A-163-88
Turbo Resources Limited (appelante)
c.
Petro Canada Inc. (intimée)
RÉPERTORIÉ: TURBO RESOURCES LTD. c. PETRO CANADA INC.
(C.A.)
Cour d'appel, juges Heald, Stone et Desjardins,
J.C.A.—Toronto, 28 novembre 1988; Ottawa, 18
janvier 1989.
Injonctions — Appel est interjeté d'un jugement refusant la
délivrance d'une injonction interlocutoire — L'affaire concerne
la contrefaçon d'une marque de commerce — Critère auquel il
doit être satisfait en ce qui concerne la délivrance des injonc-
tions interlocutoires — Le juge des requêtes a commis une
erreur en exigeant que l'on établisse une forte présomption —
Le critère de l'arrêt American Cyanamid (l'existence d'une
question sérieuse à trancher) est le critère préliminaire appro-
prié — La décision visant la question de savoir s'if est satisfait
à ce critère exige l'examen de différents facteurs ainsi que
l'appréciation de la prépondérance des inconvénients — L'ap-
pel est rejeté au motif que la prépondérance des inconvénients
joue en faveur de l'intimée.
Marques de commerce — Contrefaçon — Appel est interjeté
d'un jugement refusant la délivrance d'une injonction interlo-
cutoire — L'appelante vend des lubrifiants à moteurs et des
produits pétroliers portant la marque «Turbo» — L'intimée
vend l'huile «Premium Turbo Tested» («Super Turbo—Huile
moteur testée dans les moteurs turbo») — Le critère de l'arrêt
American Cyanamid (l'existence d'une question sérieuse à
trancher) est le critère préliminaire approprié en ce qui con-
cerne la délivrance des injonctions interlocutoires — L'appe-
lante a satisfait au critère de la question sérieuse à trancher en
ce qui a trait aux violations des art. 7, 10 et 20 de la Loi sur
les marques de commerce qui sont alléguées — La violation
des droits attachés aux marques de commerce par la common
law ne pouvait être soulevée à l'audience parce que non plaidée
— La prépondérance des inconvénients favorise l'intimée —
Appel rejeté.
Il s'agit d'un appel formé à l'encontre d'une décision de la
Division de première instance qui a rejeté la demande d'injonc-
tion interlocutoire de l'appelante. L'appelante fait affaires dans
l'industrie pétrolière et commercialise des lubrifiants à moteurs
vendus dans des emballages sous la marque «Turbo». L'intimée,
Petro Canada, commercialise un contenant d'un litre d'huile
moteur affichant son propre nom, son propre logo ainsi que les
termes «Super Turbo Tested» (Super Turbo—Huile moteur
testée dans les moteurs turbos). Le juge des requêtes a statué
que la requérante n'avait pas établi l'existence d'une forte
présomption, en considérant que ce critère était approprié à la
délivrance d'une injonction interlocutoire et que le critère de la
«question sérieuse à trancher» de l'arrêt American Cyanamid
était inapplicable.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge des requêtes s'est trompé en appliquant le critère
plus exigent de la forte présomption. La souplesse du redresse-
ment par voie d'injonction et le caractère discrétionnaire du
pouvoir en vertu duquel il est accordé doivent être préservés. En
conséquence, le critère de la «question sérieuse à trancher» est le
critère préliminaire applicable à l'octroi d'un tel redressement.
Le requérant doit toutefois établir que la prépondérance des
inconvénients joue en sa faveur pour qu'une injonction puisse
être délivrée. De plus, la Cour doit s'assurer que les circons-
tances de l'espèce ne sont pas telles que la délivrance d'une
injonction réglerait le sort du litige de façon définitive.
Bien que l'appelante ait établi qu'il existe une question
sérieuse à trancher en ce qui concerne les violations de la Loi
qu'elle a alléguées, l'examen des facteurs additionnels mention-
nés par lord Diplock dans l'arrêt American Cyanamid révèle
que la prépondérance des inconvénients joue en faveur de
l'intimée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap.
T-10, art. 7 b),c),e), 10, 20, 22(1), 53.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C.
396 (H.L.); N.W.L. Ltd. v. Woods, [1979] 1 W.L.R.
1294 (H.L.); Hubbard v. Vosper, [1972] 2 Q.B. 84
(C.A.); Eng Mee Yong v. Letchumanan s/o Velayutham,
[1980] A.C. 331 (C.P.); Interlego AG et al. v. Irwin Toy
Ltd. et al. (1985), 3 C.P.R. (3d) 476 (C.F. l'° inst.);
MacDonald et autre c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2
R.C.S. 134; Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac
Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544 (C.A.).
DECISIONS EXAMINEES:
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores
Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; Toth c. Canada (Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration) (A-870-88, juge Mahoney,
jugement en date du 28-10-88 (C.A.), encore inédit);
Teal Cedar Products (1977) Ltd. c. Canada (A-613-88,
juge Pratte, jugement en date du 6-12-88 (C.A.), encore
inédit); Syntex Inc. c. Apotex Inc., [1984] 2 C.F. 1012
(C.A.); Telecommunications Workers' Union c. Canada
(Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes) (A-498-88, juge Marceau, jugement en date
du 13-10-88 (C.A.), encore inédit).
DECISIONS CITÉES:
Stratford (J. T.) & Son Ltd. v. Lindley, [1965] A.C. 269
(H.L.); Fellowes & Son v. Fisher, [1976] Q.B. 122
(C.A.); Hubbard v. Pitt, [1976] Q.B. 142 (C.A.); Firth
Industries Ltd y Polyglass Engineering Pty Ltd (1975), 6
ALR 212 (H.C.Aust.); Australian Coarse Grain Pool
Pty Ltd y Barley Marketing Board of Queensland
(1982), 46 ALR 398 (H.C.Aust.); Tableland Peanuts
Pty Ltd y Peanut Marketing Board (1984), 52 ALR 651
(H.C.Aust.); A y Hayden (No 1) (1984), 56 ALR 73
(H.C.Aust.); Epitoma Pty Ltd y Australasian Meat
Industry Employees' Union (1984), 54 ALR 730
(F.C.Aust.); Telmak Teleproducts Australia Pty Ltd y
Bond International Pty Ltd (1985), 66 ALR 118
(F.C.Aust.); B.C. (A.G.) v. Wale (1986), 9 B.C.L.R. (2d)
333 (C.A.); Law Soc. of Alta v. Black (1983), 29 Alta
L.R. (2d) 326 (C.A.); Van Wart v. La -Ko Enterprises
Ltd. and Labrie (1981), 35 N.B.R. (2d) 256 (C.A.); Re
Island Telephone Company Limited (1987), 206 A.P.R.
158 (C.A.I.-P.-E.); United Steel Workers of America,
Local 5795 v. Iron Ore Company of Canada (1984), 132
A.P.R. 150 (C.A.T.-N.); Nelson Burns & Co. v. Gratham
Industries Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 71 (C.A. Ont.);
Lo-Cost Drug Mart Ltd. v. Canada Safeway Limited et
al. (1986), 40 Man.R. (2d) 211 (C.A.); Potash Corpora
tion of Saskatchewan Mining Limited v. Todd, Heinrich
and Energy and Chemical Workers Union, Local 922
(1987), 53 Sask. R. 165 (C.A.); Mercator Enterprises
Ltd. v. Harris et al. (1978), 29 N.S.R. (2d) 691 (C.A.);
Chitel et al. v. Rothbart et al. (1982), 69 C.P.R. (2d) 62
(C.A. Ont.); Consolidated Traders Ltd y Downes, [1981]
2 NZLR 255 (C.A.); Newsweek Inc. v. The British
Broadcasting Corporation, [1979] R.P.C. 441 (C.A.).
DOCTRINE
Sharpe, Robert J., Injunctions and Specific Performance,
Toronto: Canada Law Book Limited, 1983.
Rogers, Brian McLeod and Hately, George W. «Getting
the Pre-Trial Injunction« (1982), 60 Rev. Can. Bar. 1.
AVOCATS:
Patrick J. McGovern pour l'appelante.
J.D.B. McDonald pour l'intimée.
PROCUREURS:
Parlee McLaws, Calgary, pour l'appelante.
Bennett Jones, Calgary, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: L'appel en l'espèce est inter-
jeté d'un jugement de la Section de première ins
tance [[1988] 3 C.F. 235] dans lequel le juge
Addy a rejeté une demande présentée le 27 juillet
1987 qui sollicitait le prononcé d'une injonction
interlocutoire et provisoire. Il met directement en
jeu les facteurs qui doivent être considérés par un
juge de première instance lorsqu'il entend une telle
demande dans le cadre d'une action alléguant la
contrefaçon d'une marque de commerce et sollici-
tant des redressements accessoires à un tel recours
sur le fondement des dispositions de la Loi sur les
marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10.
Comme l'injonction aurait pour effet de préserver
le statu quo entre les parties jusqu'à la fin de
l'instruction de l'action, je désignerai dorénavant le
redressement sollicité par la requête en l'espèce
comme une injonction interlocutoire.
