T-845-88
Organisation nationale anti -pauvreté et Arthur
Milner (demandeurs)
c.
Procureur général du Canada (défendeur)
et
Bell Canada Internationl Inc. et BCE Inc.
(intervenantes)
RÉPERTORIÉ: ORGANISATION NATIONALE ANTI -PAUVRETÉ c.
CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
Division de première instance, juge Muldoon—
Ottawa, 25 et 26 mai, 10 et 27 juin 1988.
Télécommunications — Action visant à obtenir un jugement
déclarant que le décret modifiant la partie de la décision du
CRTC sur la proposition tarifaire de Bell Canada concernant
le dédommagement pour les employés de Bell provisoirement
mutés à la BCI est nul et inopérant — Il s'agit de savoir si les
coûts de mutation sont assumés par les abonnés de Bell et s'ils
constituent un interfinancement entre Bell et BCI — Le décret
est soumis au contrôle judiciaire — Le gouverneur en conseil a
violé l'art. 2e) puisqu'il n'a pas permis à la demanderesse
ONAP d'être entendue.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — Décret modifiant la partie de la décision du
CRTC relative à la proposition tarifaire de Bell Canada
concernant le dédommagement pour les employés de Bell
provisoirement mutés à une autre société — Le décret n'est pas
une question de commodité publique et de politique générale et
il s'ensuit qu'il est soumis au contrôle judiciaire — En l'ab-
sence d'urgence ou d'exigences relatives au renseignement de
sécurité, le gouverneur en conseil est lié par la règle audi
alteram partem en vertu de l'art. 2e) de la Déclaration des
droits — La règle en l'espèce a été violée puisque la demande-
resse ONAP n'a pas eu la possibilité d'être entendue —
Remarque: C'est avoir une vision métaphysique archaïque que
de prétendre qu'un bref de prérogative (au nom du Souverain)
ne peut être délivré contre le gouverneur en conseil (présidé, en
théorie, par le régent du Souverain); ce dernier n'est pas
au-dessus de la loi; en outre, le Parlement et le gouvernement
sont soumis à la Constitution.
Déclaration des droits — Droit à une audience impartiale —
Avant de modifier la décision du CRTC ayant trait à la
proposition de Bell Canada sur les tarifs, le gouverneur en
conseil doit, en l'absence d'urgence ou d'exigences relatives au
renseignement de sécurité, permettre à la partie devant le
CRTC d'être entendue et examiner sérieusement les observa
tions qui lui sont faites.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — Les droits prévus à l'art. 15 de la Charte ne
s'appliquent pas aux personnes morales — Le particulier
demandeur n'a pas établi qu'il avait le droit d'être traité de
façon égale à tout autre individu se trouvant dans la même
situation — Dans les causes de droit constitutionnel, les
tribunaux ont l'obligation de ramener les parties aux questions
pertinentes pour empêcher que les principes constitutionnels
soient mis en échec ou laissés dans l'oubli.
Puisque Bell Canada s'apparente à une entreprise de service
public, elle est soumise au pouvoir de réglementation du
CRTC, notamment en ce qui concerne les tarifs, les coûts et les
procédures comptables. Les tarifs de Bell Canada sont approu-
vés par le CRTC conformément à certains facteurs tels que les
revenus et les besoins en revenus. Au cours des audiences tenues
en 1986 et en 1987 au sujet des besoins en recettes de Bell
Canada, on s'est demandé si cette dernière ne se trouvait pas à
interfinancer sa filiale indépendante Bell Canada International
Inc. (BCI) lorsque ses employés sont mutés au service de la
BCI à l'étranger pour une période dont la durée normale est de
deux ans au moins. On était préoccupé par le fait qu'une partie
des coûts était transmise aux abonnés de Bell. Dans sa décision
88-4 du 17 mars 1988, le CRTC a fixé à 25 % l'indemnité
payable à Bell ou à sa filiale Tele-Direct en raison de la
mutation temporaire d'employés (une contribution compensa-
toire correspondant à 25 % du salaire annuel et des frais
connexes de chaque employé). Le 25 mars 1988, Bell Canada
Enterprises Inc. (BCE) et BCI, qui n'avaient été ni l'une ni
l'autre parties devant le CRTC, ont présenté au gouverneur en
conseil une pétition demandant que le niveau des frais soit
abaissé.
Sans tenir compte de la demande de l'Organisation nationale
anti -pauvreté (ONAP) visant à obtenir la possibilité de formu-
ler une réponse, le gouverneur en conseil, agissant conformé-
ment au paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les attribu
tions en matière de télécommunications (Loi NAMT), a pris le
décret C.P. 1988-762 qui, en fait, déclarait que l'établissement
de la valeur des mutations devait être restreint à l'utilisation
des frais vérifiés et des garanties de réemploi, faisant ainsi droit
aux demandes de BCE et BCI.
Les procédures en l'espèce ont commencé par une requête en
certiorari visant à faire annuler le décret C.P. 1988-762. Les
parties ont convenu de la remplacer par une action visant à
faire déclarer le décret nul et inopérant.
Jugement: l'action doit être accueillie.
Remarque: Il est métaphysiquement archaïque de prétendre
qu'en raison du fait que les brefs de prérogatives sont délivrés
au nom du Souverain, ils ne peuvent être décernés contre un
organisme présidé par le régent du Souverain comme le gouver-
neur en conseil. Le Souverain n'est pas au-dessus de la loi et le
Parlement ainsi que le gouvernement du Canada sont soumis à
la Constitution.
Il est bien établi que les décrets sont soumis au contrôle
judiciaire surtout lorsqu'ils ne se rapportent pas, comme en
l'espèce, à des questions de commodité publique ou de politique
générale. La décision de la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt Thorne's Hardware établit un précédent quant à la
proposition selon laquelle ni le pouvoir conféré au gouverneur
en conseil, ni l'exercice particulier de ce pouvoir n'échappent au
contrôle judiciaire.
Le principe suivant lequel les décrets pris illégalement ne
jouissent d'aucune immunité a été énoncé par la Cour suprême
du Canada dans l'arrêt Inuit Tapirisat. Le principe bien établi
suivant lequel ni la Souveraine ni la Souveraine en conseil n'est
au-dessus de la loi a été confirmé dernièrement par la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Operation Dismantle.
Les pouvoirs conférés par le paragraphe 64(1) de la Loi
NAMT, dont l'exercice est examiné aux présentes, sont mani-
festement arbitraires, despotiques et autocratiques. La constitu-
tionnalité de ce paragraphe, bien que douteuse, n'est pas con-
testée en l'espèce.
Même si le juge Estey, dans l'arrêt Inuit Tapirisat, qualifie
le pouvoir conféré en vertu du paragraphe 64(1) de «législatif»,
ce pouvoir pourrait être défini de façon plus exacte comme
étant un pouvoir légal d'intervention en vue de modifier ou
d'annuler des décisions qui ne seraient pas conformes aux
énoncés de principe du gouvernement dans ces domaines. Qua
lifier ce pouvoir de pouvoir législatif dépasse le cadre fixé par la
Cour suprême du Canada dans son arrêt ultérieur Thorne's
Hardware, dans tous les cas comme en l'espèce où le pouvoir
n'est pas exercé relativement à «des questions de commodité
publique et de politique générale».
En outre, l'arrêt Inuit Tapirisat précède la Charte de même
que la réanimation de la Déclaration des droits dans l'arrêt
Singh. Dans cet arrêt antérieur, le juge Estey était libre de
grouper en une simple fonction législative l'intervention pour
des motifs de politique en vue de corriger une décision rendue
inter partes et le fait de légiférer pour le public en général. Il
pouvait également conclure que la règle audi alteram partem
ne s'applique pas au gouverneur en conseil lorsqu'il intervient
dans une décision rendue inter partes par le CRTC. Aujour-
d'hui, l'exercice des pouvoirs qu'on retrouve au paragraphe
64(1) doit être interprété en conformité avec la Constitution et
la teneur de la loi.
Dès le début, les demandeurs ont invoqué l'article 15 de la
Charte. Toutefois, puisque les particuliers sont les seuls à
pouvoir jouir des droits qui y sont garantis, l'ONAP ne peut
invoquer l'article 15. En outre, le demandeur Milner n'a pas
établi qu'il avait le droit d'être traité de façon égale à tout autre
individu se trouvant dans la même situation. Dans un litige
ordinaire, la Cour n'est pas tenue de venir au secours d'une
partie dont les plaidoiries sont inaptes ou en dehors du but visé.
Toutefois, dans une affaire de droit constitutionnel, la Cour ne
doit pas laisser avorter la cause d'un plaideur privé si cela
entraîne une déformation ou une contradiction des principes ou
des impératifs constitutionnels. Conformément à ce principe, la
Cour a recommandé aux procureurs de présenter des argu
ments sur l'application de l'alinéa 2e) de la Déclaration cana-
dienne des droits. En 1988, le gouverneur en conseil doit, en
vertu de l'alinéa 2e), respecter les canons de base de la »justice
naturelle», de la justice fondamentale ou tout simplement de
l'impartialité, c'est-à-dire la règle audi alteram partem qui
oblige à entendre l'autre partie avant de déterminer les droits et
obligations de celle-ci. En l'absence d'urgence ou d'exigences
relatives au renseignement de sécurité, le gouverneur en conseil
ne peut légalement agir autrement.
Ainsi, bien qu'une personne cynique puisse demander s'il y a
des conséquences au cas où le gouverneur en conseil ne tient pas
compte des réponses des parties intéressées, la loi en 1988 exige
non seulement que toutes les parties devant le CRTC (autres
que le(s) requérant(s) devant le gouverneur en conseil) bénéfi-
cient d'une chance raisonnable de répondre par écrit à la
requête, mais également que leur réponse, le cas échéant, soit
considérée avec autant de soin et d'attention que la requête
originale.
Pour répondre à l'argument selon lequel le contrôle judiciaire
prévu aux termes de la Déclaration des droits est quelque peut
antimajoritaire ou antidémocratique, il n'y a qu'à souligner que
les dispositions relatives au contrôle judiciaire dans la Charte et
dans la Déclaration des droits ont été introduites par des
législateurs élus par le peuple.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1, 2,7à15,33.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III, art. 2e).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de /982, n° 1).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, art. 28.
Loi nationale sur les attributions en matière de télécom-
munications, S.R.C. 1970, chap. N-17 (mod. par S.C.
1987, chap. 34, art. 302), art. 1, 2, 64(1).
Loi nationale de 1987 sur les transports, S.C. 1987,
chap. 34, art. 301, 302, 303.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 2, 18.
Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2, art.
321.
Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, chap.
C-32.
Ordonnance modifiant la décision Telecom CRTC 88-4,
DORS/88-250 (C.P. 1988-762).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Thorne's Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autres,
[1983] 1 R.C.S. 106; 143 D.L.R (3d) 577; Operation
Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] I
R.C.S. 441; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration, [1985] I R.C.S. 177; Smith, Kline &
French Laboratories Ltd. c. Canada (procureur général),
[1987] 2 C.F. 359; (1986), 27 C.R.R. 286; 34 D.L.R.
(4th) 584; 12 C.P.R. (3d) 385; 78 N.R. 30 (C.A); R. v.
Stoddard (1987), 59 C.R. (3d) 134 (C.A. Ont.); Omi-
nayak v. Norcen Energy Resources Ltd. (1987), 83 A.R.
