T-1240-87
Simma Finit (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: HOLT c. CANADA
Division de première instance, juge McNair—
Vancouver, 18 avril; Ottawa, 29 août 1988.
Compétence de la Cour fédérale — Division de première
instance — Demande visant à faire constituer défendeurs
l'ancien président de la Commission nationale des libérations
conditionnelles et des personnes fictives — La demanderesse
prétend qu'il y a eu complot pour obtenir son renvoi illégal et
violation de ses droits à l'égalité prévus à l'art. 15 de la Charte
— Application du critère dégagé dans l'affaire ITO — Les
causes d'action délictuelle contre des particuliers ne découlent
pas d'un ensemble de règles de droit fédérales existant — Les
responsabilités du président constituent un lien trop fragile
pour permettre de conclure à la compétence — Une action en
responsabilité du fait d'autrui intentée contre la Couronne
n'est pas exclue en raison d'un défaut de compétence à l'égard
de particuliers — Puisque la responsabilité provenait de la Loi
sur la responsabilité de la Couronne, l'action reposait sur une
loi fédérale.
Il s'agit d'une demande visant à obtenir l'autorisation de
modifier la déclaration et à faire constituer défendeurs l'ancien
président de la Commission nationale des libérations condition-
nelles et deux défendeurs fictifs en leur qualité personnelle. La
demanderesse prétend que les défendeurs visés ont comploté de
provoquer son renvoi illégal de la Commission, ce qui l'a privée
de ses droits à l'égalité et a donné lieu à une discrimination à
son égard, contrairement à l'article 15 de la Charte. Elle
prétend également que le président a joué un rôle prédominant
en influant sur la décision du cabinet de ne pas la renommer.
Selon la demanderesse, les trois exigences posées dans l'affaire
ITO ont été remplies. Il est allégué que l'alinéa 17(4)b) de la
Loi sur la Cour fédérale attribuait compétence légale et que les
violations alléguées de l'article 15 de la Charte ont satisfait tant
à l'exigence de l'existence d'un ensemble de règles de droit
fédérales qui soit essentiel à la solution du litige qu'à l'exigence
selon laquelle une telle loi doit être une «loi du Canada»,
expression employée dans la Loi constitutionnelle de 1867. La
défenderesse fait valoir que les causes d'action constituaient les
délits de complot et de dol et relevaient de la loi provinciale.
Ainsi donc, les deuxième et troisième exigences de l'affaire ITO
ne pouvaient être remplies. La question se pose de savoir si la
Cour avait compétence pour connaître de l'action contre les
défendeurs visés et de l'action en responsabilité du fait d'autrui
intentée contre la Couronne.
Jugement: la demande devrait être rejetée pour ce qui est de
la constitution de défendeurs, mais les paragraphes soulevant la
question de la responsabilité du fait d'autrui devraient rester
sans changement.
L'alinéa 17(4)b) ne confère pas la compétence pour connaî-
tre de l'action intentée contre les défendeurs particuliers lors-
que les demandes formulées contre eux reposent sur la respon-
sabilité délictuelle et non sur une loi fédérale. Les causes
d'action délictuelle invoquées à l'encontre des défendeurs parti-
culiers ne découlent pas d'un ensemble de règles de droit
fédérales applicable actuellement qui constitue un «cadre légis-
latif détaillé» suffisant pour imputer la responsabilité à ces
défendeurs. Le fait que le président était le fonctionnaire
exécutif en chef de la Commission nationale des libérations
conditionnelles qui, en vertu de la Loi sur la libération condi-
tionnelle de détenus, surveille de façon générale les travaux de
cette Commission est un lien trop fragile pour permettre de
conclure à la compétence de la Cour à son égard, en sa qualité
individuelle. Les causes d'action alléguées contre les défendeurs
particuliers ne sont pas attribuables à une source de droit
fédéral, mais proviennent du droit provincial en matière de
responsabilité délictuelle.
