A-724-87
Procureur général du Canada, Solliciteur général
du Canada et Commissaire aux services correc-
tionnels (appelant) (défendeurs)
c.
Garnet Clarence Weatherall (intimé) (deman-
deur)
RÉPERTORIÉ: WEATHERALL C. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
(C.A.)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et Lacom-
be—Toronto, 30 et 31 mai; Ottawa, 28 juin 1988.
Pénitenciers — La fouille à nu pratiquée aux fins de décou-
vrir de la contrebande sur la personne d'un détenu a eu pour
témoin un gardien de sexe féminin — Ce détenu a sollicité un
jugement déclaratoire portant que les droits que lui reconnaît
l'art. 8 de la Charte ont été violés — Le juge de première
instance a déclaré que l'art. 41(2)c) du Règlement sur le
service des pénitenciers (qui autorise la fouille à nu de tout
détenu par tout membre du service) est inopérant dans la
mesure où il autorise les fouilles à nu de façon générale —
L'art. 41(2)c) est inopérant parce que contraire à l'art. 8 de la
Charte dans la mesure où il autorise les fouilles à nu de
détenus de sexe masculin en présence de gardiens de sexe
féminin — L'art. 14 de la Directive du Commissaire ne
constitue pas une limite raisonnable prescrite par une règle de
droit — L'art. 41(2)c) n'est pas raisonnable lorsque considéré
isolément puisqu'il omet de préciser les critères applicables
aux fouilles de détenus — Les dispositions législatives visées
devraient prévoir des moyens de contrôle additionnels mais les
particularités de la vie en prison rendent difficile la définition
des situations d'urgence.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Fouilles, perquisitions ou saisies —
L'art. 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers, qui
autorise tout membre du service à fouiller tout détenu, est
incompatible avec l'art. 8 de la Charte dans la mesure où il
autorise la fouille à nu des détenus du sexe masculin en
-présence de gardiens de sexe féminin dans des situations autres
que des situations d'urgence — L'art. 14 de la Directive du
Commissaire ne peut assortir l'art. 41(2)c) d'une réserve puis-
que l'art. 14 ne constitue pas une règle de droit — L'art.
41(2)c) n'est pas raisonnable puisque qu'il omet de préciser des
critères de contrôle des fouilles ou perquisitions — Il est
souhaitable que des moyens de contrôle soient prévus dans le
Règlement, mais les particularités de la vie en prison rendent
difficile l'élaboration d'une définition à la fois précise et
souple de la situation d'urgence.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limita-
tive — L'art. 41(2)c) du Règlement sur le service des péniten-
ciers autorise la fouille de tout détenu par tout membre du
service lorsqu'une telle mesure est considérée raisonnable —
L'art. 14 de la Directive du Commissaire limitant les fouilles à
nu de détenus de sexe masculin par des gardiens de sexe
féminin aux circonstances d'urgence ne constitue pas une
limite raisonnable prescrite «par une règle de droit» au sens de
l'art. 1 de la Charte — Aux termes de l'arrêt Martineau et
autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de
Matsqui, qui lie le tribunal, les Directives du Commissaire ne
constituent pas des règles de droits même si l'art. 29(3)
autorise le Commissaire à énoncer des directives — L'adoption
des directives n'a pas à se faire au moyen d'un processus
législatif — Celles-ci ne sont pas destinées à avoir l'impor-
tance juridique des règlements — L'art. 41(2)c) n'était pas
«raisonnable» puisqu'il omettait d'énoncer des critères précis à
l'égard des fouilles de détenus — Il est souhaitable que des
contrôles additionnels soient prévus au Règlement.
Pratique — Plaidoiries — Un détenu a été fouillé à nu en
présence d'un gardien de sexe féminin — Il a demandé le
prononcé d'un jugement déclaratoire portant que les droits que
lui confère l'art. 8 de la Charte avaient été violés — Le juge a
déclaré que les dispositions du Règlement autorisant les fouil-
les à nu d'un détenu par un membre du service étaient inopé-
rantes — Ce juge a statué au-delà de la question définie dans
les actes de procédure — Les actes de procédure ont pour but
de définir les questions débattues et d'aviser la partie adverse
de l'argumentation à laquelle elle aura à faire face — L'appe-
lant ne savait pas que l'art. 8 de la Charte était invoqué à
l'appui d'une contestation générale de la validité du Règlement
— Il n'a présenté aucun élément de preuve et aucune argu
mentation à cet égard — Les actes de procédure ne contes-
taient que la validité des dispositions autorisant la fouille à nu
de détenus de sexe masculin en présence de gardiens de sexe
féminin — Jugement modifié en conséquence.
Appel est interjeté d'un jugement de la Division de première
instance déclarant inopérant l'alinéa 41(2)c) du Règlement sur
le service des pénitenciers. Cet alinéa prévoit qu'un membre du
service des pénitenciers peut fouiller un détenu lorsqu'un
membre considère une telle mesure raisonnable et nécessaire
pour déceler la présence de contrebande ou pour assurer le bon
ordre au sein d'une institution. Le paragraphe 14 de la Direc
tive du Commissaire prévoit qu'un détenu de sexe masculin
peut être fouillé par un membre de sexe féminin dans les cas
d'urgence. Les faits de l'espèce sont les suivants: comme l'in-
timé, un détenu de l'établissement de Joyceville, quittait l'aire
des visites, lui-même et un autre détenu ont été soumis à une
fouille à nu qui, effectuée par un gardien de sexe masculin, a eu
pour témoin un gardien de sexe féminin. Le juge de première
instance a conclu que l'alinéa 41(2)c) du Règlement était
inopérant parce qu'incompatible avec l'article 8 de la Charte,
dans la mesure où il autorisait de façon générale la fouille à nu
des détenus de pénitenciers. L'appelant a soutenu que (1) le
juge de première instance s'est trompé en ce que, devant des
plaidoiries soulevant une question litigieuse qui se limitait à la
fouille à nu d'un détenu de sexe masculin par un gardien de
sexe féminin ou en présence de celui-ci, il a rendu un jugement
portant sur une question au sujet de laquelle l'appelant n'avait
pas eu la chance de présenter d'autres éléments de preuve ou
arguments; (2) le juge de première instance s'est trompé en
concluant que l'alinéa 41(2)c) du Règlement et le paragraphe
14 de la Directive du Commissaire sont incompatibles avec
l'article 8 de la Charte dans la mesure où ces dispositions,
interprétées ensemble, visent à autoriser une fouille à nu d'un
détenu de sexe masculin par un gardien de sexe féminin ou en
présence de ce gardien dans les cas d'urgence; (3) le juge de
première instance a commis une erreur en concluant que la
Directive du Commissaire n'a pas force de loi et, en consé-
quence, n'assortit pas de réserves le pouvoir général sur les
fouilles visé à l'alinéa 41(2)c) du Règlement. L'appelant a
soutenu que le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire
constituait une limite raisonnable prescrite par une règle de
droit au sens de l'article 1 de la Charte. Il a été soutenu que
l'arrêt Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus
de l'Institution de Matsqui ne s'applique pas à l'espèce parce
qu'il traitait de la question de savoir si une décision était de
celles qui sont «légalement» soumises à un processus judiciaire
ou quasi judiciaire au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale. De plus, il a été prétendu que la limite prévue au
paragraphe 14 est «prescrite par une règle de droits» par le fait
que le paragraphe 29(3) de la Loi sur les pénitenciers autorisait
expressément le Commissaire à établir des règles, connues sous
le nom de Directives du Commissaire, concernant la direction
judicieuse des pénitenciers; 4) le juge de première instance s'est
trompé en concluant que le paragraphe 14 ne constitue pas une
limite «raisonnable» prescrite par une règle de droit au sens de
l'article 1 de la Charte.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli en partie.
La question soulevée dans les plaidoiries portait que la
présence d'un gardien de sexe féminin avait privé le demandeur
(l'intimé) du droit d'être protégé contre les fouilles, les perqui-
sitions et les saisies abusives que lui garantissait l'article 8 de la
Charte et que, en conséquence, l'alinéa 41(2)c) du Règlement
et le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire, étant
incompatibles avec le droit ainsi garanti, étaient inopérants
dans la mesure de cette incompatibilité. La demande de redres-
sement doit s'interpréter comme renvoyant aux faits pertinents,
ou à la fouille à nu qui a effectivement été pratiquée, plutôt
qu'aux fouilles à nu en général. Les actes de procédure sont
destinés à définir les questions débattues et à aviser la partie
adverse de l'argumentation à laquelle elle aura à faire face. Les
actes de procédure ont causé un préjudice évident à l'appelant
en ne soulevant pas la question des fouilles à nu de détenus en
général. L'applicabilité de l'article 8 de la Charte ne pouvait
être discutée que dans le contexte des actes de procédure
produits en l'espèce et ceux-ci ne contestaient la validité de ces
paragraphes que dans la mesure od ils autorisaient la fouille à
nu des détenus de sexe masculin en présence d'un gardien de
sexe féminin.
En ce qui a trait à la seconde question, le juge de première
instance était obligé d'examiner l'alinéa 41(2)c) du Règlement
en ne considérant que la question de son caractère raisonnable,
puisqu'il avait conclu que le paragraphe 14 de la Directive du
Commissaire, ne constituant pas une «règle de droit», ne pou-
vait assortir de réserves l'alinéa 41(2)c).
En conséquence, concernant la troisième question, le juge de
première instance a eu raison de suivre l'arrêt Matsqui, dans
lequel il était conclu que la Directive du Commissaire ne
constituait pas une règle de droit même si son adoption était
prévue dans la Loi. La Directive a été adoptée sans que
n'intervienne un processus législatif, et elle peut être modifiée
sans avoir recours à un tel processus. Les directives sont de
simples «instructions relatives à l'exécution de ... fonctions». Il
ressort à l'évidence des termes utilisés pour autoriser leur
adoption, lorsqu'on les compare aux dispositions prévoyant le
pouvoir d'adopter des règlements du paragraphe 29(1) de la
Loi, que les directives n'ont aucunement été destinées à avoir
une importance juridique proche de celle du Règlement.
