A-542-86
William James Millar (appelant)
c.
La Reine représentée par le Conseil du Trésor
(intimée)
A-543-86
Bryan Osborne (appelant)
c.
La Reine représentée par le Conseil du Trésor
(intimée)
A-556-86
Randy Barnhart, Linda Camponi, Michael Cas-
sidy, Ken Clavette et Heather Stevens (requé-
rants) (appelants)
c.
La Reine représentée par le Conseil du Trésor du
Canada et la Commission de la Fonction publique
(intimées)
RÉPERTORIÉ: OSBORNE C. CANADA (CONSEIL DU ,,TRÉSOR)
(CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Lacombe
—Ottawa, 7, 8 juin et 15 juillet 1988.
Fonction publique — L'art. 32(1)a) de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique, qui limite le droit des fonctionnai-
res «de travailler pour ou contre» des partis politiques, est
inopérant — À la lumière de l'art. 1 de la Charte, il ne s'agit
pas d'une limite raisonnable imposée aux libertés d'expression
et d'association — La portée du terme «travailler» n'est pas
précisée — Ce terme est susceptible d'une application discré-
tionnaire et par conséquent non raisonnable — L'art. 32(1)b),
qui apporte des limites au droit d'être candidat à une élection,
est exprimé dans des termes suffisamment définitifs.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fon-
damentales — L'art. 32 de la Loi sur l'emploi dans la Fonc-
tion publique limite le droit des fonctionnaires de travailler
pour ou contre des partis politiques et de participer à des
campagnes électorales — Bien que les activités touchées par
l'art. 32 puissent être visées par la garantie de la liberté
d'expression, elles sont aussi protégées de façon indépendante
par la garantie de la liberté d'association — La limite appor-
tée au droit d'être candidat à une élection est exprimée en des
termes suffisamment définitifs.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limita-
tive — L'art. 32(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique, qui restreint le droit des fonctionnaires «de travail-
ler» pour un parti politique, n'impose pas une limite dont la
justification peut se démontrer en vertu de l'art. 1 de la Charte
car il se prête à une application discrétionnaire — Limite non
raisonnable aux libertés d'expression et d'association — L'art.
1 de la Charte établit les seuls critères justificatifs auxquels
doivent satisfaire les restrictions apportées aux droits garantis
par la Charte — L'art. 26 de la Charte (qui prévoit l'existence
d'autres droits et libertés que n'écartent pas les garanties de la
Charte) ne permet pas qu'une mesure législative qui donne
effet à une règle constitutionnelle l'emporte par elle-même sur
toutes autres dispositions législatives.
Élections — L'art. 32 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique limite le droit des fonctionnaires de se livrer
à des activités politiques et d'être candidats à une élection —
Cette disposition viole-t-elle l'art. 2b) et d) de la Charte? —
Impose-t-elle une limite raisonnable aux libertés garanties
par la Charte? — Le droit d'association à des fins politiques
est fondamental au processus démocratique.
Il s'agit d'appels contre le rejet des actions engagées en vue
d'obtenir des jugements déclaratoires portant que l'article 32 de
la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique est inopérant
parce qu'il contrevient aux alinéas 2b) et d) de la Charte.
L'article 32 restreint le droit des fonctionnaires fédéraux de
participer à des campagnes électorales fédérales et provinciales
et de travailler pour ou contre des partis politiques et des
candidats. Il s'agissait de décider si l'article 32 empiète sur les
libertés d'expression et d'association des fonctionnaires fédé-
raux garanties par la Charte et, si tel est le cas, dans quelle
mesure cette restriction est justifiée en vertu de l'article 1 de la
Charte.
Arrêt: les appels devraient être accueillis, et l'alinéa 32(1)a)
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique devrait être
déclaré inopérant à l'égard des employés autres que les
sous-chefs.
L'article 32 contient deux limitations: celle qui vise les
activités politiques, et celle qui vise le droit d'être candidat à
une élection. On a dit que la règle constitutionnelle de neutra-
lité politique au sein de la fonction publique exprimée à l'article
32 est la source du droit du public en général d'être servi par
une fonction publique politiquement neutre. L'argument selon
lequel ce droit serait préservé par l'article 26 de la Charte (qui
prévoit que le fait que la Charte garantit certains droits et
libertés ne constitue pas une négation d'autres droits ou liber-
tés) ne peut être accueilli. La force exécutoire d'une mesure
législative qui limite des libertés garanties par la Charte ne doit
se mesurer qu'à l'aune de l'article 1 de la Charte. Reconnaître
que des mesures législatives qui donnent force de loi à une règle
constitutionnelle l'emportent en elles-mêmes sur toutes autres
dispositions législatives, ce serait permettre que les exceptions
et les limitations susceptibles d'être apportées aux droits garan-
tis par la Charte répondent à des critères différents de ceux qui
sont exposés à l'article 1. Cependant, l'existence d'une règle
constitutionnelle appuyant la limitation d'un droit garanti
pourrait aider à démontrer sa justification conformément
à l'article 1.
