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A-724-87
Procureur général du Canada, Solliciteur général du Canada et Commissaire aux services correc- tionnels (appelant) (défendeurs)
c.
Garnet Clarence Weatherall (intimé) (deman- deur)
RÉPERTORIÉ: WEATHERALL C. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
(C.A.)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et Lacom- be—Toronto, 30 et 31 mai; Ottawa, 28 juin 1988.
Pénitenciers La fouille à nu pratiquée aux fins de décou- vrir de la contrebande sur la personne d'un détenu a eu pour témoin un gardien de sexe féminin Ce détenu a sollicité un jugement déclaratoire portant que les droits que lui reconnaît l'art. 8 de la Charte ont été violés Le juge de première instance a déclaré que l'art. 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers (qui autorise la fouille à nu de tout détenu par tout membre du service) est inopérant dans la mesure il autorise les fouilles à nu de façon générale L'art. 41(2)c) est inopérant parce que contraire à l'art. 8 de la Charte dans la mesure il autorise les fouilles à nu de détenus de sexe masculin en présence de gardiens de sexe féminin L'art. 14 de la Directive du Commissaire ne constitue pas une limite raisonnable prescrite par une règle de droit L'art. 41(2)c) n'est pas raisonnable lorsque considéré isolément puisqu'il omet de préciser les critères applicables aux fouilles de détenus Les dispositions législatives visées devraient prévoir des moyens de contrôle additionnels mais les particularités de la vie en prison rendent difficile la définition des situations d'urgence.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Fouilles, perquisitions ou saisies L'art. 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers, qui autorise tout membre du service à fouiller tout détenu, est incompatible avec l'art. 8 de la Charte dans la mesure il autorise la fouille à nu des détenus du sexe masculin en -présence de gardiens de sexe féminin dans des situations autres que des situations d'urgence L'art. 14 de la Directive du Commissaire ne peut assortir l'art. 41(2)c) d'une réserve puis- que l'art. 14 ne constitue pas une règle de droit L'art. 41(2)c) n'est pas raisonnable puisque qu'il omet de préciser des critères de contrôle des fouilles ou perquisitions Il est souhaitable que des moyens de contrôle soient prévus dans le Règlement, mais les particularités de la vie en prison rendent difficile l'élaboration d'une définition à la fois précise et souple de la situation d'urgence.
Droit constitutionnel Charte des droits Clause limita- tive L'art. 41(2)c) du Règlement sur le service des péniten- ciers autorise la fouille de tout détenu par tout membre du service lorsqu'une telle mesure est considérée raisonnable L'art. 14 de la Directive du Commissaire limitant les fouilles à nu de détenus de sexe masculin par des gardiens de sexe féminin aux circonstances d'urgence ne constitue pas une
limite raisonnable prescrite «par une règle de droit» au sens de l'art. 1 de la Charte Aux termes de l'arrêt Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, qui lie le tribunal, les Directives du Commissaire ne constituent pas des règles de droits même si l'art. 29(3) autorise le Commissaire à énoncer des directives L'adoption des directives n'a pas à se faire au moyen d'un processus législatif Celles-ci ne sont pas destinées à avoir l'impor- tance juridique des règlements L'art. 41(2)c) n'était pas «raisonnable» puisqu'il omettait d'énoncer des critères précis à l'égard des fouilles de détenus Il est souhaitable que des contrôles additionnels soient prévus au Règlement.
Pratique Plaidoiries Un détenu a été fouillé à nu en présence d'un gardien de sexe féminin Il a demandé le prononcé d'un jugement déclaratoire portant que les droits que lui confère l'art. 8 de la Charte avaient été violés Le juge a déclaré que les dispositions du Règlement autorisant les fouil- les à nu d'un détenu par un membre du service étaient inopé- rantes Ce juge a statué au-delà de la question définie dans les actes de procédure Les actes de procédure ont pour but de définir les questions débattues et d'aviser la partie adverse de l'argumentation à laquelle elle aura à faire face L'appe- lant ne savait pas que l'art. 8 de la Charte était invoqué à l'appui d'une contestation générale de la validité du Règlement Il n'a présenté aucun élément de preuve et aucune argu mentation à cet égard Les actes de procédure ne contes- taient que la validité des dispositions autorisant la fouille à nu de détenus de sexe masculin en présence de gardiens de sexe féminin Jugement modifié en conséquence.
Appel est interjeté d'un jugement de la Division de première instance déclarant inopérant l'alinéa 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers. Cet alinéa prévoit qu'un membre du service des pénitenciers peut fouiller un détenu lorsqu'un membre considère une telle mesure raisonnable et nécessaire pour déceler la présence de contrebande ou pour assurer le bon ordre au sein d'une institution. Le paragraphe 14 de la Direc tive du Commissaire prévoit qu'un détenu de sexe masculin peut être fouillé par un membre de sexe féminin dans les cas d'urgence. Les faits de l'espèce sont les suivants: comme l'in- timé, un détenu de l'établissement de Joyceville, quittait l'aire des visites, lui-même et un autre détenu ont été soumis à une fouille à nu qui, effectuée par un gardien de sexe masculin, a eu pour témoin un gardien de sexe féminin. Le juge de première instance a conclu que l'alinéa 41(2)c) du Règlement était inopérant parce qu'incompatible avec l'article 8 de la Charte, dans la mesure il autorisait de façon générale la fouille à nu des détenus de pénitenciers. L'appelant a soutenu que (1) le juge de première instance s'est trompé en ce que, devant des plaidoiries soulevant une question litigieuse qui se limitait à la fouille à nu d'un détenu de sexe masculin par un gardien de sexe féminin ou en présence de celui-ci, il a rendu un jugement portant sur une question au sujet de laquelle l'appelant n'avait pas eu la chance de présenter d'autres éléments de preuve ou arguments; (2) le juge de première instance s'est trompé en concluant que l'alinéa 41(2)c) du Règlement et le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire sont incompatibles avec l'article 8 de la Charte dans la mesure ces dispositions, interprétées ensemble, visent à autoriser une fouille à nu d'un détenu de sexe masculin par un gardien de sexe féminin ou en présence de ce gardien dans les cas d'urgence; (3) le juge de première instance a commis une erreur en concluant que la
Directive du Commissaire n'a pas force de loi et, en consé- quence, n'assortit pas de réserves le pouvoir général sur les fouilles visé à l'alinéa 41(2)c) du Règlement. L'appelant a soutenu que le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire constituait une limite raisonnable prescrite par une règle de droit au sens de l'article 1 de la Charte. Il a été soutenu que l'arrêt Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui ne s'applique pas à l'espèce parce qu'il traitait de la question de savoir si une décision était de celles qui sont «légalement» soumises à un processus judiciaire ou quasi judiciaire au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. De plus, il a été prétendu que la limite prévue au paragraphe 14 est «prescrite par une règle de droits» par le fait que le paragraphe 29(3) de la Loi sur les pénitenciers autorisait expressément le Commissaire à établir des règles, connues sous le nom de Directives du Commissaire, concernant la direction judicieuse des pénitenciers; 4) le juge de première instance s'est trompé en concluant que le paragraphe 14 ne constitue pas une limite «raisonnable» prescrite par une règle de droit au sens de l'article 1 de la Charte.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli en partie.
