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A-1118-87
Yri-York Limited, Norman B. Katzman, L. F. Newberry, John M. White, Leon Robidoux, Pitt Steel Limited, James Arthur Jobin, Lorne Gilbert Coons, Bruce Scott Moore, William Alexander Mowat, Newman Steel Ltd., Peter R. Sheppard, Zenon P. Zarcz, Namasco Limited, Charles Ian McKay, P. J. Peckham, Westeel-Rosco Limited, Marshall Steel Limited, AMCA International Limited, J. B. Phelan, Samuel, Son & Co. Limi ted, W. Grant Brayley et Harold Irvine (appe- lants) (requérants)
c.
Procureur général du Canada, Commission sur les pratiques restrictives du commerce, Directeur des Enquêtes et recherches nommé en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et J. H. Cleveland (intimés) (intimés)
RÉPERTORIÉ: YRI-YORK LTD. c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) (C.A.)
Cour d'appel, juges Heald, Stone et MacGuigan— Ottawa, 9 décembre 1987 et 19 janvier 1988.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Appel interjeté d'une ordonnance rejetant une requête fondée sur l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale qui sollicitait une ordonnance interdisant par voie de prohibition l'instruction de procédures en cours devant la Commission sur les pratiques restrictives du commerce Compétence de la Cour sous le régime des art. 18 et 50 de la Loi La requérante sollicite en fait une injonction interlocutoire ou une suspension d'instance Les enquêtes menées en vertu de l'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions constituent des «procédures» Appel accueilli.
Contrôle judiciaire Recours en equity Injonctions Une requête a été présentée en vertu de l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale pour obtenir une ordonnance interdisant par voie de prohibition l'instruction de procédures en cours devant la Commission sur les pratiques restrictives du commerce jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada ait statué sur la constitutionnalité de l'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions Le redressement sollicité est un redresse- ment par voie d'injonction La suspension et l'injonction interlocutoire sont des redressements de même nature Application du critère en trois volets de l'arrêt American Cyanamid Le critère de l'existence d'une question sérieuse suffit dans une affaire constitutionnelle l'importance res pective de l'intérêt public et des intérêts privés des parties est déterminé dans l'appréciation de la prépondérance des incon- vénients Préjudice irréparable La protection prévue à l'art. 20 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ne s'étend pas à la preuve documentaire obtenue lors d'une enquête tenue sous le régime de l'art. 17 L'appel formé à l'encontre de la décision de rejeter la requête est accueilli.
Coalitions Appel est interjeté d'une décision refusant la délivrance d'une ordonnance prohibant l'instruction de procé- dures en cours devant la Commission sur les pratiques restric- tives du commerce jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada ait statué sur la constitutionnalité de l'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions dans une autre affaire Il est allégué que l'art. 17 contrevient aux art. 7 et 8 de la Charte Défaut du juge de première instance d'appliquer le critère en trois volets de l'arrêt American Cyanamid Un préjudice irréparable pourrait être causé puisque la protection accordée par l'art. 20 de la Loi ne s'étend pas à la preuve documentaire obtenue dans le cadre d'une enquête tenue sous le régime de l'art. 17 L'appréciation de la prépondérance des inconvénients doit tenir compte de l'intérêt public.
Pratique Introduction des procédures Une requête fondée sur l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale sollicite une ordonnance interdisant par voie de prohibition l'instruction de procédures en cours devant la Commission sur les pratiques restrictives du commerce Pertinence du recours à l'avis de requête prévu à la Règle 319 Le redressement par voie d'injonction en l'espèce n'est pas sollicité contre le procureur général.
Appel est interjeté d'une ordonnance de la Division de pre- mière instance rejetant une requête présentée sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale pour obtenir une ordonnance interdisant par voie de prohibition l'instruction de toute procédure en cours devant la Commission sur les prati- ques restrictives du commerce jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada ait statué sur la constitutionnalité de l'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions (la Loi) dans l'affaire Thomson Newspapers Ltd. et al. v. Director of Inves tigation & Research et al. L'article 17 traite des interrogatoires de témoins et de la production de documents. Les appelants en l'espèce ont reçu différents avis et ordonnances délivrés en vertu de cette disposition relativement à une enquête portant sur les activités qu'ils ont exercées dans l'industrie de l'acier au cours des années 1975, 1976 et 1977. Comme les appelants dans l'affaire Thompson Newspapers, les appelants en l'espèce pré- tendent que l'article 17 contrevient aux articles 7 et 8 de la Charte.
Le juge des requêtes a rejeté la requête fondée sur l'article 18 au motif que le critère en trois volets de l'arrêt American Cyanamid ne s'applique pas dans le cas d'une contestation formée en vertu de l'article 18 lorsqu'un tribunal administratif exerce un pouvoir conféré par une loi. Les questions en litige sont celles de savoir si cette Cour possède la compétence voulue pour accorder le redressement sollicité et si le juge des requêtes a commis une erreur en n'appliquant pas le critère prescrit par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
La Cour fédérale possède à la fois en vertu de l'article 18 et en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale la compétence voulue pour accorder le redressement sollicité. La prétention des intimés que la requête en l'espèce constitue en réalité une demande de suspension—un redressement non visé par l'article 18—doit échouer. La demande d'«une ordonnance interdisant par voie de prohibition l'instruction de toute procé- dure» constitue clairement une demande de redressement par voie d'injonction. L'alinéa 18a) de la Loi sur la Cour fédérale
habilite la Cour à accorder des injonctions et des brefs de prohibition. L'alinéa 18b) confère à la Cour la compétence pour instruire les demandes de redressements de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a). Comme l'a dit le juge Beetz dans l'arrêt Metropolitan Stores, «la suspension d'instance et l'injonction interlocutoire sont des redressements de même nature». L'alinéa 18b) a donc pour effet de conférer à la Cour la compétence pour instruire une demande de suspension, et c'est bien ce qu'est la requête en l'espèce.
Comme les appelants n'ont pas recherché de redressement par voie d'injonction contre le procureur général, leur décision d'agir sous le régime de l'article 18 en présentant un avis de requête conformément à la Règle 319 plutôt que d'agir par voie d'action conformément à la Règle 400 est valable dans les circonstances de la présente espèce.
La Cour est également compétente en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale. Le paragraphe 50(1) déclare que la Cour peut «suspendre les procédures dans toute affaire ou question» au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal ou une autre juridiction ou lorsqu'il est dans l'intérêt de la justice de le faire. Cette disposition s'étend à une procédure comme l'interrogatoire oral autorisé par le paragra- phe 17(1) de la Loi. Il ressort clairement de l'économie de la Loi ainsi que du libellé de son article 27 que les «enquêtes» prévues à l'article 17 constituent des «procédures» se déroulant devant la Commission.
La jurisprudence sur laquelle se sont appuyés les intimés ne permettait pas au juge des requêtes de conclure que le critère de l'arrêt American Cyanamid ne devait pas s'appliquer dans une affaire comme l'espèce. Le juge des requêtes s'est trompé en omettant d'appliquer le critère en trois volets de l'arrêt American Cyanamid tel qu'il se trouvait approuvé et adapté dans l'arrêt Metropolitan Stores. Dans cette affaire, la Cour suprême a indiqué que la formulation du critère de l'existence d'une «question sérieuse» faite dans l'arrêt American Cyanamid «suffit dans une affaire constitutionnelle l'intérêt public est pris en considération dans la détermination de la prépondérance des inconvénients». Le juge Beetz, prononçant les motifs de la Cour, a approuvé les deux autres critères de l'arrêt American Cyanamid: (1) le préjudice irréparable non susceptible d'être compensé par des dommages et intérêts et (2) la prépondérance des inconvénients et l'intérêt public. Le fait que la Cour suprême du Canada ait accordé une autorisation de pourvoi dans l'affaire Thompson Newspapers, qui met en jeu une question identique à celle en l'espèce, démontre qu'il existe une question sérieuse à trancher.
Il a été satisfait au critère du préjudice irréparable. La protection contre l'auto-incrimination accordée par l'article 20 de la Loi aux témoins déposant sous le régime de l'article 17 ne s'étend pas à la preuve dérivée ou documentaire obtenue lors d'un interrogatoire tenu conformément à l'article 17. La réponse d'un témoin déposant lors d'une enquête menée sous le
régime de l'article 17 la question de savoir se trouvent certains documents pourrait amener un enquêteur à se rendre sur les lieux d'un «participant» au sens donné à ce terme au paragraphe 45(1) de la Loi. En vertu de l'alinéa 45(1)c), ces documents pourraient être admis en preuve contre ce témoin et attester prima facie la véracité de leur contenu contre ce témoin lors d'un procès subséquent. Il est loin d'être certain que le paragraphe 24(2) de la Charte protégerait un témoin dépo- sant sous le régime de l'article 17.
Lorsque la constitutionnalité d'une loi est contestée, aucune injonction interlocutoire ne devrait être accordée à moins que l'importance respective de l'intérêt public et des intérêts privés des parties au litige ne soit déterminée dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients. En l'espèce, la prépondérance des inconvénients et l'intérêt public exigent qu'une suspension interlocutoire de l'instance soit accordée. La présente affaire n'est pas un «cas de suspension» mais un «cas d'exemption» selon le sens donné à ces expressions dans les définitions de l'arrêt Metropolitan Stores. L'article 17 de la Loi ne s'applique qu'aux sociétés ou aux particuliers visés par des enquêtes commencées sous le régime de l'ancienne Loi présent rem- placée par la Loi sur la concurrence, S.C. 1986, chap. 26) qui se sont poursuivies en vertu d'une disposition assurant la protec tion des droits acquis. Il n'existe aucun risque d'«avalanche d'exemptions» puisque les seules parties à des litiges se trouvant dans la même situation que les appelants sont celles des affaires Thompson Newspapers et Stelco. De plus, le fait que le présent cas d'exemption n'ait aucune valeur de précédent ou effet exemplaire milite également en faveur de la délivrance de l'injonction interlocutoire sollicitée.
