il ne crée pas de nouvelles inégalités
entre les parents naturels et les parents adoptifs.
J'ai rejeté les formes subsidiaires de déclaration
demandées par le demandeur. Celle qui est propo
sée à l'alinéa 20(a.1) de la déclaration aurait fait
de l'article 32 un article général prévoyant des
prestations pour le soin des enfants en supprimant
toute mention d'adoption aussi bien dans cette
disposition qu'au paragraphe 22(3). Même s'il
m'est possible de rendre valide une disposition
législative en radiant le passage qui la rend
invalide 37 , cela n'aurait pas suffi pour étendre les
prestations prévues à l'article 32 aux parents natu-
rels. À ce redressement demandé s'est greffée une
demande de jugement déclaratoire portant que le
terme «placement» employé à l'article 32 et au
paragraphe 22(3) s'entend à la fois du placement
d'un enfant adopté et de l'arrivée à la maison de
ses parents naturels d'un nouveau-né. À mon avis,
il est rare qu'un tribunal tente de donner la défini-
tion d'un terme que le législateur n'a pas défini 38 ,
car il s'agit là en réalité d'une forme d e
législation 39 . De plus, je ne suis pas disposé à
déclarer que le mot «placement> a un sens qu'il ne
saurait avoir. Le terme «placement» s'entend de
l'acte de placer. Je ne pense pas qu'on puisse dire,
sauf dans un sens très figuré ou métaphorique,
qu'un nouveau-né est «placé» chez ses parents
naturels.
À titre subsidiaire encore, à l'alinéa 20(a.2), on
a demandé la radiation de certains mots du nouvel
article 32.1 de manière à éliminer les conditions
applicables au service des prestations à un parent
naturel, savoir le décès de la mère de l'enfant ou
son incapacité qui l'empêche de s'occuper de son
enfant. Il en résulterait que le père naturel pour-
rait demander des prestations dans tous les cas où
il était raisonnable pour lui de demeurer à la
maison pour s'occuper de son enfant. Les mères
naturelles n'obtiendraient éventuellement pas de
prestations quelles qu'elles soient. Pour les motifs
déjà invoqués, j'estime que, en principe, tant la
mère naturelle que le père naturel devraient béné-
ficier de prestations, selon leur choix, et selon les
mêmes conditions qui sont faites aux parents
adoptifs.
37 Voir p. ex. Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177.
38 Voir p. ex. l'affaire Califano, supra, renvoi 21, la p. 92.
39 Voir Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S.
145, la p. 169.
J'ai rejeté le redressement subsidiaire demandé
à l'alinéa 20b) de la déclaration. Ce redressement
consistait dans un jugement déclarant que le père
naturel a le droit de partager les prestations de
quinze semaines avec la mère, à la naissance de
leur enfant, le temps que l'un et l'autre passent à
la maison devant être partagé selon leur désir
commun. D'après cette proposition, le temps que le
père obtiendrait de consacrer au soin de son enfant
serait au détriment des prestations prévues.pour la
mère à l'article 30. Comme je l'ai dit ci-dessus, les
prestations de l'article 30 diffèrent essentiellement,
quant à leur but et à leur effet, des prestations
pour le soin des enfants, et la situation du père ne
saurait être «égalisée» en privant la mère naturelle
de prestations dont la justification ne peut que
s'appliquer à celle-ci.
Le professeur S.A. Rae, fils, de l'Institute for
Policy Analysis, University of Toronto, a déposé
sur les coûts additionnels estimatifs de divers régi-
mes de prestations aux parents naturels pour le
soin de leurs enfants. Le calcul a été effectué en
plaçant le coût estimé du système actuel de presta-
tions de grossesse de quinze semaines à 502 $
millions en 1986. Je n'ai pas tenu compte des
estimations de M. Rae en décidant de rendre le
jugement déclaratoire approprié. Bien que les
coûts additionnels auraient pu être pertinents si
l'article 1 avait été invoqué par les défenderesses,
je ne pense pas qu'ils se rapportaient à la question
de savoir si un droit prévu à l'article 15 a été violé.
De plus, bien que le témoignage du professeur Rae
soit hautement crédible, je ne crois pas qu'il ait
calculé les coûts possibles d'un régime doté des
caractéristiques que j'ai trouvées nécessaires pour
qu'il y ait bénéfice de la loi égal à celui qu'on
trouve à l'article 32.
