T-4178-78
Joseph Apsassin, chef de la bande indienne de la
rivière Blueberry, et Jerry Attachie, chef de la
bande indienne de la rivière Doig, en leur nom et
en celui de tous les autres membres de la bande
indienne de la rivière Doig, de la bande indienne
de la rivière Blueberry et de tous les descendants
encore vivants de la bande indienne des Castors
(demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représen-
tée par le ministère des Affaires indiennes et du
Nord canadien et le Directeur des terres destinées
aux anciens combattants (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: APSASSIN c. CANADA (MINISTÈRE DES AFFAI-
RES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN)
Division de première instance, juge Addy—Van-
couver, 12 au 15, 20 au 22, 26 au 30 janvier, 2 au
6, 9 au 13, 16 au 19, 23 au 27 février, 9 au 12, 23
au 27 mars; Ottawa, 4 novembre 1987.
Peuples autochtones — Terres — Titre juridique sur une
ancienne réserve indienne et les droits miniers y afférents —
Conséquence de la cession des droits miniers et validité de la
cession subséquente de la réserve — Les Indiens ont-ils donné
un consentement libre et éclairé — Formalités — Nature du
droit des Indiens sur les terres de la réserve — Nature des
liens de fiduciaire entre la Couronne et les Indiens et des
obligations de la Couronne à cet égard — Validité de la
cession des terres de la réserve par le ministère des Affaires
indiennes au Directeur des terres destinées aux anciens com-
battants — Inclusion des droits miniers dans le transfert —
Violation des obligations fiduciaires par le Ministère à l'égard
du prix de vente — Le Directeur n'a ni l'obligation ni le
pouvoir de rétrocéder les terres ou les droits miniers aux
Indiens — En vertu du traité original portant sur la mise de
côté de la réserve, les Indiens n'ont pas droit, après la cession,
au même nombre d'acres de terres de réserve.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — La Charte ne peut être invoquée pour contester
l'art. 8 de la Limitations Act de la C.-B. parce qu'elle ne
s'applique pas aux droits ni aux dommages-intérêts relatifs à
l'aliénation de biens (cession et transfert de terres de réserve
indienne) — Non-rétroactivité de la Charte — L'art. 7 porte
sur le bien-être physique de la personne et ne comprend pas la
protection des biens — Un délai de prescription applicable à
tous les résidents de la province ne contrevient pas aux princi-
pes de justice fondamentale.
Droit constitutionnel -- Charte des droits — Droits à
l'égalité — L'art. 8 de la Limitations Act de la C.-B. empêche
la contestation de la validité de la cession et du transfert des
terres des réserves indiennes — L'art. 8 ne contrevient pas à
l'art. 15 de la Charte qui garantit à chacun un traitement
semblable dans des circonstances semblables et non un traite-
ment identique pour tous, quelles que soient les circonstances
— L'art. 15 n'exige pas des lois identiques dans chaque
province, car il ne doit pas avoir pour effet de détruire le
fédéralisme.
Déclaration des droits — Égalité devant la loi — L'art. 8 de
la Limitations Act de la C.-B. ne contrevient pas à l'art. lb) de
la Déclaration des droits — La Déclaration des droits n'oblige
pas le Parlement à adopter des lois uniformes dans tout le
pays — Les différences, d'une province à l'autre, quant aux
délais de prescription ne constituent pas de la discrimination.
Déclaration des droits — Application régulière de la loi —
Les dispositions portant prescription qui sont d'application
générale, comme dans la Limitations Act de la C.-B., ne
constituent pas une violation de l'application régulière de la loi
— Une disposition portant prescription finale ne prive pas du
droit d'intenter un procès ni du droit d'accès aux tribunaux —
Elle impose simplement un délai dans lequel l'action doit être
intentée.
Pratique — Prescription — En vertu de l'art. 38 de la Loi
sur la Cour fédérale, les lois de la Colombie-Britannique en
matière de prescription sont applicables — Action intentée
après l'expiration de la prescription finale de 30 ans — Les
dispositions de la loi portant prescription ont préséance sur les
autres lois.
Pratique — Preuve — Commission rogatoire — Enregistre-
ment magnétoscopique — Recommandations sur la façon de
filmer les témoins, de visionner les vidéocassettes, d'employer
le son — Recommandation portant que la Cour étudie la
possibilité d'enregistrer les témoignages aux audiences sur
vidéocassette — Caractère inadéquat des notes de transcrip
tion.
Pratique — Preuve — Commission rogatoire — Interprètes
— L'interprète devrait traduire les questions et les réponses
mot à mot et non seulement l'essentiel de la conversation tenue
avec le témoin — Les audiences en commission rogatoire
devraient être tenues en présence de juristes compétents et
expérimentés, comme un juge ou un protonotaire, qui connais-
sent les règles de preuve et de procédure.
La réserve indienne n° 172 (R.I. 172), comprenant 18 168
acres, a été mise de côté pour les bandes demanderesses en
1916, en vertu du Traité n° 8 dont les parties reconnaissent la
validité. En 1940, les bandes demanderesses ont cédé les droits
miniers afférents à la R.I. 172, aux fins de location, au minis-
tère des Affaires indiennes (M.A.I.). La validité de cette
cession n'est pas contestée. En 1945, toute la réserve a été cédée
au M.A.I. En 1948, le M.A.I. a transféré la R.I. 172 au
Directeur des terres destinées aux anciens combattants pour la
somme de 70 000 $ et le Directeur a par la suite aliéné des
parties de ces terres, y compris les droits miniers y afférents, à
des anciens combattants et à d'autres personnes. En 1976, on a
trouvé une quantité considérable de pétrole sur la R.I. 172.
L'action concerne principalement le titre juridique sur la R.I.
172 et les droits miniers afférents à ces terres.
Les demandeurs allèguent que (1) entre 1916 et 1945, la
défenderesse s'est rendue coupable de plusieurs actes et omis
sions équivalant à de la négligence et elle a violé ses obligations
fiduciaires envers les demandeurs en permettant l'utilisation
non autorisée de terres et la réglementation inadéquate par la
province; (2) la cession effectuée en 1945 était nulle ou annula-
ble; (3) la défenderesse s'est rendue coupable de fraude en
obtenant le consentement des bandes indiennes à la cession
effectuée en 1945; (4) l'acceptation par la défenderesse de la
cession effectuée en 1945 était nulle parce qu'elle ne respectait
pas l'article 51 de la Loi sur les Indiens; (5) le transfert
effectué en 1948 au Directeur ne respectait pas l'article 54 de
la Loi sur les Indiens; (6) le transfert de 1948 était nul en ce
qui concerne les droits miniers parce que la bande indienne
n'avait jamais cédé ces droits pour qu'ils soient vendus et que la
cession ne respectait pas les exigences de l'article 54 de la Loi
sur les Indiens et de l'article 41 de la Loi des terres fédérales;
(7) en transférant ces terres en 1948 au Directeur, la défende-
resse s'est rendue coupable de plusieurs violations à ses obliga
tions fiduciaires et a en outre agi frauduleusement; (8) depuis
1948, la défenderesse et le Directeur ont tous les deux violé les
obligations fiduciaires auxquelles ils étaient tenus et ont agi
frauduleusement en ce qui concerne les droits miniers; et (9)
tous les transferts de droits miniers au Directeur effectués
depuis 1952 sont nuls parce qu'ils ne respectaient pas les
exigences de la Loi sur les Indiens.
Les demandeurs sollicitent un jugement déclarant que la
cession de 1945 et le transfert de 1948 sont nuls en ce qui
concerne l'ensemble de la R.I. 172 ou, du moins, qu'ils sont nuls
en ce qui a trait aux droits miniers. Ils demandent en outre un
jugement déclarant qu'ils continuent à avoir droit, en vertu du
Traité n° 8, à la même superficie de réserve que celle qui avait
été mise de côté pour eux à l'origine.
La défenderesse a plaidé que l'action était prescrite. En
réponse, les demandeurs ont fait valoir que la prescription ne
pouvait courir contre eux à cause de la fraude continue de la
défenderesse à leur égard et des violations de ses obligations
fiduciaires. Ils ont également contesté la validité des articles 8
et 9 de la Limitations Act de la C.-B., en vertu de la Charte des
droits et de la Déclaration des droits.
Jugement: l'action est rejetée.
A—Enregistrement magnétoscopique des dépositions faites
devant une commission rogatoire. Les dépositions enregistrées
par sept témoins ont dû être révisées pour en vérifier l'exacti-
tude parce qu'elles n'avaient pas été obtenues de façon adé-
quate; dans chaque cas, les avocats indiquaient à l'interprète la
nature des renseignements qu'ils souhaitaient obtenir du témoin
et l'interprète rapportait en quelques mots ce qu'il considérait
l'essentiel de sa conversation avec le témoin. La caméra devrait
être installée de manière à prendre le visage du témoin en gros
plan et de face. Elle devrait également enregistrer le son. A
l'instruction, l'écran de télévision devrait être placé en face du
juge. Lorsque c'est possible, le témoignage par commission
rogatoire devrait être reçu par un juriste compétent et expéri-
menté. Il vaudrait peut-être la peine d'examiner la possibilité
de prévoir dans les Règles de la Cour, à titre de complément au
service ordinaire de transcription, l'enregistrement magnétosco-
pique de témoignages au cours de certains procès. Les trans
criptions de témoignages sont parfois trompeuses et des progrès
techniques considérables ont été réalisés récemment dans le
domaine de l'enregistrement, image et son, sur ruban
magnétoscopique.
B—Nature du titre, du rapport et de l'obligation. Il fallait
établir, dès le début, qu'il était presque indubitable que, dans
les années 1940, les bandes demanderesses n'avaient pas les
compétences nécessaires pour s'occuper de planification finan-
cière ou de l'établissement d'un budget ni, en général, d'admi-
nistrer financièrement leurs affaires.
Il est entendu que le droit des Indiens sur des biens immobi-
liers n'est pas un droit de propriété reconnu par la loi mais
simplement un [TRADUCTION] «droit personnel, de la nature
d'un usufruit». Le droit des Indiens est inaliénable, sauf dans le
cas d'une cession et il impose par sa nature à la Couronne une
obligation d'equity, exécutoire en justice, d'utiliser ces terres au
profit des Indiens. Cette obligation est soumise à des principes
très semblables à ceux qui régissent le droit des fiducies, en ce
qui concerne notamment le montant des dommages-intérêts en
cas de manquement. La Couronne n'est tenue par aucune
obligation ou rapport fiduciaire spécial en ce qui concerne les
terres des réserves avant qu'elles ne soient cédées et une fois
que les terres cédées ont été transférées. Sauf certaines restric
tions prévues dans la Loi sur les Indiens, les Indiens ne doivent
pas être légalement traités comme s'ils étaient incapables
d'exercer pleinement leurs droits. Toutefois, lorsque des con-
seils sont demandés ou qu'ils sont offerts, la Couronne est tenue
de faire preuve d'une prudence raisonnable. Cette obligation
dépendra du degré de connaissance ou de subtilité dont font
preuve les Indiens. Et lorsqu'il existe un véritable rapport
fiduciaire, comme c'est le cas en l'espèce par suite de la cession
de '1945, la Couronne doit faire preuve du même degré de
prudence et de diligence que lorsqu'il s'agit d'une véritable
fiducie.
La partie des motifs portant sur la preuve afférente aux
droits miniers a été résumée dans la note de l'arrêtiste. D'après
cette preuve, la Couronne n'a pas manqué à ses obligations
fiduciaires envers les demandeurs. On ne pouvait raisonnable-
ment s'attendre à ce que les fonctionnaires, préposés ou manda-
taires de la Couronne prévoient, en 1948 ou avant, que les
droits miniers éventuels afférents à la R.I. 172 auraient une
valeur réelle ou qu'il y aurait un avantage raisonnablement
prévisible à conserver ces droits.
C—Traité n° 8. En 1950, après la cession et l'aliénation de la
R.I. 172 dont la superficie était de 18 168 acres, les deman-
deurs ont obtenu trois nouvelles réserves couvrant quelque
6 194 acres. Ils prétendent avoir droit, en vertu du Traité, à la
différence, soit une superficie de 11 974 acres. Même la plus
libérale des interprétations nous amène inévitablement à con-
clure que, une fois que la Couronne a mis de côté à titre de
réserve l'étendue de terre requise, elle a rempli l'obligation que
lui impose le Traité en ce qui concerne les terres de la réserve.
Il ne subsiste aucun droit permettant à la bande indienne de
recevoir, après la cession et l'aliénation de la réserve, d'autres
terres dont la superficie égale celle de la réserve initialement
mise à part conformément au Traité.
D—Cessions de 1940 et de 1945. Quant à savoir si la cession
de 1945 comprenait les droits miniers cédés en 1940, il faut se
souvenir, comme en l'espèce, que lorsque la description d'un
bien cédé ne comporte aucune restriction ni réserve, l'ensemble
du bien mentionné, qu'il s'agisse d'un bien réel ou personnel, et
tous les droits afférents, qu'il s'agisse de droits légaux, en
equity ou usufruitier, sont présumés faire partie de la cession.
La cession de 1940 n'a pas séparé les droits miniers des
autres droits que les Indiens possédaient relativement à la R.I.
172. La cession de 1940 n'était pas celle «d'une partie de»
réserve telle que prévue à l'alinéa 2e) de la Loi sur les Indiens,
mais plutôt d'un droit sur une partie de l'ensemble de la
réserve. Les droits miniers ne pouvaient donc pas être considé-
rés comme des «terres indiennes» qui ne pouvaient être cédées,
et la cession de 1940, prévoyant une fiducie limitée à la
location, ne s'opposait pas à ce que les droits miniers fassent
l'objet de tout autre genre d'aliénation, sauf de location, même
avec le consentement des deux parties.
E—Violations des obligations de fiduciaire entre 1916 et
1945. Quant aux actes de négligence et à la violation non
frauduleuse des obligations de fiduciaire qui, selon les deman-
deurs, se seraient produits entre 1916 et 1945, il n'existe aucune
obligation légale en vertu de laquelle le Ministère est tenu de
surveiller activement les réserves indiennes ni d'intervenir pour
annuler une loi provinciale légitime d'application générale, pour
la simple raison qu'elle touche également les droits des Indiens.
De plus, les réclamations sont prescrites.
F—La cession de 1945. La décision d'accepter la cession
relève davantage du domaine de «l'exécution» que de celui de la
«politique administrative» et, à ce titre, elle peut faire l'objet
d'un contrôle.
D'après la preuve disponible, les membres de la bande ont
donné librement leur consentement éclairé au projet de cession
de la R.I. 172, en septembre 1945. Aucune preuve n'a été
produite pour établir que l'assemblée n'a pas été convoquée
conformément au paragraphe 51(1) de la Loi. Par application
du paragraphe 31(1) de la Loi d'interprétation, l'assemblée a
été tenue devant une personne dûment autorisée conformément
au paragraphe 51(1) de la Loi.
Puisque les dispositions du paragraphe 51(3) de la Loi sont
simplement supplétives et non impératives, l'inobservation des
formalités prescrites, si la preuve en avait été faite, n'aurait pas
invalidé la cession elle-même.
G—Transfert des terres au Directeur des terres destinées aux
anciens combattants effectué en 1948. L'argument des deman-
deurs qui prétendent que, puisque le document ne mentionne
pas les droits miniers, il n'a pas pour effet de les transférer, ne
peut être soutenu en droit: à moins qu'un droit ne soit expressé-
ment retenu, une cession absolue des terres comprend tous les
droits sauf ceux afférents aux métaux précieux.
Même s'il n'y a pas de preuve de fraude au moment de la
cession de 1948, la Couronne a manqué à ses obligations de
fiduciaire parce qu'elle ne s'est pas acquittée du fardeau d'éta-
blir qu'un prix pleinement équitable avait été obtenu en mars
1948. Toutefois, cette réclamation est prescrite.
Le Directeur des terres destinées aux anciens combattants ne
détenait pas les terres en fiducie pour les Indiens. Aucune
disposition de la Loi ne prévoit cette fiducie. Les minéraux
n'étaient pas non plus réservés dans toutes les ventes, comme le
prévoyaient les lois antérieures. De plus, la Loi prévoit que le
Directeur peut détenir et transférer des biens aux seules fins de
la Loi. Il ne peut absolument pas, sans le consentement de
l'ancien combattant concerné, rétrocéder des terres ou des
droits miniers à la Couronne, au profit d'Indiens, ou à tout
autre personne.
H—Manquements imputés depuis 1948. Même si la défende-
resse n'a pas obtenu les droits miniers sur les terres de rempla-
cement, il n'est pas démontré qu'elle s'était engagée à le faire ni
qu'elle en avait l'obligation. Il n'y avait pas non plus d'obliga-
tion ou de promesse d'obtenir des terres d'une même superficie
que celle de la R.I. 172.
I—Prescription. En application de l'article 38 de la Loi sur
la Cour fédérale, la loi applicable en l'espèce est la Limitations
Act de la Colombie-Britannique. La déclaration a été déposée
en septembre 1978, cinq mois et demi après l'expiration de la
prescription de trente ans à compter de la date à laquelle la
cause d'action a pris naissance, c'est-à-dire en mars 1948.
Aucun autre texte législatif ne peut avoir priorité sur cette
prescription.
La validité de l'article 8 de la Limitations Act ne peut être
contestée en vertu de l'article 7 de la Charte. Cette dernière
n'est pas applicable puisqu'elle concerne la protection de la
personne et des droits et libertés personnels, et elle ne vise pas à
garantir les droits ni les dommages-intérêts relatifs à l'aliéna-
tion des biens. De plus, la Charte, d'une manière générale, ne
s'applique pas rétroactivement. Et une période de prescription
de ce genre, applicable à tous les résidents de la province, ne
contrevient pas aux principes de la justice fondamentale.
La règle de la non-rétroactivité s'applique également à l'arti-
cle 15 de la Charte. Elle ne prévoit pas un traitement identique
pour tous, quelles que soient les circonstances. Il n'est pas
discriminatoire d'assujettir la Couronne aux dispositions por-
tant prescription de la législation provinciale comme tout
simple citoyen de la province. En ce qui concerne le droit civil,
l'article 15 n'oblige pas chaque province à adopter les mêmes
lois, ce qui équivaudrait à nier le fédéralisme et à détruire le
système fédéral lui-même.
L'article 8 de la Limitations Act ne contrevient pas non plus
à l'alinéa lb) de la Déclaration des droits. À l'instar de la
Charte, la Déclaration des droits n'oblige pas le Parlement à
adopter des lois uniformes dans tout le pays. Dans un arrêt
récent, il a été conclu que, même lorsque le litige est de
compétence fédérale, le droit de la province dans laquelle le
litige a pris naissance et est jugé doit s'appliquer de façon
exclusive afin de déterminer les droits des plaideurs, si le droit
fédéral ne prévoit rien à cet égard. Et il n'y a pas plus de
discrimination à l'encontre de l'alinéa 1 b) de la Déclaration des
droits qu'en vertu des articles 7 ou 15 de la Charte.
L'article 8 de la Limitations Act n'est pas incompatible avec
l'alinéa la) de la Déclaration des droits qui porte sur l'applica-
tion régulière de la loi. Une prescription finale ne prive pas les
demandeurs du droit d'intenter un procès ni du droit d'accès
aux tribunaux. Elle impose simplement le délai dans lequel
l'action doit être intentée. L'action intentée pour insuffisance
du prix de vente demandé au Directeur, en 1948, est donc
prescrite en vertu des articles 8 et 9 de la Limitations Act de la
Colombie-Britannique.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7, 8, 15.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III, art. la),b), 2.
Laws Declaratory Act, R.S.B.C. 1948, chap. 179, art.
2(11).
Limitations Act, S.B.C. 1975, chap. 37.
Limitations Act, R.S.B.C. 1960, chap. 370.
Limitation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 236, art. 3(3), 6, 7,
8, 9, 14.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art.
91(24).
Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combat-
tants, S.C. 1942-43, chap. 33, art. 3 (mod. par S.C.
1946, chap. 70, art. 1), 5(3).
Loi des Indiens, S.R.C. 1927, chap. 98, art. 2e)j), 4, 35,
36, 50 (mod. par S.C. 1938, chap. 31, art. 1), 51, 54.
Loi des terres fédérales, S.C. 1908, chap. 20, art. 41.
Loi d'Établissement de Soldats, 1917, S.C. 1917, chap.
21.
Loi d'établissement de soldats, 1919, S.C. 1919, chap.
71.
Loi d'interprétation, S.R.C. 1927, chap. 1, art. 31(l).
Loi du ministère des Mines et des ressources, S.C. 1936,
chap. 33, art. 9(2).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap.
10, art. 38.
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10,
art. 30.
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, art. 18(1).
Loi sur les terres destinées aux anciens combattants,
S.R.C. 1970, chap. V-4, art. 5(1),(3),(4).
Proclamation royale, 1763, S.R.C. 1970, Appendice II,
n° 1.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
494(1).
Trustee Act, R.S.B.C. 1948, chap. 345, art. 86(1).
Trustee Act, R.S.B.C. 1960, chap. 390, art. 93(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S.
335, infirmant [1983] 2 C.F. 656; (1982), 143 D.L.R.
(3d) 416 (C.A.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3 (version abrégée);
(1985), 58 N.R. 241 (C.A.); The Queen v. George,
[1966] R.C.S. 267; Montreal Street Railway Company v.
Normandin, [1917] A. C. 170 (C.P.); Melville (City of)
c. Procureur général du Canada, [1982] 2 C.F. 3 (lie
inst.); Chambre de commerce de Jasper Park c. Gouver-
neur général en conseil, [1983] 2 C.F. 98 (C.A.); Attor-
ney -General of British Columbia v. Attorney -General of
Canada (1889), 14 App. Cas. 295 (C.P.); Reference re
Saskatchewan Natural Resources, [1931] R.C.S. 263;
The Queen v. Richard L. Reese, [1956] R.C.E. 94; Bera
v. Marr (1986), 1 B.C.L.R. (2d) 1 (C.A.); Grabbe v.
Grabbe, [1987] 2 W.W.R. 642 (C.A.C.-B.); Davidson v.
