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A-962-87
Charles Chadwick Steward (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: STEWARD c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et Lacombe —Vancouver, 15 avril; Ottawa, 3 mai 1988.
Compétence de la Cour fédérale Cour d'appel Un banc validement constitué de la Cour d'appel fédérale a déclaré un avocat coupable d'outrage au tribunal Une formation diffé- rente de la Cour n'a pas la compétence voulue pour réouvrir cette instance Sont distinguées les décisions traitant des pouvoirs des tribunaux administratifs ou quasi judiciaires de réouvrir leurs propres instances et les décisions prononcées dans le cadre d'appels formés à l'encontre de déclarations de culpabilité prononcées par des tribunaux de première instance Les Règles 337(5) et 1733 ne sont pas applicables.
Pratique Outrage au tribunal Un avocat a manqué de comparaître en raison de la confusion ayant accompagné la réorganisation de la firme d'avocats qui l'employait et en raison d'une mésentente de cette firme avec son client au sujet des honoraires La question était du ressort de la Cour d'appel fédérale L'ordonnance de justification prononcée était écrite sur du papier à en-tête de la Division de première instance L'avocat a comparu au moment indiqué Il a été déclaré coupable d'outrage Si l'ordonnance contenait un vice de forme, celui-ci n'a causé aucun préjudice au requérant Une formation différente de la Cour n'a pas la compétence voulue pour réouvrir l'instance L'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada est refusée puisque la question en litige n'est pas d'une importance nationale.
Pratique Appels et nouveaux procès La Cour d'appel n'a pas compétence pour réouvrir une instance dans laquelle une formation différente de cette Cour a prononcé une décla- ration de culpabilité pour outrage L'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada est refusée puisque la question en litige n'est pas d'une importance nationale.
Il s'agit d'une requête sollicitant une ordonnance qui mette fin à une déclaration de culpabilité, ou une nouvelle instruction ou une réouverture de l'instance relative à l'outrage. Macin tosh, un avocat, avait occasionnellement agi pour le compte du requérant (Steward) dans le cadre d'une demande fondée sur l'article 28. Après que l'Administrateur de la Cour ait mis la demande au rôle pour audition, la firme d'avocats dont Macin tosh était un des associés a été réorganisée. De plus, une mésentente a eu lieu entre cette firme et son client au sujet des honoraires. Ces circonstances ont entraîné une confusion au sujet de la question de savoir lequel, le cas échéant, des associés de la firme représentait Steward. Personne n'a comparu pour son compte à l'audience et l'avocat Macintosh s'est vu signifier une ordonnance de justification sur du papier à en-tête de la Division de première instance. Macintosh a néanmoins com- paru devant la Cour d'appel fédérale au moment et au lieu
dûment indiqués, et il a été déclaré coupable d'outrage au tribunal par une formation validement constituée de cette Cour. La question en jeu est celle de savoir si une formation différente de cette même Cour a la compétence voulue pour réouvrir cette affaire. Macintosh a prétendu que l'alinéa 52a) de la Loi sur la Cour fédérale habilite soit implicitement soit expressément la Cour à réouvrir tout dossier dans lequel les règles de la justice naturelle ont été enfreintes. Il a soutenu que l'omission de donner un avis approprié concernant l'audition et le fait que celle-ci ait été menée de manière sommaire portent atteinte à la justice naturelle. Il a allégué plusieurs violations de la Charte, celles de l'article 7 (il aurait été privé de sa liberté d'une manière non conforme aux principes de la justice fondamen- tale), de l'article 11 (il aurait été privé d'une audition impar- tiale), et de l'article 10 (la Cour aurait omis de l'informer de son droit de retenir les services d'un avocat). Il a également soutenu que l'instance instruite au sujet de l'outrage violait l'alinéa la), le sous-alinéa 2c)(ii) ainsi que l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.
Arrêt: la requête devrait être rejetée.
