A-1345-87
Canada Packers Inc. (appelante) (requérante)
c.
Ministre de l'Agriculture (intimé) (intimé)
et
Commissaire à l'information du Canada et Jim
Romahn (parties intervenantes)
A-540-88
Canada Packers Inc. (appelante) (requérante)
c.
Ministre de l'Agriculture (intimé) (intimé)
et
Ken Rubin et Commissaire à l'information du
Canada (parties intervenantes)
RÉPERTORIÉ: CANADA PACKERS INC. c. CANADA (MINISTRE
DE L'AGRICULTURE) (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et MacGuigan—
Toronto, 17, 18, 19 et 20 mai; Ottawa, 8 juillet
1988.
Accès à l'information — Rapports établis en 1983 par une
équipe de vérification de l'inspection des viandes — Appel des
rejets de demandes faites à l'encontre de la communication —
Le juge des requêtes a eu tort d'exiger la présence d'un alien
direct» entre la communication et le préjudice subi — Ce qui
est déterminant est l'expression .risquerait vraisemblablement
de» figurant à l'art. 20(1)c) et d) — Un risque vraisemblable
de préjudice probable s'impose — Le juge des requêtes a eu
tort d'invoquer l'art. 20(6) pour ordonner la communication
des rapports — Le ministre n'ayant pas exercé le pouvoir
discrétionnaire qu'il tient de l'art. 20(6), la Cour ne saurait
l'exercer à sa place — L'art. 20(1)b) n'est pas pertinent —
L'appelante n'a pas établi une probabilité de préjudice appré-
ciable — Chaque rapport doit être examiné séparément et
dans le contexte d'autres rapports demandés — Appel rejeté.
Interprétation des lois — L'art. 20(1)c), d) de la Loi sur
l'accès à l'information prévoit des exceptions au droit d'accès
— L'emploi du verbe ..result in» (causer) implique-t-il la
nécessité d'un lien direct entre la communication et la perte
financière subie? — Choix du verbe déterminant parmi plu-
sieurs possibilités — La méthode d'interprétation qui consiste
à examiner les termes dans leur contexte global exige l'exa-
men de l'objet de la Loi.
Il s'agit d'appels formés contre le rejet des demandes faites à
l'encontre de la communication de renseignements de tiers sous
le régime de la Loi sur l'accès à l'information. Un journaliste
et un recherchiste en consommation ont demandé la communi-
cation des rapports d'une équipe de vérification de l'inspection
des viandes concernant les abattoirs dans la région de Kitchener
au cours de l'année 1983. Les rapports devaient être communi-
qués sauf les renseignements exemptés parce que confidentiels
sous le régime de l'alinéa 20(1)b) de la Loi. Une demande
fondée sur l'article 44 et faite à l'encontre de la communication
avait été rejetée. Le juge des requêtes a statué que «la preuve
qu'il y a eu préjudice au sens des alinéas 20(1)c) et d) doit être
détaillée et convaincante et qu'elle doit indiquer la présence
d'un lien direct entre la communication et le préjudice subi». Il
a conclu que les documents n'étaient pas visés par l'alinéa
20(1)c) ou d), et il s'est fondé sur le paragraphe 20(6) pour
ordonner la communication des rapports. Le paragraphe 20(6)
prévoit que «Le responsable d'une institution fédérale peut
communiquer ... tout document ... » L'appelante s'inquiétait
de ce que les rapports étaient des «bulletins défavorables» parce
qu'ils avaient pour but de souligner les lacunes existant dans les
installations de l'usine, et qu'ils ne comportaient aucun com-
mentaire sur les conditions satisfaisantes. Elle redoutait égale-
ment les reportages défavorables qui pourraient entraîner de
sérieuses conséquences dans une industrie où le client est peu
fidèle au produit et qui a une marge de profits constamment
étroite.
Arrêt: les appels devraient être rejetés.
L'exposé du droit fait par le juge des requêtes était imprécis
et trompeur dans tous ses éléments. Il a commis une erreur en
exigeant la présence d'un «lien direct» entre la communication
et le préjudice subi. Une telle approche signifierait que tout
préjudice qui pourrait découler de la couverture des médias par
opposition à la teneur des rapports eux-mêmes ne serait pas
pertinent. Le critère du lien direct en droit délictuel n'est plus
en vogue. Le texte des alinéas c) et d) («des renseignements
dont la divulgation risquerait vraisemblablement de») participe
davantage du critère de la «prévisibilité» que de l'analyse d'un
lien direct de cause à effet. L'emploi du verbe «result in» en
anglais et du verbe «causer» en français à l'alinéa c) est ambigu
pour ce qui est du lien direct de cause à effet. Dans chacune des
propositions figurant aux alinéas c) et d), ce qui est détermi-
nant est non pas le verbe final «causer», «nuire à» ou «entraver»,
mais l'expression initiale, qui est la même dans chaque cas, à
savoir «risquerait vraisemblablement de». Cela implique non
pas une distinction entre une causalité directe et une causalité
indirecte, mais seulement une distinction entre ce qui risquerait
vraisemblablement de se produire et ce qui ne risquerait vrai-
semblablement pas de se produire. Il faut repousser la tentation
d'établir une analogie entre cette expression et le critère de la
prévisibilité en matière de responsabilité délictuelle. La
méthode d'interprétation qui consiste à examiner les termes
dans leur contexte global devrait plutôt être suivie. Examinant
les termes à la lumière de l'objet de la Loi énoncé à l'article 2,
les exceptions au droit d'accès figurant aux alinéas c) et d)
doivent être interprétées comme exigeant un risque vraisembla-
ble de préjudice probable.
Le juge des requêtes a eu tort d'invoquer le paragraphe
20(6). Mais le ministre a uniquement décidé, en vertu du
paragraphe 20(1), de ne pas refuser la communication des
documents demandés. Il n'a pas exercé le pouvoir discrétion-
naire qu'il tient du paragraphe 20(6), et la Cour ne saurait
l'exercer à sa place.
Il convient également de souligner que l'intimé ne pouvait
s'appuyer sur l'alinéa 20(1)b) pour refuser de communiquer
quoi que ce soit sauf le nombre d'animaux abattus et le nombre
d'employés de l'usine, puisqu'il s'agissait des seuls renseigne-
ments fournis par l'appelante. Le reste des renseignements
figurant dans les rapports provenait d'inspections gouvernemen-
tales indépendantes.