Une objection sérieuse a été soulevée à l'encontre de la délivrance de l'injonction interlocutoire en l'espèce. Cette objec tion avait trait à la durée d'une suspension ou injonction interlocutoire; elle faisait état de l'incapacité de la Cour d'exer- cer le genre de contrôle qu'elle exerce habituellement à l'égard des redressements de cette nature. Les circonstances énumérées ci-dessus qui sont favorables au prononcé d'une ordonnance accordant une suspension interlocutoire des procédures font plus que neutraliser cette objection, pourvu que l'ordonnance prononcée établisse des limites de temps raisonnables et prévoie une supervision et un contrôle suivis de la Cour. Une telle ordonnance devrait permettre à la Cour de protéger l'intérêt public en protégeant les droits et libertés inscrits dans la Constitution. Elle permettra également de réduire au minimum toute entrave au processus démocratique assuré par l'exécution des lois régulièrement édictées.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 8, 24.
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 17, 20 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 8), 27 (mod. idem, art. 9), 45 (mod. idem, art. 21).
Loi sur la concurrence, S.R.C. 1970, chap. C-23 (mod. par S.C. 1986, chap. 26, art. 19).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 2, 18, 50.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 319, 400, 603.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [ 1987] 1 R.C.S. 110; Commission d'énergie électri- que du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Com-
papy Limited, [1985] 2 C.F. 13 (C.A.); Law Society of Alberta v. Black et al. (1983), 8 D.L.R. (4th) 346 (C.A. Alb.); American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.).
DÉCISION NON SUIVIE:
McFetridge v. Nova Scotia Barristers' Society (1981), 123 D.L.R. (3d) 475 (C.S.N.-E.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Lodge c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 775 (C.A.), infirmant [1978] 2 C.F. 458 (1"e inst.); Procureur général du Canada c. Gould, [1984] 1 C.F. 1133 (C.A.), confirmé par [1984] 2 R.C.S. 124.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Canada (Procureur général) c. Alex Couture Inc., [ 1987] R.J.Q. 1971 (C.A.); Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181; (1987), 74 N.R. 33; R. L. Crain Inc. et al. v. Couture and Restrictive Trade Practices Commission et al. (1983), 10 C.C.C. (3d) 119 (B.R. Sask.); R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; 38 D.L.R. (4th) 508.
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Thomson Newspapers Ltd. et al. v. Director of Investiga tion & Research et al. (1986), 57 O.R. (2d) 257 (C.A.); Stelco Inc. c. Canada (Procureur général), Cour fédérale, Division d'appel, A-728-87, jugement en date du 22 octobre 1987, non encore publié; R. v. Dahlem (1983), 25 Sask. R. 10 (B.R.); R. v. Jahelka; R. v. Stagnitta (1987), 79 A.R. 44 (C.A.); Rio Hotel Ltd. c. Commission des licences et permis d'alcool, [1986] 2 R.C.S. ix.
AVOCATS:
F. J. C. Newbould, c.r. pour les appelants (requérants) Yri-York Limited, Norman B. Katzman, L. F. Newberry, John M. White, Leon Robidoux, Newman Steel Ltd., Peter R. Sheppard et Zenon P. Zarcz.
Peter R. Jervis pour les appelants (requé- rants) Pitt Steel Limited, James Arthur Jobin, Lorne Gilbert Coons, Bruce Scott Moore, William Alexander Mowat et Mar- shall Steel Limited.
T. B. O. McKeag, c.r. pour les appelants (requérants) Namasco Limited, Charles Ian McKay et P. J. Peckham.
Neil Finkelstein pour les appelants (requé- rants) Westeel-Rosco Limited.
James A. Robb, c.r. pour les appelants (requérants) AMCA International Limited et J. B. Phelan.
David F. Bell pour les appelants (requérants) Samuel, Son & Co. Limited et W. Grant Brayley.
Peter A. Vita, c.r. pour les intimés (requé- rants).
PROCUREURS:
Tilley, Carson & Findlay, Toronto, pour les appelants (requérants) Yri-York Limited, Norman B. Katzman, L. F. Newberry, John M. White et Leon Robidoux.
Stikeman, Elliott, Toronto, pour les appelants (requérants) Pitt Steel Limited, James Arthur Jobin, Lorne Gilbert Coons, Bruce Scott Moore, William Alexander Mowat et Mar- shall Steel Limited.
Phillips & Vineberg, Montréal, pour les appe- lants (requérants) Newman Steel Ltd., Peter R. Sheppard et Zenon P. Zarcz.
Campbell, Godfrey and Lewtas, Toronto, pour les appelants (requérants) Namasco Limited, Charles Ian McKay et P. J. Peckham.
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour l'appelante (requérante) Westeel-Rosco Limi ted.
Stikeman, Elliott, Montréal, pour les appe- lants (requérants) AMCA International Limited et J. B. Phelan.
Smith, Lyons, Torrance, Stevenson & Mayer, Toronto, pour les appelants (requérants) Samuel, Son & Co. Limited et W. Grant Brayley.
Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour l'appelant (requérant) Harold Irvine.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés (intimés).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Appel est interjeté d'une ordonnance de la Division de première instance [[1988] 2 C.F. 537] rejetant un avis de requête introductif d'instance en date du 23 septembre 1987 présenté conformément à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10]. Cet avis de requête introductif d'ins- tance sollicitait entre autres une ordonnance inter- disant par voie de prohibition l'instruction de toute
procédure en cours devant la Commission sur les pratiques restrictives du commerce (C.P.R.C.) conformément à l'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23 (LEC) concernant la production, la fabrica tion, l'achat, la vente et la fourniture de certains types de produits en acier, jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada ait rendu une décision dans l'appel interjeté dans l'affaire Thomson Newspa pers Ltd. et al. v. Director of Investigation & Research et al. L'autorisation d'en appeler de la décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario dans cette affaire' a été accordée [[1987] 1 R.C.S. xiv], et la Cour suprême du Canada a déclaré que la question à trancher dans le cadre de ce pourvoi était la suivante:
L'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions est-il incompatible avec les dispositions des articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, nul et de nul effet?
Les appelants sont tous des sociétés ou des particuliers qui ont reçu différents avis ou ordon- nances conformément à la LEC en ce qui concerne une enquête menée par le directeur des enquêtes et recherches nommé en vertu de cette Loi (le direc- teur). Ainsi qu'il est noté plus haut, l'enquête en cause porte sur les activités exercées par les appe- lants dans l'industrie de l'acier au cours des années 1975, 1976 et 1977.
À une date située entre le 27 janvier et le 2 février 1981, le président de la C.P.R.C. a rendu une ordonnance conformément au paragraphe 17(1) de la LEC enjoignant à quelque vingt-neuf particuliers de comparaître [TRADUCTION] «pour déposer sous serment dans le cadre» d'une enquête portant sur la production, la fabrication, l'achat, la vente et la fourniture d'acier laminé, d'acier en plaques, d'acier en barres et d'acier de construc tion, et d'autres produits connexes.
Des auditions ont été tenues devant M. H. H. Griffin (l'officier enquêteur nommé pour mener l'enquête) le 25 février ainsi que les 2, 3, 4, 5, 6, 9 et 12 mars 1981. L'enquête a alors été ajournée sine die pendant l'instruction de diverses demandes présentées devant la Cour fédérale du Canada relativement à la validité de cette enquête. Le sort de ces procédures a ultimement été réglé par la
1 Thomson Newspapers Ltd. et al. v. Director of Investiga tion & Research et al. (1986), 57 O.R. (2d) 257 (C.A.).
décision de la Cour suprême du Canada en date du 26 mars 1987 qui a confirmé la légalité de l'en- quête ajournée (Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives), [1987] 1 R.C.S. 181; (1987), 74 N.R. 33).
Le directeur, par des lettres recommandées en date du 24 août 1987, a avisé les appelants que les auditions ajournées reprendraient le 29 septembre 1987 devant l'officier enquêteur J. H. Cleveland. Le 29 septembre, suivant l'accord intervenu entre les avocats des parties, cette reprise a elle-même été ajournée en attendant l'issue de la demande présentée devant la Division de première instance. Le 6 octobre 1987, le président de la C.P.R.C. a prononcé une ordonnance annulant les ordonnan- ces initiales relatives à l'interrogation des témoins (les 27 janvier et 2 février 1981) et il a rendu une nouvelle ordonnance enjoignant aux témoins de comparaître pour être interrogés à Mississauga le 30 novembre 1987. Avec le consentement du direc- teur, ces interrogatoires et ces auditions ont été ajournées jusqu'à ce qu'une décision soit rendue concernant le présent appel.
Les appelants soutiennent que les ordonnances et avis délivrés conformément à l'article 17 de la LEC violent les dispositions des articles 7 et 8 de la Charte [Charte canadienne des droits et liber- tés, qui constitue la Partie I de la Loi constitution- nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. La constitution- nalité de l'article 17 se trouve présentement exami née dans au moins deux autres litiges, l'un de ceux-ci étant l'affaire Thomson Newspapers, sus- mentionnée, et l'autre l'affaire Stelco Inc. c. Canada (Procureur général), dans laquelle une autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada se trouve présentement sollicitée 2 . Le directeur a remis son enquête dans ces deux affai- res jusqu'à ce qu'il soit statué sur ces pourvois. La prétention des appelants est que le sort ultime de leur demande fondée sur l'article 18 est tributaire de celui des pourvois susmentionnés des affaires Thomson Newspapers et Stelco. Ils ont soutenu devant le juge des requêtes que le directeur ne
2 La décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Stelco porte la date du 22 octobre 1987 et le numéro de greffe A-728-87; encore inédite. [Note de l'arrêtiste: autori- sation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada accordée le 25 janvier 19881
devrait pas se voir accorder le droit de procéder à l'enquête prévue à l'article 17 tant que les ques tions relatives à la Charte soulevées dans ces affai- res n'auront pas été tranchées.
