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A-29-87
Central Western Railway Corporation (requé- rante)
c.
Travailleurs unis des transports, Fraternité des préposés à l'entretien des voies, Syndicat canadien des signaleurs et des employés des communica tions, Fraternité des ingénieurs de locomotive et Conseil canadien des relations du travail (intimés)
RÉPERTORIÉ: CENTRAL WESTERN RAILWAY CORP. C. T.U.T.
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et Lacom- be—Montréal, 28 et 29 octobre 1987; Ottawa, 28 janvier 1988.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs La demande vise l'annulation d'une décision du Conseil canadien des relations du travail portant que la vente d'un chemin de fer est régie par le Code canadien du travail La ligne en question est entièrement située dans les limites d'une province Cette ligne constitue-t-elle une entreprise fédérale? Fait-elle partie intégrante d'une entreprise fédérale? Le réseau de transport du grain de l'Ouest constitue-il une entre- prise fédérale? S'agit-il d'un chemin de fer interprovincial? Les déclarations parlementaires portant que la ligne consti- tue un ouvrage à l'avantage général du Canada sont-elles valides et applicables? La vente de la ligne a-t-elle modifié le caractère qu'elle revêt au plan constitutionnel aux termes des art. 92(10)a) ou c)? Le caractère fédéral de la ligne s'étend-il à l'entreprise?
Relations du travail Une société provinciale a acheté du CN une ligne entièrement située dans les limites d'une province Est-elle liée par les conventions collectives existantes? Questions relatives au partage des pouvoirs en droit constitutionnel.
Chemins de fer Une société provinciale a acheté une ligne du CN Cette ligne faisait auparavant partie d'un chemin de fer interprovincial, mais un dispositif barre à présent l'accès aux voies du CN Cette ligne entièrement située dans les limites de la province S'agit-il d'un ouvrage fédéral? Le caractère de la ligne en tant qu'ouvrage s'étend-il à l'entre- prise (relations du travail)? Le Conseil canadien des rela tions du travail a conclu avec raison que l'acheteur est lié par les conventions collectives existantes.
La demande en l'espèce sollicite l'examen d'une décision du Conseil canadien des relations du travail portant que la vente d'une ligne de chemin de fer est régie par l'article 144 du Code canadien du travail et que le nouveau propriétaire, en consé- quence, est lié par les conventions collectives existantes. Central Western a acheté du CN une voie ferrée située entièrement en Alberta. Ce tronçon servait au transport du grain des élévateurs de la région. Central Western achemine les wagons à grain vides à différents élévateurs, les charge et les ramène à Ferlow Junction, ils sont relevés par des employés du CN pour être livrés à travers la province et au-delà de ses limites. Les employés du CN ramènent les wagons à grain vides à Ferlow
Junction. Un dispositif appelé «dérailleur verouillé en position ouverte», qui est contrôlé par le CN, empêche les trains de Central Western de traverser librement sur les rails du CN, et vice-versa. Le Conseil a décidé que Central Western était une entreprise fédérale au motif qu'elle formait partie intégrante d'une entreprise fédérale. Le Conseil a conclu que les liens existant entre Central Western et trois entreprises fédérales, CN, les élévateurs et les fabriques de provendes, ainsi que le réseau de transport du grain de l'Ouest, étaient suffisants pour faire de cette société un ouvrage ou une entreprise de compé- tence fédérale.
Arrêt (dissidence du juge Hugessen): la demande devrait être rejetée.
Le juge Marceau: La conclusion du Conseil est celle qu'il fallait tirer, mais le raisonnement qu'il a suivi pour y parvenir est mal fondé. (1) Le réseau de transport du grain de l'Ouest n'est pas une entreprise fédérale. Il ne s'agit pas d'une entre- prise unique et autonome existant comme entité indépendante, et la mise en place d'un tel réseau ne ressortirait à aucun champ particulier de compétence fédérale exclusive. (2) Bien que les élévateurs situés à l'ouest de Thunder Bay ressortissent à la compétence fédérale pour avoir été déclarés des ouvrages à l'avantage général du Canada, Central Western, une entreprise de transport, ne fait pas partie intégrante d'élévateurs dont les activités comprennent la réception, la manutention et le stoc- kage, mais non le transport du grain. Les services qu'elle fournit ne sont pas si essentiels aux élévateurs qu'ils en forment partie intégrante, compte tenu du fait qu'un réseau de transport par camion pourrait leur être substitué. (3) Les liens existant entre Central Western et le CN ne sont pas tels que ces deux entités doivent être considérées comme une entreprise unique à l'égard de la réglementation de leurs activités. S'il est vrai que ces deux compagnies tirent profit de leurs rapports réciproques, et que l'exploitation de l'entreprise de Central Western pourrait difficilement avoir lieu sans l'apport du CN, elles constituent néanmoins des entreprises ou des affaires distinctes. Même si Central Western est un élément essentiel des rapports établis entre le CN et certains de ses clients, les opérations du CN ne dépendent pas de celles de Central Western au point de faire de cette dernière une partie «vitale», «fondamentale» et «perma- nente» des opérations du CN.
La ligne de Central Western ressortit à l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 en qualité de chemin de fer interprovincial et, subsidiairement, à l'alinéa 92(10)c) parce qu'elle a fait l'objet de déclarations du Parlement. Avant d'être vendue à Central Western, cette ligne constituait un élément indissociable du réseau du Canadien National et faisait partie intégrante de ce réseau. Un tel caractère, qui est attaché à l'ouvrage lui-même, n'a pas disparu par le fait que la ligne a changé de propriétaire ou que le raccordement de ce tronçon avec la ligne du CN est à présent contrôlé au moyen d'un dispositif spécial. Un changement radical dans l'utilisation et la fonction de la ligne visée serait nécessaire pour modifier ce caractère.
Quoi qu'il en soit, la ligne de chemin de fer de Central Western a été validement déclarée à l'avantage général du Canada. Même si de telles déclarations étaient inutiles au moment elles ont été édictées parce que la ligne de Central Western constituait déjà une partie indivisible d'un chemin de fer interprovincial, elles ne pouvaient être ignorées. En ce qui
concerne la prétention que les déclarations ne sont plus applica- bles parce que la ligne n'appartient plus à l'une des compagnies mentionnées dans les dispositions de la Loi, elle est non fondée, puisqu'il n'a pu être envisagé qu'un changement de propriétaire modifierait le caractère revêtu par l'ouvrage au plan constitu- tionnel. Et l'approbation par le gouverneur général en conseil de la vente du tronçon à une société provinciale n'a pas implicitement rendu les déclarations inopérantes. Bien que le Parlement puisse annuler ses propres déclarations en tout temps, le gouverneur général en conseil n'est pas investi d'un tel pouvoir. La modification de la caractérisation constitutionnelle d'une «matière» ne peut s'effectuer sans une intervention expresse du Parlement.
Les arrêts qui ont établi que la construction, la réparation ou l'entretien d'un ouvrage fédéral pourrait être effectué par une entreprise sans que les relations de travail en cause ne relèvent de la compétence fédérale doivent être distingués de la présente espèce, dans laquelle la raison d'être de l'entreprise visée est l'exploitation d'un ouvrage fédéral.
Le juge Lacombe: La ligne de Central Western relève de la compétence fédérale parce qu'elle est encore assujettie à une déclaration faite en vertu de l'alinéa 92(10)c) de la Loi consti- tutionnelle de 1867 qui porte qu'elle constitue un ouvrage à l'avantage général du Canada. Le changement de propriétaire n'a pas entravé l'effet de cette déclaration faite en vertu de l'alinéa 92(10)c) puisque seul le Parlement pouvait l'abroger. La ligne en question cesse de faire partie intégrante d'un chemin de fer interprovincial. Elle ne fait pas non plus partie intégrante d'une entreprise principale à caractère fédéral. Aucune des trois entreprises principales à caractère fédéral identifiées par le Conseil ne peut servir de fondement à une décision confirmant la compétence du Conseil en l'espèce.
La totalité de l'entreprise de chemin de fer visée, y compris ses relations de travail, relève de la compétence fédérale. Les employés de Central Western participent aux activités d'une entreprise de chemin de fer exploitant un ouvrage fédéral. Leur participation a un caractère continu et est essentielle aux activités de l'employeur, qui consistent en l'exploitation d'un chemin de fer. La réglementation des conditions d'emploi cons- titue une partie intégrante de la compétence fédérale sur la matière visée.
Le juge Hugessen (motifs dissidents): Le Conseil n'avait pas la compétence voulue pour rendre la décision faisant l'objet du présent examen. La ligne de Central Western ne constitue pas un ouvrage ou une entreprise principalement à caractère fédé- ral au sens de l'alinéa 92(10)a) (chemin de fer interprovincial). En tant qu'ouvrage, cette ligne est entièrement contenue dans les limites de la province et est matériellement séparée de la ligne du CN qui relie la province à d'autres provinces. En tant qu'entreprise, elle ne relie pas l'Alberta à d'autres provinces. Elle ne se trouve pas non plus intégrée dans son fonctionnement à une entreprise principale à caractère fédéral. Le CN ne dépend pas de Central Western. Le fait que Central Western puisse dépendre totalement du CN n'est pas pertinent. Les élévateurs sont des ouvrages fédéraux, mais ils ne font pas partie des ouvrages ou des entreprises du chemin de fer. Le «réseau de transport du grain de l'Ouest» ne constitue aucune- ment une entreprise, à plus forte raison une entreprise princi- pale à caractère fédéral. Ce réseau n'est rien de plus qu'une agglomération de personnes, de choses et de politiques, et il
n'existe aucune personne ou société qui agisse comme entrepreneur.
La ligne de Central Western, en tant qu'ouvrage, se trouve visée par une déclaration portant qu'elle est à l'avantage géné- ral du Canada et, en conséquence, assujettie à la compétence fédérale. Cette déclaration ne s'applique cependant qu'aux ouvrages, non à l'entreprise. Les relations de travail ne sont pas assujetties à la compétence fédérale pour le simple motif que le travail concerné est exécuté sur ou en liaison avec un ouvrage fédéral. Les relations de travail relèvent de la compétence provinciale à moins qu'une compétence en ces domaines soit partie intégrante de la compétence principale du Parlement sur un autre sujet. La réglementation des relations de travail ne fait pas intégralement partie de la compétence fédérale sur l'utilisa- tion de la voie ferrée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Central Western Railway Corporation Act, S.A. 1984, chap. 71.
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 2, 108 (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1), 144 (mod., idem).
Loi ayant pour objet de constituer en corporation le Canadian National Railway Company et concernant les chemins de fer nationaux du Canada, S.C. 1919, chap. 13, art. 18.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice I1, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91(29), 92(10).
Loi sur la Commission canadienne du blé, S.R.C. 1970, chap. C-12.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 0 Supp.), chap. 10, art. 28.
Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2, art. 6(1)c).
Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, S.R.C. 1970, chap. C-10, art. 18(1), 23, 31.
Loi sur les grains du Canada, S.C. 1970-71-72, chap. 7.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communica tion du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115; Northern Telecom Canada Ltée et autre c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada et autre, [1983] I R.C.S. 733; Canadian Pacific Railway Company v. Attorney - General for British Columbia and Attorney -General for Canada, [1950] A.C. 122 (P.C.); Luscar Collieries v. McDonald, [1927] A.C. 925 (P.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Luscar Collieries Ltd. v. McDonald, [ 1925] R.C.S. 460; [1925] 3 D.L.R. 225; Montreal Tramways Co. v. Lachine, Jacques-Cartier and Maisonneuve Railway Co. (1914), 50 R.C.S. 84; Kootenay & Elk Railway Co. c. Compagnie du Chemin de Fer Canadien du Pacifique,
[1974] R.C.S. 955; General Teamsters, Local 362, and Stern Transport Ltd. and Byers Transport Limited (1986), 12 CLRBR (NS) 236: Code canadien du travail (Re), [1987] 2 C.F. 30 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINEES:
British Columbia Electric Ry. Co. Ltd. et al. v. Canadian National Ry. Co. et al., [1932] R.C.S. 161; Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754; Re Code canadien du travail (1986), 72 N.R. 348 (C.A.F.); Montreal City v. Mont- real Street Railway Company, [1912] A.C. 333 (P.C.); In re Regulation and Control of Radio Communication in Canada, [1932] A.C. 304 (P.C.); Attorney-General for Ontario v. Israel Winner, [ 1954] A.C. 541 (P.C.); Commission du Salaire Minimum v. Bell Telephone Company of Canada, [1966] R.C.S. 767; Reference re Industrial Relations and Disputes Act, [1955] R.C.S. 529; R. v. Thumlert (1959), 28 W.W.R. 481 (C.S.D.A. Alb.); Chamney c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 151; The Queen in The Right of The Province of Ontario v. Board of Transport Commissionners, [1968] R.C.S. 118.
