A-1118-87
Yri-York Limited, Norman B. Katzman, L. F.
Newberry, John M. White, Leon Robidoux, Pitt
Steel Limited, James Arthur Jobin, Lorne Gilbert
Coons, Bruce Scott Moore, William Alexander
Mowat, Newman Steel Ltd., Peter R. Sheppard,
Zenon P. Zarcz, Namasco Limited, Charles Ian
McKay, P. J. Peckham, Westeel-Rosco Limited,
Marshall Steel Limited, AMCA International
Limited, J. B. Phelan, Samuel, Son & Co. Limi
ted, W. Grant Brayley et Harold Irvine (appe-
lants) (requérants)
c.
Procureur général du Canada, Commission sur les
pratiques restrictives du commerce, Directeur des
Enquêtes et recherches nommé en vertu de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions et J. H.
Cleveland (intimés) (intimés)
RÉPERTORIÉ: YRI-YORK LTD. c. CANADA (PROCUREUR
GÉNÉRAL) (C.A.)
Cour d'appel, juges Heald, Stone et MacGuigan—
Ottawa, 9 décembre 1987 et 19 janvier 1988.
Compétence de la Cour fédérale — Division de première
instance — Appel interjeté d'une ordonnance rejetant une
requête fondée sur l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale qui
sollicitait une ordonnance interdisant par voie de prohibition
l'instruction de procédures en cours devant la Commission sur
les pratiques restrictives du commerce — Compétence de la
Cour sous le régime des art. 18 et 50 de la Loi — La
requérante sollicite en fait une injonction interlocutoire ou une
suspension d'instance — Les enquêtes menées en vertu de l'art.
17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions constituent
des «procédures» — Appel accueilli.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Injonctions —
Une requête a été présentée en vertu de l'art. 18 de la Loi sur
la Cour fédérale pour obtenir une ordonnance interdisant par
voie de prohibition l'instruction de procédures en cours devant
la Commission sur les pratiques restrictives du commerce
jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada ait statué sur la
constitutionnalité de l'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes
sur les coalitions — Le redressement sollicité est un redresse-
ment par voie d'injonction — La suspension et l'injonction
interlocutoire sont des redressements de même nature
Application du critère en trois volets de l'arrêt American
Cyanamid — Le critère de l'existence d'une question sérieuse
suffit dans une affaire constitutionnelle où l'importance res
pective de l'intérêt public et des intérêts privés des parties est
déterminé dans l'appréciation de la prépondérance des incon-
vénients — Préjudice irréparable — La protection prévue à
l'art. 20 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ne
s'étend pas à la preuve documentaire obtenue lors d'une
enquête tenue sous le régime de l'art. 17 — L'appel formé à
l'encontre de la décision de rejeter la requête est accueilli.
Coalitions — Appel est interjeté d'une décision refusant la
délivrance d'une ordonnance prohibant l'instruction de procé-
dures en cours devant la Commission sur les pratiques restric-
tives du commerce jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada
ait statué sur la constitutionnalité de l'art. 17 de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions dans une autre affaire
— Il est allégué que l'art. 17 contrevient aux art. 7 et 8 de la
Charte — Défaut du juge de première instance d'appliquer le
critère en trois volets de l'arrêt American Cyanamid — Un
préjudice irréparable pourrait être causé puisque la protection
accordée par l'art. 20 de la Loi ne s'étend pas à la preuve
documentaire obtenue dans le cadre d'une enquête tenue sous
le régime de l'art. 17 — L'appréciation de la prépondérance
des inconvénients doit tenir compte de l'intérêt public.
Pratique — Introduction des procédures — Une requête
fondée sur l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale sollicite une
ordonnance interdisant par voie de prohibition l'instruction de
procédures en cours devant la Commission sur les pratiques
restrictives du commerce — Pertinence du recours à l'avis de
requête prévu à la Règle 319 — Le redressement par voie
d'injonction en l'espèce n'est pas sollicité contre le procureur
général.
Appel est interjeté d'une ordonnance de la Division de pre-
mière instance rejetant une requête présentée sous le régime de
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale pour obtenir une
ordonnance interdisant par voie de prohibition l'instruction de
toute procédure en cours devant la Commission sur les prati-
ques restrictives du commerce jusqu'à ce que la Cour suprême
du Canada ait statué sur la constitutionnalité de l'article 17 de
la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions (la Loi) dans
l'affaire Thomson Newspapers Ltd. et al. v. Director of Inves
tigation & Research et al. L'article 17 traite des interrogatoires
de témoins et de la production de documents. Les appelants en
l'espèce ont reçu différents avis et ordonnances délivrés en vertu
de cette disposition relativement à une enquête portant sur les
activités qu'ils ont exercées dans l'industrie de l'acier au cours
des années 1975, 1976 et 1977. Comme les appelants dans
l'affaire Thompson Newspapers, les appelants en l'espèce pré-
tendent que l'article 17 contrevient aux articles 7 et 8 de la
Charte.
Le juge des requêtes a rejeté la requête fondée sur l'article 18
au motif que le critère en trois volets de l'arrêt American
Cyanamid ne s'applique pas dans le cas d'une contestation
formée en vertu de l'article 18 lorsqu'un tribunal administratif
exerce un pouvoir conféré par une loi. Les questions en litige
sont celles de savoir si cette Cour possède la compétence voulue
pour accorder le redressement sollicité et si le juge des requêtes
a commis une erreur en n'appliquant pas le critère prescrit par
la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Manitoba (Procureur
général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
La Cour fédérale possède à la fois en vertu de l'article 18 et
en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale la
compétence voulue pour accorder le redressement sollicité. La
prétention des intimés que la requête en l'espèce constitue en
réalité une demande de suspension—un redressement non visé
par l'article 18—doit échouer. La demande d'«une ordonnance
interdisant par voie de prohibition l'instruction de toute procé-
dure» constitue clairement une demande de redressement par
voie d'injonction. L'alinéa 18a) de la Loi sur la Cour fédérale
habilite la Cour à accorder des injonctions et des brefs de
prohibition. L'alinéa 18b) confère à la Cour la compétence pour
instruire les demandes de redressements de la nature de celui
qu'envisage l'alinéa a). Comme l'a dit le juge Beetz dans l'arrêt
Metropolitan Stores, «la suspension d'instance et l'injonction
interlocutoire sont des redressements de même nature». L'alinéa
18b) a donc pour effet de conférer à la Cour la compétence
pour instruire une demande de suspension, et c'est bien ce
qu'est la requête en l'espèce.
Comme les appelants n'ont pas recherché de redressement
par voie d'injonction contre le procureur général, leur décision
d'agir sous le régime de l'article 18 en présentant un avis de
requête conformément à la Règle 319 plutôt que d'agir par voie
d'action conformément à la Règle 400 est valable dans les
circonstances de la présente espèce.
La Cour est également compétente en vertu de l'article 50 de
la Loi sur la Cour fédérale. Le paragraphe 50(1) déclare que la
Cour peut «suspendre les procédures dans toute affaire ou
question» au motif que la demande est en instance devant un
autre tribunal ou une autre juridiction ou lorsqu'il est dans
l'intérêt de la justice de le faire. Cette disposition s'étend à une
procédure comme l'interrogatoire oral autorisé par le paragra-
phe 17(1) de la Loi. Il ressort clairement de l'économie de la
Loi ainsi que du libellé de son article 27 que les «enquêtes»
prévues à l'article 17 constituent des «procédures» se déroulant
devant la Commission.
La jurisprudence sur laquelle se sont appuyés les intimés ne
permettait pas au juge des requêtes de conclure que le critère
de l'arrêt American Cyanamid ne devait pas s'appliquer dans
une affaire comme l'espèce. Le juge des requêtes s'est trompé
en omettant d'appliquer le critère en trois volets de l'arrêt
American Cyanamid tel qu'il se trouvait approuvé et adapté
dans l'arrêt Metropolitan Stores. Dans cette affaire, la Cour
suprême a indiqué que la formulation du critère de l'existence
d'une «question sérieuse» faite dans l'arrêt American Cyanamid
«suffit dans une affaire constitutionnelle où l'intérêt public est
pris en considération dans la détermination de la prépondérance
des inconvénients». Le juge Beetz, prononçant les motifs de la
Cour, a approuvé les deux autres critères de l'arrêt American
Cyanamid: (1) le préjudice irréparable non susceptible d'être
compensé par des dommages et intérêts et (2) la prépondérance
des inconvénients et l'intérêt public. Le fait que la Cour
suprême du Canada ait accordé une autorisation de pourvoi
dans l'affaire Thompson Newspapers, qui met en jeu une
question identique à celle en l'espèce, démontre qu'il existe une
question sérieuse à trancher.
Il a été satisfait au critère du préjudice irréparable. La
protection contre l'auto-incrimination accordée par l'article 20
de la Loi aux témoins déposant sous le régime de l'article 17 ne
s'étend pas à la preuve dérivée ou documentaire obtenue lors
d'un interrogatoire tenu conformément à l'article 17. La
réponse d'un témoin déposant lors d'une enquête menée sous le
régime de l'article 17 la question de savoir où se trouvent
certains documents pourrait amener un enquêteur à se rendre
sur les lieux d'un «participant» au sens donné à ce terme au
paragraphe 45(1) de la Loi. En vertu de l'alinéa 45(1)c), ces
documents pourraient être admis en preuve contre ce témoin et
attester prima facie la véracité de leur contenu contre ce
témoin lors d'un procès subséquent. Il est loin d'être certain que
le paragraphe 24(2) de la Charte protégerait un témoin dépo-
sant sous le régime de l'article 17.
Lorsque la constitutionnalité d'une loi est contestée, aucune
injonction interlocutoire ne devrait être accordée à moins que
l'importance respective de l'intérêt public et des intérêts privés
des parties au litige ne soit déterminée dans l'appréciation de la
prépondérance des inconvénients. En l'espèce, la prépondérance
des inconvénients et l'intérêt public exigent qu'une suspension
interlocutoire de l'instance soit accordée. La présente affaire
n'est pas un «cas de suspension» mais un «cas d'exemption»
selon le sens donné à ces expressions dans les définitions de
l'arrêt Metropolitan Stores. L'article 17 de la Loi ne s'applique
qu'aux sociétés ou aux particuliers visés par des enquêtes
commencées sous le régime de l'ancienne Loi (à présent rem-
placée par la Loi sur la concurrence, S.C. 1986, chap. 26) qui
se sont poursuivies en vertu d'une disposition assurant la protec
tion des droits acquis. Il n'existe aucun risque d'«avalanche
d'exemptions» puisque les seules parties à des litiges se trouvant
dans la même situation que les appelants sont celles des affaires
Thompson Newspapers et Stelco. De plus, le fait que le présent
cas d'exemption n'ait aucune valeur de précédent ou effet
exemplaire milite également en faveur de la délivrance de
l'injonction interlocutoire sollicitée.