Les rapports portent sur les conditions physiques de l'instal-
lation d'emballage des viandes et sur les procédés de fabrication
et d'inspection. De semblables rapports ont indépendamment
été établis pour Washington par des agents de contrôle étran-
gers, qui faisaient partie de l'équipe de vérification de l'admi-
nistration centrale. Ces rapports ont, depuis 1974, été mis à la
disposition du public en vertu de la loi américaine. Les rapports
canadiens ont également été disponibles deux ou trois ans avant
l'entrée en vigueur de la Loi sur l'accès à l'information. Il n'a
été produit aucune preuve d'une publicité défavorable relative-
ment aux rapports américains ou aux rapports canadiens. L'ap-
pelante n'a pu ni étayer sa crainte d'une couverture injuste de
la presse, ni établir l'effet que cette couverture pourrait avoir
sur l'industrie. La probabilité de préjudice appréciable n'a pas
été établie. Une distinction doit être faite entre les rapports
portant sur la sécurité du produit et ceux qui portent sur les
installations.
Bien qu'une décision doive être prise à l'égard de chaque
rapport de vérification distinct, chaque rapport doit être exa-
miné dans le contexte d'autres rapports car la communication
intégrale influerait sur les conséquences raisonnables de sa
divulgation. Certes, les rapports sont tous défavorables dans
une certaine mesure; mais, surtout si l'on considère que plu-
sieurs années se sont écoulées depuis leur rédaction, ils ne sont
pas défavorables au point de donner lieu à une probabilité
raisonnable de perte financière appréciable, de nuire à la
compétitivité ou d'entraver des négociations en vue de contrats.
Ils soulèveraient tout au plus des questions quant aux mesures
prises pour remédier aux lacunes signalées.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Freedom of Information Act, 5 U.S.C., § 552 (1970).
Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83,
chap. 111 (annexe I), art. 2 (mod. par S.C. 1984, chap.
40 art. 79), 20, 44.
Loi sur le droit à l'information, S.N.-B. 1978, chap.
R-10.3, art. 6c).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F.
346; (1985), 60 N.R. 321 (C.A.); Cashin c. Société
Radio-Canada, [1988] 3 C.F. 494 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
McDonald v. McDonald, [1970] 3 O.R. 297 (H.C.); In re
Polemis and Furness, Withy & Co., [1921] 3 K.B. 560
(C.A.); Overseas Tankship (U.K.) Ltd. v. Mort's Dock
and Engineering Co. Ltd. (The Wagon Mound (No. I)),
[1961] A.C. 388; [1961] 1 All E.R. 404 (P.C.); Overseas
Tankship (U.K.) Ltd. v. Miller Steamship Co. Pty., The
Wagon Mound (No. 2), [1967] A.C. 617; [1966] 2 All
E.R. 709 (P.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
National Parks and Conservation Ass'n v. Morton, 498
F.2d 765 (D.C. Cir. 1974); National Parks and Conser
vation Ass'n v. Kleppe, 547 F.2d 673 (D.C. Cir. 1976);
Westinghouse Elec. Corp.—Research and Development
Center v. Brown, 443 F.Supp. 1225 (D.C. Va. 1977);
Gulf & Western Indus. Inc. v. U. S., 615 F.2d 527 (D.C.
Cir. 1979); Public Citizen Health Research Group v.
Food and Drug Admin., 704 F.2d 1280 (D.C. Cir. 1981);
Bande indienne de Sawridge c. Canada (ministre des
affaires indiennes et du Nord canadien) (1987), 10
F.T.R. 48 (C.F. 1" inst.); Re Daigle (1980), 30 N.B.R.
(2d) 209 (B.R.).
DOCTRINE
Linden, Allen M. Canadian Tort Law, 3e éd. Toronto:
Butterworths, 1982.
AVOCATS:
Colin L. Campbell, c.r., et Mary M. Thomson
pour l'appelante (requérante).
Geraldine N. Sparrow pour l'intimé (intimé).
Michael E. Phelan, Patricia J. Wilson et
Paul B. Tetro pour l'intervenant le Commis-
saire à l'information du Canada.
Hilde M. English et Kimberly L. Evans pour
l'intervenant Jim Romahn.
A COMPARU:
Ken Rubin pour son propre compte.
PROCUREURS:
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour l'ap-
pelante (requérante).
Le sous -procureur général du Canada pour
l'intimé (intimé).
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour l'in-
tervenant le Commissaire à l'information du
Canada.
Haney, White, Ostner, English & Linton,
Waterloo (Ontario) pour l'intervenant Jim
Romahn.
Intervenant pour son propre compte.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Les présentes affaires
sont des affaires sans précédent portant sur une
proposition de communication au public de rensei-
gnements de tiers de la part du responsable d'une
institution fédérale sous le régime de l'article 20 de
la Loi sur l'accès à l'information (la «Loi») [S.C.
1980-81-82-83, chap. 111 (Schedule I)].
Les renseignements en question en l'espèce sont
les rapports d'une équipe de vérification de l'ins-
pection des viandes concernant les abattoirs dans
la région de Kitchener au cours de l'année 1983. Il
s'agit de trois rapports litigieux (qu'on trouve aux
pages 140 143 du Dossier d'appel confidentiel).
Ce sont les intervenants Jim Romahn («Romahn»),
journaliste, et Ken Rubin («Rubin»), recherchiste
en consommation, qui ont demandé ces rapports.
Au début, l'intimé entendait communiquer les
rapports avec de très substantielles suppressions
mais, étant donné que le Commissaire à l'informa-
tion du Canada (ale Commissaire à l'informa-
tion»), partie intervenante, a recommandé la com
munication par suite d'une plainte de Romahn, il a
ultérieurement opté pour la communication de ces
rapports sauf les renseignements exemptés parce
que confidentiels sous le régime de l'alinéa 20(1)b)
de la Loi. L'appelante s'est alors fondée sur l'arti-
cle 44 de la Loi pour exercer un recours en révision
devant la Division de première instance*. Par
ordonnance en date du 11 décembre 1987, le juge
en chef adjoint a rejeté avec dépens la demande
faite à l'encontre de la communication.