La preuve
L'appelante a appuyé sa demande sur une abon-
dance d'éléments de preuve présentés principale-
ment au moyen de deux affidavits de l'un de ses
cadres, M. Bruce Millar, et d'un affidavit d'un
responsable d'études de marché, M. Claude Gau-
thier, faisant part des résultats d'une étude qu'il
avait menée pour établir, entre autres, que le nom
«TURBO» désigne, dans l'esprit du public, un four-
nisseur d'essence et d'huiles moteurs. L'appelante
a également déposé un affidavit de M. Derrick
Warburton affirmant qu'il avait demandé [TRA-
DUCTION] «de l'huile à moteur de marque Turbo»
à certaines des stations-service de l'intimée et que
cette demande avait suscité de la confusion. Ont
été déposés à l'encontre de la demande deux affi
davits de M. David Archbold, un cadre de l'inti-
mée, ainsi que trois affidavits d'autres provenan-
ces. MM. Millar, Archbold et Gauthier ont été
contre-interrogés relativement à leurs affidavits
respectifs préalablement à l'audition de la
demande d'injonction, qui a eu lieu en janvier
1988.
Les faits
L'appelante, une société albertaine, fait affaires
dans le raffinage et la commercialisation de pro-
duits pétroliers au Canada; elle commercialise
notamment des lubrifiants à moteurs qu'elle-même
ou son prédécesseur ont commencé à offrir au
public dans des emballages sous la marque
«Turbo» en 1967. Au cours des années, les affaires
de l'appelante se sont étendues de l'Alberta à la
Colombie-Britannique, à la Saskatchewan, au
Manitoba, aux Territoires du Nord-Ouest, et l'ap-
pelante exploite une raffinerie d'huile à Calgary
ainsi que plusieurs stations-service en Ontario.
Le 11 avril 1974, l'appelante est devenue titu-
laire enregistrée des dessins-marques de commerce
«Turbo» (certificat n° 198,729) et «Go Turbo» (cer-
tificat n° 198,731) relativement à un groupe de
marchandises comprenant [TRADUCTION]
à moteur et à engin». À cette même date, elle est
également devenue titulaire enregistrée de la
marque de commerce «Go Turbo» (certificat n°
198,730) l'égard d'un groupe de marchandises
comprenant les lubrifiants pour voitures. Subsé-
quemment, le 10 août 1979, l'appelante est deve-
nue titulaire de l'enregistrement de la marque
«Turbo» (certificat n° 234,967) pour un groupe de
marchandises comprenant, lui aussi, les lubrifiants
pour voitures. Ce dernier dessin-marque enregistré
possède une forme différente de celle du dessin-
marque décrit au certificat n° 198,729. Chacune de
ces marques de commerce enregistrées est identi-
fiée de façon particulière et alléguée aux paragra-
phes 4, 5 et 6 de la déclaration; elles se trouvent
également annexées à cet acte de procédure.
Aucune autre marque, enregistrée ou non, n'est
explicitement alléguée à l'appui des causes d'ac-
tion plaidées en l'espèce. Depuis 1969, la marque
Turbo a été utilisée par l'appelante sous la forme
qu'elle prend au certificat n° 198,729 et, en parti-
culier, sur le contenant de plastique blanc d'un
litre de l'huile à moteur «Super duty 1» 10W30 que
l'appelante commercialise au Canada. Sur ce con-
tenant figure également la dénomination sociale
complète de l'appelante, inscrite en lettres blan
ches sur fond rouge. Les inscriptions suivantes y
sont également placés en évidence: «For API Ser
vice SE -SF -CC».
À la fin de l'automne 1986, l'intimée a fait
circuler une brochure dans laquelle figure la décla-
ration suivante:
[TRADUCTION] Petro -Canada a le plaisir de vous annoncer la
sortie d'un produit de très haute qualité: l'huile à moteur
Premium Turbo Tested Motor Oil (Super Turbo - Huile
moteur testée dans les moteurs turbo). Fruit de 18 mois de
recherches, de mise au point et de tests, cette huile établit une
nouvelle norme de performance pour les huiles à moteurs.
Offerte dans une nouvelle bouteille de plastique noir d'un litre
garnie d'une étiquette métallique frappante seyant à un tel
produit de pointe, la Premium Turbo Tested sera disponible
pour tous les détaillants à partir du 15 novembre 1986.
L'existence de cette brochure est parvenue à la
connaissance de l'appelante en janvier 1987; dans
une lettre en date du 23 juin 1987, ses avocats
disaient à l'intimée:
[TRADUCTION] Notre cliente est la titulaire enregistrée de la
marque de commerce TURBO en ce qui concerne les lubri-
fiants de voitures. Cette marque a été énormément utilisée par
notre cliente depuis 1967, si bien qu'elle a acquis une grande
notoriété au Canada dans la région où se situe le marché de
notre cliente, et qu'elle y possède à un haut degré un caractère
distinctif inhérent.
Il a été souligné à notre attention que vous commercialisez
présentement au Canada un lubrifiant pour voitures portant la
marque TURBO.
La grande ressemblance entre le nom que vous utilisez et la
marque enregistrée TURBO de notre cliente établit une pré-
somption de contrefaçon. Votre emploi de ce nom a créé et est
susceptible de continuer de créer de la confusion au Canada
entre vos produits et votre entreprise et ceux de notre cliente.
Nous vous demandons un engagement écrit portant que vous
cesserez immédiatement toute utilisation du nom TURBO en
liaison avec les lubrifiants pour voitures.
L'intimée commercialise effectivement un conte-
nant de plastique noir d'un litre d'huile moteur
10W30 dont la face est garnie d'une étiquette
métallique sur laquelle figure en évidence le logo
de l'intimée, un dessin bordé de blanc comportant
la partie supérieure d'une feuille d'érable stylisée
(en blanc) sur fond rouge ainsi que les mots
«PETRO -CANADA» en caractères gras. Sous ce logo
figurent les mots «SUPER TURBO TESTED» («SUPER
TURBO—HUILE MOTEUR TESTÉE DANS LES
MOTEURS TURBO»), le mot TURBO (en rouge) se
trouvant placé davantage en évidence que les
autres, ainsi que le mot «HYDROTESTED» [sic]
(HYDROTRAITÉE), inscrit à gauche en caractères
plus petits. À l'arrière et sur les côtés du contenant
figure à nouveau le logo de l'intimée, avec la
dénomination sociale complète de cette société
clairement inscrite sur un des côtés. Parmi les
autres inscriptions apparaissant sur l'étiquette se
trouvent les suivantes: «API:SF./CC,CD».
L'injonction interlocutoire recherchée
L'avis de requête du 27 juillet déclare expressé-
ment avoir été [TRADUCTION] «présenté conformé-
ment à la Loi sur les marques de commerce». Le
redressement par voie d'injonction qu'elle sollicite
interdirait à l'intimée de poser les actions
suivantes:
[TRADUCTION]
(i) violer les droits conférés par les enregistrements canadiens
de marques de commerce n 05 198,729, 234,967, 198,730 et
198,731;
(ii) être présumée contrefaire les marques de commerce cana-
diennes enregistrées sous les nO 5 198,729, 234,967, 198,730
et 198,731;
(iii) utiliser au Canada comme marque de commerce, nom
commercial ou autrement le mot TURBO ou tous autres
mots ou présentation ou dessin présentant avec ce mot une
ressemblance créant de la confusion ou toute imitation
trompeuse en liaison avec des combustibles et des produits
pétroliers destinés aux véhicules automobiles et autres
véhicules autopropulsés, notamment les lubrifiants pour
mécanismes spécialisés, les produits chimiques et les grais-
ses destinées aux voitures, l'essence, le combustible destiné
aux moteurs diesel, l'huile à moteur et à engin, l'antigel
ainsi que les autres produits semblables;
(iv) utiliser au Canada la marque de commerce TURBO ou
une imitation trompeuse de cette marque d'une manière
susceptible de déprécier la valeur de la clientèle qui s'y
trouve attachée ou tenter de s'approprier cet achalandage;
(v) distribuer, commercialiser, offrir de vendre ou vendre au
Canada des contenants d'un litre de lubrifiants pour voitu-
res portant des étiquettes sur lesquelles figurent les mots
«TURBO TESTED» ou tout autre matériel, contenant,
brochure ou matériel publicitaire de quelque nature que ce
soit portant la marque de commerce «TURBO».
Les paragraphes qui précèdent correspondent
exactement à ceux du paragraphe (b) de la décla-
ration qui décrivent le redressement sollicité.
La plaidoirie et les dispositions en jeu de la Loi
Les causes d'action alléguées figurent aux para-
graphes 7 à 13 de la déclaration, qui sont ainsi
libellés:
[TRADUCTION] 7. La défenderesse offre maintenant en vente
sur le marché canadien, au détail, un contenant d'un litre
d'huile moteur portant une étiquette sur laquelle ressortent les
mots «TURBO TESTED», étiquette dont une copie se trouve
jointe au présent document comme annexe «E».
8. La demanderesse déclare que l'utilisation du mot TURBO
dans la publicité, les ventes et le lancement de la marque
d'huile pour voitures de la défenderesse contrefait lesdites
marques de commerce de la demanderesse n°> 198,729,
234,967, 198,730 et 198,731 contrairement à l'article 10 de la
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10 ou,
subsidiairement, qu'un tel usage est présumé contrefaire lesdi-
tes marques de commerce enregistrées contrairement à l'article
20 de la Loi sur les marques de commerce (susmentionnée).
9. La commercialisation, le lancement et la vente par la défen-
deresse des produits décrits au paragraphe 7 de cette déclara-
tion sont susceptibles de faire conclure que de tels articles ou
marchandises sont fabriqués ou vendus ou que de tels services
sont exécutés par la demanderesse, et trompent le public ou
créent chez lui de la confusion, ce qui cause un préjudice
irréparable à la demanderesse et diminue la valeur de la
clientèle attachée aux marques de commerce enregistrées de la
demanderesse.