La question soulevée dans les plaidoiries portait que la présence d'un gardien de sexe féminin avait privé le demandeur (l'intimé) du droit d'être protégé contre les fouilles, les perqui- sitions et les saisies abusives que lui garantissait l'article 8 de la Charte et que, en conséquence, l'alinéa 41(2)c) du Règlement et le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire, étant incompatibles avec le droit ainsi garanti, étaient inopérants dans la mesure de cette incompatibilité. La demande de redres- sement doit s'interpréter comme renvoyant aux faits pertinents, ou à la fouille à nu qui a effectivement été pratiquée, plutôt qu'aux fouilles à nu en général. Les actes de procédure sont destinés à définir les questions débattues et à aviser la partie adverse de l'argumentation à laquelle elle aura à faire face. Les actes de procédure ont causé un préjudice évident à l'appelant en ne soulevant pas la question des fouilles à nu de détenus en général. L'applicabilité de l'article 8 de la Charte ne pouvait être discutée que dans le contexte des actes de procédure produits en l'espèce et ceux-ci ne contestaient la validité de ces paragraphes que dans la mesure od ils autorisaient la fouille à nu des détenus de sexe masculin en présence d'un gardien de sexe féminin.
En ce qui a trait à la seconde question, le juge de première instance était obligé d'examiner l'alinéa 41(2)c) du Règlement en ne considérant que la question de son caractère raisonnable, puisqu'il avait conclu que le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire, ne constituant pas une «règle de droit», ne pou- vait assortir de réserves l'alinéa 41(2)c).
En conséquence, concernant la troisième question, le juge de première instance a eu raison de suivre l'arrêt Matsqui, dans lequel il était conclu que la Directive du Commissaire ne constituait pas une règle de droit même si son adoption était prévue dans la Loi. La Directive a été adoptée sans que n'intervienne un processus législatif, et elle peut être modifiée sans avoir recours à un tel processus. Les directives sont de simples «instructions relatives à l'exécution de ... fonctions». Il ressort à l'évidence des termes utilisés pour autoriser leur adoption, lorsqu'on les compare aux dispositions prévoyant le pouvoir d'adopter des règlements du paragraphe 29(1) de la Loi, que les directives n'ont aucunement été destinées à avoir une importance juridique proche de celle du Règlement.
Pour en revenir à la seconde question, à la lecture de l'alinéa 41(2)c), rien n'apparaît limiter la fouille à nu des détenus de sexe masculin par des gardiens de sexe féminin ou en leur présence aux situations d'urgence. Le juge de première instance a conclu que cette disposition n'était pas raisonnable parce qu'elle omettait d'établir des critères précis à l'égard des fouil- les des détenus. Il a conclu que le Règlement devait prévoir des contrôles additionnels, qu'il s'agisse de la nécessité d'établir l'existence de soupçons fondés sur un motif raisonnable et probable, ou qu'il s'agisse d'une autorisation préalable. Les particularités de la vie carcérale et les problèmes spécifiques qu'elle soulève pour les administrateurs de prisons qui s'acquit- tent de leur responsabilité d'assurer «la sûreté et ... la sécurité» de l'institution ne doivent pas être oubliés. Ces administrateurs ont droit à une certaine latitude dans l'adoption et dans l'appli- cation des politiques et des pratiques requises pour le maintien de l'ordre et de la sûreté, ainsi que pour la sécurité et la protection des détenus comme du personnel. L'autorité conférée par l'alinéa 41(2)c) est limitée aux situations dans lesquelles un membre considère que la mesure visée est «raisonnable». De telles fouilles doivent également être pratiquées de bonne foi. Elles ne peuvent avoir pour but d'intimider, d'humilier ou de harceler les détenus ou de leur infliger une punition. Une procédure effective de révision devrait également être accessible de manière à permettre une prompte découverte des abus.
Au sujet de la question de savoir si l'expression «situations d'urgence» peut être définie dans le Règlement, et le cas échéant, comment elle pourrait l'être, eu égard à l'article 8 de la Charte, il est noté qu'il apparaît difficile d'élaborer une définition des situations d'urgence fondée sur des critères spéci- fiques qui serait tout à la fois suffisamment claire, précise et applicable. En insistant sur une définition des situations d'ur- gence qui serait limitée à certaines catégories d'urgence (comme les émeutes), la Cour introduirait son jugement dans la sphère des responsabilités assignées, comme il se doit, aux chefs d'institutions. Bien que des situations de ce type devraient être précisées, la définition à adopter aurait également à tenir compte de l'existence de situations imprévues la fouille à nu de détenus de sexe masculin par un gardien de sexe féminin ou en sa présence doit être pratiquée de façon immédiate.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 8, 12, 15(1).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 28.
Loi sur les pénitenciers, S.C. 1960-61, chap. 53, art. 29(3).
Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 29(1) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 43, art. 44), (3).
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 5, 41(2)c) (mod. par DORS/80-462, art. 1), (3) (ajouté, idem).
U.S. Constitution Amend. IV.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Esso Petroleum Co. Ltd. v. Southport Corporation,
[1956] A.C. 218 (H.L.); Grummett v. Rushen, 779 F.2d 491 (9th Cir. 1985); Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118.
DÉCISION DISTINGUÉE:
Douglas/Kwantlen Faculty Assn. v. Douglas College (1988), 21 B.C.L.R. (2d) 175 (C.A.).
DÉCISION INFIRMÉE:
Weatherall c. Canada (Procureur général), [1988] 1 C.F. 369; (1987), 59 C.R. (3d) 247; (1987), 11 F.T.R. 279 (1" inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. v. Rao (1984), 46 O.R. (2d) 80 (C.A.); Bell v. Wolfish, 441 U.S. 520 (1979); R. v. J.M.G. (1986), 56 O.R. (2d) 705 (C.A.); Howard c. Établissement de Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642 (C.A.); Lanza v. New York, 370 U.S. 139 (1962); Sterling v. Cupp, 625 P.2d 123 (Or. 1981).
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; Re Maltby et al. and Attorney -General of Saskatchewan et al. (1982), 143 D.L.R. (3d) 649 (B.R. Sask.); confirmée (1984), 13 C.C.C. (3d) 308 (C.A. Sask.); Soenen v. Director of Edmonton Remand Centre, Attorney General of Alberta and Solicitor General of Alberta (1984), 48 A.R. 31 (B.R.).
DOCTRINE
Williston, W. B. and Rolls, R. J. The Law of Civil Procedure, Vol. 2, Toronto: Butterworths, 1970.