Une formation de la Cour d'appel fédérale n'est pas habilitée à réouvrir une affaire tranchée par une formation différente de cette Cour. Les arrêts sur lesquels s'est fondé Macintosh doi- vent être distingués soit parce qu'ils traitent des pouvoirs détenus par un tribunal administratif ou quasi judiciaire à l'égard de la réouverture de ses propres instances, soit parce qu'ils statuent sur des appels interjetés de déclarations de culpabilité pour outrage prononcées en première instance. La formation régulièrement constituée de la Cour d'appel fédérale qui a entendu l'affaire possédait, en vertu de la common law, le pouvoir inhérent de statuer sur l'outrage reproché. Le requérant ne s'est appuyé ni sur la Règle 1733 (qui autorise l'annulation d'un jugement lorsqu'il y a eu fraude ou lorsque surviennent de nouveaux faits) ni sur la Règle 337(5) (permettant à la Cour de modifier un jugement pour le rendre conforme aux motifs prononcés). Ni l'une ni l'autre de ces règles n'est applicable aux faits de l'espèce. La comparution de Macintosh devant la formation de cette Cour qui avait prononcé l'ordonnance au moment et au lieu indiqués a effacé tout vice de forme ayant pu entacher l'ordonnance de justification. Il n'a aucunement été induit en erreur et il n'a subi aucun préjudice.
L'autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada qui a été sollicitée sur le fondement du paragraphe 31(2) de la Loi sur la Cour fédérale devrait être refusée. Il n'est pas manifeste que la présente affaire doive être soumise à cette cour d'appel de dernier ressort. Bien que la question juridictionnelle soulevée soit importante pour Macintosh, elle ne revêt pas une importance nationale telle qu'elle justifie la délivrance de l'autorisation d'appel. En tout état de cause, la Cour suprême peut accorder une autorisation de pourvoi bien que la Cour d'appel fédérale ait refusé une telle autorisation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 10, 11.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III, art. la), 2c)(ii),e).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 28, 31(2), 52a).
Municipal Corporations Act, 1882 (R.-U.), 45 & 46
Vict., chap. 50.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
337(4),(5), 1100, 1733.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. c. Vermette, [1987] 1 R.C.S. 577; Ministre du Revenu national c. Creative Shoes Ltd., [1972] C.F. 1425 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13 (C.A.); Gill c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1987] 2 C.F. 425 (C.A.); Woldu c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1978] 2 C.F. 216 (C.A.); Ridge v. Baldwin, [1964] A.C. 40 (H.L.); Posluns v. Toronto Stock Exchange et al., [1968] R.C.S. 330; R. v. Larsen (1974), 19 C.C.C. (2d) 574 (C.A. Ont.); Regina v. Carter (1975), 28 C.C.C. (2d) 220 (C.A. Ont.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Dalton v. Toronto General Trusts Corporation (1908), 11 O.W.R. 667 (Weekly Ct.).
DÉCISION MENTIONNÉE:
Prassad c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 2 C.F. 81 (C.A.).
AVOCATS:
Gordon D. Hoffman pour William J. Macin tosh.
Personne n'a comparu pour le requérant. Fred D. Banning pour l'intimé.
PROCUREURS:
Webber & Company, Kamloops (Colombie- Britannique), pour William J. Macintosh. R. Glen Sherman, Vancouver, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Les présents motifs concer- nent une requête présentée par William J. Macin-
tosh, Jr., avocat et procureur résidant dans la ville de Vancouver, dans la province de la Colombie- Britannique, pour obtenir une ordonnance:
[TRADUCTION] 1. fondée sur la Règle 1100 des Règles de la Cour fédérale ainsi que sur l'article 52 de la Loi sur la Cour fédérale, qui mette fin à la déclaration de culpabilité pour outrage au tribunal prononcée contre William J. Macintosh, Jr.; et/ou
2. fondée sur la compétence inhérente ou implicite de cette Cour à entendre à nouveau ou à réouvrir l'instance relative à l'outrage au tribunal reproché à William J. Macintosh qui s'est initialement déroulée le 11 février 1988; et
3. prescrivant tout redressement supplémentaire que cette Cour juge équitable.
Lors de notre audition de cette requête à Van- couver le 15 avril 1988, M. Macintosh était repré- senté par un avocat. Le ministre intimé avait reçu signification de la requête et M. Fred Banning, l'avocat inscrit au dossier pour représenter l'intimé dans le cadre de la demande fondée sur l'article 28 [[1988] 3 C.F. 452 (C.A.)] présentée par M. Steward, a comparu dans cette audition par cour- toisie pour notre Cour. Il nous a avisé qu'il ne présenterait pas d'observations relativement à la requête qui nous était soumise mais qu'il était disponible pour répondre aux questions de la Cour.
