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A-321-87
(T-2590-86)
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (appelant) (intimé)
c.
Rohan Gopaul Rajpaul (intimé) (requérant)
A-322-87
(T-2591-86)
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (appelant) (intimé)
c.
Michael Ray Stuart (intimé) (requérant)
RÉPERTORIÉ: RAJPAUL C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION)
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Stone— Ottawa, 26 mai 1988.
Immigration Pratique Preuve Le droit d'établisse- ment au Canada a été refusé à des personnes parrainées parce qu'elles avaient contracté un mariage de commodité La Commission d'appel de l'immigration a refusé d'entendre les témoignages des conjoints par l'intermédiaire d'une conférence téléphonique Le juge de première instance a infirmé cette décision et ordonné la présence des témoins à certaines condi tions I! a commis une erreur en supposant que leur présence était nécessaire Les dispositions relatives à leur présence ont été supprimées du texte de l'ordonnance Par ailleurs, les appels du ministre sont rejetés, car il n'y a pas eu audition impartiale.
Il s'agit d'appels formés contre des décisions de la Division de première instance qui ont annulé les refus d'accorder des visas de visiteur demandés pour permettre à des conjoints d'entrer au Canada en vue de témoigner devant la Commission d'appel de l'immigration. Les demandes de parrainage pour obtenir le droit d'établissement au Canada ont été rejetées parce qu'il s'agissait de mariages de commodité. La Commission a ajourné sine die l'audition des appels après avoir refusé de recevoir les témoignages des conjoints par l'intermédiaire d'une conférence téléphonique, vue que l'identité des témoins qui se trouvaient en Guyane ne pouvait pas être établie de façon certaine. Le juge de première instance a annulé les refus en se fondant sur l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.
Arrêt: les appels devraient être rejetés.
L'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne s'applique pas. L'audition des appels des répondants doit toute- fois être empreinte d'une très grande impartialité lorsqu'elle peut avoir pour conséquence d'empêcher un époux et une épouse de cohabiter. La conclusion qu'il s'agissait de mariages de commodité soulève la question de la crédibilité des parties. Pour s'assurer de l'impartialité de l'audience, la Commission doit veiller à ce que la preuve pertinente soit présentée, en vertu des larges pouvoirs que lui confère l'article 65 de la Loi sur l'immigration de 1976. Le tribunal ne pouvait pas s'y soustraire
en disant qu'il n'est pas organisé pour s'assurer du respect des principes de justice naturelle. Le refus de la Commission de recevoir la preuve par l'intermédiaire d'une conférence télépho- nique se comprend difficilement. La Commission aurait pu entendre cette preuve et se prononcer ensuite sur sa fiabilité. La Commission peut exiger ou non la présence des témoins devant elle. Le juge de première instance a commis une erreur en supposant que leur présence était nécessaire. Les dispositions relatives à la présence des témoins ont été supprimées des ordonnances du juge de première instance.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen- dice III, art. 2e).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 52b)(i).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 19(3), 65, 104.
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 4(3) (ajouté par DORS/84-140, art. 1).
Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigra- tion (procédures d'appel), DORS/81-419, art. 10(1).
AVOCATS:
Brian H. Hay pour l'appelant. David Matas pour les intimés.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
David Matas, Winnipeg, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés à l'audience par
LE JUGE MAHONEY: Les circonstances à l'ori- gine de ces deux appels se ressemblent considéra- blement. Dans chacun des cas, le ministre cherche à écarter la décision de la Division de première instance [Rajpaul c. Canada (Ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration), [1987] 3 C.F. 257; Stuart c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), ordonnance en date du 16 avril 1987, Cour fédérale, Division de première ins tance, T-2591, encore inédite] qui a annulé le refus d'accorder les visas de visiteur demandés pour entrer au Canada en vue de témoigner devant la Commission d'appel de l'immigration. Dans chacun des cas, le visiteur en question est le con joint Guyanais d'un citoyen ou résident canadien dont la demande de parrainage pour obtenir le droit d'établissement au Canada a été rejetée
parce qu'on a conclu que le mariage était un mariage de commodité. Dans chacun des cas, la Commission a ajourné sine die l'audition de l'appel du répondant après avoir refusé de recevoir le témoignage du conjoint par l'intermédiaire d'une conférence téléphonique organisée par le répon- dant. Selon la Commission, l'identité du témoin qui se trouvait à Georgetown ne pouvait être éta- blie de façon certaine.
Le savant juge de première instance a cité de très nombreuses décisions et de nombreux auteurs à l'appui de sa conclusion que l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III] s'appliquait à l'audition de l'appel. Ces décisions et ces auteurs ne seront pas repris ici; nous sommes d'accord avec la conclusion.
