T-1861-87
Industrial Milk Producers Association, Clearview
Dairy Farm Inc., Birchwood Dairy Farm Ltd.,
Gus deGroot, Ton deGroot et John Verdonk
(demandeurs)
c.
Milk Board, Fraser Valley Milk Producers
Co -Operative Association, Commission cana-
dienne du lait, E. D. Daum, G. G. Thorpe, R.
Feenstra et J. L. Gilbert (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: INDUSTRIAL MILK PRODUCERS ASSN. C.
COLOMBIE-BRITANNIQUE (MILK BOARD)
Division de première instance, juge Reed —Van-
couver, 3 décembre 1987; Ottawa, 8 janvier 1988.
Coalitions — Requête en radiation de la déclaration pour le
motif que celle-ci ne révèle aucune cause raisonnable d'action
— Les demandeurs allèguent que les défendeurs leur ont causé
un préjudice en agissant à l'encontre de la Partie V de la Loi
sur la concurrence, donnant ainsi ouverture à une cause d'ac-
tion civile — La Commission canadienne du lait attribue aux
provinces des contingents pour la production du lait de trans
formation — La Commission provinciale du lait distribue des
contingents aux producteurs laitiers — Les demandeurs se
plaignent de l'établissement du système de contingentement, de
l'insuffisance des contingents de la Colombie-Britannique et
du fait que des contingents ne leur sont pas attribués —
Requête accueillie — Le «moyen de défense utilisé par l'in-
dustrie réglementée» exempte de la Loi sur la concurrence les
activités prescrites ou autorisées par la loi — Activités autori-
sées par la loi — Ce moyen de défense continue de s'appliquer
à une «nouvelle» cause d'action civile sous le régime de l'art.
31.1 — Lorsque l'office provincial de commercialisation agit
dans les limites de son mandat légal, il est «présumé» agir
dans l'intérêt du public — La question de savoir si la loi exige
spécifiquement ou non que le Milk Board ou la Commission
canadienne agissent dans l'intérêt du public n'est pas perti-
nente — Examen de l'effet de l'art. 33 de la Loi sur les offices
de commercialisation des produits de ferme.
Agriculture — Offices provinciaux de commercialisation —
Le moyen de défense utilisé par l'industrie réglementée dis
pense de la Loi sur la concurrence les activités prescrites ou
autorisées par la loi — Les demandeurs se plaignent de
l'établissement du système de contingentement, du nombre de
contingents de la Colombie-Britannique et de la distribution
des contingents — Ces activités sont autorisées par la loi —
Examen de l'effet de l'art. 33 de la Loi sur les offices de
commercialisation des produits de ferme.
Il s'agit de requêtes en radiation de la déclaration pour le
motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action. Les
demandeurs ont prétendu que les défendeurs leur ont causé un
préjudice en agissant à l'encontre de l'article 31.1 de la Loi sur
la concurrence. Cet article accorde une cause d'action civile à
quiconque subit un préjudice par suite d'un comportement
allant à l'encontre d'une disposition de la Partie V. Les défen-
deurs soutiennent que même si leurs activités violaient l'article
32 de la Partie V, ces activités étaient expressément sanction-
nées par la législation fédérale et provinciale et qu'elles étaient
en conséquence soustraites à l'application de l'article 32. Le
défendeur Milk Board a été créé par une loi provinciale qui
l'autorise expressément à réglementer la production et la com
mercialisation du lait, ce qui inclut la fixation des prix payés
aux producteurs de lait. La Commission canadienne du lait, qui
a été créée par une loi fédérale organise un système de verse-
ment de subsides fédéraux relativement au lait de transforma
tion (qui sert à fabriquer d'autres produits laitiers). Un contin
gent a été attribué à chaque province pour la production du lait
de transformation en vertu du Plan national de commercialisa
tion du lait. La Colombie-Britannique s'est vue accorder une
quote part de 3,7 % du marché national, ce que les demandeurs
estiment tout à fait insuffisant. L'Office provincial du lait a
réparti cette quote part entre les producteurs laitiers de la
province. Bien que la Colombie-Britannique se soit retirée du
Plan national de commercialisation du lait pendant une période
de deux ans antérieure à 1984, les demandeurs ont produit et
commercialisé du lait de transformation, en vendant directe-
ment leur produit aux fabriques de fromage. Lorsque la Colom-
bie-Britannique s'est jointe de nouveau au Plan, les producteurs
laitiers ont dû une fois de plus obtenir un contingent pour
vendre du lait de transformation. Les contingents du lait de
transformation sont alloués aux fermiers qui détiennent déjà
des contingents de lait de consommation (c'est-à-dire le lait qui
est vendu comme lait frais pour fins de consommation), ce qui
oblige ainsi les demandeurs à acheter les contingents actuels de
lait de consommation à des prix exhorbitants.
Les demandeurs allèguent que ce système vise à éliminer
toute concurrence dans l'industrie laitière au détriment de ceux
qui voudraient concurrencer les détenteurs actuels de contin
gents de lait de consommation et au détriment des consomma-
teurs. Il est également allégué que ce système vise à empêcher
la croissance de nouvelles industries de transformation de pro-
duits laitiers en Colombie-Britannique.
Jugement: les requêtes doivent être accordées.
La jurisprudence qui s'est développée au regard des articles
antérieurs à l'article 32 de la Loi sur la concurrence a créé «un
moyen de défense utilisé par l'industrie réglementée». Les tribu-
naux ont statué que les offices provinciaux de commercialisa
tion ne commettent pas une infraction sous le régime de
l'article 32 lorsqu'ils exercent les pouvoirs qui leur sont conférés
par une loi provinciale ou fédérale. Ils ont souligné que les plans
provinciaux sont censés être établis dans l'intérêt public et que
ce ne pouvait être un crime contre l'État que de faire quelque
chose autorisé par la législature. Le fait que les demandeurs ont
intenté une «nouvelle» poursuite civile fondée sur l'article 31.1
ne les soustrait pas à l'application du moyen de défense utilisé
par l'industrie réglementée. Pour établir une cause d'action
civile sous le régime de l'article 31.1, il faut prouver les mêmes
éléments que ceux qui sont exigés par l'article 32.
Quant à l'argument selon lequel le moyen de défense utilisé
par l'industrie réglementée ne s'applique que lorsque l'activité
exercée est dans l'intérêt du public et l'activité du Milk Board
n'est pas dans l'intérêt public, les tribunaux ne peuvent réviser
les décisions d'un office provincial de commercialisation afin de
déterminer si celui-ci agit dans l'intérêt public. Lorsqu'un office
agit dans les limites de son mandat légal, il est présumé agir
dans l'intérêt public.
Le principal argument à l'encontre de la position des deman-
deurs est que la Cour suprême du Canada a examiné l'article
32 dans l'arrêt Jabour et a statué que cet article ne s'applique
pas à une mesure prise par la Law Society en conformité avec
la compétence législative qui lui était conférée par une loi
provinciale valide. La présente affaire est visée plus clairement
par le moyen de défense utilisé par l'industrie réglementée que
ne l'est l'affaire Jabour. Le Milk Board est autorisé à nommer
un comité composé de producteurs et chargé de le conseiller. En
implantant un système d'allocation, le Board exerce la compé-
tence qui lui est spécifiquement accordée. Dans l'arrêt Jabour,
les Benchers n'avaient que le mandat général d'établir des
normes pour la profession. Ils n'avaient pas le pouvoir spécifi-
que de réglementer la publicité.
La question de savoir si la loi exige spécifiquement ou non
que le Milk Board ou la Commission canadienne du lait
agissent dans l'intérêt public n'est pas pertinente puisque les
mesures prises en conformité avec une disposition réglementaire
fédérale ou provinciale sont censées être dans l'intérêt public.
