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A-163-88
Turbo Resources Limited (appelante)
c.
Petro Canada Inc. (intimée)
RÉPERTORIÉ: TURBO RESOURCES LTD. c. PETRO CANADA INC. (C.A.)
Cour d'appel, juges Heald, Stone et Desjardins, J.C.A.—Toronto, 28 novembre 1988; Ottawa, 18 janvier 1989.
Injonctions Appel est interjeté d'un jugement refusant la délivrance d'une injonction interlocutoire L'affaire concerne la contrefaçon d'une marque de commerce Critère auquel il doit être satisfait en ce qui concerne la délivrance des injonc- tions interlocutoires Le juge des requêtes a commis une erreur en exigeant que l'on établisse une forte présomption Le critère de l'arrêt American Cyanamid (l'existence d'une question sérieuse à trancher) est le critère préliminaire appro- prié La décision visant la question de savoir s'if est satisfait à ce critère exige l'examen de différents facteurs ainsi que l'appréciation de la prépondérance des inconvénients L'ap- pel est rejeté au motif que la prépondérance des inconvénients joue en faveur de l'intimée.
Marques de commerce Contrefaçon Appel est interjeté d'un jugement refusant la délivrance d'une injonction interlo- cutoire L'appelante vend des lubrifiants à moteurs et des produits pétroliers portant la marque «Turbo» L'intimée vend l'huile «Premium Turbo Tested» («Super Turbo—Huile moteur testée dans les moteurs turbo») Le critère de l'arrêt American Cyanamid (l'existence d'une question sérieuse à trancher) est le critère préliminaire approprié en ce qui con- cerne la délivrance des injonctions interlocutoires L'appe- lante a satisfait au critère de la question sérieuse à trancher en ce qui a trait aux violations des art. 7, 10 et 20 de la Loi sur les marques de commerce qui sont alléguées La violation des droits attachés aux marques de commerce par la common law ne pouvait être soulevée à l'audience parce que non plaidée La prépondérance des inconvénients favorise l'intimée Appel rejeté.
Il s'agit d'un appel formé à l'encontre d'une décision de la Division de première instance qui a rejeté la demande d'injonc-
tion interlocutoire de l'appelante. L'appelante fait affaires dans l'industrie pétrolière et commercialise des lubrifiants à moteurs vendus dans des emballages sous la marque «Turbo». L'intimée, Petro Canada, commercialise un contenant d'un litre d'huile moteur affichant son propre nom, son propre logo ainsi que les termes «Super Turbo Tested» (Super Turbo—Huile moteur testée dans les moteurs turbos). Le juge des requêtes a statué que la requérante n'avait pas établi l'existence d'une forte présomption, en considérant que ce critère était approprié à la délivrance d'une injonction interlocutoire et que le critère de la «question sérieuse à trancher» de l'arrêt American Cyanamid était inapplicable.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge des requêtes s'est trompé en appliquant le critère plus exigent de la forte présomption. La souplesse du redresse-
ment par voie d'injonction et le caractère discrétionnaire du pouvoir en vertu duquel il est accordé doivent être préservés. En conséquence, le critère de la «question sérieuse à trancher» est le critère préliminaire applicable à l'octroi d'un tel redressement. Le requérant doit toutefois établir que la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur pour qu'une injonction puisse être délivrée. De plus, la Cour doit s'assurer que les circons- tances de l'espèce ne sont pas telles que la délivrance d'une injonction réglerait le sort du litige de façon définitive.
Bien que l'appelante ait établi qu'il existe une question sérieuse à trancher en ce qui concerne les violations de la Loi qu'elle a alléguées, l'examen des facteurs additionnels mention- nés par lord Diplock dans l'arrêt American Cyanamid révèle que la prépondérance des inconvénients joue en faveur de l'intimée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.). Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 7 b),c),e), 10, 20, 22(1), 53.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.); N.W.L. Ltd. v. Woods, [1979] 1 W.L.R. 1294 (H.L.); Hubbard v. Vosper, [1972] 2 Q.B. 84 (C.A.); Eng Mee Yong v. Letchumanan s/o Velayutham, [1980] A.C. 331 (C.P.); Interlego AG et al. v. Irwin Toy Ltd. et al. (1985), 3 C.P.R. (3d) 476 (C.F. l'° inst.); MacDonald et autre c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134; Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544 (C.A.).
DECISIONS EXAMINEES:
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (A-870-88, juge Mahoney, jugement en date du 28-10-88 (C.A.), encore inédit); Teal Cedar Products (1977) Ltd. c. Canada (A-613-88, juge Pratte, jugement en date du 6-12-88 (C.A.), encore inédit); Syntex Inc. c. Apotex Inc., [1984] 2 C.F. 1012 (C.A.); Telecommunications Workers' Union c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes) (A-498-88, juge Marceau, jugement en date du 13-10-88 (C.A.), encore inédit).
DECISIONS CITÉES:
Stratford (J. T.) & Son Ltd. v. Lindley, [1965] A.C. 269 (H.L.); Fellowes & Son v. Fisher, [1976] Q.B. 122 (C.A.); Hubbard v. Pitt, [1976] Q.B. 142 (C.A.); Firth Industries Ltd y Polyglass Engineering Pty Ltd (1975), 6 ALR 212 (H.C.Aust.); Australian Coarse Grain Pool Pty Ltd y Barley Marketing Board of Queensland (1982), 46 ALR 398 (H.C.Aust.); Tableland Peanuts Pty Ltd y Peanut Marketing Board (1984), 52 ALR 651
(H.C.Aust.); A y Hayden (No 1) (1984), 56 ALR 73 (H.C.Aust.); Epitoma Pty Ltd y Australasian Meat Industry Employees' Union (1984), 54 ALR 730 (F.C.Aust.); Telmak Teleproducts Australia Pty Ltd y Bond International Pty Ltd (1985), 66 ALR 118 (F.C.Aust.); B.C. (A.G.) v. Wale (1986), 9 B.C.L.R. (2d) 333 (C.A.); Law Soc. of Alta v. Black (1983), 29 Alta L.R. (2d) 326 (C.A.); Van Wart v. La -Ko Enterprises Ltd. and Labrie (1981), 35 N.B.R. (2d) 256 (C.A.); Re Island Telephone Company Limited (1987), 206 A.P.R. 158 (C.A.I.-P.-E.); United Steel Workers of America, Local 5795 v. Iron Ore Company of Canada (1984), 132 A.P.R. 150 (C.A.T.-N.); Nelson Burns & Co. v. Gratham Industries Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 71 (C.A. Ont.); Lo-Cost Drug Mart Ltd. v. Canada Safeway Limited et al. (1986), 40 Man.R. (2d) 211 (C.A.); Potash Corpora tion of Saskatchewan Mining Limited v. Todd, Heinrich and Energy and Chemical Workers Union, Local 922 (1987), 53 Sask. R. 165 (C.A.); Mercator Enterprises Ltd. v. Harris et al. (1978), 29 N.S.R. (2d) 691 (C.A.); Chitel et al. v. Rothbart et al. (1982), 69 C.P.R. (2d) 62 (C.A. Ont.); Consolidated Traders Ltd y Downes, [1981] 2 NZLR 255 (C.A.); Newsweek Inc. v. The British Broadcasting Corporation, [1979] R.P.C. 441 (C.A.).
DOCTRINE
Sharpe, Robert J., Injunctions and Specific Performance, Toronto: Canada Law Book Limited, 1983.
Rogers, Brian McLeod and Hately, George W. «Getting the Pre-Trial Injunction« (1982), 60 Rev. Can. Bar. 1.
AVOCATS:
Patrick J. McGovern pour l'appelante. J.D.B. McDonald pour l'intimée.
PROCUREURS:
Parlee McLaws, Calgary, pour l'appelante. Bennett Jones, Calgary, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: L'appel en l'espèce est inter- jeté d'un jugement de la Section de première ins tance [[1988] 3 C.F. 235] dans lequel le juge Addy a rejeté une demande présentée le 27 juillet 1987 qui sollicitait le prononcé d'une injonction interlocutoire et provisoire. Il met directement en jeu les facteurs qui doivent être considérés par un juge de première instance lorsqu'il entend une telle demande dans le cadre d'une action alléguant la contrefaçon d'une marque de commerce et sollici- tant des redressements accessoires à un tel recours sur le fondement des dispositions de la Loi sur les
marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10. Comme l'injonction aurait pour effet de préserver le statu quo entre les parties jusqu'à la fin de l'instruction de l'action, je désignerai dorénavant le redressement sollicité par la requête en l'espèce comme une injonction interlocutoire.
