T-2014-87
John Paul Gariepy (demandeur)
c.
L'administrateur de la Cour fédérale du Canada,
la Commission de la Fonction publique et Sa
Majesté la Reine (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: GARIEPY c. CANADA (ADMINISTRATEUR DE LA
COUR FÉDÉRALE)
Division de première instance, juge McNair—
Vancouver, 25 avril; Ottawa, 22 août 1988.
Fonction publique Processus de sélection — Concours —
Les attentes professionnelles d'un fonctionnaire ont été contra
riées lorsqu'un poste a été classifié dans la catégorie «bilingue
à nomination impérative» Il a obtenu une injonction inter-
locutoire suspendant le processus de sélection jusqu'au pro-
noncé du jugement déclaratoire — Requête en vue d'autoriser
la reclassification du poste dans la catégorie «bilingue à
nomination non impérative» ainsi que la dotation du poste et
d'ordonner la radiation de la déclaration au motif qu'elle est
redondante La reclassification du poste dans la catégorie
«bilingue à nomination non impérative» outrepasse-t-elle la
portée de l'action? La déclaration n'est pas radiée — Il est
admis que la décision de classifier le poste d'administrateur de
district de la Cour fédérale, à Vancouver, dans la catégorie
«bilingue à nomination impérative» était peut-être une erreur
Les défendeurs essaient de désamorcer la question
Injonction interlocutoire adressée à l'entité compétente en ce
qui a trait aux concours dans la Fonction publique Il faut
tenir compte de la question de l'intérêt public Ordonnance
permettant la modification des conditions linguistiques et la
reprise du processus de sélection.
Contrôle judiciaire — Recours en equity Injonctions
Les attentes professionnelles du demandeur ont été contrecar-
rées lorsqu'un poste de la Fonction publique a été reclassifié
dans la catégorie «bilingue à nomination impérative» puisque
le demandeur ne répondait pas à ces exigences et ne pouvait
poser sa candidature — Poursuite engagée au motif que I) la
classification était abusive, arbitraire et excessive et 2) il y a
eu contravention à une obligation d'équité Injonction inter-
locutoire accordée en vue de suspendre le processus de sélec-
tion Requête en vue d'autoriser la reclassification du poste
dans la catégorie «bilingue à nomination non impérative» ainsi
que la dotation du poste — Puisque l'injonction interlocutoire
vise l'entité compétente en ce qui a trait aux concours dans la
Fonction publique, il faut tenir compte de la question de
l'intérêt public pour évaluer les conséquences imputables à la
reclassification Il serait contraire à l'intérêt public d'empê-
cher les défendeurs de remédier au préjudice que l'injonction
interlocutoire vise à interrompre Pareille ordonnance ne
porte pas préjudice à la cause d'action du demandeur.
Contrôle judiciaire Recours en equity — Jugements
déclaratoires — Reclassification des conditions linguistiques
d'un poste de la Fonction publique qui empêchaient le deman-
deur de poser sa candidature — Poursuites visant notamment
à obtenir des déclarations portant I) que le demandeur a les
compétences voulues pour postuler l'emploi et 2) que les
défendeurs sont liés par une obligation d'équité envers le
demandeur lorsqu'ils énoncent les conditions de candidature
requises pour un poste et qu'ils évaluent les compétences du
demandeur à cet égard — Requête visant à reclassifier le poste
dans la catégorie «bilingue à nomination non impérative» et,
par conséquent, à radier la déclaration parce qu'elle est redon-
dante — Examen de la nature et de la portée du jugement
déclaratoire — La Cour a compétence pour prononcer des
jugements déclaratoires, même en l'absence de cause d'action,
mais doit exercer ce pouvoir avec beaucoup de retenue — Le
redressement demandé pourrait-il vraiment permettre de
régler un conflit réel? — La permission de reclassifier les
conditions de bilinguisme du poste n'a pas pour effet de rendre
purement théorique la déclaration relative aux droits du
demandeur.
Pratique Plaidoiries Requête en radiation — Déclara-
tion visant à obtenir une ordonnance pour annuler la désigna-
tion d'un poste de la Fonction publique comme «bilingue à
nomination impérative» ainsi que des déclarations relatives
aux droits du demandeur — L'ordonnance autorisant la
reclassification du poste dans la catégorie «bilingue à nomina
tion non impérative», permettant ainsi au demandeur de poser
sa candidature, est accordée — La requête en radiation de la
déclaration parce qu'elle est inutile et redondante est rejetée
Les défendeurs ne peuvent invoquer les Règles 419b) et f)
parce qu'ils avaient déjà plaidé en fonction de la déclaration
— Les allégations relatives à la dérogation aux droits du
demandeur et les demandes de jugement déclaratoire faites en
conséquence suffisent à soulever un litige qui doit être réglé
devant les tribunaux.
Il s'agirait d'une requête en vue d'obtenir les ordonnances
suivantes: (I) autorisant la reclassification du poste d'adminis-
trateur de district de la Cour fédérale, à Vancouver, dans sa
catégorie originale (»bilingue à nomination non impérative»),
(2) autorisant les défendeurs à combler le poste, et (3) radiant
la déclaration parce qu'elle est inutile et redondante. Les
attentes professionnelles du demandeur ont été contrecarrées
lorsque les conditions de bilinguisme applicables au poste ont
été reclassifiées une première fois comme «bilingue à nomina
tion impérative», puisque le demandeur était incapable de
satisfaire ces exigences, ce qui l'a empêché de postuler l'emploi.
Dans sa déclaration, le demandeur prétend que la décision de
l'administrateur était abusive, arbitraire et excessive et qu'il
avait contrevenu à son obligation d'équité envers le demandeur.