La décision de la Division de premiére instance
Le juge des requêtes a rejeté la demande fondée sur l'article 18. Il a énoncé la question en litige de la manière suivante (aux pages 511 et 512):
Le point en litige est de savoir s'il s'agit d'une affaire appropriée pour que soit accordée une suspension du processus administratif d'enquête, que ce soit notamment par voie de prohibition ou d'injonction, jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada se soit prononcée sur la question constitutionnelle évoquée dans l'appel Thomson Newspapers.
Afin de répondre à cette question, le juge des requêtes a examiné de façon assez détaillée la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110 ainsi que l'arrêt prononcé par la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Alex Couture Inc., [1987] R.J.Q. 1971. Le juge a entamé son analyse après avoir observé que l'avocat des requérants s'était «largement appuyé» sur ces décisions. Aux pages 519 et 520, le juge des requêtes a tranché la question en litige de la manière suivante:
Le critère en trois volets d'American Cyanamid ... s'appli- que-t-il dans le cas d'une contestation formée en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale lorsqu'un tribunal administratif exerce le pouvoir qui lui est conféré par la loi? À mon avis, il n'en est rien ...
En adoptant une telle conclusion, il a fait sien le raisonnement tenu par la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse dans l'affaire McFetridge v. Nova Scotia Barristers' Society
(1981), 123 D.L.R. (3d) 475, la page 476. Le raisonnement tenu dans l'arrêt McFetridge veut que le critère élaboré dans l'arrêt American Cya- namid [American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.)] ait une [TRADUCTION] «pertinence limitée» dans les affaires une con clusion déclaratoire et une injonction permanente sont recherchées pour empêcher un tribunal quasi judiciaire d'exercer les pouvoirs et les fonctions qu'une loi semble prima facie leur conférer.
Le juge des requêtes s'est également appuyé sur la décision rendue par cette Cour dans l'affaire Lodge c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1979] 1 C.F. 775.
La question juridictionnelle
Les intimés prétendent que la Cour fédérale n'est pas habilitée à accorder le redressement recherché par les appelants au moyen de la pré- sente requête. Les appelants, pour leur part, sou- tiennent que la compétence de la Division de pre- mière instance de cette Cour à l'égard du redressement sollicité repose sur trois fondements distincts et réciproquement subsidiaires:
(a) L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale;
(b) L'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale; ou
(c) L'article 24 de la Charte.
(a) L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale
L'avocat des intimés soutient que la Cour fédé- rale du Canada, étant une cour créée par une loi, ne possède aucune compétence inhérente. Il pré- tend en conséquence que cette Cour, pour avoir compétence relativement à une question particu- lière, doit être explicitement ou implicitement habilitée à cet égard par les dispositions de sa loi constitutive ou par d'autres lois fédérales lui attri- buant d'autres domaines de compétence particu- liers.
Alléguant que l'alinéa 18a) de la Loi sur la Cour fédérale limite la compétence de la Cour aux injonctions, aux brefs de certiorari, aux brefs de prohibition, aux brefs de mandamus, aux brefs de quo warranto ou aux jugements déclaratoires, et que l'alinéa 18b) n'ajoute à cette compétence que tout «redressement de la nature de celui qu'envi- sage l'alinéa a)», l'avocat des intimés soumet que l'avis de requête introductif d'instance en l'espèce ne relève pas des dispositions de l'article 18. À l'appui de son argumentation, il plaide que la requête en l'espèce constitue en réalité une demande de suspension et que les suspensions ne sont pas expressément visées par l'article 18.
Cette prétention ne m'apparaît pas bien fondée. L'avis de requête la page 28 du Dossier d'appel) sollicite notamment au sous-paragraphe (1) «une ordonnance interdisant par voie de prohibition l'instruction de toute procédure» en cours devant la C.P.R.C. sous le régime de l'article 17 de la LEC. Rien n'indique que les arguments juridictionnels présentés devant nous aient été soulevés devant le
juge des requêtes. Quoi qu'il en soit, ce juge semble avoir considéré que la compétence voulue lui était conférée par l'article 18. À la page 509 de la décision, il qualifie la procédure en cause de demande fondée sur l'article 18 visant à obtenir «une ordonnance par voie de prohibition afin de suspendre l'enquête». (C'est moi qui souligne.) A la page 509, il déclare que «Toute l'affaire porte ... sur la question d'empêcher la CPRC de pour- suivre». (C'est moi qui souligne.) A nouveau, à la page 519, il parle «d'une injonction interlocutoire ou d'une suspension d'instance», tandis qu'à la page 522 il utilise les termes «une injonction provi- soire ou une suspension d'instance».
À mon sens, il ressort clairement de ces citations relatives à la nature des procédures intentées en l'espèce que le juge des requêtes était convaincu d'être habilité à juger la requête en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Je souscris à son opinion. L'avis de requête sollicite «une ordonnance interdisant par voie de prohibi tion». Un tel redressement est clairement un redressement par voie d'injonction. L'alinéa 18a) habilite la Cour fédérale à accorder à la fois des injonctions et des brefs de prohibition. En vertu de l'alinéa 18b), cette Cour a compétence pour ins- truire les demandes de redressement de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a). L'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale définit le terme «redresse- ment» de la manière suivante:
2....
«redressement» comprend toute espèce de redressement judi- ciaire, qu'il soit sous forme de dommages-intérêts, de paie- ment d'argent, d'injonction, de déclaration, de restitution d'un droit incorporel, de restitution d'un bien mobilier ou immobilier, ou sous une autre forme;
La compétence conférée à la Cour en vertu de l'alinéa 18a) se trouve ainsi élargie par les disposi tions de l'alinéa 18b). En conséquence, à mon avis, l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale investit la Division de première instance de cette Cour de la compétence pour juger une demande de cette nature. A mon sens, cette Cour demeure compé- tente en vertu de l'article 18 même si l'on consi- dère que l'avocat des intimés a raison de qualifier la requête en cause de demande de suspension. Dans l'arrêt Metropolitan Stores, susmentionné, le juge Beetz a déclaré à la page 127:
La suspension d'instance et l'injonction interlocutoire sont des redressements de même nature. A moins qu'un texte légis-
latif ne prescrive un critère différent, elles ont suffisamment de traits en commun pour qu'elles soient assujetties aux mêmes règles et c'est avec raison que les tribunaux ont eu tendance à appliquer à la suspension interlocutoire d'instance les principes qu'ils suivent dans le cas d'injonctions interlocutoires ...
Sur le fondement de ce point de vue, les deux redressements en cause étant de même nature, l'alinéa b) de l'article 18 aurait pour effet de conférer compétence à la Cour.
Avant de mettre fin à cette discussion relative à l'article 18, j'aimerais présenter quelques brèves observations sur la question de savoir si une procé- dure prévue à l'article 18 peut être engagée au moyen d'un avis de requête conformément à la Règle 319 et suivantes plutôt que par une action introduite par une déclaration conformément à la Règle 400. A mon avis, la Règle 603 permet que l'on ait recours à un acte de procédure prévu à la Règle 319 dans les circonstances de l'espèce. La Règle 603 déclare:
Règle 603. Les procédures prévues par l'article 18 de la Loi en vue d'obtenir l'un quelconque des redressements qui y sont mentionnés, à l'exception d'une procédure contre le procureur général du Canada ou d'une procédure faite dans le but d'obte- nir un jugement déclaratoire, peuvent être engagées soit
a) sous forme d'action en vertu de la Règle 400; ou
b) par demande faite à la Cour en vertu des Règles 319 et suivantes.
Dans l'ouvrage Federal Court Practice, 1988 de Sgayias, Kinnear, Rennie et Saunders, à la page 507, il est observé au sujet de la Règle 603:
[TRADUCTION] La Règle 603 régit la procédure applicable à l'introduction des procédures prévues à l'article 18 de la Loi. Cet article confère à la Division de première instance la compé- tence de délivrer des brefs de certiorari, de prohibition, de mandamus et de quo warranto ainsi que des injonctions et jugements déclaratoires contre les offices, commissions et autres tribunaux fédéraux. Tous les types de redressement offerts en vertu de l'article 18 peuvent être sollicités au moyen d'une action introduite par une déclaration conformément à la Règle 400. Dans certains cas, le redressement peut être sollicité au moyen d'une demande introduite par un avis de requête conformément aux Règles 319 et suivantes.
Ces auteurs expriment ensuite l'opinion (égale- ment à la page 507) qu'un redressement par voie d'injonction peut être obtenu soit au moyen d'une action fondée sur la Règle 400 soit au moyen [TRADUCTION] «d'une demande faite en vertu des Règles 319 et suivantes (sauf lorsqu'un tel redres- sement est demandé contre le procureur général)». Comme le redressement sollicité ne comporte pas
de redressement par voie d'injonction contre le procureur général du Canada, je conclus que la décision des appelants de présenter leur demande conformément à la Règle 319 et suivantes est valable dans les circonstances de l'espèce.
(b) L'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale
Ayant conclu que la Cour est compétente à juger la présente requête en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, il devient peut-être inutile de traiter des deux fondements juridiction- nels subsidiaires allégués par les appelants. Toute- fois, pour le cas mes conclusions susmention- nées relatives à l'article 18 seraient jugées erronées, j'aimerais exprimer l'opinion que cette Cour est également habilitée à décider de la pré- sente requête en vertu des dispositions de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale'. L'avocat des intimés a prétendu que les démarches se déroulant à ce point-ci ne constituent pas une procédure ou une affaire mais simplement une enquête, et qu'en conséquence l'article 50 ne s'appliquerait pas de manière à conférer à la Cour la compétence d'ac- corder une suspension. Je suis incapable de sous- crire à cette prétention.