Pour en revenir à la seconde question, à la lecture de l'alinéa
41(2)c), rien n'apparaît limiter la fouille à nu des détenus de
sexe masculin par des gardiens de sexe féminin ou en leur
présence aux situations d'urgence. Le juge de première instance
a conclu que cette disposition n'était pas raisonnable parce
qu'elle omettait d'établir des critères précis à l'égard des fouil-
les des détenus. Il a conclu que le Règlement devait prévoir des
contrôles additionnels, qu'il s'agisse de la nécessité d'établir
l'existence de soupçons fondés sur un motif raisonnable et
probable, ou qu'il s'agisse d'une autorisation préalable. Les
particularités de la vie carcérale et les problèmes spécifiques
qu'elle soulève pour les administrateurs de prisons qui s'acquit-
tent de leur responsabilité d'assurer «la sûreté et ... la sécurité»
de l'institution ne doivent pas être oubliés. Ces administrateurs
ont droit à une certaine latitude dans l'adoption et dans l'appli-
cation des politiques et des pratiques requises pour le maintien
de l'ordre et de la sûreté, ainsi que pour la sécurité et la
protection des détenus comme du personnel. L'autorité conférée
par l'alinéa 41(2)c) est limitée aux situations dans lesquelles un
membre considère que la mesure visée est «raisonnable». De
telles fouilles doivent également être pratiquées de bonne foi.
Elles ne peuvent avoir pour but d'intimider, d'humilier ou de
harceler les détenus ou de leur infliger une punition. Une
procédure effective de révision devrait également être accessible
de manière à permettre une prompte découverte des abus.
Au sujet de la question de savoir si l'expression «situations
d'urgence» peut être définie dans le Règlement, et le cas
échéant, comment elle pourrait l'être, eu égard à l'article 8 de
la Charte, il est noté qu'il apparaît difficile d'élaborer une
définition des situations d'urgence fondée sur des critères spéci-
fiques qui serait tout à la fois suffisamment claire, précise et
applicable. En insistant sur une définition des situations d'ur-
gence qui serait limitée à certaines catégories d'urgence
(comme les émeutes), la Cour introduirait son jugement dans la
sphère des responsabilités assignées, comme il se doit, aux chefs
d'institutions. Bien que des situations de ce type devraient être
précisées, la définition à adopter aurait également à tenir
compte de l'existence de situations imprévues où la fouille à nu
de détenus de sexe masculin par un gardien de sexe féminin ou
en sa présence doit être pratiquée de façon immédiate.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1, 7, 8, 12, 15(1).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap.
10, art. 28.
Loi sur les pénitenciers, S.C. 1960-61, chap. 53, art.
29(3).
Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art.
29(1) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 43, art. 44), (3).
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap.
1251, art. 5, 41(2)c) (mod. par DORS/80-462, art. 1),
(3) (ajouté, idem).
U.S. Constitution Amend. IV.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Esso Petroleum Co. Ltd. v. Southport Corporation,
[1956] A.C. 218 (H.L.); Grummett v. Rushen, 779 F.2d
491 (9th Cir. 1985); Martineau et autre c. Comité de
discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978]
1 R.C.S. 118.
DÉCISION DISTINGUÉE:
Douglas/Kwantlen Faculty Assn. v. Douglas College
(1988), 21 B.C.L.R. (2d) 175 (C.A.).
DÉCISION INFIRMÉE:
Weatherall c. Canada (Procureur général), [1988] 1 C.F.
369; (1987), 59 C.R. (3d) 247; (1987), 11 F.T.R. 279 (1"
inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613; Hunter et
autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. v. Rao
(1984), 46 O.R. (2d) 80 (C.A.); Bell v. Wolfish, 441 U.S.
520 (1979); R. v. J.M.G. (1986), 56 O.R. (2d) 705
(C.A.); Howard c. Établissement de Stony Mountain,
[1984] 2 C.F. 642 (C.A.); Lanza v. New York, 370 U.S.
139 (1962); Sterling v. Cupp, 625 P.2d 123 (Or. 1981).
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; Re Maltby et al. and
Attorney -General of Saskatchewan et al. (1982), 143
D.L.R. (3d) 649 (B.R. Sask.); confirmée (1984), 13
C.C.C. (3d) 308 (C.A. Sask.); Soenen v. Director of
Edmonton Remand Centre, Attorney General of Alberta
and Solicitor General of Alberta (1984), 48 A.R. 31
(B.R.).
DOCTRINE
Williston, W. B. and Rolls, R. J. The Law of Civil
Procedure, Vol. 2, Toronto: Butterworths, 1970.
AVOCATS:
J. Grant Sinclair, c.r. et Michael Sherman
pour l'appelant (défendeurs).
Ronald R. Price, c.r. pour l'intimé (deman-
deur).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant (défendeurs).
Faculté de droit, Queen's University, Kings-
ton (Ontario) pour l'intimé (demandeur).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Appel est interjeté d'un juge-
ment prononcé par le juge Strayer en Division de
première instance le 19 août 1987' dans lequel ce
juge a statué que l'alinéa 41(2)c) du Règlement
sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251
[mod. par DORS/80-462, art. 1] est
(i) inopérant parce qu'incompatible avec le droit garanti à
l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés dans la
mesure où il autorise la fouille à nu des détenus de pénitenciers;
(ii) inopérant et sans aucune force ni effet parce qu'incompati-
ble avec le droit garanti par l'article 12 de la Charte, dans la
mesure où il autorise la fouille à nu d'un détenu de pénitencier
de sexe masculin par un gardien de sexe féminin ou en sa
présence dans une situation où il n'y a pas d'urgence.
et que le paragraphe 41(3) [ajouté, idem] de ce
même Règlement est inopérant et sans aucune
force ni effet parce qu'incompatible avec un droit
garanti au paragraphe 15(1) de la Charte [Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)]. Un moyen fondé sur l'article 7 de la
Charte attaquant la validité de l'alinéa 41(2)c) du
Règlement et du paragraphe 14 de la Directive du
Commissaire a été rejeté.
Les articles 7, 8 et 12 et le paragraphe 15(1) de
la Charte sont ainsi libellés:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou
peines cruels et inusités.
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
L'alinéa 41(2)c) du Règlement est rédigé de la
manière suivante:
41....
(2) Sous réserve du paragraphe (3), un membre peut fouiller
' [1988] 1 C.F. 369; (1987), 59 C.R. (3d) 247; (1987), 11
F.T.R. 279 (1fe inst.).
c) un détenu ou des détenus, lorsqu'un membre considère
une telle mesure raisonnable et nécessaire pour déceler la
présence de contrebande ou pour assurer le bon ordre au sein
d'une institution; et
Les dispositions du paragraphe 14 de la Directive
du Commissaire sont les suivantes:
14. Toutc fouille à nu doit être effectuée avec discrétion par
un membre du même sexe et habituellement en présence d'un
témoin du même sexe. Dans les cas d'urgence, un détenu peut
être fouillé par un membre du sexe opposé.
Les questions soulevées dans le cadre du présent
appel partent d'un incident survenu le 13 juin 1985
alors que l'intimé était un détenu de l'établisse-
ment de Joyceville purgeant une peine de longue
durée. Il venait de recevoir la visite de sa femme;
quittant l'aire des visites, il s'est vu ordonner de se
soumettre à une fouille à nue dans une salle voi-
sine. Cette fouille avait pour objet la recherche
d'objets détenus illégalement. L'incident qui s'est
alors produit est décrit par le juge de première
instance aux pages 377 C.F.; 253 et 254 C.R.; 284
et 285 F.T.R. de ses motifs de jugement:
Trois agents—une femme, Josephine Hlywa, et deux hom-
mes—se trouvaient dans la salle en compagnie des deux déte-
nus. Il ressort de son témoignage que Weatherall a refusé d'être
fouillé à nu en présence de Hlywa, que cette dernière a refusé
dé sortir, et que les deux autres gardiens ont refusé de lui
demander de sortir. (À cet égard, le fait que ni Hlywa, ni un
des autres agents présents n'ont été convoqués comme témoin
par les défendeurs, est révélateur). Les gardes de sexe masculin
ont fouillé les deux détenus et leurs vêtements, et Hlywa est
restée debout à un endroit d'où elle pouvait observer comme
témoin; selon l'usage, les fouilles à nu de tout prisonnier sont
effectuées par deux agents—l'un d'eux examine effectivement
les vêtements et autres effets, l'autre agit comme témoin. Dans
son témoignage, Weatherall a déclaré qu'il a été fouillé à nu
environ 300 fois à Joyceville, et que c'est la seule occasion où il
s'est trouvé en présence d'un agent de sexe féminin.
2 Cette expression est définie de la manière suivante au
paragraphe 7 de la Directive du Commissaire 800-2-07.1, qui a
été adoptée conformément au paragraphe 29(3) de la Loi sur
les pénitenciers, S.C. 1960-61, chap. 53 et ses modifications:
... une procédure selon laquelle une personne doit se désha-
biller complètement et être examinée visuellement, mais sans
être touchée, à l'exception des cheveux. De plus, tous les
vêtements et les effets personnels sont fouillés.
Une procédure moins sévère prévue par ce paragraphe est
désignée par l'expression «fouille par palpation», tandis qu'une
fouille plus sévère que la «fouille à nu», appelée «examen des
cavités corporelles», exige que la personne fouillée se déshabille
et soit « ... soumise à une fouille à la main ainsi qu'à un
examen de toutes les cavités corporelles».
Dans une plainte logée auprès de l'établissement,
l'intimé a soutenu que la fouille en question était
contraire au paragraphe 14 de la Directive du
Commissaire qui permet que la fouille soit effec-
tuée par un gardien de sexe féminin «dans les cas
d'urgence». En temps utile, cette plainte a été
maintenue sur le fondement qu'il n'existait aucune
urgence au moment où la fouille à nu a été effec-
tuée. Un grief adressé au directeur de l'établisse-
ment en juillet 1985 a toutefois été rejeté au motif
que le maintien de la plainte empêchait qu'il ne
puisse être accueilli.