Quoi qu'il en soit, le préambule du Plan national de commer
cialisation du lait fait mention des intérêts des consommateurs
et des producteurs. Les demandeurs ont également cherché à
établir une distinction avec l'arrêt Jabour pour, le motif que
d'autres modifications (articles 1.1 et 2.1) ont été apportées
depuis lors à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Ces
modifications n'ont pas changé radicalement les articles 31.1 ou
32. Si le Parlement entendait que l'article 32 s'applique aux
entités telles les offices provinciaux du lait à l'égard du genre
d'activités dont se plaignent les demandeurs, il aurait été
beaucoup plus spécifique. Cette conclusion est renforcée par le
fait que les projets de loi antérieurs visant à assujettir les
industries réglementées, sauf certaines exceptions, à la loi sur
les coalitions n'ont pas été adoptés. Bien que l'article 1.1 énonce
les objectifs généraux de la loi, il n'écarte pas' le «moyen de
défense utilisé par l'industrie réglementée» et n'infirme pas
l'arrêt Jabour. L'article 2.1 s'applique aux «activités commer-
ciales». L'activité rapprochée n'est pas commerciale. L'attitude
anticoncurrentielle dont on se plaint relève du mandat explicite
du Milk Board.
L'article 33 de la Loi sur les offices de commercialisation
des produits de ferme qui soustrait certains offices de commer
cialisation des produits de ferme à l'application de la Loi sur la
concurrence n'était pas censé enlever à tous les organismes qu'il
ne couvrait pas la protection du moyen de défense des indus
tries réglementées.
Ce ne sont pas toutes les activités exercées par des particu-
liers dans une industrie réglementée qui sont exemptées de la
Loi sur la concurrence mais simplement les activités qui sont
prescrites ou autorisées par la loi. Les demandeurs étaient
mécontents des activités réglementaires plutôt que commercia-
les. Il n'est pas allégué dans la déclaration que les défendeurs
avaient excédé la compétence qui leur était conférée mais on a
fait mention d'activités non prescrites par la loi. Il n'y a aucune
cause d'action car pour qu'une activité soit exemptée, il faut
seulement qu'elle soit autorisée par une telle loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de /982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 2d), 6(2)b), 7, 15(1).
Décret relatif au lait de la Colombie-Britannique,
C.R.C., chap. 143 (mod. par DORS/78-758).
Loi sur la Commission canadienne du lait, S.R.C. 1970,
chap. C-7, art. 8.
Loi sur la concurrence, S.R.C. 1970, chap. C-23 (mod.
par S.C. 1986, chap. 26, art. 19), art. 1.1 (édicté, idem,
art. 19), 2.1 (édicté, idem, art. 21), 31.1 (édicté par
S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 12), 32 (mod., idem,
art. 14).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.),
chap. 10.
Loi sur les offices de commercialisation des produits de
ferme, S.C. 1970-71-72, chap. 65, art. 17, 33.
Loi sur l'organisation du marché des produits agricoles,
S.R.C. 1970, chap. A-7, art. 2.
Milk Industry Act, R.S.B.C. 1979, chap. 258, art. 39
(mod. par S.B.C. 1984, chap. 25, art. 24; 1985, chap.
51, art. 50).
Projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions . , 3' Sess., 30' Lég., 1977.
Projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions ... , 2' Sess., 30' Lég.,
1976-77, art. 4.5.
Projet de loi C-256, Loi encourageant la concurrence ... ,
3' Sess., 28' Lég., 1970-71, art. 92.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
419.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada et autres c. Law Society of
British Columbia et autre, [1982] 2 R.C.S. 307; Opera
tion Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres,
[1985] 1 R.C.S. 441; Pacific Fishermen's Defence
Alliance c. Canada, [1988] 1 C.F. 498 (C.A.); Procureur
général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980]
2 R.C.S. 735.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm Inc. (1986), 69
B.C.L.R. 220 (C.S.); confirmé par (1987), 12 B.C.L.R.
(2d) 116 (C.A.); Milk Bd. v. Birchwood Dairy Farm Ltd.
(1986), 1 B.C.L.R. (2d) 210 (C.A.); Belden Farms Ld. v.
Milk Bd. (1987), 14 B.C.L.R. (2d) 60 (C.S.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
R. v. Chung Chuck, [1929] 1 W.W.R. 394 (C.A.C.-B.);
R. v. Simoneau, [1936] 1 D.L.R. 143 (C. Sess. Qué.); R.
v. Cherry, [1938] 1 W.W.R. 12 (C.A. Sask.); Ontario
Boys' Wear Ltd. et al. v. The Advisory Committee and
the Attorney -General for Ontario, [1944] R.C.S. 349;
Reference Re Farm Products Marketing Act, The,
R.S.O. 1950, Chapter 131, as amended, [1957] 1 R.C.S.
198; Procureur général du Canada c. Québec Ready Mix
Inc., [1985] 2 C.F. 40 (C.A.) (sub nom. Pilote Ready
Mix Inc. et al. c. Rocois Construction Inc.) (1985), 8
C.P.R. (3d) 145.
DOCTRINE
Skeoch, Dr. Lawrence A. & McDonald, Bruce C. Évolu-
tion dynamique et responsabilité dans une économie de
marché au Canada, Ministère des Approvisionnements
et Services Canada, 1976.
AVOCATS:
Christopher Harvey pour les demandeurs.
Bruce F. Fraser pour le défendeur Milk
Board.
Russell W. Lusk pour la défenderesse Fraser
Valley Milk Producers Co -Operative Associa
tion.
W. B. Scarth, c.r. pour la défenderesse Com
mission canadienne du lait.
PROCUREURS:
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour les
demandeurs.
Richards Buell Sutton, Vancouver, pour le
défendeur Milk Board.
Ladner Downs, Burnaby, (Colombie-Britanni-
que) pour la défenderesse Fraser Valley Milk
Producers Co -Operative Association.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse Commission canadienne du lait.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Les motifs prononcés en l'espèce
s'appliquent à trois requêtes: une adressée par le
défendeur Milk Board, une autre par la défende-
resse Fraser Valley Milk Producers Co -Operative
Association et une autre par la défenderesse Com
mission canadienne du lait. Elles tendent toutes à
obtenir la radiation de la déclaration des deman-
deurs (conformément à la Règle 419 [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 6631) pour le motif
que ladite déclaration ne révèle aucune cause rai-
sonnable d'action. Subsidiairement, elles cherchent
à faire radier certaines parties de la déclaration
pour plusieurs motifs dont je parlerai plus loin.
Les demandeurs prétendent essentiellement que
les défendeurs leur ont causé un préjudice en
agissant à l'encontre de l'article 31.1 de la Loi sur
la concurrence, c'est-à-dire la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap.
C-23, modifiée par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art.
12 et S.C. 1986, chap. 26, art. 19:
31.1 (1) Toute personne qui a subi une perte ou un préju-
dice par suite
a) d'un comportement allant à l'encontre d'une disposition
de la Partie V ...
peut, devant toute cour compétente, réclamer et recouvrer de la
personne qui a eu un tel comportement ... une somme égale au
montant de la perte ou du préjudice qu'elle est reconnue avoir
subis ...
(3) La Cour fédérale du Canada a compétence aux fins
d'une action prévue au paragraphe (1).
Le comportement prohibé par la Partie V (parti-
culièrement l'article 32 [mod. par S.C. 1974-
75-76, chap. 76, art. 14]) est celui d'une personne
qui:
32. (1) ... complote, se coalise, se concerte ou s'entend avec
une autre
a) pour limiter indûment les facilités de transport, de pro
duction, de fabrication, de fourniture, d'emmagasinage ou de
négoce d'un produit quelconque;
b) pour empêcher, limiter ou diminuer, indûment, la fabrica
tion ou production d'un produit ou pour en élever déraisonna-
blement le prix;
c) pour empêcher ou diminuer, indûment, la concurrence
dans la production, la fabrication, l'achat, le troc, la vente,
l'entreposage, la location, le transport ou la fourniture d'un
produit, ou dans le prix d'assurances sur les personnes ou les
biens; ou
d) pour restreindre ou compromettre, indûment de quelque
autre façon, la concurrence.
L'article 32 fait d'une telle conduite un acte
criminel.