Pour exposer les motifs de cette décision, il m'apparaît nécessaire d'examiner brièvement l'économie de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Le juge Estey examine cette Loi de façon approfondie dans l'arrêt Irvine 4 . La Partie I de la Loi porte le sous-titre ENQUÊTES ET RECHERCHES et comprend les articles 5 à 15 inclusivement. La Partie II de la Loi est intitulée ÉTUDE ET RAPPORT et comprend les articles 16 à 22 inclusivement. La Partie I établit le poste de directeur des enquêtes et recherches. La Partie II institue la Commission sur les pratiques restricti- ves du commerce. En vertu de l'article 17, la Commission est habilitée à autoriser des interroga-
3 Le paragraphe 50(1) est libellé de la maniére suivante:
50. (1) La Cour peut, à sa discrétion, suspendre les procé-
dures dans toute affaire ou question,
a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal ou une autre juridiction; ou
b) lorsque, pour quelque autre raison, il est dans l'intérêt de la justice de suspendre les procédures.
° Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, aux p. 193 et suivantes; (1987), 74 N.R. 33, aux p. 44 et suivantes.
toires sous serment de témoins devant le directeur ou une personne nommée à cette fin et à ordonner la production de documents par ces mêmes témoins'. La Partie III de la Loi a pour titre DISPOSITIONS GÉNÉRALES et comprend les arti cles 23 27 inclusivement. L'article 27 [abrogé et remplacé par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 9] est ainsi libellé:
27. (1) Toutes les enquêtes prévues par la présente loi doi- vent être tenues à huis clos, sauf que le président de la Commission peut ordonner que tout ou partie d'une telle enquête qui a lieu devant la Commission ou l'un de ses mem- bres soit menée en public.
(2) Toutes les procédures, intentées devant la Commission, qui ne concernent pas une enquête sont menées en public; toutefois, le président de la Commission peut ordonner qu'elles aient lieu totalement ou en partie à huis clos.
Le paragraphe 27(2) parle donc de «Toutes les procédures, intentées devant la Commission, qui ne concernent pas une enquête.» (en anglais: «All proceedings before the Commission, other than proceedings in relation to an inquiry». (C'est moi qui souligne.) À mon sens, il ressort assez claire- ment de l'économie de la Loi ainsi que des termes utilisés à l'article 27 que le Parlement a manifeste- ment voulu que les «enquêtes» prévues à l'article 17 constituent autant des «procédures» se déroulant devant la Commission que n'importe laquelle des procédures subséquentes qui peuvent être enta- mées à la suite de l'enquête visée à l'article 17. Le juge Estey a fait les observations suivantes sur le sens des paragraphes 27(1) et (2) de la Loi aux pages 199 et 200 R.C.S.; 51 et 52 N.R.
Je me permets de faire une digression pour souligner qu'en vertu du par. 27(1) (une disposition qu'on trouve dans une
Les paragraphes 17(1) et 17(2) sont ainsi libellés:
17. (1) Sur demande ex parte du directeur, ou de sa propre initiative, un membre de la Commission peut ordon- ner que toute personne résidant ou présente au Canada soit interrogée sous serment devant lui ou devant toute autre personne nommée à cette fin par l'ordonnance de ce membre, ou produise à ce membre ou à cette autre personne des livres, documents, archives ou autres pièces, et peut rendre les ordonnances qu'il estime propres à assurer la comparution et l'interrogatoire de ce témoin et la production par ce dernier de livres, documents, archives ou autres pièces, et il peut autrement exercer, en vue de l'exécution de ces ordonnances ou de la punition pour défaut de s'y conformer, les pleins pouvoirs exercés par toute cour supérieure au Canada quant à l'exécution des brefs d'assignation ou à la punition en cas de défaut de s'y conformer.
(2) Toute personne assignée sous le régime du paragraphe (1) est habile à agir comme témoin et peut être contrainte à rendre témoignage.
autre partie de la Loi) «Toutes les enquêtes prévues par la présente loi doivent être tenues à huis clos». L'article poursuit cependant: «sauf que le président de la Commission peut ordon- ner que tout ou partie d'une telle enquête qui a lieu devant la Commission ou l'un de ses membres soit menée en public». Il ne dit pas clairement si cela inclut les témoignages donnés devant la personne désignée par un membre de la Commission en vertu de l'art. 17, en l'espèce devant l'officier enquêteur. Au paragra- phe (2), la règle est inversée pour toutes les procédures inten- tées devant la Commission, «qui ne concernent pas une enquête». Les procédures devant la Commission ont lieu en public à moins que son président n'ordonne le huis clos. Les procédures intentées devant la Commission, qui concernent une enquête, doivent néanmoins avoir lieu à huis clos. Lorsque les par. (1) et (2) sont lus conjointement, il semblerait qu'une ordonnance du président soit nécessaire pour que la procédure qui se déroule devant l'officier enquêteur ait lieu en public; or le dossier ne contient aucune ordonnance en ce sens.
Il me semble clair que le juge Estey a considéré que l'enquête tenue devant l'officier enquêteur conformément à l'article 17 était une «procédure» au sens donné à ce terme dans la Loi.
Étant d'avis, pour les motifs exprimés ci-haut, que la procédure en l'espèce fondée sur l'article 17 constitue une «procédure», il me semble que la remarque incidente faite par le juge Stone dans l'arrêt Commission d'énergie électrique du Nou- veau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited 6 s'appliquerait à la situation en l'espèce. A la page 24 de ses motifs, le juge Stone a dit:
À première vue, le paragraphe 50(1) de la Loi ne se limite pas aux procédures «dont la Cour est saisie». L'inclusion de ces mots ou de mots à cet effet, aurait, je pense, enlevé tout doute quant à l'intention du Parlement. Leur absence au paragraphe 50(1) appuie dans une certaine mesure l'argument selon lequel le Parlement entendait, en utilisant le mot «procédures» accor- der le pouvoir, dans les circonstances appropriées, de surseoir également à des procédures autres que celles dont la Cour était elle-même saisie.
J'estime très convaincante cette manière d'envi- sager la question. En conséquence, je crois que les termes utilisés par le Parlement au paragraphe 50(1) précité s'étendent à une procédure comme l'interrogatoire oral permis suivant le paragraphe 17(1) de la LEC.
(c) L'article 24 de la Charte
Je suis incapable d'accepter les arguments des appelants voulant que la délivrance de l'ordon- nance de la C.P.R.C. leur enjoignant de déposer conformément à l'article 17 ait porté atteinte aux droits que leur donne la Charte. Le paragraphe
6 [1985] 2 C.F. 13 (C.A.).
24(1) de la Charte donne le droit à toute personne «victime de violation ou de négation)) des droits qui lui sont garantis par la Charte (en anglais: «whose Charter rights have been infringed or denied))) (c'est moi qui souligne) de s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir une réparation convenable. En l'espèce, à ce point-ci, les droits des appelants n'ont pas effectivement été violés. En conséquence, aucune violation ou négation des droits garantis par la Charte n'ayant encore eu lieu', j'estime que la présentation d'une demande fondée sur l'article 24 est prématurée.
En conséquence, pour résumer les conclusions de mon examen de la question de la compétence de la Cour à instruire la demande fondée sur l'article 18 en l'espèce, je suis convaincu pour les motifs qui précèdent que la Division de première instance a la compétence voulue pour trancher cette question soit en vertu de l'article 18 soit en vertu du para- graphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
Le critère de l'arrêt Metropolitan Stores
Les appelants soumettent que le juge des requê- tes a commis une erreur en manquant d'appliquer correctement ou en manquant tout simplement d'appliquer le critère prescrit par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Metropolitan Stores, pré- cité, relativement à la suspension de procédures administratives pendant leur contestation sur le fondement de la Charte.
Les intimés, d'autre part, soumettent à l'appui de la conclusion du juge des requêtes que le redres- sement sollicité par les appelants en l'espèce tient de la nature d'une injonction permanente ou d'une prohibition et qu'en conséquence le critère tripar tite employé dans l'arrêt American Cyanamid a une pertinence restreinte. Cette proposition est appuyée sur les arrêts McFetridge et Lodge, préci- tés, ainsi que sur l'arrêt Gould'. J'examinerai chacun de ces trois arrêts, en commençant par la décision rendue par cette Cour dans l'affaire Lodge.
7 Pour une opinion similaire, voir: R. v. Dahlem (1983),25 Sask. R. 10 (B.R.), aux p. 19 et 20, le juge Maher. Voir également: R. v. Jahelka; R. v. Stagnitta (1987), 79 A.R. 44 (C.A.), aux p. 51 et 52, le juge d'appel Kerans.
8 Procureur général du Canada c. Gould, [1984] 1 C.F. 1133, la p. 1140; confirmé par [1984] 2 R.C.S. 124.
Dans l'affaire Lodge, les appelantes avaient sol- licité de la Division de première instance une injonction interdisant au ministre intimé d'exécu- ter des ordonnances d'expulsion prononcées contre elles jusqu'à ce qu'il ait été statué sur des plaintes qu'elles avaient déposées en vertu de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne [S.C. 1976-77, chap. 33] suivant lesquelles les procédures d'expul- sion dont elles faisaient l'objet équivalaient à un acte discriminatoire interdit par cette Loi. La Divi sion de première instance a rejeté la demande [[1978] 2 C.F. 458] au motif que, même tenues pour avérées, les allégations de la plainte n'équiva- laient pas à un acte discriminatoire selon la défini- tion donnée à cette expression par la Loi.
L'appel a été rejeté par cette Cour. Le juge d'appel Le Dain (c'était alors son titre), dans les motifs qu'il a rédigés pour un banc unanime, a déclaré aux pages 782 et 783:
Les appelantes prétendent essentiellement que l'injonction sollicitée a le caractère d'une injonction interlocutoire et par- tant, ils ont plaidé que le critère qu'aurait dQ appliquer le juge de première instance est celui établi par l'arrêt American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd. [1975] A.C. 396 en matière d'injonction interlocutoire, savoir: la question en jeu est-elle sérieuse? A mon avis, c'est mal comprendre la nature des procédures en cause. Même si le but de l'injonction sollicitée est dans un sens analogue à celui visé par une injonction interlocu- toire, c'est-à-dire le maintien du statu quo jusqu'à ce qu'une décision sur le fond soit rendue, la demande en l'espèce ne vise pas l'obtention d'une injonction interlocutoire. Il s'agit d'une demande par avis introductif de requête invoquant la compé- tence de la Division de première instance en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10. Elle n'est pas présentée dans le cadre d'une action pendante en Cour fédérale. Elle emporte jugement définitif et non interlocutoire à l'issue de la demande d'injonction. La demande vise l'obtention d'une injonction qui a le caractère d'une injonction permanente, bien qu'on puisse présumer que cette injonction soit limitée dans le temps. Il serait erroné, à mon avis, d'assimiler l'injonction recherchée en l'espèce à une injonction interlocutoire uniquement à cause de son objectif particulier, et d'appliquer les principes qui régissent l'exercice du pouvoir discrétionnaire de décider si on doit ou non accorder une injonction interlocutoire.