Le défaut de compétence à l'égard du président personnelle-
ment n'exclut toutefois pas automatiquement une action en
responsabilité du fait d'autrui intentée contre la Couronne pour
les actes illégitimes de ses préposés. La responsabilité de la
Couronne à l'égard du fait d'autrui et le droit d'action contre
elle proviennent de la Loi sur la responsabilité de la Couronne,
ce qui fait que la demande repose sur une loi fédérale.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 15.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art.
91, iOI.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-7I-72, chap. 63.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. I7(4)b).
Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C.
1970, chap. P-2, art. 3(2) (mod. par S.C. 1986, chap.
42, art. 1), 4(3).
Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970,
chap. C-38, art. 3(1)a), 4(2).
Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6.
Règlement sur les stupéfiants, C.R.C., chap. 1041, art.
53, 58, 59.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
303(1), 402(3), 420, 424, 1716(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida
Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; 68 N.R.
241; Varnam c. Canada (Ministre de la Santé nationale
et du Bien-être social), [1988] 2 C.F. 454 (C.A.); Suc
cession Stephens c. Ministre du Revenu national, Wilkie,
Morrison, Smith, Stratham (shérif adjoint, comté d'Ox-
ford), agent Ross et Davidson (i982), 40 N.R. 620
(C.A.F.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Oagc. Canada, [1987] 2 C.F. 511; 73 N.R. 149 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Pacifie Western Airlines Ltd. c. R., [1980] 1 C.F. 86
(C.A.); confirmant [1979] 2 C.F. 476 (1" inst.).
DÉCISION CITÉE:
Rhine c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442; 34 N.R. 290.
AVOCATS:
Nancy Matheson pour la demanderesse.
Mitchell Taylor pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Pierce, van Loon, Vancouver, pour la deman-
deresse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: Il s'agit d'une demande
présentée par la demanderesse en vue d'obtenir
l'autorisation de modifier la déclaration et pour
faire constituer parties défenderesses à l'action
l'ancien président de la Commission nationale des
libérations conditionnelles William R. Outerbridge
et les défendeurs actuellement fictifs John Doe et
Jane Doe. La demande est fondée sur les Règles
303(1), 420, 424, 427 et 1716(2) des Règles de la
Cour fédérale [C.R.C., chap. 663].
Une déclaration initiale a été déposée le 11 juin
1987. Le 6 juillet 1987, la défenderesse s'est
fondée sur la Règle 402(3) pour déposer un acte de
comparution. Une défense prenant la forme d'une
dénégation générale a été déposée le 8 septembre
1987. Le 27 janvier 1988, une défense modifiée a
été déposée.
La plainte de la demanderesse qui a donné lieu à
l'action délictuelle en dommages-intérêts consiste
essentiellement dans l'omission par le solliciteur
général de renouveler sa nomination à titre de
membre de la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles en raison d'une discrimination
alléguée fondée sur le sexe, la religion et l'apparte-
nance politique. La demanderesse a été nommée
membre de la Commission tout d'abord pour un
an; par la suite, elle a été, le ler avril 1982,
renommée pour une autre période de trois ans. Elle
prétend que c'est à tort qu'on l'a renvoyée sans
motif le 11 juin 1985.
L'avocat de la défenderesse a consenti aux
modifications projetées dans la mesure où elles se
rapportent uniquement à la Couronne, à condition
que l'avocate de la demanderesse accepte le dépôt
d'une défense modifiée y répondant. En l'espèce, la
question se pose uniquement de savoir si cette
Cour a compétence pour connaître des causes d'ac-
tion visant William R. Outerbridge, John Doe et
Jane Doe, ainsi qu'il ressort des paragraphes 3, 4,
21 et 22 de la déclaration, et de la prétention selon
laquelle la Couronne est tenue à la responsabilité
du fait d'autrui ainsi qu'il est dit au paragraphe 15
de ladite déclaration. Les paragraphes litigieux
sont ainsi rédigés:
[TRADUCTION] 3. Le défendeur William R. Outerbridge (ci-
après appelé .Outerbridge”) était, à toutes les époques essentiel-
les à la présente action, le président de la Commission nationale
des libérations conditionnelles, et un mandataire, préposé ou
employé du solliciteur général, et il demeure au 534 Golden,
Ottawa (Ontario), K2A 2E7.