Les défendeurs ne discutent pas, à ce stade des
procédures, la question de savoir si leurs activités
contreviennent ou non à l'article 32 de la Partie V
de la Loi. Ils soutiennent toutefois que même si
c'était le cas, lesdites activités sont expressément
sanctionnées par les législations fédérale et provin-
ciale et qu'elles sont en conséquence soustraites à
l'application de l'article 32.
Le défendeur Milk Board a été constituée en
vertu de la Milk Industry Act de la Colombie-Bri-
tannique, R.S.B.C. 1979, chap. 258. Elle est habi-
litée par l'article 39 [mod. par S.B.C. 1984, chap.
25, art. 24; 1985, chap. 51, art. 50] de la Loi à
prendre des ordonnances relativement à la produc
tion et la commercialisation du lait. Dans la liste
des pouvoirs spécifiques qui lui sont conférés par
l'article 39, elle peut prendre des ordonnances:
[TRADUCTION] 39. (1) ...
h) fixant la valeur minimum que les laitiers devront verser
aux producteurs pour le lait vendu sur le marché de consom-
mation, valeur qui sera établie selon la formule prévue plus
loin dans cette Loi;
i) déterminant la valeur minimum que les laitiers devront
verser aux producteurs pour le lait utilisé dans la fabrication
des produits laitiers;
j) fixant le prix qui devra être payé à tous les producteurs
pour le lait qu'ils commercialisent et qui est réservé au
marché de consommation, lequel prix sera unifié, compte
tenu de la quantité de lait vendue sur le marché de consom-
mation et des surplus de lait réservé audit marché et qui
devront être écoulés sur le marché du lait de transformation
et compte tenu des valeurs applicables à ces quantités selon
les alinéas h) et i) respectivement;
k) répartissant entre tous les producteurs de lait de consom-
mation la quantité de lait vendue sur ce marché et fixant le
prix du lait réservé au marché de consommation de façon que
chaque producteur recoive
i) la valeur du lait de consommation telle qu'elle est
déterminée à l'alinéa h) en proportion de tout le lait de
consommation qu'il a commercialisé, laquelle est égale à la
portion des ventes de lait de consommation sur tout le lait
reçu par les laitiers licenciés dans chaque aire de produc
tion; et
ii) la valeur telle qu'elle est déterminée au sous-alinéa i)
pour le reste du lait réservé au marché de consommation et
qu'il a commercialisé comme tel; et prévoyant la réparti-
tion de toutes les sommes provenant du lait réservé au
marché de consommation en conséquence;
I) ordonnant que toutes les sommes provenant du lait de
consommation produit par tous les producteurs dans chaque
aire de production et vendu sur les deux marchés soient
réparties entre tous les producteurs de façon que chacun
reçoive sa part des revenus en proportion de la quantité de
lait de consommation qu'il a fournie;
s) instaurant des contingents pour la commercialisation du
lait, qui réglementent la quantité de lait qu'un producteur
peut commercialiser sous forme de lait de consommation ou
de lait de transformation pour une période spécifiée par la
commission, autorisant des changements de contingents et
prescrivant les modalités suivant lesquelles les contingents
peuvent être attribués conservés, transférés ou annulés;
t) établissant ou désignant un organisme auquel ou par
l'entremise duquel tout le lait réservé au marché de consom-
mation sera ou pourra être livré ou vendu;
u) interdisant à toute personne de produire ou de commer-
cialiser le lait de toute catégorie à moins qu'elle ne détienne
un contingent de lait;
Le lait commercialisé comme lait de consomma-
tion est le lait frais qui sera consommé sous cette
forme. Le [TRADUCTION] «marché du lait de
fabrication» est le lait qui entre dans la préparation
de produits tels le fromage, le beurre, le yaourt.
On l'appelle également le [TRADUCTION] «marché
du lait de transformation» ou «marché de
transformation».
La compétence du Milk Board, qui lui est confé-
rée par sa loi constitutive provinciale, s'étend à la
réglementation du lait produit et commercialisé
dans la province. Mais, il est aussi habilité à
réglementer la production du lait pour les marchés
interprovinciaux et d'exportation, compétence qui
lui a été attribuée par voie de délégation par la loi
fédérale: Loi sur l'organisation du marché des
produits agricoles, S.R.C. 1970, chap. A-7, art. 2;
Décret relatif au lait de la Colombie-Britannique,
C.P. 1973-2911 (C.R.C. 1978, chap. 143) et
DORS/78-758; ainsi que les décrets pris en vertu
de la Milk Industry Act, R.S.B.C. 1979, chap.
258: B.C. Reg. and Orders in Council 621/74
(B.C. Reg. 99/74); 3530/75 (B.C. Reg.743/75);
479/83 (B.C. Reg.12 4 / 8 3) et 194 9 / 8 4 (1984).
La défenderesse la Commission canadienne du
lait a été créée par la Loi sur la Commission
canadienne du lait, S.R.C. 1970, chap. C-7. Les
objets de la Commission sont énoncés à l'article 8
de la Loi:
8.... offrir aux producteurs efficaces de lait et de crème
l'occasion d'obtenir une juste rétribution de leur travail et de
leur investissement et d'assurer aux consommateurs de produits
laitiers un approvisionnement continu et suffisant de produits
laitiers de bonne qualité.
La Commission organise un système de versement
de subsides fédéraux relativement au lait de trans
formation. Elle achète également le lait produit
qui excède les contingents fixés pour en disposer
sur les marchés d'exportation. Elle perçoit des
droits des producteurs qui surproduisent.
Les contingents attribués à chaque province
pour la production du lait de transformation sont
établis en vertu du Plan national de commerciali
sation du lait. Il s'agit d'une entente fédérale-pro-
vinciale selon laquelle la part octroyée à la Colom-
bie-Britannique est fixée à 3,7 % du marché
national pour le lait de transformation'. Les
demandeurs se plaignent que cette attribution est
totalement inadéquate puisque la population de la
Colombie-Britannique dépasse largement 3,7 % de
la population du pays. Ils affirment que cette
quote-part restreinte vise à protéger les fabricants
actuels de fromage et de beurre des provinces
centrales du Canada aux dépens du développement
de l'industrie locale de la Colombie-Britannique.
Le Plan national de commercialisation du lait
est géré par le Comité canadien de gestion des
approvisionnements de lait. Les demandeurs allè-
guent dans leur déclaration que ce Comité exerce
le pouvoir réel de décider, sous réserve de l'appro-
bation du Milk Board, quelle part de la production
nationale sera attribuée à la Colombie-Britannique
en vertu du Plan national. Le président du Comité
est désigné par la Commission canadienne du lait.
Ainsi, affirme-t-on, la part d'une province du con-
tingentement total disponible est fixée par le Plan
national de commercialisation du lait; cette part
est ensuite distribuée parmi les producteurs laitiers
de la province, par les organismes provinciaux;
pour la Colombie-Britannique, il s'agit du défen-
deur en l'espèce, le Milk Board.
La défenderesse Fraser Valley Milk Producers
Co -Operative Association est, comme son nom
l'indique, une coopérative composée de plusieurs
producteurs laitiers de la Colombie-Britannique.