La preuve
L'appelante a appuyé sa demande sur une abon- dance d'éléments de preuve présentés principale- ment au moyen de deux affidavits de l'un de ses cadres, M. Bruce Millar, et d'un affidavit d'un responsable d'études de marché, M. Claude Gau- thier, faisant part des résultats d'une étude qu'il avait menée pour établir, entre autres, que le nom «TURBO» désigne, dans l'esprit du public, un four- nisseur d'essence et d'huiles moteurs. L'appelante a également déposé un affidavit de M. Derrick Warburton affirmant qu'il avait demandé [TRA- DUCTION] «de l'huile à moteur de marque Turbo» à certaines des stations-service de l'intimée et que cette demande avait suscité de la confusion. Ont été déposés à l'encontre de la demande deux affi davits de M. David Archbold, un cadre de l'inti- mée, ainsi que trois affidavits d'autres provenan- ces. MM. Millar, Archbold et Gauthier ont été contre-interrogés relativement à leurs affidavits respectifs préalablement à l'audition de la demande d'injonction, qui a eu lieu en janvier 1988.
Les faits
L'appelante, une société albertaine, fait affaires dans le raffinage et la commercialisation de pro- duits pétroliers au Canada; elle commercialise notamment des lubrifiants à moteurs qu'elle-même ou son prédécesseur ont commencé à offrir au public dans des emballages sous la marque «Turbo» en 1967. Au cours des années, les affaires de l'appelante se sont étendues de l'Alberta à la Colombie-Britannique, à la Saskatchewan, au Manitoba, aux Territoires du Nord-Ouest, et l'ap- pelante exploite une raffinerie d'huile à Calgary ainsi que plusieurs stations-service en Ontario.
Le 11 avril 1974, l'appelante est devenue titu- laire enregistrée des dessins-marques de commerce «Turbo» (certificat 198,729) et «Go Turbo» (cer- tificat 198,731) relativement à un groupe de marchandises comprenant [TRADUCTION] à moteur et à engin». À cette même date, elle est
également devenue titulaire enregistrée de la marque de commerce «Go Turbo» (certificat
198,730) l'égard d'un groupe de marchandises comprenant les lubrifiants pour voitures. Subsé- quemment, le 10 août 1979, l'appelante est deve- nue titulaire de l'enregistrement de la marque «Turbo» (certificat 234,967) pour un groupe de marchandises comprenant, lui aussi, les lubrifiants pour voitures. Ce dernier dessin-marque enregistré possède une forme différente de celle du dessin- marque décrit au certificat 198,729. Chacune de ces marques de commerce enregistrées est identi- fiée de façon particulière et alléguée aux paragra- phes 4, 5 et 6 de la déclaration; elles se trouvent également annexées à cet acte de procédure. Aucune autre marque, enregistrée ou non, n'est explicitement alléguée à l'appui des causes d'ac- tion plaidées en l'espèce. Depuis 1969, la marque Turbo a été utilisée par l'appelante sous la forme qu'elle prend au certificat 198,729 et, en parti- culier, sur le contenant de plastique blanc d'un litre de l'huile à moteur «Super duty 10W30 que l'appelante commercialise au Canada. Sur ce con- tenant figure également la dénomination sociale complète de l'appelante, inscrite en lettres blan ches sur fond rouge. Les inscriptions suivantes y sont également placés en évidence: «For API Ser vice SE -SF -CC».
À la fin de l'automne 1986, l'intimée a fait circuler une brochure dans laquelle figure la décla- ration suivante:
[TRADUCTION] Petro -Canada a le plaisir de vous annoncer la sortie d'un produit de très haute qualité: l'huile à moteur Premium Turbo Tested Motor Oil (Super Turbo - Huile moteur testée dans les moteurs turbo). Fruit de 18 mois de recherches, de mise au point et de tests, cette huile établit une nouvelle norme de performance pour les huiles à moteurs. Offerte dans une nouvelle bouteille de plastique noir d'un litre garnie d'une étiquette métallique frappante seyant à un tel produit de pointe, la Premium Turbo Tested sera disponible pour tous les détaillants à partir du 15 novembre 1986.
L'existence de cette brochure est parvenue à la connaissance de l'appelante en janvier 1987; dans une lettre en date du 23 juin 1987, ses avocats disaient à l'intimée:
[TRADUCTION] Notre cliente est la titulaire enregistrée de la marque de commerce TURBO en ce qui concerne les lubri- fiants de voitures. Cette marque a été énormément utilisée par notre cliente depuis 1967, si bien qu'elle a acquis une grande notoriété au Canada dans la région se situe le marché de notre cliente, et qu'elle y possède à un haut degré un caractère distinctif inhérent.
Il a été souligné à notre attention que vous commercialisez présentement au Canada un lubrifiant pour voitures portant la marque TURBO.
La grande ressemblance entre le nom que vous utilisez et la marque enregistrée TURBO de notre cliente établit une pré- somption de contrefaçon. Votre emploi de ce nom a créé et est susceptible de continuer de créer de la confusion au Canada entre vos produits et votre entreprise et ceux de notre cliente.
Nous vous demandons un engagement écrit portant que vous cesserez immédiatement toute utilisation du nom TURBO en liaison avec les lubrifiants pour voitures.
L'intimée commercialise effectivement un conte- nant de plastique noir d'un litre d'huile moteur 10W30 dont la face est garnie d'une étiquette métallique sur laquelle figure en évidence le logo de l'intimée, un dessin bordé de blanc comportant la partie supérieure d'une feuille d'érable stylisée (en blanc) sur fond rouge ainsi que les mots «PETRO -CANADA» en caractères gras. Sous ce logo figurent les mots «SUPER TURBO TESTED» («SUPER TURBO—HUILE MOTEUR TESTÉE DANS LES MOTEURS TURBO»), le mot TURBO (en rouge) se trouvant placé davantage en évidence que les autres, ainsi que le mot «HYDROTESTED» [sic] (HYDROTRAITÉE), inscrit à gauche en caractères plus petits. À l'arrière et sur les côtés du contenant figure à nouveau le logo de l'intimée, avec la dénomination sociale complète de cette société clairement inscrite sur un des côtés. Parmi les autres inscriptions apparaissant sur l'étiquette se trouvent les suivantes: «API:SF./CC,CD».
L'injonction interlocutoire recherchée
L'avis de requête du 27 juillet déclare expressé- ment avoir été [TRADUCTION] «présenté conformé- ment à la Loi sur les marques de commerce». Le redressement par voie d'injonction qu'elle sollicite interdirait à l'intimée de poser les actions suivantes:
[TRADUCTION]
(i) violer les droits conférés par les enregistrements canadiens de marques de commerce n 05 198,729, 234,967, 198,730 et 198,731;
(ii) être présumée contrefaire les marques de commerce cana- diennes enregistrées sous les nO 5 198,729, 234,967, 198,730 et 198,731;
(iii) utiliser au Canada comme marque de commerce, nom commercial ou autrement le mot TURBO ou tous autres mots ou présentation ou dessin présentant avec ce mot une ressemblance créant de la confusion ou toute imitation trompeuse en liaison avec des combustibles et des produits pétroliers destinés aux véhicules automobiles et autres
véhicules autopropulsés, notamment les lubrifiants pour mécanismes spécialisés, les produits chimiques et les grais- ses destinées aux voitures, l'essence, le combustible destiné aux moteurs diesel, l'huile à moteur et à engin, l'antigel ainsi que les autres produits semblables;
(iv) utiliser au Canada la marque de commerce TURBO ou une imitation trompeuse de cette marque d'une manière susceptible de déprécier la valeur de la clientèle qui s'y trouve attachée ou tenter de s'approprier cet achalandage;
(v) distribuer, commercialiser, offrir de vendre ou vendre au Canada des contenants d'un litre de lubrifiants pour voitu- res portant des étiquettes sur lesquelles figurent les mots «TURBO TESTED» ou tout autre matériel, contenant, brochure ou matériel publicitaire de quelque nature que ce soit portant la marque de commerce «TURBO».
Les paragraphes qui précèdent correspondent exactement à ceux du paragraphe (b) de la décla- ration qui décrivent le redressement sollicité.
La plaidoirie et les dispositions en jeu de la Loi
Les causes d'action alléguées figurent aux para- graphes 7 à 13 de la déclaration, qui sont ainsi libellés:
[TRADUCTION] 7. La défenderesse offre maintenant en vente sur le marché canadien, au détail, un contenant d'un litre d'huile moteur portant une étiquette sur laquelle ressortent les mots «TURBO TESTED», étiquette dont une copie se trouve jointe au présent document comme annexe «E».
8. La demanderesse déclare que l'utilisation du mot TURBO dans la publicité, les ventes et le lancement de la marque d'huile pour voitures de la défenderesse contrefait lesdites marques de commerce de la demanderesse n°> 198,729, 234,967, 198,730 et 198,731 contrairement à l'article 10 de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10 ou, subsidiairement, qu'un tel usage est présumé contrefaire lesdi- tes marques de commerce enregistrées contrairement à l'article 20 de la Loi sur les marques de commerce (susmentionnée).