Le demandeur a demandé les redressements suivants: I) ordon-
ner l'annulation de la décision visant à désigner le poste comme
«bilingue à nomination impérative», 2) déclarer que le deman-
deur a les compétences voulues pour postuler à l'emploi, et 3)
déclarer que les défendeurs sont liés par une obligation d'équité
envers le demandeur lorsqu'ils énoncent les conditions de candi-
dature requises pour le poste et qu'ils évaluent les compétences
du demandeur à cet égard. Le processus de sélection a été
suspendu par voie d'injonction interlocutoire. Le demandeur
prétend que la reclassification du poste dans la catégorie origi-
nale ne règle pas toute la poursuite intentée et que le jugement
déclaratoire demandé n'est pas purement théorique puisque le
règlement du conflit relatif à ses compétences aurait des consé-
quences pratiques importantes. Le demandeur prétend égale-
ment que les défendeurs ne peuvent invoquer l'emploi abusif
des procédures puisqu'ils ont déjà plaidé en fonction de la
déclaration. Enfin, il a été allégué qu'une modification du statu
quo actuel serait préjudiciable à la cause d'action du
demandeur.
Jugement: l'administrateur devrait être autorisé à modifier
les conditions de bilinguisme applicables au poste, de «bilingue
à nomination impérative» à «bilingue à nomination non impéra-
tive», et combler le poste, mais la déclaration ne devrait pas être
radiée.
Il faut tenir compte de la question de l'intérêt public pour
évaluer les conséquences imputables à la reclassification de ce
poste comme «bilingue à nomination non impérative» parce que
l'injonction interlocutoire était adressée à l'entité compétente
en ce qui a trait aux concours dans la Fonction publique. Les
défendeurs veulent remédier au préjudice que l'injonction inter-
locutoire visait à interrompre. Ils devraient pouvoir reclassifier
le poste comme «bilingue à nomination non impérative» puis-
qu'il serait contraire à l'intérêt public de retarder la sélection et
le concours. Cette ordonnance ne porterait pas préjudice à la
«cause d'action» du demandeur, au sens de l'arrêt Jackson v.
Spittal, ni ne priverait de quelque façon ce dernier d'être
entendu de façon équitable devant les tribunaux.
Il fallait examiner la nature et la portée du jugement décla-
ratoire pour déterminer si, en l'espèce, il pourrait véritablement
permettre de régler un conflit réel imputable aux faits. La
Règle 1723 prévoit que la Cour peut faire des déclarations de
droit obligatoires, qu'un redressement soit ou non demandé en
conséquence. Les tribunaux peuvent prononcer des jugements
déclaratoires même s'il n'existe aucune cause d'action, mais ils
doivent exercer ce pouvoir avec beaucoup de retenue. La reclas-
sification du poste comme «bilingue à nomination non impéra-
tive» ne modifierait pas la plainte du demandeur portant sur le
traitement inéquitable qu'il a reçu à tel point que la raison de
sa plainte ne serait plus un motif de conflit réel, ce qui
signifierait que le règlement des questions en litige aurait peu
d'importance sur le plan pratique.
Les défendeurs ne peuvent invoquer les Règles 419(1)b) et . /)
pour demander la radiation de la déclaration parce qu'ils ont
déjà plaidé en fonction de cette déclaration. Puisque la Règle
419 était mentionnée de façon générale dans l'avis de requête, il
fallait tenir compte de l'argument portant que la reclassifica-
tion du poste enlevait au demandeur toute cause raisonnable
d'action en vertu de la Règle 419(1)a). Les allégations conte-
nues dans la déclaration et relatives à la dérogation aux droits
du demandeur ainsi que les demandes de jugement déclaratoire
faites en conséquence suffisent à soulever un litige qui doit être
réglé devant les tribunaux. Les défendeurs n'ont pas réussi à
démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la
demande de jugement déclaratoire du demandeur est si futile et
sans fondement qu'elle devrait être radiée de façon sommaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III.
Décret d'exclusion sur les langues officielles dans la
Fonction publique, DORS/81-787.
Judicature Act (R.-U.) 1873, chap. 66.
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970,
chap. P-32.
Règlement .sur les langues officielles lors de nominations
dans la Fonction publique, DORS/81-787.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
419(1)a),6), )), 1723.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Landreville c. La Reine, [1973] C.F. 1223; 41 D.L.R.
(3d) 574 (I' inst.); Kelso c. La Reine, [1981] 1 R.C.S.
199; 120 D.L.R. (3d) 1; Procter & Gamble Co. c.
Nabisco Brands Ltd. (1985), 62 N.R. 364; 5 C.P.R. (3d)
417 (C.A.F.); Manitoba (Procureur général) c. Metropo
litan Stores Ltd., [ 1987] I R.C.S. 110; Ellis v. Home
Office, [1953] 2 Q.B. 135 (C.A.); Jackson v. Spittal
(1870), L.R. 5 C. P. 542; Montreuil c. La Reine, [1976]
1 C.F. 528 (C.A.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Simmons v. Foster, [1955] R.C.S. 324; [1955] 2 D.L.R.
433; MacLeod et al. v. White (1955), 37 M.P.R. 341
(C.S.N.-B.); Syndicat des postiers du Canada c. Procu-
reur général du Canada (1978), 93 D.L.R. (3d) 148
(C.F. I'° inst.); Gibson v. Union of Shop, Distributive and
Allied Workers, [1968] 2 All E.R. 252 (Ch. D.); Grant v.
Knaresborough Urban Council, [1928] Ch. 310.,
DÉCISIONS CITÉES:
Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c. International
Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (I'° inst.); Vulcan
Equipment Co. Ltd. c. The Coats Co., Inc., [1982] 2 C.F.
77 (C.A.); Operation Dismantle Inc. et autres c. La
Reine et autres, [1985] I R.C.S. 441; 18 D.L.R. (4th)
481.