(Elle a été familièrement appelée Dairyland par
l'avocat des demandeurs) Cette coopérative est
réglementée par le Milk Board; elle fournit environ
75 % du volume du lait de consommation dans la
province. Elle désigne les membres du Market
Share Advisory Committee du Milk Board, lequel
comité, selon la déclaration des demandeurs,
excerce le pouvoir réel de décision du Milk Board
pour ce qui est de fixer et de répartir les contin
gents. Toujours selon la déclaration, seuls les pro-
ducteurs de lait de consommation sont autorisés à
siéger au sein du Market Share Advisory Commit
tee. Ni les producteurs de lait de transformation ni
les consommateurs ne sont représentés. Je prends
' Je remarque qu'alors que plusieurs faits exposés dans les
présents motifs sont présentés sous forme de narration, ils sont
tirés de la déclaration des demandeurs, comme il se doit pour
les besoins des requêtes en cause. Comme tels, ces faits ne sont
pas prouvés.
acte de l'alinéa 39(1)z) de la Milk Industry Act
qui habilite le Milk Board à rendre des
ordonnances:
[TRADUCTION] 39. (1) ...
z) nommant des comités consultatifs formés de producteurs,
de consommateurs, de laitiers et d'autres catégories de per-
sonnes que l'office juge utiles pour agir comme conseillers et
l'assister dans l'exercice des fonctions qui lui sont conférées
par la présente loi, et autorisant l'office à payer les dépenses
de ces comités;
Pendant une période de deux ans antérieure à
novembre 1984, la Colombie-Britannique s'est
retirée du Plan national de commercialisation du
lait et aucun subside fédéral n'a vraisemblable-
ment été versé aux producteurs de lait de transfor
mation de la province pendant ce temps. Durant
ces années, les demandeurs ont commencé à pro-
duire et à commercialiser du lait sur le marché de
transformation. Ils en ont vendu directement à une
ou plusieurs fabriques de fromage. (Leur avocat a
appellé cette activité «l'industrie du cottage».) En
1984, la Colombie-Britannique s'est ralliée au Plan
national de commercialisation du lait. Il est alors
redevenu nécessaire pour les producteurs laitiers
de la province d'obtenir un contingent afin de
pouvoir vendre du lait de transformation. Le Milk
Board a refusé des contingents aux demandeurs,
n'en allouant qu'aux fermiers qui détenaient déjà
des contingents de lait de consommation (ce qu'on
appelle le système intégré de commercialisation et
d'allocation). A la demande du Milk Board, des
injonctions ont été accordées, empêchant les
demandeurs de continuer la commercialisation de
leur lait.
Pour commercialiser leur lait, les demandeurs
doivent désormais acheter des contingents de lait
de consommation des producteurs laitiers qui
détiennent déjà de tels contingents. (Il existe éga-
lement un système d'entrée très restreint qui, si je
comprends bien, n'est pas une façon pratique pour
les demandeurs d'être autorisés à continuer leur
production). Le coût d'achat des contingents
actuels de lait de consommation est d'environ
1 750 000 $ (1,75 million de dollars) pour un trou-
peau de 100 vaches. Les demandeurs se plaignent
que ce système les oblige à acheter des contingents
de lait de consommation à un prix exhorbitant,
qu'ils ne peuvent payer, alors qu'ils ne désirent
qu'approvisionner en lait le marché de transforma
tion.
Les demandeurs allèguent que les défendeurs
ont élaboré et implanté ce système dans le but
d'éliminer toute concurrence dans l'industrie lai-
tière et pour faire grimper les prix au profit des
détenteurs actuels de contingents. On dit que cette
situation nuit à ceux qui voudraient concurrencer
les détenteurs actuels de contingents de lait de
consommation et cause également un préjudice
aux consommateurs. Dans leur déclaration, les
demandeurs indiquent par surcroît qu'ils ne peu-
vent livrer leurs produits à l'extérieur de la Colom-
bie-Britannique (par exemple en Alberta). De
plus, tel qu'il a été indiqué plus haut, ils allèguent
que ce système vise à empêcher la croissance de
nouvelles industries de transformation de produits
laitiers en Colombie-Britannique.
Cette situation de fait a déjà été l'objet d'autres
litiges: Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm Inc.
(1986), 69 B.C.L.R. 220 (C.S.); confirmé par
(1987), 12 B.C.L.R. (2d) 116 (C.A.); Milk Bd. v.
Birchwood Dairy Farm Ltd. (1986), 1 B.C.L.R.
(2d) 210 (C.A.); Belden Farms Ltd. v. Milk Bd.
(1987), 14 B.C.L.R. (2d) 60 (C.S.).
Dans l'arrêt Clearview, on a attaqué les mesures
prises par le Milk Board pour le motif qu'elles
enfreignaient la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et qu'elles étaient
donc inconstitutionnelles. Cette attaque était
fondée sur l'alinéa 2d), parce que ces mesures
constituent un empiètement sur le droit à la liberté
d'association des producteurs de lait de transfor
mation et des fabricants de fromage, sur l'alinéa
6(2)b), parce qu'elles constituent une atteinte au
«droit de gagner leur vie», sur l'article 7, parce
qu'elles constituent une violation du droit «à la vie,
à la liberté et à la sécurité de sa personne», et sur
le paragraphe 15(1), parce qu'elles constituent un
empiètement sur le droit des producteurs de ne pas
être victimes de discrimination et d'être traités de
façon équitable devant la loi. Cette contestation a
été infructueuse. Il est intéressant de noter que,
lorsqu'il a rendu sa décision il y a presque deux
ans, M. le juge Toy, a émis [à la page 254] une
opinion incidente:
[TRADUCTION] À titre de juge et vu ma nature, je ne dis
généralement rien de plus que ce qui est nécessaire, et je n'ai
pas le droit de faire autrement. Toutefois, dans cette affaire,
j'ai perçu au cours de l'audience un vif intérêt pour la régle-
mentation de l'industrie laitière ...
Si le Milk Board n'offre pas de solution à certains problèmes
économiques actuels, il me semble inévitable que les processus
politiques et législatifs devront être remis en branle.
Dans l'arrêt Birchwood, les mesures prises par le
Milk Board ont été contestées pour le motif que ce
dernier avait outrepassé la compétence qui lui
avait été déléguée par la loi et que, de toute façon,
l'imposition de droits aux producteurs laitiers était
inconstitutionnelle car elle ne relevait pas de la
compétence provinciale (la contestation dans l'af-
faire Birchwood portait précisément sur l'imposi-
tion de droits par le Milk Board). Cette attaque a
échouée.
Dans l'arrêt Belden, le système de fixation des
prix du Milk Board et de la Commission cana-
dienne du lait a été contesté pour le motif qu'il
n'offrait pas aux demandeurs la possibilité de rece-
voir une juste rétribution pour leur travail. Cette
contestation n'a pas réussi. On a jugé que la Milk
Industry Act et la Loi sur l'organisation du
marché des produits agricoles n'imposaient ni au
Milk Board ni à la Commission canadienne du lait
le devoir d'assurer une répartition égale, parmi
tous les producteurs, des sommes obtenues de la
vente du lait de transformation. Et que la Milk
Industry Act et la Loi sur la Commission cana-
dienne du lait n'imposaient pas non plus l'obliga-
tion de donner à tous les producteurs la chance de
recevoir une juste rétribution.
Comme je l'ai déjà mentionné, on conteste en
l'espèce les activités des défendeurs pour le motif
qu'elles sont contraires à l'article 31.1 de la Loi
sur la concurrence. L'avocat des demandeurs
affirme que la contestation en l'espèce, fondée sur
cet article est due au fait qu'il s'agit d'une nouvelle
disposition législative (paragraphe 35 de la décla-
ration), mais il faut se rappeler que les articles
31.1 et 32 de la Loi sur la concurrence ne sont pas
du droit nouveau. Ces articles ont été promulgués
dans leur forme actuelle en décembre 1975, lors-
que la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions
a été modifiée avec effet rétroactif à cette date:
voir S.C. 1974-75-76, chap. 76. Qui plus est, un
article essentiellement similaire à l'article 32 exis-
tait avant cette époque, tout au moins relativement
aux articles de commerce par opposition aux servi
ces: Loi relative aux enquêtes sur les coalitions,
S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 32 et ceux qui l'ont
précédé.
Ces articles antérieurs ont créé dans la jurispru
dence ce qu'on appelle [TRADUCTION] «un moyen
de défense utilisé par l'industrie réglementée»: R v.
Chung Chuck, [1929] I W.W.R. 394 (C.A.C.-B.);
R. v. Simoneau, [1936] 1 D.L.R. 143 (C. Sess.
Qué.); R. v. Cherry, [1938] 1 W.W.R. 12 (C.A.