363 (B.R.); Leighton c. Canada, T-165-85, juge Mul-
doon, jugement en date du 18-5-88, C.F. 1" inst., encore
inédit; Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan
Stores Ltd., [1987] l R.C.S. 110; Rajpaul c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 3
C.F. 157 (C.A.); Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B.,
[1985] 2 R.C.S. 486.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; Padfield v. Minis-
ter of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997
(H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Re. Public Utilities Review Commission Act (1986), 52
Sask. R. 53; 26 Admin.L.R. 216 (C.A.); Chambre de
commerce de Jasper Park c. Gouverneur général en
conseil, [1983] 2 C.F. 98 (C.A.); Re Doctors Hospital
and Minister of Health et al. (1976), 12 O.R. (2d) 164
(H.C. Ont.); FAI Insurances Ltd v Winneke (1982), 41
ALR 1 (H.C.); Reade v. Smith, [1959] N.Z.L.R. 996
(S.C.); Aerlinte Eireann Teoranta c. Canada, [1987] 3
C.F. 383; 9 F.T.R. 29 (It' inst.); C.E. Jamieson & Co.
(Dominion) Ltd. et autre c. Procureur général du Canada
(1987), 37 C.C.C. (3d) 193; 12 F.T.R. 167 (C.F. l'e
inst.).
AVOCATS:
Andrew J. Roman et Glen W. Bell pour les
demandeurs.
Duff F. Friesen pour le défendeur.
David Wilson pour les intervenantes.
PROCUREURS:
Centre pour la promotion de l'intérêt public,
Ottawa, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour le
défendeur.
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour les
intervenantes.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON: Les procédures en l'espèce
ont commencé par une demande présentée en vertu
de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, contre l'intimé,
le gouverneur en conseil, en vue d'obtenir un bref
de certiorari, visant à faire annuler le décret C.P.
1988-762 en date du 22 avril 1988 [Ordonnance
modifiant la décision Télécom CRTC 88-4,
DORS/88-250]. Le décret avait pour effet de
modifier, conformément au paragraphe 64(1) de la
Loi nationale sur les attributions en matière de
télécommunications', la décision Télécom CRTC
88-4 rendue en date du 17 mars 1988.
' Le 28 août 1987, la sanction royale a été donnée à la Loi
nationale de 1987 sur les transports, S.C. 1987, chap. 34, qui
prévoit:
Au début de l'audience, le procureur du gouver-
neur en conseil, qui est également procureur de la
Couronne et membre du personnel du procureur
général, a fait une objection préliminaire. Son
argument n'était pas illogique mais il prônait une
vision anachronique et archaïque du noble person-
nage de Sa Majesté la Reine, sa Couronne et sa
dignité. Se basant sur l'article 28 de la Loi d'inter-
prétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, le procureur de
la Couronne fait valoir que, comme le gouverneur
en conseil, de toute évidence un «office, commis
sion ou autre tribunal fédéral», agit au nom de la
Souveraine, certains principes de droit applicables
à la Couronne s'appliquent également au gouver-
neur en conseil. Comme le paradigme du certiorari
est un bref de prérogative décerné par les cours
d'archives supérieures, au nom de la Souveraine, il
est au-delà du pouvoir de la Cour (ou à tout le
moins inconvenant) prétend-on de décerner une
telle ordonnance contre un office, commission ou
autre tribunal fédéral ayant à sa tête le régent de
la Souveraine, même si celui-ci assiste rarement
aux réunions du cabinet.
Le procureur de la Couronne prétend, par consé-
quent, que puisqu'aucun bref de prérogative ou
autre ordonnance impérative fondé sur l'article 18
de la Loi sur la Cour fédérale ne peut être décerné
contre la Couronne ou le gouverneur en conseil,
[TRADUCTION] «la seule et unique façon d'obtenir
une révision judiciaire est par la voie d'une procé-
dure dirigée contre le procureur général du
Canada, en vue d'obtenir un jugement déclaratoire
contre le gouverneur en conseil». Il peut s'agir là
d'une vision métaphysique archaïque alors que
(Suite de la page précédente)
Loi nationale sur les transports
301. Le titre intégral de la Loi nationale sur les transports
est abrogé et remplacé par ce qui suit:
«Loi concernant les attributions relatives à certaines matières
de télécommunications»
302. Les articles 1 et 2 de la même loi sont abrogés et
remplacés par ce qui suit:
«1. Loi nationale sur les attributions en matière de
télécommunications.
DÉFINITIONS
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«Conseil» Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommuni-
cations canadiennes.
«ministre» Le ministre des Communications.
«Secrétaire» Le fonctionnaire ou l'employé du Conseil
nommé par celui-ci pour accomplir le travail de
secrétaire.»
303. L'intertitre qui précède l'article 3 et les articles 3 à 16
de la même loi sont abrogés.
tout le monde sait depuis longtemps que le Souve-
rain n'est pas au-dessus de la loi et, depuis 1982,
sinon avant, le Parlement et le gouvernement du
Canada sont soumis à la loi suprême du Canada,
la Constitution. De plus, il est évident que si Sa
Majesté a connaissance de ces procédures, elle ne
peut se sentir personnellement lésée car son régent
en conseil d'outre-mer pourrait, si telle était la
décision, être tenu de se plier à une ordonnance de
la Cour fédérale, ce qui, en matière de certiorari
signifierait seulement qu'une décision du cabinet
serait annulée pour des raisons légales. Ceux qui,
comme le procureur de la Couronne, prétendent le
contraire, pourraient induire à tort certains de
leurs concitoyens à souhaiter une forme de gouver-
nement plus républicaine. Le gouvernement royal
ne devrait pas être vu et protégé comme une plante
de serre, de crainte qu'elle en devienne une. La
common law de la Constitution ne peut véritable-
ment être un arbre vivant si elle est étouffée par un
atavisme pathologiquement vieux jeu, qui serait
l'objectif stérile de ses praticiens et juges.
Le procureur du requérant ne souhaitait toute-
fois pas que l'argumentation soit centrée sur l'ob-
jection préliminaire. Après une suspension d'au-
dience au cours de laquelle les procureurs ont pu
discuter avec leurs clients respectifs, et entre eux,
ils ont déposé une espèce d'avis de requête, au
sujet duquel tous les procureurs ont obtenu le
consentement de leurs clients respectifs. Il est
libellé ainsi:
[TRADUCTION] REQUÊTE VISANT À OBTENIR UNE ORDON-
NANCE:
1. modifiant l'intitulé de la cause, de sorte que l'intimé soit le
procureur général du Canada;
2. modifiant la forme des procédures, qui seraient non plus une
requête mais une action, par laquelle le redressement sollicité
est un jugement déclaratoire portant que le décret C.P.
1988-762, daté du 22 avril 1988, est nul et inopérant, et que
le procès est instruit aujourd'hui, sur la base du dossier du
requérant, pourvu qu'aucun jugement déclaratoire ne conclue
que les droits des demandeurs reconnus par l'article 15 de la
Charte ont été enfreints, jusqu'à ce que les parties aient
échangé des actes de procédure et aient eu la chance d'exer-
cer tous les droits qui leur sont conférés avant le procès et
qu'il y ait eu une audience séparée sur toute question pouvant
être soulevée en vertu de l'article 1 de la Charte.
D'un commun accord, les procureurs ont préparé
une ordonnance visant à donner suite aux requêtes
ci-dessus, laquelle ordonnance a été signée et pro-
noncée le 26 mai 1988. Cela explique l'intitulé de
la cause figurant ci-dessus. De plus, tous les procu-
reurs ont accepté, au nom de leurs clients, de ne
pas interjeter appel de la métamorphose bizarre de
la nature des procédures, en renonçant aux plaidoi-
ries, aux interrogatoires préalables et aux témoins
viva voce, dans la mesure prévue.
Comme on peut le constater, cette action risque
de durer «jusqu'à ce que les parties aient échangé
des actes de procédure et aient eu la chance
d'exercer tous les droits qui leur sont conférés
avant le procès» quant à la question de savoir si les
droits des demandeurs prévus par l'article 15 de la
Charte canadienne des droits et libertés [qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] ont été violés, et jusqu'à ce que
toute question pouvant être soulevée en vertu de
l'article 1 de la Charte ait été jugée. Afin d'obtenir
une solution relativement rapide sur les autres
questions en litige en date du 25 mai, reportées au
26 mai à cause du volume des prétentions du
procureur des demandeurs et reportées une fois de
plus au 10 juin pour entendre le défendeur et les
intervenantes, les procureurs peuvent très bien
avoir conçu une nouvelle espèce de procédure à
peine recevable, qu'ils ont acceptée en toute con-
naissance de cause et dont ils ne peuvent mainte-
nant se plaindre.
La demanderesse, l'Organisation nationale anti -
pauvreté (ONAP), est un organisme de charité
constitué en mai 1973, en vertu de la Partie II de
la Loi sur les corporations canadiennes [S.R.C.
1970, chap. C-32]. Elle est censée agir et être
intervenue dans les procédures en cause devant le
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica-
tions canadiennes, (CRTC), au nom des «familles
à faible revenu», conformément à ses lettres paten-
tes, qui peuvent ou non, mais qui sont supposées
approuver ses activités. Le demandeur, Arthur
Milner, jure qu'il est un membre associé de
l'ONAP et un abonné de Bell, mais il ne dit rien
sur la question de savoir s'il est membre d'une
«famille à faible revenu». De toute façon, le CRTC
a accepté la présence de l'ONAP à titre d'interve-
nante lors de ses audiences et elle a effectivement
payé à l'ONAP ses frais de comparution et de
participation. Le Centre pour la promotion de
l'intérêt public a agi à titre de conseiller pour
l'ONAP lors des audiences du _ CRTC, selon
l'affidavit d'Elizabeth MacKenzie.
La pièce «A» jointe au premier affidavit d'Eliza-
beth MacKenzie, assermentée le 6. mai 1988, con-
siste en une copie d'extraits sélectionnés de la
décision Télécom CRTC 88-4, qui est bilingue, soit
les pages 1 (page titre) à 5 (incluant la table des
matières et le premier paragraphe de l'introduc-
tion) et les pages 52 59. La décision porte le titre
suivant:
BELL CANADA-BESOINS EN REVENUS POUR 1988, RÉÉQUI-
LIBRAGE DES TARIFS ET QUESTIONS DE PARTAGE DES
REVENUS
COMPAGNIE DE TÉLÉPHONE DE LA COLOMBIE-BRITANNI-
QUE-RÉVISIONS AU BARÈME TARIFAIRE TRANSCANADIEN
ET QUESTIONS DE PARTAGE DES REVENUS
Voici le paragraphe introductif de la décision du
CRTC:
Le 3 février 1987, le Conseil a reçu deux requêtes de Bell
Canada (Bell) en vertu des avis de modification tarifaire
2269 et 2270. Dans la lettre qui accompagnait ces requêtes,
Bell a souligné que, dans la décision Télécom CRTC 85-19
du 29 août 1985, intitulée Concurrence intercirconscription
et questions connexes (la décision 85-19), le Conseil avait
indiqué qu'il comptait procéder à un examen public des
questions liées au rééquilibrage des tarifs. Dans ce contexte,
les requêtes constituaient une proposition précise de rééquili-
brage des tarifs pour fins d'étude par le Conseil.
Il faut noter ici que Bell est l'une des deux
filiales entièrement canadiennes de l'une des deux
intervenantes, Bell Canada Enterprises Inc.
(BCE), le holding du groupe de compagnies et
d'entreprises Bell. La BCE gère les services de
télécommunications, de fabrication d'équipement
de télécommunication, d'énergie, d'imprimerie et
d'immobilier. L'autre intervenante, Bell Canada
International Inc. (BCI) est également une filiale
entièrement canadienne de la BCE. Selon l'exposé
des faits et du droit préparé par son procureur, la
BCI offre des services de consultation en matière
de télécommunications à des gouvernements et à
des entreprises dans environ 70 pays, depuis les 20
dernières années. Bell était partie aux procédures
devant le CRTC. La propriétaire BCE et sa filiale
soeur BCI n'étaient pas parties à l'audience devant
le CRTC, mais elles étaient les requérantes ayant
amené le gouverneur en conseil à prendre le décret
C.P. 1988-762, et elles sont les intervenantes en
l'espèce devant cette Cour. Contrairement à la
société mère (ou propriétaire) BCE et à sa filiale
soeur BCI, Bell est soumise au pouvoir de régle-
mentation du CRTC dans différents domaines,
notamment les tarifs, les coûts et les procédures
comptables, à cause du genre d'entreprise, qui
s'apparente aux services publics, qu'elle a choisie
d'exploiter en vue de réaliser un profit.