AVOCATS:
J. Aldridge pour le demandeur.
R. Cousineau, c.r. pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Rosenbloom & Aldridge, Vancouver, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: Les défendeurs ont présenté
une requête visant à obtenir les redressements
suivants de la Cour:
a) UNE ORDONNANCE autorisant le défendeur, l'administra-
teur de la Cour fédérale du Canada, à modifier les condi
tions de bilinguisme applicables au concours n°
87-FCT-CC-VAN-92-95, pour le poste d'administrateur de
district, à Vancouver, de »bilingue à nomination impérative»
à »bilingue à nomination non impérative»; et
b) UNE ORDONNANCE autorisant le défendeur, l'administra-
teur de la Cour fédérale du Canada, à poursuivre la sélec-
tion et le concours visant à combler le poste d'administra-
teur de district, à Vancouver; et
e) UNE ORDONNANCE radiant la déclaration du demandeur, en
vertu de la Règle 419, parce qu'une fois que sont prononcées
les ordonnances demandées aux alinéas a) et b), la déclara-
tion du demandeur devient inutile et redondante.
Vers le mois d'août 1987, le poste d'administra-
teur de district pour le bureau local de Vancouver
du greffe de la Cour fédérale du Canada a été
classifié pour la première fois sous la catégorie
«bilingue à nomination impérative», à la demande
du défendeur, Robert Biljan, administrateur. Sui-
vant les conseils de son avocat, l'administrateur
demande maintenant la permission de la Cour
pour reclassifier les conditions de bilinguisme
applicables au concours visant à combler le poste
d'administrateur de district pour le bureau de
Vancouver, de «bilingue à nomination impérative»
à «bilingue à nomination non impérative», confor-
mément à l'affidavit qu'il dépose à l'appui de sa
requête. Malheureusement, beaucoup d'eau a
coulé sous les ponts depuis la première classifica
tion de ce poste.
Au cours du mois d'août 1987, le demandeur a
appris de l'administrateur de district en poste,
Charles E. Stinson, qu'il allait être promu et muté
à Ottawa et qu'en conséquence, le poste d'adminis-
trateur de district devrait être comblé. Vers la
même période, l'administrateur a publié l'annonce
du concours dans laquelle le poste était classifié
«bilingue à nomination impérative». Le demandeur
avait occupé le poste d'administrateur adjoint de
district pour le bureau local de Vancouver, du 31
mars 1982 jusque vers janvier 1987, lorsque son
poste a été reclassifié sous l'étiquette de greffier.
Pendant toute cette période, il a bien rempli les
fonctions d'administrateur adjoint de district et à
certaines occasions, il a remplacé l'administrateur
de district en son absence. Ni le demandeur, ni
l'administrateur de district de l'époque, M. Stin-
son, ne maîtrisaient assez bien le français pour
occuper un poste de catégorie «bilingue à nomina
tion impérative». Le demandeur était déçu de la
décision soudaine de l'administrateur de classifier
le poste comme «bilingue à nomination impérative»
parce que cela semblait l'empêcher de postuler
l'emploi. Par conséquent, il a engagé la présente
poursuite en déposant une déclaration le 23 sep-
tembre 1987. Les paragraphes 27 et 28 de la
déclaration reprennent la partie essentielle de la
plainte du demandeur, c'est-à-dire (1) que la déci-
sion de l'administrateur de classifier le poste d'ad-
ministrateur de district comme «bilingue à nomi
nation impérative» sans prévoir qu'il puisse être
comblé par une «nomination non impérative» était
abusive, arbitraire et excessive, compte tenu du
poste et des dispositions de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique [S.R.C. 1970, chap.
P-32], du Décret d'exclusion sur les langues offi-
cielles dans la Fonction publique [DORS/81-787]
et du Règlement sur les langues officielles lors de
nominations dans la Fonction publique
[DORS/81-787]; et (2) que l'administrateur et la
Commission de la Fonction publique ont contre-
venu à leur obligation d'équité envers le deman-
deur en classant le poste comme «bilingue à nomi
nation impérative». Voici les redressements
demandés en conclusion de la déclaration du
demandeur:
[TRADUCTION] a) ordonner l'annulation de la décision de l'ad-
ministrateur visant à désigner le poste comme «bilingue à
nomination impérative» plutôt que «bilingue à nomination
non impérative»;
b) déclarer que le demandeur a les compétences voulues pour
postuler l'emploi d'administrateur de district du greffe de
la Cour fédérale du Canada, à Vancouver (Colombie-Bri-
tannique);
c) déclarer que les défendeurs sont liés par une obligation
d'équité envers le demandeur lorsqu'ils énoncent les condi
tions de candidature requises pour le poste d'administra-
teur de district de la Cour fédérale du Canada et qu'ils
évaluent les compétences du demandeur à cet égard;
d) ordonner aux défendeurs de ne nommer personne d'autre
au poste visé avant que le demandeur n'ait eu la chance de
postuler et de faire évaluer ses compétences par la Com
mission de la Fonction publique;
e) ordonner qu'un représentant de la C.F.P. soit nommé au
comité d'évaluation chargé de doter le poste;
f) prononcer une injonction interlocutoire provisoire;
g) les frais;
h) tout autre redressement que la Cour jugera nécessaire.
En même temps qu'il a déposé sa déclaration, le
demandeur a présenté une requête en vue d'empê-
cher les défendeurs de procéder au concours visant
à doter le poste d'administrateur de district pour le
bureau de Vancouver; le juge Muldoon a été saisi
de cette requête le 8 octobre 1987. Le juge a mis la
décision en délibéré puis, après avoir rédigé des
motifs très complets, il a prononcé l'ordonnance
suivante le 6 novembre 1987:
I. LA COUR ORDONNE qu'il soit interdit aux défendeurs,
l'administrateur de la Cour fédérale du Canada (ci-après
désigné «l'administrateur») et la Commission de la Fonction
publique (ci-après désignée «la Commission»), de procéder
à une nomination ou de suppléer à une vacance au poste
d'administrateur de district du bureau de Vancouver du
greffe de la Cour jusqu'au prononcé du jugement, à la suite
de l'audition de l'action ou jusqu'à ce qu'une autre ordon-
nance ait été rendue par la Cour;
2. LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT aux défendeurs, l'admi-
nistrateur et la Commission, de suspendre le processus de
sélection et le concours entrepris en vue de doter ou de
combler le poste d'administrateur de district du bureau
local de Vancouver du greffe de la Cour jusqu'au prononcé
du jugement, à la suite de l'audition de l'action ou jusqu'à
ce qu'une autre ordonnance ait été rendue par la Cour;
3. LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT qu'il soit interdit aux
défendeurs, l'administrateur et la Commission, d'obliger le
demandeur à subir d'autres examens de langue française
pour établir son admissibilité au concours visant à doter ou
à combler le poste d'administrateur de district du bureau
local de Vancouver du greffe de la Cour jusqu'au prononcé
du jugement, à la suite de l'audition de l'action ou jusqu'à
ce qu'une autre ordonnance ait été rendue par la Cour; et
4. LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT aux défendeurs de payer
au demandeur les dépens taxés entre parties relatifs à cette
requête, quel que soit le jugement rendu en l'instance.