9. La commercialisation, le lancement et la vente par la défen- deresse des produits décrits au paragraphe 7 de cette déclara- tion sont susceptibles de faire conclure que de tels articles ou marchandises sont fabriqués ou vendus ou que de tels services sont exécutés par la demanderesse, et trompent le public ou créent chez lui de la confusion, ce qui cause un préjudice irréparable à la demanderesse et diminue la valeur de la clientèle attachée aux marques de commerce enregistrées de la demanderesse.
10. La demanderesse déclare que l'utilisation des mots «TURBO TESTED» vise à créer de la confusion et à tromper le public en lui faisant croire que le produit concerné est celui de la demanderesse, et elle soutient que la défenderesse fait effec- tivement passer l'huile à moteur ainsi présentée pour celle de la demanderesse.
11. Les actions et la conduite de la demanderesse qui ont été décrites dans la présente déclaration constituent une méthode d'affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commer-
ciaux ayant cours au Canada. La demanderesse s'appuiera sur les dispositions de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chapitre T-10 et, précisément, sur les articles 7 et 53 de cette Loi.
12. Les actions fautives susmentionnées de la défenderesse ont causé une perte et un préjudice sérieux à la demanderesse et ont bénéficié à la défenderesse.
13. Les actions de la défenderesse ont été posées délibérément et sciemment ou, subsidiairement, ont été posées alors qu'il existait des éléments devant raisonnablement faire soupçonner à la défenderesse que la demanderesse détenait des droits dans les marques de commerce en l'espèce.
Les articles 7, 10, 20 et 53 de la Loi sur les marques de commerce sont ainsi libellés:
7. Nul ne doit
a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisem- blablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandi- ses, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;
c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;
d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde
(i) les caractéristiques, la qualité, la quantité ou la composition,
(ii) l'origine géographique, ou
(iii) le mode de fabrication, de production ou d'exécution
de ces marchandises ou services; ni
e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d'affai- res contraire aux honnêtes usages industriels ou commer- ciaux ayant cours au Canada.
10. Si une marque, en raison d'une pratique commerciale ordinaire et authentique, devient reconnue au Canada comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine ou la date de production de marchandi- ses ou services, nul ne doit l'adopter comme marque de com merce en liaison avec ces marchandises ou services ou autres de la même catégorie générale, ou l'employer d'une manière sus ceptible d'induire en erreur, et nul ne doit ainsi adopter ou employer une marque dont la ressemblance avec la marque en question est telle qu'on pourrait vraisemblablement les confondre.
20. Le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est censé violé par une personne non admise à l'employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion; mais aucun enregistrement d'une marque de commerce ne doit empêcher une personne
a) d'utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial, ni
b) d'employer de bonne foi, autrement qu'à titre de marque de commerce,
(i) le nom géographique de son siège d'affaires, ou
(ii) toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,
d'une manière non susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de la clientèle attachée à la marque de commerce.
53. Lorsqu'il est démontré à une cour compétente, qu'un acte a été accompli contrairement à la présente loi, la cour peut rendre l'ordonnance que les circonstances exigent, y compris une stipulation portant un redressement par voie d'injonction et le recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, et peut donner des instructions quant à la disposition des marchandises, colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la pré- sente loi et de toutes matrices employées à leur égard.
En combinant la déclaration aux dispositions de la Loi sur les marques de commerce qui se trou- vent alléguées, il nous devient possible de grouper une exception près) les causes d'action invo- quées selon les catégories suivantes, fondées sur les dispositions de la Loi qui y correspondent:
(a) la contrefaçon des quatre marques de com merce expressément identifiées dans l'acte de procédure (article 10);
(b) la présomption de violation du droit détenu dans ces marques de commerce (article 20);
(c) le fait de tromper le public ou de causer chez lui de la confusion, en sorte que l'appelante a subi un préjudice irréparable (alinéa 7b));
(d) le fait de tromper le public ou de causer chez lui de la confusion, de sorte à faire diminuer la valeur de la clientèle attachée aux marques de commerce de l'appelante;
(e) le fait de créer de la confusion, et de tromper le public en lui faisant croire que le produit de l'intimée est celui de l'appelante, de sorte à faire passer le produit de l'intimée pour celui de l'appelante (alinéa 7c));
(f) le fait d'adopter une méthode d'affaires con- traire aux honnêtes usages industriels ou com- merciaux ayant cours au Canada (alinéa 7e)).
L'exception dont il est question ci-haut est la cause d'action résumée au paragraphe (d) qui précède. En ce qui la regarde, l'avocat de l'appelante a reconnu devant nous que cette cause d'action
trouve sa source juridique au paragraphe 22(1)' de la Loi et que cette disposition n'a pas été alléguée expressément.
Lors de l'audience, l'appelante a soutenu que le redressement par voie d'injonction qui est sollicité servirait également à protéger les droits qui, confé- rés par la common law relativement aux marques de commerce, peuvent s'ajouter à ceux qu'accorde la Loi ou les remplacer. Toutefois, l'intimée suggè- re—et je suis d'accord avec elle—qu'aucun droit attaché aux marques de commerce par la common law n'est effectivement allégué et invoqué dans la déclaration.
Le jugement porté en appel
Le très expérimenté juge des requêtes présente certaines observations générales faisant état des principes qui devraient guider les tribunaux saisis de demandes comme celle en l'espèce indépendam- ment du critère formulé par lord Diplock dans l'arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.). Il s'attache à déterminer au départ si l'appelante avait l'obligation d'établir «une forte présomption» ou si la Cour devait sim- plement être convaincue que «la question à tran- cher est sérieuse ou, en d'autres termes, que l'ac- tion n'est ni futile ni vexatoire». Il justifie longuement son choix d'appliquer dans les circons- tances de l'espèce le critère de la présomption plutôt que celui de la [TRADUCTION] «question sérieuse à trancher» de l'arrêt American Cyana- mid. Sa réticence à accepter ce dernier critère, exprimée diversement, se trouve énoncée de façon très frappante dans le passage suivant de ses motifs de jugement, aux pages 241 et 242:
... Elle ne devrait pas s'appliquer dans les cas le fait d'accorder l'injonction n'aurait pas seulement pour effet de maintenir le statu quo mais causerait un préjudice important au défendeur. Il ne m'apparaît tout simplement pas acceptable ni juste de rendre une ordonnance contre le défendeur simplement parce que les incidences les plus favorables favorisent le deman- deur si le défendeur, à la lumière de la preuve présentée à l'appui de la requête en injonction interlocutoire, semble avoir plus de chances d'obtenir gain de cause que le demandeur. S'il y avait une question sérieuse à trancher, en ce sens que l'action n'est ni futile ni vexatoire, et si, d'une part, le défendeur semble avoir plus de chances d'obtenir gain de cause et que d'autre part, le préjudice que pourrait subir le demandeur était supé-
' 22. (1) Nul ne doit employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de la clientèle intéressée.
rieur à celui que subirait le défendeur, je ne concluerais pas que la requête devrait alors être accueillie en faveur du demandeur.
Après l'audition d'une action, une demande d'injonction doit nécessairement être rejetée si le demandeur ne peut établir qu'il y a droit selon la prépondérance des probabilités. Puisque l'injonction interlocutoire doit être considérée comme une mesure de redressement exceptionnelle, au même titre que toute autre mesure interlocutoire présentée avant l'audition au fond, il m'est difficile de concevoir pourquoi, de façon générale, le tribunal devrait, en common law ou selon les principes reconnus en equity applicables aux injonctions, accorder une injonction interlocutoire au demandeur si celui-ci n'a pas préa- lablement établi l'existence d'une forte présomption ou, à tout le moins, d'une présomption. En d'autres termes, s'il était établi que le défendeur subirait un préjudice réel au cours de l'ins- tance, la demande devrait être rejetée à moins que la partie bénéficiant du monopole d'exploitation ne réussisse à convain- cre le juge à l'audience de l'existence d'une probabilité de succès éventuel.
Lorsque la preuve de l'existence d'une présomption n'est pas fermement établie, il reconnaît aux tribu- naux, «en certaines circonstances rares», une cer- taine latitude face à la décision d'accorder une injonction interlocutoire; mais il exigerait par ail- leurs que le pouvoir discrétionnaire des tribunaux soit exercé suivant la manière traditionnelle qui avait cours avant 1975. Il indique également que ses observations visaient avant tout les affaires dans lesquelles des violations de droits de propriété industrielle se trouvent alléguées. Aux fins des présents motifs, il me suffira de traiter des consi- dérations devant s'appliquer dans les circonstances du type particulier d'affaire dont nous sommes saisis dans le présent appel.
L'examen qu'a fait le juge des requêtes de la jurisprudence traitant du critère préliminaire approprié lui a fait parcourir une série de déci- sions, principalement canadiennes, rendues après l'arrêt American Cyanamid. Certaines des déci- sions étudiées ont appliqué le critère préliminaire énoncé dans cette affaire, tandis que d'autres l'ont rejeté. Il conclut alors, à la page 250 de ses motifs de jugement:
Je dois donc conclure, à partir de la preuve par affidavit présentée à l'appui de la requête et des contre-interrogatoires, que la demanderesse Turbo Resources n'a pas établi l'existence d'une présomption que Petro Canada violerait peut-être son monopole. Il est cependant possible que cette preuve soit établie par la présentation de nouveaux éléments de preuve à l'audition au fond.