Une objection sérieuse a été soulevée à l'encontre de la
délivrance de l'injonction interlocutoire en l'espèce. Cette objec
tion avait trait à la durée d'une suspension ou injonction
interlocutoire; elle faisait état de l'incapacité de la Cour d'exer-
cer le genre de contrôle qu'elle exerce habituellement à l'égard
des redressements de cette nature. Les circonstances énumérées
ci-dessus qui sont favorables au prononcé d'une ordonnance
accordant une suspension interlocutoire des procédures font
plus que neutraliser cette objection, pourvu que l'ordonnance
prononcée établisse des limites de temps raisonnables et prévoie
une supervision et un contrôle suivis de la Cour. Une telle
ordonnance devrait permettre à la Cour de protéger l'intérêt
public en protégeant les droits et libertés inscrits dans la
Constitution. Elle permettra également de réduire au minimum
toute entrave au processus démocratique assuré par l'exécution
des lois régulièrement édictées.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7, 8, 24.
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970,
chap. C-23, art. 17, 20 (mod. par S.C. 1974-75-76,
chap. 76, art. 8), 27 (mod. idem, art. 9), 45 (mod.
idem, art. 21).
Loi sur la concurrence, S.R.C. 1970, chap. C-23 (mod.
par S.C. 1986, chap. 26, art. 19).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 2, 18, 50.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
319, 400, 603.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores
Ltd., [ 1987] 1 R.C.S. 110; Commission d'énergie électri-
que du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Com-
papy Limited, [1985] 2 C.F. 13 (C.A.); Law Society of
Alberta v. Black et al. (1983), 8 D.L.R. (4th) 346 (C.A.
Alb.); American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975]
A.C. 396 (H.L.).
DÉCISION NON SUIVIE:
McFetridge v. Nova Scotia Barristers' Society (1981),
123 D.L.R. (3d) 475 (C.S.N.-E.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Lodge c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1979] 1 C.F. 775 (C.A.), infirmant [1978] 2 C.F. 458
(1"e inst.); Procureur général du Canada c. Gould, [1984]
1 C.F. 1133 (C.A.), confirmé par [1984] 2 R.C.S. 124.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Canada (Procureur général) c. Alex Couture Inc., [ 1987]
R.J.Q. 1971 (C.A.); Irvine c. Canada (Commission sur
les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S.
181; (1987), 74 N.R. 33; R. L. Crain Inc. et al. v.
Couture and Restrictive Trade Practices Commission et
al. (1983), 10 C.C.C. (3d) 119 (B.R. Sask.); R. c.
Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; 38 D.L.R. (4th) 508.
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Thomson Newspapers Ltd. et al. v. Director of Investiga
tion & Research et al. (1986), 57 O.R. (2d) 257 (C.A.);
Stelco Inc. c. Canada (Procureur général), Cour fédérale,
Division d'appel, A-728-87, jugement en date du 22
octobre 1987, non encore publié; R. v. Dahlem (1983), 25
Sask. R. 10 (B.R.); R. v. Jahelka; R. v. Stagnitta (1987),
79 A.R. 44 (C.A.); Rio Hotel Ltd. c. Commission des
licences et permis d'alcool, [1986] 2 R.C.S. ix.
AVOCATS:
F. J. C. Newbould, c.r. pour les appelants
(requérants) Yri-York Limited, Norman B.
Katzman, L. F. Newberry, John M. White,
Leon Robidoux, Newman Steel Ltd., Peter R.
Sheppard et Zenon P. Zarcz.
Peter R. Jervis pour les appelants (requé-
rants) Pitt Steel Limited, James Arthur
Jobin, Lorne Gilbert Coons, Bruce Scott
Moore, William Alexander Mowat et Mar-
shall Steel Limited.
T. B. O. McKeag, c.r. pour les appelants
(requérants) Namasco Limited, Charles Ian
McKay et P. J. Peckham.
Neil Finkelstein pour les appelants (requé-
rants) Westeel-Rosco Limited.
James A. Robb, c.r. pour les appelants
(requérants) AMCA International Limited et
J. B. Phelan.
David F. Bell pour les appelants (requérants)
Samuel, Son & Co. Limited et W. Grant
Brayley.
Peter A. Vita, c.r. pour les intimés (requé-
rants).
PROCUREURS:
Tilley, Carson & Findlay, Toronto, pour les
appelants (requérants) Yri-York Limited,
Norman B. Katzman, L. F. Newberry, John
M. White et Leon Robidoux.
Stikeman, Elliott, Toronto, pour les appelants
(requérants) Pitt Steel Limited, James Arthur
Jobin, Lorne Gilbert Coons, Bruce Scott
Moore, William Alexander Mowat et Mar-
shall Steel Limited.
Phillips & Vineberg, Montréal, pour les appe-
lants (requérants) Newman Steel Ltd., Peter
R. Sheppard et Zenon P. Zarcz.
Campbell, Godfrey and Lewtas, Toronto,
pour les appelants (requérants) Namasco
Limited, Charles Ian McKay et P. J.
Peckham.
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour
l'appelante (requérante) Westeel-Rosco Limi
ted.
Stikeman, Elliott, Montréal, pour les appe-
lants (requérants) AMCA International
Limited et J. B. Phelan.
Smith, Lyons, Torrance, Stevenson & Mayer,
Toronto, pour les appelants (requérants)
Samuel, Son & Co. Limited et W. Grant
Brayley.
Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour
l'appelant (requérant) Harold Irvine.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés (intimés).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Appel est interjeté d'une
ordonnance de la Division de première instance
[[1988] 2 C.F. 537] rejetant un avis de requête
introductif d'instance en date du 23 septembre
1987 présenté conformément à l'article 18 de la
Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
chap. 10]. Cet avis de requête introductif d'ins-
tance sollicitait entre autres une ordonnance inter-
disant par voie de prohibition l'instruction de toute
procédure en cours devant la Commission sur les
pratiques restrictives du commerce (C.P.R.C.)
conformément à l'article 17 de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap.
C-23 (LEC) concernant la production, la fabrica
tion, l'achat, la vente et la fourniture de certains
types de produits en acier, jusqu'à ce que la Cour
suprême du Canada ait rendu une décision dans
l'appel interjeté dans l'affaire Thomson Newspa
pers Ltd. et al. v. Director of Investigation &
Research et al. L'autorisation d'en appeler de la
décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario
dans cette affaire' a été accordée [[1987] 1 R.C.S.
xiv], et la Cour suprême du Canada a déclaré que
la question à trancher dans le cadre de ce pourvoi
était la suivante:
L'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions
est-il incompatible avec les dispositions des articles 7 et 8 de la
Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, nul
et de nul effet?
Les appelants sont tous des sociétés ou des
particuliers qui ont reçu différents avis ou ordon-
nances conformément à la LEC en ce qui concerne
une enquête menée par le directeur des enquêtes et
recherches nommé en vertu de cette Loi (le direc-
teur). Ainsi qu'il est noté plus haut, l'enquête en
cause porte sur les activités exercées par les appe-
lants dans l'industrie de l'acier au cours des années
1975, 1976 et 1977.
À une date située entre le 27 janvier et le 2
février 1981, le président de la C.P.R.C. a rendu
une ordonnance conformément au paragraphe
17(1) de la LEC enjoignant à quelque vingt-neuf
particuliers de comparaître [TRADUCTION] «pour
déposer sous serment dans le cadre» d'une enquête
portant sur la production, la fabrication, l'achat, la
vente et la fourniture d'acier laminé, d'acier en
plaques, d'acier en barres et d'acier de construc
tion, et d'autres produits connexes.
Des auditions ont été tenues devant M. H. H.
Griffin (l'officier enquêteur nommé pour mener
l'enquête) le 25 février ainsi que les 2, 3, 4, 5, 6, 9
et 12 mars 1981. L'enquête a alors été ajournée
sine die pendant l'instruction de diverses demandes
présentées devant la Cour fédérale du Canada
relativement à la validité de cette enquête. Le sort
de ces procédures a ultimement été réglé par la
1 Thomson Newspapers Ltd. et al. v. Director of Investiga
tion & Research et al. (1986), 57 O.R. (2d) 257 (C.A.).
décision de la Cour suprême du Canada en date du
26 mars 1987 qui a confirmé la légalité de l'en-
quête ajournée (Irvine c. Canada (Commission sur
les pratiques restrictives), [1987] 1 R.C.S. 181;
(1987), 74 N.R. 33).
Le directeur, par des lettres recommandées en
date du 24 août 1987, a avisé les appelants que les
auditions ajournées reprendraient le 29 septembre
1987 devant l'officier enquêteur J. H. Cleveland.
Le 29 septembre, suivant l'accord intervenu entre
les avocats des parties, cette reprise a elle-même
été ajournée en attendant l'issue de la demande
présentée devant la Division de première instance.
Le 6 octobre 1987, le président de la C.P.R.C. a
prononcé une ordonnance annulant les ordonnan-
ces initiales relatives à l'interrogation des témoins
(les 27 janvier et 2 février 1981) et il a rendu une
nouvelle ordonnance enjoignant aux témoins de
comparaître pour être interrogés à Mississauga le
30 novembre 1987. Avec le consentement du direc-
teur, ces interrogatoires et ces auditions ont été
ajournées jusqu'à ce qu'une décision soit rendue
concernant le présent appel.
Les appelants soutiennent que les ordonnances
et avis délivrés conformément à l'article 17 de la
LEC violent les dispositions des articles 7 et 8 de
la Charte [Charte canadienne des droits et liber-
tés, qui constitue la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. La constitution-
nalité de l'article 17 se trouve présentement exami
née dans au moins deux autres litiges, l'un de
ceux-ci étant l'affaire Thomson Newspapers, sus-
mentionnée, et l'autre l'affaire Stelco Inc. c.
Canada (Procureur général), dans laquelle une
autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du
Canada se trouve présentement sollicitée 2 . Le
directeur a remis son enquête dans ces deux affai-
res jusqu'à ce qu'il soit statué sur ces pourvois. La
prétention des appelants est que le sort ultime de
leur demande fondée sur l'article 18 est tributaire
de celui des pourvois susmentionnés des affaires
Thomson Newspapers et Stelco. Ils ont soutenu
devant le juge des requêtes que le directeur ne
2 La décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans
l'affaire Stelco porte la date du 22 octobre 1987 et le numéro
de greffe A-728-87; encore inédite. [Note de l'arrêtiste: autori-
sation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada accordée
le 25 janvier 19881
devrait pas se voir accorder le droit de procéder à
l'enquête prévue à l'article 17 tant que les ques
tions relatives à la Charte soulevées dans ces affai-
res n'auront pas été tranchées.