10. La demanderesse déclare que l'utilisation des mots
«TURBO TESTED» vise à créer de la confusion et à tromper le
public en lui faisant croire que le produit concerné est celui de
la demanderesse, et elle soutient que la défenderesse fait effec-
tivement passer l'huile à moteur ainsi présentée pour celle de la
demanderesse.
11. Les actions et la conduite de la demanderesse qui ont été
décrites dans la présente déclaration constituent une méthode
d'affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commer-
ciaux ayant cours au Canada. La demanderesse s'appuiera sur
les dispositions de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C.
1970, chapitre T-10 et, précisément, sur les articles 7 et 53 de
cette Loi.
12. Les actions fautives susmentionnées de la défenderesse ont
causé une perte et un préjudice sérieux à la demanderesse et
ont bénéficié à la défenderesse.
13. Les actions de la défenderesse ont été posées délibérément
et sciemment ou, subsidiairement, ont été posées alors qu'il
existait des éléments devant raisonnablement faire soupçonner
à la défenderesse que la demanderesse détenait des droits dans
les marques de commerce en l'espèce.
Les articles 7, 10, 20 et 53 de la Loi sur les
marques de commerce sont ainsi libellés:
7. Nul ne doit
a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à
discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un
concurrent;
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses
services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisem-
blablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a
commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandi-
ses, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;
c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux
qui sont commandés ou demandés;
d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une
désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de
nature à tromper le public en ce qui regarde
(i) les caractéristiques, la qualité, la quantité ou la
composition,
(ii) l'origine géographique, ou
(iii) le mode de fabrication, de production ou d'exécution
de ces marchandises ou services; ni
e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d'affai-
res contraire aux honnêtes usages industriels ou commer-
ciaux ayant cours au Canada.
10. Si une marque, en raison d'une pratique commerciale
ordinaire et authentique, devient reconnue au Canada comme
désignant le genre, la qualité, la quantité, la destination, la
valeur, le lieu d'origine ou la date de production de marchandi-
ses ou services, nul ne doit l'adopter comme marque de com
merce en liaison avec ces marchandises ou services ou autres de
la même catégorie générale, ou l'employer d'une manière sus
ceptible d'induire en erreur, et nul ne doit ainsi adopter ou
employer une marque dont la ressemblance avec la marque en
question est telle qu'on pourrait vraisemblablement les
confondre.
20. Le droit du propriétaire d'une marque de commerce
déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est censé violé par
une personne non admise à l'employer selon la présente loi et
qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en
liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial
créant de la confusion; mais aucun enregistrement d'une
marque de commerce ne doit empêcher une personne
a) d'utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom
commercial, ni
b) d'employer de bonne foi, autrement qu'à titre de marque
de commerce,
(i) le nom géographique de son siège d'affaires, ou
(ii) toute description exacte du genre ou de la qualité de
ses marchandises ou services,
d'une manière non susceptible d'entraîner la diminution de la
valeur de la clientèle attachée à la marque de commerce.
53. Lorsqu'il est démontré à une cour compétente, qu'un
acte a été accompli contrairement à la présente loi, la cour peut
rendre l'ordonnance que les circonstances exigent, y compris
une stipulation portant un redressement par voie d'injonction et
le recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, et peut
donner des instructions quant à la disposition des marchandises,
colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la pré-
sente loi et de toutes matrices employées à leur égard.
En combinant la déclaration aux dispositions de
la Loi sur les marques de commerce qui se trou-
vent alléguées, il nous devient possible de grouper
(à une exception près) les causes d'action invo-
quées selon les catégories suivantes, fondées sur les
dispositions de la Loi qui y correspondent:
(a) la contrefaçon des quatre marques de com
merce expressément identifiées dans l'acte de
procédure (article 10);
(b) la présomption de violation du droit détenu
dans ces marques de commerce (article 20);
(c) le fait de tromper le public ou de causer chez
lui de la confusion, en sorte que l'appelante a
subi un préjudice irréparable (alinéa 7b));
(d) le fait de tromper le public ou de causer chez
lui de la confusion, de sorte à faire diminuer la
valeur de la clientèle attachée aux marques de
commerce de l'appelante;
(e) le fait de créer de la confusion, et de tromper
le public en lui faisant croire que le produit de
l'intimée est celui de l'appelante, de sorte à
faire passer le produit de l'intimée pour celui
de l'appelante (alinéa 7c));
(f) le fait d'adopter une méthode d'affaires con-
traire aux honnêtes usages industriels ou com-
merciaux ayant cours au Canada (alinéa 7e)).
L'exception dont il est question ci-haut est la cause
d'action résumée au paragraphe (d) qui précède.
En ce qui la regarde, l'avocat de l'appelante a
reconnu devant nous que cette cause d'action
trouve sa source juridique au paragraphe 22(1)' de
la Loi et que cette disposition n'a pas été alléguée
expressément.
Lors de l'audience, l'appelante a soutenu que le
redressement par voie d'injonction qui est sollicité
servirait également à protéger les droits qui, confé-
rés par la common law relativement aux marques
de commerce, peuvent s'ajouter à ceux qu'accorde
la Loi ou les remplacer. Toutefois, l'intimée suggè-
re—et je suis d'accord avec elle—qu'aucun droit
attaché aux marques de commerce par la common
law n'est effectivement allégué et invoqué dans la
déclaration.
Le jugement porté en appel
Le très expérimenté juge des requêtes présente
certaines observations générales faisant état des
principes qui devraient guider les tribunaux saisis
de demandes comme celle en l'espèce indépendam-
ment du critère formulé par lord Diplock dans
l'arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd.,
[1975] A.C. 396 (H.L.). Il s'attache à déterminer
au départ si l'appelante avait l'obligation d'établir
«une forte présomption» ou si la Cour devait sim-
plement être convaincue que «la question à tran-
cher est sérieuse ou, en d'autres termes, que l'ac-
tion n'est ni futile ni vexatoire». Il justifie
longuement son choix d'appliquer dans les circons-
tances de l'espèce le critère de la présomption
plutôt que celui de la [TRADUCTION] «question
sérieuse à trancher» de l'arrêt American Cyana-
mid. Sa réticence à accepter ce dernier critère,
exprimée diversement, se trouve énoncée de façon
très frappante dans le passage suivant de ses
motifs de jugement, aux pages 241 et 242:
... Elle ne devrait pas s'appliquer dans les cas où le fait
d'accorder l'injonction n'aurait pas seulement pour effet de
maintenir le statu quo mais causerait un préjudice important au
défendeur. Il ne m'apparaît tout simplement pas acceptable ni
juste de rendre une ordonnance contre le défendeur simplement
parce que les incidences les plus favorables favorisent le deman-
deur si le défendeur, à la lumière de la preuve présentée à
l'appui de la requête en injonction interlocutoire, semble avoir
plus de chances d'obtenir gain de cause que le demandeur. S'il
y avait une question sérieuse à trancher, en ce sens que l'action
n'est ni futile ni vexatoire, et si, d'une part, le défendeur semble
avoir plus de chances d'obtenir gain de cause et que d'autre
part, le préjudice que pourrait subir le demandeur était supé-
' 22. (1) Nul ne doit employer une marque de commerce
déposée par une autre personne d'une manière susceptible
d'entraîner la diminution de la valeur de la clientèle intéressée.
rieur à celui que subirait le défendeur, je ne concluerais pas que
la requête devrait alors être accueillie en faveur du demandeur.
Après l'audition d'une action, une demande d'injonction doit
nécessairement être rejetée si le demandeur ne peut établir qu'il
y a droit selon la prépondérance des probabilités. Puisque
l'injonction interlocutoire doit être considérée comme une
mesure de redressement exceptionnelle, au même titre que
toute autre mesure interlocutoire présentée avant l'audition au
fond, il m'est difficile de concevoir pourquoi, de façon générale,
le tribunal devrait, en common law ou selon les principes
reconnus en equity applicables aux injonctions, accorder une
injonction interlocutoire au demandeur si celui-ci n'a pas préa-
lablement établi l'existence d'une forte présomption ou, à tout
le moins, d'une présomption. En d'autres termes, s'il était établi
que le défendeur subirait un préjudice réel au cours de l'ins-
tance, la demande devrait être rejetée à moins que la partie
bénéficiant du monopole d'exploitation ne réussisse à convain-
cre le juge à l'audience de l'existence d'une probabilité de
succès éventuel.
Lorsque la preuve de l'existence d'une présomption
n'est pas fermement établie, il reconnaît aux tribu-
naux, «en certaines circonstances rares», une cer-
taine latitude face à la décision d'accorder une
injonction interlocutoire; mais il exigerait par ail-
leurs que le pouvoir discrétionnaire des tribunaux
soit exercé suivant la manière traditionnelle qui
avait cours avant 1975. Il indique également que
ses observations visaient avant tout les affaires
dans lesquelles des violations de droits de propriété
industrielle se trouvent alléguées. Aux fins des
présents motifs, il me suffira de traiter des consi-
dérations devant s'appliquer dans les circonstances
du type particulier d'affaire dont nous sommes
saisis dans le présent appel.