La requête sera donc rejetée. Je m'abstiens cependant expressément de traiter de la question des incidences les plus favorables. En ce qui concerne la nature des dommages-inté- rêts, je m'abstiens aussi de tirer quelque conclusion sinon pour
dire que si l'injonction avait été accueillie, le préjudice causé à Petro Canada aurait pu être réparé en argent. Les frais pour retirer et remplacer les étiquettes sur ses bidons d'huile testée dans les moteurs turbo constitueraient en fait le seul préjudice et pourraient être évalués assez facilement.
Le critère préliminaire de l'arrêt American Cyanamid
Jusqu'à 1975, il était généralement considéré en Angleterre qu'une injonction interlocutoire devait être refusée si le demandeur ne présentait à tout le moins [TRADUCTION] «la présomption d'un certain manquement à une obligation» de la part du défen- deur: voir l'arrêt Stratford (J. T.) & Son Ltd. v. Lindley, [1965] A.C. 269 (H.L.), motifs de lord Upjohn, à la page 338. Mais lorsque l'affaire American Cyanamid, qui concernait un brevet, ést parvenue à la Chambre des lords, lord Diplock (sans faire référence à l'arrêt J. T. Stratford) a expressément rejeté cette notion, pour énoncer à sa place, aux pages 407 408, le critère préliminaire suivant:
[TRADUCTION] À mon avis, Vos Seigneuries devraient saisir l'occasion de déclarer qu'une telle règle est inexistante. Des expressions comme «une probabilité», «une présomption» ou «une forte présomption», employées relativement à l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'accorder une injonction interlocutoire, créent de la confusion quant à l'objet de ce recours temporaire. Sans doute, le tribunal doit être convaincu que la demande n'est ni futile ni vexatoire, ou, en d'autres termes, que la question à trancher est sérieuse.
La cour n'a pas, en cet état de la cause, à essayer de résoudre les contradictions de la preuve soumise par affidavit, quant aux faits sur lesquels les réclamations de chaque partie peuvent ultimement reposer, ni à trancher les épineuses questions de droit qui nécessitent des plaidoiries plus poussées et un examen plus approfondi. C'est au procès qu'il faut trancher ces ques tions. La pratique voulant qu'on demande un engagement relatif aux dommages-intérêts avant d'accorder une injonction interlocutoire a été introduite en partie parce qu'«elle aide la cour à atteindre son grand objectif, c'est-à-dire s'abstenir d'ex- primer une opinion sur le bien-fondé de l'affaire avant l'audi- tion»: Wakefield v. Duke of Buccleugh (1865) 12 L.T. 628, 629. Ainsi, à moins que la preuve soumise à la cour à l'audition de la requête en injonction interlocutoire ne réussisse pas à établir que le demandeur a véritablement une chance d'avoir gain de cause dans sa réclamation en vue d'obtenir une injonc- tion permanente au cours du procès, la cour doit examiner la question de savoir lequel de l'octroi ou du refus de l'injonction interlocutoire recherchée aurait les incidences les plus favorables.
Cet énoncé de principe, sauf pour la réserve dont il fait l'objet, continue de refléter l'état du droit anglais. Cette réserve lui a été apportée par lord Diplock lui-même dans l'arrêt N.W.L. Ltd. v.
Woods, [1979] 1 W.L.R. 1294 (H.L.), il souli- gne à la page 1306 que rien dans sa décision antérieure ne voulait suggérer qu'un juge saisi d'une requête en injonction interlocutoire [TRA- DUCTION] «ne devrait pas accorder toute l'impor- tance qu'elles méritent aux réalités pratiques de la situation» et dans lequel il déclare précisément au sujet de l'arrêt American Cyanamid qu'il [TRA- DUCTION] «ne traitait pas d'une affaire dans laquelle l'octroi ou le refus d'une injonction à ce stade aurait effectivement réglé l'action d'une manière définitive en faveur de la partie qui aurait eu gain de cause dans la demande, parce que la partie perdante n'aurait plus eu d'intérêt pour justifier une instruction.» Cette réserve mise à part, le critère préliminaire formulé par lord Diplock (après avoir été initialement critiqué par le maître des rôles lord Denning dans l'arrêt Fello- wes & Son v. Fisher, [1976] Q.B. 122 (C.A.) aux
pages 130 134 et dans l'arrêt Hubbard v. Pitt, [1976] Q.B. 142 (C.A.) aux pages 177 et 178) apparaît à présent enraciné dans la common law de l'Angleterre.
Quelques arrêts canadiens
Il n'est pas nécessaire que nous tentions un examen des nombreux arrêts rapportés de notre pays qui ont soit appliqué soit rejeté le critère de la [TRADUCTION] «question sérieuse à trancher» énoncé par lord Diplock. Le juge des requêtes a pris un grand nombre de ces arrêts en considéra- tion, en tenant compte notamment de plusieurs décisions de la Division de première instance sta- tuant dans des sens opposés. Depuis lors, la juris prudence a connu certains développements. Bien que la Cour suprême du Canada ait encore à trancher ce point précis, elle a présenté des obser vations au sujet de ce critère dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110. Cette affaire mettait en jeu une demande visant à suspendre une instance se déroulant devant la Manitoba Labour Board con- formément à une loi provinciale jusqu'à ce que soit réglé le sort d'une demande visant à faire déclarer le pouvoir de décision conféré par la loi invalide parce que contraire à la Charte canadienne des droits et libertés. Aux pages 127 et 128, le juge Beetz écrit:
Le premier critère revêt la forme d'une évaluation prélimi- naire et provisoire du fond du litige, mais il y a plus d'une façon de décrire ce critère. La manière traditionnelle consiste à se
demander si la partie qui demande l'injonction interlocutoire est en mesure d'établir une apparence de droit suffisante. Si elle ne le peut pas, l'injonction sera refusée: Cheasapeake and Ohio Railway Co. v. Ball, [1953] O.R. 843, le juge en chef McRuer de la Haute Cour, aux pp. 854 et 855. Ce premier critère a été quelque peu assoupli par la Chambre des lords dans l'arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] 1 All E.R. 504, elle a conclu que, pour y satisfaire, il suffisait de convaincre la cour de l'existence d'une question sérieuse à juger, par opposition à une réclamation futile ou vexatoire. Dans l'arrêt Aetna Financial Services Ltd. c. Feigelman, [1985] 1 R.C.S. 2, aux pp. 9 et 10, rendu à l'unanimité, le juge Estey, parlant pour lui-même et pour cinq autres membres de la Cour, a mentionné cette différence, sans pourtant la commenter.
L'arrêt American Cyanamid a été suivi sur ce point dans bien des décisions canadiennes et anglaises, mais il a été rejeté dans plusieurs autres cas et ne paraît pas être suivi en Austra- lie: voir les commentaires exprimés et les décisions mentionnées dans P. Carlson, «Granting an Interlocutory Injunction: What is the Test?» (1982), 12 Man. L.J. 109; B. M. Rogers and G. W. Hately, «Getting the Pre -Trial Injunction» (1982), 60 R. du B. can. 1, aux pp. 9 à 19; R. J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance (Toronto 1983), aux pp. 66 77.
En l'espèce, il n'est ni nécessaire ni recommandable de choisir à tous égards entre la formulation traditionnelle du premier critère et celle donnée dans l'arrêt American Cyana- mid: la jurisprudence britannique démontre que la formulation d'un critère rigide applicable à tous les types d'affaires, sans avoir égard a leur nature, n'est pas une solution à retenir (voir Hanbury et Maudsley, Modern Equity (12th ed. 1960), aux pp. 736 743). À mon avis, cependant, la formulation dans l'arrêt American Cyanamid, savoir celle de l'existence d'une «question sérieuse», suffit dans une affaire constitutionnelle où, comme je l'indique plus loin dans les présents motifs, l'intérêt public est pris en considération dans la détermination de la prépondérance des inconvénients. Mais je m'abstiens d'exprimer une opinion quelconque sur le caractère suffisant ou adéquat de cette formulation dans tout autre type d'affaires'.
Le juge Beetz dit aussi clairement à la page 127 que les principes régissant l'octroi d'une injonction interlocutoire devraient normalement s'appliquer à la suspension interlocutoire.