AVOCATS:
J. Grant Sinclair, c.r. et Michael Sherman pour l'appelant (défendeurs).
Ronald R. Price, c.r. pour l'intimé (deman- deur).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant (défendeurs).
Faculté de droit, Queen's University, Kings- ton (Ontario) pour l'intimé (demandeur).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Appel est interjeté d'un juge- ment prononcé par le juge Strayer en Division de première instance le 19 août 1987' dans lequel ce juge a statué que l'alinéa 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251 [mod. par DORS/80-462, art. 1] est
(i) inopérant parce qu'incompatible avec le droit garanti à l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés dans la mesure il autorise la fouille à nu des détenus de pénitenciers;
(ii) inopérant et sans aucune force ni effet parce qu'incompati- ble avec le droit garanti par l'article 12 de la Charte, dans la mesure il autorise la fouille à nu d'un détenu de pénitencier de sexe masculin par un gardien de sexe féminin ou en sa présence dans une situation il n'y a pas d'urgence.
et que le paragraphe 41(3) [ajouté, idem] de ce même Règlement est inopérant et sans aucune force ni effet parce qu'incompatible avec un droit garanti au paragraphe 15(1) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Un moyen fondé sur l'article 7 de la Charte attaquant la validité de l'alinéa 41(2)c) du Règlement et du paragraphe 14 de la Directive du Commissaire a été rejeté.
Les articles 7, 8 et 12 et le paragraphe 15(1) de la Charte sont ainsi libellés:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
L'alinéa 41(2)c) du Règlement est rédigé de la manière suivante:
41....
(2) Sous réserve du paragraphe (3), un membre peut fouiller
' [1988] 1 C.F. 369; (1987), 59 C.R. (3d) 247; (1987), 11 F.T.R. 279 (1fe inst.).
c) un détenu ou des détenus, lorsqu'un membre considère une telle mesure raisonnable et nécessaire pour déceler la présence de contrebande ou pour assurer le bon ordre au sein d'une institution; et
Les dispositions du paragraphe 14 de la Directive du Commissaire sont les suivantes:
14. Toutc fouille à nu doit être effectuée avec discrétion par un membre du même sexe et habituellement en présence d'un témoin du même sexe. Dans les cas d'urgence, un détenu peut être fouillé par un membre du sexe opposé.
Les questions soulevées dans le cadre du présent appel partent d'un incident survenu le 13 juin 1985 alors que l'intimé était un détenu de l'établisse- ment de Joyceville purgeant une peine de longue durée. Il venait de recevoir la visite de sa femme; quittant l'aire des visites, il s'est vu ordonner de se soumettre à une fouille à nue dans une salle voi- sine. Cette fouille avait pour objet la recherche d'objets détenus illégalement. L'incident qui s'est alors produit est décrit par le juge de première instance aux pages 377 C.F.; 253 et 254 C.R.; 284 et 285 F.T.R. de ses motifs de jugement:
Trois agents—une femme, Josephine Hlywa, et deux hom- mes—se trouvaient dans la salle en compagnie des deux déte- nus. Il ressort de son témoignage que Weatherall a refusé d'être fouillé à nu en présence de Hlywa, que cette dernière a refusé sortir, et que les deux autres gardiens ont refusé de lui demander de sortir. cet égard, le fait que ni Hlywa, ni un des autres agents présents n'ont été convoqués comme témoin par les défendeurs, est révélateur). Les gardes de sexe masculin ont fouillé les deux détenus et leurs vêtements, et Hlywa est restée debout à un endroit d'où elle pouvait observer comme témoin; selon l'usage, les fouilles à nu de tout prisonnier sont effectuées par deux agents—l'un d'eux examine effectivement les vêtements et autres effets, l'autre agit comme témoin. Dans son témoignage, Weatherall a déclaré qu'il a été fouillé à nu environ 300 fois à Joyceville, et que c'est la seule occasion il s'est trouvé en présence d'un agent de sexe féminin.
2 Cette expression est définie de la manière suivante au paragraphe 7 de la Directive du Commissaire 800-2-07.1, qui a été adoptée conformément au paragraphe 29(3) de la Loi sur les pénitenciers, S.C. 1960-61, chap. 53 et ses modifications:
... une procédure selon laquelle une personne doit se désha- biller complètement et être examinée visuellement, mais sans être touchée, à l'exception des cheveux. De plus, tous les vêtements et les effets personnels sont fouillés.
Une procédure moins sévère prévue par ce paragraphe est désignée par l'expression «fouille par palpation», tandis qu'une fouille plus sévère que la «fouille à nu», appelée «examen des cavités corporelles», exige que la personne fouillée se déshabille et soit « ... soumise à une fouille à la main ainsi qu'à un examen de toutes les cavités corporelles».
Dans une plainte logée auprès de l'établissement, l'intimé a soutenu que la fouille en question était contraire au paragraphe 14 de la Directive du Commissaire qui permet que la fouille soit effec- tuée par un gardien de sexe féminin «dans les cas d'urgence». En temps utile, cette plainte a été maintenue sur le fondement qu'il n'existait aucune urgence au moment la fouille à nu a été effec- tuée. Un grief adressé au directeur de l'établisse- ment en juillet 1985 a toutefois été rejeté au motif que le maintien de la plainte empêchait qu'il ne puisse être accueilli.
Comme nous le verrons, l'appelant limite sa contestation du jugement porté en appel à la décla- ration sans réserve du juge de première instance que l'alinéa 41(2)c) du Règlement est inopérant et sans aucune force ni effet parce qu'incompatible avec le droit garanti par l'article 8 de la Charte, dans la mesure il vise à autoriser une fouille à nu des détenus de pénitenciers. D'autre part, la déclaration d'incompatibilité de l'alinéa 41(2)c) avec le paragraphe 15 (1) de la Charte et la décla- ration d'incompatibilité du paragraphe 41(3) du Règlement avec l'article 12 de la Charte sont toutes deux limitées par le jugement à l'incident sur lequel a porté la plainte, à savoir la fouille à nu de l'intimé en présence d'un gardien de sexe fémi- nin. Les paragraphes du jugement qui disposent de la question en litige sont les suivants:
1. IL EST JUGE ET DÉCLARÉ QUE l'alinéa 41(2)c) du Règle- ment sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251, dans la mesure il vise à autoriser la fouille des détenus des pénitenciers est, dans sa forme actuelle, incompatible avec les droits garantis aux détenus des pénitenciers par l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés et, aux fins d'autorisa- tion de ces fouilles, est inopérant et n'a aucune force ni effet.
2. DE PLUS, IL EST JUGE ET DÉCLARÉ QUE le paragraphe 41(3) du Règlement sur le service des pénitenciers, dans la mesure il établit une discrimination fondée sur le sexe en ce qui concerne les fouilles, est incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, et à cette fin, est inopérant et n'a aucune force ni effet.