Les parties considèrent avec raison que l'enjeu
est important. D'une part, il y a le droit du public
à la communication des documents de l'adminis-
tration fédérale, droit qui est expressément prévu à
l'article 2 [mod. par S.C. 1984, chap. 40, art. 79]
de la Loi elle-même:
* Note de l'arrêtiste: Les motifs de jugement prononcés dans
l'affaire Piller Sausages & Delicatessens Ltd. c. Canada
(Ministre de l'Agriculture), [1988] 1 C.F. 446 (1` e inst.) s'ap-
pliquaient à quatorze demandes, dont les deux demandes por-
tées en appel en l'espèce. C'est de cette décision que provien-
nent les citations figurant dans les présents motifs. Toutefois,
des motifs de jugement additionnels ont également été pronon-
cés dans l'affaire Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de
l'Agriculture), [1988] 1 C.F. 483 (1" inst.), étant donné le
caractère unique des questions soulevées dans ces demandes.
OBJET DE LA LOI
2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux
documents de l'administration fédérale en consacrant le prin-
cipe du droit du public à leur communication, les exceptions
indispensables à ce droit étant précises et limitées et les déci-
sions quant à la communication étant susceptibles de recours
indépendants du pouvoir exécutif.
(2) La présente loi vise à compléter les modalités d'accès aux
documents de l'administration fédérale; elle ne vise pas à
restreindre l'accès aux renseignements que les institutions fédé-
rales mettent normalement à la disposition du grand public.
D'autre part, l'appelante redoute de subir des
pertes financières appréciables ou, à tout le moins,
une diminution de sa compétitivité; il s'agit là d'un
concept que la Loi consacre également dans son
article 20 dont voici la version dans les deux
langues officielles:
Renseignements de tiers
20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu,
sous réserve des autres dispositions du présent article, de refu-
ser la communication de documents contenant:
a) des secrets industriels de tiers;
b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques
ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers,
qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme
tels de façon constante par ce tiers;
c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisem-
blablement de causer des pertes ou profits financiers appré-
ciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;
d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisem-
blablement d'entraver des négociations menées par un tiers
en vue de contrats ou à d'autres fins.
(2) Le paragraphe (1) n'autorise pas le responsable d'une
institution fédérale à refuser la communication de la partie
d'un document qui donne les résultats d'essais de produits ou
d'essais d'environnement effectués par une institution fédérale
ou pour son compte, sauf si les essais constituent une prestation
de services fournis à titre onéreux mais non destinés à une
institution fédérale.
(3) Dans les cas où, à la suite d'une demande, il communi
que, en tout ou en partie, un document qui donne les résultats
d'essais de produits ou d'essais d'environnement, le responsable
d'une institution fédérale est tenu d'y joindre une note explica-
tive des méthodes utilisées pour effectuer les essais.
(4) Pour l'application du présent article, les résultats d'essais
de produits ou d'essais d'environnement ne comprennent pas les
résultats d'essais préliminaires qui ont pour objet la mise au
point de méthodes d'essais.
(5) Le responsable d'une institution peut communiquer tout
document contenant les renseignements visés au paragraphe (1)
si le tiers que les renseignements concernent y consent.
(6) Le responsable d'une institution peut communiquer, en
tout ou en partie, tout document contenant les renseignements
visés aux alinéas (1)b), c) et d) pour des raisons d'intérêt public
concernant la santé et la sécurité publiques ainsi que la protec
tion de l'environnement; les raisons d'intérêt public doivent de
plus justifier nettement les conséquences éventuelles de la
communication pour un tiers: pertes ou profits financiers,
atteintes à sa compétitivité ou entraves aux négociations qu'il
mène en vue de contrats ou à d'autres fins.
La crainte de l'appelante est double. Elle a
prétendu que les rapports établis après les inspec
tions périodiques des viandes sont de nature à
causer un préjudice en ces sens qu'il ne s'agit, au
mieux, que de [TRADUCTION] «bulletins défavora-
bles». Elle a fondé cette prétention sur les termes
mêmes que l'intimé s'est proposé d'utiliser dans sa
lettre explicative sur la communication des rap
ports [à la page 456]:
[TRADUCTION] Plusieurs tierces parties craignent que les rap
ports d'inspection puissent être mal interprétés par quiconque
ne connaît pas le système d'inspection. Les rapports ont pour
but de souligner les lacunes existant dans les installations et les
opérations pour que la direction de l'usine prenne des mesures
correctives. Les rapports contiennent des commentaires objec-
tifs sur les conditions de l'usine qui existaient au moment de
l'inspection mais qui ne reflètent pas nécessairement la situa
tion présente. Étant donné l'usure graduelle de l'équipement et
des bâtiments, l'entretien et les réparations constituent des
activités permanentes et il est presque impossible de ne trouver
aucune faille à quelque moment que ce soit. Le rapport ne
présente pas une juste évaluation de l'ensemble des opérations
d'une usine car il n'y a aucun commentaire sur les conditions
satisfaisantes.
Sa seconde crainte se rapporte aux reportages
défavorables, à sensation même, qu'elle estime sus-
ceptibles d'entraîner de sérieuses conséquences
dans une industrie où le client est peu fidèle au
produit (parce que la viande est considérée comme
un produit suscitant peu d'intérêt) et qui a une
marge de profits constamment très étroite (histori-
quement moins de 1 % des ventes).
C'est de cette façon que la contestation est liée.
* * *
Il faudrait trancher immédiatement une question
susceptible de disjonction. Le juge des requêtes a
invoqué le paragraphe 20(6) de la Loi pour étayer
sa conclusion [à la page 472]:
Je ne trouve pas que les documents sont visés par les alinéas
20(1)c) ou d) de la Loi. Même si cette conclusion était erronée,
l'intérêt qu'a le public dans leur divulgation l'emporte carré-
ment sur tout risque de préjudice causé à la requérante, et les
rapports devraient être communiqués en application du para-
graphe 20(6) de la Loi.
Mais le paragraphe 20(6) prévoit l'exercice par
l'intimé d'un pouvoir discrétionnaire: «Le respon-
sable d'une institution fédérale peut communiquer
... tout document ... » Rien dans le dossier n'indi-
que que l'intimé a exercé ce pouvoir discrétion-
naire. Il a décidé, uniquement en vertu du paragra-
phe 20(1), de ne pas refuser la communication des
documents demandés. S'il avait rendu la décision
contraire en vertu du paragraphe 20(1), ce qu'ef-
fectivement il entendait faire au début, il aurait
alors été tenu, advenant contestation, d'examiner
la question de communication dans l'intérêt public.