Il a aussi été avancé que l'article 32 ne viole pas la liberté
d'association des fonctionnaires. La Cour suprême du Canada a
étudié le sens à donner à la liberté d'association dans l'arrêt
Renvoi relatif à la Public Service Relations Act (Alb.), en
tenant compte de toute la gamme d'associations que doit viser
cette notion. Il a été statué que la liberté d'association est
particulièrement importante pour l'exercice d'autres libertés
fondamentales comme la liberté de conscience et de religion.
Celles-ci présentent un large champ de protection d'activités
collectives. Contrairement aux droits de négocier collectivement
et de faire la grève, en cause dans l'arrêt susmentionné, les
droits que doivent exercer les personnes qui s'associent à des
fins de politique électorale ne sont pas des créations de la loi. Ils
sont fondamentaux aux processus démocratique. Refuser la
possibilité d'influencer activement les électeurs, ce serait rendre
bien vaine la liberté d'association à des fins politiques légitimes.
Bien que les activités politiques touchées par l'article 32 puis-
sent être en grande partie visées par la garantie de la liberté
d'expression, elles sont aussi protégées de façon indépendante
par la garantie de la liberté d'association.
L'alinéa 32(1)a) n'impose pas une limite raisonnable à la
liberté d'expression et d'association des fonctionnaires fédéraux
au sens de l'article 1 de la Charte. Une limite raisonnable doit
être exprimée avec suffisamment de clarté pour qu'on puisse
l'identifier et la situer. Le seul fait qu'une limite soit vague,
ambiguë, incertaine ou assujettie à l'exercice d'un pouvoir
discrétionnaire suffit à en faire une limite déraisonnable. Le
terme «travailler» à l'alinéa 32(1)a) se prête à une application
discrétionnaire puisque la Loi n'en définit pas les limites. La
Commission de la Fonction publique a souvent exprimé la
difficulté qu'elle avait à définir les activités visées par l'alinéa
32(1)a). Le juge de première instance a commis une erreur en
limitant le redressement accordé à un jugement déclaratoire
dans lequel il disait que certaines activités n'étaient pas visées
par l'interdiction faite à l'alinéa concerné.
L'interdiction d'être candidat à certaines élections (alinéa
32(1)b)) est exprimée dans des termes suffisamment définitifs.
Son caractère raisonnable doit être apprécié selon les principes
énoncés dans l'arrêt La Reine c. Oakes, dont le critère de
proportionnalité, qui rend nécessaire de soupeser les intérêts de
la société et ceux de particuliers et de groupes. L'arrêt Fraser c.
Commission des relations de travail dans la Fonction publique
expose l'intérêt du public vis-à-vis d'une fonction publique
politiquement neutre, ainsi que l'importance de cet intérêt.
L'adoption de la Charte n'a pas modifié cet intérêt ni son
importance; elle n'a fait qu'ajouter des droits compensateurs
individuels. Le manque de loyauté envers le gouvernement, à
distinguer du parti au pouvoir, ne sera pas protégé par la
Charte. L'économie de l'alinéa 32(1)b) constitue un ensemble
de règles juste et raisonnable qui permet au fonctionnaire
public d'être candidat à la députation et, en cas de défaite, de
réintégrer la fonction publique. Bien que certaines anomalies
s'opposent à la rationalité de l'économie de la loi, elles ne
militent pas contre les droits des fonctionnaires.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. I, 2b),d), 15, 26.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap.
10, art. 52b)(i).
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970,
chap. P-32, art. 32.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Luscher c.
Sous -ministre, Revenu Canada, Douanes et Accise,
[1985] 1 C.F. 85 (C.A.); Fraser c. Commission des
relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2
R.C.S. 455.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations
Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313.
DÉCISION INFIRMÉE:
Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1986] 3 C.F.
206 (1'e inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine,
[1984] 2 C.F. 889 (C.A.).
DÉCISION CITÉE:
SEP - PO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2
R.C.S. 2.
AVOCATS:
Dougald E. Brown pour les appelants Millar
et Osborne.
Jeffry A. House pour les requérants (appe-
lants) Barnhart, Camponi, Cassidy, Clavette
et Stevens.
Duff F. Friesen, c.r. pour les intimées.
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour les appelants
Millar et Osborne.
Jeffry A. House, Toronto, pour les requérants
(appelants) Barnhart, Camponi, Cassidy, Cla-
vette et Stevens.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Les présents appels, qui
ont été jugés ensemble, sont interjetés contre les
jugements par lesquels la Division de première
instance [1986] 3 C.F. 206 rejetait les diverses
actions des appelants, jugées ensemble et engagées
en vue d'obtenir des jugements déclaratoires por-
tant que l'article 32 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, ci-
après appelée «la Loi», est inopérant parce qu'il
contrevient aux alinéas 2b) et d) et à l'article 15 de
la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)]; les appelants demandaient aussi
accessoirement en première instance des injonc-
tions. Le juge de première instance a rendu des
jugements déclaratoires sur diverses activités parti-
culières qui, à son avis, n'étaient pas interdites en
vertu de l'article 32. Ces jugements n'ont pas fait
l'objet d'attaques particulières en appel.