Ces questions de réglementation sont soulevées
parce que seule Bell est réglementée, puisqu'elle
offre des services prévus par les règlements perti-
nents. Afin d'exécuter ses contrats internationaux,
la BCI engage, de temps à autre, sur une base
temporaire, des employés de Bell et d'autres entre-
prises réglementées de télécommunications cana-
diennes. Pendant que ces employés sont au service
de la BCI, tous leurs frais directs, tels les salaires,
avantages et dépenses accessoires sont assumés
exclusivement par la BCI. De plus, conformément
aux présentes ententes entre Bell et la BCI, celle-ci
verse à Bell certains frais indirects liés à l'embau-
che des employés de Bell, dont:
a) un montant forfaitaire de 1 840 $ pour
chaque employé muté pour plus de 30 jours;
b) un montant forfaitaire de 455 $ pour chaque
employé «rapatrié» par Bell;
c) un montant forfaitaire de 90 $ pour chaque
prolongation de la durée du congé autorisé pour
tout employé prêté à la BCI; et
d) en plus, un versement annuel de 1 000 $ par
employé embauché par la BCI, en vue de cou-
vrir les frais inconnus possibles ou les frais
indéterminés que Bell pourraient encourir quant
à cet employé.
La question posée au CRTC était de savoir si Bell
réclamait à la BCI des frais suffisants lorsque
cette dernière embauchait des experts de Bell en
vue de satisfaire aux besoins de ses contrats de
consultation.
On peut aussi analyser la question en se deman-
dant si les montants réclamés par Bell pour prêter
ses employés sont si bas que certains coûts doivent
être imposés à ses abonnés. Il ressort de la lecture
des extraits des motifs et ordonnances du CRTC,
CRTC 88-4 ci-dessus mentionné, CRTC 88-6 dont
une copie constitue la pièce «A» jointe à l'affidavit
additionnel d'Elizabeth MacKenzie assermentée le
10 mai 1988, et de la transcription partielle qui
constitue la pièce «K» jointe à cet affidavit addi-
tionnel, que les audiences du CRTC et l'analyse de
la question des frais de Bell déjà mentionnés pour
le prêt de ses employés ont été longues et soigneu-
sement détaillées, prudentes, profondes et justes.
I1 est opportun d'examiner au moins quelques
extraits tirés de la décision Télécom CRTC 88-4
[ci-après parfois appelée décision 88-4], qui font
partie des extraits annexés comme pièce «A» jointe
à l'affidavit d'Elizabeth MacKenzie, assermentée
le 6 mai 1988. Il est utile de noter que la décision
88-4 du CRTC est une «décision tarifaire concer-
nant Bell Canada, rendue conformément à l'article
321 de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970,
[chap.] R-2», comme l'ont admis les intervenantes
BCE et BC1 à la page 10 de leur exposé des faits
et du droit, déposé en l'espèce le 25 mai 1988.
Voici donc certains extraits tirés de la décision
88-4 [aux pages 52 54]:
V TRANSACTIONS INTERCOMPAGNIES
A. Dédommagement pour les employés provisoirement mutés
1) Historique
Dans la décision 86-17, le Conseil a jugé que le dédommage-
ment convenable pour les employés provisoirement mutés à la
Bell Canada International Inc. (la BCI) est une contribution
de 25 % calculée en fonction d'un coût imputé composé de
l'ensemble des frais annuels reliés aux salaires et à la main
d'oeuvre de chacun de ces employés, immédiatement avant la
mutation. Il a aussi été établi que ces frais doivent être
rajustés, le cas échéant, de manière à tenir compte de toute
majoration normale de salaire au cours de la période de
mutation, mais qu'ils ne doivent pas inclure tout rajustement
de salaire attribuable uniquement à une affectation
outre-mer.
Bell a aussi déclaré que, dans une lettre du 14 juillet 1987
jointe à son Dossier des pièces justificatives et adressée à M.
A.J. de Grandpré, président des BCE Inc. (les BCE), jadis
les Entreprises Bell Canada Inc., la ministre des Communi
cations a indiqué que, de fait, le niveau de dédommagement
aux fins de la réglementation ne doit pas dépasser les frais
vérifiés liés directement et indirectement à ces mutations.
Dans une lettre du 9 octobre 1987 adressée au Conseil et
déposée comme pièce 2 du CRTC, la ministre des Communi
cations a déclaré que les observations formulées dans sa
lettre du 14 juillet 1987 ne donnaient pas d'instructions au
Conseil sur la manière de traiter le transfert de revenus entre
Bell et la BCI. Dans sa lettre, la ministre a également déclaré
qu'elle n'avait pas l'intention de donner l'impression que
l'établissement de la valeur de ces transferts devait être
restreint à l'utilisation des frais comptables.
La Cour a entendu beaucoup de commentaires au
sujet de ces lettres adressées à la ministre ou
provenant d'elle, au cours des plaidoiries de
chacun des procureurs. Il sera fait état plus loin de
l'importance que leur accorde le procureur des
demandeurs.
Par la suite, aux pages 54 à 58, le CRTC a
scrupuleusement résumé les positions respectives
des parties en présence: Bell, l'Alliance canadienne
des télécommunications de l'entreprise (ACTE,
représentant les grandes entreprises utilisatrices)
et l'Association des consommateurs du Canada
(ACC), et encore Bell, en réponse. Le CRTC a
aussi noté que «l'Ontario, l'ACTE et autres et
l'ACC ... tous ont exprimé l'avis que le traitement
réglementaire exposé dans la décision 86-17 conti
nue d'être approprié» (page 56), alors que «Bell a
... exprimé l'avis que le Conseil ne doit pas se
sentir limité par sa conclusion dans la décision
(page 57) 86-17, mais qu'il doit envisager la ques
tion à la lumière des facteurs et des développe-
ments exposés au cours de l'instance» [page 58].
Le CRTC a ensuite fait part [aux pages 58 et
59] de sa conclusion sur la question du dédomma-
gement dû à Bell pour avoir prêté et pour prêter
ses employés à la BCI ou à une compagnie affiliée.
3) Conclusions
Le Conseil n'a pas été persuadé qu'il y a lieu de modifier
l'approche au dédommagement des employés provisoirement
mutés prescrite dans la décision 86-17. Bell a choisi de se
pencher sur la question de savoir s'il existe de l'interfinance-
ment uniquement en fonction des frais comptables. Le Con-
seil rejette ce point de vue et il estime que les frais compta-
bles seuls ne tiennent pas compte de tous les frais inhérents
aux mutations provisoires d'employés à la BCI. À cet égard,
le Conseil note la lettre de la Ministre, en date du 9 octobre
1987, dans laquelle elle a déclaré: [TRADUCTION] u... je
n'avais pas l'intention de donner l'impression que l'établisse-
ment de la valeur de ces mutations doit être restreint à
l'utilisation des frais comptables.»
Au nombre des frais non inclus dans les frais comptables se
trouvent les frais liés aux garanties de réemploi. Le Conseil
juge convaincant l'argument de I'ACC voulant que Bell, du
fait de ces garanties, absorbe une plus grande partie du
risque que la BCI puisse, à un moment donné, être incapable
de trouver suffisamment de travail pour ses employés.
Dans la décision 86-17, le Conseil a fait remarquer que la
compagnie a raisonnablement réussi à atteindre la majora-
tion traditionnelle de 25 % relativement aux transactions
intercompagnies. A cet égard, le Conseil fait remarquer que,
lorsque Bell prête simplement des employés à la BCI plutôt
que de les muter provisoirement, le dédommagement que la
BCI verse à Bell comprend une contribution de 25 % calculée
en fonction des salaires et avantages sociaux des employés et
que l'approche adoptée dans la décision 86-17 est conforme à
cette pratique.
De l'avis du Conseil, la meilleure façon d'établir s'il existe ou
non de l'interfinancement est de s'en remettre à la juste
valeur marchande des biens ou services fournis. Si Bell
fournit des biens ou services à une compagnie avec lien de
dépendance à un prix inférieur à la juste valeur marchande,
elle interfinance cette compagnie. Le Conseil est conscient
que la juste valeur marchande est, dans les circonstances,
difficile à établir. Toutefois, rien dans le dossier de la pré-
sente instance n'indique que la méthode de rechange à la
juste valeur marchande des employés provisoirement mutés,
n'est pas appropriée. Le Conseil estime que les problèmes qui
peuvent se poser pour la BCI sur les marchés internationaux
ne justifient pas suffisamment une dérogation à la politique
du Conseil qui veut que les abonnés de Bell ne soient pas
obligés d'interfinancer les entreprises concurrentielles des
affiliées de Bell.
Le Conseil a rajusté les besoins en revenus de la compagnie
pour 1988 de manière à tenir compte de sa décision concer-
nant le dédommagement annuel des employés provisoirement
mutés. Le Conseil estime qu'aux fins de la réglementation,
cette décision accroîtra d'environ quatre millions de dollars
les revenus nets après impôts de la compagnie pour 1988.
La décision Télécom CRTC 88-4 a été publiée
le 17 mars 1988. Le 25 mars, la BCE et la BCI,
qui n'avaient été ni l'une ni l'autre parties devant
le CRTC, ont déposé une requête en vertu du
paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les attri
butions en matière de télécommunications préci-
tée. Ils ont demandé au gouverneur en conseil de
modifier les décisions 86-17 et 88-4. Cette requête
a été présentée en secret pour le motif qu'elle
renfermerait des renseignements commerciaux
névralgiques concernant la BCE et la BCI. De
toute évidence, aucune copie de la requête n'a été
adressée aux autres partie_ s qui s'étaient opposées à
Bell devant le CRTC.
Après avoir eu connaissance de l'existence de la
requête, l'ONAP a communiqué avec l'avocat en
chef de la BCE et en a demandé une copie de
même que les documents à l'appui. Le procureur
de BCE a toutefois indiqué qu'une copie de la
requête serait remise aux représentants de
l'ONAP, à la condition qu'ils ne la rendent pas
publique. L'ONAP a refusé l'offre, tout comme
elle avait auparavant (avec les autres parties)
refusé d'accepter la condition de garder le secret
exigée par Bell au nom de la BCE et de la BCI
vers la fin des audiences du CRTC sur la question.
Sur ce léger contretemps, la Cour est d'accord
avec le procureur du défendeur. L'ONAP se plaint
que, parce qu'elle a refusé la condition de garder le
secret, elle n'a jamais pu examiner la requête. À
cet égard, elle doit simplement assumer les consé-
quences inhérentes à la voie qu'elle a choisi de
suivre. L'obligation de garder le secret concernant
des renseignements commerciaux névralgiques
n'est pas étrangère aux procédures en matière de
droit administratif au point de créer un choc ou de
soulever des plaintes. Cependant, l'ONAP doit
choisir entre la voie des procédures de droit admi-
nistratif ou celle de la politique. Elle obtiendra peu
de résultat en suivant les deux simultanément,
mais personne ne peut l'empêcher de s'engager
dans un tel chemin. On peut clairement en déduire
que l'ONAP tenait absolument à rendre public le
contenu de la requête et des documents à l'appui.
La Cour n'est pas touchée par cette plainte, en
supposant que les renseignements concernant la
BCE et la BCI étaient en fait névralgiques, ques
tion qui aurait pu être tranchée après, et de façon
honorable. Si le rôle politique de l'ONAP est
légitime, ce qui est le cas, alors la prudence prati-
quée par une entreprise commerciale compétitive
eu égard à ses renseignements névralgiques l'est
aussi. L'ONAP s'est volontairement fermé les
yeux.