Comme nous le verrons, l'appelant limite sa
contestation du jugement porté en appel à la décla-
ration sans réserve du juge de première instance
que l'alinéa 41(2)c) du Règlement est inopérant et
sans aucune force ni effet parce qu'incompatible
avec le droit garanti par l'article 8 de la Charte,
dans la mesure où il vise à autoriser une fouille à
nu des détenus de pénitenciers. D'autre part, la
déclaration d'incompatibilité de l'alinéa 41(2)c)
avec le paragraphe 15 (1) de la Charte et la décla-
ration d'incompatibilité du paragraphe 41(3) du
Règlement avec l'article 12 de la Charte sont
toutes deux limitées par le jugement à l'incident
sur lequel a porté la plainte, à savoir la fouille à nu
de l'intimé en présence d'un gardien de sexe fémi-
nin. Les paragraphes du jugement qui disposent de
la question en litige sont les suivants:
1. IL EST JUGE ET DÉCLARÉ QUE l'alinéa 41(2)c) du Règle-
ment sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251,
dans la mesure où il vise à autoriser la fouille des détenus des
pénitenciers est, dans sa forme actuelle, incompatible avec les
droits garantis aux détenus des pénitenciers par l'article 8 de la
Charte canadienne des droits et libertés et, aux fins d'autorisa-
tion de ces fouilles, est inopérant et n'a aucune force ni effet.
2. DE PLUS, IL EST JUGE ET DÉCLARÉ QUE le paragraphe 41(3)
du Règlement sur le service des pénitenciers, dans la mesure où
il établit une discrimination fondée sur le sexe en ce qui
concerne les fouilles, est incompatible avec le paragraphe 15(1)
de la Charte canadienne des droits et libertés, et à cette fin, est
inopérant et n'a aucune force ni effet.
3. DE PLUS, IL EST JUGÉ ET DÉCLARÉ QUE l'alinéa 41(2)c) du
Règlement sur le service des pénitenciers, dans la mesure où il
vise à autoriser la fouille d'un détenu de sexe masculin dans un
pénitencier par un agent des services correctionnels de sexe
féminin ou en sa présence dans une situation où il n'y a pas
d'urgence, est incompatible avec l'article 12 de la Charte
canadienne des droits et libertés, et est inopérant et n'a aucune
force ni effet.
(Dossier d'appel, aux pages 12 et 13)
Les objections soulevées par l'appelant veulent
que le juge de première instance se soit trompé:
(1) en déclarant que l'alinéa 41(2)c) du Règle-
ment est incompatible avec l'article 8 de la Charte
et, en conséquence, sans aucune force ni effet
lorsqu'il s'agit d'autoriser une fouille à nu d'un
détenu de pénitencier, alors que la question liti-
gieuse soulevée par les plaidoiries et les faits perti-
nents se limitait à la fouille à nu d'un détenu de
sexe masculin par un gardien de sexe féminin ou
en présence de celui-ci (cette fouille est parfois
appelée «cross -gender strip search» ([TRADUC-
TION] «fouille à nu entre personnes de sexe
opposé»));
(2) en prenant la conclusion visée au paragraphe
(1) après s'être éloigné considérablement des plai-
doiries, de telle manière qu'il a rendu son jugement
sur une question qui n'avait pas été plaidée et au
sujet de laquelle l'appelant n'avait pas eu la chance
de présenter d'autres éléments de preuve ou
arguments;
(3) en concluant que l'alinéa 41(2)c) du Règle-
ment et le paragraphe 14 de la Directive du Com-
missaire 800-2-07.1 sont incompatibles avec l'arti-
cle 8 de la Charte dans la mesure où ces
dispositions, lorsqu'elles sont interprétées ensem
ble, visent à autoriser une fouille à nu d'un détenu
de sexe masculin par un gardien de sexe féminin
ou en présence de ce gardien dans les cas
d'urgence;
(4) en concluant que le paragraphe 14 de la
Directive du Commissaire 800-2-07.1 n'a pas force
de loi et, en conséquence, n'assortit pas de réserves
le pouvoir général sur les fouilles visé à l'alinéa
41 (2)c) du Règlement;
(5) en concluant que le paragraphe 14 de la
Directive du Commissaire 800-2-07.1 ne constitue
pas une limite raisonnable prescrite par une règle
de droit au sens de l'article 1 de la Charte.
La question relative à l'article 8 de la Charte telle
qu'elle a été plaidée
Les deux premières questions peuvent très bien
être discutées ensemble. La plainte dont nous
sommes saisis veut essentiellement que le juge de
première instance ait débordé la question définie
par les plaidoiries en déclarant que l'alinéa 41(2)c)
du Règlement est inopérant et sans aucune force ni
effet parce qu'incompatible avec un droit garanti
par l'article 8 de la Charte. Aux pages 415 et 416
C.F. de ses motifs de jugement, il a résumé de la
manière suivante son point de vue à cet égard:
Il est manifeste que la fouille à nu de Weatherall, en
présence d'une gardienne était illégale, selon les normes de la
Charte et des directives du commissaire. D'après la réaction à
sa plainte, il est évident que les autorités ont reconnu que ce
n'était pas un cas d'urgence comme le prévoit l'article 14 de la
Directive 800-2-07.1 du commissaire, et qu'il devait y avoir une
telle urgence pour justifier la présence d'une gardienne pendant
la fouille à nu d'un prisonnier. Au procès, l'avocat des défen-
deurs a admis qu'une situation d'urgence était la seule justifica
tion possible et il n'a pas cherché à expliquer ce qui s'est
réellement passé.
En fait Weatherall ne cherche pas à obtenir réparation par
suite de la fouille illégale à laquelle il a été soumis, mais il veut
plutôt faire déclarer nuls le Règlement et les directives perti-
nentes du commissaire. L'avocat des défendeurs a soutenu que
ces dispositions sont valides, mais qu'elles ont tout simplement
été mal appliquées dans le cas de Weatherall.
Pour les raisons que j'ai données, je suis d'avis que les
dispositions pertinentes du Règlement, c'est-à-dire l'alinéa
41(2)c) et le paragraphe 41(3) enfreignent la Charte en ce qui
concerne les fouilles à nu de prisonniers. L'alinéa 41(2)c)
confère un pouvoir très étendu en matière de fouille qui, à mon
avis, tend à autoriser ce qui équivaudrait à des fouilles à nu
«abusives» prévues par l'article 8 de la Charte. Le seul critère
exigé pour ce genre de fouille d'un détenu par un membre du
personnel est que ce dernier doit «considére[r] une telle mesure
raisonnable et nécessaire pour déceler la présence de contre-
bande ou pour assurer le bon ordre au sein d'une institution».
On n'exige pas que cette mesure soit raisonnablement néces-
saire à ces fins, mais il faut seulement qu'un membre du
personnel «considère» qu'elle est raisonnable.
Notre attention a été attirée par les paragraphes
7, 8, 9, 10 et 16 de la déclaration relativement à
ces deux premiers motifs d'appel. Ces paragraphes
sont ainsi libellés:
[TRADUCTION] 7. Vers le 13 juin 1985, dans ledit établisse-
ment de Joyceville, le demandeur ainsi qu'un autre détenu, un
dénommé Benjamin Greco, ont été soumis à une fouille à nu;
cette fouille a été pratiquée par deux gardiens de sexe masculin,
Dixon et Hasan, en présence d'un gardien de sexe féminin,
Hlywa.
8. La fouille à nu visée au paragraphe 7 de la présente déclara-
tion a été effectuée bien que le demandeur ait expressément
demandé que la gardienne Hlywa quitte la pièce avant qu'il ne
retire ses vêtements.
9. La fouille à nu du demandeur en présence de la gardienne a
été effectuée sur le fondement de l'alinéa 41(2)c) du Règlement
sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251, ainsi
que du paragraphe 14 de la Directive du Commissaire aux
Services correctionnels, C.D. 800-2-07.1.
10. Après s'être ainsi trouvé nu devant la gardienne Hlywa, le
demandeur a éprouvé des sentiments d'humiliation, de perte de
dignité ainsi que de frustration, et il a subi un bouleversement
émotionnel.
16. Le demandeur prétend que la présence d'un gardien de
sexe féminin pendant une fouille à nu le prive en tant que
détenu de sexe masculin du droit à la protection contre les
fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Le demandeur
invoque l'article 8 de la Charte canadienne des droits et
libertés.
(Dossier d'appel aux pages 2, 3 et 4)
L'appelant a présenté au paragraphe 4 de la
défense une dénégation générale contestant cha-
cune de ces allégations, pour plaider aux paragra-
phes 8 et 9 de cet acte de procédure:
[TRADUCTION] 8. Il ajoute que la pratique suivie par Services
correctionnels Canada présentement et à tous les moments
pertinents interdit les fouilles à nu de détenus par les gardiens
de sexe opposé sauf dans des situations d'urgence.
9. Il invoque également la Charte canadienne des droits, Loi
constitutionnelle de 1982, Partie I, S.C. 1980-81-82-83, v. 1,
aux pages v à xiii, en particulier ses articles 1 à 15, ainsi que la
Directive du Commissaire 800-2-07.1.
Je ne doute pas que la question soulevée dans les
plaidoiries relativement à l'article 8 de la Charte
tenait à- ce que la présence d'un gardien de sexe
féminin au cours de la fouille à nu effectuée à
l'égard de l'intimé le 13 juin 1985 a privé ce
dernier du droit d'être protégé contre les fouilles,
les perquisitions et les saisies abusives que lui
garantissait l'article susmentionné et selon lequel,
en conséquence, l'alinéa 41(2)c) du Règlement et
le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire,
étant incompatibles avec le droit ainsi garanti, sont
inopérants dans la mesure de cette incompatibilité.
Je ne crois pas que la demande de redressement
figurant au paragraphe 22(a) de la déclaration,
qui dit
[TRADUCTION] 22. ...