À l'appui de sa demande, M. Macintosh (que nous appellerons Macintosh) a déposé un affidavit comprenant quelque 58 paragraphes. À cet affida vit étaient jointes environ 13 pièces. Les faits pertinents, selon le témoignage de Macintosh, peu- vent se résumer de la façon suivante. Macintosh, depuis septembre 1984, était employé par la firme d'avocats John Taylor and Associates de Vancou- ver (ci-après dénommée la firme John Taylor). À partir de 1985 il a occasionnellement travaillé dans différentes affaires soulevées par les problèmes d'immigration de Charles Chadwick Steward (ci- après dénommé Steward). Steward est le requé- rant dans la demande fondée sur l'article 28 qui était instruite par la Cour au moment se sont enchaînées les circonstances qui ont donné lieu aux procédures d'outrage au tribunal en l'espèce.
Le 7 octobre 1987, l'arbitre W. Osborne a pro- noncé une ordonnance d'expulsion contre Steward après avoir complété une enquête de l'immigration. Le 8 octobre 1987, Macintosh a déposé devant cette Cour la demande fondée sur l'article 28 visant l'examen et l'annulation de l'ordonnance d'expulsion rendue contre Steward, demande dont
il est question ci-dessus. Dans une ordonnance en date du 2 décembre 1987, l'administrateur judi- ciaire de la Cour a fixé au 11 février 1988, 10 h, à Vancouver (C.-B.), l'audition de la demande fondée sur l'article 28 dont il est question en l'espèce.
Le 5 janvier 1988, M. John Taylor, l'avocat principal de la firme d'avocats John Taylor, a annoncé qu'il prenait sa retraite et que tous les associés de son cabinet, y compris Macintosh, ces- seraient d'y être employés à compter du 31 janvier 1988. Le 2 février 1988, Macintosh a assisté à certaines parties d'une entrevue entre M. John Taylor et Steward. Au cours de cette rencontre, il a été discuté des honoraires qui devraient être payés à M. Taylor pour qu'il continue d'agir pour le compte de Steward. N'ayant alors pu s'entendre avec Steward, M. Taylor l'a avisé sur-le-champ que la firme d'avocats John Taylor cesserait désor- mais de le représenter. Le 3 février 1988, un associé de Steward a demandé à Macintosh de représenter Steward indépendamment de la firme d'avocats John Taylor. Macintosh a avisé cet asso- cié qu'il prendrait plusieurs jours pour réfléchir à ses projets d'avenir et à la question de savoir s'il retournerait travailler pour la firme d'avocats John Taylor. Le dimanche, 7 février 1988, Macintosh a rencontré John Taylor pour discuter de la possibi- lité d'un nouvel emploi auprès de la firme ou, sinon, de la possibilité d'acheter sa pratique. John Taylor a invité Macintosh à revenir travailler pour sa firme. Macintosh est rentré au travail le lundi, 8 février 1988 sans que les conditions précises de son emploi aient été arrêtées formellement. Le même jour, Steward a appelé Macintosh, qui l'a avisé qu'il avait été réengagé par la firme John Taylor et qu'en conséquence, conformément à l'avis donné à Steward par John Taylor lors de leur rencontre du 2 février 1988, Macintosh ne pourrait agir pour le compte de Steward.
Le 9 février 1988, un contrat d'emploi est inter- venu entre John Taylor et Macintosh, aux termes duquel Macintosh devait être payé seulement à l'égard des dossiers qui lui seraient assignés. Il était également convenu que les dossiers antérieurs de Macintosh seraient examinés par M. Taylor, qui aurait la possibilité de les confier à d'autres avocats; entre-temps, Macintosh ne s'occuperait d'aucun de ces dossiers.