Sask.); Ontario Boys' Wear Ltd. et al. v. The
Advisory Committee and the Attorney -General
for Ontario, [1944] R.C.S. 349; Reference Re
Farm Products Marketing Act, The, R.S.O. 1950,
Chapter 131, as amended, [1957] 1 R.C.S. 198. Il
a été décidé dans ces arrêts que les offices provin-
ciaux de commercialisation ne peuvent commettre
une infraction sous le régime de l'article 32 de la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, lors-
qu'ils exercent les pouvoirs qui leur sont conférés
par une loi provinciale ou fédérale. Cette jurispru
dence s'est développée non par à la suite d'accusa-
tions portées aux termes des lois sur les coalitions
mais plutôt lorsqu'on a voulu contester la constitu-
tionnalité des offices de commercialisation eux-
mêmes. Dans ce contexte, on soutenait que la
législation fédérale sur les coalitions, qui exige une
attitude compétitive, occupait le champ et qu'en
conséquence, elle avait préséance sur la législation
provinciale en matière de commercialisation qui
réprimait ce comportement. Quoi qu'il en soit, le
raisonnement qui s'ensuivit est résumé dans l'arrêt
Farm Products Marketing Reference. M. le juge
Rand écrivait, à la page 219:
[TRADUCTION] [On] a soutenu que la réglementation entrait
en conflit avec les dispositions de la Loi relative aux enquêtes
sur les coalitions et l'art. 411 du Code criminel, mais je ne puis
souscrire à cette prétention. La loi provinciale envisage une
réglementation coercitive qui tient compte à la fois des intérêts
publics et privés. Les dispositions de la Loi relative aux enquê-
tes sur les coalitions et celles du Code criminel envisagent les
accords et les coalitions volontaires que des particuliers con-
cluent au détriment de l'intérêt public et qui violent les inter-
dictions que comportent ces textes de loi.
M. le juge Locke reprenait à la page 239:
[TRADUCTION] À mon avis, il est impossible de déclarer que,
dans le cadre des dispositions du sous-al. (vi) de l'al. a) de l'art.
2 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, le plan «est
de nature à fonctionner au détriment ou à l'encontre des
intérêts du public, soit des consommateurs, soit des producteurs
ou autres,. Il s'agit, au contraire, d'un plan dont la mise en
oeuvre est censée être dans l'intérêt du public. En outre, l'in-
fraction que l'art. 2 définit et qui expose une personne aux
sanctions prévues à l'art. 32 est un acte criminel. Selon moi,
l'accomplissement d'un acte que la Législature a le pouvoir
d'accomplir et qu'elle a autorisé ne peut constituer un acte
criminel. [C'est moi qui souligne.]
Il est clair que l'idée que des individus puissent
être coupables d'une infraction criminelle alors
qu'ils agissent en conformité avec les directives
d'une législature n'allait pas être facilement accep-
tée par les tribunaux. L'avocat des demandeurs
prétend que telle était l'attitude sous l'ancienne
législation mais que la situation a changé par suite
de l'emphase mise sur les redressements décrimi-
nalisés dans la nouvelle Loi sur la concurrence.
Qui plus est, il affirme que le [TRADUCTION]
«moyen de défense utilisé par l'industrie réglemen-
tée» n'est recevable que lorsque ladite industrie se
lance dans une activité d'intérêt public, ce qui n'est
manifestement pas le cas du Milk Board en
l'espèce.
Il est vrai que les demandeurs ont intenté une
poursuite civile fondée sur l'article 31.1' de la Loi
sur la concurrence mais à mon avis, cela ne suffit
pas à soustraire lesdits demandeurs à l'application
de la jurisprudence établie. Pour engager une
poursuite civile sous le régime de l'article 31.1, il
faudra prouver les mêmes éléments que ceux qui
sont exigés par l'article 32. La situation de fait sur
laquelle une action intentée en vertu de l'article
31.1 est fondée constituera aussi une infraction
criminelle sous le régime de l'article 32. Je ne peux
donc pas voir comment la «décriminalisation» des
redressements par l'article 31.1 de la Loi sur la
concurrence peut permettre aux demandeurs de
prétendre que la jurisprudence établie ne leur est
pas applicable.
Quant à l'argument selon lequel la jurisprudence
établie ne s'applique que lorsqu'un organisme de
réglementation agit dans l'intérêt du public, je ne
crois pas, en interprétant les précédents, que les
tribunaux aient reçu le mandat de réviser les déci-
sions d'un office provincial de commercialisation
afin de déterminer si, dans les faits, il agit dans
l'intérêt du public. À mon avis, la jurisprudence
2 La constitutionnalité de cet article a été établie par la Cour
d'appel fédérale dans l'arrêt Procureur général du Canada c.
Québec Ready Mix Inc., [1985] 2 C.F. 40 (sub nom. Pilote
Ready Mix Inc. et al. c. Rocois Construction Inc.) (1985) 8
C.P.R. (3d) 145.
révèle plutôt que lorsqu'un tel office agit dans les
limites de son mandat légal, il est présumé agir
dans l'intérêt du public. Est-ce le cas? C'est une
question à être tranchée non par les tribunaux
mais par les membres des législatures fédérale et
provinciales qui ont conféré aux offices la compé-
tence voulue.
Le principal argument à l'encontre de la position
des demandeurs est toutefois le fait que le nouvel
article 32 (adopté en décembre 1975) a fait l'objet
d'une décision récente de la Cour suprême Procu-
reur général du Canada et autres c. Law Society
of British Columbia et autre, [1982] 2 R.C.S. 307
(l'arrêt Jabour). Le jugement porte qu'un règle-
ment pris par la Law Society of British Columbia,
interdisant aux avocats de faire de la publicité ne
peut être qualifié de pratique restrictive de com
merce qui va à l'encontre de l'article 32. Parlant
au nom de la Cour, M. le juge Estey, a écrit:
à la page 344:
En 1975, le Parlement, par l'adoption du chap. 76 des
Statuts du Canada, 1974-75-76, a apporté toute une série de
modifications ...
à la page 347:
Le rapport entre les lois de réglementation provinciales et la
loi fédérale est une question souvent débattue devant les cours
et aux pages 354-356:
Dans ces arrêts, les cours ont affirmé, chacune à sa manière,
que l'observation des dispositions d'une loi provinciale valide-
ment adoptée peut difficilement être contraire à l'intérêt public
Pour ce qui est de la présente espèce et des actes accomplis
par les Benchers sous le régime de la Legal Professions Act,
précitée, la question qui se pose est de savoir si ces actes
peuvent constituer une infraction à la partie V de la L.R.E.C.,
et plus précisément à son par. 32(1). Les mots essentiels qui se
trouvent vers le début de l'art. 32, sont les suivants: « ... toute
personne qui complote, se coalise, se concerte ou s'entend avec
une autre». Ces mots sont de portée assez large pour compren-
dre tous les Benchers collectivement ou individuellement ou
l'Association en tant que personne morale et un seul ou plu-
sieurs des Benchers ou des administrateurs dont celle-ci est
dotée par la loi, ou même toute personne avec qui l'Association
peut avoir agi conjointement. Il s'ensuit que si deux de ces
personnes, physiques ou morales, concluaient volontairement un
accord interdit par la L.R.E.C., il y aurait infraction et, si la
perpétration d'une infraction était soupçonnée, on pourrait très
bien ordonner une enquête en vertu de l'art. 48. Ce qui s'est
produit en l'espèce est toutefois différent tant sur le plan des
faits que sur celui du droit. Comme l'a dit le juge Rand dans le
Renvoi relatif à The Farm Products Marketing Act, précité,
aux pp. 219 et 220, la loi provinciale est «coercitive» dans son
application aux membres du groupe soumis à la réglementation
de la province, tandis que la loi fédérale vise «les accords et les
coalitions volontaires». En l'espèce, l'»accord» consiste apparem-
ment en la décision du comité de discipline que l'appelant
Jabour, en faisant la publicité en question, a commis une faute
professionnelle. On prétend qu'en se concertant ainsi, non
seulement les Benchers ont fait ce que permet la loi, incontesta-
blement valide, qui leur confère leurs pouvoirs, mais ils se sont
acquittés en fait des obligations que leur impose cette loi. J'ai
déjà mentionné le Manuel d'éthique professionnelle. La régle-
mentation qu'il contient ne se fonde sur aucune loi ni sur aucun
règlement. Les Benchers n'ont pas promulgué de règlement
ayant trait à la publicité. Comme il se dégage du dossier
conjoint en l'espèce, c'est au moyen d'une décision disciplinaire
qu'on a réglementé la conduite en question.