DÉCISIONS CITÉES:
The King v. Eastern Terminal Elevator Co., [1924] R.C.E. 167; confirmé par [1925] R.C.S. 434; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Nor-Min Supplies Ltd., [1977] 1 R.C.S. 322; CTG Telecommuni cations Systems, Inc. c.o.b. as Canadian Telecommuni cations Group and Communications Workers of Canada (1985), 10 CLRBR (NS) 231 (Ont.); Cannet Freight Cartage Ltd. (In re), [1976] 1 C.F. 174 (C.A.); Re The Queen and Cottrell Forwarding Co. Ltd. (1981), 124 D.L.R. (3d) 674 (C. div. Ont.); Henuset Rentals Ltd. v. United Association of Journeymen and Apprentices of the Plumbing and Pipefitting Industry, Local Union 488 (1981), 6 Sask. R. 172 (C.A.); Re Maritime Engineering Limited, Labourers' International Union of North Ame- rica, Local 1115, and Attorney General of Nova Scotia (1979), 33 N.S.R. (2d) 484 (C.S.D.A.); Kelowna v. Labour Relations Bd. of B.C. et al., [1974] 2 W.W.R. 744 (C.S.C.-B.); Hamilton, Grimsby and Beamsville R. Co. v. Atty.-Gen. for Ontario (1916), 29 D.L.R. 521 (P.C.).
DOCTRINE
Finkelstein, Neil Laskin's Canadian Constitutional Law, vol. 1, éd. Toronto: Carswell, 1986.
Fraser, Ian H. «Some comments on Subsection 92(10)(c) of the Constitution Act, /867» (1983-84), 29 McGill L.J. 557.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, éd. Toronto: Carswell, 1985.
Lajoie, Andrée Le pouvoir déclaratoire du Parlement, Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 1969.
Schwartz, Phineas «Fiat by Declaration—S. 92(10)(c) of the British North America Act» (1960-63) 2 Osgoode L.J. 1.
AVOCATS:
Thomas W. Wakeling et Gerald D. Chipeur pour la requérante.
James L. D. Shields pour la Fraternité des ingénieurs de locomotive, intimée.
Judah Levinson pour le Conseil canadien des relations du travail, intimé.
Douglas J. Wray pour les Travailleurs unis des transports, le Syndicat canadien des signaleurs et des employés des communica tions et la Fraternité des préposés à l'entretien des voies, intimés.
H. Scott Fairley pour le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Milner & Steer, Edmonton, pour la requé- rante.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour la Fraternité des ingénieurs de locomotive, intimée.
Contentieux, Conseil canadien des relations du travail, Ottawa, pour le Conseil canadien des relations du travail, intimé.
Caley & Wray, Toronto, pour les Travailleurs unis des transports, le Syndicat canadien des signaleurs et des employés des communica tions et la Fraternité des préposés à l'entretien des voies, intimés.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le pro- cureur général du Canada, intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: La question soulevée par cette demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] est celle de savoir si la Partie V du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1 s'applique aux relations employeur-employé de la société requé- rante. Sa difficulté et son incidence ressortiront à l'évidence des faits qui l'ont suscitée. Ceux-ci ne sont pas contestés et peuvent être résumés brièvement.
La requérante ((Central Western») a été consti- tuée en 1984 par une Loi spéciale de la législature de l'Alberta (la Central Western Railway Corpo ration Act, S.A. 1984, chap. 71). Elle exploite une
voie ferrée reliant Ferlow Junction et Dinosaur, un parcours d'environ 105 milles situé entièrement dans les limites de la province d'Alberta. Ce tron- çon, appelé Stettler Subdivision, le nom qu'il por- tait lorsque la voie ferrée et les terres qui y sont associées appartenaient à la Compagnie des che- mins de fer nationaux du Canada (CN), a été acquis par Central Western en 1985. Le transfert de la propriété de ce tronçon n'a d'aucune façon modifié son objet essentiel: fournir le service ferro- viaire aux élévateurs de cette région. Fondamenta- lement, les opérations de Central Western consis tent à acheminer des wagons à grain vides de Ferlow Junction à différents élévateurs situés le long du tronçon Stettler et à ramener ces wagons une fois qu'ils ont été chargés de grain. Les employés du CN acheminent les wagons vides à Ferlow Junction et relèvent les wagons chargés pour les livrer à travers la province et au-delà de ses limites. Le CN, au moyen d'un dispositif appelé [TRADUCTION] «dérailleur verouillé en position ouverte» dont elle a le contrôle, empêche les trains de Central Western de traverser libre- ment sur ses rails à l'un et à l'autre des terminus du tronçon.
Peu après l'acquisition de la subdivision Stettler par Central Western, les quatre syndicats intimés ont présenté une demande au Conseil en vue d'ob- tenir une ordonnance statuant que la vente de ce tronçon était régie par les dispositions de l'article 144 [mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1] du Code canadien du travail de sorte que le nouveau pro- priétaire était lié par les conventions collectives auxquelles eux-mêmes et le CN étaient parties'. Central Western s'est opposée à cette demande. Alléguant qu'elle ne constituait pas une entreprise fédérale, la condition essentielle de son assujettis- sement aux dispositions de la Partie V du Code
' L'article 144 est en partie libellé de la manière suivante: 144. (1) Au présent article,
«entreprise» désigne une entreprise fédérale et s'entend égale- ment d'une partie d'une telle entreprise;
«vente», relativement à une entreprise, comprend la location,
le transfert et tout autre acte d'aliénation de l'entreprise.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), lorsqu'un employeur vend son entreprise,
a) un syndicat qui est l'agent négociateur des employés travaillant dans l'entreprise demeure leur agent négocia- teur;
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canadien du travail, comme le confirme de façon plus précise l'article 108 [mod., idem] du Codez, Central Western a contesté la compétence du Con- seil à instruire la demande des syndicats. Le Con- seil a rejeté cette prétention et, statuant qu'il avait la compétence requise, il a prononcé l'ordonnance recherchée. Central Western a immédiatement déposé la présente demande fondée sur l'article 28.
L'approche adoptée par le Conseil et le raison- nement qu'il a tenu pour en arriver à la conclusion que la Central Western constituait une entreprise fédérale soumise à la législation fédérale en matière de travail se trouvent expliqués dans de longs motifs; un bref exposé de ceux-ci devrait permettre l'appréciation des objections formulées par la requérante.
La première partie de ces motifs examine dans leur entier l'historique de la subdivision Stettler, la constitution en société de Central Western, l'orga- nisation et les activités de cette société ainsi que les rapports entre cette dernière et le CN. Commence alors l'analyse centrale. On laisse entendre que Central Western pourrait être visée par une décla- ration, conformément à l'alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)] 3 , qu'elle constitue un ouvrage à
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b) un syndicat qui a présenté une demande d'accréditation visant des employés travaillant dans l'entreprise avant la date de la vente peut, sous réserve de la présente Partie, être accrédité par le Conseil à titre d'agent négociateur de ces employés;
c) toute convention collective qui, à la date de la vente, est applicable aux employés travaillant dans l'entreprise lie la personne à laquelle celle-ci est vendue; et
d) la personne à laquelle l'entreprise est vendue devient partie à toute procédure en instance à la date de la vente, qui a été engagée en vertu de la présente Partie et qui concerne les employés travaillant dans l'entreprise ou leur agent négociateur.
2 Cet article est ainsi rédigé:
108. La présente Partie s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale, aux patrons de ces employés dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu'aux organisa tions patronales groupant ces patrons et aux syndicats grou- pant ces employés.
3 Les motifs ne citent pas cet alinéa, se contentant d'y faire référence. J'en traiterai plus loin.
l'avantage général du Canada, mais on juge inutile de se prononcer sur la question parce qu'il est plus facile d'en arriver à une conclusion par une autre approche. Cette autre manière d'aborder la ques tion repose, dit-on, sur une prémisse fondamentale. «Dans le secteur du transport,» affirme-t-on, «il existe de façon générale deux situations dans les- quelles la compétence fédérale s'applique»: l'une se présente lorsque «l'entreprise en question fait des affaires à l'extérieur de la province», l'autre lors- que «les activités d'une entreprise par ailleurs pro- vinciale font partie intégrante d'une entreprise fédérale» 4 . La première approche est jugée inappli cable en raison de l'absence de l'élément extrapro- vincial qu'elle exige, tandis que la seconde, qui met en jeu les lignes directrices et les principes établis dans les deux arrêts de principe Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115, aux pages 132 et 133, ainsi que [Northern Telecom Canada Ltée et autre c. Syndicat des travailleurs en communica tion du Canada et autre] [1983] 1 R.C.S. 733, aux pages 770 774, est considérée comme détermi- nante. Tout d'abord, trois entreprises fédérales auxquelles Central Western peut être considérée comme reliée en tant qu'entreprise active sont identifiées: CN, les fabriques de provendes et les élévateurs situés le long de la ligne de chemin de fer, le réseau de transport du grain de l'Ouest. Vient ensuite une analyse du lien matériel et opé- rationnel entre Central Western et chacune des trois entreprises envisagées, analyse dont est tirée la conclusion que les liens existant entre Central Western et chacune de celles-ci sont suffisants pour faire de cette société un ouvrage ou une entreprise de compétence fédérale.
L'avocat de la requérante conteste évidemment le raisonnement suivi par le Conseil. Je dois dire que j'éprouve, moi aussi, certaines réticences à son égard.
Premièrement, je ne crois pas que le «réseau de transport du grain de l'Ouest» peut être considéré comme une entreprise fédérale pour les fins de l'application du critère exposé dans les arrêts Nor
4 Les deux approches mentionnées ici par le Conseil peuvent lui avoir été suggérées par sa propre Loi mais, en fait, elles visent les deux situations dans lesquelles des ouvrages ou entre- prises qui auraient par ailleurs un caractère local peuvent relever de l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. Cette question sera, elle aussi, discutée plus loin.
thern Telecom. Ce réseau national de communica tion est un objectif poursuivi par divers moyens, non une entreprise unique et autonome existant comme entité indépendante et, quoi qu'il en soit, la mise en place d'un tel réseau, considérée isolément, ne ressortirait à aucun champ particulier de com- pétence fédérale exclusive. (On peut se référer sur ce point aux observations faites par lord Reid dans l'arrêt Canadian Pacific Railway Company v. Attorney -General for British Columbia and Attorney -General for Canada (l'affaire Empress Hotel), [1950] A.C. 122 (P.C.), en particulier aux pages 140 et suivantes.)
Deuxièmement, je ne suis pas prêt à accepter que le seul fait que les activités principales de Central Western consistent à fournir un service ferroviaire aux élévateurs suffit à placer cette entreprise sous la compétence fédérale. Il est vrai que les élévateurs situés à l'ouest de la ville de Thunder Bay relèvent de la compétence fédérale puisque, avec les fabriques de provendes, ils ont été déclarés être des ouvrages à l'avantage général du Canada tant en vertu de la Loi sur les grains du Canada, S.C. 1970-71-72, chap. 7 qu'en vertu de la Loi sur la Commission canadienne du blé, S.R.C. 1970, chap. C-12. Je suis donc d'accord avec le Conseil pour dire qu'ils peuvent peut-être constituer une entreprise principale à caractère fédéral à l'égard d'entreprises ou d'ouvrages locaux. Je ne vois toutefois pas comment Central Western, comme entreprise de transport, peut constituer une partie intégrante d'élévateurs dont les activités comprennent la réception, la manuten- tion, le stockage, le pesage, le classement, le net- toyage et le déchargement, mais non le transport du grain. Je ne vois pas non plus comment les opérations de Central Western peuvent être si «vitales» et «essentielles» à l'entreprise des éléva- teurs qu'elles en constituent une partie intégrante suivant les exigences du critère énoncé dans l'arrêt Northern Telecom, comme je le comprends, compte tenu particulièrement de ce que l'on pour- rait très bien, si nécessaire, substituer au service offert par Central Western un réseau de transport par camion. (Voir sur ces points: The King v. Eastern Terminal Elevator Co., [1924] R.C.É. 167; confirmé par [1925] R.C.S. 434; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Nor- Min Supplies Ltd., [1977] 1 R.C.S. 322; voir également CTG Telecommunications Systems,
Inc. c.o.b. as Canadian Telecommunications Group and Communications Workers of Canada (1985), 10 CLRBR (NS) 231 (Ont.), à la page 261.