Tous les appelants sauf M. Cassidy, qui est
député, sont des fonctionnaires fédéraux. Aucun
d'eux n'est un sous-chef au sens donné à cette
expression dans la Loi, et l'applicabilité de l'article
32 à un sous-chef n'est pas soulevée dans les
procédures. Rien aux présentes ne doit s'entendre
comme une conclusion sur la qualité de M. Cas-
sidy dans ces procédures, aussi le mot «appelant»
ne visera-t-il par la suite que les autres.
L'article 32 restreint le droit des appelants de
participer à des campagnes électorales fédérales et
provinciales et de travailler pour ou contre des
partis politiques. Le juge de première instance a
conclu que l'article 15 de la Charte ne s'appliquait
pas aux faits en cause. Cette conclusion n'a pas été
contestée en appel. Il reste à décider si l'article 32
empiète sur les libertés d'expression et d'associa-
tion des fonctionnaires publics garanties par la
Charte et, si tel est le cas, dans quelle mesure cette
restriction est justifiée, à supposer qu'elle le soit,
en vertu de l'article 1. A mon avis, les diverses
activités auxquelles se sont livrés ou souhaitent se
livrer les appelants importent peu à ces questions.
Le juge de première instance semble avoir
conclu, tout au moins avec certaines réserves, que
l'article 32 empiète sur les libertés d'expression et
d'association des appelants mais que cette disposi
tion se trouve rachetée, en tout état de cause, par
l'application de l'article 1. Il a expliqué sa conclu
sion comme suit aux pages 243 et 244:
En conclusion, j'estime que, même si l'article 32 de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique porte atteinte aux droits
que les alinéas 2b) et d) ou l'article 15 et la Charte canadienne
des droits et libertés garantissent aux fonctionnaires en tant
qu'individus, les dispositions dudit article 32 sont prescrites par
une règle de droit, dans des limites qui sont raisonnables et dont
la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société
libre et démocratique, de sorte que l'article 1 de la Charte peut
s'appliquer.
Comme je l'ai dit plus haut, le juge de première
instance avait conclu que l'article 15 ne s'appli-
quait pas.
Les dispositions pertinentes de l'article 32 sont
les suivantes:
32. (1) I1 est interdit à tout sous-chef et, sauf selon que
l'autorise le présent article, à tout employé
a) de travailler pour ou contre un candidat à une élection à la
Chambre des communes, à la Législature d'une province ou
au Conseil du territoire du Yukon ou des territoires du
Nord-Ouest, ou de travailler au nom d'un tel candidat, ainsi
que de travailler pour ou contre un parti politique ou de
travailler au nom d'un tel parti; ou
b) d'être candidat à une élection mentionnée à l'alinéa a).
(2) Une personne ne contrevient pas au paragraphe (1) pour
le seul motif qu'elle assiste à une réunion politique ou qu'elle
verse, à titre de contribution, de l'argent pour la caisse d'un
candidat à une élection mentionnée à l'alinéa (1)a) ou qu'elle
verse de l'argent à la caisse d'un parti politique.
(3) Nonobstant toute autre loi, sur demande que lui a
présentée un employé, la Commission peut, si elle est d'avis
que, par rapport à la Fonction publique, l'efficacité de l'em-
ployé, dans le poste qu'il occupe alors, n'aura pas à souffrir du
fait qu'il aura été candidat à une élection mentionnée à l'alinéa
(1)a), accorder à l'employé un congé sans traitement pour lui
permettre de demander à se faire présenter comme candidat et
d'être candidat à cette élection, pour une période se terminant
le jour où les résultats de l'élection sont officiellement déclarés
ou à la date antérieure comme peut le demander l'employé s'il a
cessé d'être un candidat.
(5) Un employé déclaré élu à une élection décrite à l'alinéa
(1)a) cesse dès lors d'être un employé.
(6) Lorsqu'une personne qui est ou a été candidat à une
élection décrite à l'alinéa (1)a) allègue à la Commission qu'un
sous-chef ou un employé a contrevenu au paragraphe (1),
l'allégation doit être déférée à un comité établi par la Commis
sion pour tenir une enquête au cours de laquelle la personne qui
fait l'allégation et le sous-chef ou l'employé en cause ou leurs
représentants ont la possibilité de se faire entendre. Après avoir
été informé de la décision du comité en ce qui concerne
l'enquête, la Commission
a) doit, lorsqu'il s'agit d'un sous-chef, soumettre la décision
au gouverneur en conseil qui peut, si le comité a décidé que le
sous-chef a contrevenu aux dispositions du paragraphe (1),
destituer ce sous-chef; et
b) peut, lorsqu'il s'agit d'un employé, si le comité a décidé
que l'employé a contrevenu aux dispositions du paragraphe
(1), destituer cet employé.
Il existe effectivement deux limitations: celle qui
vise les activités politiques, exposée à l'alinéa
32(1)a) et précisée aux paragraphes (2) et (6), et
celle qui vise le droit d'être candidat à une élec-
tion, exposée à l'alinéa 32(1)b) et précisée aux
paragraphes (3), (5) et (6). Les paragraphes (4) et
(7) ont respectivement trait à la publication des
avis et à la définition de l'expression «sous-chef».