Comme il ne lui a pas été possible d'obtenir,
sans condition, une copie publique de la requête
présentée au gouverneur en conseil par la BCE et
la BCI, l'ONAP a, le 19 avril 1988, livré en mains
propres au greffier du Conseil Privé une lettre
(pièce «B» jointe à l'affidavit de Mme MacKenzie
assermentée le 6 mai 1988) demandant au gouver-
neur en conseil de ne pas se prononcer sur la
requête avant qu'elle ait pu en obtenir une copie et
qu'elle ait pu bénéficier d'un délai raisonnable
pour formuler une réponse.
Le gouverneur en conseil a répondu, un peu à la
façon de Frontenac, en prenant le décret C.P.
1988-762 le 22 avril 1988. On peut excuser Fron-
tenac étant donné l'urgence de la situation, mais
l'ONAP n'a reçu aucune autre réponse. On lui a
refusé toute chance raisonnable de présenter des
observations, même à l'aveuglette. Aucune urgence
n'a été démontrée par les parties en l'espèce.
Le gouverneur en conseil prétend avoir agi léga-
lement en invoquant le paragraphe 64(1) de la Loi
nationale sur les attributions en matière de télé-
communications (Loi NAMT). Ce texte était
autrefois le paragraphe 64(1) de la Loi nationale
sur les transports qui prévoit:
64. (1) Le gouverneur en conseil peut à toute époque, à sa
discrétion, soit à la requête d'une partie, personne ou compa-
gnie intéressée, soit de son propre mouvement et sans aucune
requête ni demande à cet égard, modifier ou rescinder toute
ordonnance, décision, règle ou règlement de la Commission,
que cette ordonnance ou décision ait été rendue inter partes
ou autrement,' et que ce règlement ait une portée et une
application générales ou restreintes; et tout décret que le
gouverneur en conseil prend à cet égard lie la Commission et
toutes les parties.
Comme toutes les parties en l'espèce admettent
que le gouverneur en conseil, lorsqu'il agit confor-
mément au paragraphe 64(1) précité, constitue un
«office, commission ou autre tribunal fédéral»
selon la définition de ce terme à l'article 2 de la
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10, il sera utile et loin d'être offensant
d'utiliser le pronom «il» pour désigner le gouver-
neur en conseil. De cette façon, la Cour et les
parties pourront satisfaire aux exigences gramma-
ticales de l'alinéa 18b) de la Loi sur la Cour
fédérale.
Voici la réponse du gouverneur en conseil trois
jours seulement après avoir reçu la lettre de
l'ONAP, sans en avoir accusé réception. Une copie
du C.P. 1988-762 constitue la pièce «C» jointe à
l'affidavit de Mme E. MacKenzie, assermentée le
6 mai 1988.
Vu que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommuni-
cations canadiennes a rendu la décision Télécom CRTC
86-17 le 14 octobre 1986, dans laquelle il a jugé qu'un
dédommagement convenable pour les employés de Bell
Canada temporairement mutés à Bell Canada International
Inc. serait une contribution de vingt-cinq pour cent, qui doit
être calculée en fonction d'un coût imputé composé de l'en-
semble des frais annuels reliés aux salaires et à la main-
d'oeuvre de chacun de ces employés, avant la mutation;
Vu que, le 17 mars 1988, le Conseil a jugé dans la décision
Télécom CRTC 88-4 qu'aux fins de la réglementation le
dédommagement pour tout employé provisoirement muté de
Bell ou de Télé-Direct (Publications) Inc. à toute compagnie
affiliée doit être celui qui est prescrit dans la décision CRTC
Télécom 86-17;
Vu que, le 25 mars 1988, BCE Inc. et Bell Canada
International Inc. ont présenté une requête en vertu du
paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les attributions en
matière de télécommunications, afin d'obtenir que le gouver-
neur en conseil modifie ou rescinde cette partie de la décision
Télécom CRTC 86-17 ainsi que la partie de la décision
Télécom CRTC 88-4 en ce qui concerne le dédommagement
payé par Bell Canada International Inc. à Bell Canada pour
les employés temporairement mutés à Bell Canada Interna
tional Inc.;
Vu que le gouverneur en conseil juge qu'il est dans l'intérêt
public de modifier la décision Télécom CRTC 88-4,
À ces causes, sur avis conforme du ministre des Communi
cations et en vertu du paragraphe 64(1) de la Loi nationale
sur les attributions en matière de télécommunications, Son
Excellence le Gouverneur général en conseil modifie la déci-
sion Télécom CRTC 88-4 du 17 mars 1988 en supprimant
aux pages 58 et 59 les cinq paragraphes qui se trouvent sous
le titre «3) Conclusions» et en les remplaçant par ce qui suit:
«Les frais liés à la mutation provisoire d'employés consis
tent uniquement en des frais comptables, soit les frais de
sélection et de réintégration des employés de Bell Canada,
les frais de prolongation de leur congé et tous les autres
frais administratifs directement liés à leur mutation, ainsi
que les frais liés aux garanties de réemploi. Par consé-
quent, le Conseil juge qu'aux fins de la réglementation le
dédommagement pour tout employé provisoirement muté
de Bell Canada ou de Télé-Direct à toute compagnie
affiliée doit être comme suit:
a) pour chaque employé muté pour des périodes de plus
de 30 jours, un montant forfaitaire de 1 840 $;
b) pour chaque employé rapatrié, un montant forfaitaire
de 455 $;
c) pour chaque prolongation de la durée de tout congé
autorisé à un employé muté, un montant forfaitaire de
90 $;
d) un montant annuel de 1 000 $ par employé muté
provisoirement;
e) en plus des montants spécifiés aux alinéas a) à d), un
montant annuel qui sera déterminé par le Conseil et qui
représente les frais liés aux garanties de réemploi.
Afin que le Conseil puisse déterminer le montant spécifié à
l'alinéa e), Bell Canada doit déposer devant celui-ci, au
plus tard le 15 juin 1988, ses frais vérifiés liés aux garan-
ties de réemploi et toute information et documentation
pertinentes qui seraient utiles au Conseil pour qu'il arrive à
sa conclusion.»
Certified to be a true copy — Copie certifiée conforme
«P. Tellier»
Clerk of the Privy Council — Le greffier du Conseil Privé
Ainsi donc, malgré la promesse antérieure de la
ministre au président du CRTC en date du 9
octobre 1987, selon laquelle [TRADUCTION] «je
n'avais pas l'intention de donner l'impression
[même lors de la correspondance antérieure avec le
président et le PDG de la BCE] que l'établisse-
ment de la valeur de ces mutations doit être res-
treint à l'utilisation des frais comptables» [pièce
«J» jointe à l'affidavit de Mme MacKenzie asser-
mentée le 10 mai 1988], le décret n'est en réalité
qu'une restriction de l'utilisation des «frais vérifiés
et des garanties de réemploi». Évidemment, la
ministre et le gouverneur en conseil ne sont pas liés
en droit par les lettres antérieures de la ministre,
qui visaient à apaiser les appréhensions des diri-
geants des intervenantes quant à la décision 86-17,
avant l'audience du CRTC ayant donné lieu ulti-
mement à la décision 88-4. Ces dirigeants jouis-
saient de toute liberté pour communiquer avec la
ministre et échanger de la correspondance avec
cette dernière, comme l'ont fait l'ACC, l'ONAP et
l'ACTE et autres. Des copies de toute cette corres-
pondance constituent les pièces «C», «D», «E», «F»,
«G», «H» et «J» jointes à l'affidavit additionnel
assermenté le 10 mai 1988.
Il faut également noter qu'en date du 22 avril
1988, la même date que le C.P. 1988-762, la
Direction de l'information du ministère de la
ministre, appelé Communications Canada, a
publié un communiqué concernant précisément la
modification de la décision CRTC 88-4. Ce com-
muniqué (pièce «D» de l'affidavit de Mme Mac-
Kenzie assermentée le 6 mai) est trop long pour
être récité en entier, puisqu'il comporte deux pages
et quart complètes. Il y a lieu de citer certains de
ses passages, y compris celui qui est attaqué par les
demandeurs. Les demandeurs ne veulent pas bla-
guer lorsqu'ils qualifient le communiqué de «motifs
de la décision» du gouverneur en conseil.
NEWS RELEASE COMMUNIQUÉ
LE 22 AVRIL 1988 DIFFUSION IMMÉDIATE
Le gouverneur en conseil modifie
une décision du CRTC concernant Bell Canada
OTTAWA—Le gouverneur en conseil a modifié la décision
CRTC 88-4 pour éviter que la société Bell Canada Interna
tional (BCI) ne soit désavantagée sur le marché mondial et
hautement concurrentiel des télécommunications en raison
d'un calcul financier arbitraire. La modification comprend
des mesures visant à protéger les intérêts des abonnés de Bell
Canada et à prévenir tout interfinancement entre la société
Bell Canada et la BCI.
Le différend portait sur le niveau des frais administratifs
que la BCI doit verser à Bell Canada lorsque des employés de
Bell sont temporairement affectés aux marchés de services
d'expert-conseil de la BCI à l'étranger. Cette dernière, qui
est une filiale des Entreprises Bell Canada, n'est pas assujet-
tie à l'autorité du CRTC. Société canadienne à part entière,
elle fournit depuis vingt ans des services d'expert-conseil en
matière de télécommunications dans plus de 70 pays. Les
centaines de Canadiens qui ont travaillé pour la BCI ont
contribué à établir la réputation de chef de file mondial du
Canada en matière de biens et services de haute technologie.
Les marchés de services d'expert-conseil de la BCI ont
également entraîné d'importantes ventes de produits de fabri
cation canadienne, allant du simple câble au matériel de
commutation perfectionné et aux automobiles.
Comme il ne disposait pas d'une analyse financière détail-
lée de ces frais indirects, le CRTC a conclu, en se fondant sur
les preuves qui lui ont été présentées, que le juste montant de
la contribution compensatoire correspondait à 25 p. 100 du
salaire annuel et des frais connexes pour chaque employé.
Dans sa décision 88-4 du 17 mars 1988, le Conseil a donc
fixé à 25 p. 100 la compensation à verser à Bell ou à son
affiliée réglementée par le CRTC, la Télé-Direct, pour la
mutation temporaire d'employés. Le 25 mars 1988, les Entre-
prises Bell Canada et la BCI ont présenté une requête au
gouverneur en conseil pour demander que le niveau de la
compensation soit abaissé.
En réponse à la requête, le gouvernement a examiné les
preuves présentées au CRTC. Le principe fondamental qui
sous-tend cet examen est l'engagement du gouvernement à
veiller à ce que les abonnés de Bell Canada ne soient pas
forcés d'interfinancer les opérations des filiales non régle-
mentées de la société. Le gouvernement reconnaît également
l'importance des retombées économiques qu'entraîne dans
toutes les régions du pays la vente de biens et services de
télécommunications canadiens à l'étranger.
À la suite de cet examen, le gouvernement a conclu que les
niveaux de compensation proposés par le CRTC étaient
arbitraires, qu'ils semblaient exagérés et pouvaient même
porter préjudice aux intérêts du Canada à l'étranger. Le
gouvernement n'a pas pu relever d'autres instances où des
montants compensatoires d'une telle ampleur étaient imposés
à la mutation d'employés entre des entreprises de télécommu-
nications et leurs filiales non réglementées dans des circons-
tances semblables. Le gouvernement a aussi remarqué que
les niveaux de compensation accordés par la BCI à Bell
Canada étaient du même ordre que ceux payés par la BCI à
d'autres entreprises de télécommunications canadiennes
réglementées lorsque des employés de ces dernières étaient
temporairement affectés à l'emploi de la BCI. Par consé-
quent, le gouvernement est d'avis que le niveau fixé par le
CRTC impose à la BCI un traitement différent de celui qui
est fait à ses concurrents canadiens et constitue un handicap
par rapport à ses principaux concurrents étrangers.