L'examen qu'a fait le juge des requêtes de la
jurisprudence traitant du critère préliminaire
approprié lui a fait parcourir une série de déci-
sions, principalement canadiennes, rendues après
l'arrêt American Cyanamid. Certaines des déci-
sions étudiées ont appliqué le critère préliminaire
énoncé dans cette affaire, tandis que d'autres l'ont
rejeté. Il conclut alors, à la page 250 de ses motifs
de jugement:
Je dois donc conclure, à partir de la preuve par affidavit
présentée à l'appui de la requête et des contre-interrogatoires,
que la demanderesse Turbo Resources n'a pas établi l'existence
d'une présomption que Petro Canada violerait peut-être son
monopole. Il est cependant possible que cette preuve soit établie
par la présentation de nouveaux éléments de preuve à l'audition
au fond.
La requête sera donc rejetée. Je m'abstiens cependant
expressément de traiter de la question des incidences les plus
favorables. En ce qui concerne la nature des dommages-inté-
rêts, je m'abstiens aussi de tirer quelque conclusion sinon pour
dire que si l'injonction avait été accueillie, le préjudice causé à
Petro Canada aurait pu être réparé en argent. Les frais pour
retirer et remplacer les étiquettes sur ses bidons d'huile testée
dans les moteurs turbo constitueraient en fait le seul préjudice
et pourraient être évalués assez facilement.
Le critère préliminaire de l'arrêt American
Cyanamid
Jusqu'à 1975, il était généralement considéré en
Angleterre qu'une injonction interlocutoire devait
être refusée si le demandeur ne présentait à tout le
moins [TRADUCTION] «la présomption d'un certain
manquement à une obligation» de la part du défen-
deur: voir l'arrêt Stratford (J. T.) & Son Ltd. v.
Lindley, [1965] A.C. 269 (H.L.), motifs de lord
Upjohn, à la page 338. Mais lorsque l'affaire
American Cyanamid, qui concernait un brevet, ést
parvenue à la Chambre des lords, lord Diplock
(sans faire référence à l'arrêt J. T. Stratford) a
expressément rejeté cette notion, pour énoncer à sa
place, aux pages 407 408, le critère préliminaire
suivant:
[TRADUCTION] À mon avis, Vos Seigneuries devraient saisir
l'occasion de déclarer qu'une telle règle est inexistante. Des
expressions comme «une probabilité», «une présomption» ou
«une forte présomption», employées relativement à l'exercice du
pouvoir discrétionnaire d'accorder une injonction interlocutoire,
créent de la confusion quant à l'objet de ce recours temporaire.
Sans doute, le tribunal doit être convaincu que la demande n'est
ni futile ni vexatoire, ou, en d'autres termes, que la question à
trancher est sérieuse.
La cour n'a pas, en cet état de la cause, à essayer de résoudre
les contradictions de la preuve soumise par affidavit, quant aux
faits sur lesquels les réclamations de chaque partie peuvent
ultimement reposer, ni à trancher les épineuses questions de
droit qui nécessitent des plaidoiries plus poussées et un examen
plus approfondi. C'est au procès qu'il faut trancher ces ques
tions. La pratique voulant qu'on demande un engagement
relatif aux dommages-intérêts avant d'accorder une injonction
interlocutoire a été introduite en partie parce qu'«elle aide la
cour à atteindre son grand objectif, c'est-à-dire s'abstenir d'ex-
primer une opinion sur le bien-fondé de l'affaire avant l'audi-
tion»: Wakefield v. Duke of Buccleugh (1865) 12 L.T. 628,
629. Ainsi, à moins que la preuve soumise à la cour à l'audition
de la requête en injonction interlocutoire ne réussisse pas à
établir que le demandeur a véritablement une chance d'avoir
gain de cause dans sa réclamation en vue d'obtenir une injonc-
tion permanente au cours du procès, la cour doit examiner la
question de savoir lequel de l'octroi ou du refus de l'injonction
interlocutoire recherchée aurait les incidences les plus
favorables.
Cet énoncé de principe, sauf pour la réserve dont
il fait l'objet, continue de refléter l'état du droit
anglais. Cette réserve lui a été apportée par lord
Diplock lui-même dans l'arrêt N.W.L. Ltd. v.
Woods, [1979] 1 W.L.R. 1294 (H.L.), où il souli-
gne à la page 1306 que rien dans sa décision
antérieure ne voulait suggérer qu'un juge saisi
d'une requête en injonction interlocutoire [TRA-
DUCTION] «ne devrait pas accorder toute l'impor-
tance qu'elles méritent aux réalités pratiques de la
situation» et dans lequel il déclare précisément au
sujet de l'arrêt American Cyanamid qu'il [TRA-
DUCTION] «ne traitait pas d'une affaire dans
laquelle l'octroi ou le refus d'une injonction à ce
stade aurait effectivement réglé l'action d'une
manière définitive en faveur de la partie qui aurait
eu gain de cause dans la demande, parce que la
partie perdante n'aurait plus eu d'intérêt pour
justifier une instruction.» Cette réserve mise à
part, le critère préliminaire formulé par lord
Diplock (après avoir été initialement critiqué par
le maître des rôles lord Denning dans l'arrêt Fello-
wes & Son v. Fisher, [1976] Q.B. 122 (C.A.) aux
pages 130 134 et dans l'arrêt Hubbard v. Pitt,
[1976] Q.B. 142 (C.A.) aux pages 177 et 178)
apparaît à présent enraciné dans la common law
de l'Angleterre.
Quelques arrêts canadiens
Il n'est pas nécessaire que nous tentions un
examen des nombreux arrêts rapportés de notre
pays qui ont soit appliqué soit rejeté le critère de la
[TRADUCTION] «question sérieuse à trancher»
énoncé par lord Diplock. Le juge des requêtes a
pris un grand nombre de ces arrêts en considéra-
tion, en tenant compte notamment de plusieurs
décisions de la Division de première instance sta-
tuant dans des sens opposés. Depuis lors, la juris
prudence a connu certains développements. Bien
que la Cour suprême du Canada ait encore à
trancher ce point précis, elle a présenté des obser
vations au sujet de ce critère dans l'arrêt Manitoba
(Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd.,
[1987] 1 R.C.S. 110. Cette affaire mettait en jeu
une demande visant à suspendre une instance se
déroulant devant la Manitoba Labour Board con-
formément à une loi provinciale jusqu'à ce que soit
réglé le sort d'une demande visant à faire déclarer
le pouvoir de décision conféré par la loi invalide
parce que contraire à la Charte canadienne des
droits et libertés. Aux pages 127 et 128, le juge
Beetz écrit:
Le premier critère revêt la forme d'une évaluation prélimi-
naire et provisoire du fond du litige, mais il y a plus d'une façon
de décrire ce critère. La manière traditionnelle consiste à se
demander si la partie qui demande l'injonction interlocutoire
est en mesure d'établir une apparence de droit suffisante. Si elle
ne le peut pas, l'injonction sera refusée: Cheasapeake and Ohio
Railway Co. v. Ball, [1953] O.R. 843, le juge en chef McRuer
de la Haute Cour, aux pp. 854 et 855. Ce premier critère a été
quelque peu assoupli par la Chambre des lords dans l'arrêt
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] 1 All E.R.
504, où elle a conclu que, pour y satisfaire, il suffisait de
convaincre la cour de l'existence d'une question sérieuse à
juger, par opposition à une réclamation futile ou vexatoire.
Dans l'arrêt Aetna Financial Services Ltd. c. Feigelman,
[1985] 1 R.C.S. 2, aux pp. 9 et 10, rendu à l'unanimité, le juge
Estey, parlant pour lui-même et pour cinq autres membres de la
Cour, a mentionné cette différence, sans pourtant la
commenter.
L'arrêt American Cyanamid a été suivi sur ce point dans
bien des décisions canadiennes et anglaises, mais il a été rejeté
dans plusieurs autres cas et ne paraît pas être suivi en Austra-
lie: voir les commentaires exprimés et les décisions mentionnées
dans P. Carlson, «Granting an Interlocutory Injunction: What
is the Test?» (1982), 12 Man. L.J. 109; B. M. Rogers and G.
W. Hately, «Getting the Pre -Trial Injunction» (1982), 60 R. du
B. can. 1, aux pp. 9 à 19; R. J. Sharpe, Injunctions and Specific
Performance (Toronto 1983), aux pp. 66 77.
En l'espèce, il n'est ni nécessaire ni recommandable de
choisir à tous égards entre la formulation traditionnelle du
premier critère et celle donnée dans l'arrêt American Cyana-
mid: la jurisprudence britannique démontre que la formulation
d'un critère rigide applicable à tous les types d'affaires, sans
avoir égard a leur nature, n'est pas une solution à retenir (voir
Hanbury et Maudsley, Modern Equity (12th ed. 1960), aux pp.
736 743). À mon avis, cependant, la formulation dans l'arrêt
American Cyanamid, savoir celle de l'existence d'une «question
sérieuse», suffit dans une affaire constitutionnelle où, comme je
l'indique plus loin dans les présents motifs, l'intérêt public est
pris en considération dans la détermination de la prépondérance
des inconvénients. Mais je m'abstiens d'exprimer une opinion
quelconque sur le caractère suffisant ou adéquat de cette
formulation dans tout autre type d'affaires'.
Le juge Beetz dit aussi clairement à la page 127
que les principes régissant l'octroi d'une injonction
interlocutoire devraient normalement s'appliquer à
la suspension interlocutoire.