4. John Doe et Jane Doe sont des personnes inconnues qui ont
agi de concert avec Outerbridge pour priver la demanderesse de
ses droits et libertés ou pour empiéter sur ceux-ci.
15. Le solliciteur général est civilement responsable des actes
d'Outerbridge.
21. Outerbridge a agi de concert avec John Doe, Jane Doe et
d'autres personnes inconnues pour empêcher illégalement la
demanderesse d'avoir sa première nomination à la Commission
nationale des libérations conditionnelles, et il a en outre agi de
concert avec John Doe et Jane Doe et d'autres personnes
inconnues pour empêcher le renouvellement de sa nomination à
ladite Commission; il a avec préméditation mal renseigné le
ministre responsable et le premier ministre à l'égard de la
demanderesse, le tout dans l'intention de priver la demande-
resse de ses droits et libertés ou d'empiéter sur ceux-ci, et de la
priver de son emploi et de son emploi continu.
22. Subsidiairement, Outerbridge a fait preuve de discrimina
tion à l'égard de la demanderesse en mal renseignant ou en ne
renseignant pas du tout le ministre responsable, le premier
ministre et d'autres, ou l'un quelconque d'entre eux, sur les
capacités de la demanderesse, et lesdits faux renseignements ou
l'omission de renseigner ont été motivés par le préjugé d'Outer-
bridge contre la demanderesse en raison de son sexe, de sa
religion et de son appartenance politique. Outerbridge a donc
privé la demanderesse de ses droits et libertés ou empiété sur
ceux-ci, violé la Charte et lui a causé des pertes, dommages et
des dépenses.
La demanderesse insiste sur le fait que la Cour a
compétence pour connaître des causes d'action
plaidées, et elle insiste en outre sur la nécessité de
constituer parties ces trois défendeurs afin que la
Cour puisse trancher intégralement toutes les
questions litigieuses dans l'action.
Pour déterminer si une question donnée relève
de la compétence de la Cour fédérale, il est néces-
saire de satisfaire aux exigences du critère prescrit
par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt
ITO—International Terminal Operators Ltd. c.
Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S.
752; 68 N.R. 241. Le juge McIntyre, qui rédigeait
le jugement majoritaire, a, aux pages 766 R.C.S.;
256 et 257 N.R., dégagé les critères juridiques
suivants:
L'étendue générale de la compétence de la Cour fédérale a été
examinée à maintes reprises par les tribunaux ces dernières
années. Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Cana-
dien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, et dans l'arrêt
McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2
R.C.S. 654, on a établi les conditions essentielles pour pouvoir
conclure à la compétence de la Cour fédérale. Ces conditions
sont les suivantes:
1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du
Parlement fédéral.
2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui
soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement
de l'attribution légale de compétence.
3. La loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada»
au sens où cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi
constitutionnelle de 1867.
L'avocate de la demanderesse prétend que le
premier critère est rempli par l'alinéa 17(4)b) de
la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2»
Supp.), chap. 10], qui est ainsi conçu:
17....
(4) La Division de première instance a compétence concur-
rente en première instance
b) dans les procédures dans lesquelles on cherche à obtenir
un redressement contre une personne en raison d'un acte ou
d'une omission de cette dernière dans l'exercice de ses fonc-
tions à titre de fonctionnaire ou préposé de la Couronne.
On n'a pas prétendu avec vigueur que M. Outer -
bridge n'était pas un fonctionnaire ou un préposé
de la Couronne aux fins du critère, mais l'avocat
de la défenderesse ne concède pas le point.