Finalement, il ne m'apparaît pas que les liens existant entre Central Western en tant qu'affaire et en tant qu'entreprise active et le CN, le chemin de fer national, soient tels que ces deux entreprises doivent être considérées comme formant une entre- prise unique à l'égard de la réglementation de leurs activités. Il est vrai que ces deux compagnies tirent profit de leurs rapports réciproques et, certes, que l'exploitation même de l'entreprise de Central Western pourrait difficilement avoir lieu sans l'ap- port du CN; pourtant, dans l'affaire Empress Hotel précitée, le Conseil privé, statuant sur une situation qui n'était pas très différente de celle en l'espèce, a refusé de conclure à l'intégration des entreprises concernées. La déclaration souvent citée qu'a faite lord Reid dans cette affaire est pertinente à cet égard la page 144):
[TRADUCTION] Il n'y a aucun doute que l'existence d'un grand hôtel bien tenu à Victoria tend à accroître l'utilisation du réseau de l'appelante: il se peut que les entreprises de chemin de fer et d'hôtellerie de l'appelante s'aident mutuellement, mais cela ne les empêche pas d'être des entreprises ou des affaires distinctes.
Il est également vrai que, pour remplir l'obligation qu'elle peut avoir assumée de transporter à sa destination ultime le grain acheminé et manipulé aux élévateurs situés le long de la voie ferrée s'étendant entre Ferlow Junction et Dinosaur, le CN doit à présent avoir recours de façon perma- nente aux services que fournit Central Western dans le cadre de ses opérations. Mais si cela fait de Central Western un élément essentiel des rapports établis entre le CN et certains de ses clients, cela ne rend certainement pas les opérations du CN dépendantes de celles de Central Western en fai- sant de cette dernière une partie «vitale», «fonda- mentale» et «permanente» des opérations du CN.
En conséquence, je ne suis aucunement con- vaincu du bien-fondé du raisonnement tenu par le Conseil. Il ne s'ensuit toutefois pas obligatoirement que sa conclusion soit erronée. Je considère à présent que cette conclusion est effectivement la bonne mais que, cela va de soi, elle doit s'appuyer sur un raisonnement autre que celui du Conseil. J'en arrive à ce raisonnement.
Les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 sur le fondement desquelles la question de compétence constitutionnelle soulevée en l'espèce doit être résolue figurent au paragraphe 92(10), qui doit être lu concurremment avec le paragraphe 91(29). Elles portent:
91. Il sera loisible à la Reine, sur l'avis et avec le consente- ment du Sénat et de la Chambre des communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets exclusivement assignés aux législatures des provinces par la présente loi mais, pour plus de certitude, sans toutefois restreindre la généralité des termes employés plus haut dans le présent article, il est par les présentes déclaré que (nonobstant toute disposition de la présente loi) l'autorité légis- lative exclusive du Parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets énumérés ci-des- sous, à savoir:
29. les catégories de sujets expressément exceptés dans l'énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.
92. Dans chaque province, la législature pourra exclusive- ment légiférer relativement aux matières entrant dans les caté- gories de sujets ci-dessous énumérés, à savoir:
10. les ouvrages et entreprises d'une nature locale, autres que ceux qui sont énumérés dans les catégories suivantes:
a) lignes de bateaux à vapeur ou autres navires, che- mins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entreprises reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limites de la province;
b) lignes de bateaux à vapeur entre la province et tout pays britannique ou étranger;
e) les ouvrages qui, bien qu'entièrement situés dans la province, seront avant ou après leur exécution déclarés, par le Parlement du Canada, être à l'avantage général du Canada, ou à l'avantage de deux ou plusieurs provinces 5 ;
5 L'article 2 du Code canadien du travail incorpore ces dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 dans sa défini- tion de l'«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou «entreprise fédérale» auquel s'applique le Code. Cet article est en partie rédigé de la manière suivante:
2. Dans la présente loi
«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou «entreprise fédérale» signifie tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède:
(Suite à la page suivante)
Je suis d'avis que la subdivision Stettler, exploi- tée comme elle l'est à présent, ressortit directe- ment à l'alinéa a) du paragraphe 92(10) en qualité de chemin de fer interprovincial (le Conseil a écarté cette possibilité avant de conclure que l'ali- néa 92(10)a) était effectivement applicable, mais pour le motif que l'entreprise visée était reliée à une entreprise interprovinciale), et subsidiaire- ment, relève de l'alinéa c) parce qu'elle a fait l'objet d'une déclaration (le Conseil a décliné l'examen de cette possibilité).
La raison pour laquelle je crois que la subdivi sion Stettler doit, dans son utilisation actuelle, être considérée comme un chemin de fer reliant une province à d'autres provinces au sens de l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 peut s'énoncer facilement. Avant d'être vendue à Cen tral Western, cette ligne reliant Ferlow Junction et Dinosaur constituait un élément indissociable du réseau du Canadien National et formait partie intégrante de ce réseau. Il me semble qu'un tel caractère, qui est attaché à l'ouvrage lui-même, ne peut être considéré comme ayant disparu pour le seul motif que la ligne de chemin de fer en ques tion est actuellement possédée et exploitée par une entité corporative différente, ou que le raccorde- ment entre ce tronçon et la ligne du CN est à présent contrôlé au moyen d'un dispositif spécial. Étant exploitée exactement comme elle l'était antérieurement, la ligne en cause continue d'être une partie d'un chemin de fer «reliant la province à d'autres provinces». Il me semblerait qu'un chan- gement radical dans l'utilisation et la fonction de la ligne visée aurait été nécessaire pour modifier cette perspective. La subdivision Stettler aurait- elle commencé à être exploitée comme un organe touristique servant au transport de passagers payants de site en site, par exemple, qu'il existerait des motifs permettant de conclure que cette ligne a perdu son ancien caractère pour en acquérir un nouveau. Rien de tel ne s'est produit en l'espèce.
(Suite de la page précédente)
b) tout chemin de fer, canal, télégraphe ou autre ouvrage ou entreprise reliant une province à une ou plusieurs
autres, ou s'étendant au-delà des limites d'une province;
h) tout ouvrage ou entreprise que le Parlement du Canada déclare (avant ou après son achèvement) être à l'avantage du Canada en général, ou de plus d'une province, bien que situé entièrement dans les limites d'une province; et
Je ne vois aucune différence significative entre la présente situation et celle sur laquelle devait se prononcer le Conseil privé dans l'affaire Luscar Collieries v. McDonald, [1927] A.C. 925 (P.C.), la conclusion du tribunal a été énoncée de la manière suivante (aux pages 932 et 933):
[TRADUCTION] ... considérant le mode d'exploitation du chemin de fer, Leurs Seigneuries sont d'avis qu'il s'agit en fait d'un chemin de fer reliant la province de l'Alberta avec d'autres provinces, et, par conséquent, visé par l'article 92(10)a) de l'Acte de 1867. Il existe une liaison continue par chemin de fer entre ce point de l'embranchement Luscar qui est le plus éloigné du point de raccordement avec l'embranchement Moun tain Park, et les régions du Canada situées à l'extérieur de la province d'Alberta.
D'autre part, il me semble que la décision rendue dans l'affaire British Columbia Electric Ry. Co. Ltd. et al. v. Canadian National Ry. Co. et al., [1932] R.C.S. 161 doit être distinguée en ce que le tronçon de chemin de fer d'un mille dont il était question dans cette espèce n'avait pas été aupara- vant exploité par une société nationale comme une partie indissociable d'un réseau de chemin de fer national. Les décisions rendues dans des affaires relatives à la séparation ou à la vente de partie d'entreprises fédérales (comme, par exemple, dans l'affaire General Teamsters, Local 362, and Stern Transport Ltd. and Byers Transport Limited (1986), 12 CLRBR (NS) 236) doivent également être distinguées sans hésitation. Comme l'a dit un des avocats des intimés: [TRADUCTION] «une fois une entreprise séparée d'une autre, il ne demeure plus rien de commun entre les deux entités sauf, peut-être, une certaine mesure de coordination ou de coopération entre les deux affaires. Lorsqu'un ouvrage est séparé d'un autre, par contre 6 , les installations et la liaison matérielles demeurent. L'ouvrage continue d'être ce qu'il était avant la vente. Une entreprise divisée entre deux sociétés dont l'une exploite ses aspects locaux et l'autre ses aspects interprovinciaux devient effectivement deux entreprises distinctes qui peuvent être jugées séparément. La même chose ne peut être dite d'un ouvrage interprovincial divisé en vertu d'une abstraction».
6 Pour une discussion et une analyse des arrêts distinguant les ouvrages et les entreprises, voir Neil Finkelstein, Laskin's Canadian Constitutional Law, vol. 1, 5' éd. Toronto: Carswell 1986, aux p. 628 et 629.
Même si j'avais tort de croire que la subdivision Stettler relève de l'alinéa 92(10)a) de la Loi cons- titutionnelle de 1867, je considérerais toujours qu'elle ressortit à la compétence fédérale en vertu de l'alinéa 92(10)c). En effet cette subdivision, comme je conçois son historique, a plus d'une fois été déclarée par le Parlement être à l'avantage général du Canada, et il n'existe aucun motif qui porte à croire que ces déclarations ont été expres- sément ou tacitement abrogées depuis ou sont devenues inopérantes pour quelque autre motif.
La subdivision Stettler est une ligne de chemin de fer qui faisait partie du réseau de Canadian Northern Railway en vertu d'une fusion opérée entre Alberta Midland Railway Company et Canadian Northern Railway Company en juillet 1909. En 1919, le gouvernement du Canada avait acquis la propriété et le contrôle de Canadian Northern Railway Company. Au cours de cette année-là, la Loi ayant pour objet de constituer en corporation le Canadian National Railway Com pany et concernant les chemins de fer nationaux du Canada, S.C. 1919, chap. 13 a créé le CN et a autorisé la Couronne à transférer les actions de Canadian Northern Railway à CN. L'article 18 de cette Loi était ainsi libellé:
18. Les ouvrages de l'une quelconque des compagnies com prises dans le réseau du Canadian Northern, qui n'ont pas jusqu'à présent été déclarés des ouvrages d'utilité publique au Canada, sont par les présentes déclarés des ouvrages d'utilité publique au Canada, et les ouvrages de toutes compagnies ou compagnies que, de temps à autre, le Gouverneur en conseil déclare, dans la suite, compris dans le réseau du Canadian Northern, sont par les présentes déclarés, à partir de et après la date de cette déclaration par le Gouverneur en conseil, des ouvrages d'utilité publique au Canada.
Une première annexe à cette Loi énumérant les compagnies constituantes mentionnait en tête de liste la Compagnie de chemin de fer Canadian Northern, tandis qu'une deuxième annexe identi- fiant les lignes de chemin de fer construites par Canadian Northern Western Railway Company désignait précisément ce qui m'apparaît être le tronçon plus tard connu sous le nom de Stettler Subdivision en parlant d'une ligne «à partir d'un endroit sur la ligne construite entre Big Valley et Stettler, en allant vers le sud-est jusqu'à une jonc- tion avec la ligne Saskatoon Calgary». Cette décla- ration était la première. Elle figure encore, sous une forme ne présentant que de légères différences avec la précédente, au paragraphe 18(1) de la
présente Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada [S.R.C. 1970, chap. C-10] 7 .
Cette déclaration n'est pas la seule. La Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2 con- tient une déclaration au même effet. Elle se trouve à l'alinéa 6(1)c), qui porte:
6. (1) Sans restreindre l'effet de l'article 5, les dispositions de la présente loi s'étendent et s'appliquent:
c) à tout chemin de fer, ou partie de chemin de fer, construit ou non en vertu de l'autorité du Parlement du Canada, actuellement ou dans la suite possédé, contrôlé, loué ou exploité par une compagnie relevant entièrement ou en partie de l'autorité législative du Parlement du Canada, ou par une compagnie exploitant un chemin de fer relevant entièrement ou en partie de l'autorité législative du Parlement du Canada, que ce droit de propriété, de contrôle ou d'exploita- tion en premier lieu mentionné soit acquis ou exercé par achat, bail, contrat ou autre moyen quelconque, et soit acquis ou exercé en vertu de l'autorité du Parlement du Canada, ou de la législature de toute province, ou de toute autre manière; et tout chemin de fer, ou partie de chemin de fer, actuelle- ment ou dorénavant ainsi possédé, contrôlé, loué ou exploité, est réputé et est par la présente loi déclaré un ouvrage à l'avantage général du Canada.
Je ne vois pas pourquoi ces déclarations, qui figurent parmi les dispositions fondamentales de deux des plus importantes lois fédérales, ne se verraient pas accorder leur plein effet et significa tion constitutionnels. On a tenté pour le compte de la requérante de soulever un doute au sujet de leur validité ou de leur applicabilité mais, à mon sens, on n'y est pas parvenu.