Les répondants ont le droit d'interjeter appel à la Commission. L'audition de l'appel doit permet- tre au répondant de bénéficier des règles de justice naturelle. Lorsque la conséquence d'une telle audience peut empêcher un époux et une épouse de cohabiter au Canada, cette audience doit être empreinte d'une très grande impartialité. Cette obligation exige certainement qu'on permette au répondant de présenter des éléments de preuve pertinents. Le témoignage du conjoint parrainé quant à l'authenticité du mariage est des plus pertinents lorsque la décision, visée par l'appel, est fondée sur la conclusion qu'il s'agissait d'un mariage de commodité. Cette décision soulève en soi la question de la crédibilité des parties au mariage. Par conséquent, pour s'assurer de l'im- partialité de l'audience, la Commission doit sim- plement veiller à ce que la preuve soit présentée de façon à lui permettre de se prononcer sur les questions de crédibilité avec équité.
L'article 65 de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] accorde à la Commission de très larges pouvoirs quant à toute «question relevant de sa compétence». Prévoir des moyens convenables pour recevoir la preuve dans les cir- constances de ces deux appels fait partie des ques tions relevant de sa compétence. Il relève de l'évi- dence même du droit que, lorsque les principes de justice naturelle doivent être respectés, le tribunal ne peut s'y soustraire en disant qu'il n'est pas organisé pour s'assurer de leur respect. Les cas particuliers peuvent exiger un traitement particu- lier.
Nous comprenons difficilement que, dans ces deux appels, la Commission refuse de recevoir la preuve par l'intermédiaire d'une conférence télé- phonique. Ce sont les répondants qui ont suggéré cette procédure. Ils ne pourraient prétendre ulté- rieurement que cette procédure ne leur aurait pas accordé une audition impartiale. Après avoir entendu la preuve, la Commission se serait pronon- cée sur sa fiabilité.
Ceci étant dit, nous avons à examiner les déci- sions par lesquelles la Division de première ins tance a annulé le refus d'accorder des visas de visiteur. Nous comprenons les préoccupations légi- times du ministre lorsqu'il admet une personne, même temporairement et dans un but précis, sur- tout lorsqu'il s'agit d'une personne dont la bonne foi a été mise en doute par les fonctionnaires du ministre. Les renonciations, engagements et exi- gences de détention ne pourraient empêcher cette personne de recourir aux mécanismes prévus par la Loi pour reporter indéfiniment une ordonnance d'expulsion. Il est possible que la procédure conçue par la Commission pour recevoir la preuve du conjoint exige la présence de celui-ci au Canada. À notre humble avis, le savant juge de première instance a commis une erreur en fondant ses ordonnances sur l'hypothèse que cette présence serait nécessaire.
En plus d'annuler le refus d'accorder les visas et de déclarer que la Loi sur l'immigration de 1976 doit être interprétée en conformité avec l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits et d'autres principes que le ministre ne conteste pas, l'ordonnance rendue dans chaque cas prévoit que la demande de visa soit réexaminée pour les motifs suivants:
(b) dans les cas un conjoint non canadien se voit refuser l'admission au Canada en vertu du paragraphe 4(3) des Règle- ments sur l'immigration de 1978 et de ses modifications, le refus d'accorder à ce conjoint un permis du ministre, un visa de visiteur ou une autorisation de séjour restreinte conformément au paragraphe 19(3) de la Loi de l'immigration de 1976, demandé afin de venir témoigner à l'audition, par la Commis sion d'appel de l'immigration, de l'appel de son répondant, enfreint le droit du répondant à une audition impartiale confor- mément aux principes de la justice fondamentale;
L'ordonnance prévoit de plus:
LA COUR ORDONNE DE PLUS que l'exécution de la présente ordonnance soit suspendue jusqu'à ce que la conjointe du requérant [nom], confirme par écrit à l'intimé l'affirmation faite par l'avocat du requérant selon laquelle elle [nom] a
l'intention de se soumettre à la détention sous garde prévue à l'article 104 de la Loi sur l'immigration de 1976 de façon qu'elle puisse être renvoyée en Guyane après avoir témoigné devant la Commission d'appel de l'immigration; et, sous réserve du paragraphe 10(1) des Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigration (procédures d'appel), l'assujettisse- ment à la détention sous garde est à l'entière discrétion de l'intimé; les exigences susmentionnées constituant les conditions auxquelles le présent redressement discrétionnaire est accordé, la confirmation écrite de [nom] à l'intimé doit être signée, attestée par un témoin et transmise à l'intimé dans les plus brefs délais, au plus tard le P' juin 1987; dans le cas contraire, l'exécution de la présente ordonnance demeurera suspendue à perpétuité; et
Ces dispositions peuvent être facilement séparées des autres conclusions des ordonnances, et en exer- çant la compétence que nous attribue le sous-ali- néa 52b)(1) de la Loi sur la Cour fédérale du Canada [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] de rendre le jugement que la Division de première instance aurait rendre, nous allons modifier ces ordonnances en supprimant ces dispositions. Sous réserve de ces suppressions, la seule critique légi- time que nous soulevons à l'égard des ordonnances porte sur leur caractère prématuré. Car enfin, la Commission peut toujours exiger la présence des conjoints au Canada. Les appels seront par ailleurs rejetés avec dépens.
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