3. DE PLUS, IL EST JUGÉ ET DÉCLARÉ QUE l'alinéa 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers, dans la mesure il vise à autoriser la fouille d'un détenu de sexe masculin dans un pénitencier par un agent des services correctionnels de sexe féminin ou en sa présence dans une situation il n'y a pas d'urgence, est incompatible avec l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, et est inopérant et n'a aucune force ni effet.
(Dossier d'appel, aux pages 12 et 13)
Les objections soulevées par l'appelant veulent que le juge de première instance se soit trompé:
(1) en déclarant que l'alinéa 41(2)c) du Règle- ment est incompatible avec l'article 8 de la Charte et, en conséquence, sans aucune force ni effet lorsqu'il s'agit d'autoriser une fouille à nu d'un détenu de pénitencier, alors que la question liti- gieuse soulevée par les plaidoiries et les faits perti- nents se limitait à la fouille à nu d'un détenu de sexe masculin par un gardien de sexe féminin ou en présence de celui-ci (cette fouille est parfois appelée «cross -gender strip search» ([TRADUC- TION] «fouille à nu entre personnes de sexe opposé»));
(2) en prenant la conclusion visée au paragraphe (1) après s'être éloigné considérablement des plai- doiries, de telle manière qu'il a rendu son jugement sur une question qui n'avait pas été plaidée et au sujet de laquelle l'appelant n'avait pas eu la chance de présenter d'autres éléments de preuve ou arguments;
(3) en concluant que l'alinéa 41(2)c) du Règle- ment et le paragraphe 14 de la Directive du Com- missaire 800-2-07.1 sont incompatibles avec l'arti- cle 8 de la Charte dans la mesure ces dispositions, lorsqu'elles sont interprétées ensem ble, visent à autoriser une fouille à nu d'un détenu de sexe masculin par un gardien de sexe féminin ou en présence de ce gardien dans les cas d'urgence;
(4) en concluant que le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire 800-2-07.1 n'a pas force de loi et, en conséquence, n'assortit pas de réserves le pouvoir général sur les fouilles visé à l'alinéa 41 (2)c) du Règlement;
(5) en concluant que le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire 800-2-07.1 ne constitue pas une limite raisonnable prescrite par une règle de droit au sens de l'article 1 de la Charte.
La question relative à l'article 8 de la Charte telle qu'elle a été plaidée
Les deux premières questions peuvent très bien être discutées ensemble. La plainte dont nous sommes saisis veut essentiellement que le juge de première instance ait débordé la question définie par les plaidoiries en déclarant que l'alinéa 41(2)c) du Règlement est inopérant et sans aucune force ni
effet parce qu'incompatible avec un droit garanti par l'article 8 de la Charte. Aux pages 415 et 416 C.F. de ses motifs de jugement, il a résumé de la manière suivante son point de vue à cet égard:
Il est manifeste que la fouille à nu de Weatherall, en présence d'une gardienne était illégale, selon les normes de la Charte et des directives du commissaire. D'après la réaction à sa plainte, il est évident que les autorités ont reconnu que ce n'était pas un cas d'urgence comme le prévoit l'article 14 de la Directive 800-2-07.1 du commissaire, et qu'il devait y avoir une telle urgence pour justifier la présence d'une gardienne pendant la fouille à nu d'un prisonnier. Au procès, l'avocat des défen- deurs a admis qu'une situation d'urgence était la seule justifica tion possible et il n'a pas cherché à expliquer ce qui s'est réellement passé.
En fait Weatherall ne cherche pas à obtenir réparation par suite de la fouille illégale à laquelle il a été soumis, mais il veut plutôt faire déclarer nuls le Règlement et les directives perti- nentes du commissaire. L'avocat des défendeurs a soutenu que ces dispositions sont valides, mais qu'elles ont tout simplement été mal appliquées dans le cas de Weatherall.
Pour les raisons que j'ai données, je suis d'avis que les dispositions pertinentes du Règlement, c'est-à-dire l'alinéa 41(2)c) et le paragraphe 41(3) enfreignent la Charte en ce qui concerne les fouilles à nu de prisonniers. L'alinéa 41(2)c) confère un pouvoir très étendu en matière de fouille qui, à mon avis, tend à autoriser ce qui équivaudrait à des fouilles à nu «abusives» prévues par l'article 8 de la Charte. Le seul critère exigé pour ce genre de fouille d'un détenu par un membre du personnel est que ce dernier doit «considére[r] une telle mesure raisonnable et nécessaire pour déceler la présence de contre- bande ou pour assurer le bon ordre au sein d'une institution». On n'exige pas que cette mesure soit raisonnablement néces- saire à ces fins, mais il faut seulement qu'un membre du personnel «considère» qu'elle est raisonnable.
Notre attention a été attirée par les paragraphes 7, 8, 9, 10 et 16 de la déclaration relativement à ces deux premiers motifs d'appel. Ces paragraphes sont ainsi libellés:
[TRADUCTION] 7. Vers le 13 juin 1985, dans ledit établisse- ment de Joyceville, le demandeur ainsi qu'un autre détenu, un dénommé Benjamin Greco, ont été soumis à une fouille à nu; cette fouille a été pratiquée par deux gardiens de sexe masculin, Dixon et Hasan, en présence d'un gardien de sexe féminin, Hlywa.
8. La fouille à nu visée au paragraphe 7 de la présente déclara- tion a été effectuée bien que le demandeur ait expressément demandé que la gardienne Hlywa quitte la pièce avant qu'il ne retire ses vêtements.
9. La fouille à nu du demandeur en présence de la gardienne a été effectuée sur le fondement de l'alinéa 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251, ainsi que du paragraphe 14 de la Directive du Commissaire aux Services correctionnels, C.D. 800-2-07.1.
10. Après s'être ainsi trouvé nu devant la gardienne Hlywa, le demandeur a éprouvé des sentiments d'humiliation, de perte de dignité ainsi que de frustration, et il a subi un bouleversement émotionnel.
16. Le demandeur prétend que la présence d'un gardien de sexe féminin pendant une fouille à nu le prive en tant que détenu de sexe masculin du droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Le demandeur invoque l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.
(Dossier d'appel aux pages 2, 3 et 4)
L'appelant a présenté au paragraphe 4 de la défense une dénégation générale contestant cha- cune de ces allégations, pour plaider aux paragra- phes 8 et 9 de cet acte de procédure:
[TRADUCTION] 8. Il ajoute que la pratique suivie par Services correctionnels Canada présentement et à tous les moments pertinents interdit les fouilles à nu de détenus par les gardiens de sexe opposé sauf dans des situations d'urgence.
9. Il invoque également la Charte canadienne des droits, Loi constitutionnelle de 1982, Partie I, S.C. 1980-81-82-83, v. 1, aux pages v à xiii, en particulier ses articles 1 à 15, ainsi que la Directive du Commissaire 800-2-07.1.