Les principes à appliquer sont ceux qui déterminent si une injonction permanente doit être accordée pour interdire à un ministre de la Couronne d'exécuter une fonction prévue par la loi. L'article 30(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration prévoit qu'une ordonnance d'expulsion doit être exécutée «le plus tôt possible». L'article 50 de la Loi de 1976 sur l'immigration, S.C. 1976-77, chap. 52, prévoit de même qu'une ordonnance de renvoi (qui comprend, par définition, une ordonnance d'expul- sion rendue en vertu de l'ancienne Loi) doit être exécutée «dès que les circonstances le permettent». Ces dispositions créent un
devoir que le Ministre responsable de l'administration de la Loi doit, en dernière analyse, accomplir.
Il ajoute à la page 784:
Tant que la validité des ordonnances d'expulsion concernant les appelantes n'aura pas été contestée avec succès, on ne pourra dire que le Ministre, en les exécutant, excède le pouvoir qui lui est conféré par la loi ou agit par ailleurs contrairement à la loi.
Afin de déterminer la pertinence et l'applicabi- lité de l'arrêt Lodge à la situation en l'espèce, il est nécessaire, à mon sens, de prendre en considéra- tion l'économie respective des lois en jeu. Comme il a déjà été noté, le juge Estey a traité de façon exhaustive de l'économie de la LEC dans l'arrêt Irvine (aux pages 193 à 204 inclusivement R.C.S.; 44 à 57 N.R.). Aux pages 204 à 206 inclusivement R.C.S.; 56 à 59 N.R., il donne un «aperçu général» «du régime de réglementation qu'établit» la LEC. Aux pages 205 R.C.S.; 57 N.R., il résume les fonctions du directeur de la manière suivante:
Dans l'exercice de ses fonctions, le directeur ne prononce pas de décision, au sens de statuer d'une manière définitive sur un droit ou un intérêt. Il fait des recommandations et des alléga- tions et se fait une opinion que d'autres examineront; parfois aussi, il se borne à réunir des faits et des renseignements qui seront étudiés par les ministres ou la Commission.
Donc, en l'espèce, l'activité dont on voudrait voir interdire ou suspendre l'exercice est une étape préliminaire ou initiale s'inscrivant dans une suite d'étapes susceptibles de conduire à une décision définitive sur des droits ou intérêts. D'autre part, dans l'affaire Lodge, un arbitre agissant en vertu de la Loi sur l'immigration [S.R.C. 1970, chap. I-2] avait prononcé une ordonnance d'expulsion conformément aux dispositions de cette Loi. L'in- terdiction recherchée visait l'exécution de cette ordonnance d'expulsion par le renvoi du Canada des personnes concernées. La présente espèce et l'affaire Lodge se distinguent clairement l'une de l'autre par le fait que l'ordonnance d'expulsion prononcée dans cette dernière affaire était une décision finale statuant sur les droits des personnes expulsées. En conséquence, il était exact de con- clure que l'injonction recherchée dans cette affaire avait «le caractère d'une injonction permanente» puisqu'elle sollicitait une interdiction d'exécution d'une ordonnance permanente dont la validité n'avait pas été contestée avec succès.
La contestation en l'espèce vise une étape préli- minaire d'une suite d'étapes formant une procé-
dure complexe et détaillée qui aboutira au pro- noncé d'une décision définitive. À mon avis, le redressement sollicité en l'espèce est un redresse- ment interlocutoire classique. Une injonction inter- locutoire est une injonction préservant le statu quo jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été rendue. Je conclus donc que ce qui a été dit dans l'arrêt Lodge n'aide pas les intimés en l'espèce, compte tenu des différences très importantes entre les deux régimes des lois en cause et des grandes différences entre les stades respectifs des procédu- res en cours dans ces deux affaires.
J'examinerai à présent l'arrêt Gould. Dans cette affaire, un détenu d'un pénitencier auquel il était interdit de voter dans une élection par les disposi tions de l'alinéa 14(4)e) de la Loi électorale du Canada [S.R.C. 1970 (1 °r Supp.), chap. 14] a intenté une action en Division de première instance de cette Cour afin d'obtenir un jugement déclara- toire portant que cet alinéa était nul parce qu'il contrevenait à l'article 3 de la Charte. L'article 3 prévoit que tout citoyen du Canada a le droit de vote aux élections législatives fédérales ou provin- ciales. Une élection générale étant sur le point d'être tenue, le détenu en question s'est vu délivrer une injonction mandatoire l'autorisant à voter par procuration. Un appel a été interjeté de cette décision auprès de notre Cour, qui a annulé l'in- jonction mandatoire délivrée par la Division de première instance. À la page 1140, le juge Maho- ney, énonçant l'opinion majoritaire de la Cour, a déclaré:
L'ordonnance rendue autorise l'intimé à se conduire et exige qu'il soit traité comme si la règle de droit qu'il cherche à faire annuler était désormais nulle même si elle reste en vigueur et qu'elle le demeurera jusqu'à ce que, après instruction, le juge- ment déclaratoire demandé ait été obtenu. Elle allait beaucoup plus loin que de conclure qu'il existe une question sérieuse à trancher. Elle demandait plus que de simplement conclure, comme lorsqu'il s'agit de statuer sur une demande d'injonction interlocutoire, que la répartition des inconvénients dicte que le statu quo soit maintenu ou que le statu quo antérieur soit rétabli en attendant le jugement sur l'action après l'instruction. L'ordonnance équivalait à conclure, avant même que son action ait été instruite, que l'intimé a le droit d'agir et d'être traité comme s'il avait gagné sa cause. L'ordonnance laisse entendre que l'intimé possède, en réalité, le droit qu'il revendique et que l'alinéa 14(4)e) est nul dans la mesure invoquée. Cela constitue un jugement déclaratoire provisoire sur un droit qui, en toute déférence, ne peut être rendu à bon droit avant l'instruction. Le défendeur dans une action a droit tout autant que le demandeur à une instruction équitable et complète, et il en est de même lorsque le litige est de nature constitutionnelle. Le but d'une injonction interlocutoire est de maintenir ou de rétablir le statu
quo, et non d'accorder son redressement au demandeur, jus- qu'au moment de l'instruction.
Je souscris à ce raisonnement ainsi qu'à la con clusion que la délivrance de l'injonction manda- toire était erronée parce qu'ayant pour consé- quence d'accorder son redressement au demandeur jusqu'au procès. Toutefois, les circonstances de l'affaire Gould, comme celles de l'affaire Lodge, étaient assez différentes de celles de l'espèce. La délivrance d'une injonction interlocutoire dans la présente affaire n'aura pas pour conséquence de donner aux appelants le redressement qu'ils sollici- tent jusqu'à l'instruction de l'action. Il n'y a point d'action en l'espèce. Seul a été présenté un avis de requête introductif d'instance sollicitant la préser- vation du statu quo jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada ait tranché la question de savoir si l'article 17 de la LEC peut survivre à la contestation fondée sur la Charte qui lui est faite dans les affaires Thomson Newspapers et Stelco. Dans l'éventualité les arrêts prononcés dans ces litiges déclareraient l'article 17 inopérant, les droits des appelants auxquels il aurait été porté atteinte par la poursuite des interrogatoires fondés sur l'article 17 auraient été préservés et protégés. Dès lors, la demande d'ordonnance de prohibition permanente pourrait très bien être le recours ultime ou permanent susceptible d'assurer aux appelants la protection dont ils ont besoin. Dans l'hypothèse où, au contraire, il serait déclaré que l'article 17 est pleinement opérant et ne contre- vient pas aux articles 7 et 8 de la Charte, le directeur et la Commission se trouveraient en posi tion de procéder à l'interrogatoire prévu à l'article 17. L'injonction n'a fait que préserver le statu quo; comme il a été noté plus haut, il a toujours été reconnu et accepté que cette préservation consti- tuait la caractéristique principale d'une injonction interlocutoire. Pour ces motifs donc, je ne consi- dère pas que l'arrêt Gould aide les intimés.
J'en arrive à présent à l'arrêt McFetridge, dans lequel il a été conclu à l'inapplicabilité du critère de l'arrêt American Cyanamid à la contestation de l'utilisation d'un pouvoir conféré par une loi; je ne considère pas cet arrêt convaincant. Je préfère nettement à ce point de vue celui qui a été adopté par la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt
Black 9 . Dans cette affaire, le juge d'appel Kerans, prononçant le jugement de la Cour, a traité de l'applicabilité du critère de l'arrêt American Cya- namid. Il a déclaré à la page 349:
[TRADUCTION] Il est prétendu pour le compte de la Law Society que ce critère n'est pas applicable à une contestation de l'exercice d'un pouvoir conféré par une loi: voir McFetridge v. Nova Scotia Barristers' Society (1981), 123 D.L.R. (3d) 475, 45 N.S.R. (2d) 319 (décision rendue par la Division d'appel de la C.S.N.-E.). Selon l'argument présenté, une demande d'in- jonction interlocutoire présentée à l'encontre d'un tribunal exerçant un pouvoir conféré par une loi équivaudrait à une demande de bref de prohibition, un bref qui exige la présence d'une conclusion d'erreur révisable effective et à l'égard duquel la seule cause défendable n'est pas suffisante. Avec déférence, cette analogie n'est pas convaincante. Une analogie avec la situation qui prévaut au cours de l'audition d'une demande d'ordonnance de prohibition serait plus appropriée. Nous sommes surpris d'entendre que le tribunal statutaire visé par une requête en prohibition n'est assujetti à aucune restriction entre le moment du dépôt de cette requête et le prononcé de l'ordonnance qui y donne suite.