De plus, le gouvernement est d'avis que le seul coût
indirect suggéré par des intervenants qu'il conviendrait de
rembourser à Bell Canada est celui relié à la promesse de
réemploi qu'elle fait aux employés mutés à la BCI. Le
gouvernement a donc modifié la décision en conséquence.
Comme aucune information permettant d'établir la valeur de
ce service n'a été présentée au CRTC, le gouverneur en
conseil demande à Bell Canada de déposer devant le Conseil,
d'ici au 15 juin 1988, un devis estimatif vérifié des coûts liés
aux promesses de réemploi, ainsi que toute l'information et la
documentation dont le Conseil pourrait avoir besoin pour
effectuer ses propres calculs.
Le communiqué a été publié soit en même
temps, soit tout de suite après la promulgation du
décret. Il n'émanait pas du gouverneur en conseil
mais de l'«attachée de presse, Cabinet de la Minis-
tre, Ottawa ...» (page 3), apparemment par l'in-
termédiaire de «la Direction générale de l'informa-
tion» également à Ottawa, et il portait le logo du
ministère des Communications. Comme il s'agis-
sait d'un communiqué, destiné à renseigner le
public et donc, à lui présenter une image favorable
de l'intervention du gouverneur en conseil, il n'a
pas été démontré qu'il s'agissait d'une «déclaration
ayant l'effet d'un règlement», qui serait formulée
avant la rédaction ou la promulgation d'un décret
et qui serait en fait la base dudit décret.
On pourrait certes démontrer, par inférence, que
le gouverneur en conseil a pu être trompé et mal
informé lors de la rédaction du décret, par une
déclaration ayant l'effet d'un règlement, mais il ne
peut en être ainsi d'un communiqué qui a pu être
rédigé par l'attaché de presse d'un ministre. Le
procureur des demandeurs exhorte la Cour, sans
objection de la part des procureurs adverses, à
adopter une attitude terre à terre et à comprendre
la façon dont ces choses fonctionnent réellement.
Suivant ce critère, on ne se fierait pas trop à ces
communiqués, puisque les personnes averties com-
prennent que, dans les communiqués du gouverne-
ment fédéral ou des provinces, peu importe leur
allégeance, il y a une bonne dose d'opportunisme
politique. En effet, si par une coïncidence heu-
reuse, des conséquences favorables d'un décret
peuvent être décelées au-delà des limites imposées
par la loi cadre, pourquoi l'attachée de presse d'un
ministre un tant soit peu compétente ne les inté-
grerait-elle pas dans un communiqué? Il n'y a,
dans le communiqué, aucune preuve, même par
présomption, que lorsqu'il a pris le décret C.P.
1988-762, le gouverneur en conseil connaissait
même le contenu du communiqué, et il n'y a
certainement aucune présomption qu'il a été mal
informé ou trompé par ledit communiqué, que l'on
peut considérer comme ayant été rédigé après
l'événement.
Il existe une volumineuse jurisprudence selon
laquelle un décret ou une directive du ministre qui
vise à passer outre aux fonctions impératives d'un
office ou d'une commission (Re. Public Utilities
Review Commission Act (1986), 52 Sask. R. 53;
26 Admin.L.R. 216 (C.A.)), ou qui vise à exami
ner un type différent d'ordonnance ou à faire
quelque chose au-delà ou différent de la portée de
la décision de la Commission (Chambre de com
merce de Jasper Park c. Gouverneur général en
conseil, [1983] 2 C.F. 98 (C.A.), à la page 115; Re
Doctors Hospital and Minister of Health et al.
(1976), 12 O.R. (2d) 164 (H.C. Ont.), à la page
176), est annulable par voie de jugement déclara-
toire et inopérant. Il existe de la jurisprudence au
même effet dans des pays ayant le même système
parlementaire et des traditions de common law
dans leur droit public comme au Canada, même
s'ils n'ont pas les mêmes exigences ou droits consti-
tutionnels pour tous, comme ceux que l'on trouve
au Canada. Il s'agit des arrêts Padfield v. Minister
of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C.
997 (H.L.) d'Angleterre et FAI Insurances Ltd y
Winneke (1982), 41 ALR 1 (H.C.) d'Australie.
Dans cette dernière cause, le juge en chef Gibbs
cite dans le même sens l'arrêt Reade v. Smith,
[1959] N.Z.L.R. 996 (S.C.) de Nouvelle-Zélande.
Dans un contexte quelque peu différent, où le
gouverneur en conseil prend des règlements qui ont
une portée étendue, sinon générale, sans qu'il y ait
litige ou intervention directe dans la décision d'un
quelconque office, tribunal, commission ou autre
organisme exerçant des pouvoirs légaux, l'actuel
juge en chef Dickson, rendant un jugement una-
nime de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt
Thorne's Hardware Ltd. et autres c. Là Reine et
autre, [1983] 1 R.C.S. 106; 143 D.L.R. (3d) 577,
écrivait [aux pages 111 R.C.S.; 581 D.L.R.]:
Les décisions prises par le gouverneur en conseil sur des
questions de commodité publique et de politique générale
sont sans appel et ne peuvent être examinées par voie de
procédures judiciaires. Comme je l'ai déjà indiqué, bien
qu'un décret du Conseil puisse être annulé pour incompé-
tence ou pour tout autre motif péremptoire, seul un cas
flagrant pourrait justifier une pareille mesure. Tel n'est pas
le cas ici. [Non souligné dans le texte original.]
Curieusement, le procureur des demandeurs et
celui des intervenantes ont tous deux cité le pas
sage ci-dessus, à l'appui des prétentions de leurs
clients respectifs.
Lorsqu'on l'analyse, la décision rendue en l'es-
pèce par le gouverneur en conseil, en vertu du
paragraphe 64(1) de la Loi NAMT n'est pas une
question de commodité publique ou de politique
générale. Le gouverneur en conseil intervient pour
une question de commodité privée et au nom des
deux compagnies non réglementées, BCE et BCI,
les intervenantes en l'espèce. Il s'agit non pas d'une
question de politique générale mais plutôt d'une
politique particulière énoncée dans les lettres de la
ministre et le C.P. 1988-762 lui-même, demandant
que le CRTC fonde le dédommagement de Bell sur
les états financiers vérifiés, qu'il adopte une appro-
che comptable eu égard aux dollars et cents déjà
dépensés et non une approche actuarielle des ris-
ques prévisibles. Il ressort par conséquent du juge-
ment rendu dans l'arrêt Thorne's Hardware que ni
le pouvoir conféré au gouverneur en conseil ni
l'exercice particulier de ce pouvoir, n'échappent au
contrôle judiciaire.
Le principe suivant lequel les décrets pris illéga-
lement ne jouissent d'aucune immunité a été
énoncé par la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt Procureur général du Canada c. Inuit
Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S.
735,à la page 748. Le principe bien établi suivant
lequel ni la Souveraine ni la Souveraine en conseil,
y compris le régent canadien de la Souveraine,
n'est au-dessus de la loi a été confirmé, quelques
années plus tard, par la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c.
La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, la page
455.
Afin de bien analyser l'exercice particulier des
pouvoirs conférés par le paragraphe 64(1) de la
Loi nationale sur les attributions en matière de
télécommunications, il faut examiner ce paragra-
phe avec soin. Sauf pour ce qui est de reconnaître
l'existence restreinte d'une «ordonnance, décision,
règle ou règlement de la Commission» qui est
analogue à la compétence comme une étincelle
d'allumage, il n'y a presqu'aucune limite à l'éten-
due des pouvoirs conférés au gouverneur en conseil
par le Parlement. Cet organisme peut, dès lors, à
toute époque, soit à la requête d'une partie, per-
sonne ou compagnie intéressée, soit de son propre
mouvement et sans aucune requête ni demande,
simplement faire ce qu'il veut de toute décision
rendue par le CRTC comme la décision Télécom
88-4, même si elle a été rendue inter partes; et peu
importe ce que le cabinet fera d'un tel règlement,
tout décret lie le CRTC et toutes les parties. Il est
difficile de décrire ces pouvoirs avec des qualifica-
tifs autres qu'arbitraires, despotiques et autocrati-
ques.
La question de savoir si, en temps de paix, la
constitution autorise le Parlement canadien à con-
férer au gouverneur en conseil, par voie de législa-
tion ordinaire, des pouvoirs qui, tout en étant
restreints, sont absolus et d'une durée illimitée,
surtout lorsqu'il n'y a aucune tentative législative
d'invoquer l'article 33 de la Charte ou l'article 2
de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C.
1970, Appendice III], est une question qui devra
être tranchée plus tard. Lors de l'audience, le
procureur des demandeurs s'est abstenu d'attaquer
le pouvoir du Parlement d'adopter le paragraphe
64(1) de la Loi NAMT. La contestation porte sur
la façon dont le gouverneur en conseil a exercé ces
pouvoirs.
Quel genre de pouvoirs est conféré? Dans l'arrêt
Inuit Tapirisat, le juge Estey qualifie ces pouvoirs
de législatifs. Il a fait plusieurs remarques de cette
nature dans [ 1980] 2 R.C.S. que voici:
[aux pages 752 754]
L'article 321 de la Loi sur les chemins de fer, précitée, et
l'article déjà noté de la Loi sur le CRTC autorisent le
Conseil à approuver tous les droits exigés pour l'usage des
téléphones de Bell Canada. Ce faisant, le Conseil décide si le
tarif de taxes proposé est juste et raisonnable et s'il est
discriminatoire. La loi délègue donc au CRTC la fonction
d'approuver les taxes pour le service de téléphone, assortie
d'une directive sur les critères applicables. Le législateur
délègue ensuite au gouverneur en conseil la fonction de fixer
les tarifs, mais cette délégation secondaire joue seulement
après que le Conseil a approuvé un tarif de taxes; une fois
cette condition préalable remplie, le gouverneur en conseil
peut exercer son pouvoir de fixer les tarifs pour le service de
téléphone en modifiant l'ordonnance, la décision, la règle ou
le règlement du CRTC. Alors que le CRTC doit prendre ses
décisions dans un certain cadre, le par. 64(1) n'impose pas à
l'Exécutif de normes ou de règles applicables à l'exercice de
sa fonction de révision des tarifs. Le législateur n'a pas
imposé non plus de normes de procédure expresses ou même
implicites ... On ne peut priver l'Exécutif de son droit
d'avoir recours à son personnel, aux fonctionnaires du minis-
tère concerné, et surtout aux commentaires et aux avis des
ministres membres du conseil, responsables, à ce titre, des
questions d'intérêt public soulevées par la requête, que ces
questions soient de nature économique, politique, commer-
ciale ou autre. Le législateur pourrait ordonner qu'il en soit
autrement, mais l'art. 64 n'impose pas de restriction sembla-
ble au gouverneur en conseil dans l'adoption des règles de
procédure pour l'audition de requêtes en vertu du par. (1).
Cette conclusion s'impose d'autant plus que le par. 64(I)
autorise en outre le gouverneur en conseil à modifier ou
rescinder «de son propre mouvement» une règle ou ordon-
nance du Conseil. C'est là un acte législatif sous la forme la
plus pure qui a pour objet de fixer les tarifs d'un service
public tel un réseau téléphonique.