Davidson Estate, [1987] 2 W.W.R. 657 (C.A.C.-B.);
Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procu-
reur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274 (lie inst.); R.
v. Hamilton (1986), 57 O.R. (2d) 412 (C.A.); R. c.
Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; (1974), 15 C.C.C. (2d)
505; Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries
Canada Ltd., jugement en date du 17 juin 1987, Cour
d'appel fédérale, A-692-86.
DISTINCTION FAITE AVEC:
St. Ann's Fishing Club v. The King, [1950] R.C.S. 211;
Humphries v. Brogden (1850), 12 Q. B. 739; Algoma Ore
Properties Ltd. v. Smith, [1953] 3 D.L.R. 343 (C.A.
Ont.); Stoughton v. Leigh (1808), 1 Taunt. 402; 127 E.R.
889 (H.C. Ch.); Ex p. Jackson, [1925] 1 D.L.R. 701
(C.S. Alb., Div. d'appel); Berkheiser v. Berkheiser and
Glaister, [1957] R.C.S. 387; Martyn v. Williams (1857),
1 H. & N. 817; 156 E.R. 1430 (Exch.); Earl of Lonsdale
v. Lowther, [1900] 2 Ch. 687; Dorset Yacht Co. Ltd. v.
Home Office, [1970] A.C. 1004 (H.L.); Anns v. Merton
London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.); Kam-
loops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2;
Toews v. MacKenzie (1980), 12 C.C.L.T. 263
(C.A.C.-B.); Brusewitz v. Brown, [1923] N.Z. L.R. 1106
(S.C.); Tufton v. Sperni, [1952] 2 The Times L.R. 516
(E.C.A.); Allcard v. Skinner (1887), [1886-90] All E.R.
Rep. 90 (E.C.A.); Lloyds Bank Ltd v Bundy, [1974] 3
All ER 757 (E.C.A.); R. v. Antoine (1983), 5 C.C.C.
(3d) 97 (C.A. Ont.); Re McDonald and The Queen
(1985), 51 O.R. (2d) 745 (C.A.); R. v. Konechny (1983),
10 C.C.C. (3d) 233 (C.A.C.-B.); Morgentaler c. La
Reine, [1976] R.C.S. 616; (1975), 20 C.C.C. (2d) 449;
Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; Piercey v. General
Bakeries Ltd.; The Queen in right of Newfoundland et
al., Intervenors (1986), 31 D.L.R. (4th) 373 (C.S.T.-N.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Xerox of Canada Ltd. et autre c. IBM Canada Ltd.
(1977), 33 C.P.R. (2d) 24 (C.F. 1r' inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
St. Catherine's Milling and Lumber Company v. Reg.
(1888), 14 App. Cas. 46 (C.P.); Smith c. La Reine,
[1983] 1 R.C.S. 554.
DOCTRINE
Armour, Edward D. The Law of Real Property, 2nd ed.
Toronto: Canada Law Book Company, 1916.
AVOCATS:
Leslie J. Pinder et Arthur Pape pour les
demandeurs.
J. R. Haig, c.r. pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Mandell, Pinder & Ostrove, Vancouver et
Pape & Salter, Vancouver, pour les deman-
deurs.
Le sous -procureur général du Canada pour la
défenderesse.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le Directeur général a décidé de publier les
motifs du jugement de 121 pages en version
abrégée. Quelque 31 pages ont été retranchées
dans la décision publiée. Deux parties des motifs
ont été omises. Il s'agit de l'examen des témoi-
gnages relatifs aux droits miniers afférents à la
R.l. 172 et de l'examen des preuves orales et
écrites déposées sur la question du consente-
ment fibre et éclairé à la cession de 1945. L'arrê-
tiste n'a pas rédigé de note sur cette dernière
question puisque le juge Addy a soumis un som-
maire de ses conclusions de fait à cet égard.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ADDY:
LES DEMANDEURS
Comme l'indique l'intitulé de la cause, les deux
chefs indiens demandeurs ont engagé la présente
action en leur nom et au nom des membres de leur
bande respective. Leur droit de représenter tous les
membres de ces bandes ainsi que les anciens mem-
bres qui sont encore vivants n'est pas contesté. La
déclaration renferme également une allégation
portant que lesdits chefs représentent tous les
membres passés et futurs de leurs bandes, ce que
reconnaît la défenderesse. Même si j'ai des doutes
sérieux sur la validité juridique d'une telle préten-
tion, je m'abstiens de statuer sur ce point, car on
ne me l'a pas demandé.
Les membres des bandes indiennes en cause,
dont les ancêtres ont vécu, pendant plusieurs siè-
cles, dans le territoire situé au nord de Fort Saint
John (Colombie-Britannique) où ils chassaient et
cueillaient des fruits sauvages, ont constitué pen
dant quelques années la bande des Castors qui, en
1962, a pris le nom de bande indienne de Fort
Saint John. Cette dernière bande se composait de
Dunne-za ou Castors qui parlaient la langue dun-
ne-za ou castor et de membres faisant partie de
l'ethnie crie et parlant la langue crie. On les
appelles parfois collectivement les «Cri-Dunne-za».
En 1977, la bande indienne de Fort Saint John a
été divisée en deux pour former la bande indienne
de la rivière Doig et la bande indienne de la rivière
Blueberry qui habitent actuellement dans deux
réserves distinctes situées au nord de Fort Saint
John.
LES POINTS LITIGIEUX
L'action concerne principalement le titre juridi-
que sur une ancienne réserve indienne, la réserve
de Moberley (appelée par la suite la réserve
indienne n° 172 ou R.I. 172) et, en particulier, les
droits miniers afférents à ces terres.
Les points litigieux concernent les éléments sui-
vants ou en découlent:
1. un traité appelé «Traité n° 8», conclu en 1900
avec la bande indienne des Castors;
2. la mise de côté en 1916 de la R.I. 172 dont la
superficie était de 18 168 acres;
3. la cession, en 1940, au ministère des Affaires
indiennes (M.A.I.) par la bande indienne, de ses
droits pétroliers, gaziers et miniers afférents à la
R.I. 172 aux fins de leur location;
4. la validité et la portée ou les conséquences
d'une autre cession au M.A.I. effectuée en 1945
relativement à la R.I. 172;
5. le transfert, en 1948, de la R.I. 172 par le
M.A.I. au Directeur des terres destinées aux
anciens combattants pour la somme de 70 000 $;
6. l'aliénation subséquente, par le Directeur des
terres destinées aux anciens combattants, de par
ties de ces terres, y compris les droits miniers y
afférents, à des anciens combattants et à d'autres
personnes.
Les parties reconnaissent la validité du Traité
n° 8 et la cession effectuée en 1940, mais elles ne
s'entendent pas sur l'interprétation à donner à ces
documents ainsi que sur les effets juridiques qui en
découlent. Un bon nombre de points litigieux se
rapportent à la R.I. 172 ou en découlent. Voici un
bref résumé des revendications et des allégations
des demandeurs:
1. Entre 1916 et 1945, la défenderesse s'est rendue
coupable de plusieurs actes et omissions équivalant
à de la négligence et elle a violé ses obligations
fiduciaires envers les demandeurs en permettant
l'utilisation non autorisée de terres sur lesquelles
les demandeurs possédaient un droit et en autori-
sant la réglementation inadéquate par la province
de la Colombie-Britannique de l'utilisation de ces
terres.
2. La cession effectuée relativement à la R.I. 172
en 1945 était nulle ou annulable.
3. Par ses actes et omissions, la défenderesse a
violé un rapport fiduciaire et elle s'est rendue
coupable de fraude en obtenant le consentement de
la bande indienne à la cession effectuée en 1945 et
en acceptant celle-ci.
4. L'acceptation par la défenderesse de la cession
effectuée en 1945 était nulle parce qu'elle ne res-
pectait pas l'article 51 de la Loi des Indiens
[S.R.C. 1927, chap. 98].
5. Le transfert effectué en 1948 par la défende-
resse au Directeur des terres destinées aux anciens
combattants était nul parce qu'il ne respectait pas
l'article 54 de la Loi des Indiens.
6. Si le transfert de 1948 était valide, il n'avait
aucun effet ou était nul en ce qui concerne les
droits miniers afférents à la R.I. 172 pour le motif
que la bande indienne n'avait jamais cédé ces
droits pour qu'ils soient vendus et que la cession ne
respectait pas les exigences de l'article 54 de la Loi
des Indiens et de l'article 41 de la Loi des terres
fédérales, S.C. 1908, chap. 20, article 1.
7. En transférant ces terres en 1948 au Directeur
des terres destinées aux anciens combattants, la
défenderesse s'est rendue coupable de plusieurs
violations à ses obligations fiduciaires envers la
bande indienne et elle a en outre agi frauduleuse-
ment.
8. Depuis 1948, la défenderesse et le Directeur des
terres destinées aux anciens combattants ont tous
les deux violé les obligations fiduciaires auxquelles
ils étaient tenus à l'égard des demandeurs et ils ont
agi frauduleusement en ce qui concerne les droits
miniers afférents à la R.I. 172.
9. Tous les transferts de droits miniers au Direc-
teur des terres destinées aux anciens combattants
effectués depuis 1952 étaient nuls parce qu'ils ne
respectaient pas les exigences de la Loi sur les
Indiens [S.R.C. 1952, chap. 149].
Les demandeurs sollicitent un jugement décla-
rant que la cession de 1945 et le transfert de 1948
au Directeur sont nuls en ce qui concerne l'ensem-
ble de la R.I. 172 ou, à titre subsidiaire, qu'ils sont
nuls en ce qui a trait aux droits miniers afférents à
la R.I. 172; ils demandent en outre un jugement
déclarant qu'ils continuent à avoir droit à des
terres de réserve couvrant une superficie de 18 168
acres et ce, conformément au Traité n° 8. Les
demandeurs cherchent également à obtenir une
reddition de comptes et des dommages-intérêts
sous divers postes.
La défenderesse nie toutes les allégations et
revendications des demandeurs, et elle plaide en
outre que l'action est prescrite en vertu de diverses
dispositions législatives relatives à la prescription
des actions, dispositions sur lesquelles je reviendrai
plus loin.
Pour ce qui est de la prescription, les avocats des
demandeurs ont fait valoir que la prescription n'a
pas pu commencer à courir contre leurs clients
pendant de nombreuses années après la cession
parce que ces derniers ignoraient qu'ils possédaient
un recours devant les tribunaux en raison de leur
situation de dépendance vis-à-vis le ministère des
Affaires indiennes. Les demandeurs ont également
allégué que, pendant les années s'étant écoulées
dans l'intervalle, la défenderesse et ses ; , représen-
tants ont continué leur fraude à leur égard et ont
continué à violer les obligations fiduciaires aux-
quelles ils étaient tenus envers eux. En raison de la
nature et des conséquences possibles de ces alléga-
tions, les avocats ont reconnu qu'il serait préféra-
ble de statuer sur la question du point de départ de
la prescription une fois seulement que la Cour
serait arrivée à des conclusions finales sur les
points litigieux et, par conséquent, cette question
ne devrait être examinée qu'à la fin de l'instruc-
tion, une fois tous les éléments de preuve soumis.
SÉPARATION DE LA QUESTION DE LA RESPONSA-
BILITÉ DE CELLE DES DOMMAGES-INTÉRÊTS
En raison du nombre de points litigieux concer-
nant la responsabilité et également des prévisions
des avocats quant au 'temps qu'il faudrait pour
régler cette question, j'ai ordonné dès le début de
l'instruction que les questions de la responsabilité
et du montant des dommages-intérêts soient sépa-
rées, cette dernière devant faire l'objet d'une réfé-
rence, sous réserve des instructions qui pourraient
être jugées souhaitables une fois que la Cour se
sera prononcée sur les éléments de preuve relatifs à
la responsabilité.
DURÉE DE L'INSTRUCTION
L'instruction a duré dix semaines, cinq jours
étant consacrés aux plaidoiries et à la présentation
d'arguments écrits exhaustifs. La présentation
d'éléments de preuve plus ou moins pertinents ou
probants a inutilement compliqué, à mon avis, les
points litigieux qui étaient malgré tout assez com
plexes. Les deux parties semblent avoir suivi la
pratique discutable consistant à présenter des
témoignages oraux et des preuves documentaires
alors même qu'elles n'étaient apparemment pas
convaincues de leur force probante. Le «bref
exposé concis des faits» dont il est question à la
Règle 494(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663] comportait quelque 186 pages numéro-
tées, et il a duré trois jours et demi; il y était
question de 150 documents qui seraient finalement
produits comme pièces. Une déclaration prélimi-
naire ne devrait habituellement durer que de trente
à soixante minutes et, dans les affaires compli-
quées, de deux à trois heures devraient suffire pour
donner au juge un aperçu général de l'affaire, car
il faut présumer que ce dernier est au courant du
contenu du dossier certifié. Certaines allégations
qui, apparemment, n'ont jamais pu être prouvées,
ont été maintenues jusqu'à la toute fin de
l'instruction.
Plus souvent qu'autrement, la présentation d'une
avalanche de détails sous prétexte que cela pour-
rait aider la cour à mieux comprendre les faits de
l'affaire, contribue à créer de la confusion relative-
ment aux véritables points litigieux et, au lieu de
faciliter la tâche du juge, la complique inutile-
ment.
PREUVE DOCUMENTAIRE
Les avocats des parties ont conjointement fait
préparer une série de recueils contenant quelque
916 documents dont l'authenticité ne serait pas
contestée. La plupart des documents produits
comme pièces à l'instruction figuraient dans ces
recueils. Quelques autres pièces ont également été
déposées, mais leur authenticité n'a jamais été en
cause.
Il y a eu toutefois un malentendu important au
cours de l'audience relativement aux fins pour
lesquelles les documents pourraient être utilisés
comme pièces.
Les avocats des demandeurs ont présenté quel-
que 500 pièces au cours de leur argumentation.
Jusqu'à la fin de la septième semaine de l'instruc-
tion, la Cour ainsi que les avocats de la défende-
resse et de ses représentants ont examiné les élé-
ments de preuve soumis en considérant que tous les
documents produits pouvaient être utilisés à toutes
fins utiles, y compris pour faire preuve de leur
contenu.
Au moment où les demandeurs s'apprêtaient à
terminer leur plaidoirie et où la Cour a demandé à
la défenderesse, pour des raisons pratiques, de lui
fournir une liste des documents qu'elle déposerait
finalement comme pièces, les avocats des deman-
deurs ont fait savoir qu'ils s'opposeraient à la
production de ces documents à titre de preuve des
faits qui y étaient mentionnés, à moins que les
dispositions de l'article 30 de la Loi sur la preuve
au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10] ne soient
respectées. Toutefois, les avocats de la défende-
resse ont invoqué une entente selon laquelle n'im-
porte quel des documents figurant dans les recueils
de documents pourrait être employé pour prouver
les faits dont il y était question, sous réserve
évidemment des considérations normales quant à
leur pertinence, leur force et leur valeur probante,
etc. Ce n'est qu'à ce moment précis, lorsque les
demandeurs ont nié l'existence d'une telle entente,
que la Cour et la défenderesse ont compris que, à
l'exception d'une ou deux pièces déposées par l'in-
termédiaire de témoins, par exemple les rapports
des experts des demandeurs, aucune des pièces
déposées en preuve par les demandeurs n'était
destinée à faire preuve de son contenu, mais que
ces pièces avaient plutôt été produites pour établir
soit l'état d'esprit de l'auteur des documents soit la
ligne de conduite suivie par la défenderesse ou ses
mandataires. Afin d'indiquer clairement les fins
limitées pour lesquelles je tiendrai compte des
documents déposés en preuve principale par les
demandeurs, voici un extrait tiré des notes sténo-
graphiques prises le 28 février 1987, au moment où
les avocats des demandeurs s'apprêtaient à termi-
ner leur plaidoirie (voir le Volume 30 de la trans
cription des débats, aux pages 3951 et 3956):
[TRADUCTION] M e PAPE: Je peux facilement répondre à votre
question, monsieur le juge. Les documents que nous avons
déposés l'ont été aux fins que je vous ai mentionnées.
LA COUR: À quelles fins?
Me PAPE: Aux fins que j'ai mentionnées, c'est-à-dire pour
prouver la ligne de conduite adoptée ainsi que l'état d'esprit de
la personne qui a rédigé le document.
LA COUR: Tout simplement?
M e PAPE: C'est cela, monsieur le juge.
LA COUR: Très bien.
Me PAPE: monsieur le juge, autant que je sache, il n'y a aucun
document que nous vous demanderons de considérer comme un
élément de preuve tendant à faire preuve de son contenu. Je
pourrais peut-être vous donner un ou deux exemples du genre
de documents ..
LA COUR: Tant que c'est ce que vous déclarez, vous n'avez pas
besoin de donner d'exemples.
M e PAPE: Très bien.
La déclaration de l'avocat des demandeurs rela-
tivement aux fins pour lesquelles les documents
avaient été déposés au cours des semaines précé-
dentes était tout à fait inattendue, et tout ce qu'on
peut dire est qu'elle a eu l'effet d'une bombe parce
qu'elle jetait une lumière complètement différente
sur l'affaire. La défenderesse et ses représentants
ont demandé et obtenu immédiatement un long
ajournement afin de prendre les mesures nécessai-
res pour se conformer aux exigences de l'article 30
de la Loi sur la preuve au Canada et pour déter-
miner quels documents, outre ceux déjà déposés
par les demandeurs, ils devraient produire à titre
de preuve de leur contenu.
Il est ressorti des débats sur cette question qu'en
réalité, les demandeurs avaient fourni à la Cour
ainsi qu'à la défenderesse et à ses représentants,
pendant la deuxième semaine de l'instruction, un
document de 62 pages où figurait une liste de
quelque 446 documents qu'ils avaient l'intention
de produire comme pièces et où ils indiquaient les
parties particulières de ces documents qu'ils vou-
laient invoquer. À la page 3 ainsi que dans d'autres
sections de la liste où ils invoquent des documents
précis, les demandeurs ont déclaré qu'ils utilise-
raient ces documents pour établir l'intention de
leur auteur et la ligne de conduite adoptée. Ils
n'ont nulle part ajouté que de tels documents ne
pourraient être invoqués pour prouver leur con-
tenu. Toutefois, ce qui est plus important, cette
restriction contredit directement, à de nombreux
égards, l'exposé introductif où les avocats des
demandeurs ont expliqué comment ils prouveraient
leur cause. La version écrite de cet exposé a été
fournie à la Cour ainsi qu'à la défenderesse et à ses
représentants avant le début de l'instruction. Il
ressort d'une lecture rapide des 140 premières
pages de ce document que les demandeurs ont
invoqué plus de cent documents au soutien des
diverses allégations factuelles autres que celles
portant sur l'état d'esprit ou la ligne de conduite
adoptée.
Il est également important de souligner que,
même dans le texte écrit de l'argumentation finale
des demandeurs, les pièces au sujet desquelles les
avocats de ces derniers ont insisté pour dire, le 28
février, qu'elles avaient été produites pour ces deux
fins restreintes, ont en fait été invoquées comme
faisant preuve de leur contenu; par exemple, il est
allégué à la page 11 de l'argumentation que la
déclaration des commissaires figurant . dans la
pièce 1 constitue une preuve que les Indiens ne
possédaient à l'époque aucune institution impor-
tante; on a invoqué les pièces 289 et 301 à la page
27 de l'argumentation afin de prouver que le
potentiel de la R.I. 172 avait échappé à la collecti-
vité, que les terres situées au nord avaient été
retranchées, que les bonnes terres avaient été
accordées à titre de prime aux anciens combattants
pour leur réinstallation, etc. Il ne s'agit là que de
quelques exemples; je les cite et je mentionne les
déclarations faites par Me Pape le 28 février dans
le seul but d'indiquer très clairement que je ne
considérerai qu'aucune des pièces soumises en
preuve principale par les demandeurs n'a d'autres
fins que de montrer l'état d'esprit et l'intention de
l'auteur du document ou la ligne de conduite suivie
par la défenderesse ou ses mandataires, sauf si un
témoin a dûment confirmé qu'il est l'auteur du
document ou que celui-ci est authentique, ou si les
avocats se sont formellement entendus dans le
dossier sur l'authenticité du document. Cette déci-
sion ne s'applique évidemment pas à la pièce 896
qui a été admise pour réfuter l'authenticité de son
contenu ni à des pièces comme la pièce 713 qui,
bien qu'elles aient été produites à l'origine par les
demandeurs, ont été par la suite acceptées sur
requête de la défenderesse comme faisant preuve
de leur contenu; elle ne s'appliquera pas non plus à
d'autres pièces déposées par la défenderesse à cette
fin.
Dans certains cas au cours de leur argumenta
tion finale, les avocats des demandeurs ont invoqué
les opinions exprimées dans des documents au
sujet desquels ils avaient affirmé qu'ils n'avaient
pas été admis pour faire preuve de leur contenu et
ce, apparemment pour établir non seulement l'état
d'esprit de l'auteur des documents mais aussi cer-
taines conditions et situations existantes. Il est
difficile de comprendre comment il serait logique
de conclure que les opinions exprimées dans de tels
documents pourraient être invoquées en preuve
alors que les allégations factuelles ne peuvent
l'être.
Pour ce qui est des pièces présentées par la
défenderesse et des fins pour lesquelles elles seront
considérées comme éléments de preuve, je me suis
prononcé dans une ordonnance en date du 20 mars
1987. Afin de ne pas surcharger davantage les
présents motifs de jugement qui sont déjà beau-
coup trop longs, une copie de cette ordonnance est
jointe à l'annexe A [publiée dans [1988] 3 C.F. 3].
ENREGISTREMENT MAGNÉTOSCOPIQUE DES
DÉPOSITIONS FAITES DEVANT UNE COMMISSION
ROGATOIRE
Les dépositions de sept témoins ont été prises
plusieurs années plus tôt (c'est-à-dire entre 1980 et
1982), conformément à trois ordonnances de cette
Cour, les deux parties ayant jugé préférable d'ob-
tenir les dépositions de ces témoins, qui étaient
malades et très âgés à l'époque, pendant qu'ils
étaient encore vivants et capables de témoigner.
Les dépositions enregistrées sur ruban magné-
toscopique ont été faites devant un sténographe
judiciaire officiel qui a agi à titre de commissaire,
les ordonnances ayant prévu qu'un protonotaire de
la cour ou un sténographe judiciaire officiel pou-
vait agir en qualité de commissaire.