Il est toutefois exact de dire que le fait que l'injonction soit recherchée contre une autorité publique exerçant un pouvoir conféré par une loi doit entrer en ligne de compte lors de l'examen de la prépondérance des inconvénients. Nous ne sommes cependant pas d'accord pour dire que le critère de l'arrêt Cyanamid doit être absolument écarté dans un tel cas.
Comme je n'ai pas été convaincu que les trois arrêts discutés plus haut justifiaient le juge des requêtes de conclure, comme il l'a fait, que le critère de l'arrêt American Cyanamid ne devrait pas être appliqué dans de telles circonstances, il reste à considérer l'arrêt Metropolitan Stores lui-même.
Dans cette affaire, la Labour Relations Act du Manitoba [C.C.S.M., chap. L10] habilitait le Manitoba Labour Board (la Commission) à impo- ser une première convention collective à l'em- ployeur et au syndicat lorsque la négociation de la première convention n'avait pas porté fruit. Le syndicat ayant demandé à la Commission d'impo- ser un premier contrat, l'employeur a intenté des procédures devant la Cour du banc de la Reine du Manitoba pour faire déclarer qu'un tel pouvoir contrevenait à la Charte et était par conséquent invalide. Dans le cadre d'une telle action, l'em- ployeur a demandé à la Cour du banc de la Reine, par voie de requête, d'ordonner à la Commission de ne pas exercer le pouvoir que lui accordait la loi
9 Law Society of Alberta v. Black et al. (1983), 8 D.L.R. (4th) 346 (C.A. Alb.).
en attendant que la question de la validité de cette dernière soit entendue. La requête a été rejetée. N'étant assujettie à aucune ordonnance de suspen sion, la Commission a fait savoir qu'elle exercerait un tel pouvoir et imposerait une convention collec tive aux parties si celles-ci ne parvenaient pas à une entente. La Cour d'appel du Manitoba a accueilli l'appel et accordé une suspension. La Cour suprême du Canada a accueilli le pourvoi présenté à l'encontre de la décision de la Cour d'appel du Manitoba et annulé la suspension des procédures que cette Cour avait ordonnée.
Le juge Beetz a prononcé le jugement pour la Cour suprême du Canada. Il a établi très claire- ment dès le départ que le pourvoi n'était pas accueilli en raison d'une prétendue présomption de constitutionnalité. À la page 122 du recueil, il a déclaré, à cet égard:
... le caractère innovateur et évolutif de la Charte canadienne des droits et libertés s'oppose à la notion voulant qu'une disposition législative puisse être présumée conforme à celle-ci.
Il procède alors, à la page 126 et suivantes, à un examen des principes régissant la suspension d'ins- tance pendant la contestation de la constitutionna- lité d'une disposition législative devant les tribu- naux. Après avoir fait l'observation précitée au sujet des traits que peuvent avoir en commun la suspension d'instance et l'injonction interlocutoire la page 127), le juge entame l'analyse de la question de savoir si le critère de la «question sérieuse» de l'arrêt American Cyanamid devrait prévaloir sur le critère traditionnel exigeant du requérant qu'il établisse une apparence de droit suffisante. A la page 128, il a dit:
À mon avis, la formulation dans l'arrêt American Cyanamid, savoir celle de l'existence d'une «question sérieuse», suffit dans une affaire constitutionnelle où, comme je l'indique plus loin dans les présents motifs, l'intérêt public est pris en considéra- tion dans la détermination de la prépondérance des inconvé- nients.
Le juge Beetz approuve et adopte ensuite les deux autres principaux critères exposés dans l'arrêt American Cyanamid relativement à la question de savoir si la délivrance d'une injonction interlocu- toire serait juste et équitable. Je fais évidemment référence au critère du préjudice irréparable non susceptible d'être compensé par des dommages- intérêts ainsi qu'au critère de la prépondérance des inconvénients et de l'intérêt public.
Comme l'arrêt Metropolitan Stores constitue la plus récente décision de la Cour suprême du Canada concernant les principes applicables dans des circonstances comme celles du présent appel, et comme le juge des requêtes a clairement décidé que ces principes n'étaient pas applicables au pré- sent litige (dans un passage précité figurant à la page 194), j'ai conclu que ce juge a commis une erreur de droit en écartant le critère tripartite de l'arrêt American Cyanamid qui a été approuvé et adapté dans l'affaire Metropolitan Stores.
Cette erreur du juge des requêtes n'implique toutefois pas automatiquement que l'appel doive être accueilli et que le redressement sollicité dans l'avis de requête introductif d'instance doive être accordé aux appelants. Dans une affaire du type de la présente espèce, je crois que cette Cour est aussi apte que le juge des requêtes à rendre le jugement que la Division de première instance aurait rendre. Je tire cette conclusion parce que la preuve versée au dossier présenté à la Division de première instance était entièrement documen- taire. Partant de cette prémisse, j'examinerai à présent les différentes composantes du critère approprié à la présente espèce.
Le critère de la question sérieuse
À mon sens, le critère en titre n'a pas besoin d'être analysé de façon détaillée puisque la Cour suprême du Canada a accueilli l'autorisation de pourvoi sollicitée dans l'affaire Thomson Newspa pers, qui soulève précisément la même question que l'affaire en l'espèce, à savoir la constitutionna- lité de l'article 17 de la LEC. Qui plus est, comme l'a souligné l'avocat des appelants, la question importante et fondamentale de savoir si l'article 7 de la Charte assure une protection contre l'auto- incrimination a fait l'objet de décisions contradic- toires des tribunaux inférieurs. En conséquence, je n'ai aucune difficulté à conclure qu'il est satisfait à la condition de la «question sérieuse» dans les circonstances de l'espèce.
Le critère du préjudice irréparable ne pouvant être compensé par des dommages-intérêts
Les appelants soumettent qu'ils subiront un pré- judice irréparable à deux égards importants si la suspension de l'interrogatoire fondé sur l'article 17 n'est pas accordée. Ils allèguent premièrement le caractère irrévocable du témoignage oral une fois rendu.
Les intimés répondent que l'article 20 de la LEC [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 8] 1 ° apporte une protection contre l'exercice abusif des vastes pouvoirs d'enquête conférés par l'article 17. Les appelants répliquent cependant avec beaucoup de pertinence que même si l'article 20 empêcherait l'utilisation d'un témoignage oral rendu en vertu de l'article 17 dans l'éventualité des accusations criminelles seraient portées contre les témoins ayant déposé conformément à l'article 17, une telle protection ne s'étendrait pas à la preuve dérivée ou documentaire obtenue lors de l'interrogatoire tenu sous le régime de l'article 17.
L'avocat de Westeel-Rosco Limited a énoncé cette prétention de la manière suivante (au para- graphe 8 de l'exposé des faits et du droit):
[TRADUCTION] Bien que les réponses du témoin ne puissent elles-mêmes être utilisées contre lui, en vertu de l'art. 45, tous les documents qu'il doit communiquer aux enquêteurs et qui se trouvent dans un lieu occupé par un participant
(i) sont admissibles contre ce témoin et
(ii) font foi sans autre preuve de la véracité de leur contenu contre ce témoin lors d'un procès subséquent. Telle sera la règle applicable à moins que ces documents ne contiennent du ouï-dire.
L'article 45 de la LEC [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 21] était ainsi libellé:
45. ( I ) Dans le présent article
«agent d'un participant» désigne une personne qui, d'après un document admis en preuve par application du présent article, paraît être ou est autrement reconnue, par la preuve, fonc- tionnaire, agent, préposé, employé ou représentant d'un participant;
«document» comprend tout document paraissant être une copie au carbone, une copie photographique ou autre copie d'un document;
10 Les paragraphes 20(1) et (2) sont ainsi libellés:
20. (1) Un membre de la Commission peut permettre à toute personne dont la conduite fait l'objet d'une enquête, et doit permettre à quiconque est personnellement interrogé sous serment d'être représenté par un avocat.
(2) Nul n'est dispensé de comparaître et de rendre témoi- gnage et de produire des livres, documents, archives ou autres pièces en conformité de l'ordonnance d'un membre de la Commission, pour le motif que le témoignage verbal ou les documents requis de lui peuvent tendre à l'incriminer ou à l'exposer à quelque procédure ou pénalité, mais nul témoi- gnage oral ainsi exigé ne peut être utilisé ni n'est recevable contre cette personne dans toutes poursuites criminelles intentées par la suite contre elle, sauf dans une poursuite pour parjure en rendant un tel témoignage ou dans une poursuite intentée en vertu de l'article 122 ou 124 du Code criminel à l'égard d'un tel témoignage.
«participant» désigne toute personne contre laquelle des procé- dures ont été intentées en vertu de la présente loi et, dans le cas d'une poursuite, un accusé et toute personne qui, bien que non accusée, a, d'après ce qu'allègue l'inculpation ou l'acte d'accusation, été cocomploteur à l'égard de l'infraction impu tée ou a, selon une telle allégation, autrement pris part ou concouru à cette infraction.
(2) Dans toute procédure engagée devant la Commission ou dans toute poursuite ou procédure engagée devant un tribunal en vertu de la présente loi ou en application de celle-ci,
a) toute chose accomplie, dite ou convenue par un agent d'un participant est, prima facie, censée avoir été accomplie, dite ou convenue, selon le cas, avec l'autorisation de ce participant;
b) un document écrit ou reçu par un agent d'un participant est, prima facie, tenu pour avoir été écrit ou reçu, suivant le cas, avec l'autorisation de ce participant; et,
c) s'il est prouvé qu'un document a été en la possession d'un participant, ou dans un lieu utilisé ou occupé par un partici pant, ou en la possession d'un agent d'un participant, il fait foi sans autre preuve et atteste
(i) que le participant connaissait le document et son contenu,
(ii) que toute chose inscrite dans le document ou par celui-ci enregistrée comme ayant été accomplie, dite ou convenue par quelque participant ou par un agent de ce dernier, l'a été ainsi que le document le mentionne, et, si une chose est inscrite dans le document ou par celui-ci enregistrée comme ayant été accomplie, dite ou convenue par un agent d'un participant, qu'elle l'a été avec l'autori- sation de ce participant,
(iii) que le document, s'il parait avoir été écrit par un participant ou par un agent d'un participant, l'a ainsi été, et, s'il paraît avoir été écrit par un agent d'un participant, qu'il a été écrit avec l'autorisation de ce participant.