Voici les dispositions pertinentes de la Charte:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les
droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res-
treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le
cadre d'une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y
compris la liberté de la presse et des autres moyens de
communication;
d) liberté d'association.
•
Au nom des intimées, le procureur général a
parlé de l'existence d'une règle constitutionnelle de
neutralité politique au sein de la fonction publique
qui trouve son expression légale à l'article 32.
J'accepte l'existence d'une telle règle, dont on dit
qu'elle est la source du droit du public en général
d'être servi par une fonction publique politique-
ment neutre. Ce droit du public est préservé par
l'article 26 de la Charte, dont voici le libellé:
26. Le fait que la présente charte garantit certains droits et
libertés ne constitue pas une négation des autres droits ou
libertés qui existent au Canada.
Dans son exposé, le procureur général affirme que
le droit conféré au public par la règle susmention-
née, mis en vigueur par l'article 32 et préservé par
l'article 26, l'emporte sur les libertés d'expression
et d'association garanties aux appelants.
À mon avis, la force exécutoire, s'il en est, d'une
mesure législative qui limite des libertés garanties
par la Charte, ne doit se mesurer qu'à l'aune de
l'article 1 de la Charte. Reconnaître que des mesu-
res législatives qui donnent force de loi à une règle
constitutionnelle l'emportent, ex proprio vigore,
sur toutes autres dispositions législatives, ce serait
permettre que les exceptions et les limitations sus-
ceptibles d'être apportées aux droits garantis par la
Charte répondent à des critères différents de ceux
qui sont exposés à l'article 1, dont on a dit dans
l'arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, à
la page 135:
[qu']il établit explicitement les seuls critères justificatifs (à part
ceux de l'art. 33 de la Loi constitutionnelle de 1982) auxquels
doivent satisfaire les restrictions apportées à ces droits et
libertés.
Cela ne veut pas dire, évidemment, que l'établisse-
ment de l'existence d'une règle constitutionnelle
canadienne appuyant la limitation d'un droit
garanti n'est pas susceptible d'aider considérable-
ment à démontrer sa justification dans le cadre de
notre société libre et démocratique.
Mise à part la suprématie de l'article 32 invo-
quée en vertu de la règle constitutionnelle, il n'a
pas été soutenu que cet article n'empiétait pas sur
la liberté d'expression des fonctionnaires publics. Il
a toutefois été soutenu que cette disposition ne
violait pas leur liberté d'association. À l'appui de
cette proposition, le procureur général a principa-
lement invoqué l'autorité plutôt fragile du juge-
ment que j'ai prononcé pour une majorité de cette
Cour dans l'affaire Alliance de la Fonction publi-
que du Canada c. La Reine, [1984] 2 C.F. 889
(C.A.), à la page 895:
Le droit à la liberté d'association, garanti par la Charte, est
le droit de conclure des ententes. Il ne protège ni les objectifs de
l'association, ni les moyens d'atteindre ces objectifs.
Un appel interjeté contre ce jugement a été rejeté,
avec les dissidences du juge en chef du Canada et
du juge Wilson, [1987] 1 R.C.S. 424; on a toute-
fois dit clairement que j'avais exposé la proposition
susmentionnée de façon un peu trop large. Le juge
Le Dain, qui s'adressait aussi pour le compte des
juges Beetz et La Forest, a fait siens ses motifs
dans l'arrêt Renvoi relatif à la Public Service
Employee Relations Act (Alb.), un jugement
rendu à la même époque, [1987] 1 R.C.S. 313, aux
pages 390 et 391.
En examinant le sens qu'il faut donner à l'expression liberté
d'association que l'on trouve à l'al. 2d) de la Charte, il est
essentiel de garder à l'esprit que cette notion doit viser toute
une gamme d'associations ou d'organisations de nature politi-
que, religieuse, sociale ou économique, ayant des objectifs très
variés, de même que les activités qui permettent de poursuivre
ces objectifs. C'est dans cette perspective plus large et non
simplement en fonction des prétendues exigences d'un syndicat,
si importantes soient-elles, que l'on doit examiner l'incidence de
l'extension d'une garantie constitutionnelle, qui se présente sous
la forme du concept de la liberté d'association, au droit d'exer-
cer une certaine activité pour le motif qu'elle est essentielle si
l'on veut qu'une association ait une existence significative.
En se demandant s'il est raisonnable de prêter une intention
aussi générale à la Charte, je rejette la prémisse selon laquelle,
sans cette protection constitutionnelle supplémentaire, la liberté
d'association garantie serait vide de sens. La liberté d'associa-
tion est particulièrement importante pour l'exercice d'autres
libertés fondamentales comme la liberté d'expression et la
liberté de conscience et de religion. Celles-ci présentent un
large champ de protection d'activités collectives. De plus, la
liberté de travailler à la constitution d'une association, d'appar-
tenir à une association, de la maintenir et de participer à ses
activités licites sans faire l'objet d'une peine ou de représailles
ne doit pas être tenue pour acquise. Cela ressort de sa recon
naissance et de sa protection expresses dans la législation en
matière de relations de travail. C'est une liberté qui a été plus
ou moins supprimée à l'occasion par des régimes totalitaires.