Le 10 février 1988, Macintosh a été appelé à se rendre à San Francisco pour y régler des affaires pour le compte de la firme. Il est revenu à son domicile à Vancouver le 10 février vers 23 h 30. Le matin du jeudi 11 février, il s'est rendu au bureau, il a examiné un avis de désistement déposé dans une autre affaire instruite par la Cour d'appel fédérale. Il a alors assisté aux séances de la Cour d'appel fédérale sans porter de toge. Il est entré dans la salle d'audience, s'est approché de la barre et a parlé à M. Mitchell Taylor, un procureur du ministère de la Justice agissant devant la Cour d'appel fédérale dans l'affaire faisant l'objet du désistement, et ce dernier a consenti à l'avis de désistement déposé dans ce dossier. Macintosh dépose alors (au paragraphe 35):
[TRADUCTION] Que lorsque je me trouvais dans la salle d'au- dience, j'ai observé que M. Steward s'était approché de l'aire réservée aux avocats pendant que M. le juge Mahoney exami- nait un affidavit présenté par M. Steward. Comme M. Taylor était chargé de cette affaire, je n'ai pas trouvé anormale la présence en Cour de M. Steward, tenant pour acquis que M. Taylor s'était occupé de la question.
Macintosh dépose alors qu'il est retourné à son bureau, la secrétaire de M. John Taylor lui a montré un avis qu'elle avait préparé indiquant que la firme d'avocats John Taylor n'agissait plus pour le compte de Steward, avis qui serait déposé au greffe de la Cour fédérale.
Macintosh dépose également que, vers 11 h 15, il s'est vu signifier par M. Charles E. Stinson, fonctionnaire du greffe de la Cour fédérale, une ordonnance écrite sur [TRADUCTION] «du papier à en-tête de la Division de première instance de la Cour fédérale». Cette ordonnance est la pièce H jointe à l'affidavit de Macintosh. L'exemplaire signifié à Macintosh le 11 février 1988 porte effec- tivement l'en-tête «Division de première instance de la Cour fédérale du Canada». Il est toutefois indiqué que la formation de la Cour est constituée du juge Mahoney, du juge Hugessen et du juge Desjardins. L'original de l'ordonnance de justifica tion signé par M. le juge Mahoney au nom de la Cour portait l'en-tête de la Cour d'appel fédérale. Macintosh dépose également (au paragraphe 39):
[TRADUCTION] Qu'à aucun moment ai-je été avisé par M. Stinson ou par quelqu'autre représentant de la Cour du droit d'être représenté par un avocat que me reconnaît la Charte canadienne des droits et libertés.
M. John Taylor et Macintosh ont tous deux com- paru devant la Cour d'appel fédérale à 14 h 30 le
11 février 1988 conformément à l'ordonnance de justification. À la suite de l'audition qui a alors été tenue, la Cour a conclu que M. John Taylor n'était pas coupable d'outrage au tribunal. Elle a toutefois déclaré Macintosh coupable d'outrage au tribunal, le condamnant à payer une amende de 300 $. La Cour a également donné au greffe la directive de transmettre le dossier de l'instance relative à l'ou- trage à la Law Society of British Columbia.
Au commencement de l'audition orale de cette requête, notre Cour a soulevé la question prélimi- naire de sa compétence à entendre la demande.
L'avocat du requérant a prétendu que cette Cour est habilitée à réouvrir tout dossier dans lequel les règles de la justice naturelle ont été enfreintes. Selon son opinion, cette autorité est conférée à la Cour soit expressément soit implicite- ment par les dispositions de l'alinéa 52a) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10]'. De plus, les décisions rendues par cette Cour dans les affaires Commission d'énergie élec- trique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Elec tric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13 (C.A.) et Gill c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im- migration), [1987] 2 C.F. 425 (C.A.) appuieraient son opinion que cette Cour détient le pouvoir de réouvrir l'instance dans les circonstances en l'es- pèce. Il a soutenu que cette Cour a enfreint les principes de la justice naturelle en omettant de donner un avis approprié concernant l'audition relative à l'outrage au tribunal. À son point de vue, l'instruction sommaire de cette affaire a constitué un manquement à la justice naturelle; il ne s'agis- sait pas, a-t-il dit, d'un outrage que l'on prétendait avoir été commis en face du tribunal, et en consé- quence, l'affaire n'avait pas à être jugée le jour même. Il a allégué une violation de l'article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] en soutenant que Macin tosh aurait pu être privé de sa liberté d'une manière non conforme aux principes de la justice
' L'alinéa 52a) est ainsi libellé:
52. La Cour d'appel peut
a) mettre fin aux procédures dans les causes intentées
devant elle, lorsqu'elle n'a pas compétence ou que ces
procédures ne sont pas engagées de bonne foi;
fondamentale. Il â également soumis que l'acte de procédure du 11 février relatif à l'outrage enfrei- gnait l'article 11 de la Charte parce que Macin tosh avait été privé d'une audition impartiale. De plus, les actes de procédure relatifs à l'outrage auraient contrevenu à l'article 10 de la Charte en ce que la Cour avait omis d'informer Macintosh de son droit de retenir les services d'un avocat. Parmi ses prétentions figurent l'allégation que l'instance instruite le 11 février 1988 par la Cour au sujet de l'outrage violait l'alinéa la), le sous-alinéa 2c)(ii) et l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III].