De même j'ai conclu que le témoignage rendu
par le Dr Marsden Wagner de Copenhague, fonc-
tionnaire régional chargé de la santé maternelle et
infantile de l'Organisation mondiale de la santé, ne
se rapportait pas directement à l'espèce. Son
témoignage portait surtout sur les régimes de pres-
tations de maternité et de prestations pour le soin
des enfants dans les pays de l'Europe orientale et
occidentale. Encore une fois, bien qu'il soit intéres-
sant de comparer les prestations disponibles au
Canada avec celles des autres pays, ce témoignage,
de par sa nature, n'aide pas à trancher la question
de savoir s'il y a violation d'un droit prévu à
l'article 15.
À l'alinéa 20c), le demandeur a conclu à une
ordonnance exigeant des défenderesses qu'elles lui
versent les prestations auxquelles il a droit en vertu
du jugement déclaratoire que je pourrais rendre. Il
découle de ce que j'ai dit que la Commission avait
commis une erreur de droit en statuant que le
demandeur n'était pas disponible pour travailler au
cours de la période de trois semaines où il est resté
à la maison pour prendre soin de nouveau-né. En
vertu de la Charte, il était en droit de recevoir le
même traitement que celui réservé à un parent
adoptif dans des circonstances semblables, et ce
dernier serait, en vertu de l'article 32, exempté de
l'exigence posée par l'article 25 de la Loi selon
laquelle un prestataire, pour être admissible, doit
être disponible pour travailler. La Charte veut que
le demandeur échappe également à l'exigence de
disponibilité. Conformément aux dispositions rela
tives aux prestations pour les parents adoptifs, le
demandeur aurait eu à attendre que se soit écoulé
le délai de carence de deux semaines à déduire des
trois semaines où il est resté à la maison, et il
aurait eu droit à des prestations pour la dernière
semaine s'il avait été raisonnable pour lui de rester
à la maison durant cette période. Il est convenu
que s'il avait reçu des prestations, celles-ci se
seraient élevées à la somme de 276 $ par semaine.
Je ne pense pas que je doive ordonner le versement
de cette somme. Le législateur a prévu une procé-
dure de détermination du droit à des revendica-
tions particulières, c'est-à-dire une décision de la
Commission, avec droit d'appel à un conseil arbi-
tral, puis à un juge-arbitre et en dernier lieu, un
contrôle judiciaire sous le régime de l'article 28 de
la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10] devant la Cour d'appel fédérale.
Bien que la Commission soit tenue de se conformer
à la décision que je vais rendre en l'espèce, la
meilleure procédure à suivre par la Commission
consiste à examiner la demande du demandeur et à
la trancher en tenant pour acquis que, s'il remplit
par ailleurs les exigences de la Loi, il a droit à des
prestations. Elle devra déterminer notamment s'il
était raisonnable pour lui de rester à la maison
lorsque sa femme y était déjà, ainsi que l'exige
l'article 32.
Le demandeur a également demandé à l'alinéa
20d) que je déclare invalide l'article 32, et que je
déclare également que cet article devrait continuer
d'avoir le même effet jusqu'à un moment précisé
par la Cour et jugé suffisant pour permettre la
modification de la loi conformément à la Charte.
Au lieu d'adopter cette solution, j'ai discuté avec
les avocats de la possibilité de faire usage du
pouvoir que je tiens de la Règle 341A [Règles de
la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663;
DORS/79-57, art. 8] pour suspendre mon juge-
ment jusqu'à l'issue de l'appel, au cas où je ren-
drais un jugement déclaratoire qui impliquerait la
nécessité de modifications législatives. Les avocats
ont convenu que ce serait une mesure appropriée.
Je vais donc suspendre mon jugement dans la
pensée qu'entretemps, une mesure législative
appropriée sera nécessairement envisagée si un
appel était formé et rejeté. Cela permettra égale-
ment de continuer le versement des prestations
prévues actuellement par la Loi.
Bien que le demandeur ait réclamé des intérêts
sur toute somme dont je pouvais juger qu'elle lui
est due, comme je ne me suis pas prononcé sur
cette question, je n'ai pas à examiner celles des
intérêts.
Les dépens
Il a été convenu que les avocats auraient encore
la possibilité d'aborder la question des dépens une
fois les motifs prononcés. Je vais donc ajourner la
détermination des dépens et l'inscription du juge-
ment formel jusqu'à ce que les avocats aient
abordé cette question.
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