La décision de la Division de premiére instance
Le juge des requêtes a rejeté la demande fondée
sur l'article 18. Il a énoncé la question en litige de
la manière suivante (aux pages 511 et 512):
Le point en litige est de savoir s'il s'agit d'une affaire
appropriée pour que soit accordée une suspension du processus
administratif d'enquête, que ce soit notamment par voie de
prohibition ou d'injonction, jusqu'à ce que la Cour suprême du
Canada se soit prononcée sur la question constitutionnelle
évoquée dans l'appel Thomson Newspapers.
Afin de répondre à cette question, le juge des
requêtes a examiné de façon assez détaillée la
décision rendue par la Cour suprême du Canada
dans l'affaire Manitoba (Procureur général) c.
Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110
ainsi que l'arrêt prononcé par la Cour d'appel du
Québec dans l'affaire Canada (Procureur général)
c. Alex Couture Inc., [1987] R.J.Q. 1971. Le juge
a entamé son analyse après avoir observé que
l'avocat des requérants s'était «largement appuyé»
sur ces décisions. Aux pages 519 et 520, le juge des
requêtes a tranché la question en litige de la
manière suivante:
Le critère en trois volets d'American Cyanamid ... s'appli-
que-t-il dans le cas d'une contestation formée en vertu de
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale lorsqu'un tribunal
administratif exerce le pouvoir qui lui est conféré par la loi? À
mon avis, il n'en est rien ...
En adoptant une telle conclusion, il a fait sien le
raisonnement tenu par la Division d'appel de la
Cour suprême de la Nouvelle-Écosse dans l'affaire
McFetridge v. Nova Scotia Barristers' Society
(1981), 123 D.L.R. (3d) 475, la page 476. Le
raisonnement tenu dans l'arrêt McFetridge veut
que le critère élaboré dans l'arrêt American Cya-
namid [American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd.,
[1975] A.C. 396 (H.L.)] ait une [TRADUCTION]
«pertinence limitée» dans les affaires où une con
clusion déclaratoire et une injonction permanente
sont recherchées pour empêcher un tribunal quasi
judiciaire d'exercer les pouvoirs et les fonctions
qu'une loi semble prima facie leur conférer.
Le juge des requêtes s'est également appuyé sur
la décision rendue par cette Cour dans l'affaire
Lodge c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1979] 1 C.F. 775.
La question juridictionnelle
Les intimés prétendent que la Cour fédérale
n'est pas habilitée à accorder le redressement
recherché par les appelants au moyen de la pré-
sente requête. Les appelants, pour leur part, sou-
tiennent que la compétence de la Division de pre-
mière instance de cette Cour à l'égard du
redressement sollicité repose sur trois fondements
distincts et réciproquement subsidiaires:
(a) L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale;
(b) L'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale;
ou
(c) L'article 24 de la Charte.
(a) L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale
L'avocat des intimés soutient que la Cour fédé-
rale du Canada, étant une cour créée par une loi,
ne possède aucune compétence inhérente. Il pré-
tend en conséquence que cette Cour, pour avoir
compétence relativement à une question particu-
lière, doit être explicitement ou implicitement
habilitée à cet égard par les dispositions de sa loi
constitutive ou par d'autres lois fédérales lui attri-
buant d'autres domaines de compétence particu-
liers.
Alléguant que l'alinéa 18a) de la Loi sur la
Cour fédérale limite la compétence de la Cour aux
injonctions, aux brefs de certiorari, aux brefs de
prohibition, aux brefs de mandamus, aux brefs de
quo warranto ou aux jugements déclaratoires, et
que l'alinéa 18b) n'ajoute à cette compétence que
tout «redressement de la nature de celui qu'envi-
sage l'alinéa a)», l'avocat des intimés soumet que
l'avis de requête introductif d'instance en l'espèce
ne relève pas des dispositions de l'article 18. À
l'appui de son argumentation, il plaide que la
requête en l'espèce constitue en réalité une
demande de suspension et que les suspensions ne
sont pas expressément visées par l'article 18.
Cette prétention ne m'apparaît pas bien fondée.
L'avis de requête (à la page 28 du Dossier d'appel)
sollicite notamment au sous-paragraphe (1) «une
ordonnance interdisant par voie de prohibition
l'instruction de toute procédure» en cours devant la
C.P.R.C. sous le régime de l'article 17 de la LEC.
Rien n'indique que les arguments juridictionnels
présentés devant nous aient été soulevés devant le
juge des requêtes. Quoi qu'il en soit, ce juge
semble avoir considéré que la compétence voulue
lui était conférée par l'article 18. À la page 509 de
la décision, il qualifie la procédure en cause de
demande fondée sur l'article 18 visant à obtenir
«une ordonnance par voie de prohibition afin de
suspendre l'enquête». (C'est moi qui souligne.) A
la page 509, il déclare que «Toute l'affaire porte
... sur la question d'empêcher la CPRC de pour-
suivre». (C'est moi qui souligne.) A nouveau, à la
page 519, il parle «d'une injonction interlocutoire
ou d'une suspension d'instance», tandis qu'à la
page 522 il utilise les termes «une injonction provi-
soire ou une suspension d'instance».
À mon sens, il ressort clairement de ces citations
relatives à la nature des procédures intentées en
l'espèce que le juge des requêtes était convaincu
d'être habilité à juger la requête en vertu de
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Je
souscris à son opinion. L'avis de requête sollicite
«une ordonnance interdisant par voie de prohibi
tion». Un tel redressement est clairement un
redressement par voie d'injonction. L'alinéa 18a)
habilite la Cour fédérale à accorder à la fois des
injonctions et des brefs de prohibition. En vertu de
l'alinéa 18b), cette Cour a compétence pour ins-
truire les demandes de redressement de la nature
de celui qu'envisage l'alinéa a). L'article 2 de la
Loi sur la Cour fédérale définit le terme «redresse-
ment» de la manière suivante:
2....
«redressement» comprend toute espèce de redressement judi-
ciaire, qu'il soit sous forme de dommages-intérêts, de paie-
ment d'argent, d'injonction, de déclaration, de restitution
d'un droit incorporel, de restitution d'un bien mobilier ou
immobilier, ou sous une autre forme;
La compétence conférée à la Cour en vertu de
l'alinéa 18a) se trouve ainsi élargie par les disposi
tions de l'alinéa 18b). En conséquence, à mon avis,
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale investit
la Division de première instance de cette Cour de
la compétence pour juger une demande de cette
nature. A mon sens, cette Cour demeure compé-
tente en vertu de l'article 18 même si l'on consi-
dère que l'avocat des intimés a raison de qualifier
la requête en cause de demande de suspension.
Dans l'arrêt Metropolitan Stores, susmentionné, le
juge Beetz a déclaré à la page 127:
La suspension d'instance et l'injonction interlocutoire sont
des redressements de même nature. A moins qu'un texte légis-
latif ne prescrive un critère différent, elles ont suffisamment de
traits en commun pour qu'elles soient assujetties aux mêmes
règles et c'est avec raison que les tribunaux ont eu tendance à
appliquer à la suspension interlocutoire d'instance les principes
qu'ils suivent dans le cas d'injonctions interlocutoires ...
Sur le fondement de ce point de vue, les deux
redressements en cause étant de même nature,
l'alinéa b) de l'article 18 aurait pour effet de
conférer compétence à la Cour.
Avant de mettre fin à cette discussion relative à
l'article 18, j'aimerais présenter quelques brèves
observations sur la question de savoir si une procé-
dure prévue à l'article 18 peut être engagée au
moyen d'un avis de requête conformément à la
Règle 319 et suivantes plutôt que par une action
introduite par une déclaration conformément à la
Règle 400. A mon avis, la Règle 603 permet que
l'on ait recours à un acte de procédure prévu à la
Règle 319 dans les circonstances de l'espèce. La
Règle 603 déclare:
Règle 603. Les procédures prévues par l'article 18 de la Loi en
vue d'obtenir l'un quelconque des redressements qui y sont
mentionnés, à l'exception d'une procédure contre le procureur
général du Canada ou d'une procédure faite dans le but d'obte-
nir un jugement déclaratoire, peuvent être engagées soit
a) sous forme d'action en vertu de la Règle 400; ou
b) par demande faite à la Cour en vertu des Règles 319 et
suivantes.
Dans l'ouvrage Federal Court Practice, 1988 de
Sgayias, Kinnear, Rennie et Saunders, à la page
507, il est observé au sujet de la Règle 603:
[TRADUCTION] La Règle 603 régit la procédure applicable à
l'introduction des procédures prévues à l'article 18 de la Loi.
Cet article confère à la Division de première instance la compé-
tence de délivrer des brefs de certiorari, de prohibition, de
mandamus et de quo warranto ainsi que des injonctions et
jugements déclaratoires contre les offices, commissions et
autres tribunaux fédéraux. Tous les types de redressement
offerts en vertu de l'article 18 peuvent être sollicités au moyen
d'une action introduite par une déclaration conformément à la
Règle 400. Dans certains cas, le redressement peut être sollicité
au moyen d'une demande introduite par un avis de requête
conformément aux Règles 319 et suivantes.
Ces auteurs expriment ensuite l'opinion (égale-
ment à la page 507) qu'un redressement par voie
d'injonction peut être obtenu soit au moyen d'une
action fondée sur la Règle 400 soit au moyen
[TRADUCTION] «d'une demande faite en vertu des
Règles 319 et suivantes (sauf lorsqu'un tel redres-
sement est demandé contre le procureur général)».
Comme le redressement sollicité ne comporte pas
de redressement par voie d'injonction contre le
procureur général du Canada, je conclus que la
décision des appelants de présenter leur demande
conformément à la Règle 319 et suivantes est
valable dans les circonstances de l'espèce.
(b) L'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale
Ayant conclu que la Cour est compétente à
juger la présente requête en vertu de l'article 18 de
la Loi sur la Cour fédérale, il devient peut-être
inutile de traiter des deux fondements juridiction-
nels subsidiaires allégués par les appelants. Toute-
fois, pour le cas où mes conclusions susmention-
nées relatives à l'article 18 seraient jugées
erronées, j'aimerais exprimer l'opinion que cette
Cour est également habilitée à décider de la pré-
sente requête en vertu des dispositions de l'article
50 de la Loi sur la Cour fédérale'. L'avocat des
intimés a prétendu que les démarches se déroulant
à ce point-ci ne constituent pas une procédure ou
une affaire mais simplement une enquête, et qu'en
conséquence l'article 50 ne s'appliquerait pas de
manière à conférer à la Cour la compétence d'ac-
corder une suspension. Je suis incapable de sous-
crire à cette prétention.