Mais tel n'est pas son cas. Le fait pour un tribunal
d'examiner un pouvoir discrétionnaire exercé par
un ministre de la Couronne est bien différent du
fait pour le tribunal de première instance d'exercer
le pouvoir discrétionnaire du ministre à sa place,
comportement qui, à mon avis, ne convient point.
Même à l'occasion d'une demande de mandamus,
un tribunal peut seulement enjoindre à un ministre
d'agir, mais ne peut agir à sa place. Mise à part
l'inconvenance de ce comportement, il est facile
d'évoquer les dangers pour une audition impartiale
auxquels une telle décision judiciaire pourrait
donner lieu en l'absence d'une preuve produite à
cet égard.
Le paragraphe 20(6) ne saurait donc être invo-
qué dans la présente procédure.
Une autre question peut être tranchée à titre de
question préliminaire, savoir le recours à l'alinéa
20(1)b) pour interdire la communication au-delà
de la mesure dans laquelle cet alinéa a déjà été
invoqué par l'intimé pour justifier son intention de
supprimer le nombre d'animaux abattus et le
nombre d'employés dans sa communication.
L'alinéa 20(1)b) se rapporte non pas à tous les
renseignements confidentiels, mais seulement à
ceux qui ont été «fournis à une institution fédérale
par un tiers». À part les renseignements sur les
employés et sur le volume de l'abattage que l'in-
timé a l'intention de ne pas divulguer, aucun des
renseignements contenus dans les rapports n'a été
fourni par l'appelante. Ces rapports sont plutôt des
jugements que les inspecteurs gouvernementaux
ont portés sur ce qu'ils ont eux-mêmes observé. À
mon avis, aucune autre interprétation raisonnable
soit de cet alinéa soit des faits n'est possible, et
l'alinéa 20(1)b) n'est donc pas pertinent dans les
présentes affaires.
L'alinéa 20(1)a), qui porte sur des secrets indus-
triels, n'a pas fait l'objet d'une discussion, et je ne
vois aucune raison pour l'appliquer.
Pour ce qui est de l'alinéa 20(1)d), je souscris à
l'argument du Commissaire à l'information selon
lequel cet alinéa porte sur des cas contractuels qui
ne sont pas visés à l'alinéa 20(1)c), et, en consé-
quence, ne s'applique pas aux ventes quotidiennes,
qui sont considérables dans l'industrie intérieure
de la viande. Toutefois, il peut être quelque peu
pertinent pour ce qui est des ventes internationales,
et j'estime qu'il vaudrait donc mieux continuer de
considérer l'alinéa d) comme un point litigieux,
ainsi que l'alinéa c)' .
* * *
Voici, sur le plan juridique, ce que le juge des
requêtes a décidé au sujet de l'argument de l'in-
timé [aux pages 461 468]:
En ce qui concerne l'alinéa 20(1)c), l'intimé soutient que la
requérante n'a présenté aucun cas concret de pertes financières
occasionnées par une publicité défavorable. De plus, le préju-
dice allégué est trop éloigné. Cet alinéa exige la preuve de
l'existence d'un lien direct de cause à effet: la preuve que c'est
la divulgation elle-même des renseignements, et non pas leur
couverture éventuelle par les médias, qui causera un préjudice.
L'intimé fait également valoir que l'exemption n'est pas per-
mise par l'alinéa 20(1)d) car les seules négociations menées en
vue de contrats et qui seraient en danger sont les négociations
de la requérante avec la société américaine qui, de l'aveu
général, procède à sa propre inspection des établissements.
Tous les autres consommateurs obtiennent des renseignements
sur les établissements et les produits de la requérante d'un
certain nombre de sources, et ces rapports ne constitueraient
que l'une d'entre elles. Et, de toute façon, la communication de
rapports qui datent de plus de trois ans pourrait difficilement
entraver des négociations menées actuellement en vue de
contrats.
' Tant en première instance qu'en appel on a, dans une
certaine mesure, recouru au droit américain. La Freedom of
Information Act américaine, 5 U.S.C., § 552 (1970) a des
dispositions semblables aux alinéas 20(1)a) et b) mais non aux
alinéas c) et d). Voir également, National Parks and Conser
vation Ass'n v. Morton, 498 F.2d 765 (D.C. Cir. 1974); Natio
nal Parks and Conservation Ass'n v. Kleppe, 547 F.2d 673
(D.C. Cir. 1976); Westinghouse Elec. Corp.—Research and
Development Center v. Brown, 443 F.Supp. 1225 (D.C. Va.
1977); Gulf & Western Indus. Inc. v. U. S. 615 F.2d 527 (D.C.
Cir. 1979); Public Citizen Health Research Group v. Food and
Drug Admin., 704 F.2d 1280 (D.C. Cir. 1981).
À titre d'intervenant, le Commissaire à l'information ajoute
ce qui suit à ces observations sur les alinéas 20(1)c) et d): à la
lecture des rapports, toute personne raisonnable reconnaîtra
leurs limites et relèvera le caractère satisfaisant et la cote de
chaque usine, qui donnent une vue d'ensemble plus équilibrée.
Le caractère déplaisant des renseignements ne constitue pas en
soi un motif de refuser leur divulgation. La lettre jointe aux
rapports qui ont déjà été communiqués expose les préoccupa-
tions de la requérante à cet égard et réduirait tout effet
défavorable dans l'esprit du lecteur raisonnable. Il n'y a pas de
différence entre la communication des rapports accompagnés
de la lettre et la communication des résumés trimestriels déjà
approuvés par le Conseil des viandes. La requérante possède des
recours en common law advenant la publication de tout rensei-
gnement trompeur ou inexact à la suite de la communication
des rapports.