Je ne doute pas que la question soulevée dans les plaidoiries relativement à l'article 8 de la Charte tenait à- ce que la présence d'un gardien de sexe féminin au cours de la fouille à nu effectuée à l'égard de l'intimé le 13 juin 1985 a privé ce dernier du droit d'être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives que lui garantissait l'article susmentionné et selon lequel, en conséquence, l'alinéa 41(2)c) du Règlement et le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire, étant incompatibles avec le droit ainsi garanti, sont inopérants dans la mesure de cette incompatibilité. Je ne crois pas que la demande de redressement figurant au paragraphe 22(a) de la déclaration, qui dit
[TRADUCTION] 22. ...
EN CONSÉQUENCE, LE DEMANDEUR DEMANDE:
(a) un jugement déclaratoire de cette Cour portant que l'alinéa 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251 et le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire aux services correctionnels, C.D. 800-2- 07.1, sont incompatibles avec les droits garantis au deman- deur par les articles 7, 8, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ou avec un de ces articles, et sont inopérants dans la mesure de l'incompatibilité à laquelle aura conclu la Cour;
(Dossier d'appel, à la page 6)
puisse recevoir une interprétation autre que celle voulant que cette demande renvoie aux faits perti- nents invoqués dans les paragraphes précités de la déclaration. Cette demande se limite clairement aux allégations de faits fondées sur la fouille à nu
effectuée le 13 juin 1985. Elle ne pose pas la question de savoir si l'alinéa 41(2)c) est constitu- tionnel dans la mesure il vise à autoriser les fouilles à nu en général. Aucun fait appuyant la présentation d'une question séparée et distincte de ce type n'a été plaidé; et en fait, l'incident du 13 juin 1985 ne pouvait permettre la présentation d'une telle argumentation.
Il est élémentaire que deux des principales fonc- tions des actes de procédure consistent à [TRADUC- TION] «définir avec clarté et précision la question débattue par les parties au litige» et à [TRADUC- TION] «aviser de façon loyale la partie opposée de l'argumentation à laquelle elle aura à faire face de façon à lui permettre d'orienter sa preuve en fonc- tion des questions dont ces documents font état» 3 . Ces fonctions importantes des actes de procédure ont été soulignées par lord Radcliffe dans l'arrêt Esso Petroleum Co. Ltd. v. Southport Corpora tion, [1956] A.C. 218 (H.L.), à la page 241:
[TRADUCTION] Vos Seigneuries, je crois que le présent litige devrait être tranché conformément aux actes de procédure. Si nous procédons de cette manière, je suis d'avis, comme le juge de première instance, que les intimés n'ont pas réussi à établir un droit à un redressement. Si nous procédions différemment, nous rendrions peut-être mieux justice aux intimés je ne puis l'affirmer, puisque la preuve n'est pas complète—mais je suis certain que nous rendrions moins bien justice aux appelants, puisqu'ils avaient selon moi le droit de conduire l'affaire et d'orienter leurs éléments de preuve vers les moyens plus amples et plus précis du paragraphe 2 de la déclaration qui avaient été fournis par les intimés. Il me semble que l'objet de tels moyens est d'aider la partie qui demande à les connaître à définir les questions en litige et de lui indiquer quelle partie de l'éventail des éléments de preuve possibles sera pertinente et quelle partie ne sera pas pertinente à ces questions. Une utilisation appro- priée de ces moyens raccourcit l'instruction et réduit les coûts de l'instance. Mais si une cour d'appel doit considérer le fait de s'appuyer sur eux comme de la pédanterie ou du simple forma- lisme, je ne vois pas quel rôle ils ont à jouer dans notre système de procédure.
L'appelant se plaint d'avoir été pris par surprise par le paragraphe 1 du jugement et dit que, eut-il été avisé dans les actes de procédure que l'article 8 de la Charte était invoqué à l'appui d'une contesta- tion générale de la validité de l'alinéa 41(2)c) du Règlement ainsi que du paragraphe 14 de la Direc tive du Commissaire, il aurait produit des éléments de preuve et présenté une argumentation pour contrer cette attaque. En résumé, l'appelant pré-
3 The Law of Civil Procedure, Williston, W.B. and Rolls, R.J., Vol. 2 (Toronto: Butterworths, 1970), la p. 637, ainsi que la jurisprudence citée par ces auteurs.
tend avoir subi un préjudice. Je suis tout à fait d'accord avec lui. Les actes de procédure en l'es- pèce, comme je les conçois, n'attaquent pas la fouille à nu des détenus en général qui est autori- sée par l'alinéa 41(2)c) du Règlement et censé- ment assortie de réserves par le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire. Ceci étant, l'applica- bilité de l'article 8 de la Charte ne pouvait être discutée au procès, et servir de fondement à un redressement dans le jugement, que dans le con- texte des actes de procédure qui, interprétés dans leur ensemble, ne contestaient la validité de ces deux paragraphes que dans la mesure ils visent à autoriser la fouille à nu de détenus de sexe masculin en présence d'un gardien de sexe féminin.
La fouille à nu
Ceci m'amène à traiter de la troisième question. L'appelant prétend que le juge de première ins tance s'est trompé en concluant que l'alinéa 41(2)c) du Règlement et le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire sont incompatibles avec l'article 8 de la Charte dans la mesure où, ensem ble, ils visent à autoriser la fouille à nu d'un détenu de sexe masculin par un gardien de sexe féminin ou en sa présence dans les situations d'urgence. Le juge de première instance a exprimé son inquié- tude à l'égard de la fouille à nu compte tenu du droit à une expectative raisonnable en matière de vie privée garanti par l'article 8. Selon lui, cela rendait abusive la manière dont la recherche avait été effectuée. Aux pages 399-400 C.F. de ses motifs de jugement, il a dit:
En ce qui concerne les fouilles à nu, la définition d'une expectative raisonnable dépend des normes générales de la décence. En essayant de définir la norme pertinente en l'espèce, il faut mettre de côté les situations des personnes dévêtues s'exposent volontairement aux regards de personnes de l'autre sexe, par exemple pour recevoir des soins médicaux. Il faut également ne pas tenir compte des gens hypersensibles. Les défendeurs et l'intimé ont, par exemple, fait appel à des témoins experts pour dire que certaines personnes se sentent très embar rassées lorsqu'elles se trouvent nues en présence d'une autre personne de quelque sexe que ce soit. Il y a probablement d'autres personnes qui ont des tendances exhibitionnistes et qui n'éprouvent aucun embarras à se montrer nues. Il s'agit en l'espèce de détenus forcés de se montrer nus en présence d'agents du sexe opposé qui les observent de très près et de façon délibérée. Je suis convaincu que dans la plupart des cas, cela enfreint les normes de la décence et n'est pas justifié, même dans le contexte carcéral. En fait, les défendeurs dans l'affaire Weatherall n'ont pas cherché à justifier les fouilles à nu de prisonniers en présence de gardiennes, sauf en cas d'urgence, et j'estime que c'est la limite convenable, limite qui,
au moins implicitement, a été adoptée dans l'affaire Grummett v. Rushen (ibid).