EN CONSÉQUENCE, LE DEMANDEUR DEMANDE:
(a) un jugement déclaratoire de cette Cour portant que
l'alinéa 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers,
C.R.C. 1978, chap. 1251 et le paragraphe 14 de la Directive
du Commissaire aux services correctionnels, C.D. 800-2-
07.1, sont incompatibles avec les droits garantis au deman-
deur par les articles 7, 8, 12 et 15 de la Charte canadienne
des droits et libertés ou avec un de ces articles, et sont
inopérants dans la mesure de l'incompatibilité à laquelle aura
conclu la Cour;
(Dossier d'appel, à la page 6)
puisse recevoir une interprétation autre que celle
voulant que cette demande renvoie aux faits perti-
nents invoqués dans les paragraphes précités de la
déclaration. Cette demande se limite clairement
aux allégations de faits fondées sur la fouille à nu
effectuée le 13 juin 1985. Elle ne pose pas la
question de savoir si l'alinéa 41(2)c) est constitu-
tionnel dans la mesure où il vise à autoriser les
fouilles à nu en général. Aucun fait appuyant la
présentation d'une question séparée et distincte de
ce type n'a été plaidé; et en fait, l'incident du 13
juin 1985 ne pouvait permettre la présentation
d'une telle argumentation.
Il est élémentaire que deux des principales fonc-
tions des actes de procédure consistent à [TRADUC-
TION] «définir avec clarté et précision la question
débattue par les parties au litige» et à [TRADUC-
TION] «aviser de façon loyale la partie opposée de
l'argumentation à laquelle elle aura à faire face de
façon à lui permettre d'orienter sa preuve en fonc-
tion des questions dont ces documents font état» 3 .
Ces fonctions importantes des actes de procédure
ont été soulignées par lord Radcliffe dans l'arrêt
Esso Petroleum Co. Ltd. v. Southport Corpora
tion, [1956] A.C. 218 (H.L.), à la page 241:
[TRADUCTION] Vos Seigneuries, je crois que le présent litige
devrait être tranché conformément aux actes de procédure. Si
nous procédons de cette manière, je suis d'avis, comme le juge
de première instance, que les intimés n'ont pas réussi à établir
un droit à un redressement. Si nous procédions différemment,
nous rendrions peut-être mieux justice aux intimés je ne puis
l'affirmer, puisque la preuve n'est pas complète—mais je suis
certain que nous rendrions moins bien justice aux appelants,
puisqu'ils avaient selon moi le droit de conduire l'affaire et
d'orienter leurs éléments de preuve vers les moyens plus amples
et plus précis du paragraphe 2 de la déclaration qui avaient été
fournis par les intimés. Il me semble que l'objet de tels moyens
est d'aider la partie qui demande à les connaître à définir les
questions en litige et de lui indiquer quelle partie de l'éventail
des éléments de preuve possibles sera pertinente et quelle partie
ne sera pas pertinente à ces questions. Une utilisation appro-
priée de ces moyens raccourcit l'instruction et réduit les coûts
de l'instance. Mais si une cour d'appel doit considérer le fait de
s'appuyer sur eux comme de la pédanterie ou du simple forma-
lisme, je ne vois pas quel rôle ils ont à jouer dans notre système
de procédure.
L'appelant se plaint d'avoir été pris par surprise
par le paragraphe 1 du jugement et dit que, eut-il
été avisé dans les actes de procédure que l'article 8
de la Charte était invoqué à l'appui d'une contesta-
tion générale de la validité de l'alinéa 41(2)c) du
Règlement ainsi que du paragraphe 14 de la Direc
tive du Commissaire, il aurait produit des éléments
de preuve et présenté une argumentation pour
contrer cette attaque. En résumé, l'appelant pré-
3 The Law of Civil Procedure, Williston, W.B. and Rolls,
R.J., Vol. 2 (Toronto: Butterworths, 1970), la p. 637, ainsi
que la jurisprudence citée par ces auteurs.
tend avoir subi un préjudice. Je suis tout à fait
d'accord avec lui. Les actes de procédure en l'es-
pèce, comme je les conçois, n'attaquent pas la
fouille à nu des détenus en général qui est autori-
sée par l'alinéa 41(2)c) du Règlement et censé-
ment assortie de réserves par le paragraphe 14 de
la Directive du Commissaire. Ceci étant, l'applica-
bilité de l'article 8 de la Charte ne pouvait être
discutée au procès, et servir de fondement à un
redressement dans le jugement, que dans le con-
texte des actes de procédure qui, interprétés dans
leur ensemble, ne contestaient la validité de ces
deux paragraphes que dans la mesure où ils visent
à autoriser la fouille à nu de détenus de sexe
masculin en présence d'un gardien de sexe féminin.
La fouille à nu
Ceci m'amène à traiter de la troisième question.
L'appelant prétend que le juge de première ins
tance s'est trompé en concluant que l'alinéa
41(2)c) du Règlement et le paragraphe 14 de la
Directive du Commissaire sont incompatibles avec
l'article 8 de la Charte dans la mesure où, ensem
ble, ils visent à autoriser la fouille à nu d'un détenu
de sexe masculin par un gardien de sexe féminin
ou en sa présence dans les situations d'urgence. Le
juge de première instance a exprimé son inquié-
tude à l'égard de la fouille à nu compte tenu du
droit à une expectative raisonnable en matière de
vie privée garanti par l'article 8. Selon lui, cela
rendait abusive la manière dont la recherche avait
été effectuée. Aux pages 399-400 C.F. de ses
motifs de jugement, il a dit:
En ce qui concerne les fouilles à nu, la définition d'une
expectative raisonnable dépend des normes générales de la
décence. En essayant de définir la norme pertinente en l'espèce,
il faut mettre de côté les situations où des personnes dévêtues
s'exposent volontairement aux regards de personnes de l'autre
sexe, par exemple pour recevoir des soins médicaux. Il faut
également ne pas tenir compte des gens hypersensibles. Les
défendeurs et l'intimé ont, par exemple, fait appel à des témoins
experts pour dire que certaines personnes se sentent très embar
rassées lorsqu'elles se trouvent nues en présence d'une autre
personne de quelque sexe que ce soit. Il y a probablement
d'autres personnes qui ont des tendances exhibitionnistes et qui
n'éprouvent aucun embarras à se montrer nues. Il s'agit en
l'espèce de détenus forcés de se montrer nus en présence
d'agents du sexe opposé qui les observent de très près et de
façon délibérée. Je suis convaincu que dans la plupart des cas,
cela enfreint les normes de la décence et n'est pas justifié,
même dans le contexte carcéral. En fait, les défendeurs dans
l'affaire Weatherall n'ont pas cherché à justifier les fouilles à
nu de prisonniers en présence de gardiennes, sauf en cas
d'urgence, et j'estime que c'est la limite convenable, limite qui,
au moins implicitement, a été adoptée dans l'affaire Grummett
v. Rushen (ibid).
L'arrêt Grummett, une décision de la Court of
Appeals for the 9th Circuit des États-Unis, est
rapporté à 779 F.2d 491 (1985). Je souscris res-
pectueusement à l'opinion exprimée par le juge de
première instance à cet égard.
Clairement, à la lecture de l'alinéa 41(2)c), rien
n'y apparaît limiter la fouille à nu des détenus de
sexe masculin par des gardiens de sexe féminin ou
en leur présence aux situations d'urgence. Les
seules fouilles entre personnes de sexe opposé qui
sont exclues sont celles des détenus féminins par
des gardiens de sexe masculin visées par le para-
graphe 41(3). L'appelant cherche à faire échapper
l'alinéa susmentionné à une déclaration d'invali-
dité en faisant référence à une réserve figurant au
paragraphe 14 de la Directive du Commissaire
selon laquelle les fouilles du type de celle sur
laquelle porte la plainte en l'espèce ne doivent être
faites que dans «les cas d'urgence». Le juge de
première instance a rejeté aussi cet argument,
étant d'avis que la Directive du Commissaire
n'avait pas force de loi et, en conséquence, ne
pouvait ni assortir d'une réserve l'ensemble de
l'alinéa 41(2)c) ni prescrire une «limite» au sens de
l'article 1 de la Charte. Le juge de première
instance, à la page 396 C.F. de ses motifs de
jugement (Dossier d'appel, à la page 38), a dit au
sujet de cet alinéa que «cette disposition est déter-
minante, car elle seule a force de loi».
L'appelant soumet que le paragraphe 14 de la
Directive du Commissaire apporte une réserve à
l'alinéa 41(2)c) ou, quoi qu'il en soit, établit «par
une règle de droit» une limite raisonnable à l'égard
de cet alinéa au sens de l'article 1 de la Charte. Le
juge de première instance, à la page 397 C.F. de
ses motifs de jugement (Dossier d'appel, à la page
39), était d'avis que la Directive «ne peu[ven]t être
considérée[s] comme ayant force de loi» et «ne
constitue[nt] pas des exigences légales grâce aux-
quelles le pouvoir d'effectuer une fouille prévu
dans le Règlement aurait un caractère raisonnable
au sens de l'article 8 de la Charte». Il a également
rejeté l'argument que le paragraphe 14 de la
Directive établissait une limite raisonnable ait sens
de l'article 1 de la Charte. Aux pages 413 et 414
C.F. de ses motifs de jugement, il a dit:
En particulier, comme je l'ai déjà indiqué à différentes
reprises, les directives du commissaire ne peuvent pas être
considérées comme «une règle de droit» au sens de l'article 1. Il
y a des arrêts de jurisprudence concluants à cet effet, qui se
fondent sur le principe selon lequel les directives du commis-
saire visent à réglementer la gestion interne des établissements
pénitentiaires. Toute infraction à ces directives peut entraîner
des mesures disciplinaires au sein de l'établissement, mais elles
ne créent aucun droit ni aucune obligation légale (Martineau et
autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de
Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118, à la p. 129) ...
Par conséquent, ces directives ne peuvent pas être considérées
comme étant exécutoires de façon à limiter les pouvoirs en
matière de fouille et elles ne peuvent pas non plus être considé-
rées comme étant exécutoires sous le régime de l'article 1 à titre
de «règle de droit, dans des limites» visant à restreindre les
droits garantis par la Charte.
L'appelant soutient que l'on a appliqué à tort la
décision rendue par la Cour suprême du Canada
dans l'affaire Martineau et autre c. Comité de
discipline des détenus de l'Institution de Matsqui
[[1978] 1 R.C.S. 118], parce que cette affaire doit
être distinguée de l'espèce car elle portait sur la
question de savoir si la décision contestée était de
celles qui sont «légalement» soumises à un proces-
sus judiciaire ou quasi judiciaire au sens de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2 e Supp.), chap. 10. En fait, la décision en
cause avait été rendue en vertu d'une Directive du
Commissaire adoptée, elle aussi, sur le fondement
du pouvoir conféré par le paragraphe 29(3) de la
Loi sur les pénitenciers [S.R.C. 1970, chap. P-6].
