T-2133-88
Alan Riddell (requérant)
c.
Jean-Marc Hamel et Jean-Robert Gauthier
(intimés)
RÉPERTORIÉ: RIDDELL C. HAMEL
Division de première instance, juge Muldoon—
Ottawa, 15 et 17 novembre 1988.
Élections — La demande sollicite un jugement déclaratoire
portant que l'art. 72 de la Loi électorale du Canada est valide,
un bref de mandamus ordonnant l'application de l'art. 72 et
une ordonnance qui prescrirait le retrait des affiches électora-
les désignant erronément un agent officiel, contrairement à
l'art. 72 — Dans l'arrêt Coalition nationale des citoyens, la
Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a déclaré que l'art. 72
était incompatible avec l'art. 2b) de la Charte — Le refus du
directeur général des élections d'appliquer l'art. 72 est justifié
tant que cet arrêt n'a pas été infirmé par une cour de compé-
tence concurrente ou supérieure — Aucun élément de preuve
n'appuie les conjectures voulant que la démocratie soit mise en
danger si l'art. 72 n'est pas appliqué — Aucun avis de
l'instance en l'espèce n'a été expédié aux procureurs généraux
des provinces — Aucune urgence n'a été établie — Il existe des
questions sérieuses à trancher, notamment celle de savoir si
l'art. 72 est contraire à la Charte, celle de savoir si le
fonctionnaire chargé d'assurer l'application de la Loi est le
directeur général des élections ou le commissaire aux élections
fédérales et celle de savoir si ces fonctionnaires échappent à la
surveillance judiciaire — La requête est rejetée sous réserve du
droit du requérant d'intenter une action dans un délai
déterminé.
Compétence de la Cour fédérale — Division de première
instance — La demande sollicite un jugement déclaratoire, un
bref de mandamus et une ordonnance enjoignant à un candidat
d'une élection fédérale de retirer les affiches électorales qui ne
sont pas conformes à l'art. 72 de la Loi électorale du Canada
— La Cour n'a pas la compétence voulue en ce qui concerne le
candidat puisque celui-ci ne constitue pas un office, une
commission ou un autre tribunal fédéral.
Pratique — Frais et dépens — La demande concernant la
validité et l'application de la Loi électorale du Canada est
rejetée pour défaut de compétence dans la mesure où elle vise
le candidat — Les dépens sont réduits en raison des alléga-
tions non fondées imputant de la malice, de la mauvaise foi, de
la malhonnêteté ainsi qu'une conduite déloyale.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 1l (R.-U.),
art. 2b).
Loi électorale du Canada, S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap.
14, art. 2, 3(7), 4(l)a),b),c), 23(2)a) (mod. par S.C.
1977-78, chap. 3, art. 21), 26(1), 62(1) (mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 164, art. 10), (1.2) (édicté,
idem), (2) (mod., idem), 70(3) (mod. par S.C.
1977-78, chap. 3, art. 45), 70.1 (ajouté par S.C.
1973-74, chap. 51, art. 12), 72(1) (mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 164, art. 15), (2) (mod., idem),
77(1), 78(1), 99(2),(3),(4) (mod. par S.C. 1973-74,
chap. 51, art. 13).
JURISPRUDENCE
DECISION SUIVIE:
Wilson c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586
(C.A.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Nat. Citizens' Coalition Inc. Coalition Nat. des Citoyens
Inc. v. A.G. of Can., [1984] 5 W.W.R. 436 (B.R. Alb.);
Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 98
(1« inst.); Hamel c. Union Populaire, [1980] 2 C.F. 599;
118 D.L.R. (3d) 484 (C.A.).
A COMPARU:
Alan Riddell pour son propre compte.
AVOCATS:
Yvon Tarte pour l'intimé Jean-Marc Hamel.
Gérard Lévesque pour l'intimé Jean-Robert
Gauthier.
LE REQUÉRANT, POUR SON PROPRE COMPTE:
Alan Riddell, Ottawa.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé Jean-Marc Hamel.