L'arrêt Grummett, une décision de la Court of Appeals for the 9th Circuit des États-Unis, est rapporté à 779 F.2d 491 (1985). Je souscris res- pectueusement à l'opinion exprimée par le juge de première instance à cet égard.
Clairement, à la lecture de l'alinéa 41(2)c), rien n'y apparaît limiter la fouille à nu des détenus de sexe masculin par des gardiens de sexe féminin ou en leur présence aux situations d'urgence. Les seules fouilles entre personnes de sexe opposé qui sont exclues sont celles des détenus féminins par des gardiens de sexe masculin visées par le para- graphe 41(3). L'appelant cherche à faire échapper l'alinéa susmentionné à une déclaration d'invali- dité en faisant référence à une réserve figurant au paragraphe 14 de la Directive du Commissaire selon laquelle les fouilles du type de celle sur laquelle porte la plainte en l'espèce ne doivent être faites que dans «les cas d'urgence». Le juge de première instance a rejeté aussi cet argument, étant d'avis que la Directive du Commissaire n'avait pas force de loi et, en conséquence, ne pouvait ni assortir d'une réserve l'ensemble de l'alinéa 41(2)c) ni prescrire une «limite» au sens de l'article 1 de la Charte. Le juge de première instance, à la page 396 C.F. de ses motifs de jugement (Dossier d'appel, à la page 38), a dit au sujet de cet alinéa que «cette disposition est déter- minante, car elle seule a force de loi».
L'appelant soumet que le paragraphe 14 de la Directive du Commissaire apporte une réserve à l'alinéa 41(2)c) ou, quoi qu'il en soit, établit «par une règle de droit» une limite raisonnable à l'égard de cet alinéa au sens de l'article 1 de la Charte. Le juge de première instance, à la page 397 C.F. de ses motifs de jugement (Dossier d'appel, à la page 39), était d'avis que la Directive «ne peu[ven]t être considérée[s] comme ayant force de loi» et «ne constitue[nt] pas des exigences légales grâce aux- quelles le pouvoir d'effectuer une fouille prévu dans le Règlement aurait un caractère raisonnable au sens de l'article 8 de la Charte». Il a également rejeté l'argument que le paragraphe 14 de la Directive établissait une limite raisonnable ait sens de l'article 1 de la Charte. Aux pages 413 et 414 C.F. de ses motifs de jugement, il a dit:
En particulier, comme je l'ai déjà indiqué à différentes reprises, les directives du commissaire ne peuvent pas être considérées comme «une règle de droit» au sens de l'article 1. Il y a des arrêts de jurisprudence concluants à cet effet, qui se fondent sur le principe selon lequel les directives du commis- saire visent à réglementer la gestion interne des établissements pénitentiaires. Toute infraction à ces directives peut entraîner des mesures disciplinaires au sein de l'établissement, mais elles ne créent aucun droit ni aucune obligation légale (Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118, à la p. 129) ...
Par conséquent, ces directives ne peuvent pas être considérées comme étant exécutoires de façon à limiter les pouvoirs en matière de fouille et elles ne peuvent pas non plus être considé- rées comme étant exécutoires sous le régime de l'article 1 à titre de «règle de droit, dans des limites» visant à restreindre les droits garantis par la Charte.
L'appelant soutient que l'on a appliqué à tort la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui [[1978] 1 R.C.S. 118], parce que cette affaire doit être distinguée de l'espèce car elle portait sur la question de savoir si la décision contestée était de celles qui sont «légalement» soumises à un proces- sus judiciaire ou quasi judiciaire au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10. En fait, la décision en cause avait été rendue en vertu d'une Directive du Commissaire adoptée, elle aussi, sur le fondement du pouvoir conféré par le paragraphe 29(3) de la Loi sur les pénitenciers [S.R.C. 1970, chap. P-6]. Dans la décision prononcée au nom de la majorité de la Cour suivant laquelle la directive visée n'obli- geait pas «légalement» à ce qu'elle prescrivait, le juge Pigeon a dit à la page 129:
Il est évident que l'on est soumis «légalement» à ce qui est prescrit par les règlements. La loi en vertu de laquelle ils sont pris prévoit des sanctions par amende ou emprisonnement. Il convient de citer ici ce que disait le Conseil privé dans l'arrêt Japanese Canadians ([1947] A.C. 87) à propos des décrets adoptés en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, à la p. 107:
[TRADUCTION] C'est encore l'activité législative du Parle- ment qui s'exerce au moment les décrets sont adoptés et ces décrets sont des «lois».
Je ne pense pas que l'on puisse dire la même chose des directives. Il est significatif qu'il n'est prévu aucune sanction pour elles et, bien qu'elles soient autorisées par la Loi, elles sont nettement de nature administrative et non législative. Ce n'est pas en qualité de législateur que le commissaire est habilité à établir des directives, mais en qualité d'administrateur. Je suis convaincu qu'il aurait l'autorité d'établir ces directives même en l'absence d'une disposition législative expresse. A mon avis, le par. 29(3) doit être considéré de la même manière que bien d'autres dispositions de nature administrative concernant les
services de l'administration et qui énoncent simplement un pouvoir administratif qui existerait même en l'absence d'une disposition expresse de la Loi.
Il est, à mon avis, important de distinguer les devoirs imposés aux employés de l'Etat par une loi ou un règlement ayant force de loi, des obligations qui leur incombent en qualité d'employés de l'Etat. Les membres d'un comité de discipline ne sont habituellement pas de hauts fonctionnaires publics mais de simples employés de l'administration. Les directives du com- missaire ne sont rien de plus que des instructions relatives à l'exécution de leurs fonctions dans l'institution ils travaillent.
Avec déférence, je crois que nous sommes liés par cette décision. Je dois donc souscrire à l'opinion du juge de première instance selon laquelle la direc tive du Commissaire ne pouvait avoir pour effet de modifier l'alinéa 41 (2)c) du Règlement.
Il est soutenu que la limite prévue au paragra- phe 14 de la Directive du Commissaire était, quoi qu'il en soit, une «règle de droit» au sens de l'article 1 de la Charte, même si elle n'est pas énoncée sous forme de règlement, parce qu'une disposition d'une loi, le paragraphe 29(3) de la Loi sur les pénitenciers, prévoit son adoption:
29....
(3) Sous réserve de la présente loi et de tous règlements édictés sous le régime du paragraphe (1), le commissaire peut établir des règles connues sous le nom d'Instructions du com- missaire, concernant l'organisation, l'entraînement, la disci pline, l'efficacité, l'administration et la direction judicieuse du Service, ainsi que la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus et la direction judicieuse des pénitenciers.