2 Notons que l'état du droit exposé par la Haute Cour
d'Australie dans l'arrêt Firth Industries Ltd v Polyglas Engi
neering Pty Ltd (1975), 6 ALR 212 cité par les auteurs
auxquels se réfère le juge Beetz a évolué depuis dans un sens
favorable au critère de l'arrêt American Cyanamid, sans que
toutefois une formation complète de la Haute Cour se soit
encore prononcée sur cette question: voir par exemple les arrêts
Australian Coarse Grain Pool Pty Ltd v Barley Marketing
Board of Queensland (1982), 46 ALR 398 (H.C.Aust.);
Tableland Peanuts Pty Ltd v Peanut Marketing Board (1984),
52 ALR 651 (H.C.Aust.); A v Hayden (No 1) (1984), 56 ALR
73 (H.C.Aust.). Ce point de vue semble partagé par la Cour
fédérale d'Australie: voir Epitoma Pty Ltd v Australasian
Meat Industry Employees' Union (1984), 54 ALR 730
(F.C.Aust.); Telmak Teleproducts Australia Pty Ltd v Bond
International Pty Ltd (1985), 66 ALR 118 (F.C.Aust.).
Notre Cour a appliqué le critère préliminaire de
l'arrêt American Cyanamid dans l'arrêt Toth c.
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion) (A-870-88, juge Mahoney, jugement en date
du 28-10-88 (C.A.F.), encore inédit). Cette affaire
mettait en jeu une demande sollicitant la suspen
sion de l'exécution' d'une ordonnance d'expulsion
jusqu'à ce qu'ait été entendue et jugée une
demande d'autorisation d'interjeter appel de cette
ordonnance. Ce même critère a été appliqué de
façon encore plus récente par cette Cour dans
l'affaire Teal Cedar Products (1977) Ltd. c.
Canada (A-613-88, juge Pratte, jugement en date
du 6-12-88 (C.A.), encore inédit), dans laquelle
une injonction interlocutoire était sollicitée aux
fins de suspendre l'application d'une disposition
d'une loi jusqu'à ce que la Cour ait statué sur sa
validité. Dans un arrêt antérieur prononcé dans
l'affaire SyntexInc. c. Apotex Inc., [1984],2 C.F.
1012, cette Cour a conclu qu'il ne lui était pas
nécessaire de choisir entre ces deux critères au
motif qu'elle était convaincue que cette espèce, en
tout état de cause, était visée par l'exception de
l'arrêt Woods, c'est-à-dire que l'injonction interlo-
cutoire avait pour effet de régler l'action de façon
définitive.
De nombreuses autres cours d'appel d'instance
intermédiaire de nos provinces de common law ont
soit adopté le critère préliminaire de l'arrêt Ame-
rican Cyanamid à l'égard de presque toutes les
situations, soit adopté ce critère relativement à des
circonstances plus restreintes. Tel semblerait être
le cas de la Colombie-Britannique°, de l'Alberta 5 ,
du Nouveau-Brunswick 6 , de l'île du Prince
' Dans l'arrêt Telecommunications Workers' Union c.
Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica-
tions canadiennes) (A-498-88, juge Marceau, jugement en date
du 13-10-88 (C.A.), encore inédit), qui met aussi en jeu la
suspension d'une ordonnance d'un tribunal statutaire, cette
Cour a considéré qu'il ne lui était pas nécessaire de choisir
entre le critère de l'apparence de droit et celui de la question
sérieuse à trancher adopté dans l'arrêt Metropolitan Stores,
bien que l'octroi de l'autorisation d'interjeter appel, à son point
de vue, eût établi qu'une apparence de droit pouvait être
démontrée.
4 B.C. (A.G.) v. Wale (1986), 9 B.C.L.R. (2d) 333 (C.-B.).
5 Law Soc. of Alta v. Black (1983), 29 Alta. L.R. (2d) 326
(C.A.).
6 Van Wart v. La-Ko Enterprises Ltd. and Labrie (1981), 35
N.B.R. (2d) 256 (C.A.).
Édouard', de Terre-Neuve, et peut-être aussi de
l'Ontario 9 . La thèse contraire semble avoir été
adoptée au Manitoba '°, tandis que la question
n'est pas clairement tranchée en Saskatchewan"
et en Nouvelle-Écosse 12 .
Le critère préliminaire applicable
Je crois qu'en l'espèce, notre détermination du
critère préliminaire applicable devrait tenir compte
des objets d'une injonction interlocutoire. Lord
Diplock a décrit ces objets dans l'arrêt American
Cyanamid lorsqu'il a dit à la page 406:
[TRADUCTION] L'objet d'une injonction interlocutoire est de
protéger le demandeur contre le préjudice, résultant de la
violation de son droit, qui ne pourrait être adéquatement réparé
par des dommages-intérêts recouvrables dans l'action si l'af-
faire devait être tranchée en faveur dudit demandeur au
moment de l'instruction; toutefois, le besoin d'une telle protec
tion pour le demandeur doit être évalué en fonction du besoin
correspondant du défendeur d'être protégé contre le préjudice
qui découle du fait qu'on l'a empêché d'exercer les droits que
lui confère la loi et qui ne peut être adéquatement réparé par
l'engagement du demandeur de verser des dommages-intérêts si
l'affaire était tranchée en faveur du défendeur à l'instruction.
Le tribunal doit évaluer les besoins l'un en fonction de l'autre et
déterminer quelle est «la répartition des inconvénients».
Plus loin, à la page 407, il traite à nouveau de ce
sujet en notant que les tribunaux d'instance infé-
rieure dans cette affaire avaient négligé de suivre
le conseil donné par la Cour d'appel dans l'arrêt
Hubbard v. Vosper, [1972] 2 Q.B. 84; celle-ci y
avait, pour employer les termes mêmes de lord
Diplock, [TRADUCTION] «déconseillé toute tenta-
' Re Island Telephone Company Limited (1987), 206 A.P.R.
158 (C.A.I.P.-E.).
8 United Steel Workers of America, Local 5795 v. Iron Ore
Company of Canada (1984), 132 A.P.R. 150 (C.A.T.-N.).
9 Nelson Burns & Co. v. Gratham Industries Ltd. (1987), 19
C.P.R. (3d) 71 (C.A. Ont.).
1° La -Cost Drug Mart Ltd. v. Canada Safeway Limited et
al. (1986), 40 Man.R. (2d) 211 (C.A.).
" Potash Corporation of Saskatchewan Mining Limited v.
Todd, Heinrich and Energy and Chemical Workers Union,
Local 922 (1987), 53 Sask. R. 165 (C.A.).
12 Mercator Enterprises Ltd. v. Harris et al. (1978), 29
N.S.R. (2d) 691 (C.A.).
tive visant à restreindre le pouvoir discrétionnaire
de la Cour par l'énonciation de règles ayant pour
effet d'enlever à ce redressement une partie de la
souplesse qui lui permet de réaliser les fins sus-
mentionnées». Dans l'arrêt Vosper, lord Denning
avait souligné à la page 96 que le [TRADUCTION]
«redressement par voie d'injonction interlocutoire
est d'une telle utilité que sa souplesse et le pouvoir
discrétionnaire en vertu duquel il est accordé doi-
vent être préservés» et que ce recours « ... ne doit
pas être assujetti à des règles strictes». A la page
98, le lord juge Megaw a ajouté que chaque espèce
[TRADUCTION] «doit être jugée selon l'équité, la
justice et le sens commun en tenant compte de
l'ensemble des questions de fait et de droit qui lui
sont pertinentes». Au Canada, la nécessité de pré-
server la souplesse caractérisant la délivrance des
injonctions interlocutoires a été reconnue par nos
tribunaux, notamment par la Cour d'appel de
l'Ontario dans l'arrêt Chitel et al. c. Rothbart et
al. (1982), 69 C.P.R. (2d) 62, la page 72, la
Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans
l'arrêt B.C. (A.G.) v. Wale, susmentionné, aux
pages 346 et 347, et la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt Metropolitan Stores, précité, à la page
128.
Selon mon interprétation des principes en jeu,
cette souplesse doit finalement être atteinte par
une application de l'éconcé de l'arrêt American
Cyanamid dans son entier qui tienne compte de la
répartition des inconvénients entre les parties, un
facteur qui devient ainsi déterminant dans l'exer-
cice du pouvoir discrétionnaire du juge de pre-
mière instance. Le fait pour un demandeur de
satisfaire au critère de la [TRADUCTION] «question
sérieuse à trancher» a pour seul effet de déloqueter
la porte du redressement recherché; il ne lui ouvre
pas cette porte et ne lui permet surtout pas d'en
franchir le seuil. Cette possibilité ne lui est offerte
que s'il est jugé que la répartition des inconvé-
nients le favorise. Ce point est établi clairement
par lord Diplock dans l'arrêt American Cyanamid
et se trouve réitéré par ce même lord dans l'arrêt
Woods. Siégeant à titre de membre du Conseil
privé dans l'affaire Eng Mee Yong v. Letchumanan
s/o Velayutham, [1980] A.C. 331, le lord juge
Diplock a énoncé encore une fois ce principe en
déclarant à la page 337:
[TRADUCTION] Le principe régissant l'octroi d'une injonction
interlocutoire est celui de la répartition des inconvénients; celui
qui demande le prononcé d'une injonction interlocutoire n'a pas
à convaincre la cour de l'existence d'une «probabilité», ni à
établir une «apparence de droit» ou une «forte apparence de
droit»: il n'a pas à démontrer qu'il aura gain de cause si son
action est instruite; avant cependant que ne puisse se poser la
question de la répartition des inconvénients, la partie qui
sollicite l'injonction doit convaincre la cour que sa demande
n'est ni futile ni vexatoire; en d'autres termes, cette partie doit
établir que les éléments de preuve présentés à la cour révèlent
l'existence d'une question sérieuse à trancher: American Cya-
namid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396.