Dans la décision prononcée au nom de la majorité
de la Cour suivant laquelle la directive visée n'obli-
geait pas «légalement» à ce qu'elle prescrivait, le
juge Pigeon a dit à la page 129:
Il est évident que l'on est soumis «légalement» à ce qui est
prescrit par les règlements. La loi en vertu de laquelle ils sont
pris prévoit des sanctions par amende ou emprisonnement. Il
convient de citer ici ce que disait le Conseil privé dans l'arrêt
Japanese Canadians ([1947] A.C. 87) à propos des décrets
adoptés en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, à la
p. 107:
[TRADUCTION] C'est encore l'activité législative du Parle-
ment qui s'exerce au moment où les décrets sont adoptés et
ces décrets sont des «lois».
Je ne pense pas que l'on puisse dire la même chose des
directives. Il est significatif qu'il n'est prévu aucune sanction
pour elles et, bien qu'elles soient autorisées par la Loi, elles sont
nettement de nature administrative et non législative. Ce n'est
pas en qualité de législateur que le commissaire est habilité à
établir des directives, mais en qualité d'administrateur. Je suis
convaincu qu'il aurait l'autorité d'établir ces directives même
en l'absence d'une disposition législative expresse. A mon avis,
le par. 29(3) doit être considéré de la même manière que bien
d'autres dispositions de nature administrative concernant les
services de l'administration et qui énoncent simplement un
pouvoir administratif qui existerait même en l'absence d'une
disposition expresse de la Loi.
Il est, à mon avis, important de distinguer les devoirs imposés
aux employés de l'Etat par une loi ou un règlement ayant force
de loi, des obligations qui leur incombent en qualité d'employés
de l'Etat. Les membres d'un comité de discipline ne sont
habituellement pas de hauts fonctionnaires publics mais de
simples employés de l'administration. Les directives du com-
missaire ne sont rien de plus que des instructions relatives à
l'exécution de leurs fonctions dans l'institution où ils travaillent.
Avec déférence, je crois que nous sommes liés par
cette décision. Je dois donc souscrire à l'opinion du
juge de première instance selon laquelle la direc
tive du Commissaire ne pouvait avoir pour effet de
modifier l'alinéa 41 (2)c) du Règlement.
Il est soutenu que la limite prévue au paragra-
phe 14 de la Directive du Commissaire était, quoi
qu'il en soit, une «règle de droit» au sens de
l'article 1 de la Charte, même si elle n'est pas
énoncée sous forme de règlement, parce qu'une
disposition d'une loi, le paragraphe 29(3) de la Loi
sur les pénitenciers, prévoit son adoption:
29....
(3) Sous réserve de la présente loi et de tous règlements
édictés sous le régime du paragraphe (1), le commissaire peut
établir des règles connues sous le nom d'Instructions du com-
missaire, concernant l'organisation, l'entraînement, la disci
pline, l'efficacité, l'administration et la direction judicieuse du
Service, ainsi que la garde, le traitement, la formation, l'emploi
et la discipline des détenus et la direction judicieuse des
pénitenciers.
À cet égard, l'appelant s'appuie sur l'opinion sui-
vante exprimée dans les motifs dissidents , du juge
Le Dain dans l'affaire R. c. Therens et autres,
[1985] 1 R.C.S. 613, la page 645:
L'article 1 exige que cette restriction soit prescrite par une
règle de droit, qu'elle soit raisonnable et que sa justification
puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démo-
cratique. L'exigence que la restriction soit prescrite par une
règle de droit vise surtout à faire la distinction entre une
restriction imposée par la loi et une restriction arbitraire. Une
restriction est prescrite par une règle de droit au sens de l'art. 1
si elle est prévue expressément par une loi ou un règlement, ou
si elle découle nécessairement des termes d'une loi ou d'un
règlement, ou de ses conditions d'application. La restriction
peut aussi résulter de l'application d'une règle de common law.
[Je souligne.]
On s'appuie également sur la décision rendue par
la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans
l'affaire Douglas/Kwantlen Faculty Assn. v. Dou-
glas College (1988), 21 B.C.L.R. (2d) 175, où une
des questions soumises à la Cour avait trait à la
signification du mot «law» («règle de droit») â
l'article 52 de la Charte. Après avoir mentionné les
divers points de vue énoncés dans l'affaire The-
rens, y compris l'opinion précitée du juge Le Dain,
la Cour a dit aux pages 182 et 183:
[TRADUCTION] Si l'arrêt R. c. Therens offre des indications
sur ce qui ne constitue pas une «règle de droit» aux termes de la
Charte, l'arrêt Operation Dismantle lnc. c. R., [1985] 1 R.C.S.
441, la page 459, 12 Admin. L.R. 16, 13 C.R.R. 287, 18
D.L.R. (4th) 481, la page 494, 59 N.R. 1 [Fed.], suggère ce
que l'expression «règle de droit» peut recouvrir. La Cour a
conclu dans cette affaire que les actes du Cabinet en sa qualité
de branche exécutive du gouvernement sont assujetties au
contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 32(1) de la Charte.
Le juge Dickson, énonçant l'opinion de la majorité de la Cour,
a ajouté le commentaire suivant relativement à l'article 52:
Je tiens à souligner que rien dans les présents motifs ne
saurait être interprété comme l'adoption de l'opinion selon
laquelle la référence faite à la «règle de droit» à l'art. 52 de la
Charte doit être confinée aux lois, aux règlements et à la
common law. Il se peut fort bien que, si la suprématie de la
Constitution, énoncée à l'art. 52, doit avoir un sens, tous les
actes effectués selon des pouvoirs découlant d'une règle de
droit relèveront de l'art. 52.
Cette observation peut s'interpréter comme suggérant que
l'expression «règle de droit» figurant à l'article 52 de la Charte
s'étend aux actes d'organismes gouvernementaux subalternes
comme Douglas College. Une autre interprétation possible est
que la Cour a voulu laisser non résolue la question de savoir si
les actes posés par l'exécutif du gouvernement, par opposition
aux lois et aux règlements, peuvent constituer des «règles de
droit» aux termes de l'article 52. Quelle que soit l'intention de
la Cour, les termes qu'elle emploie ont une grande portée. La
majorité de la Cour conclut que l'expression «règle de droit»
figurant à l'article 52 ne peut être restreinte aux lois, aux
règlements et à la common law. «[T]ous les actes effectués
selon des pouvoirs découlant d'une règle de droit» peuvent
relever de l'article 52. Ces termes sont capables d'embrasser
l'assertion selon laquelle les politiques des organismes gouver-
nementaux subalternes peuvent constituer des «règles de droit»
au sens de l'article 52 de la Charte.
À notre avis, l'interprétation large de l'expression «règle de
droit» de l'article 52 de la Charte suggérée dans l'arrêt Opera
tion Dismantle n'entre pas nécessairement en conflit avec l'in-
terprétation qui a été adoptée dans l'arrêt Therens à l'égard de
l'expression «règle de droit» figurant à l'article 1. La question
soulevée dans l'affaire Therens était celle de savoir si la con-
duite de certains agents de police pouvait être considérée
comme ayant été prescrite «par une règle de droit» aux termes
de l'article 1 de la Charte. Un acte arbitraire et discrétionnaire
peut ne pas être prescrit par une règle de droit même s'il peut
être considéré comme ayant été posé dans l'exercice d'un
pouvoir conféré par la loi. D'autre part, lorsqu'une disposition
législative ou une autre règle gouvernementale qui constitue
une règle de droit confère expressément un pouvoir discrétion-
naire de rendre une décision au sujet d'une question particulière
et que la décision respecte les critères stipulés à son égard, la
décision du fonctionnaire en cause pourrait être considérée
comme prescrite par une règle de droit: voir, par exemple, Re
Germany and Rauca (1983), 41 O.R. (2d) 225, 34 C.R. (3d)
97, 4 C.C.C. (3d) 385, 4 C.R.R. 42, 145 D.L.R. (3d) 638
(C.A.); Horbas c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1985] 2 C.F. 359, 22 D.L.R. (4th) 600 (1" inst.); et Re Ont.
Film & Video Appreciation Soc. and Ont. Bd. of Censors
(1983), 41 O.R. (2d) 583, 34 C.R. (3d) 73, 147 D.L.R. (3d)
58, confirmé par 45 O.R. (2d) 80, 38 C.R. (3d) 271, 2 O.A.C.
388, 5 D.L.R. (4th) 766, autorisation de pourvoi devant la
C.S.C. accordée dans l'arrêt rapporté à 5 D.L.R. (4th) 766n, 3
O.A.C. 318. Si l'accent est mis sur le terme «prescribed» plutôt
que sur le terme «law» de la version anglaise de l'article 1, les
observations formulées par la Cour Suprême dans l'arrêt The-
rems n'entrent pas en conflit avec la suggestion faite dans
l'affaire Operation Dismantle selon laquelle tous les actes posés
en vertu de pouvoirs conférés par le gouvernement peuvent
constituer une «règle de droit» au sens de l'article 52. [Je
souligne.]
Cet arrêt, à mon sens, n'a pas traité de la
question précise dont nous discutons à présent.