La contestation de la validité de la déclaration s'est appuyée sur deux argumentations distinctes. Il a été suggéré premièrement que les déclarations visées étaient inconstitutionnelles parce qu'elles étaient trop générales et insuffisamment précises pour être pleinement expressives. Cet argument a été suggéré par une opinion exprimée par M. le juge Duff (c'était alors son titre) dans les motifs qu'il a prononcés dans l'affaire Luscar Collieries Ltd. v. McDonald, [1925] R.C.S. 460; [1925] 3 D.L.R. 225. Cependant, selon mon interprétation
7 Elle est à présent rédigée de la manière suivante:
18. (1) Sont par les présentes déclarés être à l'avantage général du Canada les ouvrages de chemin de fer ou autres ouvrages de transport, au Canada, de la Compagnie du National et de chaque compagnie mentionnée ou visée dans la Partie I ou la Partie I1 de l'annexe, et de chaque compa- gnie formée par la réunion ou fusion de deux ou plusieurs de ces compagnies.
des observations du juge Duff auxquelles il a été fait référence (aux pages 476 et 477 R.C.S.; 236 et 237 D.L.R.), l'inquiétude manifestée par le juge avait trait à des ouvrages dont l'exécution non seulement n'avait pas eu lieu mais n'avait même pas encore été envisagée. Je ne puis voir comment une déclaration qui vise clairement des ouvrages déjà existants pourrait être considérée comme non existante pour le seul motif que son libellé serait jugé trop général.
Il a été soutenu de façon plus précise que les déclarations en cause étaient nulles en ce qui avait trait à la subdivision Stettler parce que, au moment elles ont été édictées, cette ligne consti- tuait déjà une partie indivisible d'un chemin de fer interprovincial et, à ce titre, n'avait pas besoin d'être déclarée à l'avantage général du Canada pour relever de la compétence fédérale. Je ne suis pas certain que cet argument puisse même être avancé relativement à la toute première déclara- tion précise de 1911, et, quoi qu'il en soit, je ne le trouve pas convaincant. Même si les déclarations, au moment elles ont été édictées, étaient [TRA- DUCTION] «sans objet» ou [TRADUCTION] «inuti- les», comme l'ont dit certains juges pour souligner qu'elles n'avaient alors aucune conséquence consti- tutionnelle indépendante, il ne s'ensuit pas qu'elles puissent simplement être ignorées comme si elles n'avaient jamais été faites. Le Parlement avait sans doute ses raisons de considérer, dans sa sagesse, que ces déclarations étaient appropriées malgré la possibilité de leur soi-disant [TRADUC- TION] «absence d'objet»; s'il les a faites dans un autre but que d'apporter une plus grande certitude, ce pourrait bien être pour régler les éventuelles séparations comme celle qui est survenue en l'espèce.
L'opposition à l'applicabilité des déclarations, en supposant que ces dernières fussent jugées valides, présentait également deux volets. Il a été dit que la subdivision Stettler n'était plus visée puisqu'elle n'appartenait plus à l'une des deux compagnies mentionnées et identifiées dans les dispositions de la Loi. Cet argument supposait que la mention du propriétaire dans les déclarations n'avait pas pour seul objet de désigner les ouvrages en question, mais que ces déclarations dépendaient de l'identité du propriétaire. Je ne considère pas cette supposi tion bien fondée. C'est l'ouvrage lui-même qui a
été déclaré à l'avantage du Canada, et je ne vois pas comment on aurait pu envisager qu'il cesserait de l'être, non pas à la suite de la transformation de son utilisation et de son exploitation, mais simple- ment parce que sa propriété passait d'une société à une autre. Il a finalement été dit que, si la subdivi sion Stettler était initialement visée par les décla- rations, l'approbation de sa vente par le gouver- neur général en conseil conformément aux articles 23 et 31 de la Loi sur les Chemins de fer natio- naux du Canada avait mis fin à toute conséquence pouvant découler de celles-ci. Cet ultime argument cherche un appui dans la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Montreal Tramways Co. v. Lachine, Jacques-Cartier and Maisonneuve Railway Co. (1914), 50 R.C.S. 84, une majo- rité de cette Cour a exprimé l'opinion que l'autori- sation, au moyen d'une loi spéciale du Parlement, de la vente, à une compagnie provinciale, de biens appartenant à un chemin de fer fédéral avait, par voie d'interprétation nécessaire, rendu inopérante une déclaration antérieure visant ces mêmes biens. La distinction qui s'impose est toutefois évidente. Le Parlement peut annuler à tout moment sa propre déclaration; je ne sache point qu'un tel pouvoir soit dévolu au gouverneur général en conseil.
J'ai pris soin de discuter et de rejeter chacun des arguments présentés à l'appui de la proposition que la compétence fédérale sur la subdivision Stettler ne peut découler d'une déclaration faite en vertu de l'alinéa c) du paragraphe 10 de la Loi constitutionnelle de 1867. Les réponses que j'ai apportées aux différents points soulevés auront cependant suggéré que ma réaction globale à cet égard est la même que j'ai eue en analysant la situation en l'espèce en fonction de l'alinéa a). Je ne puis accepter que l'effet d'une déclaration d'in- térêt national du Parlement puisse être annulé sans l'intervention expresse du Parlement lui-même, pas plus que je ne pourrais être convaincu que le caractère interprovincial d'une partie d'un réseau de chemin de fer national puisse être annulé par le seul fait qu'elle change de propriétaire. En effet, il apparaîtrait tout à fait inapproprié qu'une modifi cation de la caractérisation constitutionnelle d'une «matière» puisse être effectuée par la simple con clusion d'une vente entre personnes morales, sans qu'un changement correspondant n'intervienne dans les valeurs constitutionnelles sous-jacentes
ayant déterminé la classification de cette matière en premier lieu. Ainsi, à mon avis, la subdivision Stettler n'est pas seulement un chemin de fer reliant différentes provinces entre elles au sens de l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867: elle constitue également un ouvrage à l'égard duquel les déclarations faites en vertu de l'alinéa 92(10)c) de cette Loi sont pleinement opérantes.
Cet état de choses règle-t-il le sort du litige qui nous est soumis? Il le fait si nous sommes autorisés à déduire de l'appartenance de la subdivision Stettler à la catégorie des ouvrages fédéraux que les relations de travail de Central Railway relèvent de la compétence fédérale et doivent être régies par la Partie V du Code canadien du travail. Et je crois effectivement autorisée une telle. conclusion, que partagent manifestement tous les avocats agis- sant dans le présent dossier, aucun d'eux ne l'ayant contestée, mais je me rends compte qu'une diffi culté se soulève.
Il peut être dit que le caractère fédéral conféré à la subdivision Stettler en qualité de chemin de fer visé par l'alinéa 92(10)a) ou en qualité d'ouvrage visé par l'alinéa 92(10)c) ne doit pas être étendu à Central Railway comme entreprise sur le seul fondement du lien existant entre cette subdivision et cette société. Il pourrait être soutenu à l'appui de cette prétention qu'il n'existe aucun motif pour lequel les ouvrages fédéraux ne devraient pas être utilisés par des entreprises provinciales; cet argu ment chercherait un appui dans les arrêts qui ont à présent clairement établi que la construction, la réparation ou l'entretien d'un ouvrage fédéral pourrait être effectué par une entreprise sans que les relations de travail en cause ne relèvent de la compétence fédérale. (Voir, par exemple, Cons truction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754; Re Code canadien du travail (1986), 72 N.R. 348 (C.A.F.)). J'estime toutefois qu'il faut ici faire une distinction fonda- mentale entre, d'une part, une entreprise qui est seulement appelée à participer à la construction, à la réparation ou à l'entretien d'un ouvrage fédéral, ou qui se trouve utiliser un tel ouvrage dans l'exer- cice de ses activités et, d'autre part, une entreprise ayant pour seule raison d'être d'exploiter de façon continue cet ouvrage fédéral, de mettre en valeur sa capacité de production, de lui faire produire,
pour ainsi dire, le [TRADUCTION] «bénéfice natio nal général» qui en est attendu. Il me semblerait normal, en raison de la dimension nationale de cette dernière entreprise, que le caractère fédéral de l'ouvrage en question entraîne la compétence fédérale sur tous les aspects essentiels de son exploitation. Tel est, quoi qu'il en soit, le point de vue qu'a adopté le Parlement lorsqu'il a édicté l'article 108 du Code canadien du travail, qui porte:
108. La présente Partie s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale*, aux patrons de ces employés dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu'aux organisations patronales groupant ces patrons et aux syndicats groupant ces employés. (J'ai souligné les mots qui me semblent appuyer ma proposition le plus significativement.)
Tels sont les motifs pour lesquels je crois que la décision du Conseil était bien fondée et que la présente demande devrait être rejetée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN (dissident): La Central Western Railway Corporation est une société cons- tituée par une loi de la législature de l'Alberta. Elle exploite un chemin de fer. Sa voie ferrée, entièrement située en Alberta, consiste en un peu plus de cent milles de l'ancienne ligne des Chemins de fer nationaux du Canada reliant Edmonton et Calgary. Elle a acheté cette ligne et le droit de passage (mais aucun matériel roulant) du CN. La ligne en question était antérieurement connue comme la subdivision Stettler du CN. Cette ligne se raccordait à la ligne du CN avant sa vente, mais elle ne le fait plus. Le CN a installé et contrôle un dispositif connu sous le nom de [TRADUCTION] «dérailleur verrouillé en position ouverte» au point de rencontre des deux lignes. Ce dispositif sépare matériellement le réseau de la Central Western de celui du CN en créant entre eux un écart suffisam-
* Note du traducteur—Le texte anglais dit: «This Part applies in respect of employees who are employed upon or in connection with the operation of any federal work, undertaking or business ...»; l'expression «federal work, undertaking or business» est rendue dans la version française de l'article 2 du Code canadien du travail par les expressions «"entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale" ou "entreprise fédérale"».
ment important pour faire dérailler tout train cir- culant à cet endroit alors qu'il est en position ouverte. Ainsi, sans la permission du CN, les trains ne peuvent passer de la ligne de la Central Wes tern à la ligne du CN ou inversement.
Le matériel roulant de la Central Western com- prend trois locomotives, qui ont été achetées ail- leurs, ainsi que divers autres véhicules. Le trans port du grain représente de loin la plus grande partie de ses affaires. Ce grain voyage dans des wagons qui n'appartiennent ni au CN ni à la Central Western. Le CN les conduit vides au terminus de la ligne de la Central Western; cette dernière les achemine jusqu'à certains élévateurs situés le long de sa ligne et les place à des endroits déterminés; une fois les wagons chargés de grain, la Central Western les ramène à son terminus, ils sont pris en charge par le CN, qui les transporte sur sa ligne principale à différents points situés à l'extérieur de l'Alberta.
La Central Western a huit employés, y compris son président et son vice-président. La seule ques tion à trancher dans le cadre de cette demande fondée sur l'article 28 est celle de savoir si les relations de travail de la Central Western sont assujetties à la compétence fédérale. Le Conseil canadien des relations du travail a conclu que tel
était le cas dans la décision faisant l'objet du présent examen.
La règle générale applicable aux relations de travail canadiennes veut que celles-ci relèvent de la compétence provinciale; la compétence fédérale constitue l'exception. L'énoncé classique sur cette question est l'exposé des six principes applicables fait par le juge Dickson (c'était alors son titre) dans l'arrêt Northern Telecom Liée c. Travail- leurs en communication du Canada, [ 1980] 1 R.C.S. 115 (Northern Telecom 1), à la page 132:
(I) Les relations de travail comme telles et les termes d'un contrat de travail ne relèvent pas de la compétence du Parle- ment; les provinces ont une compétence exclusive dans ce domaine.
(2) Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s'il est établi que cette compétence est partie intégrante de sa compé- tence principale sur un autre sujet.
(3) La compétence principale du fédéral sur un sujet donné peut empêcher l'application des lois provinciales relatives aux relations de travail et aux conditions de travail, mais unique-
ment s'il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale.
(4) Ainsi, la réglementation des salaires que doit verser une entreprise, un service ou une affaire et la réglementation de ses relations de travail, toutes choses qui sont étroitement liées à l'exploitation d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire, ne relèvent plus de la compétence provinciale et ne sont plus assujetties aux lois provinciales s'il s'agit d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire fédérale.
(5) La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l'exploitation.
(6) Pour déterminer la nature de l'exploitation, il faut considé- rer les activités normales ou habituelles de l'affaire en tant qu'«entreprise active», sans tenir compte de facteurs exception- nels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pourrait être appliquée de façon continue et régulière.
Comme il a été établi clairement dans cet arrêt ainsi que dans la décision subséquente rendue dans l'affaire Northern Telecom Canada Ltée et autre c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada et autre, [1983] 1 R.C.S. 733 (Northern Telecom 2), la compétence en matière de rela tions de travail ressortit au fédéral non seulement à l'égard d'une entreprise principale fédérale mais encore à l'égard d'une entreprise accessoire inté- grée à une entreprise principale à caractère fédéral aux plans matériel et opérationnel.