À mon avis, le présent appel devrait d'entrée de
jeu être régi par le critère préliminaire de l'arrêt
American Cyanamid. Comme nous le verrons,
l'énoncé de lord Diplock dans cette affaire non
seulement formule le critère applicable mais fait
état des autres facteurs qui doivent être considérés
une fois qu'il y a été satisfait. Examiné dans son
entier, cet énoncé, à mon sens, conserve la sou-
plesse qui lui est essentielle à l'exercice du pouvoir
discrétionnaire étendu mais réglementé du juge qui
entend une demande d'injonction interlocutoire
après avoir acquis la conviction qu'il existe une
question sérieuse à trancher. Cette souplesse est
encore accrue par l'exception dont l'arrêt Woods
prévoit l'application dans certaines circonstances.
S'il est vrai que ce critère préliminaire abaisse
considérablement l'obstacle qui doit être franchi
par un demandeur, il serait faux de croire que
l'exercice régulier du pouvoir discrétionnaire en
jeu à la lumière de toutes les considérations perti-
nentes désavantagera inexorablement le défendeur.
La décision statuera sur la demande en faveur
d'une partie ou de l'autre selon la répartition des
inconvénients, dont l'appréciation sera faite à
l'examen des facteurs mentionnés plus bas. Ce
critère préliminaire, comme je l'ai dit, a été large-
ment accepté dans des ressorts de common law
comme l'Australie' 3 et la Nouvelle-Zélande ", en
plus d'être adopté par la plupart des cours d'appel
d'instance intermédiaire des provinces de common
law du Canada. Son application s'impose dans les
circonstances de l'espèce.
A-t-il été satisfait au critère préliminaire?
Pour déterminer si une question sérieuse à tran-
cher a été établie en l'espèce, nous devons encore
une fois examiner la plaidoirie à la lumière des
éléments de preuve présentés. Selon mon interpré-
'3 Voir ci-haut la note de bas de page 2.
14 Consolidated Traders Ltd y Downes, [1981] 2 NZLR 255
(C.A.).
tation de la déclaration, les causes d'action mises
de l'avant sont fondées sur des violations qui
auraient été faites des droits que l'on dit protégés
par les articles 7, 10 et 20 de la Loi sur les
marques de commerce. Ces questions, pour la
plupart, soulèvent ainsi que le dit lord Diplock
dans l'arrêt American Cyanamid d'[TRADUCTION]
«épineuses questions de droit qui nécessitent des
plaidoiries plus poussées et un examen plus appro-
fondi. La Section de première instance, saisie
d'une demande d'injonction interlocutoire dans le
cadre d'une action mettant à la fois en jeu le droit
d'auteur et la marque de commerce (Interlego AG
et al. v. Irwin Toy Ltd. et al., (1985), 3 C.P.R.
(3d) 476), a observé avec raison (par la bouche du
juge Strayer) à la page 483 que «dans une cause
comportant des questions complexes de droit et de
fait, il est extrêmement difficile, et peut-être même
dangereux, de tenter d'apprécier le bien-fondé
d'une réclamation» au stade de la requête. Les
différentes causes d'action invoquées dans les actes
de procédure devraient être considérées à la
lumière de ce principe lors de l'appréciation de la
mesure dans laquelle chacune d'elles satisfait au
critère préliminaire de la «question sérieuse à
trancher».
Aux fins de trancher cette question, je n'ai pas
négligé de considérer la prétention de l'intimée
selon laquelle les éléments de preuve présentés
n'établissent pas l'existence d'une telle question. Il
est vrai que les deux contenants portant l'étiquette
décrite ci-haut ne suggèrent peut-être pas qu'une
confusion soit automatiquement créée dans l'esprit
d'un acheteur désireux de se procurer de l'huile
d'une marque plutôt que de l'autre qui les verrait
placées côte à côte. Nous nous fonderions ainsi sur
la seule observation visuelle. Les éléments de
preuve présentés par l'appelante ne semblent pas
suggérer la possibilité qu'à tout le moins une cer-
taine confusion puisse se manifester chez la per-
sonne se fondant sur la communication orale; ces
éléments se combinent à d'autres suggérant que les
concessionnaires de l'intimée peuvent maintenir
des stocks de produits de compétiteurs à l'intention
des clients qui précisent le produit qu'ils veulent
voir utiliser 15 . C'est évidemment au juge de pre-
mière instance qu'il incomberait de trancher de
15 Voir le contre-interrogatoire de M. Archbold, Dossier d'ap-
pel, volume 4, aux pp. 527 et 528.
façon définitive la question de savoir si une confu
sion est créée à la lumière de l'ensemble des élé-
ments de preuve mis de l'avant à ce stade.
Revenant à la plaidoirie, j'examine d'abord la
question de savoir si l'appelante a satisfait à ce
critère en se fondant sur les alinéas b), c) et e) de
l'article 7 pour alléguer que des violations de cet
article ont été commises. Ce dernier alinéa ne peut
fonder aucune cause d'action puisqu'il apparaît
avoir été déclaré inconstitutionnel 1 6 . Les autres
droits invoqués ne semblent pas dépendre de la
détention par un demandeur d'une marque de
commerce enregistrée — bien qu'en l'espèce, de
telles marques soient détenues. Le mot «TURBO»
figure dans un certain contexte sur les contenants
d'un litre d'huile moteur de l'intimée et le dessin-
marque de commerce «TURBO» de l'appelante
figure sur ses propres contenants d'une litre d'huile
moteur. Ces deux produits se font concurrence
dans certaines régions du Canada, principalement
dans l'Ouest. Selon ma façon de voir, le juge qui
instruira le procès aura à résoudre d'épineuses
questions d'interprétation de la Loi, à savoir: (a)
l'intimée a-t-elle par les actions qu'elle est alléguée
avoir commises à l'époque pertinente appelé «l'at-
tention du public sur ses marchandises ... de
manière à causer ou à vraisemblablement causer
de la confusion au Canada ... entre ses marchan-
dises ... et ... [celles] d'un autre»? (b) l'intimée
a-t-elle fait passer «d'autres marchandises ... pour
. [celles] qui . [étaient] commandé[e]s ou
demandé[e]s»? Je ne considère pas que l'argumen-
tation fondée sur les alinéas 7b) ou c) soit futile ou
vexatoire. Elle satisfait au critère de la question
sérieuse à trancher. Les réponses à ces questions
dépendront également des éléments de preuve pré-
sentés lors du procès lui-même.
L'examen des allégations visant l'article 10 con
duit à des résultats contradictoires. Je doute
qu'une question sérieuse à trancher ait été soulevée
par l'allégation fondée sur ses deux premières dis
positions selon laquelle le mot «TURBO» figurant
sur le contenant du produit de l'intimée contrefait
l'une ou l'autre des marques de commerce enregis-
trées de la demanderesse au sens où l'intimée
utiliserait ainsi l'une ou l'autre de ces marques.
16 MacDonald et autre c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2
R.C.S. 134. Voir également l'arrêt Asbjorn Horgard AIS c.
Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544 (C.A.).
Les éléments de preuve qui nous ont été présentés
et qui, présumément, seraient mis de l'avant lors
du procès, ne semblent pas confirmer une telle
assertion. Ils établissent l'usage d'une marque par-
ticulière par l'intimée ainsi que le droit de pro-
priété de l'appelante dans quatre marques de com
merce enregistrées et son usage d'une de ces
marques. D'autre part, j'ai conclu qu'une telle
question sérieuse a été soulevée relativement à la
disposition restante de l'article 10. Essentielle-
ment, la prétention qui la suscite veut que l'utilisa-
tion du mot «TURBO» sur les contenants de son
produit constitue un usage par l'intimée d'une
marque «dont la ressemblance» avec les marques
de commerce enregistrées de l'appelante «est telle
qu'on pourrait vraisemblablement les confondre».
La signification de ces termes est également une
question quelque peu difficile qui devra être tran-
chée par le juge du procès à la lumière des élé-
ments de preuve qui lui seront soumis. Les élé-
ments de preuve dont nous disposons ne nous
permettent pas de conclure que cette allégation est
futile ou vexatoire.
Je suis également convaincu qu'une question
sérieuse à trancher est soulevée par les violations
de l'article 20 de la Loi qui sont alléguées. Encore
une fois, le sort ultime de ces assertions dépendra
de l'interprétation que le juge du procès pourra
donner aux termes «en liaison avec une marque de
commerce ... créant de la confusion> à la lumière
des éléments de preuve présentés à ce stade. Il ne
convient pas que nous tentions ici de trancher cette
épineuse question de façon concluante. Je ne crois
pas qu'à ce stade-ci nous puissions affirmer que
cette assertion est soit futile soit vexatoire.
Deux autres allégations nous ont été présentées
à l'appui de la demande d'injonction. Première-
ment, il a été dit que les activités reprochées sont
prohibées par le paragraphe 22(1) de la Loi en ce
qu'elles sont «susceptible[s] d'entraîner la diminu
tion de la valeur de la clientèle» attachée aux
marques de commerce enregistrées de l'appelante.