Dans une décision plus récente Bande indienne de Sawridge
c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord cana-
dien) (1987), 10 F.T.R. 48 (C.F. lfe inst.), mon collègue le juge
Martin a étudié précisément les alinéas qui nous intéressent en
l'espèce. Dans cette affaire, une bande indienne tentait d'empê-
cher la communication de ses règles d'appartenance, alléguant
qu'elle entendait rentrer dans les dépenses afférentes à leur
élaboration en demandant des droits aux autres bandes désireu-
ses d'en obtenir une copie à titre de modèle. Les questions
visant les alinéas 20(1)c) et d) ont été soulevées dans le cadre
de la révision de la décision du ministre de ne pas donner l'avis
prévu à l'article 28 de la Loi parce qu'il estimait que la tierce
partie n'était touchée d'aucune des façons décrites au paragra-
phe 20(1). Dans son examen, la Cour se limitait à rechercher si
la décision avait été rendue régulièrement. Le juge Martin a
ajouté à la page 56 qu'il aurait rendu la même décision que le
ministre, compte tenu des faits portés à la connaissance de ce
dernier. Ses motifs reflètent l'importance de la preuve requise
pour satisfaire à l'obligation qui incombe au requérant qui
invoque l'application des dispositions en cause [aux pages 56 et
57]:
Si le requérant a réussi à obtenir quelque avantage pour sa
bande en autorisant d'autres bandes à s'inspirer du code pour
établir le leur, il doit en fait s'en féliciter. À cet égard, la preuve
n'est ni détaillée ni convaincante. Il paraît qu'on a donné un
certain nombre d'exemplaires du code à d'autres bandes.
Aucun paiement qui puisse être directement imputé à la com
munication du Code n'a été reçu en retour. La preuve révèle
cependant que la bande a reçu certains avantages sous forme
d'appui pour des actions qu'elle a intentées contre le gouverne-
ment fédéral.
Étant donné les renseignements dont disposait l'intimé au
moment où il a décidé de ne pas agir sous le régime de l'article
28 de la Loi, en particulier le code lui-même, et étant donné les
observations qui ont été ultérieurement faites, notamment les
éléments d'information à l'appui de la présente requête, on ne
pouvait à l'époque, pas plus qu'on ne peut maintenant, s'atten-
dre à ce que l'intimé conclue que la divulgation du code
donnerait lieu ou pourrait donner lieu aux conséquences pré-
vues aux alinéas 20(1)c) ou d). S'attendre à ce que l'intimé
conclue que la divulgation du code donnerait lieu ou pourrait
donner lieu à ces conséquences reviendrait à s'attendre à ce
qu'il se livre à la plus pure spéculation.
Je souscris à ces remarques, c'est-à-dire que la preuve qu'il y a
eu préjudice au sens des alinéas 20(1)c) et d) doit être détaillée
et convaincante, et elle doit indiquer la présence d'un lien direct
entre la communication et le préjudice subi. Elle ne doit pas
simplement fournir des motifs de se livrer à des conjectures sur
un préjudice possible.
Le critère américain repose donc sur «des éléments de preuve
révélant une concurrence réelle et la vraisemblance d'une
atteinte à la compétitivité d'une partie.» Le tort réel causé à la
compétitivité d'une partie par la divulgation de documents non
encore communiqués est naturellement impossible à démontrer,
et n'est pas exigé. Des allégations générales et théoriques
concluant à un préjudice sont cependant inadmissibles. Bien
que le libellé de l'exemption prévue par la loi américaine puisse
différer du nôtre, la norme de preuve qui s'en dégage semble
correspondre aux critères exposés dans les arrêts canadiens
cités plus haut. La preuve ne doit pas faire appel à la pure
spéculation, mais elle doit pour le moins établir la vraisem-
blance d'un préjudice considérable. Cela semble être aussi le
critère compris aux alinéas 20(1)c) et d) de la Loi canadienne
qui emploie l'expression «risquerait vraisemblablement» d'avoir
des conséquences défavorables. Le risque doit être vraisembla-
ble, mais la certitude n'est pas exigée.
Le juge des requêtes, qui ne s'appuyait sur
aucun fondement, a donné dans ces pages un
exposé du droit qui me semble, malgré le plus
grand respect que je lui dois, quelque peu imprécis
et trompeur dans tous ses éléments, savoir que «la
preuve qu'il y a eu préjudice au sens des alinéas
20(1)c) et d) doit être détaillée et convaincante et
qu'elle doit indiquer la présence d'un lien direct
entre la communication et le préjudice subit.» Il a
peut-être entendu le mot «détaillée» dans le sens de
«précises», qualificatif employé au paragraphe
2(1), mais l'adjectif «détaillée» implique une plus
grande particularité, supérieure à celle qui est
nécessaire pour l'appréciation d'un risque vraisem-
blable aux termes des alinéas c) et d). Par «con-
vaincante», le juge des requêtes peut avoir voulu
dire seulement que le fardeau de la preuve incom-
bait à l'appelante, ou que la preuve ne doit pas être
2 Le juge des requêtes semble avoir adopté les mots «détail-
lée» et «convaincante» figurant dans la décision Sawridge du
juge Martin qu'il a citée. Ces mots y sont employés mais ils ne
sont pas considérés comme constituant un critère. Il a, semble-
t-il, tiré sa notion de lien direct de cause à effet des motifs du
juge Stevenson dans Re Daigle (1980), 30 N.B.R. (2d) 209
(B.R.), qu'il cite mais où l'on trouve le libellé suivant de la Loi
du Nouveau-Brunswick [Loi sur le droit à l'information,
S.N.-B. 1978, chap. R-10.3, art. 6c)]: «Le droit à l'information
conféré par la présente loi est suspendu lorsque la communica
tion d'information.... pourrait occasionner des pertes financiè-
res ... » [C'est moi qui souligne.]
simplement spéculative, mais encore une fois, la
connotation du mot semble avoir une portée plus
grande et ce «plus» reste vague. Toutefois, c'est son
adoption du concept de lien direct de cause à effet
qui doit nous préoccuper le plus.
Dans le contexte de l'argumentation que l'intimé
lui a présentée, cela signifie que tout préjudice qui
pourrait découler de la couverture des médias par
opposition à la teneur des rapports eux-mêmes
n'est pas pertinent, et tel était en fait l'argument
invoqué au début par l'intimé devant cette Cour,
plus tard modifié par une distinction entre couver-
ture des médias raisonnable et couverture dérai-
sonnable. Selon la deuxième version de l'agument
de l'appelante, le lien direct de cause à effet
s'étendrait aux reportages raisonnables, mais il n'y
aurait pas à tenir compte des reportages à sensa
tion. Ni l'une ni l'autre de ces prétentions ne
semble constituer une approche utile de l'interpré-
tation de la Loi.