Pour exposer les motifs de cette décision, il
m'apparaît nécessaire d'examiner brièvement
l'économie de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions. Le juge Estey examine cette Loi de
façon approfondie dans l'arrêt Irvine 4 . La Partie I
de la Loi porte le sous-titre ENQUÊTES ET
RECHERCHES et comprend les articles 5 à 15
inclusivement. La Partie II de la Loi est intitulée
ÉTUDE ET RAPPORT et comprend les articles 16 à
22 inclusivement. La Partie I établit le poste de
directeur des enquêtes et recherches. La Partie II
institue la Commission sur les pratiques restricti-
ves du commerce. En vertu de l'article 17, la
Commission est habilitée à autoriser des interroga-
3 Le paragraphe 50(1) est libellé de la maniére suivante:
50. (1) La Cour peut, à sa discrétion, suspendre les procé-
dures dans toute affaire ou question,
a) au motif que la demande est en instance devant un
autre tribunal ou une autre juridiction; ou
b) lorsque, pour quelque autre raison, il est dans l'intérêt
de la justice de suspendre les procédures.
° Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives
du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, aux p. 193 et suivantes;
(1987), 74 N.R. 33, aux p. 44 et suivantes.
toires sous serment de témoins devant le directeur
ou une personne nommée à cette fin et à ordonner
la production de documents par ces mêmes
témoins'. La Partie III de la Loi a pour titre
DISPOSITIONS GÉNÉRALES et comprend les arti
cles 23 27 inclusivement. L'article 27 [abrogé et
remplacé par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 9] est
ainsi libellé:
27. (1) Toutes les enquêtes prévues par la présente loi doi-
vent être tenues à huis clos, sauf que le président de la
Commission peut ordonner que tout ou partie d'une telle
enquête qui a lieu devant la Commission ou l'un de ses mem-
bres soit menée en public.
(2) Toutes les procédures, intentées devant la Commission,
qui ne concernent pas une enquête sont menées en public;
toutefois, le président de la Commission peut ordonner qu'elles
aient lieu totalement ou en partie à huis clos.
Le paragraphe 27(2) parle donc de «Toutes les
procédures, intentées devant la Commission, qui ne
concernent pas une enquête.» (en anglais: «All
proceedings before the Commission, other than
proceedings in relation to an inquiry». (C'est moi
qui souligne.) À mon sens, il ressort assez claire-
ment de l'économie de la Loi ainsi que des termes
utilisés à l'article 27 que le Parlement a manifeste-
ment voulu que les «enquêtes» prévues à l'article 17
constituent autant des «procédures» se déroulant
devant la Commission que n'importe laquelle des
procédures subséquentes qui peuvent être enta-
mées à la suite de l'enquête visée à l'article 17. Le
juge Estey a fait les observations suivantes sur le
sens des paragraphes 27(1) et (2) de la Loi aux
pages 199 et 200 R.C.S.; 51 et 52 N.R.
Je me permets de faire une digression pour souligner qu'en
vertu du par. 27(1) (une disposition qu'on trouve dans une
Les paragraphes 17(1) et 17(2) sont ainsi libellés:
17. (1) Sur demande ex parte du directeur, ou de sa
propre initiative, un membre de la Commission peut ordon-
ner que toute personne résidant ou présente au Canada soit
interrogée sous serment devant lui ou devant toute autre
personne nommée à cette fin par l'ordonnance de ce membre,
ou produise à ce membre ou à cette autre personne des livres,
documents, archives ou autres pièces, et peut rendre les
ordonnances qu'il estime propres à assurer la comparution et
l'interrogatoire de ce témoin et la production par ce dernier
de livres, documents, archives ou autres pièces, et il peut
autrement exercer, en vue de l'exécution de ces ordonnances
ou de la punition pour défaut de s'y conformer, les pleins
pouvoirs exercés par toute cour supérieure au Canada quant
à l'exécution des brefs d'assignation ou à la punition en cas
de défaut de s'y conformer.
(2) Toute personne assignée sous le régime du paragraphe
(1) est habile à agir comme témoin et peut être contrainte à
rendre témoignage.
autre partie de la Loi) «Toutes les enquêtes prévues par la
présente loi doivent être tenues à huis clos». L'article poursuit
cependant: «sauf que le président de la Commission peut ordon-
ner que tout ou partie d'une telle enquête qui a lieu devant la
Commission ou l'un de ses membres soit menée en public». Il ne
dit pas clairement si cela inclut les témoignages donnés devant
la personne désignée par un membre de la Commission en vertu
de l'art. 17, en l'espèce devant l'officier enquêteur. Au paragra-
phe (2), la règle est inversée pour toutes les procédures inten-
tées devant la Commission, «qui ne concernent pas une
enquête». Les procédures devant la Commission ont lieu en
public à moins que son président n'ordonne le huis clos. Les
procédures intentées devant la Commission, qui concernent une
enquête, doivent néanmoins avoir lieu à huis clos. Lorsque les
par. (1) et (2) sont lus conjointement, il semblerait qu'une
ordonnance du président soit nécessaire pour que la procédure
qui se déroule devant l'officier enquêteur ait lieu en public; or le
dossier ne contient aucune ordonnance en ce sens.
Il me semble clair que le juge Estey a considéré
que l'enquête tenue devant l'officier enquêteur
conformément à l'article 17 était une «procédure»
au sens donné à ce terme dans la Loi.
Étant d'avis, pour les motifs exprimés ci-haut,
que la procédure en l'espèce fondée sur l'article 17
constitue une «procédure», il me semble que la
remarque incidente faite par le juge Stone dans
l'arrêt Commission d'énergie électrique du Nou-
veau-Brunswick c. Maritime Electric Company
Limited 6 s'appliquerait à la situation en l'espèce.
A la page 24 de ses motifs, le juge Stone a dit:
À première vue, le paragraphe 50(1) de la Loi ne se limite
pas aux procédures «dont la Cour est saisie». L'inclusion de ces
mots ou de mots à cet effet, aurait, je pense, enlevé tout doute
quant à l'intention du Parlement. Leur absence au paragraphe
50(1) appuie dans une certaine mesure l'argument selon lequel
le Parlement entendait, en utilisant le mot «procédures» accor-
der le pouvoir, dans les circonstances appropriées, de surseoir
également à des procédures autres que celles dont la Cour était
elle-même saisie.
J'estime très convaincante cette manière d'envi-
sager la question. En conséquence, je crois que les
termes utilisés par le Parlement au paragraphe
50(1) précité s'étendent à une procédure comme
l'interrogatoire oral permis suivant le paragraphe
17(1) de la LEC.
(c) L'article 24 de la Charte
Je suis incapable d'accepter les arguments des
appelants voulant que la délivrance de l'ordon-
nance de la C.P.R.C. leur enjoignant de déposer
conformément à l'article 17 ait porté atteinte aux
droits que leur donne la Charte. Le paragraphe
6 [1985] 2 C.F. 13 (C.A.).
24(1) de la Charte donne le droit à toute personne
«victime de violation ou de négation)) des droits qui
lui sont garantis par la Charte (en anglais: «whose
Charter rights have been infringed or denied)))
(c'est moi qui souligne) de s'adresser à un tribunal
compétent pour obtenir une réparation convenable.
En l'espèce, à ce point-ci, les droits des appelants
n'ont pas effectivement été violés. En conséquence,
aucune violation ou négation des droits garantis
par la Charte n'ayant encore eu lieu', j'estime que
la présentation d'une demande fondée sur l'article
24 est prématurée.
En conséquence, pour résumer les conclusions de
mon examen de la question de la compétence de la
Cour à instruire la demande fondée sur l'article 18
en l'espèce, je suis convaincu pour les motifs qui
précèdent que la Division de première instance a la
compétence voulue pour trancher cette question
soit en vertu de l'article 18 soit en vertu du para-
graphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
Le critère de l'arrêt Metropolitan Stores
Les appelants soumettent que le juge des requê-
tes a commis une erreur en manquant d'appliquer
correctement ou en manquant tout simplement
d'appliquer le critère prescrit par la Cour suprême
du Canada dans l'arrêt Metropolitan Stores, pré-
cité, relativement à la suspension de procédures
administratives pendant leur contestation sur le
fondement de la Charte.
Les intimés, d'autre part, soumettent à l'appui
de la conclusion du juge des requêtes que le redres-
sement sollicité par les appelants en l'espèce tient
de la nature d'une injonction permanente ou d'une
prohibition et qu'en conséquence le critère tripar
tite employé dans l'arrêt American Cyanamid a
une pertinence restreinte. Cette proposition est
appuyée sur les arrêts McFetridge et Lodge, préci-
tés, ainsi que sur l'arrêt Gould'. J'examinerai
chacun de ces trois arrêts, en commençant par la
décision rendue par cette Cour dans l'affaire
Lodge.
7 Pour une opinion similaire, voir: R. v. Dahlem (1983),25
Sask. R. 10 (B.R.), aux p. 19 et 20, le juge Maher. Voir
également: R. v. Jahelka; R. v. Stagnitta (1987), 79 A.R. 44
(C.A.), aux p. 51 et 52, le juge d'appel Kerans.
8 Procureur général du Canada c. Gould, [1984] 1 C.F.
1133, la p. 1140; confirmé par [1984] 2 R.C.S. 124.
Dans l'affaire Lodge, les appelantes avaient sol-
licité de la Division de première instance une
injonction interdisant au ministre intimé d'exécu-
ter des ordonnances d'expulsion prononcées contre
elles jusqu'à ce qu'il ait été statué sur des plaintes
qu'elles avaient déposées en vertu de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne [S.C. 1976-77,
chap. 33] suivant lesquelles les procédures d'expul-
sion dont elles faisaient l'objet équivalaient à un
acte discriminatoire interdit par cette Loi. La Divi
sion de première instance a rejeté la demande
[[1978] 2 C.F. 458] au motif que, même tenues
pour avérées, les allégations de la plainte n'équiva-
laient pas à un acte discriminatoire selon la défini-
tion donnée à cette expression par la Loi.