2 Notons que l'état du droit exposé par la Haute Cour d'Australie dans l'arrêt Firth Industries Ltd v Polyglas Engi neering Pty Ltd (1975), 6 ALR 212 cité par les auteurs auxquels se réfère le juge Beetz a évolué depuis dans un sens favorable au critère de l'arrêt American Cyanamid, sans que toutefois une formation complète de la Haute Cour se soit encore prononcée sur cette question: voir par exemple les arrêts Australian Coarse Grain Pool Pty Ltd v Barley Marketing Board of Queensland (1982), 46 ALR 398 (H.C.Aust.); Tableland Peanuts Pty Ltd v Peanut Marketing Board (1984), 52 ALR 651 (H.C.Aust.); A v Hayden (No 1) (1984), 56 ALR 73 (H.C.Aust.). Ce point de vue semble partagé par la Cour fédérale d'Australie: voir Epitoma Pty Ltd v Australasian Meat Industry Employees' Union (1984), 54 ALR 730 (F.C.Aust.); Telmak Teleproducts Australia Pty Ltd v Bond International Pty Ltd (1985), 66 ALR 118 (F.C.Aust.).
Notre Cour a appliqué le critère préliminaire de l'arrêt American Cyanamid dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion) (A-870-88, juge Mahoney, jugement en date du 28-10-88 (C.A.F.), encore inédit). Cette affaire mettait en jeu une demande sollicitant la suspen sion de l'exécution' d'une ordonnance d'expulsion jusqu'à ce qu'ait été entendue et jugée une demande d'autorisation d'interjeter appel de cette ordonnance. Ce même critère a été appliqué de façon encore plus récente par cette Cour dans l'affaire Teal Cedar Products (1977) Ltd. c. Canada (A-613-88, juge Pratte, jugement en date du 6-12-88 (C.A.), encore inédit), dans laquelle une injonction interlocutoire était sollicitée aux fins de suspendre l'application d'une disposition d'une loi jusqu'à ce que la Cour ait statué sur sa validité. Dans un arrêt antérieur prononcé dans l'affaire SyntexInc. c. Apotex Inc., [1984],2 C.F. 1012, cette Cour a conclu qu'il ne lui était pas nécessaire de choisir entre ces deux critères au motif qu'elle était convaincue que cette espèce, en tout état de cause, était visée par l'exception de l'arrêt Woods, c'est-à-dire que l'injonction interlo- cutoire avait pour effet de régler l'action de façon définitive.
De nombreuses autres cours d'appel d'instance intermédiaire de nos provinces de common law ont soit adopté le critère préliminaire de l'arrêt Ame- rican Cyanamid à l'égard de presque toutes les situations, soit adopté ce critère relativement à des circonstances plus restreintes. Tel semblerait être le cas de la Colombie-Britannique°, de l'Alberta 5 , du Nouveau-Brunswick 6 , de l'île du Prince
' Dans l'arrêt Telecommunications Workers' Union c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica- tions canadiennes) (A-498-88, juge Marceau, jugement en date du 13-10-88 (C.A.), encore inédit), qui met aussi en jeu la suspension d'une ordonnance d'un tribunal statutaire, cette Cour a considéré qu'il ne lui était pas nécessaire de choisir entre le critère de l'apparence de droit et celui de la question sérieuse à trancher adopté dans l'arrêt Metropolitan Stores, bien que l'octroi de l'autorisation d'interjeter appel, à son point de vue, eût établi qu'une apparence de droit pouvait être démontrée.
4 B.C. (A.G.) v. Wale (1986), 9 B.C.L.R. (2d) 333 (C.-B.).
5 Law Soc. of Alta v. Black (1983), 29 Alta. L.R. (2d) 326 (C.A.).
6 Van Wart v. La-Ko Enterprises Ltd. and Labrie (1981), 35 N.B.R. (2d) 256 (C.A.).
Édouard', de Terre-Neuve, et peut-être aussi de l'Ontario 9 . La thèse contraire semble avoir été adoptée au Manitoba '°, tandis que la question n'est pas clairement tranchée en Saskatchewan" et en Nouvelle-Écosse 12 .
Le critère préliminaire applicable
Je crois qu'en l'espèce, notre détermination du critère préliminaire applicable devrait tenir compte des objets d'une injonction interlocutoire. Lord Diplock a décrit ces objets dans l'arrêt American Cyanamid lorsqu'il a dit à la page 406:
[TRADUCTION] L'objet d'une injonction interlocutoire est de protéger le demandeur contre le préjudice, résultant de la violation de son droit, qui ne pourrait être adéquatement réparé par des dommages-intérêts recouvrables dans l'action si l'af- faire devait être tranchée en faveur dudit demandeur au moment de l'instruction; toutefois, le besoin d'une telle protec tion pour le demandeur doit être évalué en fonction du besoin correspondant du défendeur d'être protégé contre le préjudice qui découle du fait qu'on l'a empêché d'exercer les droits que lui confère la loi et qui ne peut être adéquatement réparé par l'engagement du demandeur de verser des dommages-intérêts si l'affaire était tranchée en faveur du défendeur à l'instruction. Le tribunal doit évaluer les besoins l'un en fonction de l'autre et déterminer quelle est «la répartition des inconvénients».
Plus loin, à la page 407, il traite à nouveau de ce sujet en notant que les tribunaux d'instance infé- rieure dans cette affaire avaient négligé de suivre le conseil donné par la Cour d'appel dans l'arrêt Hubbard v. Vosper, [1972] 2 Q.B. 84; celle-ci y avait, pour employer les termes mêmes de lord Diplock, [TRADUCTION] «déconseillé toute tenta-
' Re Island Telephone Company Limited (1987), 206 A.P.R. 158 (C.A.I.P.-E.).
8 United Steel Workers of America, Local 5795 v. Iron Ore Company of Canada (1984), 132 A.P.R. 150 (C.A.T.-N.).
9 Nelson Burns & Co. v. Gratham Industries Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 71 (C.A. Ont.).
La -Cost Drug Mart Ltd. v. Canada Safeway Limited et al. (1986), 40 Man.R. (2d) 211 (C.A.).
" Potash Corporation of Saskatchewan Mining Limited v. Todd, Heinrich and Energy and Chemical Workers Union, Local 922 (1987), 53 Sask. R. 165 (C.A.).
12 Mercator Enterprises Ltd. v. Harris et al. (1978), 29 N.S.R. (2d) 691 (C.A.).
tive visant à restreindre le pouvoir discrétionnaire de la Cour par l'énonciation de règles ayant pour effet d'enlever à ce redressement une partie de la souplesse qui lui permet de réaliser les fins sus- mentionnées». Dans l'arrêt Vosper, lord Denning avait souligné à la page 96 que le [TRADUCTION] «redressement par voie d'injonction interlocutoire est d'une telle utilité que sa souplesse et le pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il est accordé doi- vent être préservés» et que ce recours « ... ne doit pas être assujetti à des règles strictes». A la page 98, le lord juge Megaw a ajouté que chaque espèce [TRADUCTION] «doit être jugée selon l'équité, la justice et le sens commun en tenant compte de l'ensemble des questions de fait et de droit qui lui sont pertinentes». Au Canada, la nécessité de pré- server la souplesse caractérisant la délivrance des injonctions interlocutoires a été reconnue par nos tribunaux, notamment par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Chitel et al. c. Rothbart et
al. (1982), 69 C.P.R. (2d) 62, la page 72, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt B.C. (A.G.) v. Wale, susmentionné, aux pages 346 et 347, et la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Metropolitan Stores, précité, à la page 128.
Selon mon interprétation des principes en jeu, cette souplesse doit finalement être atteinte par une application de l'éconcé de l'arrêt American Cyanamid dans son entier qui tienne compte de la répartition des inconvénients entre les parties, un facteur qui devient ainsi déterminant dans l'exer- cice du pouvoir discrétionnaire du juge de pre- mière instance. Le fait pour un demandeur de satisfaire au critère de la [TRADUCTION] «question sérieuse à trancher» a pour seul effet de déloqueter la porte du redressement recherché; il ne lui ouvre pas cette porte et ne lui permet surtout pas d'en franchir le seuil. Cette possibilité ne lui est offerte que s'il est jugé que la répartition des inconvé- nients le favorise. Ce point est établi clairement par lord Diplock dans l'arrêt American Cyanamid et se trouve réitéré par ce même lord dans l'arrêt Woods. Siégeant à titre de membre du Conseil privé dans l'affaire Eng Mee Yong v. Letchumanan s/o Velayutham, [1980] A.C. 331, le lord juge Diplock a énoncé encore une fois ce principe en déclarant à la page 337:
[TRADUCTION] Le principe régissant l'octroi d'une injonction interlocutoire est celui de la répartition des inconvénients; celui
qui demande le prononcé d'une injonction interlocutoire n'a pas à convaincre la cour de l'existence d'une «probabilité», ni à établir une «apparence de droit» ou une «forte apparence de droit»: il n'a pas à démontrer qu'il aura gain de cause si son action est instruite; avant cependant que ne puisse se poser la question de la répartition des inconvénients, la partie qui sollicite l'injonction doit convaincre la cour que sa demande n'est ni futile ni vexatoire; en d'autres termes, cette partie doit établir que les éléments de preuve présentés à la cour révèlent l'existence d'une question sérieuse à trancher: American Cya- namid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396.