Un tel argument ne peut toutefois masquer l'omis-
sion de plaider ce paragraphe et ne peut, à ce
stade-ci, fonder le tribunal de prononcer l'injonc-
tion sollicitée. Deuxièmement, l'appelante ne peut,
ainsi qu'elle a tenté de le faire lors de l'audience,
prendre appui sur une allégation selon laquelle il y
aurait eu violation de droits attachés par la
common law aux marques de commerce qui existe-
raient dans le mot «TURBO» indépendamment de sa
présence au sein des marques de commerce visées.
Ainsi que je l'ai déjà expliqué, les seuls droits sur
lesquels on s'appuie sont dits découler de la Loi et
protéger les droits du détenteur d'une marque de
commerce enregistrée. Comme aucun des droits
attachés par la common law aux marques de com
merce n'a été plaidé, aucun tel droit ne peut être
soulevé à ce stade à l'appui du redressement
sollicité.
Autres facteurs devant entrer en ligne de compte
Jusqu'à présent, je me suis limité à choisir le
critère préliminaire (ou critère des chances de
succès) qui devrait être appliqué ainsi qu'à vérifier
dans quelle mesure il avait été satisfait à ce critère
en l'espèce. Dans l'énoncé des règles appliquables
à une telle question qu'il a fait dans l'arrêt Ameri-
can Cyanamid, lord Diplock a souligné d'autres
considérations devant également être prises en
compte dans l'éventualité où un juge de première
instance conclut qu'il existe une question sérieuse à
trancher au sens où la question soulevée n'est ni
futile ni vexatoire. Après avoir discuté de la ques
tion du critère préliminaire approprié, il a entre-
pris d'énoncer ces considérations additionnelles;
ainsi dit-il aux pages 408 et 409:
[TRADUCTION] À ce propos, le principe applicable est que le
tribunal doit d'abord considérer si, au cas où le demandeur
aurait gain de cause au procès et établirait son droit à une
injonction permanente, des dommages-intérêts adéquats lui
seraient alloués pour la perte subie par lui du fait de la
continuation par le défendeur, entre la date de la demande et
celle du procès, de l'activité qu'on cherchait à interdire. Si des
dommages-intérêts, dans la mesure où ils sont recouvrables en
common law, constituaient un redressement approprié, et si le
défendeur avait les moyens de les verser, on devrait normale-
ment refuser l'injonction interlocutoire, quelque forte que
puisse paraître la réclamation du demandeur à ce stade. Si,
d'autre part, des dommages-intérêts ne constituaient pas un
redressement approprié pour le demandeur qui aurait eu gain
de cause au procès, le tribunal doit alors considérer si, dans
cette hypothèse contraire où le défendeur aurait réussi à faire
reconnaître son droit de continuer à faire ce qu'on veut lui
interdire, son indemnisation serait suffisante, en vertu de l'en-
gagement du demandeur relativement aux dommages, pour la
perte subie pendant qu'on l'empêchait de poursuivre ses activi-
tés entre la date de la demande et celle du procès. Si des
dommages-intérêts, dans la mesure où ils sont recouvrables en
vertu de l'engagement précité, constituaient un redressement
adéquat et si le demandeur avait les moyens de les verser, le
tribunal ne devrait pas sur ce fondement refuser une injonction
interlocutoire.
C'est quand il n'est pas certain que soient suffisants les
dommages-intérêts recouvrables par l'une ou l'autre des parties,
ou par les deux, qu'il faut rechercher la décision comportant le
plus d'incidences favorables. Il serait peu sage de tenter ne
serait-ce que d'énumérer tous les éléments variés qui pourraient
demander à être pris en considération au moment du choix de
la décison la plus convenable, encore moins de proposer le poids
relatif à accorder à chacun de ces éléments. En la matière
chaque cas est un cas d'espèce.
Si les autres facteurs semblent bien s'équilibrer, il sera
prudent d'adopter les mesures propres à maintenir le statu quo.
Si l'on enjoint au défendeur de s'abstenir temporairement de
faire quelque chose qu'il n'a pas fait auparavant, le seul effet de
l'injonction interlocutoire, s'il gagne son procès, est de reculer
la date où il peut entreprendre une activité qu'il n'avait pas
jusque-là jugée nécessaire; tandis que le fait d'interrompre
l'exploitation d'une entreprise établie lui causera beaucoup plus
d'inconvénients, car il devra la rétablir s'il gagne son procès.
À part dans les cas les plus simples, la décision d'accorder ou
de refuser une injonction interlocutoire causera un préjudice à
la partie perdant dans cette requête; si cette partie gagne le
procès, sa victoire pourra établir qu'un tel préjudice aurait dû
lui être épargné; ce préjudice peut être tel que les dommages-
intérêts que cette partie aurait alors droit de recouvrer soit dans
l'action soit en vertu de l'engagement du demandeur ne suffi-
sent pas à l'indemniser entièrement à cet égard. La mesure
dans laquelle les inconvénients subis par l'une ou l'autre partie
ne pourraient être compensés par des dommages-intérêts dans
l'éventualité de sa victoire au procès constitue toujours un
facteur important dans l'appréciation de la répartition des
inconvénients; et s'il n'y a pas de différence importante en ce
qui a trait à la mesure dans laquelle les inconvénients subis par
chaque partie ne peuvent pas être compensés, il serait opportun
de tenir compte, dans l'appréciation des préjudices, du bien-
fondé relatif de la thèse de chaque partie à la lumière des
affidavits présentés lors de l'audition de la requête. Toutefois,
cela ne doit être fait que lorsqu'il est évident, en se fondant sur
les faits révélés par la preuve qui ne sont pas sérieusement
contestés, que le bien-fondé de la thèse d'une partie est hors de
proportion avec celle de l'autre. Aux fins d'évaluer la cause de
chaque partie, la cour n'est pas justifiée d'entreprendre une
démarche s'apparentant de quelque façon à une instruction de
l'action à partir des affidavits contradictoires.
Je répéterais qu'en plus des facteurs que j'ai mentionnés,
beaucoup d'autres facteurs particuliers sont susceptibles de
devoir être pris en compte dans les circonstances propres aux
différentes espèces. Le présent appel en est une illustration.
Malgré les risques évidents que comporte toute
tentative de présenter une formule qui n'est pas
sans complexité sous une forme schématique, je
dirai qu'il semble que les principaux traits caracté-
ristiques de ces différents facteurs soient les
suivants:
(a) lorsque les dommages-intérêts que le deman-
deur pourrait obtenir à l'égard de la poursuite
par le défendeur de ses activités pendant l'ins-
tance indemniseraient adéquatement le
demandeur et seraient à la mesure des moyens
financiers du défendeur, l'injonction interlocu-
toire ne devrait normalement pas être accor-
dée;
(b) lorsque de tels dommages-intérêts n'indemni-
seraient pas le demandeur adéquatement mais
que des dommages-intérêts (recouvrables en
vertu de l'engagement du demandeur) suffi-
raient à compenser le préjudice subi par le
défendeur à la suite de la limitation de ses
activités, il n'existerait aucun motif justifiant
le refus d'une injonction interlocutoire;
(c) lorsqu'il est douteux que le redressement en
dommages-intérêts pouvant s'offrir à l'une ou
à l'autre partie soit adéquat, il doit être tenu
compte de la répartition des inconvénients;
(d) lorsque les autres facteurs en jeu tendent à
s'équilibrer, il est prudent de prendre des
mesures qui préserveront le statu quo;
(e) lorsque les éléments de preuve présentés avec
la requête font apparaître la cause d'une partie
comme beaucoup plus forte que celle de l'au-
tre, la répartition des inconvénients pourra
être considérée comme favorisant cette pre-
mière partie pourvu que les préjudices irrépa-
rables subis par les parties respectivement ne
soient pas très disproportionnés;
(g) d'autres facteurs particuliers qui ne sont pas
précisés peuvent être considérés dans les cir-
constances particulières des différentes espè-
ces.
Je dois préciser à ce stade-ci que je suis favora
ble au point de vue selon lequel ces facteurs ne
constituent pas une suite d'étapes applicables
mécaniquement suivant un ordre préréglé. Le pro-
fesseur Robert J. Sharpe nous met en garde contre
la rigidité d'une telle approche dans son ouvrage
intitulé Injunctions and Specific Performance
(Toronto, 1983), où il note que chacun des fac-
teurs devrait être [TRADUCTION] «considéré
comme un guide dont la coloration et la définition
s'adaptent aux circonstances de chaque espèce.» Il
observe également qu'ils ne doivent pas être consi-
dérés «comme des catégories distinctes et étan-
ches», et qu'ils «entretiennent des rapports les uns
avec les autres, de sorte que la force constatée à
l'égard d'un des aspects du critère doit pouvoir
compenser les faiblesses souffertes par ailleurs» ".
En d'autres termes, compte tenu du fait que la
répartition des inconvénients est de la plus haute
importance, beaucoup de souplesse est requise.
Évidemment, s'il est conclu que les dommages-
intérêts recouvrables par un demandeur constitue-
ront un redressement adéquat, il s'ensuivra norma-
lement que l'espèce n'est pas de celles pouvant
donner lieu à la délivrance d'une injonction interlo-
cutoire. Le juge des requêtes a conclu qu'il n'était
pas nécessaire qu'il traite de ces facteurs puisqu'il
était d'opinion que l'appelante avait omis de satis-
faire au critère préliminaire plus élevé de l'établis-
sement d'une «présomption». Comme, avec défé-
rence, je suis d'avis qu'il aurait dû appliquer le
critère préliminaire moins élevé de la [TRADUC-
TION] «question sérieuse à trancher», et qu'il a été
satisfait à ce critère, il devient nécessaire pour moi
de mesurer l'effet de ces facteurs additionnels.