La question devient donc celle de savoir si la Central Western constitue elle-même une entre- prise principale fédérale ou est intégrée dans son fonctionnement à une entreprise principale à caractère fédéral de manière à assujettir ses rela tions de travail au Code canadien du travails. Cette question, à son tour, appelle l'examen des dispositions des paragraphes 91(29) et 92(10) des Lois constitutionnelles de 1867 1982:
91. Il sera loisible à la Reine, sur l'avis et avec le consente- ment du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets exclusivement assignés aux législatures des provinces par la présente loi mais, pour plus de certitude, sans toutefois restreindre la généralité des termes employés plus haut dans le présent article, il est par les présentes déclaré que (nonobstant toute disposition de la présente loi) l'autorité légis- lative exclusive du Parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets énumérés ci-des- sous, à savoir:
29. les catégories de sujets expressément exceptés dans l'énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.
8 S.R.C. 1970, chap. L-1.
92. Dans chaque province, la législature pourra exclusive- ment légiférer relativement aux matières entrant dans les caté- gories de sujets ci-dessous énumérés, à savoir:
10. les ouvrages et entreprises d'une nature locale, autres que ceux qui sont énumérés dans les catégories suivantes:
a) Lignes de bateaux à vapeur ou autres navires, che- mins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entreprises reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limites de la province;
b) Lignes de bateaux à vapeur entre la province et tout pays britannique ou étranger;
e) Les ouvrages qui, bien qu'entièrement situés dans la province, seront avant ou après leur exécution déclarés, par le Parlement du Canada, être à l'avantage général du Canada, ou à l'avantage de deux ou plusieurs provinces.
Le paragraphe 92(10) parle à la fois d'«ouvra- ges» et d'«entreprises». A mon sens, pour bien comprendre ce texte, il est essentiel de garder ce fait à l'esprit et de savoir que les «ouvrages» et les «entreprises>» constituent deux réalités parfaitement distinctes.
Dans l'arrêt Montreal City v. Montreal Street Railway Company, [1912] A.C. 333, lord Atkin- son, parlant au nom du Conseil privé, a dit en faisant particulièrement référence aux termes de l'alinéa 92(10)c) la page 342]:
[TRADUCTION] Ces ouvrages sont des choses matérielles et non des services.
Les termes de lord Atkinson ont été repris au nom du Conseil privé dans l'arrêt In re Regulation and Control of Radio Communication in Canada,
[1932] A.C. 304, la page 315, par vicomte Dunedin, qui a établi la distinction évidente entre le terme «works» («ouvrages») figurant seul à l'ali- néa 92(10)c) et l'expression «works and underta kings» («ouvrages et entreprises») de l'alinéa 92(10)a):
[TRADUCTION] Une «entreprise» n'est pas une chose matérielle, mais une organisation dans laquelle, cela va de soi, on utilise des choses matérielles.
Le Conseil privé s'est à nouveau penché sur la question dans l'arrêt Attorney -General for Onta- rio v. Israel Winner, [1954] A.C. 541. Lord Porter, parlant au nom du Comité, a dit aux pages 571 et 572:
[TRADUCTION] La première de ces observations exige un examen minutieux et attentif des termes et de la portée de
l'article 92(10)a). L'argumentation a été présentée de diverses manières. On a dit en premier lieu que les mots ouvrages et entreprises devaient être pris comme un tout et que ce paragra- phe ne pouvait s'appliquer si l'entreprise n'était pas en même temps un ouvrage et une entreprise, le premier de ces mots désignant l'objet matériel et le second l'usage que l'on en fait. On a soutenu qu'il n'existait pas d'ouvrage en l'espèce et que l'existence d'un ouvrage était un élément essentiel pour que le paragraphe puisse s'appliquer. La nécessité de la coexistence de ces deux éléments pouvait, disait-on, être illustrée en prenant le cas d'un chemin de fer, l'on trouve une voie sur laquelle s'effectue le transport de marchandises et de voyageurs; pour interpréter les mots «ouvrages et entreprises», il était nécessaire de les replacer dans le contexte du paragraphe.
Leurs Seigneuries n'admettent pas l'argument suivant lequel l'association d'un ouvrage et d'une entreprise est essentielle pour que le paragraphe puisse s'appliquer. La manière la plus simple de faire tomber cet argument est peut-être de faire remarquer que l'article commence par donner compétence aux provinces sur les ouvrages et les entreprises d'une nature locale. Si par conséquent un tel argument était retenu, la province n'aurait compétence que dans les cas le sujet en question serait constitué à la fois d'un ouvrage et d'une entreprise. S'il n'était pas constitué de ces deux éléments, mais seulement de l'un d'entre eux, la province ne pourrait pas s'en occuper et, de toute façon, les ouvrages d'une nature locale qui ne seraient pas aussi des entreprises et les entreprises d'une nature locale qui ne seraient pas aussi des ouvrages ne pourraient être soumis à la compétence de la province en vertu de cet article, résultat qu'on n'a jamais envisagé, pour autant que le sachent leurs Seigneu- ries. On trouve de plus dans le paragraphe (10)c) le mot «ouvrages», sans qu'on lui ait rattaché le mot «entreprises», ce qui conduit à conclure que ces mots doivent s'entendre séparé- ment, de sorte que si soit des ouvrages soit des entreprises relient la province avec d'autres ou s'étendent hors de ses limites, c'est le Dominion, et le Dominion seul, qui a le pouvoir de les réglementer.
Le cas des bateaux à vapeur illustre encore davantage la difficulté de concilier l'interprétation que l'on nous propose avec les termes de l'article. Les lignes de navigation entre la province et n'importe quel pays britannique ou étranger peu- vent être exploitées en l'absence de tout ouvrage. Le seul lien qu'elles fournissent pour rattacher deux points consiste à faire l'aller-retour entre eux. Leurs Seigneuries ne peuvent donc que rejeter la prétention suivant laquelle l'existence d'un ouvrage matériel quelconque constitue une condition essentielle à l'ap- plication de l'exception. De même que pour les bateaux, il suffit dans les cas des autobus qu'il existe une entreprise qui serve de lien.
La Cour suprême a à nouveau confirmé que les ouvrages sont séparés et distincts des entreprises et que ces deux termes doivent être considérés comme disjoints au paragraphe 92(10) dans l'arrêt Com mission du Salaire Minimum v. Bell Telephone Company of Canada, [1966] R.C.S. 767, la page 772.
Finalement, mentionnons l'assertion, à mon humble avis, incontestable, faite par le juge Rand
dans le renvoi Stevedoring la page 553] 9 :
[TRADUCTION] Dans l'art. 92(10)c), on ne mentionne pas les entreprises sans mentionner aussi les ouvrages; elles ne peuvent donc pas faire l'objet d'une telle déclaration 1 ».
Si j'ai considéré qu'il était nécessaire d'insister sur la distinction entre les «ouvrages» et les «entre- prises», c'est parce que le terme «chemin de fer» est souvent utilisé pour désigner soit les uns soit les autres de façon interchangeable. En tant qu'ou- vrage, un chemin de fer est constitué d'une voie ferrée ainsi que du droit de passage et des installa tions qui y sont afférents; en tant qu'entreprise, un chemin de fer est une affaire possédant des actifs (dont l'ouvrage qu'est la voie ferrée mais ne s'y limitant aucunement) et des employés.
Dans un tel contexte, trois voies possibles d'assu- jettissement des relations de travail de la Central Western à la compétence fédérale ont été suggé- rées. Elles sont les suivantes:
1. La Central Western est elle-même un ouvrage ou une entreprise principalement à carac- tère fédéral au sens de l'alinéa 92(10)a);
2. La Central Western est une entreprise acces- soire intégrée dans son fonctionnement à une entreprise principale à caractère fédéral de manière à placer ses relations de travail sous le contrôle fédéral. Trois entreprises principales pos sibles à caractère fédéral sont identifiées:
A. Le CN;
B. Les élévateurs situés le long de la ligne de la Central Western;
9 Reference re Industrial Relations and Disputes Act, [1955] R.C.S. 529.
10 Je ne puis accepter l'opinion exprimée par certains com- mentateurs selon laquelle ce passage appuie la proposition que les entreprises existant avec des ouvrages peuvent faire l'objet de la déclaration prévue à l'alinéa 92(10)c). Voir P. Schwartz, «Fiat by Declaration», (1960-63) 2 Osgoode Hall L.J. 1; Andrée Lajoie, Le pouvoir déclaratoire du Parlement, Mont- réal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1969. Cette interprétation semble postuler l'existence d'une erreur de rédac- tion consistant soit dans l'omission des «entreprises» à l'alinéa c), soit dans la mention de celles-ci à l'alinéa a); elle ne tient pas compte non plus des opinions judiciaires très explicites que j'ai citées. Pour une opinion plus juste, voir I. H. Fraser, «Some comments on subsection 92(10)(c) of the Constitution Act, 1867», (1983-84) 29 McGill L.J. 557. Ce dernier auteur fournit une analyse particulièrement utile et rigoureuse de l'alinéa 92(10)c) ainsi que des différentes interprétations qui en ont été tentées.
C. Le «réseau de transport du grain de l'Ouest».
3. La Central Western est un ouvrage ayant fait l'objet de la déclaration prévue au paragraphe 92(10)c).
Ces possibilités doivent être examinées tour à tour.
1. La Central Western comme ouvrage ou entre- prise principalement à caractère fédéral
La proposition que la Central Western est un ouvrage ou une entreprise reliant l'Alberta à d'au- tres provinces ou s'étendant au-delà des limites de l'Alberta n'a pas été acceptée par le Conseil et n'a pas été plaidée avec force devant nous. À mon sens on peut en disposer assez aisément. En tant qu'ou- vrage, la ligne de la Central Western est entière- ment contenue dans les limites de l'Alberta et est matériellement séparée de la ligne du CN qui relie cette province à d'autres provinces. La seule déci- sion qui pourrait vraisemblablement appuyer une prétention de compétence fédérale est l'arrêt Luscar Collieries v. McDonald, [1927] A.C. 925 (P.C.). Cette décision concerne un embranchement à partir duquel les trains pouvaient passer directe- ment sur une ligne interprovinciale, embranche- ment qui était, en fait, exploité par une entreprise de chemin de fer interprovinciale. Ni l'une ni l'autre de ces conditions n'est présente en l'espèce. En fait, la situation de la Central Western est encore plus favorable à sa cause que celle qui se présentait dans l'affaire British Columbia Electric Ry. Co. Ltd. et al. v. Canadian National Ry. Co. et al., [1932] R.C.S. 161, un embranchement dont chaque extrémité était directement reliée à des chemins de fer interprovinciaux mais qui appartenait à une entreprise provinciale qui l'ex- ploitait elle-même, a été jugé comme ne relevant pas de la compétence fédérale".
" Voir également l'arrêt Kootenay & Elk Railway Co. c. Compagnie du Chemin de Fer Canadien du Pacifique, [1974] R.C.S. 955, qui a maintenu le caractère provincial de la compétence relative à un chemin de fer qui devait s'arrêter à un quart de pouce de la frontière, il serait relayé par un autre chemin de fer commençant à cette même distance du côté opposé de celle-ci. Il se peut toutefois que l'autorité de cet arrêt soit affaiblie, non seulement par l'expression de fortes opinions dissidentes, mais encore par le fait que la construction du chemin de fer n'avait pas effectivement eu lieu et que la décision de la Cour concernait seulement un projet et n'avait pas trait à une réalité.
La Central Western ne peut non plus en tant qu'entreprise de chemin de fer être considérée comme reliant l'Alberta à d'autres provinces ou s'étendant au-delà des limites provinciales. Les employés de la Central Western ne dirigent jamais leurs trains sur d'autres voies que celles de leur employeur et ne pourraient, même s'ils le vou- laient, conduire le matériel roulant sur une ligne pouvant éventuellement les diriger au-delà des limites provinciales.
2. La Central Western comme entreprise acces- soire intégrée à une entreprise principale à caractère fédéral
A. CN—Il n'est aucunement indiqué que les activités du CN dépendent de la Central Western de quelque façon que ce soit. Bien au contraire. Le CN a vendu la subdivision Stettler à la Central Western après avoir tenté pendant plusieurs années d'abandonner cette ligne. Le fait que la Central Western puisse dépendre totalement du CN dans l'exploitation de son entreprise de chemin de fer n'est évidemment pas pertinent aux fins du présent examen puisqu'il n'est jamais arrivé qu'une entreprise provinciale soit devenue assujettie à la compétence fédérale simplement parce que son existence dépendait entièrement d'une entreprise fédérale; les décisions relatives aux expéditeurs de marchandises illustrent bien ce point ' 2 .