[aux pages 758 760]
Le paragraphe 64(1) autorise le gouverneur en conseil à
modifier une décision sur les tarifs téléphoniques déjà rendue
par un autre organisme, mais cette distinction ne me paraît
pas pertinente. La possibilité qu'a un citoyen de recourir par
requête à la procédure de révision prévue au par. 64(1), alors
que la loi britannique ne créait pas de droit comparable, ne
constitue pas non plus une différence valable. Le paragraphe
64(1) n'établit qu'une seule procédure de révision, qui peut
cependant être déclenchée de deux façons, c.-à-d. par requête
ou du propre mouvement du gouverneur en conseil. Les
ordonnances en cause dans l'affaire Bates et en l'espèce sont
manifestement de nature législative et j'adopte le raisonne-
ment du juge Megarry qu'aucune audition n'est requise en
pareils cas. Je suis conscient, cependant, que la ligne de
démarcation entre les fonctions de nature législative et les
fonctions de nature administrative n'est pas toujours facile à
tracer: voir Essex County Council v. Ministry of Housing
and Local Government ((1967), 66 L.G.R. 23 (Ch.D.)).
Si, cependant, l'Exécutif s'est vu attribuer une fonction aupa-
ravant remplie par le législatif lui-même et que la res ou
l'objet n'est pas de nature personnelle ou propre au requérant
ou à l'appelant, l'on peut croire que des considérations
différentes entrent en jeu. Le fait que la fonction ait été
attribuée à deux paliers (au CRTC en premier lieu et au
gouverneur en conseil en second lieu) ne change rien, à mon
avis, au caractère anormal de l'affaire du point de vue des
sciences politiques. En pareil cas, la Cour doit revenir à son
rôle fondamental de surveillance de la compétence, et, ce
faisant, interpréter la Loi pour établir si le gouverneur en
conseil a rempli ses fonctions dans les limites du pouvoir et
du mandat que lui a confiés le législateur.
Quoi qu'il en soit, rien au par. 64(1) ne me paraît justifier
l'adoption d'un critère variable pour appliquer à ce paragra-
phe le principe d'équité selon la source des renseignements
communiqués au gouverneur en conseil pour qu'il statue sur
la requête des intimées. Le point fondamental est l'interpré-
tation de cette disposition dans le contexte de la Loi où elle se
trouve. À mon avis, une fois établie, la bonne interprétation à
y donner s'applique à l'ensemble des procédures devant le
gouverneur en conseil.
Il y a à peine huit ans, soit en 1980, la jurispru
dence n'était pas tout à fait la même qu'aujour-
d'hui. Le Parlement et les législateurs élus des
législatures fédérale et provinciales ont agi de
façon décisive et ont considérablement modifié le
fondement juridique et constitutionnel de la longue
discussion didactique du juge Estey quant à la
raison pour laquelle la Cour suprême du Canada,
en 1980, avait simplement suivi à la lettre «cette
disposition dans le contexte de la Loi où elle se
trouve».
Quant aux pouvoirs purement législatifs délé-
gués par le Parlement à l'exécutif, il y a eu peu ou
pas de modification. Cette Cour a jugé que les
véritables pouvoirs législatifs (par exemple, le pou-
voir de prendre des règlements en conformité avec
la teneur d'une loi), accordés à l'exécutif fédéral
ou provincial, sont des pouvoirs supérieurs ayant
beaucoup plus de poids, sur le plan du droit, que
les pouvoirs de réglementation municipaux: voir
Aerlinte Eireann Teoranta c. Canada, [1987] 3
C.F. 383 aux pages 391 et 400 405; 9 F.T.R. 29
(ire inst.), aux pages 34 et 39 42 et C.E. Jamie-
son & Co. (Dominion) Ltd. et autre c. Procureur
général du Canada (1987), 37 C.C.C. (3d) 193
aux pages 231 à 244; 12 F.T.R. 167 (C.F. lie
inst.), aux pages 194 204.
Dans une démocratie parlementaire, le pouvoir
de légiférer évoque la présentation d'un projet de
loi, devant une assemblée ouverte, publique et
(sauf pour le Sénat) démocratiquement élue,
projet de loi que les membres ont le droit de
débattre en le critiquant, en s'y opposant et même
en l'expliquant élogieusement; sauf exceptions, le
gouvernement met en jeu son droit d'exister sui-
vant le résultat du vote, si ledit projet de loi
constitue également une manifestation de con-
fiance dans le gouvernement. Au Canada, la légis-
lature fédérale est formée du Sénat, de la Cham-
bre des communes et de la Reine, représentée par
le gouverneur général. Elle légifère. Ainsi, lorsque
le juge Estey qualifie, dans l'arrêt Inuit Tapirisat,
le pouvoir conféré en vertu du paragraphe 64(1) de
«législatif», il ne peut avoir eu en tête le processus
législatif, le pouvoir et l'institution ci-haut décrits.
Il désignait un pouvoir délégué par le Parlement
par voie de législation. Bien sûr, comme il a été
statué dans cette affaire (à la page 752 R.C.S.), ce
pouvoir n'est ni judiciaire ni décisionnel. Le conti
nuum des procédures décisionnelles va du CRTC à
la Division d'appel de cette Cour et non au gouver-
neur en conseil. Le pouvoir conféré par le paragra-
phe 64(1) pourrait être défini de façon plus exacte
comme étant un pouvoir légal d'intervention en
vue de modifier ou d'annuler des décisions qui ne
seraient pas conformes aux énoncés de principe du
gouvernement dans ces domaines. Qualifier ce
pouvoir de pouvoir législatif dépasse le cadre fixé
par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt
Thorne's Hardware, ci-dessus mentionné, dans
tous les cas comme en l'espèce où le pouvoir n'est
pas exercé relativement à «des questions de com-
modité publique et de politique générale». Le fait
de déterminer à l'occasion les frontières du port de
Saint John est un véritable pouvoir législatif. Tou-
tefois, modifier la décision du CRTC dans la cause
de Bell, conformément à la politique discrète du
gouvernement quant au calcul du dédommagement
approprié lorsque Bell prête ses employés à la BCI,
en indiquant au CRTC quels facteurs exclusifs
utiliser pour faire le calcul, est moins législatif
selon le sens donné à ce terme dans l'arrêt Thor-
ne's Hardware. Il ne s'agit ni d'une question de
commodité publique ni de politique générale.
Ce pouvoir de rendre des décisions sur des ques
tions de commodité privée et de politique discrète
est un pouvoir spécial de régir les délibérations
ainsi que les conclusions et les actes administratifs
du CRTC. Ce n'est pas un pouvoir tout à fait
général car il ne touche que les décisions, ordon-
nances, règles ou règlements pris par le Conseil et
que le gouverneur en conseil souhaite modifier ou
rescinder. Il dépasse également le cadre des droits
et obligations des personnes lesquels peuvent être
déterminés lors des procédures devant le CRTC.
Cela montre l'importance de se rappeler que le
jugement rendu dans Inuit Tapirisat a été quelque
peu dépassé par des événements très importants
survenus depuis lors. Deux de ces événements sont
les modifications de 1982 à la Constitution [Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et la
réanimation de la Déclaration canadienne des
droits par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, aux pages
226 à 231.
Les amendements et le rapatriement de la Cons
titution en 1982 sont très importants non seule-
ment à cause de l'enchâssement de la Charte
canadienne des droits et libertés et tout ce que cela
entraîne, mais également parce que les législateurs
canadiens ont dans les faits ajouté aux définitions
écrites quant au genre de pays qu'est le Canada.
Ces deux volets sont distincts puisque les nouvelles
définitions écrites, même si certaines d'entre elles
sont incorporées dans la Charte, sont tout à fait
indépendantes de ses dispositions, et constituent à
tous égards les définitions constitutionelles du
Canada. La première de ces définitions a été ins-
crite dans les dispositions liminaires de la Loi
constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n°5] (mod.
par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1)], décrétant que le Canada aurait «une
constitution semblable dans son principe à celle du
Royaume-Uni». C'est ainsi que furent importées
toutes les conventions et les traditions constitution-
nelles non écrites, y compris celles qui ont été
constituées par la common law qui est le fonde-
ment du droit public au Canada et dans toutes les
provinces et qui ont été incorporées dans ladite
common law. D'autres raffinements ont été appor-
tés par la jurisprudence, mais en 1960, le pouvoir
législatif a, encore une fois, pour le Dominion cette
fois, défini le Canada par écrit en déclarant que la
nation canadienne est fondée sur des principes qui
reconnaissent notamment «une société d'hommes
libres et d'institutions libres» lesquels «ne demeu-
rent libres que dans la mesure où la liberté s'ins-
pire du respect des valeurs morales et spirituelles
et du règne du droit». Ces énoncés, qui précèdent
les dispositions de fond de la Déclaration cana-
dienne des droits, ont été adoptés par le Parlement
dans le contexte des lois du Canada uniquement et
non de celles des provinces. Une fois de plus en
1981 et 1982, les législateurs élus du fédéral et des
provinces (de concert avec les législateurs non élus
du Sénat) ont défini la position légale et constitu-
tionnelle du Canada dans les derniers amende-
ments qu'ils ont persuadé le Parlement de West-
minster d'adopter eu égard à la constitution du
Canada. Encore une fois, on retrouve l'énoncé
selon lequel le Canada est fondé sur des principes
qui «reconnaissent la suprématie de Dieu et la
primauté du droit», mais cet énoncé est enchâssé
dans la constitution vis-à-vis les lois nationales et
provinciales et les institutions, dans cette «société
libre et démocratique» qui n'impose que des «limi-
tes qui soient raisonnables» aux «droits et libertés»
des Canadiens qui sont garantis par la Charte, et
qui «ne peuvent être restreints que par une règle de
droit ... dont la justification puisse se démontrer».
À l'instar de la Déclaration canadienne des droits
qui l'a précédée, la Charte prend position contre le
traitement injuste, inégal ou arbitraire des person-
nes; et si le Parlement tentait un jour d'agir ainsi,
les législateurs précédents ont exigé qu'il le fasse
de façon délibérée en prévoyant que la législation
en question énonce qu'elle est adoptée nonobstant
la Déclaration canadienne des droits ou l'article 2
ou les articles 7 à 15 de la Charte.
Ainsi, la Charte a été enchâssée et la Déclara-
tion canadienne des droits a été réanimée lorsque
la Cour suprême du Canada, par la voix du juge
Estey, a rendu son jugement dans l'arrêt Inuit
Tapirisat. Quoique le juge Estey reconnût la dis
tinction entre le fait d'intervenir, pour des motifs
de politique, en vue de corriger une décision
rendue entre des parties, et le fait de légiférer pour
le public en général (à la page 752 R.C.S.), il était
toutefois libre de grouper les deux volets en une
simple fonction législative. Comme s'il voulait con-
firmer cette qualification de la fonction, lorsque le
juge Estey a demandé s'il y avait une obligation de
respecter les règles de justice naturelle, ou tout au
moins, l'obligation moindre d'agir équitablement
(à la page 745 R.C.S.), il a finalement répondu
par la négative (aux pages 755 et 756 R.C.S.)
parce que «le Cabinet doit être libre de consulter
toutes les sources auxquelles le législateur lui-
même aurait pu faire appel s'il s'était réservé cette
fonction». Ainsi, parce que le pouvoir d'intervenir
inter partes est mêlé ou amalgamé avec le pouvoir
de légiférer, et que le législateur n'est pas tenu (à
tout le moins entre les élections) de consulter ou
d'entendre tout le monde, le juge a alors conclu
que la règle principale de justice fondamentale
audi alteram partem ne pose aucune restriction au
gouverneur en conseil lorsqu'il intervient dans une
décision rendue entre les parties par le CRTC. Il
ne fait aucun doute que le juge Estey a fait état du
droit tel qu'il était le 7 octobre 1980, mais cette
analyse n'est plus valide en 1988.