Ce qui est en cause en l'espèce est non pas l'importance de la
liberté d'association en ce sens, qui est celui que je prête à l'al.
2d) de la Charte, mais la question de savoir si une activité
particulière qu'exerce une association en poursuivant ses objec-
tifs, doit être protégée par la Constitution ou faire l'objet d'une
réglementation par voie de politiques législatives. Les droits au
sujet desquels on réclame la protection de la Constitution,
savoir les droits contemporains de négocier collectivement et de
faire la grève, qui comportent pour l'employeur des responsabi-
lités et obligations corrélatives, ne sont pas des droits ou libertés
fondamentaux. Ce sont des créations de la loi qui mettent en
jeu un équilibre entre des intérêts opposés dans un domaine qui,
les tribunaux l'ont reconnu, exige une compétence spéciale.
Contrairement aux droits de négocier collective-
ment et de faire la grève, les droits que doivent
exercer régulièrement les personnes qui s'associent
à des fins de politique électorale ne sont ni contem-
porains ni des créations de la loi. Ils sont fonda-
mentaux au processus dont l'essence même tient à
ce que des intérêts contraires doivent être promus
ou combattus par des moyens électoraux et nuls
autres. Toute activité politique légitime a pour
objectif ultime, sinon immédiat, d'influencer les
électeurs. Refuser la possibilité d'influencer active-
ment les électeurs, ce serait rendre bien vaine la
liberté d'association à des fins politiques légitimes.
Bien que les activités touchées par l'article 32,
comme l'a suggéré le juge Le Dain, puissent être
en grande partie sinon entièrement visées par la
garantie de la liberté d'expression, il me semble
qu'elles sont aussi protégées de façon indépendante
par la garantie de la liberté d'association. Il reste à
déterminer si ces libertés ont été restreintes dans
des limites dont la justification puisse se démontrer
en vertu de l'article 1. En l'espèce tout au moins, il
ne semble pas utile de faire des distinctions en
appliquant l'article 1 à la limitation des deux
libertés.
Pour ce qui est de la limitation des activités
politiques, la première question qui se pose, à mon
sens, est de savoir si cette limitation est raisonna-
ble, compte tenu des termes dans lesquels elle est
exprimée. Le juge Hugessen, qui s'exprimait au
nom de cette Cour dans l'arrêt Luscher c. Sous-
ministre, Revenu Canada, Douanes et Accise,
[1985] 1 C.F. 85, aux pages 89 et 90, a dit:
À mon avis, l'une des caractéristiques primordiales d'une
limite raisonnable imposée par une règle de droit est qu'elle
doit être exprimée avec suffisamment de clarté pour qu'on
puisse l'identifier et la situer. Le seul fait qu'une limite soit
vague, ambiguë, incertaine ou assujettie à l'exercice d'un pou-
voir discrétionnaire suffit à en faire une limite déraisonnable. Si
un citoyen ne peut déterminer avec un degré de certitude
tolérable dans quelle mesure l'exercice d'une liberté garantie
peut être restreint, il est probable que cela le dissuadera
d'adopter certaines conduites qui, en fait, n'étant pas interdites,
sont licites. L'incertitude et l'imprécision sont des vices d'ordre
constitutionnel lorsqu'elles servent à restreindre des droits et
libertés garantis par la Constitution. Bien qu'il ne puisse jamais
y avoir de certitude absolue, une limite imposée à un droit
garanti doit être telle qu'il sera très facile d'en prévoir les
conséquences sur le plan juridique.
Il est utile de répéter ici l'alinéa 32(1)a).
32. (1) I1 est interdit à tout sous-chef et, sauf selon que
l'autorise le présent article, à tout employé
a) de travailler pour ou contre un candidat à une élection à la
Chambre des communes, à la Législature d'une province ou
au Conseil du territoire du Yukon ou des territoires du
Nord-Ouest, ou de travailler au nom d'un tel candidat, ainsi
que de travailler pour ou contre un parti politique ou de
travailler au nom d'un tel parti; ou
Le mot important est «travailler»; il se prête large-
ment à une application discrétionnaire.
Les éléments de preuve, tirés des publications de
la Commission de la Fonction publique qui est
chargée de l'application de la Loi, sont concluants.
Dans son Rapport annuel de 1977, Dossier d'appel,
annexe 1, volume 5, à la page 632, la Commission
dit ce qui suit:
La Commission se préoccupe essentiellement des possibilités
pratiques d'application de la Loi et en particulier de l'article 32
de celle-ci. Ainsi, par exemple, le paragraphe (1) de cet article
déclare: «il est interdit ... à tout employé ... de travailler pour
ou contre un candidat à une élection à la Chambre des commu
nes, à la Législature d'une province ou au Conseil du territoire
du Yukon ou des territoires du Nord-Ouest, ou de travailler au
nom d'un tel candidat, ainsi que de travailler pour ou contre un
parti politique ou de travailler au nom d'un tel parti». La
Commission ne trouve dans la Loi rien sur quoi s'appuyer pour
déterminer le genre d'activité que recouvre le terme «travailler».