Cinq des témoins ont déposé dans leur langue
maternelle, et on a eu recours aux services d'un
interprète dans chaque cas. Il est regrettable de
constater que, non seulement ces interprètes sem-
blaient n'avoir aucune expérience comme inter-
prète judiciaire, mais qu'ils étaient membres des
bandes indiennes demanderesses et étaient donc
tout aussi intéressés par le résultat de l'affaire que
leurs aînés interrogés. Il est encore plus dommage
que l'interrogatoire de ces témoins n'ait pas été
mené selon les règles par les avocats. Dans chaque
cas, l'interrogatoire avait à peine commencé qu'au
lieu de poser directement leurs questions au
témoin, les avocats indiquaient à l'interprète la
nature des renseignements qu'ils souhaitaient obte-
nir du témoin. L'interprète s'adressait ensuite au
témoin et, dans de nombreux cas, il s'ensuivait une
longue conversation entre ceux-ci. S'adressant
ensuite à l'avocat procédant à l'interrogatoire, l'in-
terprète rapportait en quelques mots ce qu'il consi-
dérait l'essentiel de chaque conversation. Cette
façon d'agir est évidemment tout à fait contraire
aux règles normales; cela ne se serait pas produit si
les audiences de la commission rogatoire avaient
été tenues en présence d'un juge ou d'une autre
personne légalement compétente, comme un proto-
notaire, connaissant les règles de preuve et, en
particulier, la procédure à suivre en salle
d'audience.
Pour ces motifs et après avoir entendu et vu une
partie des enregistrements magnétoscopiques des
dépositions, je me suis inquiété de la possibilité que
des erreurs se soient glissées dans la traduction des
questions au témoin par l'interprète et dans la
traduction en anglais de l'essentiel des réponses
données. Après avoir demandé aux avocats si, dans
les années qui se sont écoulées depuis, quelqu'un a
pris la précaution de faire vérifier les traductions,
j'ai été fort surpris d'apprendre qu'aucune mesure
n'avait été prise à cet égard. J'ai immédiatement
exigé que les démarches nécessaires soient faites
pour vérifier que, dans chaque cas où il a été
nécessaire de recourir aux services d'un interprète
au cours de l'enregistrement magnétoscopique des
dépositions faites devant une commission roga-
toire, la traduction anglaise reflète au moins l'es-
sentiel de chaque réponse.
En fin de compte, par suite des vérifications
faites par d'autres interprètes, les avocats ont
reconnu que la traduction de la déposition de l'un
des témoins indiens était si inexacte qu'il a fallu la
laisser de côté et ils ont également demandé que
certains passages de la transcription de la déposi-
tion de l'un des autres témoins soient modifiés afin
de rendre le sens véritable des réponses de ce
témoin.
Évidemment, il n'en demeure pas moins que le
juge des faits a le droit d'entendre la traduction
textuelle des propos d'un témoin et d'évaluer leur
contenu et leurs conséquences par lui-même et non
par l'intermédiaire d'un interprète. Toutefois,
étant donné que les avocats des deux parties se
sont finalement entendus sur l'essentiel et qu'au
moins un des témoins est maintenant décédé et que
quelques autres sont séniles ou trop âgés pour
déposer, je considère que les traductions enregis-
trées des dépositions de ces témoins sont exactes
aux fins de l'espèce, sous réserve des modifications
convenues par les avocats.
L'audition de dépositions enregistrées sur ruban
magnétoscopique au lieu de témoignages oraux à
l'instruction m'a amené à formuler quelques obser
vations et conclusions qui pourraient probablement
être de quelque utilité aux parties demandant une
ordonnance prévoyant la tenue d'une commission
rogatoire de ce genre et aux juges se demandant à
quelles conditions de telles demandes devraient
être accueillies.
Je dois d'abord dire que la caméra, comme ce
fut le cas en l'espèce, devrait être installée de
manière à prendre le visage du témoin en gros plan
et de face. À l'instruction, l'écran de télévision
devrait être placé en face du juge puisque normale-
ment, comme ce fut le cas pour moi, il devrait
avoir sous la main la transcription de la déposition
et il ne devrait donc pas avoir besoin de prendre
des notes. À mon avis, il est alors en meilleure
position pour concentrer toute son attention sur le
témoin, l'observer et tirer les conclusions qui s'im-
posent en ce qui a trait à son comportement, aux
inflexions de sa voix et, en général, à la manière
dont il répond aux questions, que lorsque la déposi-
tion est reçue de la manière habituelle, donnée par
une personne témoignant oralement à la barre des
témoins. À l'instruction, un témoin fait rarement
face au juge, une personne interrogée se tournant
tout naturellement vers la personne qui lui pose les
questions. Toutefois, il est beaucoup plus ennuyeux
et pénible d'écouter l'enregistrement magnétosco-
pique d'un témoignage, car celui-ci n'est pas aussi
vivant et réel qu'une déposition faite de vive voix à
l'instruction et le juge n'a aucune influence sur la
manière dont il est présenté. Dans les cas où des
questions ou réponses irrégulières, suggestives, non
pertinentes ou constituant du ouï-dire sont posées
ou données, il ne peut évidemment pas interrompre
la déposition et il doit décider plus tard quelles
réponses doivent être écartées. Lorsque le dossier
renferme un bon nombre de ces réponses inadmis-
sibles de la part de divers témoins, comme c'est le
cas dans une longue affaire comme l'espèce, il peut
devenir inutilement pénible de s'occuper de cel-
les-ci après le fait. Pour cette raison et, comme je
l'ai déjà dit, afin également d'exercer un meilleur
contrôle sur les dépositions traduites, j'estime que
le témoignage par commission rogatoire devrait
être reçu, lorsque c'est possible, par une personne
légalement compétente et expérimentée qui, dans
certains cas, pourrait être un juge.
En l'espèce, la prise des dépositions par la com
mission rogatoire n'a nullement été contrôlée et les
avocats ont en général interrogé les témoins
comme ils l'auraient fait au cours des interrogatoi-
res préalables des parties à l'action. Enfin, et ce
qui est peut-être plus important, il est manifeste
qu'il est arrivé souvent dans le cas des témoins qui
ont déposé en anglais que la transcription, même si
elle rapportait fidèlement les paroles échangées, ne
transmettait pas au lecteur le sens véritable des
réponses données par les témoins et les conclusions
qu'il fallait en tirer. On peut facilement imaginer
les contradictions encore plus graves qui se produi-
sent lorsque le texte de la transcription est celui de
la traduction des propos du témoin.
Bien que, depuis de nombreuses années, les
cours d'appel aient appliqué, à juste titre, le prin-
cipe suivant lequel il faut faire preuve d'une
extrême prudence avant d'invoquer la transcription
d'un témoignage pour modifier ou infirmer une
conclusion de fait découlant d'un témoignage oral,
la validité fondamentale de ce principe devient
claire comme le jour lorsqu'on écoute et regarde
l'enregistrement magnétoscopique d'un témoi-
gnage en ayant en main le texte de celui-ci. Cela
montre bien également l'avantage évident d'avoir
au dossier l'enregistrement magnétoscopique d'un
témoignage lorsqu'une question se pose en appel
relativement à la validité d'une question de fait.
dans le contexte de certaines réponses du témoin.
Les propos d'un témoin et l'impression visuelle qui
s'en dégage sont conservés au dossier et permettent
d'expliquer et, parfois, de modifier et même d'in-
firmer les conclusions qu'aurait pu autrement sus-
citer la simple lecture de la transcription. Après
avoir lu la transcription' des diverses dépositions,
j'ai été très surpris de constater dans quelle mesure
certaines de mes impressions originales quant aux
conséquences des témoignages se sont modifiées ou
ont complètement changé après avoir vu les enre-
gistrements magnétoscopiques.
Comme l'a déclaré le juge Collier à la page 42
de l'affaire Xerox of Canada Ltd. et autre c. IBM
Canada Ltd. (1977), 33 C.P.R. (2d) 24 (C.F. ire
inst.):
Il est presque banal de dire que nonobstant la compétence du
sténographe judiciaire, il ne peut enregistrer (et il lui est
interdit de le faire) les pauses dans les réponses, les hésitations
d'un témoin, les résistances silencieuses à admettre ce qui est
évident, la façon d'agir et la manière de répondre à l'avocat, le
ton de la voix et les nuances des expressions, faciale et autres.
Quelques-uns des exemples (précités) qui ont servi de base à
mon évaluation sévère peuvent sembler formels. Mais la trans
cription ne fait pas état de l'atmosphère qui régnait à la cour à
ce moment particulier.
En conclusion, il semble évident que tous les
témoignages pris par une commission rogatoire
devraient être enregistrés, images et son, sur ruban
magnétoscopique. Qui plus est, étant donné les
progrès techniques considérables réalisés récem-
ment dans ce domaine et vu qu'une petite caméra
portative permet maintenant d'enregistrer à la fois
les images et le son, il vaudrait peut-être la peine
d'examiner la possibilité de prévoir dans les règles
de la Cour, à titre de complément aux services
ordinaires de transcription, l'enregistrement
magnétoscopique de témoignages faits de vive voix
au cours de certains procès. Il serait alors possible
de préserver la véritable force ou valeur probante
d'un témoignage ainsi que les inflexions significati-
ves de la voix des témoins, leurs pauses, leurs
hésitations et leurs attitudes, éléments qui ne res-
sortent pas des seules transcriptions des témoigna-
ges qui, en fait, sont parfois si trompeuses.
TOPOGRAPHIE
Afin de mieux comprendre les témoignages,
l'emplacement par rapport à la R.I. 172 de cer-
tains des lieux les plus fréquemment mentionnés
est décrit à l'annexe B jointe aux présents motifs*.
LA SOCIÉTÉ CRI-DUNNE-ZA
Il est important d'examiner la culture des Cri-
Dunne-za, leur mode de vie et leur niveau de
développement ainsi que l'organisation et le fonc-
tionnement de leur société pour trancher un bon
nombre des points litigieux soulevés, notamment
* Note de l'arrêtiste: Les annexes n'ont pas été reproduits.
comment s'est effectivement déroulée l'assemblée
de la cession de 1945 et quel aurait dû en être le
déroulement, l'existence pour la Couronne d'une
obligation spéciale ou d'un rapport fiduciaire spé-
cial entre elle et les Cri-Dunne-za, la portée de
cette obligation ou de ce rapport et la question de
savoir si les Indiens ont consenti à la cession en
toute connaissance des faits pertinents.
Les témoins indiens ainsi que d'autres témoins
cités par les demandeurs et la défenderesse,
notamment un anthropologue cité par les deman-
deurs, ont abondamment parlé du mode de vie des
Indiens, de leur culture ainsi que d'autres ques
tions connexes. Je n'ai pas l'intention de m'étendre
longuement sur ces questions, mais d'effleurer sim-
plement certains des points les plus importants et
j'examinerai la déposition de l'anthropologue plus
loin.
Les Cri-Dunne-za qui, pendant quelques siècles,
ont habité au nord-est de la Colombie-Britannique
et dont les principales activités étaient, à l'origine
la chasse, la pêche et la cueillette des fruits sauva-
ges, ont également ajouté le piégeage à leurs
moyens de subsistance, de nombreuses années
avant les années 1940. Même s'ils ont continué à
chasser et à cueillir des fruits sauvages, le piégeage
est effectivement devenu pour eux le principal
moyen de se procurer de l'argent ou d'obtenir du
crédit et, par conséquent, d'acheter à l'homme
blanc des marchandises, des vêtements, des objets
de luxe et des provisions.
À compter de 1930, le gouvernement provincial
de la Colombie-Britannique a exigé que tous les
trappeurs, y compris les Indiens, limitent leur pié-
geage aux sentiers de piégeage enregistrés. En
1945, le ministère des Affaires indiennes avait
réussi à obtenir du gouvernement de la Colombie-
Britannique, pour une vaste région située au nord-
nord-est de la R.I. 172, l'enregistrement de plu-
sieurs sentiers de piégeage réservés à l'usage exclu-
sif des Cri-Dunne-za. Un autre sentier a été
obtenu en 1949. Les diverses régions où les deux
Bandes se livraient à la chasse, à la pêche, au
piégeage et à la cueillette des fruits sauvages sont
indiquées sur des cartes qui ont été déposées à
l'instruction comme pièces 919 928 inclusive-
ment. Bien que ces cartes indiquent les régions
exploitées en 1978 et en 1979, il semble en général
que ces régions soient approximativement les
mêmes que celles utilisées pendant les années
1940. Ces Indiens chassaient pendant toute l'an-
née; toutefois, ils trappaient pendant l'automne et
l'hiver et jusqu'à la mi-mai pour attraper des
castors. Ils attrapaient au piège des castors, des
rats musqués, des lynx, des pékans, des écureuils et
d'autres animaux à fourrure et ils chassaient
l'ours, l'orignal, le chevreuil, le lièvre et le porc-
épic ainsi que la perdrix et d'autres gibiers. En
général, il mangeaient les animaux qu'ils avaient
chassés ou pris au piège, à l'exception des lynx, des
martes et des pékans.
Ils se rencontraient chaque été pendant quelques
semaines dans un lieu de rassemblement estival où
ils se reposaient, se rendaient visite, échangeaient
des connaissances, s'amusaient, participaient à
diverses activités et, en général, profitaient de
divers échanges sociaux.
Ils vivaient essentiellement comme des nomades.
Ils chassaient et trappaient par petits groupes de
trois à dix hommes. Les femmes participaient aussi
à la chasse et au piégeage. Chaque groupe choisis-
sait un chef, en général le membre le plus âgé ou,
parfois, le chasseur le plus habile. Il existait sept
groupes de ce genre. Ils suivaient leurs sentiers de
piégeage pendant la saison du trappage. Le reste
de l'année, ils passaient quelque temps dans leur
lieu de rassemblement estival, mais la plupart du
temps ils cueillaient des fruits sauvages et cher-
chaient du gibier dans leurs diverses régions de
chasse. Ils construisaient quelques habitations d'hi-
ver le long des sentiers de piégeage. Pendant l'été,
ils utilisaient à l'origine des tipis et plus tard, des
tentes.
En plus des chefs de groupes, il y avait aussi
dans les années 1940 un chef de bande, le chef
Succona, ainsi qu'un sous-chef, un certain Joe
Apsassin. Jusqu'en 1954 environ, les chefs étaient
nommés à vie. Depuis, ils sont élus conformément
aux procédures établies par le ministère des Affai-
res indiennes. Je constate que, même lorsqu'ils
étaient nommés à vie, les chefs pouvaient néan-
moins être destitués si on jugeait qu'ils ne remplis-
saient plus leurs tâches de chef avec sagesse ou
efficacité et alors, un autre chef pouvait être
choisi. Le témoin John Davis a tout d'abord nié ce
fait, mais il l'a ensuite admis lorsqu'au moment du
contre-interrogatoire, on lui a rappelé sa déposition
antérieure devant une commission rogatoire.
Dans les années 1940, les Cri-Dunne-za se
mêlaient très peu à la société blanche même si des
colons blancs se déplaçaient graduellement vers le
nord et que leurs contacts avec des trappeurs
blancs et quelques fermiers blancs s'installant dans
la région devenaient un peu plus fréquents. Ils
maintenaient le contact avec le ministère des
Affaires indiennes par l'intermédiaire de l'agent
des Indiens dont le bureau était situé à Fort Saint
John. Pendant l'année, l'agent des Indiens leur
rendait visite à l'occasion et il les rencontrait lors-
qu'ils venaient à Fort Saint John pour vendre leurs
fourrures et au moment de la conclusion de traités,
chaque fois que des sommes étaient payables en
vertu d'un traité.
Il semble presque indubitable que, dans les
années 1940, les Cri-Dunne-za n'avaient pas les
compétences nécessaires pour s'occuper de planifi-
cation financière ou de l'établissement d'un budget
ni, en général, d'administrer financièrement leurs
affaires. Aucune véritable structure gouvernemen-
tale n'était en place et personne n'était chargé de
légiférer. Ils n'avaient pas non plus la capacité
d'organiser ou de diriger, avec plus ou moins de
succès, des activités ou entreprises autres que la
pêche, la chasse et le piégeage. Il semble qu'on
pourrait qualifier d'instinctives ou de spontanées
plutôt que de volontairement planifiées un bon
nombre de leurs décisions relatives à ces activités.
Le témoin Johnson-Watson a déclaré dans sa
déposition que, même pendant les années 1975 à
1978 lorsqu'il était directeur régional du bureau
régional de Fort Saint John, il a constaté que les
Cri-Dunne-za étaient fort peu compétents pour
administrer leurs affaires financières, qu'ils
n'étaient pas de bons fermiers et qu'ils dépendaient
encore dans une large mesure des conseils et avis
du personnel du Ministère. La plupart des autres
bandes indiennes étaient sensiblement plus avan-
cées dans ces domaines. Leur société était indivi-
dualiste, chaque membre ayant à compter l'un sur
l'autre et ayant peu l'esprit de compétition.
NATURE DU TITRE, DU RAPPORT ET DE L'OBLIGA-
TION
L'arrêt faisant autorité relativement à la nature
du droit des Indiens inscrits sur des terres et au
rapport existant entre ceux-ci et la Couronne est
sans contredit Guerin et autres c. La Reine et
autre, [1984] 2 R.C.S. 335.
Tous les juges ont reconnu et reconfirmé dans
cet arrêt que le droit des Indiens sur des biens
immobiliers n'était pas un droit de propriété
reconnu par la loi, mais simplement un [TRADUC-
TION] «droit personnel, de la nature d'un usufruit»,
comme l'a statué le Conseil Privé dans l'affaire St.
Catherine's Milling and Lumber Company v. Reg.
(1888), 14 App. Cas. 46, à laquelle a souscrit
récemment la Cour suprême dans l'arrêt Smith c.
La Reine, [1983] 1 R.C.S. 554.
Dans ses motifs auxquels ont souscrit les juges
Ritchie et McIntyre, le juge Wilson a déclaré que
même si le paragraphe 18(1) de la Loi sur les
Indiens [S.R.C. 1952, chap. 149] n'imposait pas
en soi à la Couronne une obligation de fiduciaire, il
reconnaissait l'existence d'une telle obligation
ayant sa source dans le titre aborigène et il recon-
naissait également la réalité historique que les
Indiens ont un droit de bénéficiaire sur les réserves
et qu'il incombe à la Couronne de protéger ce
droit. La Couronne ne détient pas les terres en
fiducie, avant la cession. Toutefois, au moment de
la cession, le rapport fiduciaire général qui existait
préalablement se cristallise en fiducie explicite.
Le juge en chef [alors juge puîné], dont les
motifs ont reçu l'appui des juges Beetz, Chouinard
et Lamer, a adopté un point de vue un peu diffé-
rent en ce qui concerne ce rapport.
Le droit des Indiens sur les terres est inaliéna-
ble, sauf dans le cas d'une cession, et il impose par
sa nature à la Couronne une obligation d'equity,
exécutoire en justice, d'utiliser ces terres au profit
des Indiens. Tout comme le juge Le Dain, qui
avait prononcé le jugement de la Cour d'appel
fédérale [(1982), 143 D.L.R. (3d) 416] dans cette
affaire, ces juges estimaient que la Couronne ne
possède pas les terres en fiducie pour les Indiens
après la cession. Ils n'étaient toutefois pas d'accord
pour dire qu'au moment de la cession, l'obligation
de la Couronne se cristallisait d'une manière ou
d'une autre en fiducie explicite ou implicite. Ils
étaient d'avis que, par suite d'une cession incondi-
tionnelle, il y a disparition du droit des Indiens sur
le bien-fonds. Aucun droit de propriété pouvant
constituer l'objet de la fiducie n'est transféré et la
cession n'engendre pas non plus de fiducie par
interprétation. Toutefois, la Couronne doit détenir
les terres à l'usage et au profit de la bande qui les
a cédées et cette obligation est [à la page 387]
«soumise à des principes très semblables à ceux qui
régissent le droit des fiducies, en ce qui concerne
notamment le montant des dommages-intérêts en
cas de manquement». Les juges ont également
ajouté que, même si le rapport fiduciaire présente
une certaine analogie avec le mandat, il n'y a pas
mandat suivant la loi, car le pouvoir d'agir de la
Couronne n'a aucun fondement contractuel et la
bande indienne n'est pas partie à la vente finale-
ment conclue, comme ce serait le cas s'il y avait
mandat.
Après avoir analysé les conséquences de la Pro
clamation royale, 1763 [S.R.C. 1970, Appendice
II, n° 1], le juge en chef déclare à la page 383 de
ses motifs de jugement:
Cette exigence d'une cession vise manifestement à interposer
Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire
éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens
se fassent exploiter. Cet objet ressort nettement de la Proclama
tion royale elle-même qui porte, au début de la disposition qui
fait de Sa Majesté un intermédiaire, «qu'il s'est commis des
fraudes et des abus dans les achats de terres des sauvages au
préjudice de Nos intérêts et au grand mécontentement de ces
derniers ...N
Cependant, il semble évident que le rapport
fiduciaire spécial naît lorsqu'il y a cession. Le juge
en chef dit à la page 382:
... mais il est également vrai, comme nous allons le constater
plus loin, que ce droit, lorsqu'il est cédé, a pour effet d'imposer
à Sa Majesté l'obligation de fiduciaire particulière d'utiliser les
terres au profit des Indiens qui les ont cédées. Ces deux aspects
du titre indien vont de pair, car, en stipulant que le droit des
Indiens ne peut être aliéné qu'à elle-même, Sa Majesté voulait
au départ être mieux en mesure de représenter les Indiens dans
les négociations avec des tiers. Le droit des Indiens se distingue
donc surtout par son inaliénabilité générale et par le fait que Sa
Majesté est tenue d'administrer les terres pour le compte des
Indiens lorsqu'il y a eu cession de ce droit. Toute description du
titre indien qui va plus loin que ces deux éléments est superflue
et risque d'induire en erreur. [C'est moi qui souligne.]
Pour sa part, le juge Estey a choisi de trancher
l'action en fonction uniquement du rapport man-
dant-mandataire, sans se demander s'il existait une
fiducie, un rapport fiduciaire ou une obligation
antérieure à la cession.