L'appel a été rejeté par cette Cour. Le juge
d'appel Le Dain (c'était alors son titre), dans les
motifs qu'il a rédigés pour un banc unanime, a
déclaré aux pages 782 et 783:
Les appelantes prétendent essentiellement que l'injonction
sollicitée a le caractère d'une injonction interlocutoire et par-
tant, ils ont plaidé que le critère qu'aurait dQ appliquer le juge
de première instance est celui établi par l'arrêt American
Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd. [1975] A.C. 396 en matière
d'injonction interlocutoire, savoir: la question en jeu est-elle
sérieuse? A mon avis, c'est mal comprendre la nature des
procédures en cause. Même si le but de l'injonction sollicitée est
dans un sens analogue à celui visé par une injonction interlocu-
toire, c'est-à-dire le maintien du statu quo jusqu'à ce qu'une
décision sur le fond soit rendue, la demande en l'espèce ne vise
pas l'obtention d'une injonction interlocutoire. Il s'agit d'une
demande par avis introductif de requête invoquant la compé-
tence de la Division de première instance en vertu de l'article
18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.),
chap. 10. Elle n'est pas présentée dans le cadre d'une action
pendante en Cour fédérale. Elle emporte jugement définitif et
non interlocutoire à l'issue de la demande d'injonction. La
demande vise l'obtention d'une injonction qui a le caractère
d'une injonction permanente, bien qu'on puisse présumer que
cette injonction soit limitée dans le temps. Il serait erroné, à
mon avis, d'assimiler l'injonction recherchée en l'espèce à une
injonction interlocutoire uniquement à cause de son objectif
particulier, et d'appliquer les principes qui régissent l'exercice
du pouvoir discrétionnaire de décider si on doit ou non accorder
une injonction interlocutoire.
Les principes à appliquer sont ceux qui déterminent si une
injonction permanente doit être accordée pour interdire à un
ministre de la Couronne d'exécuter une fonction prévue par la
loi. L'article 30(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration prévoit
qu'une ordonnance d'expulsion doit être exécutée «le plus tôt
possible». L'article 50 de la Loi de 1976 sur l'immigration, S.C.
1976-77, chap. 52, prévoit de même qu'une ordonnance de
renvoi (qui comprend, par définition, une ordonnance d'expul-
sion rendue en vertu de l'ancienne Loi) doit être exécutée «dès
que les circonstances le permettent». Ces dispositions créent un
devoir que le Ministre responsable de l'administration de la Loi
doit, en dernière analyse, accomplir.
Il ajoute à la page 784:
Tant que la validité des ordonnances d'expulsion concernant
les appelantes n'aura pas été contestée avec succès, on ne
pourra dire que le Ministre, en les exécutant, excède le pouvoir
qui lui est conféré par la loi ou agit par ailleurs contrairement à
la loi.
Afin de déterminer la pertinence et l'applicabi-
lité de l'arrêt Lodge à la situation en l'espèce, il est
nécessaire, à mon sens, de prendre en considéra-
tion l'économie respective des lois en jeu. Comme
il a déjà été noté, le juge Estey a traité de façon
exhaustive de l'économie de la LEC dans l'arrêt
Irvine (aux pages 193 à 204 inclusivement R.C.S.;
44 à 57 N.R.). Aux pages 204 à 206 inclusivement
R.C.S.; 56 à 59 N.R., il donne un «aperçu général»
«du régime de réglementation qu'établit» la LEC.
Aux pages 205 R.C.S.; 57 N.R., il résume les
fonctions du directeur de la manière suivante:
Dans l'exercice de ses fonctions, le directeur ne prononce pas
de décision, au sens de statuer d'une manière définitive sur un
droit ou un intérêt. Il fait des recommandations et des alléga-
tions et se fait une opinion que d'autres examineront; parfois
aussi, il se borne à réunir des faits et des renseignements qui
seront étudiés par les ministres ou la Commission.
Donc, en l'espèce, l'activité dont on voudrait voir
interdire ou suspendre l'exercice est une étape
préliminaire ou initiale s'inscrivant dans une suite
d'étapes susceptibles de conduire à une décision
définitive sur des droits ou intérêts. D'autre part,
dans l'affaire Lodge, un arbitre agissant en vertu
de la Loi sur l'immigration [S.R.C. 1970, chap.
I-2] avait prononcé une ordonnance d'expulsion
conformément aux dispositions de cette Loi. L'in-
terdiction recherchée visait l'exécution de cette
ordonnance d'expulsion par le renvoi du Canada
des personnes concernées. La présente espèce et
l'affaire Lodge se distinguent clairement l'une de
l'autre par le fait que l'ordonnance d'expulsion
prononcée dans cette dernière affaire était une
décision finale statuant sur les droits des personnes
expulsées. En conséquence, il était exact de con-
clure que l'injonction recherchée dans cette affaire
avait «le caractère d'une injonction permanente»
puisqu'elle sollicitait une interdiction d'exécution
d'une ordonnance permanente dont la validité
n'avait pas été contestée avec succès.
La contestation en l'espèce vise une étape préli-
minaire d'une suite d'étapes formant une procé-
dure complexe et détaillée qui aboutira au pro-
noncé d'une décision définitive. À mon avis, le
redressement sollicité en l'espèce est un redresse-
ment interlocutoire classique. Une injonction inter-
locutoire est une injonction préservant le statu quo
jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été rendue.
Je conclus donc que ce qui a été dit dans l'arrêt
Lodge n'aide pas les intimés en l'espèce, compte
tenu des différences très importantes entre les
deux régimes des lois en cause et des grandes
différences entre les stades respectifs des procédu-
res en cours dans ces deux affaires.
J'examinerai à présent l'arrêt Gould. Dans cette
affaire, un détenu d'un pénitencier auquel il était
interdit de voter dans une élection par les disposi
tions de l'alinéa 14(4)e) de la Loi électorale du
Canada [S.R.C. 1970 (1 °r Supp.), chap. 14] a
intenté une action en Division de première instance
de cette Cour afin d'obtenir un jugement déclara-
toire portant que cet alinéa était nul parce qu'il
contrevenait à l'article 3 de la Charte. L'article 3
prévoit que tout citoyen du Canada a le droit de
vote aux élections législatives fédérales ou provin-
ciales. Une élection générale étant sur le point
d'être tenue, le détenu en question s'est vu délivrer
une injonction mandatoire l'autorisant à voter par
procuration. Un appel a été interjeté de cette
décision auprès de notre Cour, qui a annulé l'in-
jonction mandatoire délivrée par la Division de
première instance. À la page 1140, le juge Maho-
ney, énonçant l'opinion majoritaire de la Cour, a
déclaré:
L'ordonnance rendue autorise l'intimé à se conduire et exige
qu'il soit traité comme si la règle de droit qu'il cherche à faire
annuler était désormais nulle même si elle reste en vigueur et
qu'elle le demeurera jusqu'à ce que, après instruction, le juge-
ment déclaratoire demandé ait été obtenu. Elle allait beaucoup
plus loin que de conclure qu'il existe une question sérieuse à
trancher. Elle demandait plus que de simplement conclure,
comme lorsqu'il s'agit de statuer sur une demande d'injonction
interlocutoire, que la répartition des inconvénients dicte que le
statu quo soit maintenu ou que le statu quo antérieur soit
rétabli en attendant le jugement sur l'action après l'instruction.
L'ordonnance équivalait à conclure, avant même que son action
ait été instruite, que l'intimé a le droit d'agir et d'être traité
comme s'il avait gagné sa cause. L'ordonnance laisse entendre
que l'intimé possède, en réalité, le droit qu'il revendique et que
l'alinéa 14(4)e) est nul dans la mesure invoquée. Cela constitue
un jugement déclaratoire provisoire sur un droit qui, en toute
déférence, ne peut être rendu à bon droit avant l'instruction. Le
défendeur dans une action a droit tout autant que le demandeur
à une instruction équitable et complète, et il en est de même
lorsque le litige est de nature constitutionnelle. Le but d'une
injonction interlocutoire est de maintenir ou de rétablir le statu
quo, et non d'accorder son redressement au demandeur, jus-
qu'au moment de l'instruction.
Je souscris à ce raisonnement ainsi qu'à la con
clusion que la délivrance de l'injonction manda-
toire était erronée parce qu'ayant pour consé-
quence d'accorder son redressement au demandeur
jusqu'au procès. Toutefois, les circonstances de
l'affaire Gould, comme celles de l'affaire Lodge,
étaient assez différentes de celles de l'espèce. La
délivrance d'une injonction interlocutoire dans la
présente affaire n'aura pas pour conséquence de
donner aux appelants le redressement qu'ils sollici-
tent jusqu'à l'instruction de l'action. Il n'y a point
d'action en l'espèce. Seul a été présenté un avis de
requête introductif d'instance sollicitant la préser-
vation du statu quo jusqu'à ce que la Cour
suprême du Canada ait tranché la question de
savoir si l'article 17 de la LEC peut survivre à la
contestation fondée sur la Charte qui lui est faite
dans les affaires Thomson Newspapers et Stelco.
Dans l'éventualité où les arrêts prononcés dans ces
litiges déclareraient l'article 17 inopérant, les
droits des appelants auxquels il aurait été porté
atteinte par la poursuite des interrogatoires fondés
sur l'article 17 auraient été préservés et protégés.
Dès lors, la demande d'ordonnance de prohibition
permanente pourrait très bien être le recours
ultime ou permanent susceptible d'assurer aux
appelants la protection dont ils ont besoin. Dans
l'hypothèse où, au contraire, il serait déclaré que
l'article 17 est pleinement opérant et ne contre-
vient pas aux articles 7 et 8 de la Charte, le
directeur et la Commission se trouveraient en posi
tion de procéder à l'interrogatoire prévu à l'article
17. L'injonction n'a fait que préserver le statu quo;
comme il a été noté plus haut, il a toujours été
reconnu et accepté que cette préservation consti-
tuait la caractéristique principale d'une injonction
interlocutoire. Pour ces motifs donc, je ne consi-
dère pas que l'arrêt Gould aide les intimés.
J'en arrive à présent à l'arrêt McFetridge, dans
lequel il a été conclu à l'inapplicabilité du critère
de l'arrêt American Cyanamid à la contestation de
l'utilisation d'un pouvoir conféré par une loi; je ne
considère pas cet arrêt convaincant. Je préfère
nettement à ce point de vue celui qui a été adopté
par la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt
Black 9 . Dans cette affaire, le juge d'appel Kerans,
prononçant le jugement de la Cour, a traité de
l'applicabilité du critère de l'arrêt American Cya-
namid. Il a déclaré à la page 349:
[TRADUCTION] Il est prétendu pour le compte de la Law
Society que ce critère n'est pas applicable à une contestation de
l'exercice d'un pouvoir conféré par une loi: voir McFetridge v.