À mon avis, le présent appel devrait d'entrée de jeu être régi par le critère préliminaire de l'arrêt American Cyanamid. Comme nous le verrons, l'énoncé de lord Diplock dans cette affaire non seulement formule le critère applicable mais fait état des autres facteurs qui doivent être considérés une fois qu'il y a été satisfait. Examiné dans son entier, cet énoncé, à mon sens, conserve la sou- plesse qui lui est essentielle à l'exercice du pouvoir discrétionnaire étendu mais réglementé du juge qui entend une demande d'injonction interlocutoire après avoir acquis la conviction qu'il existe une question sérieuse à trancher. Cette souplesse est encore accrue par l'exception dont l'arrêt Woods prévoit l'application dans certaines circonstances. S'il est vrai que ce critère préliminaire abaisse considérablement l'obstacle qui doit être franchi par un demandeur, il serait faux de croire que l'exercice régulier du pouvoir discrétionnaire en jeu à la lumière de toutes les considérations perti- nentes désavantagera inexorablement le défendeur. La décision statuera sur la demande en faveur d'une partie ou de l'autre selon la répartition des inconvénients, dont l'appréciation sera faite à l'examen des facteurs mentionnés plus bas. Ce critère préliminaire, comme je l'ai dit, a été large- ment accepté dans des ressorts de common law comme l'Australie' 3 et la Nouvelle-Zélande ", en plus d'être adopté par la plupart des cours d'appel d'instance intermédiaire des provinces de common law du Canada. Son application s'impose dans les circonstances de l'espèce.
A-t-il été satisfait au critère préliminaire?
Pour déterminer si une question sérieuse à tran- cher a été établie en l'espèce, nous devons encore une fois examiner la plaidoirie à la lumière des éléments de preuve présentés. Selon mon interpré-
'3 Voir ci-haut la note de bas de page 2.
14 Consolidated Traders Ltd y Downes, [1981] 2 NZLR 255
(C.A.).
tation de la déclaration, les causes d'action mises de l'avant sont fondées sur des violations qui auraient été faites des droits que l'on dit protégés par les articles 7, 10 et 20 de la Loi sur les marques de commerce. Ces questions, pour la plupart, soulèvent ainsi que le dit lord Diplock dans l'arrêt American Cyanamid d'[TRADUCTION] «épineuses questions de droit qui nécessitent des plaidoiries plus poussées et un examen plus appro- fondi. La Section de première instance, saisie d'une demande d'injonction interlocutoire dans le cadre d'une action mettant à la fois en jeu le droit d'auteur et la marque de commerce (Interlego AG et al. v. Irwin Toy Ltd. et al., (1985), 3 C.P.R. (3d) 476), a observé avec raison (par la bouche du juge Strayer) à la page 483 que «dans une cause comportant des questions complexes de droit et de fait, il est extrêmement difficile, et peut-être même dangereux, de tenter d'apprécier le bien-fondé d'une réclamation» au stade de la requête. Les différentes causes d'action invoquées dans les actes de procédure devraient être considérées à la lumière de ce principe lors de l'appréciation de la mesure dans laquelle chacune d'elles satisfait au critère préliminaire de la «question sérieuse à trancher».
Aux fins de trancher cette question, je n'ai pas négligé de considérer la prétention de l'intimée selon laquelle les éléments de preuve présentés n'établissent pas l'existence d'une telle question. Il est vrai que les deux contenants portant l'étiquette décrite ci-haut ne suggèrent peut-être pas qu'une confusion soit automatiquement créée dans l'esprit d'un acheteur désireux de se procurer de l'huile d'une marque plutôt que de l'autre qui les verrait placées côte à côte. Nous nous fonderions ainsi sur la seule observation visuelle. Les éléments de preuve présentés par l'appelante ne semblent pas suggérer la possibilité qu'à tout le moins une cer- taine confusion puisse se manifester chez la per- sonne se fondant sur la communication orale; ces éléments se combinent à d'autres suggérant que les concessionnaires de l'intimée peuvent maintenir des stocks de produits de compétiteurs à l'intention des clients qui précisent le produit qu'ils veulent voir utiliser 15 . C'est évidemment au juge de pre- mière instance qu'il incomberait de trancher de
15 Voir le contre-interrogatoire de M. Archbold, Dossier d'ap- pel, volume 4, aux pp. 527 et 528.
façon définitive la question de savoir si une confu sion est créée à la lumière de l'ensemble des élé- ments de preuve mis de l'avant à ce stade.
Revenant à la plaidoirie, j'examine d'abord la question de savoir si l'appelante a satisfait à ce critère en se fondant sur les alinéas b), c) et e) de l'article 7 pour alléguer que des violations de cet article ont été commises. Ce dernier alinéa ne peut fonder aucune cause d'action puisqu'il apparaît avoir été déclaré inconstitutionnel 1 6 . Les autres droits invoqués ne semblent pas dépendre de la détention par un demandeur d'une marque de commerce enregistrée bien qu'en l'espèce, de telles marques soient détenues. Le mot «TURBO» figure dans un certain contexte sur les contenants d'un litre d'huile moteur de l'intimée et le dessin- marque de commerce «TURBO» de l'appelante figure sur ses propres contenants d'une litre d'huile moteur. Ces deux produits se font concurrence dans certaines régions du Canada, principalement dans l'Ouest. Selon ma façon de voir, le juge qui instruira le procès aura à résoudre d'épineuses questions d'interprétation de la Loi, à savoir: (a) l'intimée a-t-elle par les actions qu'elle est alléguée avoir commises à l'époque pertinente appelé «l'at- tention du public sur ses marchandises ... de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada ... entre ses marchan- dises ... et ... [celles] d'un autre»? (b) l'intimée a-t-elle fait passer «d'autres marchandises ... pour
. [celles] qui . [étaient] commandé[e]s ou demandé[e]s»? Je ne considère pas que l'argumen- tation fondée sur les alinéas 7b) ou c) soit futile ou vexatoire. Elle satisfait au critère de la question sérieuse à trancher. Les réponses à ces questions dépendront également des éléments de preuve pré- sentés lors du procès lui-même.
L'examen des allégations visant l'article 10 con duit à des résultats contradictoires. Je doute qu'une question sérieuse à trancher ait été soulevée par l'allégation fondée sur ses deux premières dis positions selon laquelle le mot «TURBO» figurant sur le contenant du produit de l'intimée contrefait l'une ou l'autre des marques de commerce enregis- trées de la demanderesse au sens l'intimée utiliserait ainsi l'une ou l'autre de ces marques.
16 MacDonald et autre c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134. Voir également l'arrêt Asbjorn Horgard AIS c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544 (C.A.).
Les éléments de preuve qui nous ont été présentés et qui, présumément, seraient mis de l'avant lors du procès, ne semblent pas confirmer une telle assertion. Ils établissent l'usage d'une marque par- ticulière par l'intimée ainsi que le droit de pro- priété de l'appelante dans quatre marques de com merce enregistrées et son usage d'une de ces marques. D'autre part, j'ai conclu qu'une telle question sérieuse a été soulevée relativement à la disposition restante de l'article 10. Essentielle- ment, la prétention qui la suscite veut que l'utilisa- tion du mot «TURBO» sur les contenants de son produit constitue un usage par l'intimée d'une marque «dont la ressemblance» avec les marques de commerce enregistrées de l'appelante «est telle qu'on pourrait vraisemblablement les confondre». La signification de ces termes est également une question quelque peu difficile qui devra être tran- chée par le juge du procès à la lumière des élé- ments de preuve qui lui seront soumis. Les élé- ments de preuve dont nous disposons ne nous permettent pas de conclure que cette allégation est futile ou vexatoire.
Je suis également convaincu qu'une question sérieuse à trancher est soulevée par les violations de l'article 20 de la Loi qui sont alléguées. Encore une fois, le sort ultime de ces assertions dépendra de l'interprétation que le juge du procès pourra donner aux termes «en liaison avec une marque de commerce ... créant de la confusion> à la lumière des éléments de preuve présentés à ce stade. Il ne convient pas que nous tentions ici de trancher cette épineuse question de façon concluante. Je ne crois pas qu'à ce stade-ci nous puissions affirmer que cette assertion est soit futile soit vexatoire.
Deux autres allégations nous ont été présentées à l'appui de la demande d'injonction. Première- ment, il a été dit que les activités reprochées sont prohibées par le paragraphe 22(1) de la Loi en ce qu'elles sont «susceptible[s] d'entraîner la diminu tion de la valeur de la clientèle» attachée aux marques de commerce enregistrées de l'appelante. Un tel argument ne peut toutefois masquer l'omis- sion de plaider ce paragraphe et ne peut, à ce stade-ci, fonder le tribunal de prononcer l'injonc- tion sollicitée. Deuxièmement, l'appelante ne peut, ainsi qu'elle a tenté de le faire lors de l'audience, prendre appui sur une allégation selon laquelle il y aurait eu violation de droits attachés par la
common law aux marques de commerce qui existe- raient dans le mot «TURBO» indépendamment de sa présence au sein des marques de commerce visées. Ainsi que je l'ai déjà expliqué, les seuls droits sur lesquels on s'appuie sont dits découler de la Loi et protéger les droits du détenteur d'une marque de commerce enregistrée. Comme aucun des droits attachés par la common law aux marques de com merce n'a été plaidé, aucun tel droit ne peut être soulevé à ce stade à l'appui du redressement sollicité.