Lévesque & Terrien, Ottawa, pour l'intimé
Jean-Robert Gauthier.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Le requérant sollicite:
[TRADUCTION]
1. un jugement déclaratoire portant que l'article 72 de la Loi
électorale du Canada S.R.C., (1°' Supp.) chap. 14 est valide;
2. une ordonnance enjoignant par voie de mandamus à l'intimé
Jean-Marc Hamel d'exiger l'observation de l'article 72 de la
Loi électorale du Canada conformément à l'alinéa 4(1)a) de
ladite Loi; et
3. une ordonnance enjoignant à l'intimé Jean-Robert Gauthier
de retirer toute les affiches électorales pour les remplacer
par du matériel conforme à la Loi électorale du Canada.
Le fondement sur lequel le requérant fait repo-
ser sa requête est que M. Hamel, le directeur
général des élections, a refusé d'appliquer l'article
72 de la Loi électorale du Canada [S.R.C. 1970
(ler Supp.), chap. 14 (mod. par S.C. 1980-81-
82-83, chap. 164, art. 15)] en procédant de la
prémisse juridique erronée selon laquelle cet arti
cle est contraire à l'alinéa 2b) de la Charte cana-
dienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)]. Le requérant a comparu personnelle-
ment et, même s'il a eu tendance à prendre trop de
temps et à se répéter assez souvent, ce qui n'est pas
inhabituel chez les non-avocats, il a soulevé de
façon intéressante un bon nombre de points de
droit présentant des difficultés. La Cour a accordé
une très grande latitude au requérant lors de sa
présentation. Ce dernier a dû faire face dès le
départ aux objections préliminaires présentées par
les avocats respectifs des intimés.
Avant de traiter des arguments présentés, la
Cour croit qu'il est opportun d'exposer certains
faits et certaines données propres à la présente
affaire.
Les dispositions législatives citées par le requé-
rant sont les suivantes. L'alinéa 4(1)a) de la Loi
est ainsi libellé:
4. (1) Le directeur général des élections doit
a) diriger et surveiller d'une façon générale les opérations
électorales et exiger de tous les officiers d'élection l'équité,
l'impartialité et l'observation des dispositions de la présente
loi;
En fait, il ressortirait à la lumière d'un argu
ment particulier présenté au sujet du statut de
l'intimé Gauthier et de son agent officiel que le
requérant aurait également besoin d'invoquer l'ali-
néa b) de ce même article, qui est ainsi rédigé:
4....
b) transmettre, à l'occasion, aux officiers d'élection les ins
tructions qu'il juge nécessaires à l'application efficace des
dispositions de la présente loi; ...
L'article 72 de la Loi comporte deux paragra-
phes :
72. (1) Tout imprimé de la nature d'une annonce, d'un
placard, d'une affiche ou d'une circulaire qui indique un soutien
ou une opposition à l'élection d'un parti enregistré ou d'un
candidat et qui est mis en évidence ou distribué pendant une
élection doit porter les nom et l'autorisation de l'agent enregis-
tré du parti ou de l'agent officiel du candidat, selon le cas.
(2) Est coupable d'une infraction à la présente loi, quiconque
imprime, publie, distribue ou affiche, ou fait imprimer, publier,
distribuer ou afficher un imprimé visé au paragraphe (1) sans
indiquer les nom etautorisation des personnes y indiquées.
Si le requérant sollicite un jugement déclara-
toire de cette Cour portant que l'article 72 précité
est valide, c'est qu'en 1984, le juge Medhurst de la
Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a déclaré
que l'article 72, notamment, était incompatible
avec l'alinéa 2b) de la Charte et était inopérant
dans la mesure de cette incompatibilité. La déci-
sion du juge Medhurst est rapportée sous le titre
Nat. Citizen' Coalition Inc. Coalition Nat. des
Citoyens Inc. v. A.G. of Can., [1984] 5 W.W.R.
436 (B.R. Alb.), ci-après désignée sous le nom
Coalition nationale des citoyens.