B. Les élévateurs—Ceux-ci sont des ouvrages fédéraux déclarés être à l'avantage général du Canada par le Parlement conformément à l'alinéa 92(10)c). Comme il a été indiqué, toutefois, cette déclaration ne peut être opérante qu'à l'égard d'un ouvrage et ne peut avoir d'effet à l'égard d'une entreprise. Ils ne font pas partie des ouvrages du chemin de fer. Comme entreprises, les élévateurs sont fonctionnellement aussi distincts du chemin de fer qu'ils le sont des camions des fermiers qui leur livrent du grain. Un élévateur sert à la récep- tion, au classement, à la manutention et au stoc- kage du grain mais non à son transport. Et même si l'expédition du grain était considérée comme essentielle à la fonction d'un élévateur (par opposi tion à son usage), il n'est aucunement clair qu'une telle fonction dépende du chemin de fer.
12 Voir Cannet Freight Cartage Ltd. (In re), [1976] 1 C.F. 174 (C.A.); Re The Queen and Cottrell Forwarding Co. Ltd. (1981); 124 D.L.R. (3d) 674 (C. div. Ont.).
C. «Réseau de transport du grain de l'Ouest»— La décision du Conseil est principalement fondée sur ce point. A mon sens, et avec déférence, le point de vue selon lequel le «réseau de transport du grain de l'Ouest» constitue une entreprise princi- pale à caractère fédéral est tout simplement insou- tenable. Au niveau le plus fondamental, ce réseau ne peut aucunement être considéré comme une entreprise puisqu'il n'existe aucune personne ou société qui agisse comme entrepreneur à cet égard. L'expression «réseau de transport du grain de l'Ouest» elle-même semble être une construction fondée sur les mentions du réseau interprovincial de communication de Bell dans l'arrêt Northern Telecom 2. La distinction entre ces deux réseaux, naturellement, s'impose d'évidence. Le réseau de Bell est une entreprise identifiable possé- dant une administration unique et intégrée. Le «réseau de transport du grain de l'Ouest» est une agglomération de personnes, de choses et de politi- ques. Il constitue une abstraction. Ce concept étend d'un coup de façon importante la compé- tence fédérale. S'il existe réellement un réseau national de transport du grain conférant à l'auto- rité fédérale la compétence sur chaque entreprise locale de transport du grain, celui-ci doit égale- ment s'étendre au transport routier du grain. L'adoption de la conclusion tirée dans l'arrêt Nor thern Telecom 2 aurait également pour consé- quence de faire relever de la compétence fédérale toute société de téléphone provinciale qui serait reliée à un «réseau canadien de télécommunica- tions» à caractère national ou ferait partie d'un tel réseau. Ce sont des propositions que je ne puis accepter.
3. La Central Western comme ouvrage déclaré être à l'avantage général du Canada
Immédiatement avant sa vente par le CN à la Central Western, la ligne faisait l'objet d'une déclaration prévue à l'alinéa 92(10)c). Cette décla- ration statutaire avait existé sous diverses formes depuis que cette ligne avait appartenu à la Cana- dian Northern Railway. Sa plus récente expression figure au paragraphe 18(1) de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada. Les termes pertinents de ce paragraphe sont les suivants:
' 3 S.R.C. 1970, chap. C-10.
18. (1) Sont par les présentes déclarés être à l'avantage général du Canada les ouvrages de chemin de fer ou autres ouvrages de transport, au Canada, de la Compagnie du Natio nal...
Ici encore la distinction entre les ouvrages et les entreprises est vitale 14 . Ce sont les ouvrages du CN qui ont été déclarés être à l'avantage général du Canada. Pour les fins de la présente affaire, cela désigne la ligne de voie ferrée constituant la subdi vision Stettler. Cette déclaration ne vise pas l'en- treprise exploitée par CN sur cette voie ferrée. Si tel était le cas, la déclaration aurait, naturelle- ment, cessé d'être opérante dès que le CN a vendu son droit de passage et cessé d'exploiter son entre- prise sur celle-ci. Dans l'état actuel des choses, toutefois, comme la déclaration n'envisage que des ouvrages ou des choses matérielles, ces ouvrages ne changent pas ou ne deviennent pas moins à l'avan- tage général du Canada pour le seul motif qu'ils changent de propriétaire 15 . En conséquence, je suis d'avis que la ligne de la Central Western, en tant qu'ouvrage, continue d'être assujettie à la déclara- tion et, en conséquence, de relever de la compé- tence fédérale.
Cette conclusion ne résout toutefois pas la ques tion en litige. Il n'existe, à ma connaissance, aucun arrêt décidant que les relations de travail sont assujetties à la compétence fédérale pour le simple motif que le travail concerné est exécuté sur ou en liaison avec un ouvrage fédéral. Cela n'est pas étonnant. Les ouvrages, étant des choses matériel- les, n'ont pas de relations de travail; ce sont les entreprises qui en ont. Dans l'extrait de l'arrêt Northern Telecom 1 cité au début des présents
14 L'alinéa 2h) du Code canadien du travail porte que relève- ront de la compétence fédérale
2....
h ) tout ouvrage ou entreprise que le Parlement du Canada déclare (avant ou après son achèvement) être à l'avantage du Canada en général, ou de plus d'une province, bien que situé entièrement dans les limites d'une province ...
Comme j'ai tenté de le démontrer, cette disposition est invalide sur le plan constitutionnel dans la mesure elle s'étend à des entreprises ne relevant pas par ailleurs de la compétence fédé- rale. Comme on peut le voir, toutefois, le paragraphe 18(1) vise seulement les «ouvrages» du CN.
15 Il pourrait très bien en aller tout autrement si la ligne en question était abandonnée; cesserait-elle alors de constituer un ouvrage de chemin de fer? Ce point n'a pas à être tranché en l'espèce.
motifs, le juge Dickson prend soin de parler des relations de travail d'«une entreprise, [d']un ser vice ou [d']une affaire». Il n'y a évidemment aucune raison pour laquelle les ouvrages fédéraux ne devraient pas être utilisés par des entreprises provinciales dans l'exercice de leurs activités. Il a donc été décidé qu'un chemin de fer provincial peut se raccorder à la voie ferrée d'un chemin de fer ayant un caractère fédéral en vertu de la déclaration visée à l'alinéa 92(10)c) et faire circu- ler ses trains sur cette voie ferrée sans pour autant perdre son caractère provincial: Montreal City v. Montreal Street Railway Company, précité.
Il semble également clair que la construction, la réparation ou l'entretien d'un ouvrage fédéral n'est pas assujetti en raison de ce seul caractère à la compétence fédérale en matière de relations de travail. Il est difficile d'imaginer un ouvrage dont le caractère soit davantage fédéral qu'un aéroport ou un pont de la ligne de chemin de fer transconti- nentale, mais la Cour suprême, dans l'arrêt Cons truction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754, et cette Cour, dans l'arrêt Code canadien du travail (Re), [1987] 2 C.F. 30, ont décidé que ces ouvrages étaient assujettis à la compétence provinciale en matière de travail. De la même manière, il a été décidé que les entreprises travaillant à la construction de pipe lines interprovinciaux 16 ou de quais fédéraux" (constructions qui constituent toutes deux claire- ment des «ouvrages») sont assujetties à la législa- tion provinciale sur les relations du travail. Inver- sement, les employés municipaux qui mettent en service un aéroport en sa qualité d'entreprise plutôt qu'en celle de simple ouvrage matériel 18 sont assujettis à la compétence fédérale sur les relations de travail 19 .
16 Henuset Rentals Ltd. v. United Association of Journeymen and Apprentices of the Plumbing and Pipefitting Industry, Local Union 488 (1981), 6 Sask. R. 172(C.A.).
17 Re Maritime Engineering Limited, Labourers' Internatio nal Union of North America, Local 1115, and Attorney Gene ral of Nova Scotia (1979), 33 N.S.R. (2d) 484 (C.S.D.A.).
18 Le mot «aéroport» comme le mot «chemin de fer», peut-être utilisé pour désigner soit un ouvrage soit une entreprise.
19 Kelowna v. Labour Relations Bd. of B.C. et al., [ 1974] 2 W.W.R. 744 (C.S.C.-B.).
Il est difficile de connaître l'étendue exacte de la compétence fédérale sur un ouvrage déclaré être à l'avantage général du Canada en vertu de la l'ali- néa 92(10)c). Il n'est peut-être pas sage que nous tentions de délimiter cette compétence en l'espèce. Elle semblerait certainement, pour paraphraser les propos tenus par le juge Beetz dans l'arrêt Cons truction Montcalm Inc. précité, s'étendre aux déci- sions relatives à la question de savoir si un ouvrage doit être construit et quels doivent être son empla cement, son plan, ses dimensions et les matériaux utilisés dans sa construction.
Il est bien possible que, ainsi que le suggèrent certains commentateurs, la déclaration prévue à l'alinéa 92(10)c) ait pour conséquence
[TRADUCTION] ... de faire relever de l'autorité fédérale non seulement l'enveloppe extérieure ou les installations matérielles mais encore les activités intégrées qui s'y trouvent exercées 20 .
Les décisions citées à l'appui de cette proposi tion, toutefois, n'étendent pas la compétence fédé- rale au-delà de celle qui est nécessaire à la régle- mentation de l'usage de l'ouvrage lui-même. Les arrêts R. v. Thumlert (1959), 28 W.W.R. 481 (C.S.D.A. Alb.); et Chamney c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 151, traitent de la réglementation fédérale des types, de la quantité et des modes de réception du grain stocké dans les élévateurs qui ont été déclarés être des ouvrages à l'avantage général du Canada. Comme l'a déclaré le juge Martland dans cette dernière décision la page 159], il est résulté de cette déclaration
que le Parlement pouvait contrôler les quantités de grain qui pouvaient être reçues dans un élévateur ...
Il n'existe toutefois aucun précédent permettant de conclure que la compétence fédérale s'étend de façon générale à toutes les activités des personnes utilisant ou possédant l'ouvrage concerné et, en particulier, à leurs relations de travail.
J'en reviens à nouveau au principe régissant cette question. Voici comment il a été énoncé par le juge Beetz dans l'arrêt Construction Montcalm, précité [aux pages 768 et 769]:
Cette question doit être tranchée selon les principes établis, le premier étant que les relations de travail comme telles et les termes d'un contrat de travail ne relèvent pas de la compétence
20 Neil Finkelstein. Laskin's Canadian Constitutional Law, vol. 1, 5e édition, Toronto: Carswell, 1986, la p. 629; Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 2e édition, Toronto: Carswell, 1985, la p. 492.
du Parlement; les provinces ont une compétence exclusive dans ce domaine: Toronto Electric Commissioners v. Snider [[1925] A.C. 396]. Cependant, par dérogation à ce principe, le Parle- ment peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s'il est établi que cette compétence est partie inté- grante de sa compétence principale sur un autre sujet: In re la validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail [[1955] R.C.S. 529], (l'arrêt Stevedoring). Il s'ensuit que la compétence principale du fédéral sur un sujet donné peut empêcher l'application des lois provinciales relatives aux relations de travail et aux condi tions de travail, mais uniquement s'il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale. Ainsi, la réglementation des salaires que doit verser une entreprise, un service ou une affaire et la réglementation de ses relations de travail, toutes choses qui sont étroitement liées à l'exploitation d'une entre- prise, d'un service ou d'une affaire, ne relèvent plus de la compétence provinciale et ne sont plus assujetties aux lois provinciales s'il s'agit d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire fédérale ...
L'entreprise et l'affaire de la Central Western ont un caractère provincial et local. Sa voie ferrée ainsi que son droit de passage sont assujettis à la compétence fédérale en vertu d'une déclaration faite sous le régime de l'alinéa 92(10)c). La com- pétence fédérale s'étend à l'usage qui est fait de cette voie ferrée mais la réglementation des rela tions de travail de l'utilisateur ne fait pas intégra- lement partie de cette compétence. Le contrôle effectif de cet ouvrage n'exige pas le contrôle de l'entreprise. En conséquence, le Conseil canadien des relations du travail n'avait pas la compétence voulue pour rendre la décision faisant l'objet du présent examen.
J'accueillerais la demande fondée sur l'article 28 en l'espèce et j'annulerais la décision litigieuse du Conseil canadien des relations du travail.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LACOMBE: J'ai eu l'avantage de lire à l'état de projet les motifs de jugement de M. le juge Marceau et de M. le juge Hugessen. Je souscris à la conclusion finale du juge Marceau selon laquelle la demande fondée sur l'article 28 en l'espèce devrait être rejetée; toutefois, avec défé- rence, je ne suis pas d'accord avec lui pour dire que Central Western relève de la compétence du Con- seil canadien des relations du travail parce qu'elle
continue de faire partie intégrante d'un chemin de fer interprovincial. Aux motifs convaincants du juge Hugessen voulant que tel ne soit pas le cas, j'ajouterais les observations suivantes.