Celle-ci consiste à savoir si une règle supplémen-
taire autorisée par le Parlement, plutôt qu'une
décision rendue en vertu d'une loi ou d'un règle-
ment, peut être considérée comme une «règle de
droit» pour les fins de l'article 1 de la Charte. Bien
que le point en litige ait encore à être tranché de
façon décisive, j'ose suggérer que l'expression «par
une règle de droit» figurant à l'article 1 ne vise pas
la Directive du Commissaire même si son adoption
est prévue dans la Loi. L'adoption de cette direc
tive n'avait pas à se faire par la voie d'un processus
législatif reconnu, et celle-ci peut être modifiée
sans recours à un tel processus, le caprice de son
auteur devant même, en théorie, suffire à cet
égard. Dans ce sens, la Loi est une «règle de droit»,
comme l'est aussi le Règlement. Les directives sont
d'autre part, aux termes de la description [à la
page 129] qu'en donne le juge Pigeon dans l'arrêt
Martineau, de simples «instructions relatives à
l'exécution de ... fonctions». Elles ne constituent
pas une «règle de droit». Il ressort à l'évidence des
termes utilisés pour autoriser leur adoption, lors-
qu'on les compare aux dispositions prévoyant le
pouvoir d'adopter des règlements du paragraphe
29(1) de la Loi, que les directives n'ont aucune-
ment été destinées à avoir une importance juridi-
que proche de celle des règlements. Même s'il est
clair que les termes autorisant les directives sont
semblables à bien des égards aux termes édictant
le pouvoir de faire des règlements, l'intention qui
sous-tend leur adoption semble avoir été la pro
mulgation de dispositions relatives à la «direction
judicieuse des pénitenciers». Je ne puis considérer
le paragraphe 14 de la Directive comme une «règle
de droit» au sens où cette dernière pourrait pres-
crire une limite autorisée par l'article 1 et, de la
sorte, avoir pour conséquence d'édicter une excep
tion à la loi suprême du Canada inscrite à l'article
8 de la Charte.
Comme les termes de l'alinéa 41(2)c) préten-
dent par eux-mêmes autoriser la fouille à nu con-
testée, le juge de première instance a procédé à un
examen de cette disposition en s'interrogeant sur
son caractère raisonnable; il y a vu un vice parce
qu'elle n'énonce pas de critères précis en vertu
desquels la légitimité des fouilles sur la personne
des détenus pourrait être appréciée eu égard au
droit garanti par l'article 8 de la Charte. Selon le
juge de première instance, la réserve énoncée à
l'alinéa 41(2)c) selon laquelle un membre doit
considérer la fouille «raisonnable» pour déceler la
présence d'objets détenus illégalement ou pour as-
surer le bon ordre au sein de l'institution n'était
pas suffisante pour assurer un contrôle adéquat de
la pratique des fouilles à nu. Il était d'avis que
l'adoption par le Règlement du critère énoncé au
paragraphe 12 de la Directive du Commissaire, qui
prévoyait la possibilité de pratiquer des fouilles à
nu de détenus dans des situations restreintes'',
aurait pu constituer un pas dans la bonne direc
tion. Ces restrictions restaient sans effet puisque la
Directive n'avait pas force de loi et que, de toute
façon, le paragraphe 12 ne prévoyait pas d'autres
situations dans lesquelles la fouille à nu pourrait
être effectuée.
Après avoir examiné certains arrêts canadiens et
américains (R. c. Collins, [ 1987] 1 R.C.S. 265;
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S.
145; R. v. Rao (1984), 46 O.R. (2d) 80 (C.A.); Re
Maltby et al. and Attorney -General of Sas-
katchewan et al. (1982), 143 D.L.R. (3d) 649
(B.R. Sask.); confirmé par (1984), 13 C.C.C. (3d)
308 (C.A. Sask.); Soenen v. Director of Edmonton
Remand Centre, Attorney General of Alberta and
12. Sous réserve du paragraphe 10., tout détenu peut être
soumis à une fouille à nu par un membre:
a. immédiatement avant de quitter l'établissement et à son
retour;
b. immédiatement avant d'entrer dans l'aire ouverte des
visites d'un établissement et au moment de la quitter;
c. au moment de quitter un secteur d'isolement et d'y entrer,
sauf s'il vient d'être fouillé en vertu du paragraphe b.
ci-dessus et,
d. au moment de quitter un secteur de travail.
Solicitor General of Alberta (1984), 48 A.R. 31
(B.R.); Bell v. Wolfish, 441 U.S. 520 (1979)), le
juge de première instance, aux pages 394 et 395
C.F. de ses motifs de jugement, a justifié de la
façon suivante sa conclusion qu'un çpntrôle addi-
tionnel devrait être prévu dans le Règlement:
Sans doute y a-t-il certaines différences entre ce qui est
justifiable dans un centre de détention provisoire et dans les cas
d'une longue peine d'emprisonnement, mais la preuve me con-
vainc qu'un détenu condamné ne peut pas raisonnablement
s'attendre à ce qu'on respecte sa vie privée lors de fouilles
corporelles, ce que toute autre personne peut normalement
espérer: c'est-à-dire que l'une des restrictions à ses droits
normaux, qui découle implicitement de sa condamnation et de
son emprisonnement, fait en sorte qu'il doit se soumettre à des
fouilles sur sa personne pour assurer la sécurité et le bon ordre
de l'établissement et de ses détenus. Ces fouilles devraient
néanmoins être l'objet d'un certain contrôle afin qu'elles soient
vraiment utilisées pour les fins qui justifient cette atteinte aux
droits normalement reconnus à toute personne. J'ai conclu que
si on peut admettre des fouilles à nu de routine sans qu'il soit
nécessaire d'obtenir au préalable une autorisation spécifique, et
sans qu'il soit nécessaire de fournir un motif raisonnable et
probable de soupçonner que le détenu fouillé pourrait dissimu-
ler quelque objet interdit, les circonstances dans lesquelles ces
fouilles de routine sont autorisées devraient être prévues par
règlement. Il faudra adopter des règles raisonnables pour défi-
nir les situations où, en raison de la probabilité ou de la
possibilité qu'il y ait dissimulation de contrebande, ou bien en
raison du besoin de décourager la contrebande, une fouille à nu
de routine est justifiée dans l'intérêt public. Pour ce qui est des
fouilles non courantes, je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas
aussi des règles juridiques régissant ces situations. Il pourrait y
avoir, par exemple, une règle prévoyant que, lorsque survient un
problème urgent et précis de sécurité ou d'action coercitive,
tous les détenus ou certains d'entre eux peuvent faire l'objet
d'une fouille à nu générale. Cela pourrait arriver, par exemple,
quand un détenu a été poignardé dans un pavillon cellulaire et
qu'il est jugé nécessaire de procéder à une fouille à nu de tous
les détenus de ce pavillon pour trouver l'arme du crime. Mais
quand, mises à part ces fouilles à nu générales ou de routine,
certains détenus en particulier doivent être fouillés à nu, il
devrait y avoir une règle obligeant ceux qui font cette fouille à
avoir un motif raisonnable et probable de croire que le détenu
en question cache des choses interdites sur sa personne. Lorsque
le temps ou les circonstances ne permettent pas à ceux qui
mènent une fouille non courante d'obtenir l'autorisation d'un
agent principal, il faudrait que cet agent procède à un examen
des cas après le fait. Les témoignages concernant les examens
effectués après les fouilles à Joyceville ne me portent pas à
croire qu'ils pouvaient contribuer efficacement à empêcher les
fouilles injustifiées.
L'appelant fait valoir que le critère énoncé par
le juge en chef Dickson dans l'arrêt Hunter relati-
vement à la question de savoir si les intrusions de
l'État dans la vie privée constituent des fouilles ou
perquisitions abusives au sens de l'article 8 dans le
contexte d'une fouille ou perquisition sans mandat
d'un bureau commercial, s'applique mal à la
fouille à nu de détenus dans le cadre d'un péniten-
cier; quoi qu'il en soit, prétend-il, un tel critère n'a
pas été conçu pour s'appliquer de façon générale.
Selon le critère établi dans cette affaire, le droit à
la vie privée doit s'apprécier en comparaison avec
l'intérêt de l'État à le contrarier; ce critère appelle
un système d'autorisation préalable prévenant les
empiètements injustifiés. Le juge en chef a
exprimé clairement que seules les attentes raison-
nables de vie privée sont protégées par l'article 8
aux pages 159 et 160:
À l'instar de la Cour suprême des États-Unis, j'hésiterais à
exclure la possibilité que le droit à la protection contre les
fouilles, les perquisitions et les saisies abusives protège d'autres
droits que le droit à la vie privée mais, pour les fins du présent
pourvoi, je suis convaincu que la protection qu'il offre est au
moins aussi étendue. La garantie de protection contre les
fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu'une
attente raisonnable. Cette limitation du droit garanti par
l'art. 8, qu'elle soit exprimée sous la forme négative, c'est-à-dire
comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les
saisies «abusives», ou sous la forme positive comme le droit de
s'attendre «raisonnablement» à la protection de la vie privée,
indique qu'il faut apprécier si, dans une situation donnée, le
droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement
doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans
la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notam-
ment, d'assurer l'application de la loi.
La question qui reste à trancher et dont dépend l'issue du
présent pourvoi est de savoir comment cette appréciation doit
être faite. Quand doit-elle être faite, par qui et en fonction de
quoi? Une fois de plus, je crois qu'il convient d'examiner le but
visé.
Comme je l'ai déjà dit, cet article a pour but de protéger les
particuliers contre les intrusions injustifiées de l'État dans leur
vie privée. Ce but requiert un moyen de prévenir les fouilles et
les perquisitions injustifiées avant qu'elles ne se produisent et
non simplement un moyen de déterminer, après le fait, si au
départ elles devaient être effectuées. Cela ne peut se faire, à
mon avis, que par un système d'autorisation préalable et non de
validation subséquente.
L'exigence d'une autorisation préalable, qui prend habituelle-
ment la forme d'un mandat valide, a toujours été la condition
préalable d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie valides
sous le régime de la common law et de la plupart des lois. Une
telle exigence impose à l'État l'obligation de démontrer la
supériorité de son droit par rapport à celui du particulier.
Comme telle, elle est conforme à l'esprit apparent de la Charte
qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des
particuliers de ne pas subir l'ingérence de l'État au droit de ce
dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.
L'appelant soutient que ce critère n'a pas été
conçu pour s'appliquer à des circonstances diffé-
rant de façon marquée de celles considérées par la
Cour suprême dans l'affaire Hunter. En fait, il
affirme que le juge en chef a reconnu la possibilité
qu'un critère différent soit appliqué dans des cir-
constances entièrement différentes lorsqu'il a dit à
la page 161 de cet arrêt:
Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous
les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider
des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers
en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure
qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une
condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi-
tion et d'une saisie. [Je souligne.]