Le requérant, un électeur dûment qualifié du
district électoral fédéral d'Ottawa -Vanier, agit
comme président de campagne au sein de l'organi-
sation électorale d'un des candidats en l'espèce,
Gilles Guénette. Le requérant présente à l'appui
du bien-fondé de sa requête deux affidavits sous-
crits par un dénommé Bruce McIntosh, un homme
d'affaire qui agit comme directeur adjoint de la
campagne dudit candidat. Ces affidavits allèguent
que des feuillets, des affiches et du matériel électo-
ral imprimés faisant valoir la candidature d'un
autre candidat dans Ottawa -Vanier, l'intimé Jean-
Robert Gauthier, portent la déclaration [TRADUC-
TION] «autorisé[e] par Robert Cusson, agent offi-
ciel» alors que l'agent officiel de ce candidat est en
fait Vincent Gauthier. Un échantillon a été pré-
senté en preuve. Malgré le fait que les imprimés de
M. Gauthier ne portent pas le nom de son véritable
agent officiel, le directeur général des élections
intimé refuse de tenter d'appliquer l'article 72 de
la Loi. Le déposant McIntosh s'appuie sur l'avis
d'un scrutin délivré par le président d'élection
conformément au paragraphe 62(1.2) [édicté par
S.C. 1980-81-82-83, chap. 164, art. 10] de la Loi,
mais il ne prétend pas nier l'applicabilité du para-
graphe 62(2) [mod., idem] qui prévoit la nomina
tion d'un nouvel agent officiel dans certaines cir-
constances. Quoi qu'il en soit, l'avocat de l'intimé
Gauthier n'a fait valoir aucune allégation affir-
mant le contraire et a à peine eu le temps de même
donner un avis de son intention, le, cas échéant, de
contre-interroger M. McIntosh relativement à son
affidavit.
L'avocat de l'intimé Gauthier a d'autre part mis
de l'avant certaines objections préliminaires, dont
une était valable et dont un bon nombre étaient
tout simplement répréhensibles. Parmi ces derniè-
res figurent les objections qui, sans un soupçon de
preuve, ont imputé au requérant de la malice, de la
mauvaise foi, de la malhonnêteté ainsi qu'une con-
duite déloyale. Bien que M. Gauthier ait été
importuné de façon imprévue et ait reçu peu
d'avertissement, il ne peut s'attendre à ce que la
Cour lui accorde la totalité de ses frais lorsque son
avocat adopte une telle approche. Celui qui recher-
che l'application de la loi ne doit pas être insulté.
L'avocat de l'intimé Gauthier a soutenu qu'il est
abusif de demander l'application d'une disposition
légale non existante. Cet aspect de son argumenta
tion aurait de meilleures chances de réussir, mais il
ne tient pas compte du fait que la première
demande du requérant sollicite une déclaration
portant que l'article 72 revit et est pleinement
valide. L'objection de cet avocat selon laquelle
cette Cour n'est pas compétente en ce qui concerne
l'intimé Gauthier était suffisante par elle-même.
Le requérant a astucieusement prétendu que
chaque candidat, y compris M. Gauthier, constitue
avec son agent officiel un(e) «office, commission
ou autre tribunal fédéral» parce qu'il exerce des
fonctions en vertu de dispositions comme, par
exemple, l'alinéa 23(2)a) [mod. par S.C. 1977-78,
chap. 3, art. 21] et les paragraphes 26(1) et 62(1)
[mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 164, art. 10]
de la Loi électorale du Canada. Les actions permi-
ses à un candidat dans son propre intérêt ou
exigées d'un candidat dans l'intérêt public ne suffi-
sent pas à en faire un office ou un autre tribunal
fédéral. La Cour aurait autorisé M. Gauthier à
intervenir à titre de personne intéressée dans l'ins-
tance s'il avait demandé qu'une telle qualité lui
soit reconnue, mais elle ne cherchera pas à lui
imposer sa compétence. La requête du requérant
est donc radiée dans la mesure où elle vise à
associer à la procédure Jean-Robert Gauthier dans
la présente instance, et M. Gauthier ne se verra
accorder que les deux-tiers de ses frais taxés entre
parties (considérant les allégations extravagantes
et non prouvées de son avocat) contre le requérant,
à qui il sera ordonné de les payer.
Le directeur général des élections, conjointe-
ment avec l'intimé Gauthier, a présenté une objec
tion soulevant la brièveté excessive de l'avis relatif
à la présente instance, qui n'a été signifié qu'un
jour avant son commencement. En fait, la Cour
n'est pas bien outillée pour trancher de façon
urgente—sauf peut-être en ce qui concerne l'in-
jonction provisoire assortie d'un engagement à
payer des dommages-intérêts ou à fournir un cau-
tionnement—des affaires fugitives comme l'affaire
en l'espèce. Lorsqu'on recherche un recours
extraordinaire à l'égard de telles questions, plutôt
qu'une mesure de police, la Cour devrait avoir les
moyens nécessaires pour faire face aux urgences
très pressantes.