Seul l'avocat de la Fraternité des ingénieurs de locomotive intimée a plaidé que la ligne de chemin de fer en cause, considérée par elle-même, indé- pendamment de tout lien avec l'une ou plusieurs des entreprises principales à caractère fédéral identifiées par le Conseil, relevait de la compé- tence fédérale en vertu de l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. On a fortement appuyé cette proposition sur les arrêts Luscar Col lieries v. McDonald, [1927] A.C. 925 (P.C.); et Kootenay & Elk Railway Co. c. Compagnie du Chemin de Fer Canadien du Pacifique, [ 1974] R.C.S. 955.
Dans sa décision, le Conseil a fait allusion à cet argument et, avec raison à mon avis, l'a rejeté. Dans le Dossier d'appel, au volume 16, il est dit à la page 2509:
En l'espèce, les activités de C.W.R.C. ne dépassent manifeste- ment pas les frontières de la province de l'Alberta et ne raccordent pas directement l'Alberta avec d'autres provinces. A cet égard, C.W.R.C. ne répond pas aux critères nécessaires pour relever de la compétence fédérale.
Avant d'être vendue à Central Western, la sub division Stettler faisait partie du réseau du chemin de fer du CN reliant la province d'Alberta aux autres provinces et, de plus, elle avait été déclarée par le Parlement du Canada être à l'avantage général du Canada conformément à l'alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867. II était reconnu qu'il s'agissait d'une entreprise, d'une affaire ou d'un ouvrage de compétence fédé- rale ou d'une entreprise fédérale au sens des arti cles 2 et 108 du Code canadien du travail. La question à trancher est donc celle de savoir si la vente de cette ligne à une société constituée selon la loi provinciale et son exploitation par cette dernière société ont modifié le caractère de ce tronçon au plan constitutionnel.
La transaction survenue en novembre 1986 a modifié de façon draconienne le contrôle, les acti- vités et le caractère de cette ligne. Ce chemin de fer est entièrement situé dans la province d'Al- berta, s'étendant sur une distance d'environ 105 milles de Ferlow Junction au sud à Dinosaur Junc tion dans la région centrale du sud de cette pro-
vince. Bien que les marchandises transportées sur ses voies continuent d'être le grain destiné à l'ex- portation, les activités de l'affaire dans le cadre de laquelle il est exploité, soit le service destiné à neuf élévateurs de quatre sociétés céréalières situés le long de sa ligne, sont à présent confinées dans les limites de la province. Les wagons de grain vides sont livrés à Ferlow Junction par les trains du CN à Central Western, qui les place près des différents élévateurs; une fois ces wagons remplis par les sociétés céréalières, Central Western les retourne à Ferlow Junction, d'où ils sont retirés pour être acheminés à Vancouver par des trains du CN.
Après la vente, la ligne de Stettler a été maté- riellement déconnectée et effectivement séparée des rails du CN à chacune de ses extrémités par un espace de quatre pouces, de façon à empêcher les trains de Central Western de traverser et de circu- ler sur les rails du CN. De la même façon, les trains du CN ne circulent pas sur les rails de Central Western. À Ferlow Junction comme à l'autre extrémité se trouve un dérailleur verouillé en position ouverte contrôlé par le CN qui, lorsque mis en fonctionnement, permet aux locomotives du CN d'avoir accès aux rails de Central Western afin seulement de lui livrer des wagons de grain vides et de les reprendre, une fois chargés. Central Western possède son propre appareillage locomo- tif, qui ne peut quitter ses voies ferrées. Comme les wagons de grain appartiennent à des autorités gouvernementales et non au CN, ses trains ne transportent pas de biens appartenant au CN au- delà de sa ligne et les trains du CN ne transportent pas de grain sur ses voies.
Comme ouvrage ou comme entreprise, la subdi vision Stettler n'est plus une unité exploitée avec le reste des lignes du CN. Matériellement, comme dans son fonctionnement, elle ne fait pas partie du réseau de chemin de fer interprovincial du CN. Qu'il en ait été ainsi avant la vente n'est pas pertinent pour les fins de la décision relative à la question constitutionnelle. Cette ligne est à présent possédée, gérée et exploitée exclusivement par une société constituée selon la loi provinciale qui est totalement distincte du CN. Cette ligne ne consti- tue donc pas littéralement un ouvrage ou une entreprise «reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limi- tes de la province»» au sens de l'alinéa 92(10)a) de
la Loi constitutionnelle de 1867; cette ligne ni ne relie une province à d'autres provinces ni ne s'étend au-delà des limites d'une province.
Dans l'arrêt Luscar Collieries v. McDonald, [1927] A.C. 925 (P.C.), une société exploitant une houillère avait construit une petite ligne de chemin de fer pour transporter la houille de sa mine à une autre ligne se raccordant à la ligne du CN qui s'étendait au-delà des limites de la province d'Al- berta. En vertu d'une entente, la ligne de Luscar et l'autre embranchement étaient exploités par les Chemins de fer nationaux du Canada et la circula tion se faisait sans interruption entre ces lignes et des régions situées à l'extérieur de la province d'Alberta qui étaient desservies par le réseau du Canadien National. Le Conseil privé, confirmant la décision de la Cour suprême du Canada, a conclu que la ligne de Luscar faisait partie d'un réseau de chemins de fer exploités ensemble et reliant la province d'Alberta à d'autres provinces. Lord Warrington of Clyffe a écrit, aux pages 932 et 933:
[TRADUCTION] Dans la présente affaire, considérant le mode d'exploitation du chemin de fer, Leurs Seigneuries sont d'avis qu'il s'agit en fait d'un chemin de fer reliant la province de l'Alberta avec d'autres provinces, et, par conséquent, visé par l'article 92(10)a) de l'Acte de 1867. Il existe une liaison continue par chemin de fer entre ce point de l'embranchement Luscar qui est le plus éloigné du point de raccordement avec l'embranchement Mountain Park, et les régions du Canada situées à l'extérieur de la province d'Alberta.
Le fait que la ligne locale, en vertu d'une entente, était exploitée par la société de chemin de fer même qui possédait et exploitait le reste du réseau reliant la province d'Alberta à d'autres provinces semblerait avoir pesé lourd dans cette décision. Lord Warrington a observé à la page 933:
[TRADUCTION] Si, en vertu des traités susmentionnés, la Com- pagnie des chemins de fer nationaux du Canada devait cesser la mise en service de l'embranchement Luscar, il se peut que la question de savoir si, dans cette nouvelle situation, le chemin de fer n'est plus visé par l'article 92(10)a), devra être décidée, mais cette question ne se pose pas maintenant.
Dans l'arrêt British Columbia Electric Ry. Co. Ltd. et al. v. Canadian National Ry. Co. et al., [1932] R.C.S. 161, le juge Smith, prononçant les motifs de la majorité de la Cour, a fait référence à l'arrêt Luscar, et a dit aux pages 169 et 170:
[TRADUCTION] La décision repose expressément sur la façon dont le chemin de fer était mis en service par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada en vertu des traités, et il
est signalé que si cette compagnie devait cesser la mise en service de l'embranchement de l'appelante, alors pourrait devoir être décidée la question de savoir si, dans la nouvelle situation, cet embranchement n'est plus visé par l'article 92(10)a). Ainsi la question qui n'a pas été décidée est la question même qui est soulevée dans la présente affaire parce que la ligne Park n'est pas exploitée par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et ne l'est pas non plus par l'appelante British Columbia Electric Railway Company, exploitante de Vancouver & Lulu Island Railway pour le compte de la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique.
Le simple fait que la ligne Central Park soit physiquement reliée à deux lignes de chemin de fer relevant de la compétence fédérale ne semblerait pas suffire en lui-même à placer la ligne Central Park, ou la partie de celle-ci qui relie les deux lignes fédérales, sous la compétence fédérale.
L'arrêt Montreal Street Railway, dont il est question ci-haut, semble être le précédent auquel se bute un tel point de vue.
Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a conclu que la Commission des chemins de fer n'avait pas compétence relativement à un tronçon d'un mille reliant directement deux lignes de chemin de fer de compétence fédérale, dont l'une était un chemin de fer interprovincial, et l'autre un chemin de fer intraprovincial déclaré être à l'avan- tage général du Canada. Ce petit tronçon de chemin de fer a été considéré comme relevant de la compétence provinciale bien qu'il fût exploité par la même société constituée selon une loi provin- ciale qui exploitait la ligne intraprovinciale ayant fait l'objet de la déclaration du Parlement. La Cour a rejeté l'argument voulant que la ligne fit partie d'un réseau continu de chemins de fer s'étendant au-delà des limites de la province.
Le syndicat intimé s'est appliqué à trouver dans l'arrêt Kootenay & Elk Railway Co. c. Compagnie du Chemin de Fer Canadien du Pacifique, [1974] R.C.S. 955 un appui important à sa prétention que la subdivision Stettler, même après avoir été vendue à C.W.R.C., constituait un ouvrage ou continuait de faire partie intégrante d'un chemin de fer reliant la province d'Alberta au reste du Canada. Toutefois, considérant le nombre des questions qui entraient en conflit et créaient une certaine confusion dans cette affaire, l'on ne devrait pas faire dire à cet arrêt plus que ce qu'il a réellement décidé. Une des questions que la Cour a analysées et clairement tranchées concernait les pouvoirs d'une province de constituer une société ayant pour objet la construction d'un chemin de fer entièrement situé dans la province quand il
était déjà envisagé que cette société pourrait éven- tuellement exercer des activités extraprovinciales. La Cour suprême, dans une décision majoritaire, a conclu qu'une province détenait de tels pouvoirs.
De plus, cette affaire peut être clairement distin- guée de l'espèce quant aux faits. L'ensemble du projet dont il était question dans cette affaire prévoyait la construction de deux lignes de chemin de fer qui, situées de chaque côté de la frontière du Canada et des États-Unis, assureraient l'achemi- nement du charbon extrait des mines de la Colom- bie-Britannique via les lignes canadiennes et amé- ricaines en passant par les États-Unis pour revenir ensuite en Colombie-Britannique, d'où il serait expédié au Japon. La société canadienne ne devait posséder aucun matériel roulant ou équipement, ceux-ci devant être fournis par la société de che- mins de fer américaine, qui devait les apporter au Canada pour les remettre à la société canadienne. Les équipes de la société canadienne achemine- raient les trains jusqu'aux mines de charbon pour leur chargement, puis les reconduiraient jusqu'à un point situé du côté canadien de la frontière d'où ils seraient repris en charge par les équipes du chemin de fer américain. S'il était prévu que les deux lignes envisagées s'arrêteraient à un quart de pouce de part et d'autre de la frontière, l'écart d'un demi pouce ainsi créé entre leurs rails n'em- pêcherait pas la libre circulation des trains sur leurs voies respectives. Au plan matériel et au plan de l'exploitation, ces deux lignes seraient complète- ment intégrées.
Il devrait être noté que les deux sociétés de chemins de fer avaient notamment sollicité de la Commission canadienne des transports une ordon- nance les autorisant à raccorder les deux lignes de chemin de fer projetées et autorisant la société de chemins de fer américaine à faire circuler ses trains sur la ligne canadienne de façon que l'échange des trains puisse s'effectuer librement. La Commission avait déclaré qu'elle aurait accueilli ces demandes si elle n'avait pas été d'avis qu'une disposition de la Loi sur les chemins de fer interdisait l'échange de trafic projeté entre les deux lignes. Cette décision fut infirmée par la Cour suprême.
Il a donc été considéré dans le contexte de cette affaire que, les deux lignes devant être raccordées l'une à l'autre, la ligne canadienne, si elle était
construite, serait dès lors en fait un chemin de fer s'étendant au-delà des limites de la province et serait effectivement exploitée en tant que telle.
L'arrêt Kootenay n'a toutefois pas repoussé l'au- torité des décisions rendues dans l'affaire Mont- real Street Railway et dans l'affaire British Columbia Electric Ry., susmentionnée. M. le juge Martland s'est exprimé de façon parfaitement claire sur ce point. Il s'est appuyé sur ces arrêts pour confirmer la compétence provinciale à l'égard de la constitution d'une société de chemins de fer dans des circonstances aussi particulières. Parlant au nom des juges Abbott et Ritchie, il a dit à la page 979:
Le premier point, qui d'ailleurs est clair, est que le chemin de fer de Kootenay ne relierait la province de la Colombie-Britan- nique à aucune autre province et qu'il ne s'étendrait pas hors des limites de la province. Dans l'affaire Montreal Street Railway Company c. The City of Montréal, le Juge Duff, alors juge puîné, a dit dans les motifs du jugement qu'il a rendus en
cette Cour [(1910), 43 R.C.S. 197, la p. 227], après s'être reporté aux articles 92(10) et 91(29) de l'A.A.N.B.: [TRADUCTION] Le pouvoir exclusif de légiférer relative- ment à un chemin de fer situé entièrement dans une province est, en vertu de ces dispositions, dévolu à la législature provinciale, à moins que cet ouvrage ne soit déclaré être à l'avantage général du Canada; dans ce dernier cas, c'est le parlement fédéral qui a le pouvoir exclusif de légiférer.