L'avocate de la demanderesse a fait état de la
nomination de membres de la Commission par le
gouverneur en conseil et de la désignation par ce
pouvoir exécutif d'un de ces membres pour la
présidence et d'un autre membre pour la vice-pré-
sidence, selon les paragraphes 3(1) et 3(2) de la
Loi sur la libération conditionnelle de détenus,
S.R.C. 1970, chap. P-2, modifiée par S.C. 1986,
chap. 42, art. 1. Elle a également insisté sur le fait
que, en vertu du paragraphe 4(3) de la Loi, le
président est le fonctionnaire exécutif en chef de la
Commission, et il en surveille les travaux et dirige
le personnel.
Les dispositions législatives invoquées portent:
3. (I) Est établie, sous le nom de Commission nationale des
libérations conditionnelles, une Commission composée d'au plus
trente-six membres nommés à titre inamovible par le gouver-
neur en conseil pour dix ans au maximum.
(2) Le gouverneur en conseil désigne l'un des membres pour
la présidence, et un autre pour la vice-présidence.
4. ...
(3) Le président est le fonctionnaire exécutif en chef de la
Commission. Il en surveille les travaux et dirige le personnel.
Le second critère énoncé par l'arrêt ITO sus-
mentionné exige qu'il existe un ensemble de règles
de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du
litige et constitue le fondement de l'attribution
légale de compétence. L'avocate de la demande-
resse prétend qu'Outerbridge et les défendeurs fic-
tifs Doe ont illégalement comploté de provoquer le
renvoi de la demanderesse de la Commission natio-
nale des libérations conditionnelles, ce qui l'a
privée de ses droits à l'égalité et a donné lieu à une
discrimination à son égard, contrairement à l'arti-
cle 15 de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. L'avocate sou-
tient en outre qu'il y a de fortes chances pour que
des éléments de preuve soient produits au cours
d'interrogatoires préalables au procès, lesquels élé-
ments de preuve pourraient montrer qu'Outer-
bridge avait joué un rôle prédominant en sa qualité
de fonctionnaire exécutif de la Commission,
influant sur la décision du Cabinet de ne pas
renommer la demanderesse à la Commission.
L'avocate de la demanderesse s'appuie dans une
grande mesure sur une déclaration incidente dans
l'affaire Varnam c. Canada (Ministre de la Santé
nationale et du Bien-être social), [1988] 2 C.F.
454, décision de la Cour d'appel fédérale. Selon
cette déclaration, le juge de première instance peut
n'avoir pas eu tort de ne pas rejeter, à l'occasion
d'une requête préliminaire, l'action du demandeur
pour défaut de compétence, lorsqu'il était possible
que des éléments de preuve produits au procès
établissent que le défendeur avait joué un rôle
décisif, consultatif pour influer sur la décision du
ministre. Cette déclaration semble quelque peu
incompatible avec le résultat réel de la décision de
la Cour, celle d'accueillir l'appel et de rejeter
l'action intentée par le demandeur contre le collège
défendeur. Quoi qu'il en soit, l'avocate de la
demanderesse prétend par analogie que le second
critère de l'arrêt ITO est rempli en faisant des
allégations de violation de la Charte à l'égard de
l'application de la Loi sur la libération condition-
nelle de détenus, lorsqu'il était quelque peu possi
ble que des éléments de preuve soient produits
pour prouver le rôle décisif d'Outerbridge dans la
décision de la Couronne de renvoyer la demande-
resse.
Le troisième critère de l'arrêt ITO exige que la
loi invoquée dans l'affaire doive être «une loi du
Canada» au sens où cette expression est employée
à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867
[30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1)].
En l'espèce, on insiste sur le fait que la Charte
est bien une loi fédérale, relevant de la compétence
législative fédérale en vertu de l'article 91 de la
Loi qui confère le pouvoir d'assurer la paix, l'ordre
et le bon gouvernement, et en vertu des paragra-
phes 91(27) et 91(28) relativement au droit crimi-
nel et à l'établissement, au maintien et à l'adminis-
tration des pénitenciers.