À mon avis, on aurait tort de ne pas tenir
compte de l'existence d'une analogie évidente entre
la responsabilité délictuelle et les questions de
causalité. On peut trouver l'apogée du concept du
lien direct de cause à effet dans l'affaire In re
Polemis and Furness, Withy & Co., [1921] 3 K.B.
560 (C.A.), où les affréteurs du navire ont été
tenus pour responsables de tous les préjudices
imputables directement à l'acte négligent. Cette
approche a fait l'objet des remarques suivantes
faites par le juge Allen M. Linden, Canadian Tort
Law, 3 e éd. Toronto: Butterworths, 1982, aux
pages 341 et 342:
[TRADUCTION] Un critère qui a été utilisé pendant quelque
temps mais qui ne l'est plus maintenant est le critère du lien
direct ... Le critère dégagé dans l'affaire Polemis n'a pas
mérité de subsister. C'est à juste titre qu'il a été abandonné
dans The Wagon Mound (No. 1)3 et remplacé par le critère de
la prévision qui fait fureur à l'heure actuelle.
Plus loin, à la page 352, le juge Linden fait
remarquer que [TRADUCTION] «The Wagon
Mound (No. 2) 4 a effectué un revirement vers
Polemis», mais ce changement de direction
s'oriente vers l'expansion de la responsabilité délic-
3 [Overseas Tankship (U.K.) Ltd. v. Mort's Dock and Engi
neering Co. Ltd. (The Wagon Mound) (No. 1)] [1961] A.C. 388;
[1961] 1 All E.R. 404 (P.C.).
4 [Overseas Tankship (U.K.) Ltd. v. Miller Steamship Co.
Pty., The Wagon Mound (No. 2)] [1967] A.C. 617; [1966] 2
All E.R. 709 (P.C.).
tuelle plutôt que vers le rétablissement du concept
du lien direct de cause à effet. À vrai dire, le texte
des alinéas c) et d) de la Loi, dans lesquels figure
l'expression «des renseignements dont la divulga-
tion risquerait vraisemblablement de ... » semble
participer davantage du critère de la «prévisibilité»
que de l'analyse d'un lien direct de cause à effet.
Il a été allégué que le verbe «result in» (causer)
figurant à l'alinéa c) implique la nécessité d'un lien
direct entre la divulgation et les pertes financières
appréciables. Mais même à part le fait que ce
verbe figure seulement dans la première des trois
propositions des alinéas c) et d), il me semble qu'il
s'agit d'un verbe beaucoup plus faible du point de
vue du lien direct de cause à effet que le verbe
«cause» (causer) lui-même avec toutes ses ambiguï-
tés.
Dans le texte français, le verbe qui fait pendant
au verbe «result in» est le verbe causer, dont on
pourrait penser qu'il dénote, dans une plus grande
mesure, un lien direct de cause à effet. Mais tant
dans le Petit Larousse illustré, Paris, 1974, que
dans Ouillet Flammarion, Paris, 1963, on donne à
causer deux sens: être cause de et occasionner. Le
Petit Robert, Paris, 1973, offre plus de choix mais
inclut ces deux sens. À l'évidence, pour ce qui est
du caractère direct du lien de cause à effet, le
verbe causer est aussi ambigu que le verbe to cause
puisque, dans un contexte donné, il peut avoir le
sens d'occasionner comme le sens d'être cause de.
À mon avis, dans chacune des trois propositions
figurant aux alinéas c) et d), ce qui est détermi-
nant est non pas le verbe final («causer», «nuire à»
ou «entraver»), mais le verbe initial dans chaque
cas, à savoir «risquerait vraisemblablement de».
Cela implique non pas une distinction entre une
causalité directe et une causalité indirecte, mais
seulement une distinction entre ce qui risquerait
vraisemblablement de se produire et ce qui ne
risquerait vraisemblablement pas de se produire. Il
est tentant d'établir une analogie entre cette
expression et le critère de la prévisibilité raisonna-
ble en matière de responsabilité délictuelle, bien
que, naturellement, son application ne repose pas
sur l'existence d'un délit civil.
Toutefois, j'estime qu'il faille repousser la tenta-
tion d'établir une analogie en matière de responsa-
bilité délictuelle, particulièrement si on pense que
l'affaire Wagon Mound (No. 2), susmentionnée,
ouvre la porte à la responsabilité fondée sur la
simple possibilité d'un préjudice prévisible, par
opposition à sa probabilité. La méthode d'interpré-
tation des lois qui consiste à examiner les termes
dans leur contexte global et que cette Cour a suivie
dans l'affaire Lor- Wes Contracting Ltd. c. La
Reine, [1986] 1 C.F. 346; (1985), 60 N.R. 321, et
Cashin c. Société Radio-Canada, [1988] 3 C.F.
494, exige que nous examinions le texte de ces
alinéas dans leur contexte global, c'est-à-dire en
tenant compte en l'espèce particulièrement de l'ob-
jet énoncé à l'article 2 5 de la Loi. Le paragraphe
2(1) énonce clairement que la Loi devrait être
interprétée en tenant compte du principe que les
documents de l'administration fédérale devraient
être mis à la disposition du public et que les
exceptions au droit d'accès du public devraient être
«précises et limitées». Avec un tel mandat, j'estime
qu'on doit interpréter les exceptions au droit d'ac-
cès figurant aux alinéas c) et d) comme exigeant
un risque vraisemblable de préjudice probable 6 .
On a beaucoup discuté de la forme appropriée
du contrôle en appel, mais toutes les parties ont
convenu que si on rapporte la preuve d'une erreur
en première instance, il sied que la Cour pèse les
faits selon le bon critère juridique pour parvenir à
sa propre conclusion. C'est à cette tâche que je
dois donc me livrer.