Aujourd'hui surtout, à cause des travaux conti-
nus de l'exécutif et du législatif des gouvernements
au Canada, nous nous sommes considérés sur le
plan constitutionnel, comme l'antithèse même d'un
État où les pouvoirs arbitraires, despotiques et
autocratiques, comme ceux conférés par le para-
graphe 64(1), sont remis entre les mains d'un
office, d'une commission ou d'un autre tribunal
fédéral. On peut supposer que, lorsqu'il confie ces
pouvoirs à une personne ou à un groupe de person-
nes, incluant le Cabinet, le Parlement s'attend à ce
que l'exercice de ces pouvoirs soit interprété en
conformité avec la Constitution et la teneur de la
loi.
Les demandeurs appuient leur attaque du décret
C.P. 1988-762 sur l'article 15 de la Charte. Ils
sont bien peu aidés par cette disposition parce
qu'elle exige essentiellement de toutes les person-
nes en autorité qu'elles traitent de la même façon
tous ceux qui sont dans une situation identique
quant à leur statut, état ou position juridique.
L'article 15, qui est en vigueur depuis le 17 avril
1985, prévoit que la loi ne fait acception de per-
sonne et s'applique également à tous indépendam-
ment de toute discrimination fondée sur les divers
attributs et caractéristiques humains.
L'article 15 ne garantit pas aux sociétés le droit
à l'égalité et à la non discrimination. Cette affir
mation a été faite clairement, même si elle était
entre parenthèses, dans une décision unanime de la
Division d'appel de cette Cour Smith, Kline &
French Laboratories Ltd. c. Canada (procureur
général), [1987] 2 C.F. 359; (1986), 27 C.R.R.
286; 34 D.L.R. (4th) 584; 12 C.P.R. (3d) 385; 78
N.R. 30, où aux pages 364 C.F., à la note 2 en bas
de page; 290 C.R.R.; 588 D.L.R.; 388 C.P.R.; 30
N.R., la Cour conclut:
Tous les problèmes possibles résultant de la tentative par les
demandeurs qui sont des personnes morales de faire valoir
des droits dont seuls les particuliers peuvent jouir sont tran-
chés par la conclusion du juge de première instance, qui n'est
pas contestée en appel, selon laquelle les particuliers faisant
partie des demandeurs possèdent l'intérêt nécessaire pour
faire valoir la réclamation pour leur propre compte.
Une demande d'autorisation d'interjeter appel à la
Cour suprême du Canada a été rejetée: [1987] 1
R.C.S. xiv. Tout d'abord, aucune des parties ou
des intervenantes ne peut faire valoir un droit à
l'égalité devant la Souveraine, qu'elle soit désignée
comme La Reine, la Couronne, le gouverneur
général en conseil, le gouvernement du Canada ou
l'une de ses émanations ou les divers offices, com
missions ou autres tribunaux fédéraux qui ont été
constitués par une loi. On peut tenir cette règle
pour acquise dans la jurisprudence suivante: R. v.
Stoddard (1987), 59 C.R. (3d) 134 (C.A. Ont.), le
juge Tarnopolsky de la Cour d'appel, à la page
145; Ominayak v. Norcen Energy Resources Ltd.
(1987), 83 A.R. 363 (B.R.) et Leighton c. Canada,
(C.F. 1" inst. T-165-85, 18 mai 1988 encore
inédit).
En l'espèce, la seule partie qui est un particulier,
le demandeur Arthur Milner n'a pas établi qu'il
avait le droit d'être traité de façon égale à tout
autre individu se trouvant dans la même situation.
Comme les deux personnes morales intervenantes,
il n'était pas partie aux procédures devant le
CRTC. Toutefois, contrairement à la BCE ou à la
BCI, M. Milner n'était pas non plus une partie ni
même une partie éventuelle aux procédures enga
gées en vertu du paragraphe 64(1). Les parties qui
sont des personnes morales en l'espèce semblent
être dans une situation relativement similaire mais
l'article 15 de la Charte ne peut rien faire pour ou
contre ces dernières puisque son rayon d'action
vise les droits des humains et non ceux des person-
nes morales. Ainsi donc, le recours des deman-
deurs à l'article 15 de la Charte en vue de contes-
ter la promulgation par le Cabinet du C.P.
1988-762 doit être rejeté pour ce motif.
Les arguments de tous les procureurs et les
questions soulevées par la Cour à leur sujet vont
bien au-delà de l'article 15 de la Charte. Lors d'un
litige ordinaire, la Cour n'est pas tenue de venir au
secours d'une partie dont les plaidoiries sont inep-
tes ou en dehors du but visé. Toutefois, comme le
juge Beetz l'a clairement laissé entendre dans le
jugement unanime de la Cour suprême du Canada
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan
Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, à la page 135,
dans les causes de droit constitutionnel, les tribu-
naux «ont jugé nécessaire de subordonner les inté-
rêts des plaideurs privés à l'intérêt public». Dans
une affaire de droit constitutionnel, la Cour ne doit
pas laisser avorter la cause d'un plaideur privé, si
cela entraîne une déformation ou une contradic
tion des principes ou des impératifs constitution-
nels. Ainsi, même si les demandeurs ont commencé
par invoquer l'article 15 de la Charte, la Cour a
recommandé aux procureurs de présenter des
arguments fondés sur l'alinéa 2e) de la Déclara-
tion canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III. Même si à l'origine les demandeurs n'ont
pas soulevé cette disposition de la Déclaration
canadienne des droits, la Cour est chargée en
vertu de la Constitution d'assurer la suprématie de
cette dernière et d'empêcher toute atteinte à ses
principes, si tel était le cas, ou ce qui est aussi
grave, de prévenir l'oubli ou l'ignorance desdits
principes. On a donc, au cours du procès, examiné
l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des
droits, comme il se devait dans les circonstances.
La Déclaration canadienne des droits a une
portée quasi constitutionnelle, contrairement à la
Charte qui est enchâssée dans la constitution et qui
lie toutes les législatures et tous les gouvernements
au Canada, y compris le Parlement et le gouverne-
ment fédéral. La Déclaration canadienne des
droits est une loi du Parlement ayant reçue la
sanction royale le 10 août 1960. L'article 2 déclare
que toutes les autres lois du Canada, c'est-à-dire
les lois fédérales, doivent s'interpréter et s'appli-
quer de manière à lui donner son sens. L'alinéa 2e)
ordonne:
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement
du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera
nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s'inter-
préter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restrein-
dre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés
reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la
suppression, la diminution ou la transgression, et en particu-
lier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer
comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale
de sa cause, selon les principes de justice fondamentale,
pour la définition de ses droits et obligations.
Pendant plusieurs années, on semble avoir consi-
déré que la Déclaration canadienne des droits était
dans un état moribond. Puis en 1985, les positions
également divisées de la Cour suprême du Canada
se basaient respectivement sur la Charte et sur la
Déclaration canadienne des droits pour arriver à
la conclusion unique dans l'arrêt déjà mentionné
Singh. Aucun argument n'avait été présenté à
l'époque de la première audience mais, comme en
l'espèce, la Cour suprême du Canada, de son
propre chef, a demandé des observations sur l'ap-
plication de la Déclaration canadienne des droits.
A la fin, le juge Beetz a rendu un jugement au
nom de la moitié des juges ayant siégé lors de cette
affaire, en faveur de l'applicabilité de la Déclara-
tion canadienne des droits.
Voici un passage important des motifs du juge
Beetz qui figure à la page 228 R.C.S. et il dit:
... je ne suis pas tout à fait convaincu qu'il ait reconnu que
les «droits» mentionnés à l'al. 2e) de la Déclaration cana-
dienne des droits ne sont pas les mêmes droits, ou des droits
de même nature, que ceux énumérés à l'art. I, dont «le droit
de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne
... et le droit de ne s'en voir privé que par l'application
régulière de la loi».
Quoi qu'il en soit, il me semble évident que l'al. 2e) a une
portée plus large que la liste des droits énumérés à l'art. I et
désignés comme «droits de l'homme et libertés fondamenta-
les», tandis qu'à l'al. 2e), ce que protège le droit à une
audition impartiale, c'est la définition des «droits et obliga
tions» d'une personne quels qu'ils soient et dans tous les cas
où le processus de définition relève de l'autorité législative du
Parlement du Canada. Il est vrai que la première partie de
l'art. 2 parle «des droits ou des libertés reconnus et déclarés
aux présentes», mais l'al. 2e) protège un droit fondamental,
savoir le «droit à une audition impartiale de sa cause, selon
les principes de justice fondamentale», pour la définition des
droits et des obligations d'une personne, qu'ils soient fonda-
mentaux au non. Je suis d'avis que comme l'a fait valoir
M` Coveney, il est possible d'appliquer l'al. 2e) sans se
référer à l'art. 1 et que le droit garanti par l'al. 2e) n'est
nullement limité par la notion «d'application régulière de la
loi» mentionnée à l'al. l a). [Non souligné dans le texte
original.]
Plus loin, aux pages 238 et 239, le juge conclut que
la Déclaration canadienne des droits s'applique
également aux dispositions législatives adoptées
autant avant et qu'après l'entrée en vigueur de la
Déclaration canadienne des droits. Qui plus est,
dans une récente décision unanime de la Division
d'appel de cette Cour concernant les droits du
parrain à une audience impartiale devant la Com
mission d'appel de l'immigration, l'arrêt Rajpaul
c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion), [1988] 3 C.F. 157, l'alinéa 2e) a été étoffé
par cette conclusion du juge Mahoney [à la page
159]:
Le savant juge de première instance a cité de très nom-
breuses décisions et de nombreux auteurs à l'appui de sa
conclusion que l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des
droits [S.R.C. 1970, Appendice Ill] s'appliquait à l'audition
de l'appel. Ces décisions et ces auteurs ne seront pas repris
ici; nous sommes d'accord avec la conclusion.
Le terme «individu» n'inclut pas les personnes
morales qui sont toutefois comprises dans le terme
«personnes». On peut donc considérer que l'alinéa
2e) s'applique aux individus et aux personnes
morales. Le processus de détermination par le
gouverneur en conseil, comme il a été démontré,
est sous l'autorité législative du Parlement du
Canada, qui est conférée par le paragraphe 64(1)
de la Loi NAMT.
Ainsi donc, il y a eu la décision CRTC 88-4
(précédée de la décision CRTC 86-17) rendue
après une détermination impartiale des questions
soulevées par les parties en litige, dans lequel
l'ONAP était une partie dont la position et la
contribution au débat ont été reconnues par le
CRTC qui lui a adjugé les dépens. Sur ce, deux
compagnies liées non réglementées se sont glissées
derrière le «rideau» imaginaire afin de «souffler»
une requête aux oreilles du Cabinet, visant à faire
rescinder ou modifier une partie importante de la
décision du CRTC durement mais justement
gagnée. Il s'agissait d'un «murmure» puisqu'il a été
démontré que c'était une requête confidentielle.
L'ONAP a peut-être à tort refusé d'accepter la
condition de garder le secret et elle a ainsi fermé
les yeux au sens figuré, mais elle a demandé dans
sa lettre au greffier du Conseil privé un délai en
vue de préparer une contre-proposition.
Si le gouverneur en conseil avait accordé un
délai pour permettre une réponse ou même, s'il
avait accusé réception d'une quelconque façon de
la demande de l'ONAP, les motifs en l'espèce
auraient été beaucoup plus courts, sinon inexis-
tants. Le gouverneur en conseil ne s'apprêtait
quand même pas à adopter une loi concernant «des
questions de commodité publique et de politique
générale», pour emprunter les termes du jugement
de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Thor-
ne's Hardware Ltd. Il allait plutôt intervenir dans
une décision du CRTC rendue entre les parties au
litige, en se fondant sur une requête soufflée par
des personnes qui n'étaient pas des parties.
Il allait exercer son pouvoir de conseiller rectifi-
cateur sur une question précise de détermination
des droits et obligations des parties. (L'emploi du
pronom personnel à l'alinéa 2e) dans l'expression
«ses droits et obligations» n'a aucune conséquence.