Le législateur semble avoir voulu en laisser le soin à des
décisions des commissaires. Du fait, en particulier de la mou-
vance du temps présent, ces derniers aimeraient être sûrs que
l'interprétation qu'ils font de la Loi correspond bien aux voeux
du Parlement. Il suffit, pour avoir une idée de la complexité de
leurs fonctions dans ce domaine particulièrement épineux, de
jeter un coup d'oeil sur la situation aux États-Unis où il est
interdit aux fonctionnaires de «participer activement à des
actions ou des campagnes politiques». L'on constatera alors que
la définition de «participation active» s'appuie sur 3 000 déci-
sions différentes de la Commission américaine de la fonction
publique.
La Commission est revenue sur le problème dans
une lettre adressée aux directeurs du personnel
avant l'élection fédérale générale de 1980, ibid.
volume 2, à la page 114 et suivantes. Après avoir
traité du processus énoncé au paragraphe 32(3), la
Commission a écrit ce qui suit:
Il reste l'ennuyeux problème de définir ce qui constitue une
activité politique pour les fonctionnaires qui demeurent en
service actif pendant la campagne électorale. En plus de l'auto-
risation en vertu de la L.E.F.P. d'assister à des assemblées
politiques et de contribuer à la caisse d'un parti ou d'un
candidat, y a-t-il d'autres activités que les fonctionnaires peu-
vent mener sans contrevenir aux dispositions de la Loi? Mal-
heureusement, la Loi étant ce qu'elle est, la Commission n'est
tout simplement pas en mesure de donner a priori aux fonction-
naires une réponse ferme sur cette question. Bien que la Loi
stipule de façon claire et non équivoque qu'aucun employé ne
doit travailler pour ou contre un parti politique, elle ne précise
pas quel type et quel éventail d'activités sont en fait interdites
ni lesquelles pourraient être autorisées (mises à part les quel-
ques exceptions susmentionnées).
Étant donné que dans les circonstances on ne saurait dresser
de listes d'activités permises ou interdites, la meilleure chose à
faire est de porter les dispositions de la Loi à l'attention des
fonctionnaires et de les prévenir de se fier en dernière analyse
aux conseils qu'ils auront reçus et à leur propre jugement avant
de s'engager dans des activités particulières. Néanmoins, il leur
est recommandé, en cas de doute, de se ranger du côté de la
prudence. En effet, si la lettre de la Loi est imprécise, son
esprit, à savoir le maintien dans la Fonction publique des plus
hautes normes de neutralité politique possible, ne l'est certaine-
ment pas.
Il me semble que les préoccupations de la Commis
sion, amplement justifiées par l'absence de défini-
tion de l'expression «travailler» à part les excep
tions énoncées au paragraphe 32(2), ont souligné
dans des termes clairs et prescients, le vice consti-
tutionnel précisément défini plus tard dans l'arrêt
Luscher.
Finalement, en février 1984, la Commission a
adressé un message aux employés fédéraux, ibid.
volume 1, à la page 47, par lequel elle les avisait
effectivement, qu'ils soient fournisseurs ou gestion-
naires, que tout acte qu'ils pourraient faire le
serait à leurs propres risques mis à part l'exercice
du droit de vote et les autres actes expressément
autorisés à l'article 32 interprété de façon stricte.
Par exemple, l'exercice du droit de faire des contri
butions financières a été considéré comme suscep
tible d'impliquer l'affiliation à un parti politique.
Les lignes directrices disaient notamment ce qui
suit:
les fonctionnaires devraient s'abstenir d'exercer certains droits,
privilèges et responsabilités que confère habituellement cette
affiliation mais qui pourraient compromettre leur impartialité
aux yeux d'autrui.
La Commission est demeurée incapable de définir
avec une réelle certitude l'étendue de l'expression
«travailler».
En toute déférence, j'estime que le juge de pre-
mière instance a commis une erreur en limitant le
redressement accordé à un jugement déclaratoire
dans lequel il disait que les activités particulières
auxquelles voulaient se livrer certains appelants,
comme par exemple assister à un congrès à la
direction d'un parti politique ou coller des envelop-
pes, n'étaient pas visées par l'interdiction faite à
l'alinéa concerné. L'alinéa 32(1)a) n'impose pas
une limite raisonnable à la liberté d'expression et
d'association des fonctionnaires publics fédéraux,
et il devrait en être décidé ainsi.
Cette conclusion rend inutile la considération de
la preuve, produite tout à fait régulièrement en
première instance, portant sur la mesure dans
laquelle il est permis aux fonctionnaires publics de
prendre une part active dans le processus politique
partisan de diverses instances démocratiques, aussi
bien provinciales qu'étrangères. Ma conclusion
appuie aussi effectivement le redressement limité
accordé par le juge de première instance.
L'interdiction d'être candidat à certaines élec-
tions est exprimée dans des termes suffisamment
définitifs. Son caractère raisonnable doit être
apprécié selon les principes énoncés dans l'arrêt La
Reine c. Oakes, précité, à la page 135 et suivantes.