* * *
Le système fédéral d'inspection des viandes au
Canada fait appel à des inspecteurs fédéraux rési-
dant sur place, à des surveillants régionaux et à
des inspecteurs de l'administration centrale à
Ottawa. Dans les usines les plus importantes, il
peut y avoir trente inspecteurs fédéraux ou plus
résidant sur place qui surveillent et approuvent
tous les produits de viande sur une base quoti-
dienne. Leur travail est contrôlé surtout par des
surveillants régionaux, et par le personnel de l'ad-
ministration centrale tous les trois mois, tous les
5 La même expression «risquerait vraisemblablement de» se
trouve aux articles 16, 17 et 18, mais j'estime que seul le
paragraphe 2(1) est décisif quant à son sens.
6 Ce critère ressemble au critère que le juge Lacourcière a,
dans un contexte différent, adopté dans l'affaire McDonald v.
McDonald, [1970] 3 O.R. 297 (H.C.), à la p. 303: [TRADUC-
TION] «Un risque vraisemblable ... implique une croyance
sûre».
six mois, ou tous les ans. Ce sont uniquement les
rapports de ce troisième niveau d'inspection qui
sont en litige en l'espèce.
Mme Kristine Stolarik, chef par interim du ser
vice de l'accès à l'information et de la protection
des renseignements personnels d'Agriculture
Canada a décrit en ces termes le processus de
vérification dans son affidavit [aux pages 452 et
453]:
[TRADUCTION] 2. Les vérificateurs vétérinaires nationaux au
service de la division de l'hygiène des viandes, direction géné-
rale de la production et de l'inspection des aliments du minis-
tère de l'Agiculture du Canada (Agriculture Canada) contrô-
lent les usines d'abattage et de transformation au moins une
fois l'an. Le contrôle se termine par une visite de
l'établissement.
3. Le contrôle d'un établissement d'abattage commence habi-
tuellement à l'aire des produits finis et se poursuit en passant
par la plate-forme d'expédition et les aires d'emballage, de
transformation, de désossement, de débitage, de réfrigération,
d'abattage et des animaux vivants.
4. À la fin du contrôle physique de l'installation, on y tient une
réunion avec la direction de l'usine pour discuter des failles
notées au cours du contrôle, des mesures à prendre et des
engagements de la part de la direction de l'usine concernant ces
mesures correctives.
5. Après le contrôle et la discussion, le vérificateur vétérinaire
national rédige un rapport de vérification intitulé «Rapport
d'inspection», portant sur l'établissement en cause et des copies
dudit rapport sont remises à la direction de l'usine, au bureau
régional d'Agriculture Canada et au vérificateur-chef de la
division de l'hygiène des viandes, direction générale de la
production et de l'inspection des aliments d'Agriculture
Canada.
6. Lesdits rapports d'inspection ne révèlent aucun procédé
inédit ni aucun secret industriel. Il s'agit d'un document de
travail à l'usage d'Agriculture Canada et c'est un outil néces-
saire pour les fins du système national d'inspection des viandes.
Parce qu'il vise à souligner les problèmes dans un établissement
et à faire en sorte que des mesures correctives soient prises, le
rapport d'inspection n'énumère habituellement aucune informa
tion favorable au sujet des installations et des opérations de cet
établissement. Ce document de travail tente plutôt de détermi-
ner les conditions «acceptables» ou «inacceptables».
En résumé, au cours de ces brèves inspections,
aucune analyse quantitative ou microbiologique
n'est faite. L'évaluation porte plutôt sur la condi
tion physique de l'installation de conditionnement
des viandes, sur le procédé de fabrication et le
processus d'inspection lui-même (D.A. 50).
L'équipe de vérification de l'administration cen-
trale comprend un ou plusieurs [TRADUCTION]
«agents de contrôle étrangers» («ACE»). Dans le cas
des usines qui exportent leurs produits aux États-
Unis, comme celles faisant l'objet de vérifications
en l'espèce, les ACE sont des membres du départe-
ment américain de l'Agriculture, qui participent à
l'inspection, posent leurs propres questions, et pré-
parent des rapports indépendants sur chaque éta-
blissement à l'intention de Washington. De l'aveu
de l'avocat de l'appelante au débat et de leur
témoin Joseph Krochak lorsqu'il a été contre-inter-
rogé, (D.A. 196), ces rapports, bien qu'ils ne soient
pas identiques à ceux établis par les vérificateurs
canadiens, sont semblables quant au contenu'.
Tous les rapports américains ont été mis à la
disposition du public depuis 1974 en vertu de la loi
américaine dite Freedom of Information Act. Les
rapports canadiens ont été également disponibles à
Ottawa à partir de la fin de l'année 1980 ou au
début de l'année 1981 jusqu'en 1983, mais ils ne le
sont phis depuis l'entrée en vigueur le ler juillet
1983 de la Loi sur l'accès à l'information.
Le dossier contient quatre affidavits présentés
par l'appelante et le contre-interrogatoire des
auteurs de ces affidavits, qui étaient Joseph Kro-
chak et Richard S. Laws, tous deux étant des
associés de l'appelante, le Dr Donald N. Thomp-
son, un expert universitaire en matière de commer
cialisation et David M. Adams, le directeur géné-
ral du Conseil des viandes du Canada.
Le D r Thompson a affirmé que l'incidence des
renseignements défavorables sur les produits susci-
tant peu d'intérêt est universellement reconnu
(D.A. 412), que la viande rouge est du nombre de
ces produits (D.A. 410) et que, à son avis, les
renseignements défavorables auraient des impacts
tant sur les sociétés mentionnées que sur l'ensem-
ble de cette catégorie de produit (D.A. 433). Je
trouve cette analyse persuasive dans la mesure où
elle a été faite, mais il a prétendu n'être pas au
courant du genre d'information qui influerait sur
les consommateurs de la viande rouge (D.A. 464)
ni de renseignements particuliers sur l'industrie de
la viande elle-même (D.A. 430). À tout prendre, je
trouve ce témoignage trop spéculatif pour être
déterminant pour ce qui est de la norme juridique
de probabilité de préjudice considérable.
7 0n peut trouver une comparaison de ces deux rapports aux
p. 140 et 153 et aux p. 142 et 154 du Dossier d'appel confiden-
tiel. Les rapports américains sont plus sommaires, les rapports
canadiens sont plus discursifs, mais tous ces types de rapports
portent sur les mêmes défauts.
En fait, le trait le plus saisissant du témoignage
de ces quatre auteurs d'affidavits est leur incapa-
cité à étayer la crainte qu'a l'appelante d'une
couverture injuste de la presse, sans parler de la
conséquence que cette couverture pourrait avoir.