Ainsi, dans le cadre d'une enquête menée sous le régime de l'article 17, un témoin pourrait, par exemple, se voir demander se trouvent certains documents. L'enquêteur pourrait alors, sur la foi de ce témoin, se rendre sur les lieux désignés. Dans le cas ces lieux seraient ceux d'un «participant» au sens donné à ce terme au paragraphe 45(1), les documents ainsi trouvés pourraient très bien être jugés admissibles contre ce témoin et être considé- rés comme attestant prima facie la véracité de leur contenu contre ce témoin lors d'un procès subsé- quent. Comme l'a noté le juge Scheibel dans l'ar- rêt Crain":
" R. L. Crain Inc. et al. v. Couture and Restrictive Trade Practices Commission et al. (1983), 10 C.C.C. (3d) 119 (B.R. Sask.), à la p. 155.
[TRADUCTION] ... il est concevable que l'art. 17 prévoie une étape faisant partie intégrante de l'éventuelle poursuite crimi- nelle intentée contre un suspect. Le résultat immédiat d'une telle enquête est soit le renvoi de la preuve devant le procureur général du Canada conformément au par. 15(1) soit la trans mission d'un rapport au ministre conformément au par. 19(1). Dans un cas comme dans l'autre, la preuve recueillie peut servir de fondement à une poursuite criminelle subséquente.
Dans une telle situation, le préjudice découlant du processus prévu par l'article 17 serait irréparable et ne pourrait être compensé par des dommages- intérêts. Un autre facteur pouvant être pris en considération est la possibilité que l'interrogatoire prévu à l'article 17 soit mené publiquement par ordre du président de la Commission ainsi que l'a noté le juge Estey aux pages 119 et 200 R.C.S.; 51 et 52 N.R. de l'arrêt Irvine précité. Dans une telle situation, le risque d'un préjudice irréparable non compensable par des dommages-intérêts se trouve- rait encore accru.
L'avocat des intimés a avancé que le paragraphe 24(2) de la Charte protégerait le témoin déposant sous le régime de l'article 17 et que, en consé- quence, ce dernier ne subirait pas de préjudice irréparable 12 . A mon sens, le paragraphe 24(2) risque fort de ne pouvoir bénéficier à un témoin accusé qui voudrait exclure les éléments de preuve en cause, puisque cette disposition ne peut entrer en jeu que lorsque «eu égard aux circonstances, [ ... ] leur utilisation est susceptible de déconsidé- rer l'administration de la justice». Ainsi qu'il a été noté dans l'arrêt Collins": «Le paragraphe 24(2) enjoint au juge qui détermine si l'utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l'adminis- tration de la justice, de tenir compte de toutes les circonstances» et «Une preuve matérielle obtenue d'une manière contraire à la Charte sera rarement
12 L'article 24 de la Charte est ainsi libellé:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de néga- tion des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
13 R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, aux p. 283 et 284; 38 D.L.R. (4th) 508, aux p. 525 et 526, le juge Lamer.
de ce seul fait une cause d'injustice. La preuve matérielle existe indépendamment de la violation de la Charte et son utilisation ne rend pas le procès inéquitable.» En conséquence, j'estime qu'il est loin d'être certain que la protection accordée par le paragraphe 24(2) de la Charte bénéficierait à des témoins déposant sous le régime de l'article 17 dans les circonstances de l'espèce.
Pour les motifs et sur le fondement des faits qui précèdent, j'ai donc conclu que les appelants avaient satisfait à la seconde condition du critère tripartite de l'arrêt American Cyanamid.
Le critère de la prépondérance des inconvénients et de l'intérêt public
Dans l'arrêt Metropolitan Stores, le juge Beetz, aux pages 129 et 130 du recueil, entame son examen de ce critère de la manière suivante:
(2) La prépondérance des inconvénients et l'intérêt public
D'après la jurisprudence, quand la constitutionnalité d'une disposition législative est contestée, les tribunaux estiment qu'ils ne doivent pas se limiter à l'application des critères traditionnels régissant l'octroi ou le refus d'une injonction interlocutoire dans les affaires civiles ordinaires. À moins que l'intérêt public ne soit également pris en considération dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients, les tribu- naux se montrent très souvent réticents à accorder une injonc- tion avant que la question de la constitutionnalité ait été définitivement tranchée au fond.
Les raisons de cette réticence se comprennent facilement quand on oppose l'incertitude dans laquelle un tribunal se trouve au stade interlocutoire relativement au fond et les conséquences pratiques parfois graves, quoique temporaires, qu'entraîne une suspension d'instance non seulement pour les parties au litige mais aussi pour le grand public.
À la page 133, le juge Beetz étudie les conséquen- ces de la suspension d'instance dans les affaires constitutionnelles. Aux pages 134, 135 et 136, il déclare:
Bien que les affaires constitutionnelles tirent souvent leur origine d'un lis entre particuliers, il arrive parfois qu'un orga- nisme public se trouve interposé entre les parties, telle la Commission en l'espèce. Dans d'autres affaires constitutionnel- les, la controverse ou le lis, s'il s'agit en fait d'un lis, prendra naissance directement entre un particulier et l'État représenté par un organisme public: Morgentaler v. Ackroyd (1983), 42 O.R. 659.
Dans un cas comme dans l'autre, la suspension d'instance accordée à la demande des plaideurs privés ou de l'un d'eux vise normalement un organisme public, un organisme d'application de la loi, une commission administrative, un fonctionnaire public ou un ministre chargé de l'application ou de l'adminis- tration de la loi attaquée. La suspension d'instance peut en général avoir deux effets. Elle peut prendre la forme d'une interdiction totale d'appliquer les dispositions attaquées en
attendant une décision définitive sur la question de leur validité ou elle peut empêcher l'application des dispositions attaquées dans la mesure elle ne vise que la partie ou les parties qui ont précisément demandé la suspension d'instance. Dans le premier volet de l'alternative, l'application des dispositions attaquées est en pratique temporairement suspendue. On peut peut-être appeler les cas qui tombent dans cette catégorie les «cas de suspension». Dans le second volet de l'alternative, le plaideur qui se voit accorder une suspension d'instance bénéfi- cie en réalité d'une exemption de l'application de la loi atta- quée, laquelle demeure toutefois opérante à l'égard des tiers. J'appellerai ces cas des «cas d'exemption».
Qu'elles soient ou non finalement jugées constitutionnelles, les lois dont les plaideurs cherchent à obtenir la suspension, ou de l'application desquelles ils demandent d'être exemptés par voie d'injonction interlocutoire, ont été adoptées par des législa- tures démocratiquement élues et visent généralement le bien commun, par exemple: assurer et financer des services publics tels que des services éducatifs ou l'électricité; protéger la santé publique, les ressources naturelles et l'environnement; réprimer toute activité considérée comme criminelle; diriger les activités économiques notamment par l'endiguement de l'inflation et la réglementation des relations de travail, etc. Il semble bien évident qu'une injonction interlocutoire dans la plupart des cas de suspension et, jusqu'à un certain point, comme nous allons le voir plus loin, dans un bon nombre de cas d'exemption, risque de contrecarrer temporairement la poursuite du bien commun.
Quoique le respect de la Constitution doive conserver son caractère primordial, il y a lieu à ce moment-là de se demander s'il est juste et équitable de priver le public, ou d'importants secteurs du public, de la protection et des avantages conférés par la loi attaquée, dont l'invalidité n'est qu'incertaine, sans tenir compte de l'intérêt public dans l'évaluation de la prépon- dérance des inconvénients et sans lui accorder l'importance qu'il mérite. Comme il fallait s'y attendre, les tribunaux ont généralement répondu à cette question par la négative. Sur la question de la prépondérance des inconvénients, ils ont jugé nécessaire de subordonner les intérêts des plaideurs privés à l'intérêt public et, dans les cas il s'agit d'injonctions interlo- cutoires adressées à des organismes constitués en vertu d'une loi, ils ont conclu à bon droit que c'est une erreur que d'agir à leur égard comme s'ils avaient un intérêt distinct de celui du public au bénéfice duquel ils sont tenus de remplir les fonctions que leur impose la loi.
Puis, à la page 146, il tire certaines conclusions de l'analyse qu'il a faite de cette question:
Il se dégage de ce qui précède que les cas de suspension et les cas d'exemption sont régis par la même règle fondamentale selon laquelle, dans les affaires constitutionnelles, une suspen sion interlocutoire d'instance ne devrait pas être accordée à moins que l'intérêt public ne soit pris en considération dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients en même temps que l'intérêt des plaideurs privés.
Si les cas d'exemption sont assimilés aux cas de suspension, cela tient à la valeur jurisprudentielle et à l'effet exemplaire des cas d'exemption. Suivant la nature des affaires, du moment qu'on accorde à un plaideur une exemption sous la forme d'une suspension d'instance, il est souvent difficile de refuser le même redressement à d'autres justiciables qui se trouvent essentielle-
ment dans la même situation et on court alors le risque de provoquer une avalanche de suspensions d'instance et d'exemp- tions dont l'ensemble équivaut à un cas de suspension de la loi.
et il déclare à la page 149:
En bref, je conclus que, lorsque l'autorité d'un organisme chargé de l'application de la loi fait l'objet d'une attaque fondée sur la Constitution, aucune injonction interlocutoire ni aucune suspension d'instance ne devrait être prononcée pour empêcher cet organisme de remplir ses obligations envers le public, à moins que l'intérêt public ne soit pris en considération et ne reçoive l'importance qu'il mérite dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients. Telle est la règle lorsqu'il y a un doute sérieux relativement à l'autorité de l'organisme chargé de l'application de la loi car, s'il en était autrement, la question d'un redressement interlocutoire ne devrait même pas se poser. Toutefois, cette règle s'applique aussi même lorsqu'on considère qu'il y a une apparence de droit suffisante contre l'organisme chargé de l'application de la loi, laquelle apparence de droit nécessiterait par exemple le recours à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés.