Après tout, l'expression «à sa discrétion» est utili
sée au paragraphe 64(1), eu égard au gouverneur
en conseil). L'ONAP, représentant les abonnés de
Bell, comme l'a admis le CRTC, et Bell elle-
même, allaient voir les droits et obligations desdits
abonnés être déterminés par le gouverneur en
conseil.
Le gouverneur en conseil a agi, ne tenant tout
simplement pas compte de la demande de l'ONAP
d'être «entendue», c'est-à-dire de présenter des
observations écrites. En 1988, le gouverneur en
conseil doit respecter les canons de base de «justice
naturelle», «justice fondamentale» ou tout simple-
ment d'impartialité; c'est la règle audi alteram
partem, qui oblige à entendre l'autre partie avant
de déterminer les droits et obligations de celle-ci.
En l'absence d'urgence ou d'exigences relatives au
renseignement de sécurité, le gouverneur en conseil
ne peut légalement agir autrement.
Le décret C.P. 1988-762 opère une telle déter-
mination même s'il renvoie la question au CRTC,
parce que ledit décret limite les éléments dont le
CRTC doit tenir compte aux frais vérifiés de Bell
et empêche des considérations plus générales au
sujet desquelles la ministre, dans sa correspon-
dance antérieure, avait indiqué qu'elle n'avait pas
l'intention de donner cette fausse impression de
restriction. Ainsi Bell, pour obtenir le dédommage-
ment que le CRTC lui avait accordé en acceptant
de ne pas augmenter les tarifs réclamés à ses
abonnés, et les abonnés représentés par l'ONAP,
ont vu en fait leurs droits et obligations détermi-
nés, malgré le renvoi au CRTC. Etant donné que
ces ordonnances, tarifs et réglementations ont eu
lieu conformément aux lois du Canada, il n'y a pas
d'édulcoration ou de déni des droits et obligations
mêmes dont il est question à l'alinéa 2e) de la
Déclaration canadienne des droits.
Le décret C.P. 1988-762 doit être annulé, mais
sans préjudice du droit incontesté du gouverneur
en conseil de reprendre la question, légalement
cette fois, en demandant une réponse de chaque
personne, entreprise ou compagnie qui était partie
aux procédures devant le CRTC. C'est la seule
façon d'assurer à tous, qu'ils répondent ou non, le
droit à une audition impartiale selon les principes
de justice fondamentale pour la détermination de
leurs droits et obligations.
Une personne cynique pourrait demander s'il y a
des conséquences, si le gouverneur en conseil ne
tient pas compte de telles réponses. La réponse se
trouve dans les motifs du juge Estey dans l'arrêt
Inuit Tapirisat, d'où on peut tirer plusieurs ensei-
gnements. Ainsi, on pourrait répondre à la ques
tion imaginaire du cynique en citant ce que le juge
Estey a écrit à la page 753 concernant le cas où le
gouverneur en conseil n'examinerait pas le contenu
d'une requête. La même chose s'appliquerait à une
réponse. Il serait tout simplement illégal, avec
toutes les conséquences qui en découlent, de ne pas
tenir compte d'une requête ou d'une réponse d'une
autre partie parce qu'une telle omission constitue-
rait une absence d'Kaudition». Le gouverneur en
conseil a habituellement à son service plusieurs
personnes intelligentes et instruites pour l'aider
dans de tels cas, son personnel ainsi que le person
nel du ministère concerné par la question, toutes
ces personnes étant mentionnées par le juge Estey
à la page 753 R.C.S., auxquelles il peut légalement
faire appel pour l'aider à examiner les réponses et
les requêtes.
Au Royaume-Uni, et dans la partie désignée sur
le plan administratif comme l'Angleterre et le pays
de Galles, il n'y a évidemment pas de Déclaration
canadienne des droits en vigueur, mais unique-
ment les droits et obligations prévus par la
common law. Ainsi, dans l'arrêt Padfield v.
Minister of Agriculture, Fisheries and Food men-
tionné ci-dessus, où une loi du Parlement a conféré
au ministre le pouvoir discrétionnaire de renvoyer
une plainte, la même question cynique s'est posée.
Lord Pearce a écrit, aux pages 1053 et 1054 A.C.:
[TRADUCTION] Il est très évident à la lecture de la loi
concernée que le ministre doit avoir quelque obligation au
sujet de la question. On admet qu'il doit examiner attentive-
ment la plainte. Il ne peut la jeter aux poubelles sans la lire.
Il ne peut simplement dire (même honnêtement) «Je crois
qu'en général l'enquête sur les plaintes a un effet perturba-
teur sur la question et crée plus de problèmes (tout bien
considéré) qu'il n'est justifié; je ne renverrai, par conséquent,
plus rien au comité d'enquête». Lui permettre de faire une
telle chose serait lui donner le pouvoir de mettre de côté pour
la durée de sa charge de ministre, l'intention claire du
Parlement, savoir qu'un comité indépendant institué à cette
fin puisse examiner les griefs et que son rapport soit soumis
au Parlement. Il est évident que cela n'a jamais été prévu
dans la loi. Il n'a jamais été prévu non plus qu'il pourra
discrètement étouffer son intention en négligeant de respecter
son but. Je ne considère pas l'omission ou le refus d'un
ministre de donner des motifs comme une raison suffisante
pour exclure le pouvoir de surveillance de la Cour. Si tous les
motifs prima fade semblent favoriser la voie qu'il a choisie
pour respecter les intentions du Parlement concernant un
pouvoir qui lui a été conféré à cette fin, et qu'il ne donne
aucune raison pour prendre une direction contraire, la Cour
peut déduire qu'il n'a aucune bonne raison et qu'il n'exerce
pas le pouvoir qui lui a été conféré par le Parlement pour
atteindre son but. En l'espèce, toutefois, le ministre a fourni
des motifs qui démontrent qu'il n'exerçait pas son pouvoir
discrétionnaire selon les intentions de la loi.
Dans la même décision, lord Upjohn déclare à la
page 1058 A.C.:
[TRADUCTION] L'ordonnance de prérogative est le seul
moyen de soumettre le ministre, dans l'exercice des pouvoirs
et fonctions qu'il tient de la loi, à un contrôle judiciaire,
ordonnance qui ne sera délivrée que s'il agit illégalement.
Aux fins du présent appel, on peut dire avec assez de
précision qu'une conduite illégale du ministre (et j'adopte ici
la classification adoptée par lord Parker, juge en chef, de la
cour divisionnaire) consiste: a) à refuser catégoriquement
d'examiner la question pertinente; b) à commettre une erreur
sur un point de droit; e) à tenir compte d'un facteur complè-
tement inapproprié ou étranger; ou d) à omettre entièrement
de tenir compte d'une considération appropriée.
Il existe une jurisprudence abondante à l'appui de ces
propositions qui n'ont pas été contestées lors des plaidoiries.
En pratique, elles s'intègrent une dans l'autre et à la fin, cela
revient à déterminer si, pour une quelconque raison, le
ministre a agi illégalement, commettant une erreur sur un
point de droit et en omettant d'observer les autres règles que
j'ai mentionnées. [Non souligné dans le texte original.]
Tel était l'état de la common law en Angleterre
qui remonte à 1968.
Au Canada, en 1988, la loi exige non seulement
que toutes les parties devant le CRTC (autres que
le(s) requérant(s) devant le gouverneur en conseil)
bénéficient d'une chance raisonnable de répondre
par écrit à la requête, mais également que leur
réponse (le cas échéant) soit considérée avec
autant de soin et d'attention que la requête origi-
nale. C'est-à-dire que la requête et toutes les
réponses doivent être examinées méticuleusement
et sérieusement. Si le gouverneur en conseil dispo-
sait de ces réponses, au sens propre ou figuré, en
les mettant à la poubelle, rien au paragraphe 64(1)
ne pourrait empêcher cet organisme d'agir tout à
fait illégalement et il serait en droit, au début à
tout le moins, sujet à une dénonciation publique
par quiconque le saurait.
L'obligation de recevoir des observations
emporte inévitablement le devoir de les examiner
sérieusement, parce qu'un examen moins attentif
enlèverait clairement aux autres parties le droit à
une audition impartiale conformément aux princi-
pes de justice fondamentale pour la détermination
de leurs droits et obligations. Par conséquent, un
examen moins attentif violerait l'alinéa 2e) de la
Déclaration canadienne des droits. Aucune partie
n'a pu mentionner une disposition d'une loi fédé-
rale disant expressément que le paragraphe 64(1)
de la Loi NAMPT peut «s'appliquer nonobstant la
Déclaration canadienne des droits».
Il n'aurait pas dû incomber à cette Cour d'inter-
préter seule les pouvoirs du gouverneur en conseil
en vertu du paragraphe 64(1), lorsque ledit gou-
verneur intervient dans une décision rendue entre
des parties au litige, conformément à la Déclara-
tion canadienne des droits. Le Parlement aurait pu
lui-même restreindre l'application du paragraphe
64(1) par une loi modificatrice appropriée. Encore
une fois, les conseillers juridiques de la Couronne
auraient pu recommander une telle interprétation
restrictive et l'exercice contrôlé des pouvoirs confé-
rés par la loi. La Cour n'est pas nécessairement
l'institution de première instance et elle préférerait
ne pas l'être.
Le contrôle judiciaire est néanmoins légitime à
toutes les étapes d'un conflit malgré l'opinion,
clairement exprimée dans certains milieux des
États-Unis d'Amérique et même au Canada, que
le contrôle judiciaire est quelque peu antimajori-
taire, une expression polie pour dire antidémocrati-
que. En effet, il est évident qu'au Canada, les
moyens constitutionnels de contrôle judiciaire dans
la Déclaration canadienne des droits et la Charte,
ont été rédigés et inclus par des législateurs élus
par le peuple. C'est la Cour suprême du Canada,
dans le jugement rendu à la majorité dans le
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., et rédigé
par le juge Lamer qui, certains diront «ironique-
ment», répudiait la théorie antimajoritaire du con-
trôle judiciaire. Les juges minoritaires étaient
d'accord sur ce point. La cause est citée à [1985] 2
R.C.S. 486 et l'extrait pertinent se trouve à la page
497:
C'est un argument qu'on a entendu maintes et maintes fois
avant l'enchâssement de la Charte, mais qui, en vérité, pour
le meilleur ou pour le pire, a été réglé par l'entrée en vigueur
même de la Loi constitutionnelle de /982. Il ne faut pas
oublier que la décision historique d'enchâsser la Charte dans
notre Constitution a été prise non pas par les tribunaux, mais
par les représentants élus de la population canadienne. Ce
sont ces représentants qui ont étendu la portée des décisions
constitutionnelles et confié aux tribunaux cette responsabilité
à la fois nouvelle et lourde. On doit aborder les décisions en
vertu de la Charte en se libérant de tout doute qui peut
subsister quant à leur légitimité.
On peut dire la même chose de la genèse générale
de la Déclaration canadienne des droits et des
décisions rendues conformément à celle-ci. La
législature est capable, toutefois, d'entreprendre
une réforme beaucoup plus appropriée et complète
de la loi en conformité avec la Déclaration cana-
dienne des droits et la Charte, parce que le rôle
des tribunaux se limite à examiner chaque cas
particulier qui leur est soumis.
Pour conclure, le décret C.P. 1988-762 est
déclaré nul et non avenu et inopérant puisqu'il
empiète sur les droits des demandeurs énoncés à
l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des
droits, sans préjudice de la possibilité pour le
gouverneur en conseil de reformuler ses pouvoirs
conformément au paragraphe 64(1) de la Loi
NAMPT sur le même sujet, mais de façon légale,
comme il est prévu aux présentes.
Les procureurs des parties et des intervenantes
étaient tous d'accord pour qu'il n'y ait aucune
adjudication des dépens directs ou accessoires aux
présentes procédures. La Cour y souscrit.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.