La présente espèce ne présente pas un caractère
de grande urgence. Certes, la Cour doit faire
observer la loi, mais il reste que la violation du
paragraphe 72(1) n'est pas l'une des infractions
dénoncées par la législation sur les élections aux-
quelles le Parlement lui-même a attribué le plus de
gravité. Elle est sanctionnée par les pénalités géné-
rales prévues à l'article 78. A titre d'exemple, le
fait d'enlever ou de modifier les avis officiels sans
autorisation est punissable, en vertu du paragraphe
77(1) et sur déclaration sommaire de culpabilité,
d'un emprisonnement d'une durée deux fois plus
longue que celle prévue à l'article 78 tandis que le
paragraphe 99(4) [mod. par S.C. 1973-74, chap.
51, art. 13] prévoit une amende cinq fois plus
importante sur déclaration sommaire de culpabi-
lité pour la violation des paragraphes 99(2) et (3).
La présente infraction ne concerne pas le fait de
tromper ou d'intimider les électeurs ou d'entraver
l'exercice de leur droit de vote. En fait, le Parle-
ment ne prévoit pas à cet égard d'autres mesures
dissuasives, ou des mesures plus draconiennes, que
la poursuite fondée sur le paragraphe 72(2), qui
est elle-même régie par le paragraphe 78(1).
Le requérant a conjecturé à cet égard que le mal
si délibérément minimisé par le juge Medhurst
dans l'arrêt Coalition nationale des citoyens se
réalisera: des associations, syndicats ou coalitions
possédant de grands moyens financiers intervien-
dront pour exercer une influence sans commune
mesure avec le droit de vote des particuliers qui les
ont mandatés, parce qu'ils ont les moyens de tou-
cher le grand public par les médias ou, à tout le
moins, d'imprimer à tour de bras; et une telle
richesse sera brutalement déployée pour étouffer
cette plante de serre qu'est la démocratie (voilà
bien ce qu'elle est, car il n'est pas dans l'ordre des
choses d'accorder aux faibles un pouvoir politique
égal—par le bulletin de vote individuel—à celui
des forts lorsqu'il s'agit de forger les politiques et
de déterminer les lignes de conduite du gouverne-
ment). Le requérant n'a présenté aucune preuve
établissant le bien-fondé de ses conjectures.
La Cour ne serait pas sans réagir devant la
preuve convaincante que l'on cherche, par des
apports d'argent occulte, à déséquilibrer la capa-
cité des partis politiques de se battre dans l'arène
publique pour emporter la faveur de l'électorat. La
Cour a indiqué qu'elle était habilitée à prendre des
mesures correctives relativement à des circons-
tances analogues dans l'arrêt Operation Dismantle
Inc. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 98 (ire inst.), à la
page 108. La démonstration convaincante d'un
danger réel et imminent pour ce pays, ses habi-
tants ou leurs institutions démocratiques amène-
rait certainement la Cour à exercer ses pouvoirs.
Le requérant ne présente aucun élément de preuve
établissant un tel péril mais se contente de suggé-
rer mollement qu'il peut en obtenir. Une cour de
justice et d'equity, au contraire d'une unité anti -
sabotage, n'est pas justifiée d'agir précipitamment
en se fondant sur de simples soupçons, quelque
convaincants qu'ils puissent être. Si le requérant
possède réellement une telle preuve, celle-ci est
précisément de celles qui pourraient étayer la vali-
dité des articles 70.1 [ajouté par S.C. 1973-74,
chap. 51, art. 12] et 72 de la Loi au regard de
l'article 1 de la Charte.
La demande que le requérant dit qu'il aurait pu
présenter pourrait bien être suffisamment sérieuse
pour amener la Cour à exercer ses pouvoirs dans
l'intérêt public. En comparaison, la demande que
le requérant a effectivement présentée—la dési-
gnation de la mauvaise personne comme agent
officiel sur des imprimés faisant de la propagande
partisane—est relativement peu importante et ne
présente certainement pas un caractère d'urgence.