L'idée suivant laquelle certaines fouilles ou perqui-
sitions, en raison des circonstances dans lesquelles
elles sont pratiquées, ne peuvent faire l'objet d'une
autorisation préalable, a été notée par la Cour
d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Rao, où le juge
d'appel Martin a dit aux pages 106 et 107:
[TRADUCTION] A mon avis, la fouille ou perquisition sans
mandat du bureau d'une personne doit avoir une justification
pour satisfaire au critère du caractère raisonnable établi par
l'article 8 de la Charte, et les dispositions des lois autorisant de
telles fouilles ou perquisitions sans mandat sont susceptibles
d'être contestées en vertu de la Charte. La justification requise
à l'égard d'une fouille ou perquisition sans mandat peut naître
de l'existence de circonstances qui rendent impossible l'obten-
tion d'un mandat: voir, par exemple, le paragraphe 101(2) du
Code et le paragraphe 11(2) de la Loi sur les secrets officiels.
Les expectatives raisonnables en matière de vie privée des
particuliers doivent évidemment être appréciées en comparaison
avec l'intérêt qu'a le public dans l'application efficace des lois.
Toutefois, lorsqu'il n'existe aucune circonstance rendant impos
sible l'obtention d'un mandat et cette obtention n'entraverait
pas l'application effective de la loi, une fouille ou perquisition
sans mandat d'un bureau situé dans un endroit donné (sauf si
elle s'inscrit dans le cadre d'une arrestation légale) ne peut être
justifiée et ne satisfait pas au critère constitutionnel du carac-
tère raisonnable établi par l'article 8 de la Charte. [Je
souligne.]
Cette règle a été reconnue dans l'affaire R. v.
J.M.G. (1986), 56 O.R. (2d) 705 (C.A.), où une
disposition d'une loi autorisant la fouille sans auto-
risation préalable d'un étudiant pour trouver des
objets détenus illégalement a été maintenue. Aux
pages 710 et 711, le juge d'appel Grange a observé
au nom de la Cour:
[TRADUCTION] Au Canada, l'arrêt Hunter et autres c. Sou-
tham Inc. (1984), 14 C.C.C. (3d) 97, 11 D.L.R. (4th) 641, 2
C.P.R. (3d) 1 a décidé que de façon générale, le critère
applicable à une loi donnant le droit de pratiquer une fouille ou
perquisition résidait dans l'autorisation préalable de cette
fouille ou perquisition par une personne neutre et impartiale.
La Cour suprême du Canada a également examiné le «droit de
s'attendre raisonnablement à la protection de la vie privée» des
particuliers qui sont soumis à des fouilles ou perquisitions.
Toutefois, dans l'arrêt Hunter, le juge en chef Dickson soupe-
sait l'importance respective de l'intérêt du particulier et de
l'intérêt de l'État. Bien que, comme je l'ai déjà dit, je sois prêt à
présumer que la Charte s'applique aux rapports, entre le direc-
teur d'école et les étudiants, ces rapports ne ressemblent pas,
même de façon éloignée, à ceux d'un policier et d'un citoyen.
Premièrement, le directeur d'école possède un intérêt important
non seulement dans le bien-être des autres étudiants mais
encore dans celui de l'étudiant accusé lui-même. Deuxième-
ment, la société dans son ensemble possède un intérêt dans le
maintien d'un milieu éducationnel adéquat, ce qui implique
clairement qu'on soit capable d'appliquer les règles disciplinai-
res scolaires de façon efficace et effective. Il arrive fréquem-
ment qu'il ne soit ni possible ni souhaitable que le directeur
d'école doive obtenir une autorisation préalable avant de fouil-
ler son étudiant et de saisir des objets détenus illégalement. [Je
souligne.]
L'appelant soutient qu'il devrait être considéré
que les réalités du milieu pénitentiaire permettent
de déroger à la règle de l'autorisation préalable et
de l'existence d'une croyance raisonnable. De telles
réalités ont été reconnues par les tribunaux. Elles
se trouvent décrites de façon pittoresque dans le
passage suivant des motifs prononcés par le juge
MacGuigan (en son propre nom) dans l'affaire
Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984]
2 C.F. 642 (C.A.), à la page 681:
Les pénitenciers ne sont pas des endroits agréables réservés
aux personnes aimables. Au contraire, ce sont des lieux d'incar-
cération où l'on met à l'écart des hommes et des femmes
purgeant des peines de plus de deux ans et qui, pour la plupart,
sont des criminels endurcis ayant un comportement asocial.
Heureusement, le système carcéral aspire toujours à réformer.
Cependant, l'ambiance qui y règne rappelle tristement l'état
primitif de la nature telle que l'imaginait Hobbes avant l'avène-
ment du Leviathan, où l'être humain menait une vie solitaire,
pauvre, malsaine, abrutissante et courte. Dans un tel climat de
haine et de discorde, la plus petite étincelle peut mettre le feu
aux poudres. Le bon ordre y est encore plus nécessaire et plus
fragile que dans des contextes militaires et policiers et son
rétablissement, lorsqu'il a été troublé, devient une question
d'extrême urgence.
Seul un tribunal bien mal renseigné pourrait ignorer que les
autorités des pénitenciers doivent réagir sur-le-champ aux trou
bles de l'ordre dans la prison et seul un tribunal irréfléchi leur
refuserait les moyens de réagir efficacement.
Dans deux affaires américaines qui ont été por-
tées jusque devant la Cour suprême des États-
Unis, la fouille de prisonniers ou de personnes
détenues semble avoir été laissée à la discrétion de
l'établissement pénal ou de détention en cause
plutôt que contrôlée au moyen d'une série de con
ditions préalables: Lanza v. New York, 370 U.S.
139 (1962); Bell v. Wolfish, 441 U.S. 520 (1979).
Il y a été soutenu que les fouilles et perquisitions
violaient le droit inscrit au Quatrième amende-
ment de la Constitution des États-Unis d'être
garanti [TRADUCTION] «des perquisitions et saisies
abusives». Dans la première affaire, le juge Ste-
wart a fait état des particularités du milieu carcé-
ral lorsqu'il a dit au nom de la majorité de la Cour
à la page 143:
[TRADUCTION] Mais il est, au mieux, inédit de prétendre
qu'une prison publique est pour un homme l'équivalent de sa
«maison» ou est un endroit où un particulier peut se prévaloir de
l'immunité constitutionnelle contre les fouilles, perquisitions ou
saisies de sa personne, de ses documents ou de ses effets
personnels. Chose certaine, la Cour, dans son interprétation de
la portée matérielle de la protection mentionnée au Quatrième
Amendement, a été très généreuse. Un bureau commercial est
un endroit protégé (Silverthorne Lumber Co. v. United States,
251 U.S. 385; Gouled v. United States, 255 U.S. 298), comme
peut l'être un magasin (Amos v. United States, 255 U.S. 313;
Davis v. United States, 328 U.S. 582.) Une chambre d'hôtel,
aux yeux du Quatrième Amendement, peut devenir la «maison»
d'une personne (Lustig v. United States, 338 U.S. 74; United
States v. Jeffers, 342 U.S. 48), comme le peut évidemment
aussi un appartement. (Jones v. United States, 362 U.S. 257.)
Une automobile ne peut faire l'objet de perquisitions abusives
(Gambino v. United States, 275 U.S. 310; Carroll v. United
States, 267 U.S. 132; Brinegar v. United States, 338 U.S. 160;
Henry v. United States, 361 U.S. 98). Une voiture taxi ne le
peut pas non plus (Rios v. United States, 364 U.S. 253).
Cependant, sans tenter ni de définir ni de prédire la portée
ultime de la protection accordée par le Quatrième Amende-
ment, il est évident qu'une prison ne partage à l'égard de la vie
privée aucun des attributs du foyer, de l'automobile, du bureau
ou de la chambre d'hôtel. En prison, la surveillance officielle a
traditionnellement été pratiquée de façon constante. (L'art.
§500-c de la N.Y. Correction Law déclare notamment: «Les
détenus purgeant une peine n'auront le droit de converser avec
quiconque qu'en présence d'un gardien.» Les Regulations for
Management of County Jails (Revised 1953 ed.), de la N.Y.
State Commission of Correction prévoient notamment que:
«Toutes les parties de la prison devraient être fouillées fréquem-
ment pour y découvrir éventuellement des objets détenus illéga-
lement.») [Je souligne.]
Dans l'affaire Wolfish, le juge Rehnquist (c'était
alors son titre), parlant au nom de la majorité de
la Cour, a surtout pris en considération les problè-
mes relatifs à la sécurité des institutions péniten-
cières lorsqu'il a apprécié le caractère raisonnable
des fouilles corporelles. Aux pages 558 et 559, il a
dit:
[TRADUCTION] Nous reconnaissons que cette pratique est
celle qui, instinctivement, suscite chez nous le plus d'hésitation.
Toutefois, en tenant pour acquis pour les fins de la présente
espèce que les prisonniers, tant ceux dont la culpabilité a été
prononcée que les détenus avant procès, conservent certains des
droits découlant du Quatrième Amendement lorsqu'ils sont
confiés à la garde d'un établissement correctionnel (voir Lanza
v. New York, susmentionné; Stroud v. United States, 251 U.S.
15, 21 (1919)), nous concluons néanmoins que les fouilles en
question ne violent pas cet amendement. Le Quatrième Amen-
dement interdit seulement les fouilles abusives (Carroll v.
United States, 267 U.S. 132, 147 (1925)), et, dans les circons-
tances de l'espèce, nous ne croyons pas que les fouilles prati-
quées soient abusives.
Le critère du caractère raisonnable prévu au Quatrième
Amendement ne peut être défini de façon précise ou appliqué
de façon machinale. Dans chaque cas, le besoin d'une fouille
particulière doit être opposé aux droits personnels brimés par la
fouille. Les tribunaux doivent considérer l'étendue de l'empiète-
ment en jeu, la manière dont il est effectué, la justification qui
en est donnée et le lieu dans lequel il est pratiqué (par exemple,
United States v. Ramsey, 431 U.S. 606 (1977); United States
v. Martinez-Fuerte, 428 U.S. 543 (1976); United States v.