Nova Scotia Barristers' Society (1981), 123 D.L.R. (3d) 475,
45 N.S.R. (2d) 319 (décision rendue par la Division d'appel de
la C.S.N.-E.). Selon l'argument présenté, une demande d'in-
jonction interlocutoire présentée à l'encontre d'un tribunal
exerçant un pouvoir conféré par une loi équivaudrait à une
demande de bref de prohibition, un bref qui exige la présence
d'une conclusion d'erreur révisable effective et à l'égard duquel
la seule cause défendable n'est pas suffisante. Avec déférence,
cette analogie n'est pas convaincante. Une analogie avec la
situation qui prévaut au cours de l'audition d'une demande
d'ordonnance de prohibition serait plus appropriée. Nous
sommes surpris d'entendre que le tribunal statutaire visé par
une requête en prohibition n'est assujetti à aucune restriction
entre le moment du dépôt de cette requête et le prononcé de
l'ordonnance qui y donne suite.
Il est toutefois exact de dire que le fait que l'injonction soit
recherchée contre une autorité publique exerçant un pouvoir
conféré par une loi doit entrer en ligne de compte lors de
l'examen de la prépondérance des inconvénients. Nous ne
sommes cependant pas d'accord pour dire que le critère de
l'arrêt Cyanamid doit être absolument écarté dans un tel cas.
Comme je n'ai pas été convaincu que les trois
arrêts discutés plus haut justifiaient le juge des
requêtes de conclure, comme il l'a fait, que le
critère de l'arrêt American Cyanamid ne devrait
pas être appliqué dans de telles circonstances, il
reste à considérer l'arrêt Metropolitan Stores
lui-même.
Dans cette affaire, la Labour Relations Act du
Manitoba [C.C.S.M., chap. L10] habilitait le
Manitoba Labour Board (la Commission) à impo-
ser une première convention collective à l'em-
ployeur et au syndicat lorsque la négociation de la
première convention n'avait pas porté fruit. Le
syndicat ayant demandé à la Commission d'impo-
ser un premier contrat, l'employeur a intenté des
procédures devant la Cour du banc de la Reine du
Manitoba pour faire déclarer qu'un tel pouvoir
contrevenait à la Charte et était par conséquent
invalide. Dans le cadre d'une telle action, l'em-
ployeur a demandé à la Cour du banc de la Reine,
par voie de requête, d'ordonner à la Commission
de ne pas exercer le pouvoir que lui accordait la loi
9 Law Society of Alberta v. Black et al. (1983), 8 D.L.R.
(4th) 346 (C.A. Alb.).
en attendant que la question de la validité de cette
dernière soit entendue. La requête a été rejetée.
N'étant assujettie à aucune ordonnance de suspen
sion, la Commission a fait savoir qu'elle exercerait
un tel pouvoir et imposerait une convention collec
tive aux parties si celles-ci ne parvenaient pas à
une entente. La Cour d'appel du Manitoba a
accueilli l'appel et accordé une suspension. La
Cour suprême du Canada a accueilli le pourvoi
présenté à l'encontre de la décision de la Cour
d'appel du Manitoba et annulé la suspension des
procédures que cette Cour avait ordonnée.
Le juge Beetz a prononcé le jugement pour la
Cour suprême du Canada. Il a établi très claire-
ment dès le départ que le pourvoi n'était pas
accueilli en raison d'une prétendue présomption de
constitutionnalité. À la page 122 du recueil, il a
déclaré, à cet égard:
... le caractère innovateur et évolutif de la Charte canadienne
des droits et libertés s'oppose à la notion voulant qu'une
disposition législative puisse être présumée conforme à celle-ci.
Il procède alors, à la page 126 et suivantes, à un
examen des principes régissant la suspension d'ins-
tance pendant la contestation de la constitutionna-
lité d'une disposition législative devant les tribu-
naux. Après avoir fait l'observation précitée au
sujet des traits que peuvent avoir en commun la
suspension d'instance et l'injonction interlocutoire
(à la page 127), le juge entame l'analyse de la
question de savoir si le critère de la «question
sérieuse» de l'arrêt American Cyanamid devrait
prévaloir sur le critère traditionnel exigeant du
requérant qu'il établisse une apparence de droit
suffisante. A la page 128, il a dit:
À mon avis, la formulation dans l'arrêt American Cyanamid,
savoir celle de l'existence d'une «question sérieuse», suffit dans
une affaire constitutionnelle où, comme je l'indique plus loin
dans les présents motifs, l'intérêt public est pris en considéra-
tion dans la détermination de la prépondérance des inconvé-
nients.
Le juge Beetz approuve et adopte ensuite les deux
autres principaux critères exposés dans l'arrêt
American Cyanamid relativement à la question de
savoir si la délivrance d'une injonction interlocu-
toire serait juste et équitable. Je fais évidemment
référence au critère du préjudice irréparable non
susceptible d'être compensé par des dommages-
intérêts ainsi qu'au critère de la prépondérance des
inconvénients et de l'intérêt public.
Comme l'arrêt Metropolitan Stores constitue la
plus récente décision de la Cour suprême du
Canada concernant les principes applicables dans
des circonstances comme celles du présent appel,
et comme le juge des requêtes a clairement décidé
que ces principes n'étaient pas applicables au pré-
sent litige (dans un passage précité figurant à la
page 194), j'ai conclu que ce juge a commis une
erreur de droit en écartant le critère tripartite de
l'arrêt American Cyanamid qui a été approuvé et
adapté dans l'affaire Metropolitan Stores.
Cette erreur du juge des requêtes n'implique
toutefois pas automatiquement que l'appel doive
être accueilli et que le redressement sollicité dans
l'avis de requête introductif d'instance doive être
accordé aux appelants. Dans une affaire du type
de la présente espèce, je crois que cette Cour est
aussi apte que le juge des requêtes à rendre le
jugement que la Division de première instance
aurait dû rendre. Je tire cette conclusion parce que
la preuve versée au dossier présenté à la Division
de première instance était entièrement documen-
taire. Partant de cette prémisse, j'examinerai à
présent les différentes composantes du critère
approprié à la présente espèce.
Le critère de la question sérieuse
À mon sens, le critère en titre n'a pas besoin
d'être analysé de façon détaillée puisque la Cour
suprême du Canada a accueilli l'autorisation de
pourvoi sollicitée dans l'affaire Thomson Newspa
pers, qui soulève précisément la même question
que l'affaire en l'espèce, à savoir la constitutionna-
lité de l'article 17 de la LEC. Qui plus est, comme
l'a souligné l'avocat des appelants, la question
importante et fondamentale de savoir si l'article 7
de la Charte assure une protection contre l'auto-
incrimination a fait l'objet de décisions contradic-
toires des tribunaux inférieurs. En conséquence, je
n'ai aucune difficulté à conclure qu'il est satisfait à
la condition de la «question sérieuse» dans les
circonstances de l'espèce.
Le critère du préjudice irréparable ne pouvant être
compensé par des dommages-intérêts
Les appelants soumettent qu'ils subiront un pré-
judice irréparable à deux égards importants si la
suspension de l'interrogatoire fondé sur l'article 17
n'est pas accordée. Ils allèguent premièrement le
caractère irrévocable du témoignage oral une fois
rendu.
Les intimés répondent que l'article 20 de la LEC
[mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 8] 1 °
apporte une protection contre l'exercice abusif des
vastes pouvoirs d'enquête conférés par l'article 17.
Les appelants répliquent cependant avec beaucoup
de pertinence que même si l'article 20 empêcherait
l'utilisation d'un témoignage oral rendu en vertu
de l'article 17 dans l'éventualité où des accusations
criminelles seraient portées contre les témoins
ayant déposé conformément à l'article 17, une telle
protection ne s'étendrait pas à la preuve dérivée ou
documentaire obtenue lors de l'interrogatoire tenu
sous le régime de l'article 17.
L'avocat de Westeel-Rosco Limited a énoncé
cette prétention de la manière suivante (au para-
graphe 8 de l'exposé des faits et du droit):
[TRADUCTION] Bien que les réponses du témoin ne puissent
elles-mêmes être utilisées contre lui, en vertu de l'art. 45, tous
les documents qu'il doit communiquer aux enquêteurs et qui se
trouvent dans un lieu occupé par un participant
(i) sont admissibles contre ce témoin et
(ii) font foi sans autre preuve de la véracité de leur contenu
contre ce témoin lors d'un procès subséquent. Telle sera la règle
applicable à moins que ces documents ne contiennent du
ouï-dire.
L'article 45 de la LEC [mod. par S.C. 1974-75-76,
chap. 76, art. 21] était ainsi libellé:
45. ( I ) Dans le présent article
«agent d'un participant» désigne une personne qui, d'après un
document admis en preuve par application du présent article,
paraît être ou est autrement reconnue, par la preuve, fonc-
tionnaire, agent, préposé, employé ou représentant d'un
participant;
«document» comprend tout document paraissant être une copie
au carbone, une copie photographique ou autre copie d'un
document;
10 Les paragraphes 20(1) et (2) sont ainsi libellés:
20. (1) Un membre de la Commission peut permettre à
toute personne dont la conduite fait l'objet d'une enquête, et
doit permettre à quiconque est personnellement interrogé
sous serment d'être représenté par un avocat.
(2) Nul n'est dispensé de comparaître et de rendre témoi-
gnage et de produire des livres, documents, archives ou
autres pièces en conformité de l'ordonnance d'un membre de
la Commission, pour le motif que le témoignage verbal ou les
documents requis de lui peuvent tendre à l'incriminer ou à
l'exposer à quelque procédure ou pénalité, mais nul témoi-
gnage oral ainsi exigé ne peut être utilisé ni n'est recevable
contre cette personne dans toutes poursuites criminelles
intentées par la suite contre elle, sauf dans une poursuite
pour parjure en rendant un tel témoignage ou dans une
poursuite intentée en vertu de l'article 122 ou 124 du Code
criminel à l'égard d'un tel témoignage.
«participant» désigne toute personne contre laquelle des procé-
dures ont été intentées en vertu de la présente loi et, dans le
cas d'une poursuite, un accusé et toute personne qui, bien que
non accusée, a, d'après ce qu'allègue l'inculpation ou l'acte
d'accusation, été cocomploteur à l'égard de l'infraction impu
tée ou a, selon une telle allégation, autrement pris part ou
concouru à cette infraction.