L'avocate de la demanderesse prétend que si la
Cour conclut à sa compétence pour connaître des
causes d'action alléguées contre les défendeurs
additionnels, alors la question de la responsabilité
du fait d'autrui de la part de la Couronne va
s'ensuivre automatiquement. Subsidiairement, elle
soutient que si la Cour conclut à son incompé-
tence, la Couronne est toujours civilement respon-
sable des actes reprochés à Outerbridge; elle cite à
cette fin l'arrêt Succession Stephens c. Ministre
du Revenu national, Wilkie, Morrison, Smith,
Stratham (shérif adjoint, comté d'Oxford) agent
Ross et Davidson (1982), 40 N.R. 620 (C.A.F.).
Je préfère pour le moment laisser de côté cette
prétention, et je vais me prononcer là-dessus plus
tard.
L'avocat de la défenderesse fait valoir que la
Cour n'a pas compétence pour connaître des
causes d'action isolées intentées contre les person-
nes dont les noms figurent aux paragraphes 3, 4,
15, 21 et 22 de la déclaration modifiée. Selon lui,
ces causes d'action constituent les délits de com-
plot et de dol et relèvent de la loi provinciale et non
de la loi fédérale. Il exhorte à reconnaître que la
demanderesse n'a pas satisfait aux exigences des
deuxième et troisième critères prescrits par l'arrêt
ITO, en ce sens qu'il n'existe pas un ensemble de
règles de droit fédérales applicable qui constitue le
fondement de la compétence de la Cour fédérale
pour ce qui est des causes d'action alléguées contre
les défendeurs particuliers. En bref, il n'existe
aucun ensemble de règles de droit fédérales essen-
tiel à la solution du litige.
J'estime que, à cet égard, la question se pose de
savoir s'il existe un lien de compétence suffisant
entre les causes d'action alléguées contre les défen-
deurs particuliers et un ensemble de règles de droit
fédérales «qui soit essentiel à la solution du litige et
constitue le fondement de l'attribution légale de
compétence» selon le deuxième critère dégagé dans
l'arrêt ITO.
L'avocat des défendeurs a étayé sa prétention en
citant l'affaire Pacific Western Airlines Ltd. c. R.,
[1980] 1 C.F. 86 (C.A.); confirmant [1979] 2 C.F.
476 (1« inst.). Essentiellement, il a été statué dans
cette affaire que, bien que l'alinéa 17(4)b) de la
Loi sur la Cour fédérale autorise à poursuivre les
fonctionnaires de la Couronne, le simple fait de les
poursuivre devant cette instance ne constitue pas
un ensemble de règles de droit fédérales en vigueur
permettant de saisir la Cour d'une demande
fondée sur quelque faute à leur encontre, qui
relève clairement de la loi provinciale.
De même, dans l'arrêt Succession Stephens c.
M.R.N. susmentionné, la Cour d'appel fédérale a
statué entre autres que l'alinéa 17(4)b) de la Loi
sur la Cour fédérale ne conférait la compétence
pour connaître de l'action intentée contre les
défendeurs particuliers parce que les demandes
formulées contre eux reposaient sur la responsabi-
lité délictuelle et non sur la loi fédérale, malgré
l'application des dispositions de la Loi de l'impôt
sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63].
Le juge Le Dain, qui rédigeait l'opinion una-
nime de la Cour, s'est prononcé en ces termes, à la
page 630:
En l'espèce, malgré l'application nécessaire des dispositions de
la Loi de l'impôt sur le revenu à la question de validité ou de
justification juridique, on ne peut soutenir que le droit aux
dommages-intérêts soit prévu par une loi fédérale. En fait, si ce
droit existe, il a été créé par le droit provincial. La loi fédérale
applicable n'a pas pour objet de créer ou de prévoir ce droit.