Je ne suis pas d'avis que les mots que le Parlement a employés
au par. 32(I), si on prend celui-ci isolément et qu'on l'inter-
prète et l'applique correctement, se rapportent aux mesures
prises par l'Association dans l'exercice du pouvoir dont elle est
investie par une loi provinciale que j'estime valide.
Je remarque premièrement que les Benchers
étaient membres du groupe qu'ils réglementaient
(les personnes réglementées, ou leurs représen-
tants, ayant établi la règle portant restriction du
commerce). Deuxièmement, la compétence accor-
dée à la Law Society n'exigeait pas qu'elle empê-
che les avocats de faire de la publicité. Les Ben-
chers se voyaient plutôt accorder le pouvoir de
prendre les règlements qu'ils estimaient être dans
l'intérêt du public: la définition de la conduite
indigne d'un membre de la Society comprenait
[TRADUCTION] «toute affaire, conduite ou chose
que les Benchers jugeaient contraire à l'intérêt du
public ou de la profession juridique». Le pouvoir
accordé était très vague et général.
À mon avis, la cause en l'espèce est visée encore
plus clairement par la jurisprudence établie que ne
l'est la situation que les tribunaux devaient exami
ner dans l'affaire Jabour. Dans le présent cas, le
Milk Board peut nommer un comité formé de
producteurs et chargé de le conseiller. En implan-
tant un système d'allocation, le Board exerce la
compétence qui lui a été spécifiquement accordée.
Il a le pouvoir exprès de répartir les contingents et
d'empêcher la commercialisation du lait par ceux
qui n'en détiennent pas. Dans l'arrêt Jabour, les
Benchers n'avaient que le mandat général d'établir
des normes pour la profession. Ils n'avaient pas le
pouvoir spécifique ou explicite d'empêcher ou de
réglementer la publicité. En conséquence, on avait
encore plus d'arguments qu'en l'espèce pour pré-
tendre que les dispositions de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions (devenue la Loi sur la
concurrence) pouvaient s'appliquer.
L'avocat des demandeurs cherche à établir une
distinction avec l'arrêt Jabour pour le motif qu'on
avait expressément accordé aux Benchers le pou-
voir de déterminer ce qui [TRADUCTION] «était
contraire au meilleur intérêt du public» alors qu'un
pouvoir aussi étendu n'a pas été donné aux défen-
deurs en l'espèce. Les défendeurs, le Board et la
Commission canadienne du lait, ne sont pas non
plus expressément tenus d'agir dans l'intérêt du
public. Je ne crois toutefois pas que cette distinc
tion soit pertinente. Comme je l'ai fait remarquer,
on présume dans la jurisprudence établie que les
mesures prises en conformité avec une disposition
réglementaire fédérale ou provinciale sont dans
l'intérêt du public. La question de savoir si la loi
exige spécifiquement ou non que le Milk Board ou
la Commission canadienne du lait agissent dans
l'intérêt du public n'est donc pas pertinente. À tout
évènement, il faut noter que le préambule du Plan
national de commercialisation du lait prévoit:
[TRADUCTION] «CONSIDÉRANT QU'il est souhaitable qu'un
programme de gestion des approvisionnements pour les produits
laitiers transformés soit continué dans l'intérêt à long terme des
consommateurs, des producteurs et des transformateurs ...»
De même, les objets de la Commission canadienne
du lait, qui sont exposés à la page 470 ci-dessus,
consistent à équilibrer les intérêts des consomma-
teurs et ceux des producteurs.
L'avocat des demandeurs cherche à établir une
distinction avec l'arrêt Jabour pour le motif que
d'autres modifications ont été apportées à la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions. Comme je
l'ai déjà mentionné, les articles 31.1 et 32 n'ont
subi aucun changement radical par suite de ces
modifications. Le procureur se fonde sur les arti
cles 1.1 et 2.1 de la Loi sur la concurrence ajoutés
par S.C. 1986, chap. 26, art. 19 et 21. L'article 1.1
expose les objets de la Loi:
1.1 La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la
concurrence au Canada dans le but de stimuler l'adaptabilité et
l'efficience de l'économie canadienne, d'améliorer les chances
de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en
tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étran-
gère au Canada, d'assurer à la petite et à la moyenne entreprise
une chance honnête de participer à l'économie canadienne, de
même que dans le but d'assurer aux consommateurs des prix
compétitifs et un choix dans les produits.
L'article 2.1 traite des corporations de la Cou-
ronne fédérale ou d'une province:
2.1 Les corporations mandataires de Sa Majesté du chef du
Canada ou d'une province sont, au même titre que si elles
n'étaient pas des mandataires de Sa Majesté, liées par la
présente loi et sujettes à son application à l'égard des activités
commerciales qu'elles exercent en concurrence, réelle ou poten-
tielle. avec d'autres personnes.
En considérant l'effet voulu de ces articles, il y a
lieu d'examiner un peu l'historique de la législa-
tion. En 1971, le processus qui a abouti aux modi
fications de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions de 1975 et à la Loi sur la concurrence
de 1986 a été mis en branle par le dépôt du projet
de loi C-256 [Loi encourageant la concur
rence ... , 3e sess., 28e Rég., 1970-71]. Ce projet
de loi, appelé la Loi sur la concurrence, comportait
une disposition qui exemptait de son application
les personnes ayant une ligne de conduite expressé-
ment requise ou autorisée par le Parlement du
Canada ou une législature provinciale'. Le projet
de loi C-256 n'a jamais été adopté. Il a été rem-
placé par ce qu'on a appelé les modifications de la
phase I (1975) et de la phase II (1986). Après le
retrait du projet de loi C-256, et coïncidant avec
l'adoption des modifications de la phase I (S.C.
1974-75-76, chap. 76), une étude a été préparée
pour le compte du ministre de la Consommation et
des Corporations (le Rapport Skeoch/McDonald,
Évolution dynamique et responsabilité dans une
économie de marché au Canada, publié en 1976).
Ce rapport expose aux pages 148 et 149:
'Cette disposition prévoit notamment:
92. (I) Rien dans la présente loi ne s'applique relative-
ment à un accord, un arrangement ou une ligne de conduite
qui, n'était-ce le présent article, constituerait
a) une violation de l'article 16, ou
b) une discrimination en matière de prix, une pratique
restrictive, une fixation de prix rendu ou l'octroi de réduc-
tions publicitaires au sens donné à ces expressions aux fins
de l'article 37,
lorsqu'une loi du Parlement du Canada ou de la législature
d'une province ou un règlement du pouvoir exécutif, un règle-
ment administratif municipal ou autre, un arrêté, un décret,
une ordonnance, une règle ou tout autre acte établi en applica
tion d'une telle loi oblige ou autorise expressément à ce faire les
parties à l'accord ou arrangement ou la ou les personnes suivant
cette ligne de conduite et qu'il est expressément exigé que cet
accord ou arrangement ou cette ligne de conduite soient contrô-
lées et réglementés, d'une manière continue, par un office, un
conseil, une commission ou un autre organisme public nommé
en application d'une loi ou de l'acte établi en application d'une
telle loi et qui est chargé de la protection de l'intérêt public.
Nous croyons fermement que des mesures contre des mono-
poles œuvrant sous l'égide ou la surveillance du gouvernement
sont à tout le moins aussi nécessaires que celles qui s'imposent
dans le secteur privé.