Brignoni-Ponce, 422 U.S. 873 (1975); Terry v. Ohio, 392 U.S.
1 (1968); Katz v. United States, 389 U.S. 347 (1967); Schmer-
ber v. California, 384 U.S. 757 (1966)). Un établissement de
détention est un endroit à caractère unique dans lequel foison-
nent les dangers importants pour la sécurité. L'introduction
illégale d'argent, de drogue, d'armes et d'autres objets interdits
n'y est que trop répandue. Les tentatives des détenus de faire
entrer de tels articles dans l'établissement en les cachant dans
des cavités corporelles sont bien documentées dans le présent
dossier (Dossier, aux pages 71 76) ainsi que dans d'autres
affaires (par exemple Ferraro v. United States, 590 F. 2d 335
(CA6 1978); United States v. Park, 521 F. 2d 1381, 1382
(CA9 1975)). [Je souligne.]
À mon sens, en tranchant ce point nous ne
devrions pas ignorer ces particularités de la vie
carcérale ni les problèmes spécifiques qu'elles sou-
lèvent pour les administrateurs de prisons qui s'ac-
quittent de leur responsabilité d'assurer «la sûreté
et ... la sécurité» de l'institutions. Il ressort selon
moi de ces conditions particulières que les adminis-
trateurs des prisons ont droit à une certaine lati
tude dans l'adoption et dans l'application des poli-
tiques et des pratiques requises pour le maintien de
l'ordre et de la sûreté de son institution ainsi que
pour la sécurité et la protection des détenus
comme du personnel. Je n'entends pas ainsi suggé-
rer que les autorités et le personnel devraient être
laissés complètement libres en ce qui regarde ces
questions et avoir ainsi la possibilité d'abuser de
leurs pouvoirs. L'autorité conférée par l'alinéa
41(2)c) est limitée aux situations dans lesquelles
un membre considère que la mesure visée est
«raisonnable» soit pour déceler la présence d'objets
détenus illégalement soit pour assurer le bon ordre
5 Le paragraphe 5(1) du Règlement déclare:
5. (1) Le chef d'institution est responsable de la direction
de son personnel, de l'organisation de la sûreté et de la
sécurité de son institution, y compris la formation discipli-
naire des détenus qui y sont incarcérés.
au sein de l'institution. À mon avis, de telles
fouilles doivent toujours être pratiquées de bonne
foi. Elles ne peuvent avoir pour but d'intimider,
d'humilier ou de harceler les détenus ou de leur
infliger une punition. Une procédure effective de
révision devrait également être accessible après la
fouille de manière à permettre une prompte décou-
verte des abus.
Situations d'urgence
On a pleinement débattu devant nous la ques
tion de savoir si l'expression [TRADUCTION] «si-
tuations d'urgence» pouvait être définie dans le
Règlement, et le cas échéant, comment elle pour-
rait l'être, eu égard aux droits garantis par l'article
8 de la Charte. Une telle définition pourrait être
inscrite dans un règlement édicté par le gouver-
neur en conseil en vertu des larges pouvoirs que lui
confère le paragraphe 29(1) [mod. par S.C.
1976-77, chap. 43, art. 44] de la Loi sur les
pénitenciers:
29. (1) Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements
a) relatifs à l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'ef-
ficacité, l'administration et la direction judicieuse du Service;
b) relatifs à la garde, le traitement, la formation, l'emploi et
la discipline des détenus;
c) relatifs, de façon générale, à la réalisation des objets de la
présente loi et l'application de ses dispositions.
Je n'ai pas l'intention de traiter exhaustivement
de cette question mais simplement de présenter à
cet égard certaines observations. L'appelant préco-
nise une approche souple, qui permette au chef de
l'institution de s'acquitter de façon judicieuse et
raisonnable de la responsabilité que lui assigne la
loi de préserver la «sûreté et . la sécurité de son
institution». L'intimé soutient que l'expression en
cause devrait être définie de façon plus précise.
J'ai déjà fait état des particularités distinguant le
milieu pénitentiaire d'autres endroits où des fouil-
les ou perquisitions sont parfois pratiquées sur des
particuliers, par exemple un bureau commercial ou
une résidence privée. A cet égard, je suis entière-
ment d'accord avec le juge de première instance
lorsqu'il dit à la page 393 C.F. de ses motifs de
jugement:
Les prisonniers sont mobiles et les témoignages de gardiens de
prisons ont montré qu'après un laps de temps appréciable, ou
avec le déplacement de détenus, même sous surveillance,
ceux-ci arrivent souvent à se départir de contrebande. Cela fait
ressortir l'urgence de ces fouilles. En outre, il n'est pas raison-
nable d'établir un parallèle entre la vie privée recherchée dans
une maison ou un bureau avec celle à laquelle on peut s'atten-
dre dans une prison.
En même temps, il m'apparaît difficile, sinon
impossible, d'élaborer une définition des situations
d'urgence fondée sur des critères spécifiques qui
serait tout à la fois suffisamment claire, précise et
applicable. Ce sentiment est confirmé par une
opinion d'experts présentée lors du procès. Le
témoin qui l'a énoncée a considéré qu'il y aurait
urgence [TRADUCTION] «en présence d'un désor-
dre ou d'une émeute générale majeure dans la
prison» (Transcription, volume 5, à la page 959),
mais il n'a offert aucune autre illustration à cet
égard. Contre-interrogé, il a reconnu qu'une cer-
taine discrétion doit toujours être laissée à l'insti-
tution lorsqu'il s'agit de déterminer l'existence
d'une 'situation d'urgence. Il a déposé:
[TRADUCTION] Q. Est-ce que vous seriez d'accord pour dire
que le chef de l'institution devrait jouir d'une certaine latitude
lorsqu'il s'agit de décider s'il y a urgence?
R. Telle est précisément le but visé en demandant à l'institu-
tion ou à l'instance compétente d'élaborer des politiques au
sujet des urgences, oui.
Q. Mais ces politiques laisseraient au chef de l'institution le
pouvoir discrétionnaire de déterminer quand il y a urgence?
R. Je crois que l'ampleur de la discrétion conférée dépendrait
de la définition donnée à une urgence.
À nouveau, je suppose que plusieurs types de situations
seraient visés par la notion d'urgence, mais celle-ci serait
probablement définie, et peut-être plusieurs lignes de conduite
seraient-elles précisées à cet égard.
Q. Vous seriez d'accord pour dire qu'une certaine discrétion
devrait toujours être laissée au chef de l'institution relativement
à la question de savoir s'il existe une situation d'urgence et ce,
même si certaines circonstances étaient par ailleurs définies ou
établies?
R. Je suis d'accord pour dire qu'une certaine discrétion devrait
être laissée aux directeurs des institutions, oui.
(Transcription, volume 5, à la page 960)
Ce témoignage, il me semble, fait ressortir la
difficulté de définir les [TRADUCTION] «situations
d'urgence» de façon satisfaisante sans violer la
garantie conférée par l'article 8. Une définition qui
irait du particulier au général (commençant par
des situations précises comme les désordres ou
émeutes majeures pour se terminer en des termes
plus généraux recouvrant des situations non préci-
sées qui risqueraient d'être difficiles ou même
impossibles à prévoir) pourrait sans doute être
élaborée. Si j'ai bien saisi les réalités du milieu
carcéral, il semblerait insensé d'insister sur une
définition des situations d'urgence qui serait limi-
tée à certaines catégories d'urgence, par exemple
les désordres et émeutes majeures. Ce faisant, nous
introduirions le jugement de la Cour dans la
sphère des responsabilités régulièrement assignées
aux chefs d'institutions. Bien que des situations de
ce type devraient être précisées, je crois que la
définition à adopter aurait également à tenir
compte de l'existence d'autres situations dans les-
quelles la fouille à nu de détenus de sexe masculin
en présence d'un gardien de sexe féminin doit être
pratiquée de façon immédiate 6 .
Dispositif
Je conclurais en accueillant l'appel dans la
mesure que j'ai indiquée et en modifiant le para-
graphe 1 du jugement porté en appel de la manière
suivante:
1. en ajoutant l'expression «de sexe masculin»
immédiatement avant les termes «des pénitenciers»
et les mots «par un agent de sexe féminin du
Service correctionnel ou en sa présence dans une
situation autre qu'une situation d'urgence» après le
mot «pénitenciers» à la quatrième ligne;
2. en ajoutant le terme «de sexe masculin» immé-
diatement après le mot «détenus» à la cinquième
ligne;
3. en ajoutant à la fin de ce paragraphe les termes
«dans la mesure de cette incompatibilité.»
de sorte que ce paragraphe ainsi modifié sera
libellé de la façon suivante:
1. IL EST JUGÉ ET DÉCLARÉ QUE l'alinéa 41(2)c) du Règle-
ment sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251,
dans la mesure où il vise à autoriser la fouille des détenus de
sexe masculin des pénitenciers par un agent du Service correc-
tionnel de sexe féminin ou en sa présence dans une situation
autre qu'une situation d'urgence est, dans sa forme actuelle,
incompatible avec les droits garantis aux détenus de sexe
masculin des pénitenciers par l'article 8 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés et, aux fins d'autorisation de ces
fouilles, est inopérant et n'a aucune force ni effet dans la
mesure de cette incompatibilité.
L'intimé a également prétendu que le juge avait
commis une erreur de droit en rejetant sa préten-
6 Dans l'affaire Sterling v. Cupp, 625 P.2d 123 (Or. 1981),
par exemple, l'expression «emergency situation» ([TRADUC-
TION] «situation d'urgence») figurant dans les règles adminis-
tratives d'une prison, a été redéfinie de façon large comme
désignant [TRADUCTION] l'«apparition d'une circonstance
imprévue qui appelle l'adoption de mesures correctrices
immédiates».
tion que le détenu de pénitencier possède un droit
général à la vie privée qui est garanti par l'article 7
de la Charte. Comme cette question ne se trouve
pas proprement soulevée devant nous, je ne crois
pas qu'il soit nécessaire d'en traiter à ce point ci.
L'appelant n'ayant point réclamé de dépens,
aucuns ne seront adjugés.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE LACOMBE: Je souscris à ces motifs.
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