(2) Dans toute procédure engagée devant la Commission ou
dans toute poursuite ou procédure engagée devant un tribunal
en vertu de la présente loi ou en application de celle-ci,
a) toute chose accomplie, dite ou convenue par un agent
d'un participant est, prima facie, censée avoir été accomplie,
dite ou convenue, selon le cas, avec l'autorisation de ce
participant;
b) un document écrit ou reçu par un agent d'un participant
est, prima facie, tenu pour avoir été écrit ou reçu, suivant le
cas, avec l'autorisation de ce participant; et,
c) s'il est prouvé qu'un document a été en la possession d'un
participant, ou dans un lieu utilisé ou occupé par un partici
pant, ou en la possession d'un agent d'un participant, il fait
foi sans autre preuve et atteste
(i) que le participant connaissait le document et son
contenu,
(ii) que toute chose inscrite dans le document ou par
celui-ci enregistrée comme ayant été accomplie, dite ou
convenue par quelque participant ou par un agent de ce
dernier, l'a été ainsi que le document le mentionne, et, si
une chose est inscrite dans le document ou par celui-ci
enregistrée comme ayant été accomplie, dite ou convenue
par un agent d'un participant, qu'elle l'a été avec l'autori-
sation de ce participant,
(iii) que le document, s'il parait avoir été écrit par un
participant ou par un agent d'un participant, l'a ainsi été,
et, s'il paraît avoir été écrit par un agent d'un participant,
qu'il a été écrit avec l'autorisation de ce participant.
Ainsi, dans le cadre d'une enquête menée sous le
régime de l'article 17, un témoin pourrait, par
exemple, se voir demander où se trouvent certains
documents. L'enquêteur pourrait alors, sur la foi
de ce témoin, se rendre sur les lieux désignés. Dans
le cas où ces lieux seraient ceux d'un «participant»
au sens donné à ce terme au paragraphe 45(1), les
documents ainsi trouvés pourraient très bien être
jugés admissibles contre ce témoin et être considé-
rés comme attestant prima facie la véracité de leur
contenu contre ce témoin lors d'un procès subsé-
quent. Comme l'a noté le juge Scheibel dans l'ar-
rêt Crain":
" R. L. Crain Inc. et al. v. Couture and Restrictive Trade
Practices Commission et al. (1983), 10 C.C.C. (3d) 119 (B.R.
Sask.), à la p. 155.
[TRADUCTION] ... il est concevable que l'art. 17 prévoie une
étape faisant partie intégrante de l'éventuelle poursuite crimi-
nelle intentée contre un suspect. Le résultat immédiat d'une
telle enquête est soit le renvoi de la preuve devant le procureur
général du Canada conformément au par. 15(1) soit la trans
mission d'un rapport au ministre conformément au par. 19(1).
Dans un cas comme dans l'autre, la preuve recueillie peut servir
de fondement à une poursuite criminelle subséquente.
Dans une telle situation, le préjudice découlant du
processus prévu par l'article 17 serait irréparable
et ne pourrait être compensé par des dommages-
intérêts. Un autre facteur pouvant être pris en
considération est la possibilité que l'interrogatoire
prévu à l'article 17 soit mené publiquement par
ordre du président de la Commission ainsi que l'a
noté le juge Estey aux pages 119 et 200 R.C.S.; 51
et 52 N.R. de l'arrêt Irvine précité. Dans une telle
situation, le risque d'un préjudice irréparable non
compensable par des dommages-intérêts se trouve-
rait encore accru.
L'avocat des intimés a avancé que le paragraphe
24(2) de la Charte protégerait le témoin déposant
sous le régime de l'article 17 et que, en consé-
quence, ce dernier ne subirait pas de préjudice
irréparable 12 . A mon sens, le paragraphe 24(2)
risque fort de ne pouvoir bénéficier à un témoin
accusé qui voudrait exclure les éléments de preuve
en cause, puisque cette disposition ne peut entrer
en jeu que lorsque «eu égard aux circonstances,
[ ... ] leur utilisation est susceptible de déconsidé-
rer l'administration de la justice». Ainsi qu'il a été
noté dans l'arrêt Collins": «Le paragraphe 24(2)
enjoint au juge qui détermine si l'utilisation de la
preuve est susceptible de déconsidérer l'adminis-
tration de la justice, de tenir compte de toutes les
circonstances» et «Une preuve matérielle obtenue
d'une manière contraire à la Charte sera rarement
12 L'article 24 de la Charte est ainsi libellé:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de néga-
tion des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente
charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir
la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu
égard aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le
tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus
dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés
garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont
écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur
utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de
la justice.
13 R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, aux p. 283 et 284; 38
D.L.R. (4th) 508, aux p. 525 et 526, le juge Lamer.
de ce seul fait une cause d'injustice. La preuve
matérielle existe indépendamment de la violation
de la Charte et son utilisation ne rend pas le procès
inéquitable.» En conséquence, j'estime qu'il est loin
d'être certain que la protection accordée par le
paragraphe 24(2) de la Charte bénéficierait à des
témoins déposant sous le régime de l'article 17
dans les circonstances de l'espèce.
Pour les motifs et sur le fondement des faits qui
précèdent, j'ai donc conclu que les appelants
avaient satisfait à la seconde condition du critère
tripartite de l'arrêt American Cyanamid.
Le critère de la prépondérance des inconvénients et
de l'intérêt public
Dans l'arrêt Metropolitan Stores, le juge Beetz,
aux pages 129 et 130 du recueil, entame son
examen de ce critère de la manière suivante:
(2) La prépondérance des inconvénients et l'intérêt public
D'après la jurisprudence, quand la constitutionnalité d'une
disposition législative est contestée, les tribunaux estiment
qu'ils ne doivent pas se limiter à l'application des critères
traditionnels régissant l'octroi ou le refus d'une injonction
interlocutoire dans les affaires civiles ordinaires. À moins que
l'intérêt public ne soit également pris en considération dans
l'appréciation de la prépondérance des inconvénients, les tribu-
naux se montrent très souvent réticents à accorder une injonc-
tion avant que la question de la constitutionnalité ait été
définitivement tranchée au fond.
Les raisons de cette réticence se comprennent facilement
quand on oppose l'incertitude dans laquelle un tribunal se
trouve au stade interlocutoire relativement au fond et les
conséquences pratiques parfois graves, quoique temporaires,
qu'entraîne une suspension d'instance non seulement pour les
parties au litige mais aussi pour le grand public.
À la page 133, le juge Beetz étudie les conséquen-
ces de la suspension d'instance dans les affaires
constitutionnelles. Aux pages 134, 135 et 136, il
déclare:
Bien que les affaires constitutionnelles tirent souvent leur
origine d'un lis entre particuliers, il arrive parfois qu'un orga-
nisme public se trouve interposé entre les parties, telle la
Commission en l'espèce. Dans d'autres affaires constitutionnel-
les, la controverse ou le lis, s'il s'agit en fait d'un lis, prendra
naissance directement entre un particulier et l'État représenté
par un organisme public: Morgentaler v. Ackroyd (1983), 42
O.R. 659.
Dans un cas comme dans l'autre, la suspension d'instance
accordée à la demande des plaideurs privés ou de l'un d'eux vise
normalement un organisme public, un organisme d'application
de la loi, une commission administrative, un fonctionnaire
public ou un ministre chargé de l'application ou de l'adminis-
tration de la loi attaquée. La suspension d'instance peut en
général avoir deux effets. Elle peut prendre la forme d'une
interdiction totale d'appliquer les dispositions attaquées en
attendant une décision définitive sur la question de leur validité
ou elle peut empêcher l'application des dispositions attaquées
dans la mesure où elle ne vise que la partie ou les parties qui
ont précisément demandé la suspension d'instance. Dans le
premier volet de l'alternative, l'application des dispositions
attaquées est en pratique temporairement suspendue. On peut
peut-être appeler les cas qui tombent dans cette catégorie les
«cas de suspension». Dans le second volet de l'alternative, le
plaideur qui se voit accorder une suspension d'instance bénéfi-
cie en réalité d'une exemption de l'application de la loi atta-
quée, laquelle demeure toutefois opérante à l'égard des tiers.
J'appellerai ces cas des «cas d'exemption».
Qu'elles soient ou non finalement jugées constitutionnelles,
les lois dont les plaideurs cherchent à obtenir la suspension, ou
de l'application desquelles ils demandent d'être exemptés par
voie d'injonction interlocutoire, ont été adoptées par des législa-
tures démocratiquement élues et visent généralement le bien
commun, par exemple: assurer et financer des services publics
tels que des services éducatifs ou l'électricité; protéger la santé
publique, les ressources naturelles et l'environnement; réprimer
toute activité considérée comme criminelle; diriger les activités
économiques notamment par l'endiguement de l'inflation et la
réglementation des relations de travail, etc. Il semble bien
évident qu'une injonction interlocutoire dans la plupart des cas
de suspension et, jusqu'à un certain point, comme nous allons le
voir plus loin, dans un bon nombre de cas d'exemption, risque
de contrecarrer temporairement la poursuite du bien commun.
Quoique le respect de la Constitution doive conserver son
caractère primordial, il y a lieu à ce moment-là de se demander
s'il est juste et équitable de priver le public, ou d'importants
secteurs du public, de la protection et des avantages conférés
par la loi attaquée, dont l'invalidité n'est qu'incertaine, sans
tenir compte de l'intérêt public dans l'évaluation de la prépon-
dérance des inconvénients et sans lui accorder l'importance
qu'il mérite. Comme il fallait s'y attendre, les tribunaux ont
généralement répondu à cette question par la négative. Sur la
question de la prépondérance des inconvénients, ils ont jugé
nécessaire de subordonner les intérêts des plaideurs privés à
l'intérêt public et, dans les cas où il s'agit d'injonctions interlo-
cutoires adressées à des organismes constitués en vertu d'une
loi, ils ont conclu à bon droit que c'est une erreur que d'agir à
leur égard comme s'ils avaient un intérêt distinct de celui du
public au bénéfice duquel ils sont tenus de remplir les fonctions
que leur impose la loi.
Puis, à la page 146, il tire certaines conclusions de
l'analyse qu'il a faite de cette question:
Il se dégage de ce qui précède que les cas de suspension et les
cas d'exemption sont régis par la même règle fondamentale
selon laquelle, dans les affaires constitutionnelles, une suspen
sion interlocutoire d'instance ne devrait pas être accordée à
moins que l'intérêt public ne soit pris en considération dans
l'appréciation de la prépondérance des inconvénients en même
temps que l'intérêt des plaideurs privés.
Si les cas d'exemption sont assimilés aux cas de suspension,
cela tient à la valeur jurisprudentielle et à l'effet exemplaire des
cas d'exemption. Suivant la nature des affaires, du moment
qu'on accorde à un plaideur une exemption sous la forme d'une
suspension d'instance, il est souvent difficile de refuser le même
redressement à d'autres justiciables qui se trouvent essentielle-
ment dans la même situation et on court alors le risque de
provoquer une avalanche de suspensions d'instance et d'exemp-
tions dont l'ensemble équivaut à un cas de suspension de la loi.
et il déclare à la page 149:
En bref, je conclus que, lorsque l'autorité d'un organisme
chargé de l'application de la loi fait l'objet d'une attaque fondée
sur la Constitution, aucune injonction interlocutoire ni aucune
suspension d'instance ne devrait être prononcée pour empêcher
cet organisme de remplir ses obligations envers le public, à
moins que l'intérêt public ne soit pris en considération et ne
reçoive l'importance qu'il mérite dans l'appréciation de la
prépondérance des inconvénients. Telle est la règle lorsqu'il y a
un doute sérieux relativement à l'autorité de l'organisme chargé
de l'application de la loi car, s'il en était autrement, la question
d'un redressement interlocutoire ne devrait même pas se poser.