J'estime être lié par les opinions exprimées par
le juge en chef et les trois juges qui y ont souscrit,
opinions qui me paraissent également être les plus
plausibles. Ce point de vue a depuis été suivi par le
juge Urie dans l'appel interjeté dans l'affaire
Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3 (version
abrégée); (1985), 58 N.R. 241 (C.A.), pages 47
et 48 C.F.; paragraphes 52 et 53, page 257 N.R. À
l'exception des obligations spéciales que peuvent
créer les traités, la Couronne n'est tenue par
aucune obligation ou rapport fiduciaire spécial en
ce qui concerne les terres des réserves avant qu'el-
les ne soient cédées et, a fortiori, elle ne l'est pas
non plus une fois que les terres cédées ont été
transférées et subséquemment vendues. L'obliga-
tion naissant à ce moment concerne les produits de
la vente. Il est possible qu'il existe effectivement
une obligation morale, sociale ou politique de pren-
dre particulièrement soin des Indiens et de les
protéger (en particulier, les bandes indiennes qui
ne sont pas avancées aux points de vue social et
politique ni en ce qui concerne l'éducation) contre
l'égoïsme, la cupidité, les ruses, les stratagèmes et
les supercheries de l'homme blanc. Ce genre
d'obligation politique, non exécutoire en justice,
qui, selon la Cour d'appel fédérale, s'appliquait à
la Couronne dans l'arrêt Guerin (précité) par suite
de la cession (principe qui a évidemment été rejeté
par la Cour suprême), serait applicable avant que
la cession soit effectuée. Cette question juridique
revêt une certaine importance en l'espèce, les avo-
cats des demandeurs ayant allégué qu'avant la
cession et par suite de la vente finalement conclue
relativement aux terres cédées, la Couronne a violé
certaines des obligations fiduciaires auxquelles elle
aurait été tenue, par exemple l'obligation de pren-
dre des mesures pour empêcher certains fermiers
blancs de faire paître leurs troupeaux dans certai-
nes parties de la réserve.
Même si, je le répète, trois juges de la Cour
suprême (les juges Ritchie, McIntyre et Wilson)
ont statué qu'il existait une obligation fiduciaire à
l'égard des terres avant qu'elles ne soient cédées, ni
ces juges ni personne d'autre n'a laissé entendre
qu'il serait possible qu'une obligation fiduciaire
générale reconnue par la loi continue à exister en
ce qui concerne les terres une fois qu'elles ont été
vendues ou autrement aliénées.
La Loi sur les Indiens apporte certaines restric
tions aux actes et aux droits des Indiens inscrits.
Sauf dans la mesure où ces restrictions particuliè-
res pourraient les empêcher d'agir librement, les
Indiens ne doivent pas être légalement traités
comme s'ils étaient incapables d'exercer pleine-
ment leurs droits, comme le sont les mineurs ou les
personnes incapables de s'occuper de leurs affaires,
ce qui créerait pour la Couronne une obligation
fiduciaire, exécutoire en justice, de les protéger ou
d'intenter des actions en leur nom. Ils sont pleine-
ment habilités à recourir aux lois fédérales et
provinciales ainsi qu'à notre système judiciaire
pour faire valoir leurs droits, comme ils le font
d'ailleurs en l'espèce.
Enfin, les dispositions de la Constitution ne sont
d'aucune utilité pour les demandeurs sur ce point.
La Loi sur les Indiens a été adoptée en vertu du
pouvoir exclusif conféré au Parlement du Canada
par le paragraphe 91(24) de la Loi constitution-
nelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.)
[S.C.R. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1)].
Cette disposition ne comporte pas plus l'obligation
légale de légiférer ou de mettre en oeuvre des
programmes pour le bénéfice des Indiens que
l'existence de divers groupes défavorisés dans la
société crée pour les gouvernements une obligation
générale, exécutoire en justice, de prendre soin de
ces groupes, même s'il existe évidemment une obli
gation morale et politique de le faire dans une
société démocratique oû le bien-être de l'individu
est jugé primordial.
Toutefois, je m'empresse d'ajouter que chaque
fois que des conseils sont demandés ou qu'ils sont
offerts, qu'ils aient été sollicités ou non, ou lors-
qu'une action est intentée, la Couronne est tenue
de faire preuve d'une prudence raisonnable en
offrant ces conseils aux Indiens ou en intentant
une action en leur nom. La question de savoir si la
Couronne a fait preuve de prudence ou de dili
gence raisonnable dépendra évidemment de toutes
les circonstances de l'affaire; parmi ces circons-
tances, il faut bien sûr inclure l'inconscience,
l'ignorance, le manque de compréhension, de subti-
lité, d'ingéniosité ou de ressources de la part des
Indiens, dont on peut raisonnablement s'attendre
que la Couronne soit au courant. Étant donné qu'il
s'agit d'une telle situation en l'espèce, la Couronne
est tenue d'une lourde obligation dont la violation
permettra l'utilisation des recours en equity et de
ceux prévus dans la loi.
Lorsqu'il existe un véritable rapport fiduciaire,
comme c'est le cas en l'espèce par suite de la
cession de 1945, il faut faire preuve du même
degré de prudence et de diligence pour traiter de
l'objet de l'obligation fiduciaire que lorsqu'il s'agit
d'une véritable fiducie (voir l'arrêt Guerin et
autres c. La Reine et autre, précité, page 376). Le
critère applicable est un critère objectif: la bonne
foi et une conscience tranquille ne suffiront pas. Il
existe une autre similitude avec une fiducie: lors-
qu'un fiduciaire possède un droit quelconque rela-
tivement à l'objet d'une fiducie, il lui incombe de
prouver que tous les droits présents et futurs du
bénéficiaire sont protégés et qu'il leur accorde
priorité absolue, et qu'il s'occupe de l'objet de la
fiducie pour l'avantage du bénéficiaire et à l'exclu-
sion de son propre droit dans la mesure où il peut y
avoir un conflit entre ceux-ci. En l'espèce, une
obligation semblable incombe à la Couronne en ce
qui concerne l'obligation d'equity à laquelle elle
est tenue à l'égard des demandeurs.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
A l'exception d'un permis d'exploration d'un an
accordé en 1940, aucun bail n'a été consenti ni
demandé relativement à l'exploitation pétrolière,
gazière ou minière de la R.l. 172 si ce n'est
plusieurs années après le transfert au Directeur
des terres destinées aux anciens combattants, en
1948. A. cette époque, aucun champ pétrolier ou
minier n'avait été découvert à moins de 340 milles
(Leduc), sauf un petit champ gazier à Pouce
Coupé, à quelque 50 milles de là, sur la frontière
Alberta—Colombie-Britannique. Jusqu'en 1981,
aucun gisement pétrolier n'a été relevé dans la
région Pouce Coupé. Aucune exploration n'a été
effectuée en vue de trouver du gaz ou du pétrole
dans la R.I. 172 avant 1976. La R.I. 172 n'était
pas non plus comprise dans les quatorze grandes
régions situées au nord-est de la Colombie-Bri-
tannique et choisies comme lieux d'exploration
pétrolière en 1950 par un consortium pétrolier.
Ce n'est qu'en 1976 que s'est produite la prin-
cipale découverte de pétrole dans la R.I. 172,
dans une poche anormale entre les couches de
roche. L'opinion de l'expert des demandeurs,
selon laquelle [TRADUCTION] «dans les années
1940, il aurait été évident, même pour un simple
observateur, que la région de la Peace River en
Colombie-Britannique avait suscité un intérêt
commercial important en ce qui concerne le
pétrole et /e gaz», n'a pu être retenue parce que
la preuve ne permettait tout simplement pas d'en
arriver à cette conclusion. L'opinion du géologue
de la défenderesse devait être retenue. L'intérêt
qu'a suscité la découverte du champ Leduc en
1947 n'a touché que les régions situées près
d'Edmonton et de Calgary et n'a eu peu ou pas
d'effet en Colombie-Britannique. Cette année-là,
la question n'était pas de savoir s'il y avait du
pétrole dans la R.I. 172, mais plutôt s'il était
possible de trouver des gisements rentables de
pétrole ou de gaz naturel, où que ce soit dans la
région nord-est de la Colombie-Britannique. L'opi-
nion de l'expert de la défenderesse n'a pas été
détruite par la preuve que, en 1950, Sun Oil
Company avait acquis des droits d'exploration
relativement à la R.I. 172. Cette société avait
risqué une somme limitée mais n'en a rien tiré
pendant de nombreuses années. Il a été démon-
tré que la découverte de pétrole, un quart de
siècle après 1947, était l'effet du hasard et que le
gisement était exceptionnel, aussi ne pouvait-il en
aucune façon avoir été prévu en 1948. Jusqu'à
cette découverte, les droits miniers afférents à la
R.I. 172 avaient une valeur minime. D'ailleurs, le
fait que les droits miniers n'aient jamais été men-
tionnés dans la vente au Directeur ou dans les
ventes aux anciens combattants vient confirmer
cette opinion.
J'estime que, si on tient compte du rapport
fiduciaire liant alors Sa Majesté la Reine aux
demandeurs, on ne pouvait raisonnablement s'at-
tendre à ce qu'aucun des fonctionnaires, préposés
ou mandataires de cette dernière, exerçant toute la
prudence et l'attention voulues dans l'exécution de
ses obligations fiduciaires, ait pu prévoir à quelque
moment que ce soit, en 1948 ou avant, que les
droits miniers éventuels afférents à la R.I. 172
auraient une valeur réelle ou qu'il y aurait un
avantage raisonnablement prévisible à conserver
ces droits.
TRAITÉ N° 8
Les demandeurs ont officiellement adhéré au
Traité n° 8 en mai 1900 (pièce 1 déposée à l'ins-
truction). Conformément à ce traité, ils ont obtenu
en 1916 la R.I. 172 dont la superficie était de
18 168 acres. Les trois nouvelles réserves qu'ils ont
finalement obtenues en 1950 après la cession et la
vente de la R.I. 172 couvraient quelque 6 194
acres. Les demandeurs prétendent avoir droit à la
différence comme nouvelles réserves, soit une
superficie de 11 974 acres, pour compenser la perte
des avantages qui leur étaient garantis par le
Traité n° 8 parce qu'ils allèguent que, selon le
libellé du Traité, la Couronne était obligée de
mettre à part pour eux, à perpétuité, une juste
partie du territoire cédé par traité.
Les parties ne contestent pas que, lorsque les
demandeurs ont reçu les 18 168 acres de terre, ils
ont obtenu un droit absolu sur les terres de la
réserve conformément au Traité. Les trois para-
graphes du Traité traitant des droits afférents aux
terres de la réserve se trouvent à la page 15; en
voici le texte:
Et Sa Majesté la Reine par les présentes convient et s'oblige
de mettre à part des réserves pour les bandes qui en désireront,
pourvu que ces réserves n'excèdent pas en tout un mille carré
pour chaque famille de cinq personnes pour tel nombre de
familles qui désireront habiter sur des réserves, ou dans la
même proportion pour des familles plus ou moins nombreuses
ou petites; et pour les familles ou les sauvages [sic] particuliers
qui préféreront vivre séparément des, réserves des bandes, Sa
Majesté s'engage de fournir une terre en particulier de 160
acres à chaque sauvage [sic], la terre devant être cédée avec
une restriction quant à l'inaliénation sans le consentement du
Gouverneur général du Canada en conseil, le choix de ces
réserves et terres en particulier devant se faire de la manière
suivante, savoir: le Surintendant général des Affaires des Sau-
vages [sic] devra députer et envoyer une personne compétente
pour déterminer et assigner ces réserves et terres après s'être
consulté avec les sauvages [sic] intéressés quant à la localité
que l'on pourra trouver convenable et disponible pour le choix.
Pourvu, néanmoins, que Sa Majesté se réserve le droit de
régler avec tous les colons établis dans les limites de toute terre
réservée pour une bande de la manière qu'elle trouvera conve-
nable, et aussi que lesdites réserves de terre ou tout droit sur ces
terres pourront être vendus et adjugés par le gouvernement de
Sa Majesté pour le bénéfice et avantage des dits sauvages [sic]
qui y auront droit, après qu'on aura au préalable obtenu leur
consentement.
Il est de plus convenu entre Sa Majesté et ses dits sujets
sauvages que telles parties des réserves et des terres ci-dessus
indiquées qui pourront de temps à autre être requises pour des
travaux publics, des édifices, des chemins de fer, ou des routes
de quelque nature que ce soit, pourront être prises dans ce but
par le gouvernement de Sa Majesté du Dominion du Canada, et
il sera accordé une indemnité convenable en compensation des
améliorations qui y auront été faites, et un équivalent en terre,
en argent ou autre considération pour l'étendue de la réserve
ainsi appropriée.
On trouve à la page 279 de l'arrêt The Queen v.
George, [1966] R.C.S. 267, l'exposé suivant du
droit en ce qui concerne le traité de 1827:
[TRADUCTION] J'estime que nous devrions essayer d'inter-
préter le traité de 1827 et les lois du Parlement qui ont une
incidence sur la question dont nous avons été saisis de manière
que l'honneur de la Souveraine soit préservé et qu'on ne puisse
reprocher au Parlement d'avoir retiré aux Indiens par un acte
unilatéral et sans leur accorder de contrepartie les droits qui
leur sont solennellement garantis par le traité ainsi qu'à leurs
descendants.
Ce même principe s'appliquerait très certaine-
ment au Traité n° 8.
Même la plus libérale des interprétations, faite
conformément au principe dégagé dans l'arrêt The
Queen v. George relativement aux clauses précitées
du Traité, nous amène inévitablement à conclure
que, une fois que la Couronne a mis de côté à titre
de réserve l'étendue de terre requise, elle a rempli
l'obligation que lui impose le Traité en ce qui
concerne les terres de la réserve. En d'autres
termes, les deuxième et troisième paragraphes sont
incompatibles avec l'existence d'une obligation
perpétuelle de continuer à fournir des terres jus-
qu'à concurrence de la superficie prévue, une fois
que la bande indienne a légalement cédé une
réserve et que celle-ci a, par la suite, été vendue et
que les produits de sa vente ont été portés au crédit
de la bande ou lui ont été versés. En vertu du
Traité, il ne subsiste aucun droit permettant à la
bande indienne de recevoir, en plus des produits de
la vente, d'autres terres dont la superficie égale
celle de la réserve initialement mise à part confor-
mément aux obligations imposées à la Couronne
par le Traité.
Les avocats des demandeurs ont invoqué certai-
nes des déclarations figurant dans le rapport des
commissaires sur le Traité n° 8, en date du 22
septembre 1899. Ce rapport est annexé au Traité
comme élément de la pièce 1 déposée à
l'instruction.
Les commissaires étaient chargés de négocier
avec diverses bandes indiennes se trouvant dans le
territoire qui devait être visé par le Traité et
d'obtenir leur adhésion. Les avocats ont allégué
que les déclarations des commissaires, comme en
fait foi le rapport, ont créé l'obligation de conti-
nuer à fournir des terres jusqu'à concurrence de la
superficie mentionnée dans le Traité, malgré le fait
que ces terres puissent avoir été cédées à un
moment ou un autre, selon les règles et avec le
consentement des Indiens.
Étant donné le rapport spécial existant entre la
Couronne et les Indiens, l'analphabétisme de ces
derniers et leur dépendance à l'égard des manda-
taires de la Couronne, si une déclaration spéciale
en ce sens avait effectivement été faite aux Indiens
avant la signature du Traité, elle lierait légalement
la Couronne, même s'il était possible qu'elle n'ait
pas été incorporée dans le libellé formel du Traité.
Les demandeurs invoquent expressément la
phrase soulignée dans le paragraphe suivant figu-
rant dans le rapport des commissaires:
On donna aux sauvages le choix de prendre des réserves ou
des terres en particulier. Comme l'étendue du pays couverte par
le traité rendait impossible de définir des réserves ou des
propriétés, et comme les sauvages n'étaient pas prêts à faire un
choix, nous nous contentâmes d'entreprendre de mettre à part à
l'avenir les réserves et les propriétés, et les sauvages furent
satisfaits de la promesse que cela se ferait lorsqu'ils le deman-
deraient. Il n'y a aucune nécessité immédiate de faire un tracé
général des réserves ou de faire une répartition des terres. Il
sera bien assez tôt de le faire lorsque l'avancement de la
colonisation rendra nécessaire l'arpentage des terres. De fait les
sauvages s'opposaient en général à être placés sur les réserves.
Il eût été impossible de faire un traité si nous ne leur avions pas
assuré que nous n'avions aucune intention de les confiner dans
des réserves. Nous avons dû leur expliquer que la disposition
relative aux réserves et à la répartition des terres était faite
pour les protéger et pour leur assurer à perpétuité une portion
raisonnable de la terre cédée, dans le cas où la colonisation
avancerait. [C'est moi qui souligne.]
Je ne peux tout simplement pas attribuer à cette
déclaration le sens que les demandeurs me pressent
de lui donner, soit que l'engagement consiste à
fournir des terres de réserve lorsque les Indiens le
demandent jusqu'à concurrence de la superficie
prévue. Une fois que ces terres leur ont été four-
nies, elles leur appartiennent à perpétuité et elles
ne peuvent leur être retirées sans leur consente-
ment. Tels sont l'effet et l'essence de la déclara-
tion. Il n'est nulle part mentionné que, si une
réserve est par la suite aliénée avec le consente-
ment des Indiens obtenu suivant les règles, de
nouvelles réserves seront fournies. Une obligation
politique ou morale de le faire pourrait exister
dans certains cas, mais le Traité n° 8 ne crée pas
une telle obligation légale. Il se pourrait également
que l'octroi de nouvelles terres de réserve constitue
l'une des conditions imposées par les Indiens ou
proposées et acceptées par la Couronne au moment
de la cession d'une réserve, mais cela ferait l'objet
d'un nouvel accord et n'a rien à voir avec le Traité
n° 8; il n'en est pas non plus question directement
ou indirectement dans le Traité ni dans le rapport
des commissaires.
LA CESSION DE 1940
Le 9 juillet 1940, les demandeurs ont cédé à la
Couronne leurs droits miniers afférents à la R.I.
172 [TRADUCTION] «en fiducie aux fins de leur
cession à bail à une ou plusieurs personnes et selon
les conditions que le gouvernement du Canada
peut juger les plus appropriées pour assurer notre
bien-être et celui de notre peuple». L'acte de ces
sion a été signé par Succona et Joseph Apsassin,
les mêmes chef et sous-chef qui ont signé par la
suite la cession de 1945. La cession de 1940 a
également été signée par trois conseillers ou [TRA-
DUCTION] «membres principaux».
L'article 51 de la Loi prévoit les exigences rela
tives à la validité d'une cession ou d'une rétroces-
sion de «terres indiennes». Voici le libellé de la
première partie de cet article:
51. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle
cession ou rétrocession d'une réserve ou d'une partie de réserve
à l'usage d'une bande, ou d'un Indien en particulier, n'est valide
ni obligatoire, à moins que la cession ou rétrocession ne soit
ratifiée par la majorité des hommes de la bande qui ont vingt et
un ans révolus, et ce à une assemblée ou à un conseil de la
bande convoqué pour en délibérer conformément aux usages de
la bande, et tenu en présence du surintendant général, ou d'un
fonctionnaire régulièrement autorisé par le gouverneur en son
conseil ou par le surintendant général à y assister.
Je le répète, ni la validité de cette cession ni non
plus le consentement éclairé des Indiens à celle-ci
n'ont été contestés contrairement à ce qui fut le
cas pour la cession subséquente de 1945. Cette
dernière visait la vente ou la location et le point
litigieux entre les parties en ce qui concerne la
cession des droits miniers en 1940 aux fins de leur
location consistait à savoir si, par conséquent, les
droits miniers n'étaient pas inclus dans la cession
de 1945 ou ne pouvaient y être inclus.
Il est important de se rappeler que le titre sur les
terres de la réserve appartenait en tout temps à la
Couronne. Par ce qu'on pourrait appeler la clause
de concession dans l'acte de cession de 1940, tous
les droits usufruitiers que les demandeurs possé-
daient relativement [TRADUCTION] «au pétrole et
au gaz naturel ainsi qu'aux droits miniers con-
nexes» en ce qui concerne la R.I. 172 ont été
effectivement cédés au Roi. Par contre, il est ques
tion dans la cession de 1945 de la réserve elle-
même et non d'un droit restreint afférent à celle-ci,
et, par cette cession, l'ensemble de la réserve est
cédé pour toujours à Sa Majesté. Évidemment,
cela ne peut que viser les droits usufruitiers ou
autres droits que les Indiens peuvent posséder sur
l'ensemble de la réserve. Il n'y a aucune restriction
dans la clause de concession; la clause de l'haben-
dum prévoit qu'il y a cession [TRADUCTION] «en
fiducie aux fins de vendre ou de louer ... et que les
sommes reçues seront portées à notre crédit de la
manière habituelle.» Lorsque la description d'un
bien cédé ne comporte aucune restriction ni
réserve, l'ensemble du bien mentionné, qu'il
s'agisse d'un bien réel ou personnel, et tous les
droits afférents, qu'il s'agisse de droits légaux, en
equity ou usufruitiers, sont présumés faire partie
de la cession. Il ne s'agit pas seulement d'une règle
de common law, mais de bon sens.
Si on présume pour l'instant que les demandeurs
ont librement consenti, en toute connaissance de
cause, à la cession effectuée en 1945, on pourrait
normalement conclure à la simple lecture des deux
documents, et en l'absence de preuve contraire,
que les deux parties voulaient, en signant la cession
de 1945, que tous les droits de propriété des
demandeurs, y compris les droits de propriété ou
autres droits qu'ils pouvaient posséder sur les
minéraux de la réserve, soient cédés aux fins men-
tionnées dans cet acte, c'est-à-dire leur vente ou
leur location par la Couronne pour le profit des
Indiens. J'estime que cet acte, lorsqu'on l'inter-
prète en fonction du principe dégagé dans l'arrêt
The Queen v. George (précité), impose à la Cou-
ronne, au moment de la vente ou de l'aliénation
absolue de la réserve, l'obligation de mettre à part
pour les demandeurs non seulement toute contre-
partie qui pourrait être attribuable aux droits usu-
fruitiers cédés, mais aussi toute partie de la contre-
partie totale qui pourrait être accordée pour le
reste du titre de propriété absolu. De toute
manière, un titre de propriété absolu n'a aucune
valeur réelle lorsqu'il est assorti d'un droit usufrui-
tier illimité et perpétuel, afférent à l'ensemble des
terres en cause.