J'ai examiné attentivement l'arrêt Gill ainsi que l'arrêt Commission d'énergie électrique du Nou- veau-Brunswick, et j'ai conclu que ni l'un ni l'au- tre n'appuie l'opinion que cette formation de la Cour d'appel fédérale est habilitée à réouvrir une affaire dont il a été traité et au sujet de laquelle il a été statué par une formation différente de cette même Cour. L'affaire Gill mettait en jeu une demande fondée sur l'article 28 attaquant une décision de la Commission d'appel de l'immigra- tion dans laquelle la Commission refusait de réou- vrir la demande d'un nouvel examen d'une revendi- cation du statut de réfugié au sens de la Convention. Le passage sur lequel on s'est appuyé est une citation extraite des motifs prononcés par le juge Le Dain (c'était alors son titre) dans la décision de cette Cour dans l'affaire Woldu c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1978] 2 C.F. 216, la page 219, ce juge a déclaré:
Nonobstant le principe général confirmé dans Lugano, à savoir qu'en l'absence d'autorisation expresse de la loi, un tribunal administratif n'a pas le pouvoir d'annuler sa propre décision, un courant de jurisprudence suggère que, lorsqu'un tribunal reconnaît n'avoir pas appliqué les règles de justice naturelle, il peut annuler sa décision et réentendre l'affaire.
M. le juge Le Dain a notamment cité l'arrêt Ridge v. Baldwin, [1964] A.C. 40 (H.L.), à la page 79, ainsi que l'arrêt Posluns v. Toronto Stock Exchange et al., [1968] R.C.S. 330, la page 340, à l'appui de cette proposition. Les arrêts Gill et Woldu concernaient tous deux des demandes fon- dées sur l'article 28 contestant des refus de la Commission d'appel de l'immigration de réouvrir des affaires et de réentendre les questions concer- nées. La décision rendue par la Chambre des lords
dans l'affaire Ridge v. Baldwin avait trait aux pouvoirs d'un [TRADUCTION] «comité de surveil lance» de congédier un commissaire de police en vertu des dispositions de la Municipal Corpora tions Act, [1882 (R.-U.), 45 & 46 Vict., chap. 50]. L'arrêt Posluns avait trait à la décision d'accorder une nouvelle audition relativement à une mesure disciplinaire prise par le conseil des gouverneurs d'une bourse. Chacune des quatre affaires men- tionnées ci-dessus avait trait aux pouvoirs d'un tribunal administratif ou quasi judiciaire relative- ment à la réouverture de ses propres instances. L'arrêt Commission d'énergie électrique du Nou- veau-Brunswick, pour sa part, ne nous est d'au- cune utilité: il a trait au pouvoir de cette Cour d'ordonner un sursis d'exécution d'une ordonnance de l'Office national de l'énergie jusqu'à ce que soit jugé un appel interjeté auprès de cette Cour.
À mon avis, la situation visée dans la requête qui nous est à présent soumise est assez différente de celle qui se présentait dans les arrêts invoqués plus haut. La formation de cette Cour qui a entendu l'affaire relative à l'outrage au tribunal reproché à Macintosh le 11 février 1988 était un banc de la Cour d'appel fédérale constitué de façon régulière et adéquate. En cette qualité, ce banc possédait le pouvoir inhérent de statuer sur l'outrage reproché. Ce pouvoir inscrit dans la common law s'est déve- loppé comme un élément de la compétence inhé- rente des cours supérieures. Reconnu par la common law, ce principe a récemment été énoncé à nouveau par le juge McIntyre dans l'arrêt Vermette 2 :
Le pouvoir de traiter l'outrage dans le cadre de la compé- tence inhérente et essentielle des tribunaux existe, dit-on, depuis aussi longtemps que les tribunaux eux-mêmes (voir Fox, The History of Contempt of Court, 1972, p. 1). Ce pouvoir était nécessaire et le demeure encore pour assurer la bonne marche des tribunaux et pour empêcher que l'on intervienne dans les procédures de la cour.