Il est inutile d'exposer tous ces principes puisque
les appelants s'en prennent seulement à la propor-
tionnalité de la limite imposée. Il n'est pas mis en
doute qu'il est légitime de viser à avoir une fonc-
tion publique politiquement neutre. Cependant,
comme l'application du critère de proportionnalité
rend nécessaire de mesurer une limite à son objec-
tif, ce dernier doit être défini.
Le critère applicable a été exposé dans l'arrêt La
Reine c. Oakes, à la page 139, dans les termes
suivants:
Même si la nature du critère de proportionnalité pourra varier
selon les circonstances, les tribunaux devront, dans chaque cas,
soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de
groupes. À mon avis, un critère de proportionnalité comporte
trois éléments importants. Premièrement, les mesures adoptées
doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en
question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni
fondées sur des considérations irrationnelles. Bref, elles doivent
avoir un lien rationnel avec l'objectif en question. Deuxième-
ment, même à supposer qu'il y ait un tel lien rationnel, le
moyen choisi doit être de nature à porter «le moins possible»
atteinte au droit ou à la liberté en question: R. c. Big M Drug
Mart Ltd. [[1985] 1 R.C.S. 295], la p. 352. Troisièmement, il
doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restrei-
gnant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l'objectif
reconnu comme «suffisamment important».
L'affaire Fraser c. Commission des relations de
travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S.
455, n'était pas fondée sur la Charte. Il y était
cependant question du congédiement d'un fonc-
tionnaire public qui s'était livré à des activités
politiques, bien que non partisanes, contre les poli-
tiques du gouvernement au pouvoir, et non contre
celles de l'organisme au sein duquel il travaillait.
Dans la décision rendue dans cette affaire, à la
page 470 et suivantes, le juge en chef Dickson a
fait au nom de la Cour suprême du Canada un
certain nombre d'observations qui sont hautement
pertinentes aux fins du présent appel. Les voici:
La fonction publique fédérale au Canada fait partie de
l'exécutif du gouvernement. À ce titre, sa tâche fondamentale
est d'administrer et d'appliquer les politiques. Pour bien accom-
plir sa tâche, la fonction publique doit employer des personnes
qui présentent certaines caractéristiques importantes parmi les-
quelles les connaissances, l'équité et l'intégrité.
Comme l'arbitre l'a indiqué, il existe une autre caractéristi-
que qui est la loyauté. En règle générale, les fonctionnaires
fédéraux doivent être loyaux envers leur employeur, le gouver-
nement du Canada. Ils doivent être loyaux envers le gouverne-
ment du Canada et non envers le parti politique au pouvoir. Un
fonctionnaire n'est pas tenu de voter pour le parti au pouvoir. Il
n'est pas non plus tenu d'endosser publiquement ses politiques.
En fait, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut
activement et publiquement exprimer son opposition à l'égard
des politiques d'un gouvernement. Ce serait le cas si, par
exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si
ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité
des fonctionnaires ou d'autres personnes, ou si les critiques du
fonctionnaire n'avaient aucun effet sur son aptitude à accom-
plir d'une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le
public perçoit cette aptitude. Toutefois, ayant énoncé ces quali-
tés (et il peut y en avoir d'autres), je suis d'avis qu'un fonction-
naire ne doit pas, comme l'a fait l'appelant en l'espèce, attaquer
de manière soutenue et très visible des politiques importantes
du gouvernement. Selon moi, en se conduisant de cette manière,
l'appelant a manifesté envers le gouvernement un manque de
loyauté incompatible avec ses fonctions en tant qu'employé du
gouvernement.
Comme l'a souligné l'arbitre, il existe un motif important à
l'appui de cette règle générale de loyauté, savoir l'intérêt du
public vis-à-vis de l'impartialité réelle et apparente de la fonc-
tion publique. Les avantages qui découlent de cette impartialité
ont été bien décrits par la commission MacDonnell. Bien que la
description se rapporte aux activités politiques des fonctionnai-
res au Royaume-Uni, elle touche à des valeurs qui s'appliquent
à la fonction publique au Canada.
[TRADUCTION] D'une manière générale, nous croyons que si
les restrictions relatives aux activités politiques des fonction-
naires devaient être levées, cela aurait probablement deux
conséquences. Le public pourrait cesser de croire, comme
nous pensons qu'il le fait maintenant avec raison, en l'impar-
tialité de la fonction publique permanente; et les ministres
pourraient cesser de sentir la confiance bien méritée qu'ils
possèdent à l'heure actuelle dans l'appui loyal et fidèle de
leurs fonctionnaires; en fait, ils pourraient être portés à
examiner à fond les paroles et les écrits de leurs subordonnés
et à choisir pour occuper des postes de confiance, seulement
ceux dont ils savent qu'ils partagent les mêmes sympathies
politiques.