M. Krochak n'était pas au courant des problèmes
résultant de la disponibilité passée des rapports
canadiens ou de la disponibilité continue des rap
ports américains (D.A. 191, 205 et 206). M. Laws
a estimé que [TRADUCTION] «heureusement nous
n'avons pas eu ce genre de publicité dans notre
industrie» (D.A. 298). M. Adams n'a pu donner
aucun exemple particulier (D.A. 541, 546).
Le D' Thompson avait plusieurs exemples qu'il
considérait pertinents mais qui portaient tous sur
la question de la sécurité réelle ou perçue du
produit concernant directement les produits finals,
et/ou dans chaque cas le gouvernement avait donné
suite aux rapports. Voici quelques-uns de ces
exemples: le gouvernement canadien a interdit à
douze usines de viande américaines d'exporter de
la viande au Canada en raison de leur produit
malsain ainsi que des conditions à l'usine (D.A.
396 à 398); le scandale du thon avarié (D.A. 406,
409, 443 et 469); la peur suscitée par l'emploi du
Tylenol (D.A. 407, 419 à 421); le problème causé
par les serviettes Rely (D.A. 420). M. Adams a
également cité un scandale concernant la viande de
buffle (D.A. 494, 543). Si ces exemples sont quel-
que peu pertinents, leur importance en l'espèce est
certainement beaucoup moins grande que celle des
rapports américains semblables aux nôtres et dis-
ponibles dans ce pays depuis plusieurs années et
celle des rapports canadiens en question, qui ont
été disponibles pendant quelques deux années, ces
deux types de rapports portant principalement sur
des usines plutôt que sur des produits. Il n'a été
produit aucune preuve d'une publicité défavorable
relativement à l'un ou l'autre de ces types de
rapports. J'estime que l'argument de l'appelante
sur l'effet de la couverture de la presse constitue de
la plus pure conjecture.
Il reste à trancher la question relative au carac-
tère défavorable qui, prétend-on, se rattache aux
rapports eux-mêmes. J'ai déjà mentionné la lettre
explicative que l'intimé s'est proposé d'envoyer en
même temps que les rapports en question. En
collaboration avec le Conseil des viandes du
Canada, l'intimé a récemment conçu une nouvelle
formule de rapport de vérification qui donnerait
une cote globale précise (AAA, AA, A, B, C, et F)
à chaque établissement et qui en général, diminue-
rait davantage tout impact défavorable dû à la
communication, comme l'a admis M. Adams
(D.A. 534 et suiv.). Toutefois, cette nouvelle for-
mule ne joue aucun rôle en l'espèce.
J'estime que la phrase finale du projet de lettre
explicative, dans lequel il est admis que [TRADUC-
TION] «le rapport ne présente pas une juste évalua-
tion de l'ensemble des opérations d'une usine»,
peut être considérée comme la reconnaissance que
les rapports sont, dans une certaine mesure,
défavorables.
Compte tenu des mots d'introduction du para-
graphe 20(1) «le responsable d'une institution
fédérale est tenu de refuser la communication de
documents ... », je considère qu'une décision doit
être prise à l'égard de chaque rapport de vérifica-
tion distinct. Néanmoins, puisque le jugement
requis implique l'évaluation de risques vraisembla-
bles, j'estime qu'il est nécessaire d'examiner
chaque rapport dans le contexte d'autres rapports
dont on a demandé la communication en même
temps que le premier, car la teneur totale d'une
communication doit influer énormément sur les
conséquences raisonnables de sa divulgation.
En l'espèce, j'ai soigneusement examiné chaque
rapport et je l'ai également fait relativement aux
autres rapports demandés (je m'abstiens de faire
des commentaires explicites sur leur teneur pour
préserver leur caractère confidentiel pendant le
délai d'appel). Je dirais brièvement que, bien qu'ils
soient tous défavorables dans une certaine mesure,
je suis convaincu dans chaque cas que, particuliè-
rement maintenant, des années après leur rédac-
tion, ils ne sont pas défavorables au point de
donner lieu à une probabilité raisonnable de perte
financière appréciable pour l'appelante, ou de
nuire à sa compétitivité, ou d'entraver des négocia-
tions en vue de contrats ou à d'autres fins. Pour ce
qui est de la «pire» des deux usines, il existe un
second rapport contenant moins de remarques
défavorables. Les rapports soulèveraient tout au
plus des questions quant aux mesures que l'appe-
lante a prises pour remédier aux lacunes souli-
gnées, questions auxquelles il serait facile de
répondre, je le suppose, surtout étant donné que
l'appelante n'était même pas la propriétaire de la
«pire» usine à l'époque des rapports. L'appelante ne
s'est donc pas acquittée de l'obligation qui lui
incombait d'établir que les rapports ne devraient
pas être communiqués.
* * *
En bref, le critère applicable à la communication
des documents de l'administration fédérale sous le
régime de l'article 20 de la Loi n'est pas, comme je
l'ai indiqué, un critère type. Chaque rapport doit
être jugé selon ses propres éléments (par rapport
uniquement à des rapports qui lui sont semblables)
pour déterminer si un tiers comme l'appelante est
en droit d'empêcher sa communication en vertu de
l'un quelconque des quatre alinéas du paragraphe
20(1).
Une décision rendue sous l'empire du paragra-
phe 20(1) ne vide toutefois pas la question. Lors-
qu'un rapport est suffisamment défavorable pour
donner lieu à une probabilité raisonnable de perte
financière appréciable de la part d'un tiers, un
ministre de la Couronne doit s'acquitter de l'obli-
gation qu'il tient du paragraphe 20(6) et détermi-
ner si «les raisons d'intérêt public concernant la
santé et la sécurité publiques ainsi que la protec
tion de l'environnement ... justifient nettement les
conséquences éventuelles de la communication
pour un tiers: perte . .. financière ... ». Il ne s'agit
pas, comme je l'ai statué, d'un pouvoir discrétion-
naire qu'une cour de la première instance peut
exercer. Toutefois, à ce stade des présentes affai-
res, aucune autre question de ce genre n'est
soulevée.
Je rejetterais les appels avec dépens.
LE JUGE HEALD: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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