En acceptant le point de vue selon lequel la formation siégeant le 11 février 1988 avait la compétence voulue pour entendre et juger l'ou- trage reproché à Macintosh, existe-t-il quelque recours permettant à Macintosh de demander une réouverture ou une révision de l'ordonnance pour outrage qui a été prononcée contre lui le 11 février?
2 R. c. Vermette, [1987] 1 R.C.S. 577, à la p. 581.
Un examen des Règles de cette Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] permet de constater que la règle générale veut qu'une ordon- nance soit finale, sous réserve de la possibilité qu'un appel en soit interjeté, une fois qu'elle a été signée par le juge présidant (Règle 337(4)). La Règle 1733 prévoit une exception à cette règle générale dans les affaires des faits surviennent ou sont découverts postérieurement à une ordon- nance ou lorsqu'il y a eu fraude. L'avocat du requérant ne s'est pas appuyé sur la Règle 1733 et les faits ne permettent aucunement l'application de cette Règle. La Règle 337(5) permet à la Cour de procéder à un nouvel examen des termes du pro- noncé d'un jugement ou d'une ordonnance pour s'assurer qu'il est en accord avec les motifs qui ont été donnés, ou lorsqu'une question a été accidentel- lement omise. Cet avocat ne s'est pas non plus appuyé sur la Règle 337(5). Quoi qu'il en soit, toute demande faite sous le régime de la Règle 337(5) doit être présentée à la Cour «telle qu'elle est constituée au moment du prononcé». Comme on l'a vu plus haut, la présente demande de réou- verture a été faite à une formation entièrement différente de cette Cour.
L'avocat de Macintosh s'est également appuyé sur l'arrêt R. v. Larsen (1974), 19 C.C.C. (2d) 574, une décision de la Cour d'appel de l'Ontario. Cet arrêt ne traite pas de la question juridiction- nelle parce qu'il concernait un appel interjeté auprès de la Cour d'appel d'une conclusion d'ou- trage au tribunal prise par un juge de première instance dans le cadre d'un procès criminel régi par le Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34]. De la même manière, la décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Regina v. Carter (1975), 28 C.C.C. (2d) 220 n'est pas perti- nente parce qu'il s'agit également d'une décision prononcée par cette Cour d'appel à l'égard d'une déclaration de culpabilité pour outrage d'un procu- reur qui avait omis de comparaître pour le compte d'un client dans un procès criminel instruit devant un juge de la Cour provinciale.
Dans aucune de ces deux affaires la compétence de la Cour d'appel d'annuler une déclaration de culpabilité pour outrage prononcée par une Cour inférieure peut-elle être mise en doute. Cette situa tion est toutefois très éloignée des circonstances de l'espèce. Dans la présente requête, une formation
de la Cour d'appel fédérale se voit demander, en fait, d'examiner et d'annuler une décision pronon- cée par une autre formation de cette même Cour. Rien, à ma connaissance, ne nous habilite à agir dans ce sens dans un tel contexte.
L'avocat de Macintosh s'est également appuyé sur le fait que l'exemplaire de l'ordonnance de justification qui lui a été signifié portait l'en-tête de la Division de première instance de cette Cour. Ainsi, à proprement parler, l'avis lui enjoignant de comparaître qui lui a été donné serait entaché de nullité, ce qui aurait pour effet de vicier toutes les procédures subséquentes. Cet avocat a appuyé cette prétention sur les observations prononcées par le juge Riddell dans l'affaire Dalton v. Toronto General Trusts Corporation (1908), 11 O.W.R. 667 (Weekly Ct.), à la page 668. Le passage de ces motifs sur lequel il s'est appuyé est ainsi libellé:
[TRADUCTION] La séquestration étant un redressement extraordinaire et drastique, le droit de l'obtenir est régi de façon stricte, sinon très stricte, et aucune aide ne devrait être accordée aux personnes recherchant l'exécution de prétendus droits de cette manière. À plus forte raison lorsque le requérant déclare que les droits qu'il veut faire valoir sont des droits stricts.