Autres facteurs devant entrer en ligne de compte
Jusqu'à présent, je me suis limité à choisir le critère préliminaire (ou critère des chances de succès) qui devrait être appliqué ainsi qu'à vérifier dans quelle mesure il avait été satisfait à ce critère en l'espèce. Dans l'énoncé des règles appliquables à une telle question qu'il a fait dans l'arrêt Ameri- can Cyanamid, lord Diplock a souligné d'autres considérations devant également être prises en compte dans l'éventualité un juge de première instance conclut qu'il existe une question sérieuse à trancher au sens la question soulevée n'est ni futile ni vexatoire. Après avoir discuté de la ques tion du critère préliminaire approprié, il a entre- pris d'énoncer ces considérations additionnelles; ainsi dit-il aux pages 408 et 409:
[TRADUCTION] À ce propos, le principe applicable est que le tribunal doit d'abord considérer si, au cas le demandeur aurait gain de cause au procès et établirait son droit à une injonction permanente, des dommages-intérêts adéquats lui seraient alloués pour la perte subie par lui du fait de la continuation par le défendeur, entre la date de la demande et celle du procès, de l'activité qu'on cherchait à interdire. Si des dommages-intérêts, dans la mesure ils sont recouvrables en common law, constituaient un redressement approprié, et si le défendeur avait les moyens de les verser, on devrait normale- ment refuser l'injonction interlocutoire, quelque forte que puisse paraître la réclamation du demandeur à ce stade. Si, d'autre part, des dommages-intérêts ne constituaient pas un redressement approprié pour le demandeur qui aurait eu gain de cause au procès, le tribunal doit alors considérer si, dans cette hypothèse contraire le défendeur aurait réussi à faire reconnaître son droit de continuer à faire ce qu'on veut lui interdire, son indemnisation serait suffisante, en vertu de l'en- gagement du demandeur relativement aux dommages, pour la perte subie pendant qu'on l'empêchait de poursuivre ses activi- tés entre la date de la demande et celle du procès. Si des dommages-intérêts, dans la mesure ils sont recouvrables en vertu de l'engagement précité, constituaient un redressement adéquat et si le demandeur avait les moyens de les verser, le tribunal ne devrait pas sur ce fondement refuser une injonction interlocutoire.
C'est quand il n'est pas certain que soient suffisants les dommages-intérêts recouvrables par l'une ou l'autre des parties, ou par les deux, qu'il faut rechercher la décision comportant le plus d'incidences favorables. Il serait peu sage de tenter ne serait-ce que d'énumérer tous les éléments variés qui pourraient demander à être pris en considération au moment du choix de la décison la plus convenable, encore moins de proposer le poids relatif à accorder à chacun de ces éléments. En la matière chaque cas est un cas d'espèce.
Si les autres facteurs semblent bien s'équilibrer, il sera prudent d'adopter les mesures propres à maintenir le statu quo. Si l'on enjoint au défendeur de s'abstenir temporairement de faire quelque chose qu'il n'a pas fait auparavant, le seul effet de l'injonction interlocutoire, s'il gagne son procès, est de reculer la date il peut entreprendre une activité qu'il n'avait pas jusque-là jugée nécessaire; tandis que le fait d'interrompre l'exploitation d'une entreprise établie lui causera beaucoup plus d'inconvénients, car il devra la rétablir s'il gagne son procès.
À part dans les cas les plus simples, la décision d'accorder ou de refuser une injonction interlocutoire causera un préjudice à la partie perdant dans cette requête; si cette partie gagne le procès, sa victoire pourra établir qu'un tel préjudice aurait lui être épargné; ce préjudice peut être tel que les dommages- intérêts que cette partie aurait alors droit de recouvrer soit dans l'action soit en vertu de l'engagement du demandeur ne suffi- sent pas à l'indemniser entièrement à cet égard. La mesure dans laquelle les inconvénients subis par l'une ou l'autre partie ne pourraient être compensés par des dommages-intérêts dans l'éventualité de sa victoire au procès constitue toujours un facteur important dans l'appréciation de la répartition des inconvénients; et s'il n'y a pas de différence importante en ce qui a trait à la mesure dans laquelle les inconvénients subis par chaque partie ne peuvent pas être compensés, il serait opportun de tenir compte, dans l'appréciation des préjudices, du bien- fondé relatif de la thèse de chaque partie à la lumière des affidavits présentés lors de l'audition de la requête. Toutefois, cela ne doit être fait que lorsqu'il est évident, en se fondant sur les faits révélés par la preuve qui ne sont pas sérieusement contestés, que le bien-fondé de la thèse d'une partie est hors de proportion avec celle de l'autre. Aux fins d'évaluer la cause de chaque partie, la cour n'est pas justifiée d'entreprendre une démarche s'apparentant de quelque façon à une instruction de l'action à partir des affidavits contradictoires.
Je répéterais qu'en plus des facteurs que j'ai mentionnés, beaucoup d'autres facteurs particuliers sont susceptibles de devoir être pris en compte dans les circonstances propres aux différentes espèces. Le présent appel en est une illustration.
Malgré les risques évidents que comporte toute tentative de présenter une formule qui n'est pas sans complexité sous une forme schématique, je dirai qu'il semble que les principaux traits caracté- ristiques de ces différents facteurs soient les suivants:
(a) lorsque les dommages-intérêts que le deman- deur pourrait obtenir à l'égard de la poursuite
par le défendeur de ses activités pendant l'ins- tance indemniseraient adéquatement le demandeur et seraient à la mesure des moyens financiers du défendeur, l'injonction interlocu- toire ne devrait normalement pas être accor- dée;
(b) lorsque de tels dommages-intérêts n'indemni- seraient pas le demandeur adéquatement mais que des dommages-intérêts (recouvrables en vertu de l'engagement du demandeur) suffi- raient à compenser le préjudice subi par le défendeur à la suite de la limitation de ses activités, il n'existerait aucun motif justifiant le refus d'une injonction interlocutoire;
(c) lorsqu'il est douteux que le redressement en dommages-intérêts pouvant s'offrir à l'une ou à l'autre partie soit adéquat, il doit être tenu compte de la répartition des inconvénients;
(d) lorsque les autres facteurs en jeu tendent à s'équilibrer, il est prudent de prendre des mesures qui préserveront le statu quo;
(e) lorsque les éléments de preuve présentés avec la requête font apparaître la cause d'une partie comme beaucoup plus forte que celle de l'au- tre, la répartition des inconvénients pourra être considérée comme favorisant cette pre- mière partie pourvu que les préjudices irrépa- rables subis par les parties respectivement ne soient pas très disproportionnés;
(g) d'autres facteurs particuliers qui ne sont pas précisés peuvent être considérés dans les cir- constances particulières des différentes espè- ces.
Je dois préciser à ce stade-ci que je suis favora ble au point de vue selon lequel ces facteurs ne constituent pas une suite d'étapes applicables mécaniquement suivant un ordre préréglé. Le pro- fesseur Robert J. Sharpe nous met en garde contre la rigidité d'une telle approche dans son ouvrage intitulé Injunctions and Specific Performance (Toronto, 1983), il note que chacun des fac- teurs devrait être [TRADUCTION] «considéré comme un guide dont la coloration et la définition s'adaptent aux circonstances de chaque espèce.» Il observe également qu'ils ne doivent pas être consi- dérés «comme des catégories distinctes et étan- ches», et qu'ils «entretiennent des rapports les uns
avec les autres, de sorte que la force constatée à l'égard d'un des aspects du critère doit pouvoir compenser les faiblesses souffertes par ailleurs» ". En d'autres termes, compte tenu du fait que la répartition des inconvénients est de la plus haute importance, beaucoup de souplesse est requise. Évidemment, s'il est conclu que les dommages- intérêts recouvrables par un demandeur constitue- ront un redressement adéquat, il s'ensuivra norma- lement que l'espèce n'est pas de celles pouvant donner lieu à la délivrance d'une injonction interlo- cutoire. Le juge des requêtes a conclu qu'il n'était pas nécessaire qu'il traite de ces facteurs puisqu'il était d'opinion que l'appelante avait omis de satis- faire au critère préliminaire plus élevé de l'établis- sement d'une «présomption». Comme, avec défé- rence, je suis d'avis qu'il aurait appliquer le critère préliminaire moins élevé de la [TRADUC- TION] «question sérieuse à trancher», et qu'il a été satisfait à ce critère, il devient nécessaire pour moi de mesurer l'effet de ces facteurs additionnels.