Le sort de l'action serait-il réglé de façon
définitive?
L'examen de ces facteurs ne me serait évidem-
ment pas nécessaire non plus si j'étais convaincu
que l'exception énoncée dans l'arrêt Woods est
applicable à la présente espèce. Je n'en suis pas
convaincu. Je le dis même si la présente action est
partiellement une action en passing off'". Elle
allègue également la contrefaçon, la présomption
de contrefaçon, ainsi que la confusion ou la vrai-
semblance d'une confusion au sens de la Loi. Le
litige concerne la vente d'un seul des nombreux
" Ces opinions du professeur Sharpe, qui figurent à la page
88 de son ouvrage, semblent avoir été acceptées par la Cour
d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt B.C. (.4 G.) v.
Wale, susmentionné, note de bas de page 4, aux pp. 345 et 347.
' 8 Si l'action avait uniquement invoqué le passing off, nous
aurions dû considérer l'opinion de la Cour d'appel d'Angleterre
qui a appliqué le critère préliminaire traditionnel, en traitant
cette catégorie d'affaires comme une catégorie dans laquelle le
litige est habituellement tranché de façon définitive par la
décision statuant sur la requête en injonction interlocutoire:
voir l'arrêt Newsweek Inc. v. The British Broadcasting Corpo
ration, [1979] R.P.C. 441 (C.A.). Lord Diplock a clairement
dit dans l'arrêt Woods que le juge qui entend une demande
devrait accorder [TRADUCTION] «toute l'importance qu'elles
méritent aux réalités pratiques de la situation». Quoi qu'il en
soit, considérant la manière dont je réglerais le sort de la
requête, ce point ne devient pas pertinent.
produits et services offerts au public par l'une ou
l'autre partie. La délivrance d'une injonction inter-
romprait sans nul doute le commerce d'huile à
moteur que fait présentement l'intimée en utilisant
sa présente étiquette, mais je ne considère pas que
le résultat pratique de ce redressement serait de
régler définitivement le sort de l'action à l'encontre
des prétentions de cette partie. L'appelante serait
également désavantagée si la délivrance de l'in-
jonction était refusée. Comme l'intimée, elle est
une grande entreprise commerciale et elle connaît
du succès. La vente de cette huile moteur portant
sa marque de commerce enregistrée ne constitue
pour l'appelante qu'une activité parmi d'autres. Il
lui est possible de continuer de vendre et d'annon-
cer ce produit, même si elle doit le faire en subis-
sant la concurrence du produit de l'intimée.
Le juge Strayer a eu à trancher ce même genre
de question dans l'affaire Interlego, qui concernait
la commercialisation de blocks jouets au Canada.
En statuant que le litige n'était pas visé par cette
exception, il dit à la page 484:
Je ne crois pas que la cause en l'espèce s'inscrive dans cette
catégorie. La présente action porte sur la commercialisation
d'un jouet dont une des principales caractéristiques est qu'il ne
se démode pas. Il ne s'agit pas d'un marché éphémère ou
passager: il n'est pas de ceux qu'il faut saisir maintenant ou
jamais. La preuve présentée par les demanderesses démontre
que ce bloc est commercialisé au Canada depuis environ vingt-
cinq ans et que la demande a suivi un tracé presque continuelle-
ment ascendant. Ainsi que nous le soulignerons plus loin, les
faits ne tendent pas à démontrer que l'une ou l'autre des
requérantes, si elle était déboutée de sa demande, devrait cesser
de faire affaires ou serait à jamais empêchée de vendre sur ce
marché si elle établissait qu'elle est fondée juridiquement à ce
faire. Ma décision concernant l'injonction interlocutoire ne
déterminera donc pas à toutes fins pratiques le sort des préten-
tions exposées dans la déclaration de l'action en l'espèce.
En accordant toute l'importance qui se doit aux
différences factuelles entre cette affaire et la pré-
sente espèce, je ne suis pas non plus convaincu que
l'exception de l'arrêt Woods soit applicable aux
circonstances de ce litige. En bref, la présente
affaire n'est pas (ainsi que le dit lord Diplock à la
page 1306 de l'arrêt Woods) de celles dans lesquel-
les l'octroi ou le refus d'une injonction à ce stade
[TRADUCTION] «aurait effectivement réglé l'action
d'une manière définitive en faveur de la partie qui
aurait eu gain de cause dans la demande, parce
que la partie perdante n'aurait plus eu d'intérêt
pour justifier une instruction». Il revient évidem-
ment à la partie perdante de décider si l'action
qu'elle a intentée fera l'objet d'une instruction. En
l'espèce, à tout le moins, je suis assez convaincu
que l'appelante pourrait recevoir un redressement
très important si elle obtenait ultimement gain de
cause.
Décision sur la requête interlocutoire
Après avoir réfléchi à la question en y appli-
quant les principes énoncés dans l'arrêt American
Cyanamid, je suis convaincu que le juge des requê-
tes a eu raison de refuser la délivrance de l'injonc-
tion interlocutoire. Bien que par des cheminements
différents, nous parvenons à la même conclusion.
Cependant, comme la ligne de pensée que j'ai
décidé de suivre est celle qui se trouve tracée dans
cette affaire, je devrais à présent expliquer ma
démarche.
Les autres considérations mentionnées par lord
Diplock dans cette affaire doivent, ainsi que je l'ai
indiqué, être appréciées ensemble plutôt qu'à la
suite l'une de l'autre. Tel semble avoir été le
principe suivi par le lord juge lui-même lorsqu'il a
conclu que la répartition des inconvénients favori-
sait le demandeur. Si donc nous rattachons ces
constatations au résumé des facteurs applicables
figurant ci-haut, la répartition des inconvénients
devrait être constamment appréciée. En l'espèce, le
refus de délivrer une injonction interlocutoire
exposera l'appelante à subir un préjudice qui, bien
qu'indubitablement grave, peut être compensé adé-
quatement par des dommages-intérêts l'indemni-
sant pour toutes les pertes résultant de ce que
l'intimée aurait continué de vendre son huile
moteur en utilisant la marque dont l'appelante
allègue la contrefaçon. Elle peut, si on le lui
conseille, demander qu'une expertise comptable
soit pratiquée pour l'aider à déterminer l'étendue
de telles pertes. La perte de clientèle dont la
common law prévoit le recouvrement ne serait pas
facilement mesurable. L'intimée, d'autre part,
subirait également des pertes de profits et des
dépenses si l'injonction devait être délivrée, puis-
qu'elle ne pourrait plus utiliser sa marque. Son
produit devrait être vendu sous une autre étiquette
ou ne plus être vendu du tout. Ces inconvénients
sont, eux aussi, substantiels. Les dommages-inté-
rêts que pourrait recouvrer l'intimée, comme c'est
habituellement le cas dans de telles circonstances,
feraient l'objet d'un engagement de l'appelante. Il
n'est nullement suggéré que la situation financière
d'une partie ou de l'autre ne lui permettrait pas de
payer tous les dommages-intérêts pouvant être
accordés lors du procès.
L'intimée soumet également que nous devrions
tenir compte des considérations tirées de l'equity 19
qui pourraient s'opposer à la délivrance de l'injonc-
tion interlocutoire sollicitée; elle souligne que l'ap-
pelante invoque la compétence en equity de la
Cour dans l'exercice de ce qui, en fin de compte,
constitue un recours extraordinaire. Je suis d'ac-
cord pour dire que ces facteurs doivent entrer en
ligne de compte. L'avocat de l'intimée, à mon avis,
souligne avec raison que l'appelante, qui n'a
demandé la délivrance d'une injonction interlocu-
toire que quelque six mois après avoir appris que
l'intimée prévoyait introduire une huile moteur du
même grade que la sienne sur le marché canadien
en utilisant la marque contestée en l'espèce, a mis
beaucoup de retard à solliciter un tel redressement.
Entre temps le produit, lancé sur le marché selon
les prévisions, demeure en circulation. Sans doute
des dépenses ont-elles été effectuées à cet égard.
De plus, le dossier contient des éléments de preuve
non contredits selon lesquels d'autres personnes
semblent utiliser le mot «TURBO» en liaison avec la
vente de certaines catégories d'huile moteur au
Canada sans que l'appelante, apparemment, ait
jugé bon de solliciter contre eux le prononcé d'une
injonction. Aucune de ces considérations n'a
échappé au juge des requêtes. Ensemble elles peu-
vent suggérer que l'attitude générale de l'appelante
à l'égard des droits qu'elle prétend à présent faire
valoir en était une de grande indifférence. De plus,
elles accroissent quelque peu la difficulté pour
l'appelante de soutenir qu'elle subira un préjudice
irréparable si l'intimée ne se trouve limitée dans
ses activités jusqu'au procès.
Après avoir apprécié l'effet des différents fac-
teurs en jeu, je suis convaincu que la répartition
des inconvénients est favorable à l'intimée. A mon
sens, c'est à bon droit que la délivrance de l'injonc-
tion interlocutoire a été refusée.
'9 Voir par exemple l'article de B. M. Rogers et G. W.
Hately intitulé “Getting the Pre -Trial Injunction» (1982), 60
Rev. du Bar. Can. I, aux pp. 19 et 20.
Décision sur l'appel
Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l'ap-
pel avec dépens.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE DESJARDINS: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.