Les avocats des deux parties ont plaidé leur
cause respective avec compétence.
Les défendeurs ont prétendu que l'administra-
teur devrait pouvoir changer d'avis et reclassifier
le poste dans sa catégorie initiale, à savoir «bilin-
gue à nomination non impérative». Une fois que
cette autorisation est donnée, le processus de sélec-
tion doit être respecté et le demandeur peut postu-
ler au même titre que quiconque. La décision de
reclassifier le poste rendrait la poursuite du
demandeur tout à fait inutile et redondante et en
conséquence, elle devrait être radiée en vertu de la
Règle 419(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663] et notamment, des alinéas b) et f) de
celle-ci.
L'avocat du demandeur allègue que la reclassifi-
cation du poste dans la catégorie «bilingue à nomi
nation non impérative» ne règle pas toute la pour-
suite intentée par le demandeur; celle-ci visait
surtout à établir les attentes légitimes de ce dernier
en matière de promotion. Il prétend énergiquement
que le fait que les défendeurs aient apparemment
changé d'avis ne suffit pas à justifier la radiation
de la déclaration, ce qui priverait le demandeur du
droit de voir les questions en litige réglées sur le
fond. Ces questions portent sur une obligation
d'agir de façon équitable envers le demandeur à
l'égard de ses compétences pour le poste d'admi-
nistrateur de district ainsi que sur une question
accessoire, à savoir si l'administrateur a agi légale-
ment en classifiant le concours comme «bilingue à
nomination impérative». Me Aldridge ajoute que le
simple fait d'éliminer la cause immédiate de l'ac-
tion n'a aucune incidence sur la cause juridique de
l'action lorsqu'elle est fondée, comme en l'espèce,
sur les faits à l'origine de la plainte du demandeur.
Quant au caractère déclaratoire du redresse-
ment demandé, l'avocat du demandeur prétend
que les alinéas b) à h) des redressements demandés
dans la déclaration ne sont pas purement théori-
ques puisqu'ils portent sur la compétence du
demandeur pour occuper le poste d'administrateur
de district et l'obligation d'agir de façon équitable
qui lui est apparemment due à cet égard; par
conséquent, le règlement du litige portant sur sa
compétence et sur une évaluation équitable de
celle-ci aurait des conséquences pratiques réelles et
importantes. Pour étayer ces prétentions, l'avocat
se fonde sur les arrêts Landreville c. La Reine,
[1973] C.F. 1223, 41 D.L.R. (3d) 574 (1« inst.) et
Kelso c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 199; 120
D.L.R. (3d) 1.
Quant à la question de l'emploi abusif des procé-
dures visé par la Règle 419(1)f), l'avocat prétend
que les défendeurs ont plaidé en fonction de la
déclaration, ce qui les empêche d'invoquer ce motif
pour annuler la déclaration, suivant les principes
établis dans Procter & Gamble Co. c. Nabisco
Brands Ltd. (1985), 62 N.R. 364; 5 C.P.R. (3d)
417 (C.A.F.). Enfin, il ajoute que les défendeurs
n'ont plus aucune preuve qui puisse justifier un
déplacement de l'appréciation des inconvénients
assez important pour que le statu quo actuel en
soit modifié, comme le prévoit d'ailleurs l'ordon-
nance du juge Muldoon.
En réponse, Me Cousineau, c.r., soumet les allé-
gations suivantes. Il affirme assez candidement
que sa requête a pour but de désamorcer toute la
question tout en accordant au demandeur le pre
mier redressement demandé. Essentiellement, cela
permettrait de remédier à tout manquement à
l'obligation d'agir équitablement envers le deman-
deur, qu'elle soit réelle ou non, rendant ainsi tout à
fait inutile la question de savoir si la classification
de «bilingue à nomination impérative» était équita-
ble au départ. De plus, il insiste pour affirmer que
la Cour n'a pas compétence pour ordonner de
façon générale que le demandeur soit traité équita-
blement pendant le processus de sélection. Ce pou-
voir relève plutôt, et à raison, du processus de
sélection prévu dans la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique qui donne un droit d'appel con-
venable à tout candidat lésé par une nomination à
un poste dans la Fonction publique.
Me Cousineau admet que la décision de classi-
fier le poste comme «bilingue à nomination impé-
rative> était peut-être une erreur. Cependant, la
décision de reclassifier le poste dans sa catégorie
originale remédie à cette situation et a de plus
pour effet de donner au demandeur tous les redres-
sements pratiques qu'il cherchait à obtenir. Cela
dit, il pose la question suivante: quelles seraient les
conséquences utiles et pratiques si l'on insistait
pour que la poursuite originale soit entendue sui-
vant des allégations d'iniquité et d'illégalité, qui
sont depuis devenues tout à fait inutiles et redon-
dantes? Selon Me Cousineau, il s'ensuit donc que
les facteurs plaidés au paragraphe 32 de la défense
pour justifier la classification du poste dans la
catégorie «bilingue à nomination impérative, sont
devenus tout à fait théoriques et inutiles, compte
tenu de la bonne volonté dont font preuve les
défendeurs pour éliminer la cause première de la
plainte.