Il a alors examiné l'arrêt Luscar Collieries, susmentionné, en quelque sorte pour le distinguer, soulignant que cette décision reposait sur le fait que la ligne locale était mise en service par le CN, de sorte qu'elle était devenue une partie d'un réseau interprovincial de chemins de fer. Il a cité abondamment et avec approbation les motifs de jugement énoncés par le juge Smith dans l'arrêt British Columbia Electric Ry., notamment le pas sage précité de cette décision dans lequel ce juge a conclu que le fait qu'une courte ligne de chemin de fer exploitée par une compagnie constituée selon la loi provinciale soit physiquement reliée à deux lignes fédérales ne suffisait pas en lui-même à placer cette ligne sous la compétence fédérale. Tout de suite après, le juge Martland a terminé les motifs qu'il a exprimés sur ce point en disant à la page 982:
En résumé, je suis d'avis qu'une législature provinciale peut autoriser la construction d'une ligne de chemin de fer qui est entièrement située à l'intérieur des limites de la province. Le fait qu'un tel chemin de fer puisse par la suite, en raison de sa liaison avec un autre chemin de fer ou de sa mise en service, devenir soumis à la réglementation fédérale ne touche pas au pouvoir de la législature provinciale de le créer.
Cet arrêt n'a pas décidé que la ligne de Koote- nay était une entreprise extraprovinciale. Le juge Martland avait déjà dit dans ses motifs, aux pages 979 et 980:
Cependant, l'intimée prétend que, bien que les ouvrages de Kootenay ne s'étendent pas au delà de la province, son entre- prise n'est pas de nature locale. Mais, en déterminant le pouvoir de la législature de la Colombie-Britannique de légiférer en vue de la constitution de Kootenay en corporation, nous devons considérer la nature de l'entreprise qu'elle autorise. Les activi- tés de l'entreprise en question doivent être exécutées entière- ment dans la province.
L'arrêt Kootenay sort de l'ordinaire, et par con- séquent ne constitue pas un précédent suffisam- ment sûr pour permettre une conclusion ferme qui serait applicable à la présente espèce. Sur le fonde- ment de l'arrêt British Columbia Electric Rail way, qui concerne des faits pouvant difficilement être distingués de ceux de la présente affaire, l'on est forcé de conclure que le chemin de fer de Central Western est un ouvrage ou une entreprise de nature locale puisqu'il ne fait plus partie inté- grante d'un chemin de fer interprovincial.
L'on est également conduit à cette conclusion si l'on nie, comme je le fais, que le CN constitue une entreprise principale à caractère fédéral réalisant les conditions qui feraient ressortir les relations de travail de Central Western à la compétence fédé- rale. Suivant les principes relatifs à l'attribution de ces matières à l'autorité fédérale qui se trouvent énoncés par la Cour suprême dans les arrêts Nor thern Telecom 21 , l'entreprise accessoire doit être intégrée à l'entreprise principale à caractère fédé- ral aux plans matériel et opérationnel. La subdivi sion Stettler a cessé de faire partie du réseau de chemin de fer du CN lorsqu'elle a été achetée par Central Western et que, par la suite, ses voies ont été matériellement disjointes de celles du CN. S'il n'existe entre Central Western et le CN aucun lien matériel et opérationnel pouvant soumettre leurs rapports aux règles énoncées dans les arrêts Nor thern Telecom, en l'absence d'un tel lien, Central Western ne peut être considérée comme faisant encore partie intégrante d'un chemin de fer inter- provincial conformément à l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. Elle ne constitue ni
21 Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] I R.C.S. 115 et Northern Telecom Canada Ltée et autre c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada et autre, [1983] 1 R.C.S. 733.
une exploitation qui serait accessoire aux activités du CNR ni une extension territoriale de celles-ci. Elle ne fait partie intégrante ni d'une entreprise principale à caractère fédéral ni d'un chemin de fer interprovincial.
Je partage l'opinion de mes collègues suivant laquelle aucune des trois entreprises principales à caractère fédéral identifiées par le Conseil ne peut servir de fondement à une décision confirmant la compétence du Conseil dans la présente espèce.
Je suis d'accord avec eux pour dire que Central Western relève de la compétence fédérale parce que celle-ci, comme ouvrage, est encore assujettie à la déclaration faite en vertu de l'alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867. Au titre de la subdivision Stettler, elle a plus d'une fois été décla- rée par le Parlement être à l'avantage général du Canada. Le changement de propriétaire n'a pas entravé l'effet de cette déclaration puisque seul le Parlement peut lever ou abroger cette déclaration par l'adoption régulière d'une disposition législa- tive subséquente. Hamilton, Grimsby and Beams - ville R. Co. v. Atty.-Gen. for Ontario (1916), 29 D.L.R. 521 (P.C.). Avec déférence, je ne suis pas d'accord avec le juge Hugessen pour dire que les relations de travail de Central Western relèvent de la compétence provinciale.
La subdivision Stettler continue d'être une ligne de chemin de fer fédérale malgré son acquisition par Central Western. Une entreprise de chemin de fer utilisant cet ouvrage fédéral est présentement exploitée par Central Western, de sorte que l'en- treprise dans son ensemble, y compris ses relations de travail, relève de la compétence fédérale.
Il en demeurera ainsi aussi longtemps que Cen tral Western exploitera son affaire sur une ligne continuant d'être visée par la déclaration statu- taire. La subdivision Stettler est à tous égards un ouvrage fédéral aussi complet que toutes les autres lignes de nos sociétés de chemins de fer nationales qui sont fédérales indépendamment des déclara- tions statutaires, parce qu'elles s'étendent au-delà d'une province particulière ou relient une province à d'autres provinces. Elle se trouve placée sur le même pied et est régie par les mêmes principes constitutionnels.
À cet égard, il est utile que nous rappelions les propos tenus par lord Atkinson dans l'arrêt Mont-
real City v. Montreal Street Railway Company, [1912] A.C. 333 (P.C.) à la page 339:
[TRADUCTION] Les chemins de fer déclarés être de tels ouvra- ges étaient dans ce cas appelés chemins de fer «fédéraux», afin de les distinguer des chemins de fer situés en entier dans une province et qui se trouvaient sous l'autorité exclusive de la législature provinciale, que l'on qualifiait de chemins de fer provinciaux. Il est admis que, par l'effet de cette déclaration, le chemin de fer auquel elle référait a été soustrait à la compé- tence de la législature provinciale et qu'il est passé sous la compétence et l'autorité exclusives du Parlement du Canada. D'autre part, tout modeste et provincial qu'il fût, il avait avec ledit Parlement exactement les mêmes liens, en ce qui concerne les lois sur l'interprétation exacte desquelles tourne la présente affaire, qu'ont ces grandes lignes principales qui sont également des chemins de fer fédéraux et qui, traversant le Dominion d'un océan à l'autre, ont été à l'origine construits et sont maintenant exploités en vertu de pouvoirs qui ont été conférés par les lois du Parlement du Dominion du Canada.
Dans l'arrêt The Queen in The Right of The Province of Ontario v. Board of Transport Com missioners, [1968] R.C.S. 118, la Cour suprême du Canada a décidé qu'un service de trains de banlieue qui appartenait et était exploité par la province d'Ontario relevait de la compétence fédé- rale. Ce service de banlieue utilisait son propre matériel roulant, qui était mis en service par des équipes du CN en vertu d'un contrat de mandat; la circulation de ses trains se faisait d'autre part sur les voies du CN. Ce dernier facteur a été la considération principale pour laquelle la Cour a conclu que la Commission des transports du Canada qui existait à l'époque était habilitée à fixer les tarifs des utilisateurs de ce service, ainsi qu'il ressort de l'extrait suivant des motifs con- joints de la Cour à la page 127:
[TRADUCTION] En l'espèce, la question de la compétence, du point de vue constitutionnel, dépend de la nature de la ligne de chemin de fer et non de celle d'un service particulier fourni sur cette ligne. Le fait qu'à certaines fins particulières, le service de banlieue soit considéré comme un service distinct n'en fait pas une ligne de chemin de fer distincte. D'un point de vue physi que, les trains d'un service de banlieue font partie de l'ensemble des activités de la ligne qu'ils utilisent. Il a été clairement établi que le Parlement a compétence sur tout ce qui fait physique- ment partie d'une ligne de chemin de fer relevant de sa compétence.
Les employés de Central Western participent aux activités quotidiennes d'une entreprise de chemin de fer exploitant de façon continue un ouvrage fédéral. Ils ne seront pas employés dans la construction, l'entretien ou la réparation d'un ouvrage fédéral comme c'était le cas des travail- leurs visés dans l'affaire Construction Montcalm
Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754. Dans l'arrêt Northern Telecom Canada Ltée et autre c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada et autre, [1983] 1 R.C.S. 733, le juge Dickson (c'était alors son titre) exprime ce point de vue à la page 773:
Dans l'arrêt Montcalm, après la fin de la construction de l'aéroport, les ouvriers de la construction n'avaient plus rien à voir avec l'entreprise fédérale.
En l'espèce, la participation des employés a un caractère continu et est au coeur même des activi- tés fondamentales de l'employeur, soit l'exploita- tion d'un chemin de fer au moyen d'un ouvrage fédéral. Tel n'était pas le cas dans Code canadien du travail (Re), [1987] 2 C.F. 30 (C.A.), les travailleurs de la construction d'un entrepreneur indépendant étaient employés à la construction de ponts d'acier et de béton sur les lignes de chemin de fer du CN en Colombie-Britannique. Ils ne participaient aucunement à l'exploitation effective des lignes en question. Dans le paragraphe qui conclut ses motifs, le juge MacGuigan a indiqué à la page 51 et 52:
Ainsi que le Conseil l'a dit lui-même, [TRADUCTION] «Le pont reconstruit durera probablement longtemps, mais le travail effectué n'est pas long.» Les travaux en l'espèce, qu'on les considère comme appartenant à la catégorie des travaux de construction ou comme relevant de l'entretien, sont discontinus par nature et ont une durée temporaire. Contrairement aux travaux des installateurs de Northern Telecom, ceux-ci ne présentent aucun caractère de continuité ou de permanence. Les travaux en l'espèce sont limités et revêtent un caractère final.
Suivant l'état actuel du droit, il ne peut exister une dichotomie ouvrage-entreprise selon laquelle une société de chemin de fer exerçant ses activités locales sur une ligne fédérale verrait les relations de travail de son entreprise assujetties à la compé- tence provinciale et tous les autres aspects de l'utilisation de cette ligne en tant qu'ouvrage fédé- ral, tels la signalisation et la sécurité, régis par l'autorité fédérale. La réglementation des condi tions d'emploi des employés de Central Western constitue une partie intégrante de la compétence fédérale principale sur une matière s'inscrivant dans la catégorie de travaux mentionnée à l'alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867, et elle est directement reliée à l'utilisation quoti- dienne d'un ouvrage fédéral. Il doit être souligné que le Parlement du Canada détient en vertu du paragraphe 91(29) le pouvoir exclusif de légiférer
au sujet de toutes les matières entrant dans les catégories de sujets expressément exceptées au paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867.
À moins que et jusqu'à ce que la déclaration du Parlement devienne inopérante à l'égard de la subdivision Stettler, l'ouvrage et l'entreprise de Central Western sont tous deux assujettis à la compétence fédérale. Il serait curieux, par exem- ple, que la Commission canadienne des transports ait compétence à l'égard des voies de Central Western sur lesquelles est exploitée son entreprise de chemin de fer, alors que le Conseil canadien des relations du travail serait sans compétence à l'égard des employés de cette société, qui lui per- mettent d'exercer ses activités sur cet ouvrage et relativement à cet ouvrage déclaré fédéral. En vertu d'une exception à la règle générale selon laquelle les relations de travail ressortissent à la compétence provinciale, la compétence fédérale sur les relations de travail de Central Western constitue un élément essentiel de l'autorité exclu sive du Parlement d'adopter des lois relativement à un ouvrage qu'il a déclaré être à l'avantage général du Canada.
Pour ce motif, mais uniquement pour ce motif, je rejetterais la demande fondée sur l'article 28 en l'espèce.
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