À cet égard, l'appelant s'appuie sur l'opinion sui- vante exprimée dans les motifs dissidents , du juge Le Dain dans l'affaire R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613, la page 645:
L'article 1 exige que cette restriction soit prescrite par une règle de droit, qu'elle soit raisonnable et que sa justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démo- cratique. L'exigence que la restriction soit prescrite par une règle de droit vise surtout à faire la distinction entre une restriction imposée par la loi et une restriction arbitraire. Une restriction est prescrite par une règle de droit au sens de l'art. 1 si elle est prévue expressément par une loi ou un règlement, ou si elle découle nécessairement des termes d'une loi ou d'un règlement, ou de ses conditions d'application. La restriction peut aussi résulter de l'application d'une règle de common law. [Je souligne.]
On s'appuie également sur la décision rendue par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Douglas/Kwantlen Faculty Assn. v. Dou- glas College (1988), 21 B.C.L.R. (2d) 175, une des questions soumises à la Cour avait trait à la
signification du mot «law» («règle de droit») â l'article 52 de la Charte. Après avoir mentionné les divers points de vue énoncés dans l'affaire The- rens, y compris l'opinion précitée du juge Le Dain, la Cour a dit aux pages 182 et 183:
[TRADUCTION] Si l'arrêt R. c. Therens offre des indications sur ce qui ne constitue pas une «règle de droit» aux termes de la Charte, l'arrêt Operation Dismantle lnc. c. R., [1985] 1 R.C.S.
441, la page 459, 12 Admin. L.R. 16, 13 C.R.R. 287, 18 D.L.R. (4th) 481, la page 494, 59 N.R. 1 [Fed.], suggère ce que l'expression «règle de droit» peut recouvrir. La Cour a conclu dans cette affaire que les actes du Cabinet en sa qualité de branche exécutive du gouvernement sont assujetties au contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 32(1) de la Charte. Le juge Dickson, énonçant l'opinion de la majorité de la Cour, a ajouté le commentaire suivant relativement à l'article 52:
Je tiens à souligner que rien dans les présents motifs ne saurait être interprété comme l'adoption de l'opinion selon laquelle la référence faite à la «règle de droit» à l'art. 52 de la Charte doit être confinée aux lois, aux règlements et à la common law. Il se peut fort bien que, si la suprématie de la Constitution, énoncée à l'art. 52, doit avoir un sens, tous les actes effectués selon des pouvoirs découlant d'une règle de droit relèveront de l'art. 52.
Cette observation peut s'interpréter comme suggérant que l'expression «règle de droit» figurant à l'article 52 de la Charte s'étend aux actes d'organismes gouvernementaux subalternes comme Douglas College. Une autre interprétation possible est que la Cour a voulu laisser non résolue la question de savoir si les actes posés par l'exécutif du gouvernement, par opposition aux lois et aux règlements, peuvent constituer des «règles de droit» aux termes de l'article 52. Quelle que soit l'intention de la Cour, les termes qu'elle emploie ont une grande portée. La majorité de la Cour conclut que l'expression «règle de droit» figurant à l'article 52 ne peut être restreinte aux lois, aux règlements et à la common law. «[T]ous les actes effectués selon des pouvoirs découlant d'une règle de droit» peuvent relever de l'article 52. Ces termes sont capables d'embrasser l'assertion selon laquelle les politiques des organismes gouver- nementaux subalternes peuvent constituer des «règles de droit» au sens de l'article 52 de la Charte.
À notre avis, l'interprétation large de l'expression «règle de droit» de l'article 52 de la Charte suggérée dans l'arrêt Opera tion Dismantle n'entre pas nécessairement en conflit avec l'in- terprétation qui a été adoptée dans l'arrêt Therens à l'égard de l'expression «règle de droit» figurant à l'article 1. La question soulevée dans l'affaire Therens était celle de savoir si la con- duite de certains agents de police pouvait être considérée comme ayant été prescrite «par une règle de droit» aux termes de l'article 1 de la Charte. Un acte arbitraire et discrétionnaire peut ne pas être prescrit par une règle de droit même s'il peut être considéré comme ayant été posé dans l'exercice d'un pouvoir conféré par la loi. D'autre part, lorsqu'une disposition législative ou une autre règle gouvernementale qui constitue une règle de droit confère expressément un pouvoir discrétion- naire de rendre une décision au sujet d'une question particulière et que la décision respecte les critères stipulés à son égard, la décision du fonctionnaire en cause pourrait être considérée comme prescrite par une règle de droit: voir, par exemple, Re Germany and Rauca (1983), 41 O.R. (2d) 225, 34 C.R. (3d)
97, 4 C.C.C. (3d) 385, 4 C.R.R. 42, 145 D.L.R. (3d) 638 (C.A.); Horbas c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 2 C.F. 359, 22 D.L.R. (4th) 600 (1" inst.); et Re Ont. Film & Video Appreciation Soc. and Ont. Bd. of Censors (1983), 41 O.R. (2d) 583, 34 C.R. (3d) 73, 147 D.L.R. (3d) 58, confirmé par 45 O.R. (2d) 80, 38 C.R. (3d) 271, 2 O.A.C. 388, 5 D.L.R. (4th) 766, autorisation de pourvoi devant la C.S.C. accordée dans l'arrêt rapporté à 5 D.L.R. (4th) 766n, 3 O.A.C. 318. Si l'accent est mis sur le terme «prescribed» plutôt que sur le terme «law» de la version anglaise de l'article 1, les observations formulées par la Cour Suprême dans l'arrêt The- rems n'entrent pas en conflit avec la suggestion faite dans l'affaire Operation Dismantle selon laquelle tous les actes posés en vertu de pouvoirs conférés par le gouvernement peuvent constituer une «règle de droit» au sens de l'article 52. [Je souligne.]
Cet arrêt, à mon sens, n'a pas traité de la question précise dont nous discutons à présent. Celle-ci consiste à savoir si une règle supplémen- taire autorisée par le Parlement, plutôt qu'une décision rendue en vertu d'une loi ou d'un règle- ment, peut être considérée comme une «règle de droit» pour les fins de l'article 1 de la Charte. Bien que le point en litige ait encore à être tranché de façon décisive, j'ose suggérer que l'expression «par une règle de droit» figurant à l'article 1 ne vise pas la Directive du Commissaire même si son adoption est prévue dans la Loi. L'adoption de cette direc tive n'avait pas à se faire par la voie d'un processus législatif reconnu, et celle-ci peut être modifiée sans recours à un tel processus, le caprice de son auteur devant même, en théorie, suffire à cet égard. Dans ce sens, la Loi est une «règle de droit», comme l'est aussi le Règlement. Les directives sont d'autre part, aux termes de la description la page 129] qu'en donne le juge Pigeon dans l'arrêt Martineau, de simples «instructions relatives à l'exécution de ... fonctions». Elles ne constituent pas une «règle de droit». Il ressort à l'évidence des termes utilisés pour autoriser leur adoption, lors- qu'on les compare aux dispositions prévoyant le pouvoir d'adopter des règlements du paragraphe 29(1) de la Loi, que les directives n'ont aucune- ment été destinées à avoir une importance juridi- que proche de celle des règlements. Même s'il est clair que les termes autorisant les directives sont semblables à bien des égards aux termes édictant le pouvoir de faire des règlements, l'intention qui sous-tend leur adoption semble avoir été la pro mulgation de dispositions relatives à la «direction judicieuse des pénitenciers». Je ne puis considérer le paragraphe 14 de la Directive comme une «règle de droit» au sens cette dernière pourrait pres-
crire une limite autorisée par l'article 1 et, de la sorte, avoir pour conséquence d'édicter une excep tion à la loi suprême du Canada inscrite à l'article 8 de la Charte.