Il faut tout d'abord établir si les défendeurs
devraient être autorisés à modifier les conditions
de bilinguisme applicables au concours afin de
rétablir l'ancienne classification de «bilingue à
nomination non impérative», ce qui permettrait au
processus de sélection de reprendre son cours en
vue d'atteindre la décision finale, c'est-à-dire la
nomination d'un administrateur de district pour le
bureau de Vancouver. Comme nous l'avons déjà
souligné, l'avocat du demandeur estime que toute
modification apportée à la situation de statu quo
porterait préjudice à la cause d'action du deman-
deur, comme le prévoit la présente injonction.
Dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c.
Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, le
juge Beetz a repris les principes applicables à
l'injonction interlocutoire visant à suspendre l'ap-
plication d'une loi contestée sur le plan constitu-
tionnel, et il a conclu ce qui suit, à la page 136:
... dans les cas où il s'agit d'injonctions interlocutoires adres-
sées à des organismes constitués en vertu d'une loi, ils ont
conclu à bon droit que c'est une erreur que d'agir à leur égard
comme s'ils avaient un intérêt distinct de celui du public au
bénéfice duquel ils sont tenus de remplir les fonctions que leur
impose la loi.
Même si la constitutionnalité des lois sur l'em-
ploi dans la Fonction publique n'est pas mise en
cause directement en l'espèce, contrairement à
l'affaire Metropolitan Stores Ltd., j'estime toute-
fois qu'il s'agit d'une injonction interlocutoire
adressée à l'entité compétente en ce qui a trait au
concours de dotation du poste d'administrateur de
district pour le bureau de Vancouver. Par consé-
quent, je suis d'avis qu'il faut tenir compte de la
question de l'intérêt public pour évaluer les consé-
quences imputables à la reclassification de ce poste
comme «bilingue à nomination non impérative».
Dans l'arrêt Ellis v. Home Office, [1953] 2 Q.B.
135 (C.A.), le lord juge Singleton énonce ce con
cept de droit à la page 143:
[TRADUCTION] Le désir de tout tribunal est, avant tout, de
s'assurer que chaque partie dispose et semble disposer de
chances égales.
Dans cette même décision, le lord juge Morris fait
l'affirmation suivante à la page 147:
[TRADUCTION] Pour évaluer l'intérêt public ... il convient
de rappeler l'un des aspects de l'intérêt public: la justice doit
être impartiale et donner l'impression de l'être.
La présente injonction vise à suspendre le pro-
cessus de sélection et le concours de dotation du
poste d'administrateur de district et à empêcher
toute nomination à ce poste, en fonction de la
classification modifiée comme «bilingue à nomina
tion impérative». Le préjudice a été interrompu.
Les défendeurs veulent maintenant y remédier en
reclassifiant le poste comme «bilingue à nomina
tion non impérative». Faut-il les en empêcher? Je
suis forcé de conclure par la négative. Il me semble
que ce serait contraire à l'intérêt public que de
mettre fin à la sélection et au concours, puisque les
défendeurs sont prêts à corriger la situation en
reclassifiant le poste dans sa catégorie originale.
Dans l'ancien arrêt Jackson v. Spittal (1870),
L.R. 5 C. P. 542, l'expression [TRADUCTION]
«cause d'action» [à la page 542] signifiait [TRA-
DUCTION] «l'acte posé par les défendeurs qui cons-
titue le motif de la plainte du demandeur». Cette
définition est tout aussi valable de nos jours. Je ne
vois pas comment une ordonnance prononcée selon
les alinéas a) et b) de la requête pourrait porter un
préjudice grave à la plainte du demandeur selon
les faits existants au moment où l'action a été
intentée ou le priver de quelque façon d'être
entendu de façon équitable devant les tribunaux.
Je suis donc prêt à prononcer une ordonnance en
ce sens.
Compte tenu de ce qui précède, il reste à déter-
miner si le jugement déclaratoire visé par le
demandeur pourrait véritablement permettre de
régler un conflit réel imputable aux faits existant à
l'époque où l'action a été intentée. La question
pourrait être posée de la façon suivante: existe-t-il
toujours une controverse entre les parties qui
devrait être réglée devant les tribunaux ou est-ce
que le litige original est maintenant purement
théorique? Pour répondre à cette question, il
faudra tout d'abord examiner la nature et la portée
du jugement déclaratoire.
Voyons d'abord la Règle 1723 des Règles de la
Cour fédérale dont voici le texte:
Actions visant à un jugement déclaratoire
Règle 1723. Il ne peut être fait opposition à une action pour le
motif que cette action ne vise qu'à l'obtention d'un jugement ou
d'une ordonnance purement déclaratoires; et la Cour pourra
faire des déclarations de droit obligatoires, qu'un redressement
soit ou puisse être demandé ou non en conséquence.
Cette Règle de la Cour fédérale reprend presque
litéralement l'ancienne règle anglaise [Supreme
Ct. Rules], Ordonnance 25, Règle 5, adoptée en
1883 en vertu de la Judicature Act (R.-U.), 1873,
chap. 66 (Imp.), comme conséquence législative de
l'ancienne pratique du régime de Chancery.
L'équivalent de notre Règle existe dans presque
tous les territoires et toutes les provinces de
common law du Canada.
Dans l'affaire Simmons v. Foster, [1955]
R.C.S. 324; [1955] 2 D.L.R. 433, la Cour a conclu
qu'un jugement déclaratoire peut être prononcé
même s'il n'existe aucune cause d'action, si le
demandeur réclame un redressement. Dans ce cas
toutefois, le tribunal doit exercer ses pouvoirs dis-
crétionnaires avec beaucoup de retenue. Dans cet
arrêt, la Cour a refusé de prononcer un jugement
déclaratoire parce qu'il n'aurait pas pu servir à
régler les problèmes existant entre les parties et
qu'il aurait été [TRADUCTION] «contraire aux
principes reconnus sur lesquels est fondée la com-
pétence de la Cour».