Toutefois, les avocats des demandeurs ont allé-
gué que, quel que soit le sens que l'on puisse
essayer d'attribuer à l'acte de cession de 1945, les
droits de leurs clients sur le pétrole et le gaz
naturel ne pouvaient désormais plus être légale-
ment cédés par cet acte parce qu'ils ne faisaient
plus partie de la réserve: par suite de la cession de
1940 qui a été acceptée par décret du conseil, ils
sont devenus «terres indiennes» et ils ne pouvaient
être rétrocédés en 1945. Par suite de la cession de
1940, les droits miniers ont été séparés des autres
droits que les Indiens possédaient relativement à la
R.I. 172.
L'acte de cession de 1940 a été dûment accepté
par le gouverneur en conseil en novembre 1941,
par le Q.C. 8939 (pièce 214 produite à l'instruc-
tion) et ce, conformément aux exigences du para-
graphe 51(4) de la Loi des Indiens.
L'argumentation repose essentiellement sur les
définitions de «terres indiennes», «terres des
Indiens» et de «réserve» figurant dans la Loi de
1927. L'alinéa 2l) de cette Loi définit «terres
indiennes» et «terres des Indiens» comme suit:
2....
1) «terres indiennes», «terres des Indiens» signifie toute
réserve ou partie de réserve qui a été cédée à la, Couronne;
Le mot «réserve» est défini comme suit à l'alinéa
2h):
2....
h) «réserve» signifie toute étendue de terre mise à part, par
traité ou autrement, pour l'usage ou le profit d'une bande
particulière d'Indiens ou concédée à cette bande, et dont
le titre légal est attribué à la Couronne, et qui fait encore
partie de la réserve et n'a pas été rétrocédée à la Cou-
ronne, et comprend les arbres, le bois, la terre, la pierre,
les minéraux, les métaux et autres choses de valeur qui se
trouvent à la surface ou à l'intérieur du sol;
Se fondant sur ces définitions, les avocats des
demandeurs ont allégué que, une fois la cession
effectuée en 1940, le pétrole et le gaz naturel sont
devenus des «terres indiennes» et ne constituaient
donc plus une réserve ou une partie de réserve; ils
ne pouvaient donc être aliénés qu'à titre de droits
pétroliers et gaziers afférents aux réserves, confor-
mément aux Règlements de 1930 dont l'alinéa la)
prévoyait qu'ils pouvaient être loués 0,50 $ l'acre
pour la première année et ensuite, 1 $ l'acre pour
chaque année subséquente, s'ils avaient été cédés
en fiducie à Sa Majesté conformément à l'article
50 de la Loi des Indiens. Les avocats ont invoqué
principalement l'arrêt St. Ann's Fishing Club v.
The King, [1950] R.C.S. 211, où le juge Tasche-
reau a déclaré à la page 215:
[TRADUCTION] Les terres en cause faisaient anciennement
partie d'une «Réserve» pour l'usage ou le profit des Chippewa et
des Pottawatomie de Walpole Island, et il ne fait aucun doute
qu'elles ne pouvaient à l'origine être louées en mai 1881 aux
prédécesseurs de l'appelant, à moins qu'elles n'aient été cédées
à la Couronne. Une cession a pour effet de faire d'une réserve
ou d'une partie de réserve des «terres indiennes», expression
définie à l'alinéa 2k) de la Loi des Indiens ((c'est-à-dire à
l'alinéa 21) de la Loi de 1927)) comme «toute réserve ou partie
de réserve qui a été cédée à la Couronne». [C'est moi qui
souligne et qui ajoute le texte entre doubles parenthèses.]
Ils ont également invoqué la déclaration sui-
vante du juge Kerwin aux pages 212 et 213 du
même arrêt:
[TRADUCTION] Au cours des débats, on a demandé si on
pouvait prétendre que la cession «ayant pour but de permettre
que le territoire décrit puisse être loué aux requérants aux fins
d'y chasser et d'y pêcher pour la durée et aux conditions que le
surintendant des Affaires indiennes peut juger dans notre inté-
rêt», constituait effectivement une cession conditionnelle et si,
dans l'éventualité où cette condition ne serait pas remplie, les
terres seraient rendues. On a laissé entendre qu'une réponse à
cette question ne serait d'aucune utilité à l'appelant, ce qu'a
indiqué très clairement M. Jackett lorsqu'il a invoqué les
alinéas 2i) et k) ((c'est-à-dire les alinéas 2h) et 1) de la Loi de
1927)) et les articles 19, 48 et 49 de la Loi sur les sauvages,
chap. 81, S.R.C. 1906. Si d'une manière ou d'une autre les
terres redevenaient une partie de la réserve, l'article 49
((c'est-à-dire l'article 51 de la Loi de 1927)) s'appliquerait et,
sous réserve de ce que prévoit la Partie I, aucune concession ou
cession d'une réserve ou d'une partie de réserve ne sera valide
ou ne liera les parties que si ladite concession ou cession
respecte les conditions prévues. [C'est moi qui souligne et qui
ajoute le texte entre doubles parenthèses.]
On peut clairement établir une distinction entre
l'arrêt St. Ann's Fishing Club et l'espèce, car il
s'agissait de la cession d'une île entière constituant
une partie de la réserve alors que les droits pétro-
liers et gaziers ne constituent qu'un simple droit
sur l'ensemble de la réserve. La cession de 1940
n'était pas celle «d'une partie de» réserve telle que
prévue à l'alinéa 2l) et comme cela a été le cas
dans l'arrêt St. Ann's Fishing Club; il s'agissait
plutôt de la cession d'un droit sur une partie de
l'ensemble de la réserve. En outre, la Loi prévoit
qu'une réserve est une étendue de territoire qu'elle
définit comme suit: «étendue de terre mise à part
... et comprend les arbres, le bois ... les miné-
raux, les métaux et autres choses de valeur». Cela
signifie simplement que les terres de la réserve
comprennent ces objets et non qu'un droit tel
qu'une tenure à bail sur l'un quelconque de ces
objets constitue une réserve. Il se peut que l'inclu-
sion de ces objets dans le mot «réserve» ait été
jugée préférable parce que les Indiens ne possèdent
pas un titre de propriété sur la réserve mais plutôt
un droit usufruitier et qu'il n'existe pas, dans un
tel cas, une règle de common law prévoyant,
comme c'est le cas pour un titre de propriété
absolu, que tous ces objets font nécessairement
partie d'un fief simple à moins d'en être expressé-
ment exclus.
Enfin, rien dans la Loi sur les Indiens n'interdit
à la bande indienne de changer d'avis et d'approu-
ver et de conclure un autre arrangement avec la
Couronne. Les avocats des demandeurs ont, en
fait, allégué qu'en raison de la fiducie obligeant la
location, fiducie qui a été imposée à la Couronne
par la cession de 1940, les droits miniers des
Indiens ne pouvaient désormais plus, par suite de
cette cession, être autrement aliénés que par bail,
même si la Couronne et les Indiens devaient subsé-
quemment consentir à leur vente ou à leur aliéna-
tion à titre de partie de la réserve. Cela nous
amènerait à conclure illogiquement que ces droits
pétroliers et gaziers ne pourraient plus jamais être
vendus alors que les autres droits afférents à la
réserve pourraient être cédés à cette fin. Pour
pouvoir arriver à une conclusion aussi extraordi-
naire, il faudrait qu'il existe une disposition claire
et sans équivoque à cet effet dans la Loi sur les
Indiens. Celle-ci ne contient aucune disposition
limitant de cette manière le droit d'aliénation. Les
dispositions législatives entraînent parfois des
absurdités, mais avant d'accepter celles-ci, les tri-
bunaux doivent tout au moins exiger que, dans de
tels cas, l'intention du législateur soit exprimée
clairement et sans équivoque et que le libellé uti-
lisé ne puisse absolument pas donner lieu à une
autre interprétation.
Dans leur argumentation concernant la sépara-
tion des droits pétroliers et gaziers des autres
droits afférents à la réserve et les conséquences
d'une telle séparation, les avocats des demandeurs
ont invoqué l'ouvrage Armour on Real Property,
2e éd., 1916, ainsi que les affaires Humphries v.
Brogden (1850), 12 Q. B. 739; Algoma Ore Prop
erties Ltd. v. Smith, [1953] 3 D.L.R. 343 (C.A.
Ont.); Stoughton v. Leigh (1808), 1 Taunt. 402;
127 E.R. 889 (H.C. Ch.); Ex p. Jackson, [1925] 1
D.L.R. 701 (C.S. Alb., Div. d'appel), à la page
702; Berkheiser v. Berkheiser and Glaister, [1957]
R.C.S. 387; Martyn v. Williams (1857), 1 H. &
N. 817; 156 E.R. 1430 (Exch.); et Earl of Lons-
dale v. Lowther, [ 1900] 2 Ch. 687. Cette jurispru
dence n'a aucune incidence sur la question fonda-
mentale de savoir si les droits cédés aux fins de
leur location en 1940 pouvaient légalement faire
partie de la cession de 1945 et être finalement
vendus libres de toute fiducie obligeant leur loca
tion en faveur des demandeurs, fiducie originelle-
ment créée par la cession de 1940.
Par conséquent, j'estime que les droits pétroliers
et gaziers cédés aux fins de leur location en 1940
pouvaient encore être légalement cédés avec le
reste de la réserve en 1945 soit aux fins de leur
location ou de leur vente, soit à ces deux fins.
VIOLATIONS DE L'OBLIGATION ENTRE 1916 ET
1945
Il n'existe aucun fondement juridique aux actes
de négligence et à la violation non frauduleuse de
l'obligation fiduciaire qui, selon les demandeurs, se
seraient produits entre 1916 et 1945 et qui consis-
taient à avoir permis l'utilisation non autorisée de
terres sur lesquelles les demandeurs possédaient un
droit et à avoir autorisé la province de la Colom-
bie-Britannique à réglementer inadéquatement
l'utilisation de certaines terres. Il n'existe aucune
obligation légale, fiduciaire ou autre, en vertu de
laquelle le ministère des Affaires indiennes est
tenu de réglementer activement les réserves indien-
nes; la défenderesse n'est pas non plus légalement
tenue d'intervenir ou d'utiliser son pouvoir consti-
tutionnel pour annuler une loi provinciale légitime
d'application générale, pour la simple raison
qu'elle touche également les droits des Indiens.
En raison de la nature même des incidents
reprochés, les demandeurs devaient en être au
courant au moment où ils se sont produits. Rien
dans la preuve n'indique qu'une plainte a été
portée auprès du surintendant général ou des fonc-
tionnaires du Ministère en ce qui concerne ces
prétendus intrus, ce qui ferait entrer en jeu l'obli-
gation du Ministère de poursuivre les intrus
comme le prévoyaient les articles 35 et 36 de la
Loi des Indiens de 1927.
Pour les motifs que j'examinerai plus loin, ces
réclamations sont également prescrites parce que
les incidents se seraient produits il y a déjà plus de
trente ans avant l'introduction de la présente
action et qu'on n'a même pas allégué qu'il y avait
eu fraude de la part de la défenderesse à cet égard.
LA CESSION DE 1945
a) Loi applicable
Pour être valide, la cession de 1945 doit notam-
ment avoir été exécutée conformément aux disposi
tions de la Loi des Indiens en vigueur à cette
époque, savoir les articles 4, 50 [mod. par S.C.
1938, chap. 31, art. 1] et 51. Ils sont rédigés en ces
termes:
4. Le ministre de l'Intérieur, ou le chef de tout autre
ministère désigné à cet effet par le gouverneur en son conseil,
est le surintendant général des affaires indiennes, et, à ce titre,
gère et administre les terres et propriétés indiennes en Canada.
50. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle
réserve ou portion de réserve ne peut être vendue, aliénée ni
affermée, avant d'avoir été cédée ou rétrocédée à la Couronne
pour les objets de la présente Partie; mais le surintendant
général peut donner à bail, au profit de quelque Indien, sur sa
demande, la terre à laquelle celui-ci a droit, sans cession ni
abandon, et il peut, sans qu'il y ait eu abandon, disposer de la
manière la plus avantageuse possible pour les Indiens des
graminées sauvages et du bois mort sur pied ou du chablis.
2. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
permettant au surintendant général, à l'égard d'une réserve
indienne, de donner à bail, aux conditions jugées pertinentes
dans l'intérêt des Indiens et de tout autre locataire ou titulaire
de droits de surface,
a) sur abandon conformément à la présente Partie, tout
terrain censé contenir du sel, du pétrole, du gaz naturel, du
charbon, de l'or, de l'argent, du cuivre, du fer ou d'autres
minéraux, et de conférer, à l'égard de ce terrain, le droit de
prospecter ou de faire des travaux miniers pour obtenir l'un
quelconque de ces minéraux, ou le droit de le récupérer ou
emporter, et
b) sans abandon, à toute personne autorisée à extraire l'un
des minéraux mentionnés au présent article, des droits de
surface sur telle étendue de terrain, à l'intérieur d'une réserve
contenant lesdits minéraux, qui peut être nécessaire à leur
extraction.
(Mod. par S.C. 1938, chap. 31, art. 1.)
51. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle
cession ou rétrocession d'une réserve ou d'une partie de réserve
à l'usage d'une bande, ou d'un Indien en particulier, n'est valide
ni obligatoire, à moins que la cession ou rétrocession ne soit
ratifiée par la majorité des hommes de la bande qui ont vingt et
un ans révolus, et ce à une assemblée ou à un conseil de la
bande convoqué pour en délibérer conformément aux usages de
la bande, et tenu en présence du surintendant général, ou d'un
fonctionnaire régulièrement autorisé par le gouverneur en son
conseil ou par le surintendant général à y assister.
2. Nul Indien ne peut voter ni assister à ce conseil, à moins
de résider habituellement dans ou près de la réserve en ques
tion, ou d'y avoir un intérêt.
3. Le fait que la cession ou rétrocession a été consentie par la
bande, à ce conseil ou à cette assemblée, doit être attesté sous
serment par le surintendant général ou par le fonctionnaire
qu'il a autorisé à assister à ce conseil ou à cette assemblée, et
par l'un des chefs ou des anciens qui y a assisté et y a droit de
vote, devant toute personne autorisée à faire prêter serment et
ayant juridiction dans l'endroit où le serment est prêté.
4. Après que ce consentement a été ainsi attesté, comme
susdit, la cession ou rétrocession est soumise au gouverneur en
son conseil, pour qu'il l'accepte ou la refuse. S.R., c. 81, art. 49;
1918, c. 26, art. 2.
b) Nature de la décision de procéder à la
cession
Au sujet de la décision prise par le Ministère de
vendre la R.I. 172 en 1945, l'avocat de la défende-
resse a soutenu que la question de savoir s'il faut
accepter une cession donnée relevait de la politique
administrative du Ministère plutôt que du domaine
de l'exécution. Par conséquent, elle ne pouvait
faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Il s'est appuyé
sur une déclaration faite par lord Diplock dans
l'arrêt Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office,
[1970] A.C. 1004 (H.L.), à la page 1067:
[TRADUCTION] C'est, je crois, pour des raisons d'ordre prati-
que de ce genre qu'au cours du dernier siècle le concept de
l'ultra vires du droit public a remplacé la notion de négligence
du droit civil à titre de critère pour juger de la légalité (et donc
de la possibilité de poursuivre) des actes ou omissions des
ministères ou des organismes publics dans l'exercice du pouvoir
discrétionnaire dont ils sont investis par le Parlement en ce qui
concerne les moyens de réaliser un objectif public déterminé.
Selon ce concept, le Parlement a accordé au Ministère ou à
l'organisme chargé de l'administration de la loi le droit exclusif
de choisir, dans le cadre fixé par le texte législatif, les moyens
qui lui permettront le mieux de s'acquitter de sa mission.
Cet énoncé du droit a été confirmé à nouveau et
appliqué par la suite par la Chambre des lords
dans l'arrêt Anns v. Merton London Borough
Council, [1978] A.C. 728 (H.L.), à la page 754:
[TRADUCTION] Les lois ayant trait aux autorités ou organis-
mes publics comportent, pour la plupart sinon toutes, une large
mesure de politique administrative. Les cours appellent cela
«pouvoir discrétionnaire» pour signifier que la décision appar-
tient à ces autorités ou organismes, et non pas aux tribunaux
judiciaires. Plusieurs lois prescrivent aussi ou du moins présup-
posent l'exécution pratique des décisions de politique: une façon
utile de décrire ce phénomène consiste à dire qu'en plus du
domaine de la politique administrative ou du pouvoir discré-
tionnaire, il existe un domaine d'exécution. Bien que la distinc
tion entre ce qui relève de la politique et ce qui relève de
l'exécution soit utile et nous éclaire, il s'agit probablement
d'une distinction de degré; un bon nombre de pouvoirs et
d'obligations «d'exécution» comportent certains éléments de
«discrétion». On peut affirmer sans contredit que plus un pou-
voir ou une obligation relève du domaine de l'exécution, plus il
est facile de lui superposer une obligation de diligence qui
relève de la common law.
Le principe a également été approuvé par la
Cour suprême du Canada dans l'arrêt Kamloops
(Ville de) c. Nielsen et autres, [ 1984] 2 R.C.S. 2,
et par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique
dans l'arrêt Toews v. MacKenzie (1980), 12
C.C.L.T. 263 (C.A.C.-B.).
Je ne puis admettre l'argument voulant que,
dans les circonstances de l'espèce, la décision d'ac-
cepter la cession ne puisse faire l'objet d'un con-
trôle ni qu'une action en dommages-intérêts ne
puisse être fondée sur son exercice irrégulier. La
décision relève davantage du domaine de «l'exécu-
tion» que de celui de la «politique administrative».
Bien que les pouvoirs du Ministère lui aient été
conférés par une loi, l'étendue de leur exercice est
laissé à la discrétion de celui-ci. Ce pouvoir discré-
tionnaire n'est cependant pas absolu, car le consen-
tement des Indiens doit avoir été obtenu de façon
régulière, et, en réalité, le Ministère ne peut que
recommander l'acceptation du projet de cession,
celui-ci devant être soumis en définitive à l'appro-
bation du gouverneur en conseil. En l'espèce, les
conseils prodigués par le Ministère à la demande
des Indiens ont déterminé ceux-ci, dans une cer-
taine mesure du moins, à donner leur consente-
ment. La décision d'accepter la cession ne peut
logiquement être dissociée des opinions émises par
les autorités qui cherchaient à obtenir le consente-
ment. Pour l'essentiel enfin, les demandeurs ne se
plaignent pas de la politique mais plutôt de sa mise
en oeuvre qui, elle, peut faire l'objet d'un contrôle
et pourrait servir de fondement à une action en
dommages-intérêts si elle s'avérait contraire aux
règles.
c) Documents relatifs à la cession
L'un des principaux points en litige est la ques
tion de savoir si les membres de la bande ont
parfaitement compris la portée de leur décision et
s'ils ont consenti librement à la cession de la R.I.
172 le 22 septembre 1945. Étroitement liée à la
première, une deuxième question concerne la tenue
d'un vote individuel à l'assemblée.
L'acte de cession (pièce 295) et le compte rendu
de M. Grew (pièce 294) en date du 24 septembre
1945 sont, bien sûr, des pièces importantes dont il
faut tenir compte à ce sujet.
L'acte de cession, attesté par MM. Grew et
Galibois, a été signé au nom de la bande par le
chef Succona et quatre autres membres de la
bande, dont le sous-chef Joseph Apsassin. Deux
des trois autres signataires étaient chefs de leur
groupe respectif. Un affidavit à l'égard duquel
l'avocat prétend que les formalités prescrites n'ont
pas été accomplies est joint à l'acte de cession
proprement dit. L'affidavit a été souscrit par M.
Grew, le chef Succona et le sous-chef Joseph
Apsassin devant J. S. Young en sa qualité de
[TRADUCTION] «juge de paix pour la Colombie-
Britannique». Comme la validité de ce document a
été vivement contestée par l'avocat des deman-
deurs, le texte intégral de l'affidavit est reproduit
ci-dessous:
[TRADUCTION] DOMINION DU CANADA
Province de la Colombie-Britannique
Comté de Cariboo
Ont personnellement comparu devant moi
J. L. Grew
de la ville d'Ottawa
dans la province de l'Ontario
le chef Succona et le sous-chef Jos Apsassin, chefs de la bande
indienne de St John Beaver.
Ledit J. L. Grew a déclaré ce qui suit:
L'acte de cession ou de rétrocession ci-joint a été sanctionné
par la majorité des membres de sexe masculin de ladite bande
indienne, ayant atteint l'âge de vingt et un ans et ayant le droit
de vote, qui tous ont assisté à l'assemblée ou conseil.
Ce consentement a été donné à l'assemblée ou conseil de
ladite bande convoqué à cette fin conformément à son règle-
ment ou à celui du Ministère.
Les termes dudit acte de cession ont été traduits pour les
Indiens par un interprète qualifié pour traduire de l'anglais vers
la langue des Indiens.
J'ai assisté à cette assemblée ou conseil et j'ai entendu les
Indiens donner leur consentement.
J'ai été dûment autorisé à assister à ce conseil ou assemblée
par l'assistant-surintendant général des Affaires indiennes.
Aucun Indien n'appartenant pas à la bande ou n'ayant aucun
intérêt sur les terres mentionnées dans ledit acte de cession ou
de rétrocession n'a assisté à l'assemblée ou conseil ni n'y a voté.
Ledit chef Succona et le sous-chef Joseph Apsassin
ont déclaré ce qui suit:
L'acte de cession ou de rétrocession ci-joint a été sanctionné
par la majorité des membres de sexe masculin de ladite bande
indienne ayant atteint l'âge de vingt et un ans et nous.