L'affaire Varnam susmentionnée constitue la
décision la plus récente de la Cour d'appel fédérale
sur la question de la compétence légale. Dans cette
affaire, le défendeur était un médecin dont l'auto-
risation de prescrire la drogue méthadone avait été
retirée en vertu d'un avis publié conformément aux
articles 53, 58 et 59 du Règlement sur les stupé-
fiants [C.R.C., chap. 1041]. En vertu de l'article
58 du Règlement, le ministre ne pouvait agir
qu'«après consultation avec» le collège. L'action
intentée contre le collège reposait sur la responsa-
bilité délictuelle, savoir qu'il existait des observa
tions empreintes de négligence ou erronées et un
complot destinés à faire obstacle au droit et à la
capacité du défendeur d'exercer la profession qu'il
avait choisie. Le collège a demandé le rejet de
l'action pour défaut de compétence. Le juge de
première instance a rejeté la requête [[1987] 3
C.F. 185] pour le motif que l'action intentée
contre le collège était étroitement liée à l'action
engagée contre la Couronne de sorte que l'action
relevait de la compétence de la Cour.
Pour faire constituer parties les défendeurs par-
ticuliers, l'avocate de la demanderesse s'est
appuyée sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale
Oag c. Canada, [1987] 2 C.F. 511; 73 N.R. 149,
dans laquelle un prisonnier, dont la libération sous
surveillance obligatoire avait été abusivement
révoquée, a réussi à persuader la Cour qu'une
action en dommages-intérêts fondée sur la respon-
sabilité délictuelle pouvait être intentée contre les
défendeurs particuliers en leur qualité de fonction-
naires de la Commission nationale des libérations
conditionnelles qui avaient pris part à la révocation
abusive. Il a été allégué [à la page 517] que les
circonstances entourant la détention et la libéra-
tion du prisonnier étaient régies par la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus et la Loi sur
les pénitenciers [S.R.C. 1970, chap. P-6] qui cons
tituent «un cadre législatif détaillé et un plan
d'ensemble de la réglementation, fondés sur le
droit fédéral existant et applicable suffisants pour
étayer la compétence de la Cour fédérale du
Canada».
Aux pages 520-521 C.F.; 155 et 156 N.R., le
juge Stone a motivé comme suit la décision de la
Cour:
Il en résulte donc, pour utiliser l'expression du juge en chef
Laskin dans l'affaire Rhine et Prytula', «un cadre législatif
détaillé» de droit fédéral en vertu duquel l'appelant a acquis
non seulement le droit d'être libre mais également celui de le
rester. Il faut souligner que, comme il restait sous l'effet d'une
condamnation, la liberté dont il jouissait n'était pas la même
que celle que possède une personne qui ne fait pas l'objet d'une
condamnation. Ses limites étaient fixées par des lois fédérales.
S'il y a eu arrestation illégale et emprisonnement arbitraire
comme il a été allégué, ces délits ont été commis parce qu'on a
porté atteinte au droit de l'appelant, ainsi délimité, de rester
libre. Je ne crois pas que la loi ait à prévoir expressément un
recours à l'égard d'une telle atteinte pour que les demandes
soient régies par elle. L'existence de ces délits, à mon avis,
repose sur le droit fédéral; les dommages-intérêts qui résultent
de la perpétration de ces délits prouvables peuvent être recou-
vrés en Division de première instance. J'en suis arrivé à la
conclusion que les demandes sont prévues dans les «lois du
Canada» ou le «droit fédéral».
Selon le juge Hugessen, l'affaire Oag se distin-
gue de l'affaire Varnam par le fait que l'acte
illégitime reproché dans la première provenait de
deux sources législatives, savoir la Loi sur la libé-
ration conditionnelle de détenus et la Loi sur les
pénitenciers, alors que le simple processus de con
sultation envisagé par l'article 58 du Règlement
sur les stupéfiants ne semblait pas «constituer une
assise suffisante à la compétence de cette Cour» [à
la page 459]. Je souscris entièrement à cette dis
tinction pénétrante.