Voici le raisonnement avancé par le juge Estey
aux pages 330 et 331 R.C.S.; 446 D.L.R.:
[TRADUCTION] Par sa demande reconventionnelle, l'intimé
cherche à obtenir un jugement déclaratoire, comme nous
l'avons déjà dit, portant sur l'écoulement naturel des cours
d'eau. Comme de nombreuses autres provinces, Terre-Neuve a
adopté l'Ordonnance 25, Règle 5 des English Supreme Court
Rules qui prévoit que la Cour peut faire «des déclarations de
droit, qu'un redressement soit ou puisse être demandé ou non
en conséquence.» La Cour peut faire ce genre de déclaration,
même en l'absence d'une cause d'action, si le demandeur
réclame un redressement. Swift Current v. Leslie et al ((1916)
9 W.W.R. 1024); Kent Coal Co. Ltd. v. Northwestern Utilities
Ltd. ([1936] 2 W.W.R. 393); Guaranty Trust Co. of New York
v. Hannay & Co. ([1915] 2 K.B. 536). Dans cette dernière alfa
ire, le juge Bankes affirme ce qui suit à la p. 572:
Il existe toutefois une restriction dont il faut toujours tenir
compte, c'est-à-dire que le redressement réclamé ne doit pas
être illicite, inconstitutionnel ou inéquitable si la Cour l'ac-
corde ou contraire aux principes reconnus sur lesquels est
fondée la compétence de la Cour. Sous réserve de cette
restriction, je ne vois rien qui empêche la Cour d'exercer ses
pouvoirs discrétionnaires et d'accorder le redressement
demandé; quant aux besoins du milieu des affaires en général
et à l'importance d'un mécanisme judiciaire adapté aux
situations, j'estime que l'arrêt devrait être interprété de la
façon la plus libérale possible.
Par dérogation à cette interprétation libérale de la règle, la
doctrine a insisté à plusieurs occasions pour que ces pouvoirs
discrétionnaires soient exercés avec beaucoup de soin et de
prudence. Halsbury's Laws of England, 2' éd., vol. 19, à la p.
215, par. 512; Annual Practice 1955, Ordonnance 25, Règle 5,
à la p. 425; Holmested & Langton, Ontario Judicature Act, 5»
éd., à la p. 47.
Dans l'arrêt MacLeod et al. v. White (1955), 37
M.P.R. 341 (C.S.N.-B.), des propriétaires dans un
secteur résidentiel ont intenté une poursuite visant
notamment à obtenir un jugement déclaratoire
portant que le projet d'implantation par le défen-
deur d'une usine d'asphalte sur le terrain voisin
était contraire au règlement de zonage municipal.
Le tribunal a refusé de prononcer le jugement
déclaratoire au motif qu'il n'aurait constitué rien
de plus qu'un avis juridique, ne liant aucunement
les parties.
Voici le principe énoncé par le juge en chef
McNair à la page 361:
[TRADUCTION] Suivant les principes établis, je suis tenu de
conclure que les jugements déclaratoires ne peuvent être pro-
noncés que lorsqu'ils constituent des «déclarations de droit
obligatoires» selon les termes exacts de la règle.
Il n'appartient pas au tribunal de donner des avis juridiques
sur des questions de fait ou de droit qui pourraient confondre
les habitants de Lancaster. Ses déclarations doivent être obliga-
toires pour une partie, au profit d'une autre. Il me semble que
les demandeurs cherchent à obtenir de la Cour un avis juridi-
que et non un avis judiciaire de nature obligatoire.
Je ne vois pas comment un jugement déclaratoire de ce genre
pourrait lier une partie ou en favoriser une autre en droit. La
situation aurait été différente si l'action avait été intentée pour
le compte du procureur général. Dans ce cas, le jugement
déclaratoire serait applicable à l'encontre du défendeur Ste-
phen, en faveur des habitants de la municipalité en général.
Mais les déclarations demandées en l'espèce n'auraient aucun
effet à titre de jugement.
Dans l'arrêt Landreville c. La Reine, (précité),
les parties à une action en jugement déclaratoire
ont convenu de soumettre trois questions de droit à
une décision préliminaire avant le procès, confor-
mément à la Règle 474. La Cour a refusé de
répondre à deux des questions posées. Quant à la
troisième question, il s'agissait de déterminer la
compétence de la Cour pour prononcer un juge-
ment déclaratoire sur une question de droit dans le
cas où la déclaration n'aurait aucune conséquence
juridique mais aurait probablement des effets pra-
tiques. La Cour a répondu dans l'affirmative et
conclu qu'elle avait compétence pour prononcer
une déclaration qui, même sans conséquence juri-
dique, serait utile du point de vue pratique.
Par contre, dans l'arrêt Syndicat des postiers du
Canada c. Procureur général du Canada (1978),
93 D.L.R. (3d) 148 (C.F. 1" inst.), la Cour a
rejeté une demande de déclaration portant qu'une
loi visant à empêcher le syndicat des postiers de
faire la grève allait à l'encontre de la Déclaration
canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice
III], en matière d'égalité devant la loi, attendu que
le point soulevé était purement théorique et n'avait
plus d'incidence pratique. Cela illustre bien le fait
qu'habituellement, les tribunaux hésitent à
accueillir des demandes de jugement déclaratoire
qui ne soulèvent que des questions entièrement
théoriques et hypothétiques.
Comme je l'ai déjà mentionné, l'avocat des
défendeurs insiste sur le fait que la reclassification
du concours pour le poste d'administrateur de
district dans la catégorie «bilingue à nomination
non impérative» rend les questions soulevées par le
demandeur purement théoriques et qu'en consé-
quence, le procès n'a aucune utilité.
Une question semblable a été soulevée dans
l'affaire Gibson v. Union of Shop, Distributive and
Allied Workers, [1968] 2 All E.R. 252 (Ch. D.).
Dans cette cause, le demandeur cherchait à obtenir
une déclaration portant que son expulsion du syn-
dicat et sa suspension subséquente étaient illégales
et nulles. Il ne restait que trois semaines à la
période de suspension lorsque la défense a fait
valoir, en période préliminaire, qu'il serait inutile
que cette cause soit entendue. Le tribunal a rejeté
l'objection préliminaire et conclu qu'il fallait
entendre la poursuite.