L'arrêt Coalition nationale des citoyens, tant qu'il
n'est pas infirmé par une cour de compétence
concurrente ou supérieure, justifie le refus du
directeur général des élections d'appliquer l'article
72 de la Loi électorale du Canada durant la
campagne électorale en cours. Se prévalant de
l'immunité offerte dans la salle d'audience, son
avocat a indiqué que le directeur général des élec-
tions considère que l'arrêt Coalition nationale des
citoyens a eu des conséquences absolument néfas-
tes et qu'il serait content de le voir infirmé. Le
procureur général du Canada, qui était défendeur
dans cette affaire qui s'est déroulée en 1984, n'a
pas interjeté appel de la décision rendue et le
directeur général des élections n'a pas été associé à
l'instance.
L'avocat du directeur général des élections a
également prétendu qu'en tout état de cause, le
directeur général ne devrait pas agir comme intimé
dans la présente affaire puisque le fonctionnaire
chargé d'assurer l'application et le respect de la
Loi, aux termes du paragraphe 70(3) [mod. par
S.C. 1977-78, chap. 3, art. 45] de la Loi, n'est pas
le directeur lui-même mais le commissaire aux
élections fédérales (que nous dénommerons le
C.E.F.). Il soutient que le fait que le paragraphe
70(3) attribue directement au C.E.F. le rôle de
«veiller à ce que les dispositions de la présente loi
soient respectées et appliquées» est beaucoup plus
représentatif de l'intention du Parlement que les
dispositions en quelque sorte plus diluées figurant
à l'alinéa 4(1)a) [ou même à l'alinéa c)], qui
auraient été conçues principalement pour les fins
de l'administration organisationnelle interne.
L'argument résumé ci-dessus semble plus plausi
ble que celui qui lui fait suite, selon lequel, quoi
qu'il en soit, le directeur général des élections et le
C.E.F., nommés par la Chambre des communes ou
par son intermédiaire, échappent tous deux à la
surveillance judiciaire de cette Cour. C'est comme
si, dans le fédéralisme canadien d'aujourd'hui, la
Cour d'appel ultime était un comité de la Cham-
bre des lords qui serait ainsi appelé à statuer sur
les droits et privilèges des Communes, une perspec
tive considérée depuis longtemps comme un
malaise potentiel du corps politique de la Grande-
Bretagne unitaire. Cet argument procède d'un
esprit de déférence coloniale voulant imposer des
normes de la mère patrie qui ne s'appliquent pas
dans notre pays. L'article 3 de la Loi fait du
directeur général des élections un haut-fonction-
naire de l'Etat et lui confère une grande indépen-
dance; les dispositions de cet article, et en particu-
lier le paragraphe 3(7) selon lequel le directeur
général des élections n'est amovible «que pour
cause, par le gouverneur général sur une adresse [à
la fois] du Sénat et de la Chambre des communes»
ne suffisent pas à le hisser au-dessus de la loi.
L'avocat du directeur général des élections dit que
dans l'hypothèse où le directeur général des élec-
tions ou le C.E.F., ou l'un et l'autre, pourraient
être assujettis à la surveillance de cette Cour, c'est
le second qui devrait être considéré comme la
personne responsable. Cela revient à dire que le
requérant a engagé des procédures contre le mau-
vais officier et qu'en conséquence, sa demande
devrait être rejetée.
L'avocat de l'autre intimé fait état des fonctions
assignées au C.E.F. par l'article 70 de la Loi, à
savoir:
70....
(3) Le directeur général des élections doit nommer un com-
missaire aux élections fédérales (appelé le «commissaire» dans
la présente loi) qui a pour fonctions, sous la surveillance
générale du directeur général des élections, de veiller à ce que
les dispositions de la présente loi soient respectées et appliquées.
La question reste ouverte, puisque le C.E.F., étant
un «officier d'élection» au sens de l'article 2 de la
Loi, demeure assujetti dans l'exercice de ses fonc-
tions aux directives du directeur général des élec-
tions qui, selon les termes précités de l'alinéa
4(1)b), doit transmettre aux officiers d'élection, y
compris le C.E.F., les instructions qu'il juge néces-
saires «à l'application efficace des dispositions de
la présente loi». Il est possible qu'une argumenta
tion plus poussée, plus complète et supérieure con-
vainque un tribunal de conclure qu'il incombe
également à l'un de ces deux officiers, ou aux
deux, de faire respecter l'article 72 de la Loi, dans
l'hypothèse où cette disposition législative serait
valide.