D'une façon plus générale, nous recommandons qu'un orga-
nisme réglementé soit considéré comme étant généralement
assujetti à la législation sur les coalitions et qu'il en soit
exempté seulement lorsque:
(I) la conduite restrictive est imposée par la loi;
(2) la conduite restrictive est sous la surveillance de fonc-
tionnaires indépendants, et non des représentants des
participants;
(3) la restriction est liée au but visé par la législation et
qu'elle constitue le moyen le moins restrictif pour attein-
dre le but en question.
En effet, nous recommandons que ces trois dispositions s'ap-
pliquent à toutes les formes de contrôle monopolistique autori-
sées par le gouvernement. En particulier, nous sommes persua-
dés qu'elles sont nécessaires dans le cas des offices de
commercialisation dits de «gestion des stocks». En réalité, ces
organismes ne sont rien moins que des cartels.
Le rapport poursuivait avec une description des
abus pouvant survenir dans un système de contin
gents; en voici un extrait [aux pages 150 et 151]:
Un autre type d'abus consiste à laisser augmenter la valeur
des quotes-parts, sans fixer de limite. Aux yeux du consomma-
teur cela prouve que les rapports de l'industrie sont excessifs.
Au niveau des producteurs, des quotes-parts dont la valeur est
élevée sont une charge exorbitante pour de jeunes agriculteurs
débutants. Compte tenu de la valeur actuelle des quotes-parts
en Colombie-Britannique, un jeune producteur qui se lance
dans l'industrie laitière pourrait facilement se retrouver avec
une dette de $ 75,000 de quotes-parts en moins de temps qu'il
n'en faut pour lancer une affaire convenable. Un pays d'hom-
mes libres ne saurait être fier d'une chose pareille.
Le projet de loi C-42 [Loi modifiant la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions ... , 2e
sess., 30e Lég., 1976-77] a été déposé en mars
1977. Il s'agissait d'un précurseur de ce qui allait
éventuellement être les modifications de la phase
II. Le projet de loi C-42 contenait une disposition
qui semble-t-il, visait à donner suite aux recom-
mandations du rapport ci-dessus mentionné. Cette
disposition soustrayait à l'application de la loi la
ligne de conduite expressément demandée ou auto-
risée par un organisme public (fédéral ou provin
cial) si les membres dudit organisme n'étaient pas
nommés ou élus par ou représentant des personnes
dont la ligne de conduite était réglementée et
lorsque l'application de la législation sur la concur
rence entravait sérieusement les objectifs fonda-
mentaux du mandat de l'autorité en matière de
réglementation 4 . Le projet de loi C-42 n'a pas été
adopté. Il y a eu, en novembre 1977, une deuxième
tentative de faire adopter les modifications de la
phase II et le projet de loi C-13 [Loi modifiant la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ... 3'
sess., 30» Lég., 1977] a été déposé. Ce dernier
comportait une disposition établissant la portée du
[TRADUCTION] «moyen de défense utilisé par l'in-
dustrie réglementée», similaire à celle contenue
dans le projet de loi C-42. Le projet de loi C-13 n'a
jamais été adopté. Les projets de loi C-42 et C-13
renfermaient une disposition comparable à l'article
2.1 actuels.
Il est alors nécessaire d'examiner de façon pré-
cise les articles 1.1 et 2.1 des modifications de
1986. La question est de savoir si, à la lumière de
la jurisprudence abondante qui a établi [TRADUC-
TION] «le moyen de défense utilisé par l'industrie
réglementée» et de l'arrêt Jabour rendu en 1982, le
Parlement entendait, en adoptant les modifications
de 1986, que l'article 32 de la Loi sur la concur
rence soit applicable aux entités telles les offices
provinciaux du lait à l'égard du genre d'activités
4 4.5 (1) La Partie IV.1 et les articles 32, 32.2, 32.3, 33, 34,
35 et 38 ne s'appliquent pas à une activité réglementée.
»activité réglementée» désigne toute activité répondant aux
conditions suivantes:
a) l'activité a été expressément prescrite ou autorisée par
une autorité administrative qui n'a pas été élue ni nommée
par les personnes, les catégories de personnes y compris
leurs représentants, dont elle peut réglementer l'activité,
b) l'autorité administrative visée au paragraphe a) a
expressément voulu réglementer l'activité et l'a fait confor-
mément à la loi fédérale ou provinciale qui l'a expressé-
ment habilitée à cette fin, et
c) l'application de la présente loi, compte tenu des circons-
tances, porterait gravement atteinte aux objectifs fonda-
mentaux, en matière de réglementation, d'une loi visée à
l'alinéa b).
5 La présente Loi lie un mandataire de Sa Majesté du chef
du Canada ou d'une province qui est une corporation, à l'égard
des activités commerciales que cette corporation exerce en
concurrence, avec d'autres personnes, que cette concurrence
soit réelle ou potentielle, mais une telle corporation n'est pas
ainsi liée à l'égard de ses activités commerciales quand celles-ci
sont directement reliées à ses activités régulatrices. [Les souli-
gnés indiquent ce qui est différent de l'article 2.1 actuel.]
dont se plaignent les demandeurs en l'espèce. Je ne
crois pas. Si telle avait été son intention, je suis
d'avis que des dispositions beaucoup plus précises
que les articles 1.1 ou 2.1 auraient été ajoutées à
cette fin. Le sort réservé aux dispositions précitées
des projets de loi C-42 et C-13 renforce cette
conclusion, encore que cette conclusion découle
principalement du libellé même des deux articles
susmentionnés.
La disposition relative à l'objet de la Loi, exposé
à l'article 1.1 de la Loi sur la concurrence, n'est
pas assez précise pour permettre à l'avocat des
demandeurs d'arriver au résultat escompté. Bien
que cet article expose l'objet général de la Loi, il
ne peut être interprété comme une indication qu'il
entend s'écarter de la jurisprudence déjà existante
qui a établi le [TRADUCTION] «moyen de défense
utilisé par l'industrie réglementée». Il ne peut non
plus être interprété comme une volonté de renver-
ser les conclusions de l'arrêt Jabour. Le nouvel
article 2.1 n'aide pas non plus les demandeurs. Si
je comprends bien la déclaration des demandeurs,
l'activité dont ils se plaignent n'est pas ce qu'on
pourrait qualifier d'activité commerciale. On ne se
plaint pas d'une attitude anticoncurrentielle relati-
vement à l'achat du lait, que ce soit le lait de
consommation ou le lait de transformation (si
effectivement une telle activité est couverte par
l'article 2.1). L'attitude anticoncurrentielle repro-
chée concerne l'établissement de contingents, leur
nombre limité et le fait qu'aucun n'ait été accordé
aux demandeurs. Selon mon interprétation des lois
pertinentes, le mandat du Milk Board porte
expressément sur ces activités. Qui plus est, cel-
les-ci ne sont pas de nature commerciale.
L'avocat des demandeurs soutient que la Loi sur
la concurrence doit s'appliquer aux défendeurs en
l'espèce, le Milk Board et la Commission cana-
dienne du lait, parce que l'article 33 de la Loi sur
les offices de commercialisation des produits de
ferme, S.C. 1970-71-72, chap. C-65 soustrait pré-
cisément certains offices de commercialisation des
produits de ferme (ceux créés conformément à
l'article 17 de ladite Loi) à l'application de la Loi
sur la concurrence et que la Commission cana-
dienne du lait n'est pas exemptée. À mon avis,
c'est exagérer la portée de l'article 33. L'insertion
de cet article dans la loi de 1972 n'était pas censée
enlever à tous les organismes qu'il ne couvrait pas
la protection du moyen de défense des industries
réglementées.
Le critère applicable à la radiation d'une décla-
ration ne révélant aucune cause raisonnable d'ac-
tion est exposé dans l'arrêt Operation Dismantle
Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1
R.C.S. 441 et il a récemment été examiné par la
Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Pacific Fisher-
men's Defence Alliance c. Canada, [1988] 1 C.F.
498.
Dans l'arrêt Operation Dismantle, on cite aux
pages 449 et 450 le critère tel qu'il a été établi
dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Inuit
Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, à la
page 740:
... il faut tenir tous les faits allégués dans la déclaration pour
avérés. Sur une requête comme celle-ci, un tribunal doit rejeter
l'action ou radier une déclaration du demandeur seulement
dans les cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un
cas "au-delà de tout doute" .. .