Voici ce qu'a affirmé le juge Buckley, à la page
254:
[TRADUCTION] Je peux facilement comprendre qu'un tribunal
ne soit pas porté à entendre une poursuite et à se prononcer sur
la question soulevée si le demandeur demande un jugement
déclaratoire sur une question telle que le jugement n'aura
aucune incidence juridique; et je peux comprendre que cette
poursuite serait rejetée parce qu'il serait inutile de l'entendre.
Cependant, si au moment d'intenter la poursuite, le demandeur
a ou peut avoir une plainte justifiée, et non seulement théori-
que, qui porte sur des questions importantes de droit, il serait
difficile d'annoncer au demandeur, au moment du procès, que
la question ne devrait pas être entendue parce que le redresse-
ment demandé est maintenant beaucoup moins important ou
n'a plus de conséquence pratique à cause de la période écoulée
entre la date de délivrance du bref et l'ouverture du procès,
compte tenu des affaires de la cour et des étapes préalables ...
Néanmoins, la question qui oppose les parties en l'espèce n'est
pas purement théorique. De plus, les pouvoirs qui ont présumé-
ment été exercés de façon erronée par le syndicat défendeur
sont de nature disciplinaire et j'estime que la question de savoir
s'ils ont été exercés à bon ou à mauvais escient pourrait avoir
des répercussions autres que juridiques mais qui pourraient
influencer les relations entre le demandeur et son syndicat dans
l'avenir, notamment s'il voulait occuper un poste dans le
syndicat.
Il y a aussi l'arrêt Grant v. Knaresborough
Urban Council, [1928] Ch. 310, où la demande de
jugement déclaratoire du demandeur, portant
qu'un versement qu'il devait faire en vertu de la
Rating and Valuation Act [(Returns) Rules, 1926
(St. R. & 0., 1926, No. 795, p. 1368)] était
illégal, a été entendu même si les défendeurs ont
finalement retiré leur défense par laquelle ils
niaient l'invalidité de la formule et déclaré qu'ils
n'avaient pas l'intention de contester l'action.
Le juge Astbury a reconnu qu'il s'agissait d'une
affaire exceptionnelle et a motivé sa décision de la
façon suivante, à la page 317:
[TRADUCTION] Cette action vise à obtenir un jugement décla-
ratoire portant que certaines parties de cette formule sont
illégales et ultra vires. Au moment de délivrer un bref, le
demandeur avait le droit d'intenter cette poursuite. La formule
a ensuite été retirée mais le défendeur a ensuite proposé une
défense par laquelle il confirmait sa validité, Il a ensuite retiré
cette défense et le demandeur a dû s'interroger sur la décision à
prendre. Dans les circonstances, il n'était pas tenu de demander
un jugement par défaut si, ce faisant, il ne pouvait obtenir le
jugement auquel il avait clairement droit. La déclaration
demandée portait sur des preuves de l'invalidité de la formule
rédigée en vertu de la loi et le tribunal n'aurait pas rendu ce
genre de jugement, à la suite d'une requête de jugement par
défaut, en l'absence de preuves et d'arguments.
Dans ces circonstances, le demandeur avait le droit de pour-
suivre l'action intentée et d'essayer d'établir le bien-fondé de
ses prétentions.
Il existe quelques similitudes entre l'arrêt Kelso
c. La Reine (précité), en Cour suprême, et l'espèce.
L'appel était interjeté par un contrôleur aérien
anglophone unilingue qui avait été transféré,
malgré ses protestations, de Montréal à Cornwall,
après que son poste à Montréal eut été déclaré
bilingue. Il a demandé à la Cour fédérale de
déclarer qu'il avait le droit de réintégrer son
ancien poste. L'action a été rejetée en première
instance [[1979] 2 C.F. 726 (lie inst.)] et en appel
par la Cour fédérale [[1980] 1 C.F. 659], allé-
guant que son acceptation du transfert à Cornwall
avait éteint les droits déclaratoires qu'il avait pu
avoir à l'égard du poste de Montréal. Devant la
Cour suprême, la Couronne a allégué qu'elle avait
un pouvoir général en matière d'allocation et de
gestion des ressources dans la Fonction publique et
que personne n'avait un droit acquis à l'égard d'un
poste en particulier.
Le juge Dickson [tel était alors son titre], au
nom de la Cour, a décrit la question en litige dans
les termes suivants, aux pages 208 et 209 R.C.S.; 8
D.L.R.:
La question est de savoir si l'intimée avait le droit de muter M.
Kelso sur le seul fondement de la compétence linguistique. J'ai
déjà conclu que le gouvernement n'avait pas ce droit.
En conclusion, le juge a offert cet énoncé de
principe, aux pages 210 R.C.S.; 9 D.L.R.:
Enfin, l'intimée allègue qu'il n'y a pas lieu de rendre un
jugement déclaratoire puisqu'il ne peut avoir aucun effet prati-
que. On fait valoir que la Commission de la Fonction publique
possède de façon exclusive le droit et l'autorité de nommer à
des postes de la Fonction publique. Un jugement déclaratoire
de la Cour ne peut pas avoir pour effet d'empêcher la Commis
sion d'exercer cette autorité, ce qui priverait le jugement de
tout effet pratique.
Certes, il est tout à fait juste de dire que la Cour ne peut pas
nommer M. Kelso à un poste de la Fonction publique. L'acte
administratif de nomination est du ressort de la Commission.
Mais la Cour a le droit de «déclarer» quels sont juridiquement
les droits respectifs de l'appelant et de l'intimée.
La Commission de la Fonction publique n'est pas au-dessus
des lois du pays. Si elle rompt un contrat ou contrevient à la loi,
les tribunaux ont le droit de le déclarer.
Essentiellement, le demandeur se plaint d'avoir
été traité de façon inéquitable par les défendeurs, à
la suite de la décision abusive, arbitraire et exces
sive de l'administrateur défendeur qui a classifié le
concours de dotation du poste d'administrateur de
district comme «bilingue à nomination impérative».