À mon avis, les actes délictuels reprochés aux
défendeurs particuliers ne découlent pas d'un
ensemble de règles de droit fédéral applicable
actuellement qui constitue un «cadre législatif
détaillé» suffisant pour imputer la responsabilité à
ces défendeurs. Le fait que le défendeur Outer -
bridge était le fonctionnaire exécutif en chef de la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les qui en surveille le travail est un lien trop fragile
pour permettre de conclure à la compétence de la
Cour à son égard, en sa qualité individuelle. Dans
' Rhine c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442; 34 N.R. 290.
les circonstances, j'estime que les causes d'action
alléguées contre les défendeurs particuliers ne sont
pas attribuables à une source de droit fédéral mais
proviennent plutôt, s'il en est, du droit provincial
en matière de responsabilité délictuelle. Cela étant,
la partie de la requête cherchant l'autorisation de
faire constituer William R. Outerbridge, John Doe
et Jane Doe parties défenderesses est rejetée.
L'avocate de la demanderesse soutient que
même si la Cour conclut à son incompétence à
l'égard des défendeurs Outerbridge, de John et de
Jane Doe, il est toujours possible que la Couronne
soit tenue pour civilement responsable parce qu'ils
ont, en tant que fonctionnaires ou préposés de la
Couronne, pris part au renvoi de la demanderesse
en qualité de membre de la Commission nationale
des libérations conditionnelles. Elle soutient en
outre que les allégations énoncées aux paragraphes
3, 4, 21 et 22 de la déclaration modifiée suffisent à
étayer l'action en responsabilité du fait d'autrui de
la part du solliciteur général ainsi qu'il est plaidé
au paragraphe 15.
L'avocat des défendeurs fait valoir que le para-
graphe 15 ne fait qu'articuler une question de
droit. Il soutient en outre que les paragraphes
restants 3, 4, 21 et 22 ne devraient pas rester sans
changement pour justifier l'allégation de responsa-
bilité du fait d'autrui, à supposer que la modifica
tion destinée à poursuivre ces particuliers person-
nellement soit refusée.
L'avocate de la demanderesse répond que le
fondement tout entier de l'action de la demande-
resse se rapporte aux nominations à la Commission
nationale des libérations conditionnelles et aux
actes du président à l'époque, dont on dit qu'ils
constituent des délits de complot et d'abus de
pouvoir dans l'exercice de ses fonctions. Il en
résulte que, selon l'avocate, le solliciteur général
peut toujours être tenu civilement responsable des
actes illégitimes du président et de ses adjoints qui
ont participé au complot malgré le fait qu'on ne
saurait les poursuivre personnellement devant la
Cour fédérale. Ainsi qu'il a été indiqué, elle a,
pour étayer cet argument, cité l'affaire Succession
Stephens susmentionnée et fait état des disposi
tions législatives y citées, savoir l'alinéa 3(1)a) et
le paragraphe 4(2) de la Loi sur la responsabilité
de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, qui sont
ainsi rédigés:
3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont elle
serait responsable, si elle était un particulier majeur et capable,
a) à l'égard d'un délit civil commis par un préposé de la
Couronne, ou
4....
(2) On ne peut exercer de recours contre la Couronne, en
vertu de l'alinéa 3(l)a), à l'égard d'un acte ou d'une omission
d'un préposé de la Couronne, sauf si, indépendamment de la
présente loi, l'acte ou l'omission eût donné ouverture à une
poursuite en responsabilité délictuelle contre ce préposé ou sa
succession.
Je conviens avec l'avocate de la demanderesse
que le défaut de compétence à l'égard d'Outer-
bridge personnellement n'exclut pas automatique-
ment une action en responsabilité du fait d'autrui
intentée contre la Couronne, représentée par le
solliciteur général, pour tout acte d'abus de pou-
voir de la part d'Outerbridge en sa qualité de
fonctionnaire de la Commission nationale des libé-
rations conditionnelles. Ce point même a été tran-
ché dans l'affaire Succession Stephens c. M.R.N.