Ce consentement a été donné à une assemblée ou conseil de
ladite bande indienne convoqué à cette fin, comme il a été
déclaré ci-dessus, et tenu en présence dudit
J. L. Grew.
Aucun Indien n'étant pas résident habituel de la réserve de
ladite bande indienne et n'ayant aucun intérêt sur les terres
mentionnées dans ledit acte de cession ou de rétrocession n'a
assisté à l'assemblée ou conseil ni n'y a voté.
Les termes dudit acte de cession ont été traduits pour les
Indiens par un interprète qualifié pour traduire de l'anglais vers
la langue des Indiens.
Nous sommes le chef et le sous-chef de ladite bande indienne
et nous avons le droit de voter à ladite assemblée ou conseil.
Fait sous serment devant moi par les déposants
au B.P. de Rose Prairie
dans le comté de Cariboo
Ce 22' jour du mois de septembre de l'an de
grâce 1945
J. E. Young
Juge de paix
pour la Colombie-Britannique
Un document décrit comme étant une liste com-
plète des votants en date du 22 septembre 1945 est
également annexé à l'acte de cession. Selon ce
document, 27 membres de la bande étaient pré-
sents et ont voté en faveur de la cession, quatre
membres étaient absents et personne ne s'est
opposé à la cession. La liste a été certifiée exacte
par J. L. Grew.
Dans son compte rendu (pièce 294) adressé à
M. Hoey, directeur de la Direction des Affaires
indiennes, M. Grew a indiqué qu'il faisait parvenir
les papiers de la cession signés ainsi que la liste des
votants. Il informait également M. Hoey du fait
que, le samedi 21 septembre, la bande indienne de
Fort Saint John avait unanimement accepté la
cession de la réserve en vue de sa vente.
Les documents auxquels je fais référence consti
tuent au moins une preuve prima facie du fait que
la bande a librement consenti à la cession de la
R.I. 172 en vue de sa vente et, en l'absence d'une
preuve contraire convaincante, les demandeurs
n'auraient pas gain de cause sur ce point.
Quant à l'objet véritable de la cession et à ses
modalités, j'ai déjà traité, dans une certaine
mesure, des clauses de concession et de l'haben-
dum lorsque j'ai abordé la cession de 1940 (voir la
page 53 ci-dessus). Rappelons brièvement que le
document vise à céder tous les droits détenus par la
bande sur la R.I. 172, sous réserve seulement de
l'obligation de fiduciaire de la Couronne de vendre
ou de louer les terres aux personnes et aux condi
tions qu'elle juge de nature à favoriser le bien-être
de la bande, le produit devant être porté «à notre
crédit de la manière habituelle». Bien que l'acte de
cession soit formulé comme si la propriété absolue
était cédée, il est évident que cette cession ne
pouvait s'opérer puisque la Couronne possédait le
titre de propriété sur les terres avant la cession.
Seuls les droits que les demandeurs détenaient sur
la R.I. 172 pouvaient être légalement cédés.
d) Consentement éclairé
Les demandeurs prétendent que la majorité des
membres de la bande n'a pas donné son consente-
ment et que, de toute façon, s'il y a eu consente-
ment, celui-ci n'était pas un consentement éclairé:
la question aurait été posée aux Indiens de façon
trop soudaine, ils n'auraient pas eu le temps de
peser le pour et le contre et de véritablement
prendre connaissance des incidences de la cession.
De plus, les demandeurs soutiennent que non seu-
lement des faits importants ont été passés sous
silence, mais que des conseils intéressés ont été
donnés aux Indiens parce qu'il était réellement
dans l'intérêt de la Couronne d'obtenir la cession
et qu'il fallait y voir la raison primordiale des
mesures prises. Pour étayer cette argumentation et
ce qu'on pourrait appeler la position supérieure de
la Couronne par rapport aux Indiens, les deman-
deurs se sont fortement appuyés sur la doctrine de
l'abus d'influence telle qu'elle est définie notam-
ment dans les décisions Brusewitz v. Brown,
[1923] N.Z. L.R. 1106 (S.C.); Tufton v. Sperni,
[1952] 2 The Times L.R. 516 (E.C.A.); Allcard v.
Skinner (1887), [1886-1890] All E.R. Rep. 90
(E.C.A.); Lloyds Bank Ltd y Bundy, [1974] 3 All
ER 757 (E.C.A.) et dans d'autres jugements. Voici
un extrait de l'affaire Brusewitz, précitée, à la
page 1109:
[TRADUCTION] Lorsqu'il n'y a pas simplement absence ou
insuffisance de la contrepartie pour la cession des biens mais
que le concédant et le concessionnaire sont également liés par
quelque rapport spécial de confiance, de subordination, de
domination, de pouvoir ou tout autre rapport de supériorité qui
rend raisonnable l'hypothèse selon laquelle la transaction a été
obtenue par le concessionnaire grâce à l'exercice peu scrupu-
leux de son pouvoir sur le concédant, la loi établit une présomp-
tion et fait peser sur le concessionnaire le fardeau d'étayer la
transaction dont il profite et de réfuter la présomption voulant
que la transaction ne soit pas valide.
Dans l'affaire Lloyds Bank, précitée, sir Eric
Sachs déclare à la page 768 du recueil de
jurisprudence:
[TRADUCTION] En ce qui concerne la deuxième catégorie
d'abus d'influence cependant, ce mot pris dans le contexte
signifie simplement que lorsque l'existence d'un rapport spécial
est établie, tout exercice de l'influence en question est considéré
comme un abus relativement à la transaction à l'étude, peu
importe les intentions des personnes détenant ce pouvoir, jus-
qu'à ce qu'il soit démontré que les obligations du fiduciaire ont
été remplies ou que la transaction profite véritablement à la
personne sur laquelle s'est exercée l'influence. Cette solution est
d'intérêt public.
J'accepte pleinement l'autorité des énoncés de
droit exprimés dans ces affaires dans la perspective
des situations de fait auxquelles ils se rapportent.
Invoquant ces principes, les avocats des deman-
deurs ont cependant soutenu, dans leur plaidoirie,
qu'en raison du rapport qui unissait les parties, il
incombait maintenant à la défenderesse d'établir
par une preuve positive que les seize points énumé-
rés aux pages 29, 30 et 31 de son argumentation
écrite (que je n'ai pas reproduite ici), ont été
expliqués aux membres de la bande avant qu'on
puisse conclure à l'existence d'un consentement
éclairé, faute de quoi les demandeurs auraient gain
de cause. En premier lieu, je rejette absolument
l'argument voulant que tous ces points doivent
avoir été expliqués aux Indiens. Bon nombre sont
redondants ou ne sont pas pertinents. D'autres
auraient évidemment été connus des Indiens.
Enfin, l'explication de certains autres points n'au-
rait été requise que s'il s'agissait non pas seule-
ment de personnes à charge mais de véritables
aliénés, auquel cas aucun consentement valable
n'aurait pu être obtenu. En second lieu, il serait
manifestement ridicule d'exiger maintenant, qua-
rante ans plus tard, alors que toutes les personnes
qui auraient pu donner des conseils sont soit décé-
dées, soit trop séniles pour témoigner, que la
défenderesse démontre par une preuve positive que
des avis ont été émis sur tous ces points. De toute
façon, il aurait fallu que les renseignements soient
communiqués oralement aux Indiens, car ceux-ci
ne pouvaient ni lire ni écrire. Enfin, même s'il
existe un rapport spécial entre les parties, lors-
qu'un accord écrit est contesté, en particulier un
acte scellé comme en l'espèce, il semble qu'il faut
plus qu'une simple allégation de conduite irrégu-
lière pour que la personne placée en situation
dominante soit tenue de produire des preuves pour
démontrer que les obligations spéciales ont été
régulièrement remplies.
En l'espèce toutefois, dès le départ, les deman-
deurs ont présenté des preuves suffisantes pour
mettre en doute l'existence du consentement
éclairé. Il incombe donc à la défenderesse de prou-
ver, selon la prépondérance des probabilités,
qu'elle n'a pas manqué aux obligations découlant
du rapport spécial. L'étendue des obligations visées
par ce fardeau dépend, entre autres choses, de la
nature du rapport, de l'objet du litige et de l'apti-
tude de la partie subordonnée à comprendre plei-
nement de quoi il s'agit et à donner son
consentement.
* * * *
La revue de la preuve relative au consentement
de la cession de 1945 a été omise. Voir les
conclusions de fait ci-dessous.
* * * *
Bref, en ce qui concerne le consentement éclairé,
j'émets les conclusions de fait suivantes:
1. Les demandeurs savaient depuis longtemps
qu'une cession absolue de la R.I. 172 était
envisagée;
2. Ils en avaient discuté auparavant au moins à
trois reprises à l'occasion d'assemblées officielles
tenues en présence de représentants du Ministère;
3. Contrairement à ce que prétendent les deman-
deurs, il serait absurde de conclure que les Indiens
n'auraient pas débattu la question entre eux à de
nombreuses occasions et de façon informelle au
sein des groupes familiaux et des groupes de
chasse;
4. À l'assemblée de la cession elle-même, la ques
tion avait fait l'objet d'un débat complet. Les
Indiens en avaient discuté entre eux et avec les
représentants du Ministère avant la signature de
l'acte de cession;
5. M. Grew, M. Galibois ni M. Peterson n'ont
semblé avoir essayé d'influencer les demandeurs
soit avant, soit pendant l'assemblée de la cession.
Au contraire, la question semble avoir été résolue
de façon très consciencieuse par les représentants
du Ministère concernés;
6. M. Grew avait expliqué aux Indiens toutes les
conséquences d'une cession;
7. Même s'ils n'ont pas saisi exactement la nature
du droit, en common law, qu'ils cédaient, ils en
étaient probablement incapables, ils ont bel et bien
compris, dans les faits, que par la cession ils
renonçaient pour toujours à tous leurs droits sur la
R.I. 172 en échange de l'argent qui serait versé à
leur crédit après la vente de la réserve, et d'autres
terrains situés près de leurs sentiers de piégeage
qui seraient achetés avec le produit de la vente;
8. Lesdits terrains avaient déjà été choisis par les
Indiens, après mûre réflexion.
J'en conclus que tous les membres de sexe mas-
culin de la bande qui assistaient à l'assemblée de
cession, et non pas seulement la majorité d'entre
eux, ont donné librement leur consentement éclairé
au projet de cession. À tour de rôle, ils ont exprimé
oralement leur accord suivant la liste des votants
jointe à l'acte de cession. Des éléments de preuve,
que j'accepte, montrent que seul figurait sur la
liste des votants le nom des Indiens de la bande de
Fort Saint John qui avaient le droit de voter.
e) Autres objections à la cession de 1945
Plusieurs autres arguments relatifs à la validité
de la cession ont été présentés par les avocats des
demandeurs. Ils se rapportent tous à l'article 51 de
la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, chap. 98, en
vigueur à l'époque. Pour plus de commodité, je
reproduis à nouveau les dispositions pertinentes de
l'article 51:
51. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle
cession ou rétrocession d'une réserve ou d'une partie de réserve
à l'usage d'une bande, ou d'un Indien en particulier, n'est valide
ni obligatoire, à moins que la cession ou rétrocession ne soit
ratifiée par la majorité des hommes de la bande qui ont vingt et
un ans révolus, et ce à une assemblée ou à un conseil de la
bande convoqué pour en délibérer conformément aux usages de
la bande, et tenu en présence du surintendant général, ou d'un
fonctionnaire régulièrement autorisé par le gouverneur en son
conseil ou par le surintendant général à y assister.
3. Le fait que la cession ou rétrocession a été consentie par la
bande, à ce conseil ou à cette assemblée, doit être attesté sous
serment par le surintendant général ou pâr le fonctionnaire
qu'il a autorisé à assister à ce conseil ou à cette assemblée, et
par l'un des chefs ou des anciens qui y a assisté et y a droit de
vote, devant toute personne autorisée à faire prêter serment et
ayant juridiction dans l'endroit où le serment est prêté.
4. Après que ce consentement a été ainsi attesté, comme
susdit, la cession ou rétrocession est soumise au gouverneur en
son conseil, pour qu'il l'accepte ou la refuse. S.R., c. 81, art. 49;
1918, c. 26, art. 2.
Les objections soulevées sont les suivantes:
1. L'assemblée n'a pas été convoquée conformé-
ment au paragraphe 51(1) de la Loi.
2. L'assemblée n'a pas été tenue devant un fonc-
tionnaire régulièrement autorisé conformément à
cet article.
3. L'attestation requise en application du paragra-
phe 51(3) n'a pas été obtenue ni fournie.
Quant à la première objection, aucune preuve
n'a été produite pour établir que la bande de Fort
Saint John avait adopté un règlement concernant
la convocation de ses réunions ou conseils. Les
Indiens ont été informés de l'assemblée bien assez
tôt. Les témoins des demandeurs ont également
reconnu qu'ils avaient été invités à l'assemblée
bien que certains prétendent ne pas avoir été mis
au courant de l'objet de la réunion. Quatre des
membres de la bande étaient absents, mais on n'a
pas prouvé qu'ils ne savaient pas qu'une assemblée
serait tenue ni qu'ils se soient jamais plaints de
l'insuffisance du préavis. De toute façon, le far-
deau de la preuve sur ce point pèse clairement sur
les demandeurs qui n'ont pas réussi à s'en
acquitter.
En ce qui concerne la question de savoir si M.
Grew a été régulièrement autorisé à tenir l'assem-
blée de la cession en application du paragraphe
51(1), il est assez important de constater que ses
instructions lui venaient de M. Hoey qui à l'époque
était à la tête de la Direction des affaires indiennes
du Ministère et était investi de tous les pouvoirs du
sous-ministre en vertu du paragraphe 9(2) de la
Loi du ministère des Mines et des ressources [S.C.
1936, chap. 33] qui est formulé comme suit:
9....
(2) Le fonctionnaire en chef de la division du ministère dans
laquelle sont comprises les affaires indiennes peut, sous l'auto-
rité du sous-ministre, accomplir et exercer les devoirs, pouvoirs
et fonctions concernant les affaires indiennes qui sont ou peu-
vent être attribuées au surintendant général adjoint des affaires
indiennes pour toute loi du Parlement du Canada ou par tout
règlement ou ordonnance établi sous son empire.
L'alinéa 31(1) de la Loi d'interprétation [S.R.C.
1927, chap. 1] en vigueur en 1927 prévoit que le
sous-ministre peut exercer les pouvoirs du ministre
pour gérer le Ministère. Cette disposition est for-
mulée comme suit:
31....
(1) Les mots par lesquels ordre ou pouvoir est donné à un
ministre de la Couronne de faire un acte ou une chose,
ou qui de toute autre manière lui sont applicables à
raison de son titre officiel, impliquent tout ministre
agissant pour lui, ou, s'il y a vacance, tenant sa place par
intérim en vertu d'un arrêté en conseil, et impliquent
aussi ses successeurs dans sa charge et son substitut ou
leur substitut légalement nommé;
Aucune disposition de l'article 51 de la Loi des
Indiens n'indique que le Parlement voulait que le
surintendant général, plutôt que son substitut,
autorise personnellement un individu à assister à
l'assemblée de la cession. L'alinéa 31(l) de la Loi
d'interprétation s'applique donc. Enfin, rien ne dit
que le surintendant général ne pouvait autoriser
oralement la personne ni donner des instructions à
M. Hoey pour qu'il ordonne à M. Grew d'assister
à l'assemblée. Aucune preuve ne montre que dans
les faits il n'en a pas été ainsi. Il incombe aux
demandeurs de prouver que M. Grew n'a pas été
autorisé, et ils ne peuvent s'acquitter de ce fardeau
en démontrant simplement que M. Hoey a donné
pour instructions à M. Grew d'assister à l'assem-
blée et de recevoir la cession puisque, répétons-le,
ces directives peuvent fort bien avoir été données
avec l'autorisation du surintendant général et sur
son ordre.
Lorsqu'il s'agit de savoir si le fait de ne pas
observer toutes les dispositions du paragraphe
51(3) de la Loi pourrait rendre nulle la cession,
une question de droit se pose: ces dispositions
sont-elles impératives ou simplement supplétives?
Dans ce dernier cas, l'inobservation n'invaliderait
pas la cession elle-même ni son acceptation subsé-
quente par le gouverneur en conseil.
Pour trancher cette question, il faut consulter le
libellé même des autres dispositions de l'article 51,
qui est assez important. Le paragraphe (1) dispose
que «nulle cession ... n'est valide ni obligatoire, à
moins que la cession ... ne soit ratifiée». Il s'agit
clairement d'une disposition impérative ou subs-
tantielle. Le paragraphe (2) détermine qui a le
droit de voter à l'assemblée, et le paragraphe (4)
porte que le gouverneur en conseil peut soit accep-
ter, soit refuser la cession. Ces dispositions sont
également clairement impératives ou substantiel-
les. Cependant, le paragraphe (3) prévoit les
moyens par lesquels sera prouvé le fait que la
cession a été reçue de façon régulière et que toutes
les formalités requises ont été remplies.
La décision qui fait autorité dans ce domaine du
droit est l'affaire Montreal Street Railway Com
pany v. Normandin, [ 1917] A. C. 170, entendue
par le Conseil privé. Dans cette cause, on préten-
dait que le verdict du jury devait être rejeté parce
que le shérif n'avait pas mis à jour la liste des
votants pour former le jury. Le Conseil privé a
énoncé les principes généraux qui guident les tri-
bunaux sur cette question. Voici un extrait de
l'avis du Conseil privé (aux pages 174 et 175):
[TRADUCTION] Les lois sont silencieuses sur les conséquences
de l'inobservance de ces dispositions. On soutient au nom des
appelantes que cela a pour conséquence que l'instruction fut
coram non judice et qu'elle doit être considérée comme une
nullité.
Il est nécessaire d'examiner les principes adoptés pour l'inter-
prétation des lois de ce genre et la jurisprudence, dans la
mesure où il y en a, sur le point particulier soulevé ici. On s'est
souvent demandé si les dispositions d'une loi étaient supplétives
ou impératives dans ce pays; on a répondu qu'aucune règle
générale ne pouvait être énoncée et qu'il fallait considérer
chaque cas d'espèce que visait la loi. On trouvera la jurispru
dence sur le sujet rassemblée dans Maxwell on Statutes, 5' éd.,
aux p. 596 et suivantes. Lorsque les dispositions d'une loi
concernent l'exercice d'une fonction publique et que juger nuls
et non avenus des actes exécutés en ignorance de cette obliga
tion causerait des inconvénients généralisés sérieux, ou encore
une injustice à des individus n'ayant aucun contrôle sur les
responsables de cette fonction, tout en ne favorisant pas l'objet
principal recherché par le législateur, il a été d'usage de statuer
que ces dispositions n'étaient que supplétives et que cette
ignorance, quoique condamnable, n'invalidait pas ces actes.
L'arrêt Montreal Street Railway a été suivi par
la Cour dans l'affaire Melville (City of) c. Procu-
reur général du Canada, [1982] 2 C.F. 3 (1re
inst.). Cette dernière décision rendue par le juge
Collier a été confirmée par la Cour d'appel fédé-
rale dans l'affaire Chambre de commerce de
Jasper Park c. Gouverneur général en conseil,
[1983] 2 C.F. 98, qui portait sur une action
parallèle.
Dans la décision City of Melville, les deman-
deurs soutenaient que le défaut d'enregistrer dans
les délais prescrits un décret concernant la sup
pression du service ferroviaire le rendait invalide.
Le juge Collier a battu en brèche cet argument à
la page 14, en appliquant les principes énoncés
dans l'affaire Montreal Street Railway. La Cour
fédérale a confirmé ses conclusions aux pages 118
et 119 de la décision Jasper Park, précitée.
Comme il a été précisé dans l'arrêt Montreal
Street Railway, il faut tenir compte de l'objet de la
Loi. Il semble clair que l'article 51 a été édicté
pour garantir l'obtention régulière de l'assentiment
de la majorité des membres adultes de la bande
avant que la cession ne puisse être acceptée par le
gouverneur en conseil et ne prenne effet. Cette
disposition vise à fournir des moyens de surmonter
les restrictions générales apportées par l'article 50
de la Loi à la cession, la vente ou l'aliénation des
terres d'une réserve indienne. En d'autres termes,
la vente ou la location des terres d'une réserve
indienne doit être conclue conformément aux voeux
de la bande, en plus d'être bien sûr approuvée par
le gouverneur en conseil. Cette dernière exigence
suppose vraisemblablement que le gouverneur en
conseil est convaincu que la cession a été approu-
vée de façon régulière, qu'elle a pour objectif le
bien-être général des Indiens et que ceux-ci ne sont
pas injustement privés de leurs terres.
L'examen de l'objet de la Loi montre qu'une
décision invalidant la cession pour la seule raison
que les formalités prescrites par le paragraphe
51(3) n'ont pas été respectées ne favoriserait cer-
tainement pas la réalisation du principal objectif
de la législation lorsque toutes les exigences essen-
tielles ont été remplies. Il se pourrait fort bien que
des personnes n'ayant aucune autorité sur ceux qui
sont chargés de prouver l'observation des formali-
tés prescrites subissent de ce fait de graves incon-
vénients ou fassent l'objet d'une injustice. Contrai-
rement au paragraphe (1) qui porte qu'en cas
d'inobservation de ces dispositions, la cession n'est
ni valide ni obligatoire, le paragraphe 51(3) n'envi-
sage pas les conséquences du non-respect de ses
exigences. Je conclus donc que les dispositions du
paragraphe 51(3) sont simplement supplétives, et
non impératives.
Il est également assez révélateur que le paragra-
phe ne dispose pas expressément qu'un affidavit
doit être soumis pour attester ces faits mais qu'il
porte simplement ce qui suit:
51....
3. Le fait que la cession ou rétrocession a été consentie par la
bande ... doit être attestée sous serment ... devant toute
personne autorisée à faire prêter serment et ayant juridiction
C'est ce qui a été fait. J. E. Young, dont la
signature est admise et dont la compétence à titre
de juge de paix pour la province de la Colombie-
Britannique n'est pas contestée et que je dois
accepter (en l'absence de toute preuve contraire) a
déclaré que les déposants avaient prêté serment
devant lui et qu'ils avaient rendu témoignage tel
qu'il est mentionné dans le document. Le fait de ne
pas avoir exigé des déposants qu'ils signent le
document ou qu'ils y apposent leur marque se
comprend bien si l'on tient compte de l'absence de
formation ou de connaissance juridique de certai-
nes personnes nommées juges de paix dans les
régions éloignées du Canada.