L'ordonnance de justification qui a été signifiée à Macintosh indiquait que le tribunal était consti- tué de trois juges de la Cour d'appel fédérale. Cette ordonnance a exigé sa comparution devant la Cour au septième étage, 700 West Georgia Street, à Vancouver. Macintosh a comparu au moment et au lieu indiqués. Je suis convaincu qu'il n'a été induit en erreur d'aucune façon par la faute typo- graphique apparente figurant dans l'exemplaire de l'ordonnance de justification qui lui a été signi- fiée—une ordonnance qui, ainsi qu'il est noté ci-dessus, portait l'en-tête appropriée dans le dos sier de la Cour d'appel fédérale. Ainsi, si l'ordon- nance de justification signifiée à Macintosh était entachée d'un vice de forme, celui-ci n'a d'aucune façon porté préjudice à Macintosh et, en tout état de cause, il a été effacé par la comparution de Macintosh au moment et au lieu indiqués devant la formation de cette Cour qui a prononcé cette ordonnance. Pour ces motifs donc, je suis d'avis que cette prétention est dénuée de fondement.
La dernière prétention de l'avocat de Macintosh était que, dans l'hypothèse la présente forma tion de notre Cour serait d'avis qu'elle n'était pas
habilitée à procéder à l'audition de la requête en l'espèce, il lui demanderait l'autorisation d'interje- ter appel de sa décision devant la Cour suprême du Canada conformément aux dispositions du para- graphe 31(2) de la Loi sur la Cour fédérale'.
La jurisprudence de cette Cour a établi que cette Cour ne doit accorder une telle autorisation que dans des circonstances très restreintes. La règle générale applicable à cet égard a été claire- ment énoncée par le juge en chef Jackett dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Creative Shoes Ltd., [1972] C.F. 1425, la page 1428:
À notre avis, lorsqu'une demande visant à obtenir l'autorisa- tion d'interjeter appel est présentée dans une affaire il n'est pas manifeste que la question en jeu devrait être soumise à la Cour suprême pour décision, cette Cour doit résister à la tentation d'accorder l'autorisation uniquement pour éviter des critiques éventuelles. Elle ne doit pas accorder d'autorisation, sauf si elle a la certitude absolue que la question en jeu est une question que la Cour d'appel saisie en dernier ressort «devrait» trancher. Compte tenu de l'étendue et de l'importance des attributions de la Cour suprême du Canada, un tribunal infé- rieur ne devrait accorder l'autorisation d'interjeter appel auprès de cette cour que dans les cas indiscutables, car celle-ci se trouve dans une situation qui lui permet de choisir discrétion- nairement les espèces qu'elle doit trancher, compte tenu du nombre d'affaires dont elle est saisie. Or, elle ne peut le faire que si les tribunaux inférieurs exercent raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire, en décidant dans quels cas il y a lieu d'accorder l'autorisation d'interjeter appel. La Cour suprême du Canada peut toujours accorder cette autorisation, même si la Cour d'appel l'a refusée. La Cour suprême du Canada ne peut revenir sur une autorisation que la Cour d'appel a accordée.
À mon avis, les circonstances de l'espèce n'en font pas un cas indiscutable à l'égard duquel cette Cour serait justifiée d'accorder l'autorisation d'in- terjeter appel. De la même manière, je ne crois pas que la question juridictionnelle soulevée en l'espè- ce—qui revêt sans doute une grande importance pour le requérant—est d'une importance nationale telle qu'elle justifie la délivrance de l'autorisation
3 Le paragraphe 31(2) est rédigé de la manière suivante: 31....
(2) Il peut être interjeté appel, devant la Cour suprême,, avec l'autorisation de la Cour d'appel fédérale, d'un juge- ment final ou autre jugement de cette Cour lorsque la Cour d'appel estime que la question en jeu dans l'appel est une question qui devrait être soumise à la Cour suprême pour décision.
sollicitée par cette Cour 4 .
En tout état de cause, ainsi qu'il a été indiqué dans l'arrêt Creative Shoes susmentionné, la Cour suprême peut accorder une autorisation de pourvoi bien que cette Cour ait refusé une telle autorisation.
En conséquence, et pour tous les motifs qui précèdent, je rejetterais la requête en l'espèce.
LE JUGE MARCEAu: Je souscris à ces motifs. LE JUGE LACOMBE: Je souscris à ces motifs.
4 Comparer avec Prassad c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 2 C.F. 81 (C.A.).
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