susmentionnée, où le juge Le Dain a énoncé la
question et donné la réponse en ces termes à la
page 631:
La Division de première instance a accueilli la demande de la
Couronne au motif que la Cour n'était pas compétente pour
connaître de la réclamation de dommages-intérêts. Il semble
que l'on ait jugé que cette conclusion découlait nécessairement
de la conclusion que la Cour n'avait pas compétence pour
connaître de l'action contre les défendeurs autres que la Cou-
ronne. Je ne peux retenir cette interprétation. Bien qu'il semble
anormal que la Cour ait compétence pour connaître d'une
action en responsabilité de la Couronne à l'égard du fait
d'autrui alors qu'elle n'a pas compétence pour connaître d'une
action contre les préposés de la Couronne dont les actes ont
engagé la responsabilité de la Couronne, je ne vois pas com
ment on peut contourner cette anomalie. La responsabilité de la
Couronne à l'égard du fait d'autrui et le droit d'action contre
elles sont prévus à l'aliéna 3(l)a) de la Loi sur la responsabilité
de la Couronne, et n'ont aucun autre fondement. Par consé-
quent, il semble incontestable que cette demande repose sur une
loi fédérale. Quant à savoir si les actes des défendeurs autres
que la Couronne donneraient ouverture à une cause d'action sur
le plan délictuel, aux fins du paragraphe 4(2) de la Loi, ceci
doit être déterminé, dans une action dirigée contre eux, en
fonction de ce qui résulte de la loi provinciale; cependant, à
mon humble avis, cela ne peut éliminer pour autant le fait que
la responsabilité de la Couronne à l'égard du fait d'autrui
constitue une cause d'action fondée sur une loi fédérale, claire-
ment prévue par la Loi sur la responsabilité de la Couronne.
[C'est moi qui souligne.]
En conséquence, je rejette la demande d'autori-
sation de modifier présentée pour faire constituer
les parties défenderesses William R. Outerbridge
et les parties inconnues John Doe et Jane Doe, et
leurs noms sont rayés de l'intitulé de la cause. La
déclaration est donc rendue caduque pour ce qui
est de sa possibilité d'étayer l'idée de responsabilité
personnelle de quiconque, à l'exception de la Cou-
ronne. À mon avis, les allégations faites aux para-
graphes 3, 15, 21 et 22 de la déclaration soulèvent
un moyen raisonnablement soutenable selon lequel
le solliciteur général peut être tenu civilement
responsable des actes d'Outerbridge en sa qualité
de fonctionnaire ou de préposé de la Couronne. Le
paragraphe 4 modifié ne sert à aucune fin pratique
dans la justification de l'allégation de responsabi-
lité du fait d'autrui et est donc rejeté. S'il appert
plus tard que d'autres fonctionnaires ou préposés
de la Couronne ont agi de concert avec Outer -
bridge pour illégalement abuser des droits de la
demanderesse et y porter atteinte, une modifica
tion appropriée peut être demandée à ce moment
pour les citer comme complices de complot.
En fin de compte, je décide de maintenir les
paragraphes 3, 15, 21 et 22 de la déclaration
modifiée, mais à la condition que les deux derniers
paragraphes soient renumérotés pour devenir les
paragraphes 4 et 5 et qu'il soit radié de l'ancien
paragraphe 21 (maintenant paragraphe 4) de toute
mention précise de «John Doe, Jane Doe». Les
autres paragraphes de la déclaration peuvent donc
être numérotés de nouveau en conséquence. Il est
loisible à l'avocate de la demanderesse d'envisager
d'ajouter un autre paragraphe pour invoquer les
articles particuliers de la Loi sur la responsabilité
de la Couronne citée et d'autres faits jugés néces-
saires pour que ses moyens soient visés par les
dispositions législatives. En tout état de cause, des
détails peuvent toujours être utilisés pour cerner la
question de responsabilité du fait d'autrui. Bien
entendu, la défenderesse a le délai habituel de
trente jours pour déposer une défense en réponse à
la déclaration modifiée. Les dépens de la demande
sont adjugés à la défenderesse si elle a gain de
cause dans l'instance principale.
Il sera rendu une ordonnance dans ce sens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.