Enfin outre ce document, le Ministère avait en
main l'acte de cession lui-même, la liste des
vdtants y annexée et les lettres de M. Grew datées
du 8 août 1945 (pièce 283) et du 24 septembre
1945 (pièce 294) qu'il pouvait, au besoin, soumet-
tre au gouverneur général en conseil. Il y avait
donc de nombreuses preuves de l'observation des
exigences essentielles de l'article 51. De plus, j'en
viens à la conclusion que la cession a été pleine-
ment sanctionnée.
Pour résumer, l'objection soulevée par les
demandeurs doit échouer, si ce n'est parce que je
conclus que les formalités du paragraphe 51(3) ont
été suffisamment respectées, du moins parce que
cette disposition est simplement supplétive, et non
impérative.
TRANSFERT DES TERRES AU DIRECTEUR DES
TERRES DESTINÉES AUX ANCIENS COMBATTANTS
EFFECTUÉ EN 1948
a) Effet du transfert
L'article 54 de la Loi des Indiens de 1927 porte
que toutes les terres qui sont des réserves «sont
administrées, affermées et vendues selon que le
gouverneur en son conseil le prescrit, sauf les
conditions de la rétrocession et les dispositions de
la présente Partie.» Les dispositions spéciales de la
Loi applicables aux faits en l'espèce sont les arti
cles 50 et 51. J'ai déjà traité de ces dispositions de
même que des conditions de la cession. À l'évi-
dence, le Ministère avait le droit d'aliéner les
terres par vente définitive. Le gouverneur en con-
seil n'avait émis aucune directive spéciale, et les
lettres patentes (pièce 506) transférant les terres
du ministère des Affaires indiennes au Directeur
ne comportaient aucune réserve, sinon pour l'em-
prise d'un chemin public sur la parcelle de terre.
La cession, absolue en tous points, est consentie au
Directeur, à ses héritiers et successeurs, définitive-
ment.
Les demandeurs prétendent que, puisque le
document ne mentionne pas les droits miniers, il
n'a pas pour effet de les transférer. Cet argument
ne peut être soutenu en droit. A moins qu'un droit
ne soit expressément retenu, une cession absolue
des terres comprend tous les droits sauf ceux affé-
rents aux métaux précieux (Attorney -General of
British Columbia v. Attorney -General of Canada
(1889), 14 App. Cas. 295 (P.C.), aux pages 302,
303 et 306).
b) Le ministère des Affaires indiennes avait-il
l'obligation de conserver les droits miniers?
Les demandeurs prétendent également que le
ministère des Affaires indiennes était tenu, en
vertu de ses obligations de fiduciaire, de retenir les
droits miniers pour la bande demanderesse en
mars 1948 lorsque les lettres patentes ont été
accordées au Directeur. Ils soutiennent que le
Ministère aurait dû voir l'erreur par la suite et
qu'il aurait dû exiger que les lettres patentes soient
corrigées.
J'ai déjà tiré plusieurs conclusions sur cette
question en traitant de la valeur et de la prévisibi-
lité d'éventuels droits miniers afférents à la R.I.
172 (voir les pages 48 et 49 ci-dessus). Dans le
dernier paragraphe, j'ai décidé que la défenderesse
avait suffisamment démontré qu'en 1948, aucun
fiduciaire n'aurait raisonnablement pu prévoir que
ces droits auraient quelque valeur.
D'après la preuve, on n'a attaché aucune impor
tance aux minéraux au moment du transfert con-
senti au Directeur ni avant que bon nombre d'an-
ciens combattants, sinon la totalité d'entre eux, ne
prennent au moins possession des terres aux termes
de leur promesse de vente respective et, par consé-
quent, aucune mention des droits miniers n'est
faite dans ces documents. Il n'a pas été établi que
le ministère des Affaires indiennes avait l'obliga-
tion de retenir les droits miniers. -
c) Manquement à l'obligation de la défende-
resse au moment du transfert consenti au
Directeur
Les demandeurs prétendent aussi qu'au moment
du transfert consenti au Directeur en 1948, la
défenderesse a agi de façon frauduleuse et qu'elle
ne s'est pas acquittée des obligations de fiduciaire
qu'elle avait envers les Indiens à cette époque. En
ce qui a trait aux allégations de fraude, je conclus
qu'ils n'ont pas réussi à prouver que la défende-
resse avait, de quelque façon que ce soit, par
l'entremise de ses mandataires ou préposés,
commis une fraude à leur égard pendant la période
visée par la présente action. Toutefois, les alléga-
tions de manquement à l'obligation de fiduciaire à
l'époque du transfert consenti au Directeur, elles,
ont beaucoup plus de poids. Le juge Dickson (alors
juge puîné) a déclaré dans l'arrêt Guerin, précité,
que si la cession inconditionnelle entraînait la dis-
parition du droit des Indiens sur le bien-fonds, la
Couronne n'en demeurait pas moins tenue de s'ac-
quitter à l'égard des Indiens d'une obligation sem-
blable à une fiducie, car «... Sa Majesté doit
détenir les terres à l'usage et au profit de la bande
qui les a cédées» (voir l'arrêt Guerin, précité, à la
page 387). Qu'on se range à l'opinion de la majo-
rité exprimée par le juge en chef Dickson dans
l'affaire Guerin et selon laquelle la cession ne crée
pas de fiducie au sens strict, soit une fiducie par
interprétation ou autre, ou que l'on adopte le point
de vue du juge Wilson auquel ont souscrit les juges
Ritchie et McIntyre et voulant que la cession
engendre une fiducie explicite, l'obligation pesant
sur la défenderesse, représentée par le ministère
des Affaires indiennes, par suite de la cession des
terres par les Indiens est tout aussi lourde, étant au
moins semblable à une fiducie.
En l'espèce, comme dans la décision Kruger c.
La Reine, [1986] 1 C.F. 3 (C.A.), il semble y avoir
un conflit d'intérêt entre le Directeur des terres
destinées aux anciens combattants et le Ministère
des Affaires indiennes. Celui-ci cherchait à obtenir
le meilleur prix possible pour les terres et à l'obte-
nir immédiatement en vue d'acheter des terres
pour remplacer les réserves, qui soient situées plus
près des sentiers de piégeage (voir pièce 428),
celui-là désirait acheter de bonnes terres agricoles
au plus bas prix possible afin que l'achat soit plus
profitable pour les anciens combattants.
La déclaration faite par le juge Heald dans
l'affaire Kruger, précitée, à la page 17, est particu-
lièrement pertinente:
À mon avis, étant donné que la Couronne a une obligation de
fiduciaire envers les Indiens, la question du conflit d'intérêts se
pose clairement dans ce cas-ci. De toute évidence, deux Minis-
tères du gouvernement canadien ne s'entendaient pas sur la
façon de traiter les occupants indiens du lot A. La preuve
semble incontestablement montrer que les fonctionnaires de la
direction des Affaires indiennes ont fait preuve de diligence
lorsqu'il s'est agi de défendre au mieux les intérêts des occu
pants indiens. D'autre part, le ministère des Transports était
anxieux d'acquérir les nouvelles terres dans l'intérêt des trans
ports aériens. Cette situation a entraîné l'existence de considé-
rations incompatibles les unes avec les autres. Par conséquent,
en sa qualité de fiduciaire des Indiens, la Couronne fédérale
faisait face à un conflit d'intérêts. En droit, il est clair que
[TRADUCTION] «une personne qui se charge d'une tâche pour le
compte d'une autre doit agir exclusivement au bénéfice de cette
dernière, sans tenir compte de ses propres intérêts» et que
[TRADUCTION] «Selon la règle établie en equity, personne ne
peut laisser son devoir entrer en conflit avec son intérêt». Ceci
étant, on ne saurait reprocher à la Couronne fédérale d'avoir
manqué à son obligation de fiduciaire envers les Indiens en
invoquant l'existence de considérations incompatibles entre les
différents ministères du gouvernement.
On a également prétendu qu'il pourrait fort bien
y avoir un élément de transaction intéressée en
l'espèce. Comme il a été précisé dans l'arrêt Refe
rence re Saskatchewan Natural Resources, [1931]
R.C.S. 263, à la page 275:
[TRADUCTION] Il n'y a qu'une seule Couronne, et les terres qui
lui appartiennent lui sont dévolues et le demeurent, en dépit du
fait que leur administration et leur utilisation par le bénéfi-
ciaire, approuvée par les autorités compétentes, peuvent être
régies selon l'avis des divers ministres chargés du service
approprié.
Bien entendu, il convient d'établir une distinc
tion importante entre la dernière affaire mention-
née et le cas qui nous occupe. Il ne s'agit pas ici de
l'administration d'un bien-fonds pour la Couronne
par un ministre ou un autre au nom de leur
ministère respectif mais plutôt de son transfert
d'un ministère du gouvernement, savoir le minis-
tère des Affaires indiennes, au Directeur des terres
destinées aux anciens combattants, corporation
constituée d'une seule personne physique, qui a été
créée par le Parlement en vue' précisément d'ac-
quérir, d'administrer et de transporter des terres
au profit exclusif des anciens combattants confor-
mément aux dispositions spécifiques de la Loi et
indépendamment de l'autorité normalement exer-
cée par un ministre sur son ministère. Quoi qu'il en
soit, je conclus qu'en l'espèce, il incombait au
ministère des Affaires indiennes de s'acquitter
d'une lourde obligation de fiduciaire et de s'assurer
que tous les efforts raisonnables avaient été faits
pour obtenir le meilleur prix possible pour les
terres au moment de la vente.
L'existence d'une telle obligation fait également
peser sur la personne qui doit s'en acquitter le
fardeau de prouver qu'elle a accompli sa mission.
La preuve établit qu'un évaluateur dont les ser
vices avaient été retenus par le ministère des Affai-
res indiennes avait fixé la valeur des terres à
93 160 $ (pièce 414). À l'issue de longues négocia-
tions entre le Ministère et le Directeur des terres
destinées aux anciens combattants, qui ne voulait
pas acheter les terres à ce prix, celles-ci lui avaient
finalement été vendues pour la somme de 70 000 $
le 30 mars 1978 (pièce 506). En outre, les frais
d'arpentage avaient été supportés par le ministère
des Affaires indiennes.
La défenderesse n'a produit aucune preuve pour
justifier l'écart entre le prix fixé par l'évaluateur et
le prix de vente réel. Bien que je ne tire aucune
conclusion relativement à la valeur réelle, puisque
je n'ai pas à me prononcer sur les dommages-inté-
rêts et que la pièce 414 n'a pas été produite aux
fins d'établir la véracité de l'affirmation voulant
que les terres valaient en réalité 93 160 $, la
preuve montre tout à fait que la défenderesse
savait très bien qu'il y avait un écart entre le prix
fixé par son propre évaluateur et le prix de vente.
La suffisance du prix de vente pose par conséquent
un véritable problème, il ne s'agit pas d'une ques
tion théorique. Il incombait à la défenderesse de
convaincre la Cour qu'elle ne pouvait raisonnable-
ment s'attendre à obtenir un meilleur prix. Aucune
preuve n'a été présentée pour établir que d'autres
offres avaient été recherchées ni pour montrer que
des efforts avaient été faits pour obtenir un meil-
leur prix ailleurs. Comme la défenderesse ne s'est
pas acquittée du fardeau d'établir qu'un prix équi-
table avait en réalité été obtenu en mars 1948, je
conclus qu'elle a manqué sur ce point à ses obliga
tions de fiduciaire à l'égard des demandeurs. A
moins que la demande ne soit prescrite, le montant
des dommages subis par les demandeurs en raison
de l'insuffisance possible du prix de vente devra
donc être déterminé au cours d'une audience ulté-
rieure ou d'une référence pour évaluer les domma-
ges-intérêts. Cependant, comme il a déjà été dit, la
preuve n'établit pas la probabilité d'une fraude,
d'une intention frauduleuse ni d'une dissimulation
volontaire.
d) Le Directeur des terres destinées aux anciens
combattants détenait-il les droits miniers en
fiducie pour les Indiens?
Les demandeurs soutiennent qu'à la suite du
transfert consenti au Directeur des terres destinées
aux anciens combattants en 1948, celui-ci a conti-
nué à détenir les droits miniers en fiducie pour les
demandeurs. Ils prétendent qu'il aurait dû les
rétrocéder lorsque l'obtention de permis d'explora-
tion a commencé à susciter de l'intérêt.
En ce qui concerne le titre sur les minéraux, on
peut établir une distinction nette entre le cas qui
nous occupe et les litiges résolus sous le régime de
l'ancienne Loi d'Établissement de Soldats, 1917,
[S.C. 1917, chap. 21] remplacée par la suite par la
Loi d'établissement de soldats, 1919, [S.0 1919,
chap. 71] qui avaient été adoptées en vue de
l'établissement des anciens combattants de la Pre-
mière Guerre mondiale. L'article 57 de la Loi de
1919 dispose expressément que «toutes les mines et
tous les minéraux doivent être, et sont censés avoir
été réservés» dans toutes les ventes conclues par la
Commission. Par conséquent, la Commission ne
pouvait accorder de titre ni de droit de réclamation
sur les mines ou les minéraux, peu importe qu'ils
aient été réservés ou non et en dépit des stipula
tions de l'acte de cession. Lorsque le Parlement a
adopté en 1942 la Loi de 1942 sur les terres
destinées aux anciens combattants [S.C. 1942-43,
chap. 33] dans l'intérêt des anciens combattants de
la guerre de 1939-1945, il a choisi d'omettre ces
réserves ou limitations. Les règles générales du
droit doivent donc être appliquées.
Au surplus, un grave obstacle juridique aurait
empêché la cession par le Directeur au ministère
des Affaires indiennes ou à toute autre personne
qui n'était pas un ancien combattant. La Loi de
1942 sur les terres destinées aux anciens combat-
tants (S.R.C. 1970, chap. V-4) dispose que le
Directeur est une corporation constituée d'une
seule personne physique jouissant d'une succession
perpétuelle et habilité à détenir et à transférer les
biens «que la présente loi l'autorise à acquérir,
détenir, transporter, transférer ou convenir de
transporter ou de transférer, mais pour ces fins
seulement» [c'est moi qui souligne] (paragraphe
5(1)) et «Tous les biens acquis pour l'un des objets
de la présente loi sont dévolus au Directeur en sa
qualité de corporation constituée d'une seule per-
sonne physique» (paragraphe 5(4), ancien paragra-
phe 5(3)). Le Directeur obtient les terres en vertu
d'une cession de la propriété absolue consentie par
la Couronne comme toute autre personne ou
société. Pour que la Couronne puisse obtenir le
titre sur ces terres, celles-ci doivent être rétrocé-
dées au Directeur. Les pouvoirs relatifs à l'aliéna-
tion des terres accordés au Directeur et les raisons
pour lesquelles il doit acquérir des terres sont
strictement définies par le menu détail dans la Loi.
Des dispositions prévoient la rétrocession des terres
à la Couronne lorsque celles-ci sont requises pour
cause d'utilité publique, la rétrocession à toute
personne avec le consentement de l'ancien combat-
tant intéressé et la vente éventuelle des terres dont
le Directeur n'aura pas besoin. La Loi ne prévoit
toutefois aucun pouvoir de rétrocéder des terres ou
tout droit minier à la Couronne au profit des
Indiens ou de toute autre personne d'ailleurs, sans
le consentement de l'ancien combattant concerné.
Selon l'article 3 de la Loi, modifiée en 1946
[S.C. 1946, chap. 70, art. 1], le Directeur relève du
ministre des Affaires des anciens combattants de
qui il reçoit des directives. Cependant, il est évi-
dent que le Directeur doit se conformer stricte-
ment aux dispositions de la Loi sur les terres
destinées aux anciens combattants et que le minis-
tre ne peut lui ordonner d'exercer des pouvoirs qui
ne sont pas prévus par la Loi sur les terres desti
nées aux anciens combattants ni de contrevenir de
quelque façon à la Loi.
S'il était nécessaire d'étayer la proposition selon
laquelle les pouvoirs du Directeur sont strictement
limités à ceux qui lui sont conférés par la Loi sur
les terres destinées aux anciens combattants, on
pourrait citer l'affaire The Queen v. Richard L.
Reese, [1956] R.C.É. 94, qui fait autorité. Dans
cette affaire, une promesse de céder des droits
miniers faite sous le régime de la Loi d'établisse-
ment de soldats a été déclarée inexécutable à
l'encontre de la Couronne même si l'engagement
avait été passé avec un soldat. Puisque le Directeur
(anciennement «la Commission» en vertu de la Loi
d'établissement de soldats) ne peut lier la Cou-
ronne que pour les fins mentionnées dans la Loi, la
Couronne ne peut être tenue responsable du fait
que le Directeur n'a pas géré ni rétrocédé les terres
au profit des Indiens, et la Couronne ne peut lui
ordonner de le faire si la Loi sur les terres desti
nées aux anciens combattants n'est pas modifiée.
Enfin, après que les lettres patentes eurent été
délivrées, que la totalité du prix d'achat eut été
versé par le Directeur au ministère des Affaires
indiennes et que celui-ci eut réservé le produit au
profit des Indiens comme le prescrit la Loi, les
terres de la R.I. 172 n'étaient plus détenues en
fiducie, si fiducie il y avait, ou subsidiairement,
elles ne faisaient plus l'objet de l'obligation de
fiduciaire spéciale qui pesait sur la défenderesse. A
compter de cette date, savoir le 30 mars 1948, le
produit de la vente, et non plus les terres, devait
être géré par la défenderesse au profit des Indiens.
Pour les motifs précités, l'argument des deman-
deurs relativement à l'obligation du Directeur de
rétrocéder les droits miniers aux Indiens ou en leur
nom ne peut être retenu.
e) Inobservation des dispositions de la Loi des
terres fédérales de 1908
L'argument invoqué au paragraphe 78 de la
déclaration voulant que le transfert des droits
miniers sur la R.I. 172 effectué en 1948 soit
invalide en raison de l'inobservation des disposi
tions de l'article 41 de la Loi des terres fédérales
de 1908, chap. 20, n'est pas fondé. Cet article se
rapporte exclusivement aux modalités de verse-
ment du prix d'achat des terres réservés pour les
écoles. Aucune partie de la R.I. 172 n'a jamais été
désignée à ce titre en application de la Loi et
aucune preuve n'a été produite pour établir qu'une
partie des terres de la réserve était utilisée à cette
fin.
MANQUEMENTS IMPUTÉS DEPUIS 1948
De nombreux manquements à l'obligation et aux
devoirs de fiduciaire envers les Indiens seraient
survenus depuis 1948. Il incombe aux demandeurs
de prouver ces affirmations, contrairement à la
suffisance du prix de vente de la R.I. 172 que la
défenderesse devait établir.
Il n'a pas été établi comme les demandeurs le
soutiennent au paragraphe 35 de la déclaration,
que la défenderesse a cherché à obtenir des terres
de remplacement situées plus loin que les terrains
destinés à accueillir de futurs établissements
agricoles.
En ce qui concerne le retard imputé à la défen-
deresse, qui n'a obtenu qu'en 1950 de la province
de la Colombie-Britannique le titre de propriété en
common law sur les réserves, j'estime que ce délai
n'était pas excessif compte tenu du fait que la R.I.
172 avait été vendue en 1948 et qu'il avait fallu un
certain temps pour compléter l'arpentage. Fait
plus important encore, il ne saurait y avoir préju-
dice puisque la preuve montre que les demandeurs
ont continué apparemment d'utiliser ces réserves
de 1945 à 1950. Il est également établi que par le
passé ils avaient très peu utilisé les terres de
réserve.
Les demandeurs soutiennent aussi qu'ils n'ont
pas obtenu les droits miniers sur les terres de
remplacement. Les droits miniers étaient d'ordi-
naire attachés aux terres conférées par traité puis-
qu'ils étaient détenus par la Couronne du chef du
Canada. Il n'en va pas de même des terres de
remplacement après que les droits miniers eurent
été transférés à la province. Contrairement à la
R.I. 172, les terres achetées pour remplacer les
réserves étaient simplement des réserves acquises
au profit des demandeurs en application des dispo
sitions de la Loi des Indiens et conformément aux
conditions de la cession de 1945 de la R.I. 172, et
elles ne constituaient donc pas des réserves confé-
rées par traité. Le Ministère ne pouvait pas, en
raison de la politique adoptée par le gouvernement
provincial relativement à la retenue de tous les
droits miniers, obtenir le titre sur ces droits au
profit des Indiens. Le Ministère n'a apparemment
été informé de cette politique que plus tard lors-
que, par erreur, certains de ses fonctionnaires
s'étaient montrés disposés à accorder un permis
d'exploration visant les terres de remplacement à
une société pétrolière. En outre, bien que la défen-
deresse eût sans doute considéré les droits miniers
sur les terres de remplacement comme une partie
intégrante de la réserve, si elle les avait obtenus, il
n'est pas démontré qu'elle s'était engagée de quel-
que façon, aux termes de l'acte de cession de 1945,
à obtenir des droits miniers sur les terres de rem-
placement. Des éléments de preuve tendent égale-
ment à indiquer le contraire. Avant d'arrêter leur
choix, les deux parties avaient exploré la région à
la recherche de terrains sur lesquels on pourrait
construire des habitations et situés à proximité des
territoires de chasse et de pêche ainsi que des
sentiers de piégeage. Ils ont également tenu
compte de la distance qui les séparait des établisse-
ments des blancs dans la région et de l'éventuelle
mise en valeur des terres par les Indiens, par
l'agriculture ou l'élevage. Il n'a pas été démontré
que l'on s'était le moindrement préoccupé des
droits miniers sur les nouvelles réserves.