Si tel était le cas, le système de recrutement par concours
public constituerait seulement une barrière fragile contre le
népotisme ministériel au cours de toutes les années de service
sauf au début; la fonction publique cesserait en fait d'être un
organisme impartial, apolitique, capable de loyaux services
envers tous les ministres et les partis; le changement aurait
rapidement des effets sur l'opinion que le public se fait de la
fonction publique et le résultat serait destructif à l'égard de
ce qui est sans aucun doute, à l'heure actuelle, l'un des plus
grands avantages de notre système administratif et l'une des
traditions les plus honorables de notre vie publique.
Voir les alinéas 10 et 11 du chap. 11 du Comité MacDonnell
cité dans Re Ontario Public Service Employees Union and
Attorney -General for Ontario (1980), 31 O.R. (2d) 321
(C.A.), à la p. 329.
À mon avis, il existe au Canada une tradition semblable en
ce qui a trait à notre fonction publique. La tradition met
l'accent sur les caractéristiques d'impartialité, de neutralité,
d'équité et d'intégrité. Une personne qui entre dans la fonction
publique ou une qui y est déjà employée doit savoir, ou du
moins est présumée savoir, que l'emploi dans la fonction publi-
que comporte l'acceptation de certaines restrictions. L'une des
plus importantes de ces restrictions est de faire preuve de
prudence lorsqu'il s'agit de critiquer le gouvernement.
J'ai cité un extrait exceptionnellement long pour
deux raisons. Tout d'abord, on y trouve exposés de
façon précise et dans un contexte contemporain,
l'intérêt du public vis-à-vis d'une fonction publique
politiquement neutre, ainsi que l'importance de cet
intérêt. L'adoption de la Charte n'a pas modifié
cet intérêt ni son importance; elle n'a fait qu'ajou-
ter des droits compensateurs individuels. Ensuite,
et nonobstant la mise en garde dans l'arrêt SEFPO
c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2,
l'arrêt cité me semble pour le moins suggérer une
règle minimale que devraient respecter les fonc-
tionnaires publics qui décident d'exercer leurs
libertés d'association et d'expression dans une
arène politique partisane. Le manque de loyauté
envers le gouvernement, à distinguer du parti au
pouvoir, ne sera pas protégé par la Charte.
Pour tous si ce n'est le flagorneur ou le ministre
de la Couronne, les incidents ordinaires d'une cam-
pagne visant la mise en candidature et l'élection
des candidats, que ce soit au Parlement ou à une
législature, offrent pour le moins la possibilité
réelle d'un désaccord public avec des politiques
importantes et en vigueur du gouvernement fédé-
ral. La crédibilité de la campagne peut l'exiger;
son enthousiasme peut y conduire, peut-être irré-
sistiblement. Il faut présumer qu'un fonctionnaire
public qui s'engage en qualité de candidat dans
une campagne électorale ou de mise en candida-
ture, se rend compte qu'il peut soulever des doutes
légitimes, plus probablement de façon non inten-
tionnelle qu'autrement, tout au moins sur sa capa-
cité apparente de se comporter désormais avec
impartialité. Il ne devrait pas s'attendre à toucher
son traitement au cours de la campagne, ni à
reprendre ses fonctions sans contestation s'il est
perdant.
L'économie de l'alinéa 32(1)b) et de ses para-
graphes modificateurs me semble constituer de
façon générale un ensemble de règles juste et
raisonnable applicable au fonctionnaire public qui
cherche à se faire élire au Parlement ou à l'assem-
blée législative, et selon lequel, en cas de défaite, il
peut réintégrer la fonction publique. Il existe tou-
tefois des anomalies qui s'opposent à la rationalité
de l'économie de la loi. Par exemple, la limitation
apportée au droit d'un fonctionnaire public d'être
candidat à certaines élections vise à préserver la
neutralité politique de la fonction publique; cepen-
dant, en vertu du paragraphe 32(6), seule la
plainte d'un autre candidat peut provoquer la
tenue d'une enquête visant à établir si la neutralité
en cause a été illégalement compromise. Il n'a pas
été nécessaire de se pencher sur ce sujet dans le
contexte de l'alinéa 32(1)a) mais, dans le contexte
de l'alinéa 32(1)b), l'on pourrait croire que la
Commission de la Fonction publique, sans y être
incitée par un autre candidat, serait compétente à
déclencher l'enquête. Une autre anomalie tient à
ce qu'après avoir obtenu son congé sans traite-
ment, rien de ce que peut faire un candidat pour
être présenté en cette qualité et se fair élire, sauf
son succès aux élections, n'annule son droit de
reprendre son poste à la fonction publique; cela a
été établi à l'avance. Ces anomalies ne militent pas
contre les droits des fonctionnaires publics, quelles
qu'elles puissent paraître à d'autres points de vue.
Pour conclure, j'accueillerais les appels avec
dépens. Conformément à l'alinéa 52b)(1) de la Loi
sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
chap. 10], j'annulerais les jugements de la Division
de première instance, sauf l'adjudication des
dépens aux appelants Millar et Osborne, et je
déclarerais l'alinéa 32(1)a) de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique inopérant à l'égard des
employés autres que les sous-chefs. J'adjugerais
aussi aux appelants dans l'appel A-556-86 leurs
dépens en première instance.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces conclusions.
LE JUGE LACOMBE: Je souscris à ces conclu
sions.
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