Toutefois, cette règle s'applique aussi même lorsqu'on considère
qu'il y a une apparence de droit suffisante contre l'organisme
chargé de l'application de la loi, laquelle apparence de droit
nécessiterait par exemple le recours à l'article premier de la
Charte canadienne des droits et libertés.
Sur le fondement des conclusions précitées du
juge Beetz, j'ai maintenant l'intention d'examiner
ce volet du critère énoncé dans l'arrêt American
Cyanamid en gardant à l'esprit qu'il ne faut pas
décerner une injonction interlocutoire sans avoir
pris en considération l'intérêt public lors de l'ap-
préciation de la prépondérance des inconvénients
et sans avoir déterminé l'importance respective de
cet intérêt et des intérêts privés des parties à un
litige particulier.
Quels facteurs doivent donc être pris en considé-
ration en l'espèce en ce qui a trait à la prépondé-
rance des inconvénients et à l'intérêt public? J'énu-
mère ci-après tant les facteurs qui, à mon sens,
peuvent être considérés comme favorables à la
demande de redressement en l'espèce, ainsi qu'une
circonstance importante militant contre l'octroi
d'un tel redressement:
Les facteurs appuyant la délivrance d'une
injonction interlocutoire
1. La présente affaire n'est pas un «cas de suspen
sion» mais un «cas d'exemption» selon le sens donné
à ces expressions dans l'analyse et dans les défini-
tions de l'arrêt Metropolitan Stores précité. Les
circonstances de l'espèce sont inhabituelles en ce
que l'article 17 est un article de l'ancienne Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions qui a
récemment été abrogée et remplacée par la Loi sur
la concurrence (S.C. 1986, chap. 26). L'article 17
ne s'applique qu'aux sociétés ou aux particuliers
visés par des enquêtes commencées sous le régime
de la LEC qui se sont poursuivies en vertu d'une
disposition assurant la protection des droits acquis.
Si cette Cour devait décerner une injonction inter-
locutoire ou ordonner la suspension des procédu-
res, une telle ordonnance ne toucherait aucune-
ment une enquête poursuivie en vertu de la Loi sur
la concurrence et n'empêcherait en rien l'ouverture
d'une nouvelle enquête sous le régime de cette
dernière Loi. En présence d'une telle ordonnance,
il pourrait toutefois être «difficile de refuser le
même redressement à d'autres justiciables qui se
trouvent essentiellement dans la même situation»
ainsi que l'a observé le juge Beetz dans le passage
cité plus haut. Cependant, en l'espèce, aucun des
avocats présents lors de l'audition de l'appel n'a été
capable de faire référence à d'autres affaires com-
portant des circonstances parallèles aux présentes
en dehors des affaires Thomson et Stelco préci-
tées. En conséquence, j'estime que l'argument du
«déluge» ou de l'«avalanche d'exemptions» n'est pas
applicable à la présente situation.
J'estime conséquente l'observation du juge Beetz
lorsqu'il souligne, à la page 152 de l'arrêt Metro
politan Stores précité, que «chaque cas, y compris
a fortiori un cas d'exemption, doit être tranché en
fonction de ses faits particuliers». Il a également
dit que «le juge de première instance avait non
seulement le droit mais aussi l'obligation de pren-
dre en considération la valeur de précédents et
l'effet exemplaire qu'aurait une décision de sus-
pendre les procédures devant la Commission».
Pour les motifs qui précèdent, je crois que la
situation de fait en l'espèce est assez différente de
celle de l'affaire Metropolitan Stores. En consé-
quence, comme nous n'avons pas en l'espèce à
prendre en considération la «valeur de précédents»
et un quelconque «effet exemplaire», voilà à mon
sens un facteur important militant en faveur de la
délivrance de l'injonction interlocutoire sollicitée.
2. La Commission, avec le consentement de son
directeur, a ajourné les procédures régies par l'ar-
ticle 17 dans les affaires Thomson Newspapers et
Stelco, dont le pourvoi et la demande d'autorisa-
tion de pourvoi respectifs seront entendus par la
Cour suprême du Canada. L'avocat des appelants
a avancé qu'il semblerait assez injuste que les
procédures fondées sur l'article 17 restent en sus-
pens dans les affaires Thomson et Stelco alors que
la poursuite immédiate des procédures fondées sur
ce même article serait autorisée en l'espèce.
3. Le public a intérêt à ce que la Cour soit autori-
sée à protéger des droits conférés par la Charte
susceptibles d'être irréparablement annihilés dans
l'éventualité où les procédures visées ne seraient
pas suspendues jusqu'à l'issue de l'examen en cours
relatif à la question constitutionnelle.
Une circonstance importante militant en faveur du
refus d'une injonction interlocutoire
La suspension ou l'injonction interlocutoire
recherchée doit nécessairement s'appliquer de
façon prolongée sur une période dont l'étendue
sera tributaire de celle d'une instance se déroulant
devant une autre cour; notre Cour est donc incapa
ble d'exercer le genre de contrôle qu'elle exerce
habituellement à l'égard des suspensions ou injonc-
tions interlocutoires de cette nature.
J'estime très sérieuse cette objection opposée à
la demande de redressement en l'espèce. L'avocat
des intimés souligne que dans l'affaire Rio Hotel 14 ,
où la Cour suprême du Canada a accordé la
suspension des procédures se déroulant devant la
Commission des licences et permis d'alcool du
Nouveau-Brunswick en attendant que l'appel soit
jugé, la suspension prononcée a été assujettie au
respect d'un calendrier prévoyant l'accélération du
dépôt des documents et de l'audition de l'appel.
Dans l'arrêt Couture 15 , la suspension accordée ne
s'étendait que sur une très courte période (environ
deux semaines) puisque, comme l'a indiqué le juge
des requêtes [à la page 518], l'audience sur le fond
de la question de la constitutionnalité des procédu-
res engagées devant le Tribunal de la concurrence
était prévue pour les 29 et 30 septembre et 1°r
octobre 1987.
À mon sens, seule cette objection s'oppose de
façon convaincante à la demande de redressement
en l'espèce. Toutefois, après un examen minutieux
de la question, je suis parvenu à la conclusion que
la prépondérance des inconvénients et l'intérêt
public exigent qu'une suspension interlocutoire des
14 Rio Hotel Ltd. c. Commission des licences et permis
d'alcool, [1986] 2 R.C.S. ix.
15 Canada (Procureur général) c. Alex Couture Inc., [1987]
R.J.Q. 1971 (C.A.).
procédures soit accordée en l'espèce. À mon avis,
les circonstances énumérées ci-haut qui sont favo-
rables à une telle ordonnance font plus que neutra
liser l'unique objection sérieuse qui précède pourvu
qu'une ordonnance puisse être rédigée de manière
à établir des limites de temps raisonnables et à
prévoir une supervision et un contrôle suivis de la
Cour.
Le redressement
Ainsi que l'a noté le juge Beetz dans l'arrêt
Metropolitan Stores précité, la Charte a un carac-
tère «innovateur et évolutif». Selon moi, les cir-
constances de la présente espèce appellent un
redressement possédant l'une et l'autre de ces
caractéristiques. En conséquence, j'accueillerais
l'appel avec dépens à la fois devant cette Cour et
devant la Division de première instance. Je pro-
noncerais une ordonnance interdisant l'instruction
de toute procédure engagée devant la Commission
sur les pratiques restrictives du commerce ou l'offi-
cier enquêteur J. H. Cleveland relativement à l'en-
quête du directeur ayant trait à la production, à la
fabrication, à l'achat, à la vente et à la fourniture
d'acier laminé, d'acier en plaques, d'acier en
barres et d'acier de construction, et d'autres pro-
duits connexes, jusqu'à la première des dates sui-
vantes: celle du prononcé de la décision de la Cour
suprême du Canada dans l'affaire Thomson
Newspapers Ltd. et al. v. Director of Investigation
& Research et al. 16 et celle du 15 janvier 1989.
Dans l'éventualité où l'arrêt Thomson Newspapers
n'aurait pas été prononcé le 15 décembre 1988, la
présente ordonnance accorde aux appelants l'auto-
risation de demander, après signification d'un avis
aux intimés, à un banc de cette Cour non obliga-
toirement constitué comme le présent banc, une
ordonnance prorogeant la présente ordonnance
d'interdiction.
16 L'ordonnance sollicitée par les appelants fait également
référence à la décision relative au pourvoi dont l'autorisation
est recherchée dans l'affaire Stelco. J'estime que cette mention
est inutile et n'est pas souhaitable puisque
(a) la demande d'autorisation de l'affaire Stelco n'a pas
encore été entendue par la Cour suprême du Canada [voir la
note de l'arrêtiste, précitée, note 2, à la p. 193] et que,
(b) l'autorisation de pourvoi ayant déjà été accordée dans
l'affaire Thomson Newspapers, il est probable que cet appel
sera en état d'être entendu à tout le moins pas plus tard que
l'appel interjeté dans l'affaire Stelco, même en tenant pour
acquis que la Cour accorde l'autorisation recherchée dans cette
affaire.
À mon avis, une telle ordonnance protégera
l'intérêt public résidant dans le respect des droits
et libertés qui se trouvent garantis dans la Consti
tution par l'intermédiaire de la Charte. Elle per-
mettra également de réduire au minimum toute
entrave au processus démocratique assuré par
l'exécution des lois régulièrement édictées puis-
qu'elle restreindra la durée de la suspension ou de
l'injonction interlocutoire et qu'elle assujettira ce
redressement à l'examen minutieux et à la supervi
sion de la Cour. De plus, il n'a jamais été suggéré
ou établi dans le présent dossier que le public en
général subirait quelque préjudice important si le
redressement sollicité par les appelants leur était
accordé. J'estime que l'exemption provisoire des
appelants de l'application de l'article 17, qui vise
une procédure abrogée et à présent remplacée par
une procédure assez différente, ne saurait pas être
préférable à la protection et à la préservation d'un
des droits importants prévu par la Charte. En
conséquence, je conclus que le redressement
détaillé ci-haut constitue une application pratique
des principes énoncés dans l'arrêt Metropolitan
Stores précité.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.