Dans l'arrêt Pacific Fishermen's Defence Alliance,
on reprend, à la page 506, un extrait de l'arrêt
Operation Dismantle:
La règle selon laquelle les faits matériels d'une déclaration
doivent être considérés comme vrais, lorsqu'il s'agit de détermi-
ner si elle révèle une cause raisonnable d'action, n'oblige pas à
considérer comme vraies les allégations fondées sur des supposi
tions et des conjectures ... On ne fait pas violence à la règle
lorsque des allégations, non susceptibles de preuve, ne sont pas
considérées comme prouvées. [C'est moi qui souligne.]
L'application de ces critères à la déclaration en
l'espèce me porte à conclure que celle-ci ne révèle
aucune cause raisonnable d'action. Je retiens l'ar-
gument pertinent de l'avocat des demandeurs selon
lequel il s'agit d'un moyen de défense utilisé par
l'industrie réglementée et non d'une exemption. Il
ressort en effet de ces décisions, qu'il s'agit d'une
défense fondée sur une conduite réglementée. Il ne
suffit pas de désigner une industrie comme une
industrie réglementée par une loi fédérale ou pro-
vinciale et de conclure ensuite que toutes les activi-
tés des individus dans cette industrie sont soustrai-
tes à la Loi sur la concurrence. Ce ne sont pas les
industries dans leur entier qui sont soustraites à
l'application de ladite loi mais uniquement les
activités prescrites ou autorisées par la loi fédérale
ou provinciale selon le cas. Si des personnes enga
gées dans la réglementation d'un marché se servent
du pouvoir qui leur est conféré par la loi comme un
tremplin (ou un déguisement) pour se lancer dans
des pratiques anticoncurrentielles allant au-delà de
ce qui est permis par les lois pertinentes en matière
de réglementation, alors ces personnes violent la
Loi sur la concurrence. Mais il ressort de la décla-
ration que l'essentiel de la réclamation des deman-
deurs en l'espèce n'est pas de cette nature. C'est,
comme je l'ai déjà mentionné, l'insatisfaction face
à la méthode de répartition des contingents, au
nombre réduit des contingents accordés à la pro
vince et au fait que d'autres producteurs laitiers
que les demandeurs ont reçu des contingents de
lait de transformation. Ce sont là des activités
portant sur la réglementation et non des activités
commerciales.
Selon moi, l'avocat des demandeurs n'a pas
soutenu que les défendeurs avaient excédé la com-
pétence qui leur est conférée par la loi pertinente.
Certains paragraphes de la déclaration faisaient
indirectement des allusions de cette nature (selon
le paragraphe 24k), les écritures sont faussement
décrites; selon le paragraphe 241), les paiements du
lait écrémé condensé sont faussement décrits; selon
le paragrape 24m), la détérioration et la perte du
lait au cours du transport sont faussement décri-
tes), mais dans l'ensemble de la déclaration, ces
faits ne sont qu'une façade et ne peuvent être le
fondement d'aucune réclamation. Le paragraphe
25 de la déclaration expose:
[TRADUCTION] Le complot, les ententes et arrangements préci-
tés sont contraires à l'article 32 de la Loi sur la concurrence,
S.R.C. et ne sont exigés par aucune loi en vertu de laquelle le
Milk Board tient ses pouvoirs et sont en conséquence contraires
à la loi.
Ces allégations ne peuvent toutefois constituer une
cause d'action puisque, comme je l'ai fait remar-
quer, ce ne sont pas seulement les activités prescri-
tes par la loi qui échappent à l'application de la
Loi sur la concurrence mais également celles qui
sont autorisées par ladite loi. Si j'ai bien compris,
l'avocat n'a pas allégué que les mesures dont les
demandeurs se plaignent n'étaient pas autorisées,
et la déclaration non plus. En appliquant ainsi le
critère dégagé dans l'arrêt Operation Dismantle
(précité), je dois conclure que la déclaration des
demandeurs ne révèle aucune cause raisonnable
d'action.
Étant donné cette conclusion, il n'est pas néces-
saire de discuter des autres arguments qui furent
avancés. Toutefois, afin de faire le tour de la
question, je vais en mentionner quelques-uns. On
affirme que certains aspects de la déclaration des
demandeurs ressemblent à un communiqué de
presse (paragraphe 26) et constituent en consé-
quence une manière incorrecte de plaider. Cet
argument est bien fondé.
On allègue que cette Cour n'a pas compétence
en l'espèce dans la mesure où la déclaration est
fondée sur un «complot délictueux» plutôt que sur
l'article 31.1 de la Loi sur la concurrence. Cet
argument est bien fondé. En fait, je ne crois pas
que l'avocat des demandeurs conteste cette
position.
On affirme que, comme la déclaration men-
tionne des événements qui ont eu lieu plus de deux
ans avant le dépôt de la déclaration le 4 septembre
1987, ces mentions devraient être radiées. Le para-
graphe 31.1(4) de la Loi sur la concurrence prévoit
un délai de prescription de deux ans. La date
limite est donc le 4 septembre 1985. Le paragra-
phe 17 de la déclaration précise qu'avant le début
des activités des défendeurs (qui, aux termes du
paragraphe 23, ont commencé en 1975), il y avait
650 producteurs de lait de transformation en
Colombie-Britannique alors qu'il n'en reste main-
tenant que 11. Les paragraphes 24q) et 24r) ainsi
que les paragraphes 28, 29 et 30 traitent des
événements entourant la nouvelle adhésion de cette
province au Plan national en novembre 1984. Le
paragraphe 27 souligne l'insolvabilité de l'un des
demandeurs en 1983.
Il n'est évidemment pas nécessaire de décider
comment la prescription de deux ans s'applique
aux conclusions en l'espèce puisque celles-ci seront
radiées en entier pour d'autres motifs. Il me
semble néanmoins qu'on peut prétendre que l'acti-
vité ininterrompue des défendeurs pourrait consti-
tuer une violation continue de l'article 31.1. La
disposition concernant la prescription n'est certai-
nement pas le motif sur lequel je me fonderais
pour radier toute mention des événements survenus
avant le 4 septembre 1985 sans avoir entendu toute
la preuve et l'argumentation.
On soutient que le nom Industrial Milk Produ
cers Association devrait être radié de la liste des
demandeurs parce qu'il ne s'agit pas d'une associa
tion constituée et qu'en conséquence elle ne peut
faire l'objet d'une poursuite en justice. Comme le
nom de ses membres figure également à titre de
demandeurs, il s'agit d'une critique sans consé-
quence sur les conclusions. Les demandeurs s'op-
posent à la radiation parce qu'ils veulent que le
nom de leur association soit la «figure de proue» de
leur réclamation. A mon avis, la position des
défendeurs est juste: l'association ne peut être
constituée partie au litige. Je ne vois cependant pas
pourquoi les demandeurs, qu'il s'agisse d'un parti-
culier ou d'une société, ne se déclareraient pas,
dans l'intitulé de la cause, membres de l'Industriel
Milk Producers Association, si tel est leur désir.
On veut aussi faire radier certains redressements
demandés (paragraphes a), b), c) et d) de la
demande de redressements) en disant que l'article
31.1 de la Loi sur la concurrence permet à la Cour
d'accorder des dommages-intérêts mais ne l'auto-
rise pas spécifiquement à prononcer un jugement
déclaratoire ou une injonction. On pourrait débat-
tre la question de savoir si l'article 31.1 est limita-
tif à cet égard ou si, lorsqu'il est lu conjointement
avec les Règles de la Cour fédérale et la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970, (2e Supp.), chap. 10],
les autres redressements fondés sur l'équity sont
également disponibles. Ce n'est pas une question
qu'il faudrait être écarter à ce stade en radiant les
réclamations.
Pour ces motifs, la déclaration des demandeurs
sera radiée car elle ne révèle aucune cause raison-
nable d'action.
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