Il remet également en cause la légalité de cette
classification. Le demandeur se croit victime de ce
qui lui semble une dérogation à ses droits et il a
donc engagé cette poursuite déclaratoire en consé-
quence. Si cette situation a été modifiée par l'or-
donnance permettant la reclassification du poste
comme «bilingue à nomination non impérative», de
sorte que la raison de sa plainte n'est plus un motif
de conflit réel, cela signifie-t-il que le règlement
des questions en litige aurait peu d'importance sur
le plan pratique? Je ne le crois pas.
Examinons maintenant la dernière question qui
porte sur le bien-fondé de la requête en radiation.
Il me semble évident, d'après les arguments de M»
Cousineau, que la requête est fondée sur les alinéas
b) et f) de la Règle 419(1) ou, autrement dit, les
Règles 419(1)b) et 419(1)f).
L'arrêt Procter & Gamble Co. c. Nabisco
Brands Ltd., (précité), de la Cour d'appel fédérale,
que l'avocat du demandeur invoque vigoureuse-
ment, fait certainement jurisprudence sur le point
suivant: en général, un défendeur ne peut deman-
der la radiation de la déclaration de la partie
adverse en vertu des Règles 419(1)b) à f) inclusi-
vement, s'il a plaidé en conséquence et présenté sa
requête après un délai considérable, bien que cette
restriction ne s'applique pas à une requête en
radiation présentée en vertu de la Règle 419(1)a).
Dans l'arrêt Nabisco, la Cour d'appel a repris
l'énoncé de principe proposé par le juge Addy dans
l'arrêt Montreuil c. La Reine, [1976] 1 C.F. 528, à
la page 529:
Tant qu'au premier motif invoqué par le procureur de la
défenderesse, la défense générale déposée en réponse à la
déclaration constitue un obstacle fatal: lorsqu'une partie plaide
en réponse aux allégations contenues dans une plaidoirie de
l'adversaire sans soulever d'objection en droit à la forme ou au
contenu de la plaidoirie à laquelle il répond, il ne lui est pas
loisible par la suite de s'objecter à la plaidoirie de l'adversaire
sans retirer ou modifier sa propre plaidoirie en réponse à celle à
laquelle il s'objecte ... [C'est moi qui souligne.]
Par conséquent, je me sens obligé de statuer en
faveur de l'objection soulevée par l'avocat du
demandeur, à savoir que les défendeurs ne peuvent
invoquer les Règles 419(1 )b) et 419(1)f) à l'appui
de leur requête en radiation.
De toute évidence, les défendeurs auraient
mieux fait de fonder leurs arguments sur la propo
sition générale de la Règle 419(1)a) pour attaquer
la déclaration du demandeur, plutôt que de s'en
tenir aux objectifs définis aux alinéas b) et f) de la
Règle. Il n'en demeure pas moins que la Règle 419
était mentionnée de façon générale dans l'avis de
requête, restreinte uniquement par l'emploi des
mots «inutile ou redondante». Les règles de procé-
dure d'un tribunal sont conçues pour faciliter et
accélérer le cheminement des causes vers un objec-
tif général de justice et elles devraient être inter-
prétées de façon libérale, compte tenu de ce but
ultime. Me Cousineau a allégué énergiquement que
la reclassification du poste comme «bilingue à
nomination non impérative» permettrait de faire
d'une pierre deux coups: elle rendrait les alléga-
tions justificatrices du paragraphe 32 de la défense
tout à fait théoriques et, du même coup, rendrait
l'action déclaratoire du demandeur tout à fait
inutile et redondante. Ce que les défendeurs affir-
ment en réalité, par implication du moins, c'est
que la reclassification d'un poste ne laisse au
demandeur aucune cause raisonnable d'action. A
mon avis, le simple choix des mots «inutile ou
redondante» ne suffit pas, dans les circonstances,
pour conclure que les défendeurs s'étaient nette-
ment démarqués de la Règle 419(1)a) et j'ai l'in-
tention d'examiner la question en conséquence.
Que faudrait-il conclure?
Il est bien établi que dans le cas d'une requête
en radiation d'une déclaration en vertu de la Règle
419(1)a), les faits allégués dans celle-ci sont présu-
més vrais et la requête ne sera accordée que s'il est
évident que la cause ainsi plaidée est tellement
futile ou sans fondement qu'elle n'a aucune chance
d'être accueillie: Waterside Ocean Navigation Co.,
lnc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2
C.F. 257 (1" inst.); Vulcan Equipment Co. Ltd. c.
The Coats Co., Inc., [1982] 2 C.F. 77 (C.A.); et
Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et
autres, [1985] 1 R.C.S. 441; 18 D.L.R. (4th) 481.
Même si les défendeurs prétendent que la reclas-
sification du poste modifie toute la situation, je
suis convaincu que les allégations contenues dans
la déclaration et relatives à la dérogation aux
droits du demandeur ainsi que les demandes de
jugement déclaratoire faites en conséquence suffi-
sent à soulever un litige qui doit être réglé devant
les tribunaux, comme je l'ai déjà mentionné. Il est
vrai qu'il faudra peut-être reformuler ou éliminer
certaines des demandes de redressement faites en
conclusion de la déclaration afin de restreindre les
questions en litige. Je pense surtout aux demandes
de certiorari et de bref de prohibition prévues
respectivement aux alinéas a) et d). Cependant, je
n'ai pas l'intention de disséquer au hasard la décla-
ration du demandeur, de crainte d'en enlever trop
par inadvertance. J'estime que cette étape, au
besoin, devrait être accomplie lors du procès, après
l'interrogatoire préalable et les autres procédures
antérieures au procès. En conclusion, j'estime que
les défendeurs n'ont pas réussi à démontrer, selon
la prépondérance des probabilités, que la demande
de jugement déclaratoire du demandeur est si
futile et sans fondement, qu'elle devrait être radiée
de façon sommaire.
Pour ces raisons, une ordonnance sera prononcée
selon les alinéas a) et b) de la requête des défen-
deurs, mais la requête en radiation prévue à l'ali-
néa c) est rejetée. Aucuns frais ne sont adjugés à
l'égard de cette demande.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.