Sur le fondement des conclusions précitées du juge Beetz, j'ai maintenant l'intention d'examiner ce volet du critère énoncé dans l'arrêt American Cyanamid en gardant à l'esprit qu'il ne faut pas décerner une injonction interlocutoire sans avoir pris en considération l'intérêt public lors de l'ap- préciation de la prépondérance des inconvénients et sans avoir déterminé l'importance respective de cet intérêt et des intérêts privés des parties à un litige particulier.
Quels facteurs doivent donc être pris en considé- ration en l'espèce en ce qui a trait à la prépondé- rance des inconvénients et à l'intérêt public? J'énu- mère ci-après tant les facteurs qui, à mon sens, peuvent être considérés comme favorables à la demande de redressement en l'espèce, ainsi qu'une circonstance importante militant contre l'octroi d'un tel redressement:
Les facteurs appuyant la délivrance d'une injonction interlocutoire
1. La présente affaire n'est pas un «cas de suspen sion» mais un «cas d'exemption» selon le sens donné à ces expressions dans l'analyse et dans les défini- tions de l'arrêt Metropolitan Stores précité. Les circonstances de l'espèce sont inhabituelles en ce que l'article 17 est un article de l'ancienne Loi relative aux enquêtes sur les coalitions qui a récemment été abrogée et remplacée par la Loi sur la concurrence (S.C. 1986, chap. 26). L'article 17 ne s'applique qu'aux sociétés ou aux particuliers
visés par des enquêtes commencées sous le régime de la LEC qui se sont poursuivies en vertu d'une disposition assurant la protection des droits acquis. Si cette Cour devait décerner une injonction inter- locutoire ou ordonner la suspension des procédu- res, une telle ordonnance ne toucherait aucune- ment une enquête poursuivie en vertu de la Loi sur la concurrence et n'empêcherait en rien l'ouverture d'une nouvelle enquête sous le régime de cette dernière Loi. En présence d'une telle ordonnance, il pourrait toutefois être «difficile de refuser le même redressement à d'autres justiciables qui se trouvent essentiellement dans la même situation» ainsi que l'a observé le juge Beetz dans le passage cité plus haut. Cependant, en l'espèce, aucun des avocats présents lors de l'audition de l'appel n'a été capable de faire référence à d'autres affaires com- portant des circonstances parallèles aux présentes en dehors des affaires Thomson et Stelco préci- tées. En conséquence, j'estime que l'argument du «déluge» ou de l'«avalanche d'exemptions» n'est pas applicable à la présente situation.
J'estime conséquente l'observation du juge Beetz lorsqu'il souligne, à la page 152 de l'arrêt Metro politan Stores précité, que «chaque cas, y compris a fortiori un cas d'exemption, doit être tranché en fonction de ses faits particuliers». Il a également dit que «le juge de première instance avait non seulement le droit mais aussi l'obligation de pren- dre en considération la valeur de précédents et l'effet exemplaire qu'aurait une décision de sus- pendre les procédures devant la Commission». Pour les motifs qui précèdent, je crois que la situation de fait en l'espèce est assez différente de celle de l'affaire Metropolitan Stores. En consé- quence, comme nous n'avons pas en l'espèce à prendre en considération la «valeur de précédents» et un quelconque «effet exemplaire», voilà à mon sens un facteur important militant en faveur de la délivrance de l'injonction interlocutoire sollicitée.
2. La Commission, avec le consentement de son directeur, a ajourné les procédures régies par l'ar- ticle 17 dans les affaires Thomson Newspapers et Stelco, dont le pourvoi et la demande d'autorisa- tion de pourvoi respectifs seront entendus par la Cour suprême du Canada. L'avocat des appelants a avancé qu'il semblerait assez injuste que les procédures fondées sur l'article 17 restent en sus-
pens dans les affaires Thomson et Stelco alors que la poursuite immédiate des procédures fondées sur ce même article serait autorisée en l'espèce.
3. Le public a intérêt à ce que la Cour soit autori- sée à protéger des droits conférés par la Charte susceptibles d'être irréparablement annihilés dans l'éventualité les procédures visées ne seraient pas suspendues jusqu'à l'issue de l'examen en cours relatif à la question constitutionnelle.
Une circonstance importante militant en faveur du refus d'une injonction interlocutoire
La suspension ou l'injonction interlocutoire recherchée doit nécessairement s'appliquer de façon prolongée sur une période dont l'étendue sera tributaire de celle d'une instance se déroulant devant une autre cour; notre Cour est donc incapa ble d'exercer le genre de contrôle qu'elle exerce habituellement à l'égard des suspensions ou injonc- tions interlocutoires de cette nature.
J'estime très sérieuse cette objection opposée à la demande de redressement en l'espèce. L'avocat des intimés souligne que dans l'affaire Rio Hotel 14 , la Cour suprême du Canada a accordé la suspension des procédures se déroulant devant la Commission des licences et permis d'alcool du Nouveau-Brunswick en attendant que l'appel soit jugé, la suspension prononcée a été assujettie au respect d'un calendrier prévoyant l'accélération du dépôt des documents et de l'audition de l'appel. Dans l'arrêt Couture 15 , la suspension accordée ne s'étendait que sur une très courte période (environ deux semaines) puisque, comme l'a indiqué le juge des requêtes la page 518], l'audience sur le fond de la question de la constitutionnalité des procédu- res engagées devant le Tribunal de la concurrence était prévue pour les 29 et 30 septembre et 1°r octobre 1987.
À mon sens, seule cette objection s'oppose de façon convaincante à la demande de redressement en l'espèce. Toutefois, après un examen minutieux de la question, je suis parvenu à la conclusion que la prépondérance des inconvénients et l'intérêt public exigent qu'une suspension interlocutoire des
14 Rio Hotel Ltd. c. Commission des licences et permis d'alcool, [1986] 2 R.C.S. ix.
15 Canada (Procureur général) c. Alex Couture Inc., [1987] R.J.Q. 1971 (C.A.).
procédures soit accordée en l'espèce. À mon avis, les circonstances énumérées ci-haut qui sont favo- rables à une telle ordonnance font plus que neutra liser l'unique objection sérieuse qui précède pourvu qu'une ordonnance puisse être rédigée de manière à établir des limites de temps raisonnables et à prévoir une supervision et un contrôle suivis de la Cour.
Le redressement
Ainsi que l'a noté le juge Beetz dans l'arrêt Metropolitan Stores précité, la Charte a un carac- tère «innovateur et évolutif». Selon moi, les cir- constances de la présente espèce appellent un redressement possédant l'une et l'autre de ces caractéristiques. En conséquence, j'accueillerais l'appel avec dépens à la fois devant cette Cour et devant la Division de première instance. Je pro- noncerais une ordonnance interdisant l'instruction de toute procédure engagée devant la Commission sur les pratiques restrictives du commerce ou l'offi- cier enquêteur J. H. Cleveland relativement à l'en- quête du directeur ayant trait à la production, à la fabrication, à l'achat, à la vente et à la fourniture d'acier laminé, d'acier en plaques, d'acier en barres et d'acier de construction, et d'autres pro- duits connexes, jusqu'à la première des dates sui- vantes: celle du prononcé de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Thomson Newspapers Ltd. et al. v. Director of Investigation & Research et al. 16 et celle du 15 janvier 1989. Dans l'éventualité l'arrêt Thomson Newspapers n'aurait pas été prononcé le 15 décembre 1988, la présente ordonnance accorde aux appelants l'auto- risation de demander, après signification d'un avis aux intimés, à un banc de cette Cour non obliga- toirement constitué comme le présent banc, une ordonnance prorogeant la présente ordonnance d'interdiction.
16 L'ordonnance sollicitée par les appelants fait également référence à la décision relative au pourvoi dont l'autorisation est recherchée dans l'affaire Stelco. J'estime que cette mention est inutile et n'est pas souhaitable puisque
(a) la demande d'autorisation de l'affaire Stelco n'a pas encore été entendue par la Cour suprême du Canada [voir la note de l'arrêtiste, précitée, note 2, à la p. 193] et que,
(b) l'autorisation de pourvoi ayant déjà été accordée dans l'affaire Thomson Newspapers, il est probable que cet appel sera en état d'être entendu à tout le moins pas plus tard que l'appel interjeté dans l'affaire Stelco, même en tenant pour acquis que la Cour accorde l'autorisation recherchée dans cette affaire.
À mon avis, une telle ordonnance protégera l'intérêt public résidant dans le respect des droits et libertés qui se trouvent garantis dans la Consti tution par l'intermédiaire de la Charte. Elle per- mettra également de réduire au minimum toute entrave au processus démocratique assuré par l'exécution des lois régulièrement édictées puis- qu'elle restreindra la durée de la suspension ou de l'injonction interlocutoire et qu'elle assujettira ce redressement à l'examen minutieux et à la supervi sion de la Cour. De plus, il n'a jamais été suggéré ou établi dans le présent dossier que le public en général subirait quelque préjudice important si le redressement sollicité par les appelants leur était accordé. J'estime que l'exemption provisoire des appelants de l'application de l'article 17, qui vise une procédure abrogée et à présent remplacée par une procédure assez différente, ne saurait pas être préférable à la protection et à la préservation d'un des droits importants prévu par la Charte. En conséquence, je conclus que le redressement détaillé ci-haut constitue une application pratique des principes énoncés dans l'arrêt Metropolitan Stores précité.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris à ces motifs.
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