Le sort de l'action serait-il réglé de façon définitive?
L'examen de ces facteurs ne me serait évidem- ment pas nécessaire non plus si j'étais convaincu que l'exception énoncée dans l'arrêt Woods est applicable à la présente espèce. Je n'en suis pas convaincu. Je le dis même si la présente action est partiellement une action en passing off'". Elle allègue également la contrefaçon, la présomption de contrefaçon, ainsi que la confusion ou la vrai- semblance d'une confusion au sens de la Loi. Le litige concerne la vente d'un seul des nombreux
" Ces opinions du professeur Sharpe, qui figurent à la page 88 de son ouvrage, semblent avoir été acceptées par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt B.C. (.4 G.) v. Wale, susmentionné, note de bas de page 4, aux pp. 345 et 347.
' 8 Si l'action avait uniquement invoqué le passing off, nous aurions considérer l'opinion de la Cour d'appel d'Angleterre qui a appliqué le critère préliminaire traditionnel, en traitant cette catégorie d'affaires comme une catégorie dans laquelle le litige est habituellement tranché de façon définitive par la décision statuant sur la requête en injonction interlocutoire: voir l'arrêt Newsweek Inc. v. The British Broadcasting Corpo ration, [1979] R.P.C. 441 (C.A.). Lord Diplock a clairement dit dans l'arrêt Woods que le juge qui entend une demande devrait accorder [TRADUCTION] «toute l'importance qu'elles méritent aux réalités pratiques de la situation». Quoi qu'il en soit, considérant la manière dont je réglerais le sort de la requête, ce point ne devient pas pertinent.
produits et services offerts au public par l'une ou l'autre partie. La délivrance d'une injonction inter- romprait sans nul doute le commerce d'huile à moteur que fait présentement l'intimée en utilisant sa présente étiquette, mais je ne considère pas que le résultat pratique de ce redressement serait de régler définitivement le sort de l'action à l'encontre des prétentions de cette partie. L'appelante serait également désavantagée si la délivrance de l'in- jonction était refusée. Comme l'intimée, elle est une grande entreprise commerciale et elle connaît du succès. La vente de cette huile moteur portant sa marque de commerce enregistrée ne constitue pour l'appelante qu'une activité parmi d'autres. Il lui est possible de continuer de vendre et d'annon- cer ce produit, même si elle doit le faire en subis- sant la concurrence du produit de l'intimée.
Le juge Strayer a eu à trancher ce même genre de question dans l'affaire Interlego, qui concernait la commercialisation de blocks jouets au Canada. En statuant que le litige n'était pas visé par cette exception, il dit à la page 484:
Je ne crois pas que la cause en l'espèce s'inscrive dans cette catégorie. La présente action porte sur la commercialisation d'un jouet dont une des principales caractéristiques est qu'il ne se démode pas. Il ne s'agit pas d'un marché éphémère ou passager: il n'est pas de ceux qu'il faut saisir maintenant ou jamais. La preuve présentée par les demanderesses démontre que ce bloc est commercialisé au Canada depuis environ vingt- cinq ans et que la demande a suivi un tracé presque continuelle- ment ascendant. Ainsi que nous le soulignerons plus loin, les faits ne tendent pas à démontrer que l'une ou l'autre des requérantes, si elle était déboutée de sa demande, devrait cesser de faire affaires ou serait à jamais empêchée de vendre sur ce marché si elle établissait qu'elle est fondée juridiquement à ce faire. Ma décision concernant l'injonction interlocutoire ne déterminera donc pas à toutes fins pratiques le sort des préten- tions exposées dans la déclaration de l'action en l'espèce.
En accordant toute l'importance qui se doit aux différences factuelles entre cette affaire et la pré- sente espèce, je ne suis pas non plus convaincu que l'exception de l'arrêt Woods soit applicable aux circonstances de ce litige. En bref, la présente affaire n'est pas (ainsi que le dit lord Diplock à la page 1306 de l'arrêt Woods) de celles dans lesquel- les l'octroi ou le refus d'une injonction à ce stade [TRADUCTION] «aurait effectivement réglé l'action d'une manière définitive en faveur de la partie qui aurait eu gain de cause dans la demande, parce que la partie perdante n'aurait plus eu d'intérêt pour justifier une instruction». Il revient évidem- ment à la partie perdante de décider si l'action
qu'elle a intentée fera l'objet d'une instruction. En l'espèce, à tout le moins, je suis assez convaincu que l'appelante pourrait recevoir un redressement très important si elle obtenait ultimement gain de cause.
Décision sur la requête interlocutoire
Après avoir réfléchi à la question en y appli- quant les principes énoncés dans l'arrêt American Cyanamid, je suis convaincu que le juge des requê- tes a eu raison de refuser la délivrance de l'injonc- tion interlocutoire. Bien que par des cheminements différents, nous parvenons à la même conclusion. Cependant, comme la ligne de pensée que j'ai décidé de suivre est celle qui se trouve tracée dans cette affaire, je devrais à présent expliquer ma démarche.
Les autres considérations mentionnées par lord Diplock dans cette affaire doivent, ainsi que je l'ai indiqué, être appréciées ensemble plutôt qu'à la suite l'une de l'autre. Tel semble avoir été le principe suivi par le lord juge lui-même lorsqu'il a conclu que la répartition des inconvénients favori- sait le demandeur. Si donc nous rattachons ces constatations au résumé des facteurs applicables figurant ci-haut, la répartition des inconvénients devrait être constamment appréciée. En l'espèce, le refus de délivrer une injonction interlocutoire exposera l'appelante à subir un préjudice qui, bien qu'indubitablement grave, peut être compensé adé- quatement par des dommages-intérêts l'indemni- sant pour toutes les pertes résultant de ce que l'intimée aurait continué de vendre son huile moteur en utilisant la marque dont l'appelante allègue la contrefaçon. Elle peut, si on le lui conseille, demander qu'une expertise comptable soit pratiquée pour l'aider à déterminer l'étendue de telles pertes. La perte de clientèle dont la common law prévoit le recouvrement ne serait pas facilement mesurable. L'intimée, d'autre part, subirait également des pertes de profits et des dépenses si l'injonction devait être délivrée, puis- qu'elle ne pourrait plus utiliser sa marque. Son produit devrait être vendu sous une autre étiquette ou ne plus être vendu du tout. Ces inconvénients sont, eux aussi, substantiels. Les dommages-inté- rêts que pourrait recouvrer l'intimée, comme c'est habituellement le cas dans de telles circonstances, feraient l'objet d'un engagement de l'appelante. Il n'est nullement suggéré que la situation financière
d'une partie ou de l'autre ne lui permettrait pas de payer tous les dommages-intérêts pouvant être accordés lors du procès.
L'intimée soumet également que nous devrions tenir compte des considérations tirées de l'equity 19 qui pourraient s'opposer à la délivrance de l'injonc- tion interlocutoire sollicitée; elle souligne que l'ap- pelante invoque la compétence en equity de la Cour dans l'exercice de ce qui, en fin de compte, constitue un recours extraordinaire. Je suis d'ac- cord pour dire que ces facteurs doivent entrer en ligne de compte. L'avocat de l'intimée, à mon avis, souligne avec raison que l'appelante, qui n'a demandé la délivrance d'une injonction interlocu- toire que quelque six mois après avoir appris que l'intimée prévoyait introduire une huile moteur du même grade que la sienne sur le marché canadien en utilisant la marque contestée en l'espèce, a mis beaucoup de retard à solliciter un tel redressement. Entre temps le produit, lancé sur le marché selon les prévisions, demeure en circulation. Sans doute des dépenses ont-elles été effectuées à cet égard. De plus, le dossier contient des éléments de preuve non contredits selon lesquels d'autres personnes semblent utiliser le mot «TURBO» en liaison avec la vente de certaines catégories d'huile moteur au Canada sans que l'appelante, apparemment, ait jugé bon de solliciter contre eux le prononcé d'une injonction. Aucune de ces considérations n'a échappé au juge des requêtes. Ensemble elles peu- vent suggérer que l'attitude générale de l'appelante à l'égard des droits qu'elle prétend à présent faire valoir en était une de grande indifférence. De plus, elles accroissent quelque peu la difficulté pour l'appelante de soutenir qu'elle subira un préjudice irréparable si l'intimée ne se trouve limitée dans ses activités jusqu'au procès.
Après avoir apprécié l'effet des différents fac- teurs en jeu, je suis convaincu que la répartition des inconvénients est favorable à l'intimée. A mon sens, c'est à bon droit que la délivrance de l'injonc- tion interlocutoire a été refusée.
'9 Voir par exemple l'article de B. M. Rogers et G. W. Hately intitulé “Getting the Pre -Trial Injunction» (1982), 60 Rev. du Bar. Can. I, aux pp. 19 et 20.
Décision sur l'appel
Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l'ap- pel avec dépens.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE DESJARDINS: Je souscris à ces motifs.
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