Quoi qu'il en soit, l'avocat de l'intimé prétend en
fin de compte que ni l'un ni l'autre n'est assujetti
au pouvoir de surveillance de la Cour mais que
tous deux jouissent d'une immunité parce que
l'intimé ne relève que du Parlement. Il s'agit, là
encore, d'une question litigieuse, qui a été soulevée
sans être tranchée dans l'arrêt Hamel c. Union
Populaire, [ 1980] 2 C.F. 599, la page 604; 118
D.L.R. (3d) 484, à la page 489. Examinant un
bref de mandamus délivré par la Division de pre-
mière instance, la Division d'appel de cette Cour a
simplement tenu pour acquis que «le directeur
général des élections est assujetti au contrôle des
tribunaux» sans . trancher cette question. Celle-ci
mérite certes d'être débattue et étudiée de façon
plus approfondie qu'elle ne peut l'être dans le
cadre de procédures sommaires comme celles en
l'espèce. Toutefois, il n'est aucunement certain que
l'intimé, qui détient d'office une autorité étatique
et un pouvoir conféré par une loi—une caractéris-
tique essentielle d'«un office . .. ou ... autre tribu
nal fédéral»—ait raison de prétendre qu'il jouit
d'une immunité à l'égard des brefs de prérogative,
en particulier à une époque où, comme c'est le cas
actuellement, le Parlement et le gouvernement en
place sont eux-mêmes assujettis aux règles de droit
énoncées par la Constitution.
Quoi qu'il en soit, la position de l'intimé en
l'espèce nécessite une décision sur la constitution-
nalité de l'article 72 de la Loi. Aucun avis de la
présente instance n'a été signifié aux procureurs
généraux du Canada afin de découvrir si certains
de ceux-ci seraient intéressés à y intervenir. Cette
possibilité devrait leur être accordée. En ; consé-
quence, comme il n'est pas établi que la présente
affaire est très urgente, comme il existe au moins
une question constitutionnelle à trancher et comme
le requérant sollicite non seulement un redresse-
ment par voie de mandamus et d'injonction man-
datoire mais également une déclaration sur la
validité de l'article 72 contesté, la Cour suivra la
directive donnée par la Division d'appel dans l'ar-
rêt Wilson c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F.
586, la page 589:
Il me semble que deux partis s'offrent au juge saisi d'une
requête en jugement déclaratoire: il peut soit rejeter la
demande pour des motifs d'ordre procédural tout en réservant
au requérant le droit d'intenter son action dans un délai qu'il
fixe, soit, avec le consentement des parties et non simplement
en l'absence d'objection, ordonner que l'on considère que l'ins-
tance a été régulièrement introduite, à condition que les parties
versent au dossier un exposé conjoint de tous les faits sur
lesquels les questions en litige devront être tranchées. L'omis-
sion de délimiter les faits peut amener une situation semblable
à celle que nous avons en l'espèce. On ne peut avoir la certitude
qu'en appel, les questions en litige seront abordées de la même
façon que lors du procès.
Comme l'intimé n'a pas donné le consentement
requis et qu'il n'existe aucune possibilité qu'un
exposé conjoint des faits soit versé au dossier, la
requête du requérant sera rejetée, et ce dernier
paiera les frais entre parties si l'affaire prend fin
avec la présente décision. Toutefois, les frais sui-
vront l'issue du litige si le requérant engage une
action comme il a la possibilité de le faire, sous
toute réserve que de droit. Ainsi que l'a prescrit
M. le juge Mahoney dans l'arrêt Wilson, le rejet
de la présente requête ne préjudicie pas au droit du
requérant d'intenter une action contre le directeur
général des élections et/ou le commissaire aux
élections fédérales et/ou le procureur général du
Canada s'il juge à propos de le faire, pour obtenir
le redressement à caractère déclaratoire et les
autres redressements sollicités en l'espèce, avant la
fin des heures d'affaires du greffe d'Ottawa de la
Cour le vendredi 9 décembre 1988, à défaut de
quoi le directeur général des élections intimé
pourra taxer ses frais et obtenir un jugement à leur
sujet contre le requérant.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.