Bien que le bruit ait couru en 1950 que le
gouvernement de la Colombie-Britannique envisa-
geait de modifier la politique relative à l'octroi des
terres pour l'établissement des réserves indiennes,
ce n'est qu'en janvier 1951 que le gouvernement
fédéral était informé du fait que le gouvernement
provincial avait en novembre 1950 décidé officiel-
lement que, mise à part la retenue des droits
miniers, aucun droit de propriété sur des terres ne
serait plus désormais transféré au ministère des
Affaires indiennes en vue de former des réserves à
moins que des terres d'une même superficie ne
soient obtenues en échange. Par suite de cette
décision, bon nombre, sinon la totalité, des projets
d'achat de terrains de la défenderesse au profit
d'autres bandes indiennes de la province ont dû
être abandonnés (voir pièce 688). Il n'a pas été
établi que la défenderesse avait promis que des
terres d'une même superficie que celles de la R.I.
172 seraient obtenues ni, semble-t-il, que les
demandeurs à cette époque s'attendaient à ce que
la défenderesse le fasse. Une correspondance volu-
mineuse a été produite relativement aux terres de
remplacement proposées et aux réserves elles-
mêmes à l'époque où elles ont été achetées. Cepen-
dant, il ne semble pas être question d'obtenir des
terres d'une superficie équivalente dans aucune des
lettres ni aucun des mémoires rédigés par les divers
fonctionnaires.
En vertu des ententes conclues par le Directeur
avec les anciens combattants, chaque acheteur
avait droit à la possession immédiate des terres dès
la signature de l'entente et le versement du dépôt.
Au paiement de l'intégralité du prix d'achat, l'an-
cien combattant recevait un acte scellé, et la pro-
priété absolue du terrain, libre de toute charge, lui
était transmise. Le paragraphe 14 de l'entente est
formulé comme suit:
[TRADUCTION] 14. Les parties conviennent qu'au paiement
ponctuel par l'ancien combattant des montants qu'il accepte
par les présentes de payer, sous réserve de l'exécution de toutes
les dispositions, conditions et ententes susmentionnées, et à la
délivrance du présent contrat, il aura droit au transport de la
propriété absolue desdites terres, libres de toutes charges autres
que celles pouvant résulter des actes et de la négligence de
l'ancien combattant mais sous réserve des restrictions et condi
tions stipulées dans le titre détenu par le directeur. (Voir pièce
986 D)
Aucune restriction ni condition n'est énoncée
dans le titre détenu par le Directeur. Le paragra-
phe 14 ci-dessus détruit de manière absolue l'argu-
ment des avocats des demandeurs voulant que
jusqu'à ce que l'acte scellé reconnaissant le trans
port de la propriété absolue soit délivré à l'ancien
combattant, le Directeur pouvait d'une façon ou
d'une autre reprendre possession des terres au
profit des Indiens. Aux termes des promesses de
vente passées avec les anciens combattants, les
ventes suivantes ont été conclues: 1948: 19, 1949:
13, 1950: 2, 1951: 1 et 1956: 1. Donc à la fin de
1950, les anciens combattants qui étaient en droit,
aux termes d'un contrat, d'obtenir un titre absolu
de propriété étaient entrés en possession de tous les
lots, à l'exception de deux.
En 1952, le Directeur avait vendu aux enchères
quatre lots dont il n'avait pas besoin, conformé-
ment aux dispositions de la Loi.
De toute manière, toutes les affirmations sus-
mentionnées relatives à la gestion subséquente des
terres par le Directeur ne sont d'aucune utilité aux
demandeurs. Comme il a déjà été décidé, dès le 30
mars 1948, les demandeurs n'avaient plus droit à
aucune partie de la R.I. 172, et le Directeur qui
détenait alors les terres en propriété absolue ne
pouvait, dans les circonstances et en raison des
dispositions de la Loi sur les terres destinées aux
anciens combattants, être considéré comme un
fiduciaire, sous le régime d'une fiducie par inter-
prétation ou autrement créée au profit des Indiens.
Les demandeurs n'ont pas démontré la nécessité
pratique de former d'autres réserves, même au
moment de l'instruction. La question des sentiers
de piégeage a déjà été résolue. Il y a bien des
années, le Ministère avait obtenu de nombreux
sentiers de piégeage enregistrés à l'usage exclusif
des Indiens, et il n'a pas été démontré qu'il était
nécessaire d'obtenir des sentiers de piégeage addi-
tionnels ou de vastes territoires de chasse et de
pêche réservés à leur usage exclusif, comme le
demandent maintenant les demandeurs.
Les résolutions des conseils de bande qui ont été
versées au dossier avec les budgets annuels font
ressortir le fait que le produit de la vente avait été
dûment conservé au profit des demandeurs et que
tous les intérêts courus avaient été dûment versés
au crédit de leur compte. Des sommes tirées de ce
compte et des montants additionnels provenant des
crédits affectés au ministère des Affaires indiennes
ont été dépensées au fil des années à leur profit.
Aucune preuve n'a été produite pour démontrer
que ces sommes avaient été détournées, comme le
prétendent les demandeurs, Au contraire, la
preuve indique que tous les versements provenant
de ces sommes et les intérêts courus ont été payés à
l'avantage des demandeurs qui ont également reçu
des montants supplémentaires auxquels ils
n'avaient pas droit par contrat pour leurs divers
entreprises, projets et besoins sociaux et collectifs,
etc.
En résumé, en ce qui concerne les manquements
imputés depuis 1948, je conclus que les deman-
deurs ne se sont pas acquittés du fardeau de la
preuve qui pesait sur eux. Du reste, les quelques
preuves crédibles et admissibles qui ont été produi-
tes relativement à ces questions tendent à appuyer
des conclusions contraires à celles que les deman-
deurs recherchent.
PRESCRIPTION
a) Application
En application de l'article 38 de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10],
il est évident qu'en l'espèce, la loi applicable en
matière de prescription est celle de la Colombie-
Britannique (Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3;
(1985), 58 N.R. 241 (C.A.)).
Ne sachant pas quelles conclusions définitives je
tirerais au sujet des diverses réclamations et allé-
gations de fraude et de manquement continu aux
obligations de fiduciaire, les avocats ont cité une
jurisprudence volumineuse, et ils ont fait référence
à des dispositions législatives dans une longue
argumentation sur la prescription afin de prévoir
toutes les possibilités. Comme j'ai conclu qu'il y
avait eu simplement un manquement non fraudu-
leux à l'obligation de fiduciaire en ce,qui concerne
le montant reçu par le ministère des Affaires
indiennes le 30 mars 1948 et qu'à mon avis, il n'y
avait eu ni négligence continue, ni violation de
fiducie ni autre manquement à des obligations
fiduciaires ou prévues par la loi, les questions
relatives à la prescription sont considérablement
simplifiées.
Il convient donc de décider que la cause d'action
a pris naissance le 30 mars 1948. La déclaration a
été déposée le 19 septembre 1978, c'est-à-dire cinq
mois et demi après l'expiration d'un délai de trente
ans à compter de la date à laquelle la cause
d'action a pris naissance.
b) Les articles 8 et 9 de la Limitations Act de la
C.-B.
Apparemment, la Colombie-Britannique est la
seule province canadienne qui ait adopté une loi
prévoyant ce qu'on appelle une prescription finale.
La nouvelle Limitation Act, R.S.B.C. 1979, chap.
236, a été édictée en 1975 [Limitations Act,
S.B.C. 1975, chap. 37]. Les passages pertinents de
l'article 8 de la Loi sont formulés comme suit:
[TRADUCTION] 8. (1) Sous réserve du paragraphe 3(3), mais
nonobstant la confirmation faite en application de l'article 5 ou
l'interruption ou la suspension du délai en vertu des articles 6 et
7 ou de l'article 12, aucune action à laquelle s'applique la
présente loi ne doit être intentée après l'expiration d'un délai de
trente ans à compter de la date à laquelle le droit de le faire a
pris naissance, ...
(2) Sous réserve du paragraphe (1), l'effet des articles 6 et 7
est cumulatif.
Le paragraphe 3(3) concerne des catégories spé-
ciales d'action dont aucune n'est applicable aux
conclusions tirées en l'espèce. L'article 6 men-
tionné au paragraphe (2) ci-dessus prévoit égale-
ment l'interruption de la prescription dans certains
cas précis, et l'article 7 vise les personnes incapa-
bles. L'article 12 ne s'applique pas ici. À la lecture
de l'article 8, il ne fait pas de doute que même si
l'effet des articles 6 et 7 est cumulatif, ces disposi
tions ne doivent pas être prises en considération
dans le calcul du délai de trente ans mentionné au
paragraphe (1). Par conséquent, ni l'incapacité ni
la connaissance n'entrent en jeu dans la prescrip
tion finale de trente ans.
La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a
examiné l'effet de l'article 8 dans la décision Bera
v. Marr (1986), 1 B.C.L.R. (2d) 1. Dans cette
affaire, le juge d'appel Esson, dont le juge d'appel
Cheffins a partagé l'avis, a déclaré à la page 27 ce
qui suit:
[TRADUCTION] L'un des éléments importants de «l'équilibre»
créé par les articles 6, 7 et 8 est que la prescription finale de
trente ans est assez longue pour qu'aucune action intentée par
un enfant en bas âge ne puisse être jugée irrecevable avant qu'il
n'ait atteint sa majorité. Les autres actions visées par les
articles 6 et 7 ne peuvent être prescrites définitivement pendant
plus d'une génération.
Le juge d'appel Craig, dissident sur un autre
point, a souscrit à cette opinion en ce qui concerne
l'article 8 (voir les pages 11 et 12 du recueil de
jurisprudence précité).
Le paragraphe 9(1) a également une certaine
importance, car il dispose qu'à l'expiration du délai
de prescription fixé pour une action intentée en vue
de recouvrer une dette, des dommages-intérêts ou
pour obtenir une reddition de compte, etc., non
seulement le droit de poursuivre est-il prescrit mais
la cause d'action elle-même est éteinte. Il s'agit
clairement ici d'une règle de fond applicable dans
toute la province. La Loi précise aussi (article 14)
qu'aucune cause d'action prescrite le 1" juillet
1975 ne renaît; elle dispose également que la pres
cription atteint l'action ayant pris naissance avant
cette date, au plus tard le ler juillet 1977, si le délai
de prescription prévu par la loi de 1975 est expiré
à cette date et s'il est plus court que l'ancien délai
de prescription.
Le 30 mars 1978, trente ans s'étaient écoulés
depuis que le droit de poursuivre pour tout dom-
mage subi par suite de l'insuffisance du prix
d'achat avait pris naissance. Comme la déclaration
n'a été déposée que le 19 septembre 1978, moins
que quelque autre texte législatif ou constitution-
nel ne permette de tirer une conclusion différente,
le droit de poursuivre était déjà prescrit en vertu
de l'article 8 de la Loi et, en application de l'article
9, la cause d'action elle-même était déjà éteinte.
c) Autres textes législatifs
En ce qui concerne les autres textes législatifs
pertinents, le paragraphe 2(11) de l'ancienne Laws
Declaratory Act, R.S.B.C. 1948, chap. 179, dispo-
sait que, sous réserve des dispositions de la Trustee
Act [R.S.B.C. 1948, chap. 345], aucune réclama-
tion présentée par le cestui que trust contre son
fiduciaire, sous le régime d'une fiducie explicite, ne
pouvait être déclarée irrecevable en vertu d'un
texte législatif. En revanche, le paragraphe 93(1)
de la Trustee Act de 1948 [86(1)] que l'on trouve
dans R.S.B.C. 1960, chap. 390, disposait que, sauf
si la demande était fondée sur une fraude à
laquelle avait participé le fiduciaire ou si elle visait
le recouvrement de biens détenus en fiducie, le
fiduciaire pouvait invoquer les lois prévoyant des
délais de prescription dans la province. Même si on
avait pu soutenir que, contrairement à l'opinion
majoritaire exprimée par la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Guerin, précité, la cession
créait une fiducie explicite, la réclamation ne pour-
rait être considérée comme une action en recouvre-
ment de biens détenus en fiducie, et fait plus
important encore, les dispositions relatives à la
prescription de ces deux lois ont été abrogées par
la Loi de 1975 dont les dispositions visent mainte-
nant de façon détaillée les biens détenus en fiducie
et les violations de fiducie. Enfin, la formulation
des articles de la Loi de 1975, auxquels j'ai fait
référence, fait ressortir clairement que les disposi
tions de l'article 8 l'emportent.
d) La Charte des droits
Les demandeurs contestent la validité de
l'article 8 en invoquant la Charte canadienne des
droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] ainsi
que les alinéas la) et lb) de la Déclaration cana-
dienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III].
Pour étayer ces prétentions voulant que l'article 8
de la Limitations Act de la Colombie-Britannique
déroge à la Charte, et plus particulièrement à
l'article 7 qui garantit le droit à la vie, à la liberté
et à la sécurité de la personne, auquel il ne peut
être porté atteinte qu'en conformité avec les princi-
pes de la justice fondamentale, les avocats des
demandeurs ont cité des décisions récentes telles
R. v. Antoine (1983), 5 C.C.C. (3d) 97 (C.A.
Ont.); Re McDonald and The Queen (1985), 51
O.R. (2d) 745 (C.A.); R. v. Konechny (1983), 10
C.C.C. (3d) 233 (C.A.C.-B.) et plusieurs autres
affaires similaires. Toutefois, j'estime que ces déci-
sions ne sont pas applicables et qu'aucun des argu
ments fondés sur la Charte et mis de l'avant par
les demandeurs ne peut être retenu pour deux
raisons très simples. D'une part, la Charte con-
cerne la protection de la personne et des droits et
libertés personnels, et elle ne vise pas à garantir les
droits ni les dommages-intérêts relatifs à l'aliéna-
tion des biens. D'autre part, la Charte, d'une
manière générale, ne s'applique pas rétroactive-
ment. Dans des affaires semblables à celles qui ont
été citées, ce texte législatif a été jugé applicable
dans les cas d'injustice se poursuivant après la date
de la promulgation de la Charte, par exemple,
dans les cas où une personne était maintenue en
détention après cette date lorsque la loi en vertu de
laquelle elle avait été incarcérée à l'époque était
jugée maintenant incompatible avec les disposi
tions de la Charte. Il s'agit d'une application pros
pective de la Charte par opposition à une applica
tion rétroactive. Il n'est pas question d'une
application prospective en l'espèce, car les faits à
l'origine de la réclamation sont survenus en 1948,
et ne sauraient donner naissance à un droit d'ac-
tion après cette date.
Dans deux jugements rendus récemment,
Grabbe v. Grabbe et Davidson v. Davidson Estate,
[1987] 2 W.W.R. aux pages 642 et 657 respective-
ment, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique
a décidé que l'article 15 de la Charte n'avait pas
un effet rétrospectif.
Je souscris également à la thèse selon laquelle
les droits à l'égalité prévus par le paragraphe 15(1)
de la Charte garantissent simplement un traite-
ment similaire aux personnes placées dans des
situations similaires. Ces droits ne prévoient pas un
traitement identique pour tous, quelles que soient
les circonstances (Smith, Kline & French Labora
tories Limited c. Procureur général du Canada,
[1986] 1 C.F. 274 (1'e inst.)).
Dans un jugement rendu récemment, R. y.
Hamilton (1986) 57 O.R. (2d) 412, qui a été cité à
l'instruction, la Cour d'appel de l'Ontario a jugé
qu'il avait été porté atteinte à l'article 15 de la
Charte parce que l'application uniforme des règles
du droit pénal adoptées par le gouvernement fédé-
ral, qui a compétence exclusive dans ce domaine
fédéral, ne saurait être subordonnée au consente-
ment des procureurs généraux des provinces. Cette
même décision reconnaît toutefois la validité du
principe en ce qui concerne le droit civil en tout
cas. L'article 15 de la Charte n'oblige pas chaque
province à adopter les mêmes lois dans les domai-
nes qui relèvent de sa compétence, ce qui équivau-
drait à nier le fédéralisme et à détruire le système
fédéral lui-même. Dans l'arrêt R. c. Burnshine,
[1975] 1 R.C.S. 693; (1974), 15 C.C.C. (2d) 505,
la Cour suprême du Canada a tiré la même con
clusion relativement à la nature du fédéralisme
bien que cette affaire porte sur l'application de la
Déclaration canadienne des droits et non sur celle
de la Charte.
Lorsque, dans des situations comme l'espèce et
dans la mesure où la législation fédérale est silen-
cieuse sur la question, la responsabilité de la Cou-
ronne de même que le montant et la nature des
dommages-intérêts recouvrables doivent être déter-
minés par la loi provinciale, on ne peut soutenir
logiquement qu'il est discriminatoire, dans le sens
péjoratif du terme, d'assujettir la Couronne aux
dispositions portant prescription de la législation
provinciale tout en lui permettant d'en invoquer le
bénéfice comme tout simple citoyen de la province.
En ce qui concerne l'article 17 de la Charte, il a
également été décidé dans plusieurs affaires, y
compris le jugement Smith, Kline & French, pré-
cité, que le droit à la vie, à la liberté et à la
sécurité de la personne susmentionné se rapporte
au bien-être physique de la personne: le texte
législatif n'étend pas la protection aux biens. En
outre, une période de prescription finale de trente
ans applicable à tous les résidents de la province ne
contrevient pas aux principes de la justice
fondamentale.
e) La Déclaration des droits
Les demandeurs prétendent également que l'ar-
ticle 8 de la nouvelle Limitation Act est incompati
ble avec l'alinéa l b) de la Déclaration canadienne
des droits et qu'il n'a, dans cette mesure, aucune
force. Voici le texte de la disposition législative
qu'ils invoquent:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de
l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont
existé et continueront à exister pour tout individu au Canada
quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa
religion ou son sexe:
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la
protection de la loi;
À l'instar de la Charte, la Déclaration des droits
n'oblige pas le Parlement à adopter des lois unifor-
mes dans tout le pays. Les demandeurs sont visés
par l'article 8 de la Limitation Act de la même
façon que tous les autres plaideurs, en Colombie-
Britannique. Dans une décision qui n'est pas
encore publiée, l'affaire Algonquin Mercantile
Corp. c. Dart Industries Canada Ltd., en date du
17 juin 1987, n° de greffe: A-692-86, la Cour
d'appel fédérale a approuvé et appliqué le principe
selon lequel, même lorsque le litige est de compé-
tence fédérale, le droit de la province dans laquelle
le litige a pris naissance et est jugé doit s'appliquer
de façon exclusive afin de déterminer les droits des
plaideurs, si le droit fédéral ne prévoit rien à cet
égard. Cette affaire portait sur les taux d'intérêt
qui doivent s'appliquer, et le juge a reconnu qu'il
ne faut pas tenir compte du simple fait que l'issue
aurait été différente si la loi d'une autre province
s'était appliquée.
L'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale
satisfait au critère selon lequel il faut garantir un
traitement similaire aux personnes placées dans
des situations similaires. Le simple fait que les
plaideurs d'autres provinces ne sont pas assujettis
à une prescription finale de trente ans ne constitue
pas de la discrimination, à l'encontre de l'alinéa
l b) de la Déclaration des droits, pas plus que c'en
est une en vertu des articles 7 ou 15 de la Charte.
Bien que la Déclaration des droits soit en vigueur
depuis plus de vingt-sept ans, les avocats des
demandeurs n'ont pu citer une affaire ayant fait
jurisprudence leur permettant d'étayer cet argu
ment de nature territoriale en matière civile.
Les demandeurs ont également soutenu que
l'alinéa l a) de la Déclaration des droits, qui pro-
tège leur droit «à la vie, à la liberté, à la sécurité de
la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et
le droit de ne s'en voir privé que par l'application
régulière de la loi», rendrait inapplicable l'article 8
de la Limitation Act de la C.-B. du fait des
dispositions dérogatoires de l'article 2 de la Décla-
ration des droits.
À l'appui de cette proposition, les avocats des
demandeurs se sont reportés à une déclaration du
juge en chef Laskin, lorsqu'il s'est exprimé au nom
de la minorité dans l'arrêt Morgentaler c. La
Reine, [1976] 1 R.C.S. 616, la page 633; (1975),
20 C.C.C. (2d) 449, la page 462, et à une
déclaration du juge Ritchie dans l'arrêt Curr c. La
Reine, [1972] R.C.S. 889. Ni l'une ni l'autre de
ces déclarations n'appuie la proposition avancée
par les demandeurs.
Le fait que les tribunaux invoquent les disposi
tions d'application générale portant prescription ne
constitue pas un déni de l'application régulière de
la loi, et les lois elles-mêmes ne constituent pas non
plus un tel déni. Une prescription finale ne prive
pas les demandeurs du droit d'intenter un procès ni
du droit d'accès devant les tribunaux. Elle impose
simplement le délai dans lequel l'action doit être
intentée. Ainsi, ce cas n'est pas, comme le préten-
dent les demandeurs, visé par la situation dont
était saisie la Cour suprême de Terre-Neuve dans
l'affaire Piercey v. General Bakeries Ltd.; The
Queen in right of Newfoundland et al., Interve-
nors, (1986), 31 D.L.R. (4th) 373.
f) Conclusion relative à la prescription
Je conclus que l'action intentée pour insuffi-
sance du prix de vente demandé au Directeur, en
1948, est prescrite en vertu des articles 8 et 9 de la
Limitation Act de la C.-B. de 1975, R.S.B.C.
1979, chap. 236.
MANQUE DE DILIGENCE ET AUTRES DISPOSITIONS
PORTANT PRESCRIPTION
Les avocats de la défenderesse ont invoqué en
défense le manque de diligence et se sont égale-
ment appuyés sur d'autres articles de la Limitation
Act de la C.-B. ainsi que de l'ancienne Loi
(R.S.B.C. 1960, chap. 370). Les avocats des deux
parties ont avancé un grand nombre d'arguments
et présenté une abondante jurisprudence à cet
égard.
Compte tenu de ma conclusion relative aux dis
positions portant prescription finale de trente ans,
il serait inutile de me reporter à ces arguments ou
à mes conclusions de fait connexes. Toutefois,
j'ajouterais qu'après avoir tenu compte des disposi
tions d'exception des articles 6 et 7 ainsi que de la
disposition transitoire de l'article 14 de la loi de
1975, j'aurais conclu que l'action était, quoi qu'il
en soit, également prescrite du fait de l'ancienne
Limitations Act ainsi que du paragraphe 3(4) de la
nouvelle Loi.
CONCLUSION
Pour les motifs qui précèdent, la présente action
est rejetée. Les frais suivront la cause.
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