Comme les termes de l'alinéa 41(2)c) préten- dent par eux-mêmes autoriser la fouille à nu con- testée, le juge de première instance a procédé à un examen de cette disposition en s'interrogeant sur son caractère raisonnable; il y a vu un vice parce qu'elle n'énonce pas de critères précis en vertu desquels la légitimité des fouilles sur la personne des détenus pourrait être appréciée eu égard au droit garanti par l'article 8 de la Charte. Selon le juge de première instance, la réserve énoncée à l'alinéa 41(2)c) selon laquelle un membre doit considérer la fouille «raisonnable» pour déceler la présence d'objets détenus illégalement ou pour as- surer le bon ordre au sein de l'institution n'était pas suffisante pour assurer un contrôle adéquat de la pratique des fouilles à nu. Il était d'avis que l'adoption par le Règlement du critère énoncé au paragraphe 12 de la Directive du Commissaire, qui prévoyait la possibilité de pratiquer des fouilles à nu de détenus dans des situations restreintes'', aurait pu constituer un pas dans la bonne direc tion. Ces restrictions restaient sans effet puisque la Directive n'avait pas force de loi et que, de toute façon, le paragraphe 12 ne prévoyait pas d'autres situations dans lesquelles la fouille à nu pourrait être effectuée.
Après avoir examiné certains arrêts canadiens et américains (R. c. Collins, [ 1987] 1 R.C.S. 265; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. v. Rao (1984), 46 O.R. (2d) 80 (C.A.); Re Maltby et al. and Attorney -General of Sas- katchewan et al. (1982), 143 D.L.R. (3d) 649 (B.R. Sask.); confirmé par (1984), 13 C.C.C. (3d) 308 (C.A. Sask.); Soenen v. Director of Edmonton Remand Centre, Attorney General of Alberta and
12. Sous réserve du paragraphe 10., tout détenu peut être soumis à une fouille à nu par un membre:
a. immédiatement avant de quitter l'établissement et à son retour;
b. immédiatement avant d'entrer dans l'aire ouverte des visites d'un établissement et au moment de la quitter;
c. au moment de quitter un secteur d'isolement et d'y entrer, sauf s'il vient d'être fouillé en vertu du paragraphe b. ci-dessus et,
d. au moment de quitter un secteur de travail.
Solicitor General of Alberta (1984), 48 A.R. 31 (B.R.); Bell v. Wolfish, 441 U.S. 520 (1979)), le juge de première instance, aux pages 394 et 395 C.F. de ses motifs de jugement, a justifié de la façon suivante sa conclusion qu'un çpntrôle addi- tionnel devrait être prévu dans le Règlement:
Sans doute y a-t-il certaines différences entre ce qui est justifiable dans un centre de détention provisoire et dans les cas d'une longue peine d'emprisonnement, mais la preuve me con- vainc qu'un détenu condamné ne peut pas raisonnablement s'attendre à ce qu'on respecte sa vie privée lors de fouilles corporelles, ce que toute autre personne peut normalement espérer: c'est-à-dire que l'une des restrictions à ses droits normaux, qui découle implicitement de sa condamnation et de son emprisonnement, fait en sorte qu'il doit se soumettre à des fouilles sur sa personne pour assurer la sécurité et le bon ordre de l'établissement et de ses détenus. Ces fouilles devraient néanmoins être l'objet d'un certain contrôle afin qu'elles soient vraiment utilisées pour les fins qui justifient cette atteinte aux droits normalement reconnus à toute personne. J'ai conclu que si on peut admettre des fouilles à nu de routine sans qu'il soit nécessaire d'obtenir au préalable une autorisation spécifique, et sans qu'il soit nécessaire de fournir un motif raisonnable et probable de soupçonner que le détenu fouillé pourrait dissimu- ler quelque objet interdit, les circonstances dans lesquelles ces fouilles de routine sont autorisées devraient être prévues par règlement. Il faudra adopter des règles raisonnables pour défi- nir les situations où, en raison de la probabilité ou de la possibilité qu'il y ait dissimulation de contrebande, ou bien en raison du besoin de décourager la contrebande, une fouille à nu de routine est justifiée dans l'intérêt public. Pour ce qui est des fouilles non courantes, je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas aussi des règles juridiques régissant ces situations. Il pourrait y avoir, par exemple, une règle prévoyant que, lorsque survient un problème urgent et précis de sécurité ou d'action coercitive, tous les détenus ou certains d'entre eux peuvent faire l'objet d'une fouille à nu générale. Cela pourrait arriver, par exemple, quand un détenu a été poignardé dans un pavillon cellulaire et qu'il est jugé nécessaire de procéder à une fouille à nu de tous les détenus de ce pavillon pour trouver l'arme du crime. Mais quand, mises à part ces fouilles à nu générales ou de routine, certains détenus en particulier doivent être fouillés à nu, il devrait y avoir une règle obligeant ceux qui font cette fouille à avoir un motif raisonnable et probable de croire que le détenu en question cache des choses interdites sur sa personne. Lorsque le temps ou les circonstances ne permettent pas à ceux qui mènent une fouille non courante d'obtenir l'autorisation d'un agent principal, il faudrait que cet agent procède à un examen des cas après le fait. Les témoignages concernant les examens effectués après les fouilles à Joyceville ne me portent pas à croire qu'ils pouvaient contribuer efficacement à empêcher les fouilles injustifiées.
L'appelant fait valoir que le critère énoncé par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Hunter relati- vement à la question de savoir si les intrusions de l'État dans la vie privée constituent des fouilles ou perquisitions abusives au sens de l'article 8 dans le contexte d'une fouille ou perquisition sans mandat
d'un bureau commercial, s'applique mal à la fouille à nu de détenus dans le cadre d'un péniten- cier; quoi qu'il en soit, prétend-il, un tel critère n'a pas été conçu pour s'appliquer de façon générale. Selon le critère établi dans cette affaire, le droit à la vie privée doit s'apprécier en comparaison avec l'intérêt de l'État à le contrarier; ce critère appelle un système d'autorisation préalable prévenant les empiètements injustifiés. Le juge en chef a exprimé clairement que seules les attentes raison- nables de vie privée sont protégées par l'article 8 aux pages 159 et 160:
À l'instar de la Cour suprême des États-Unis, j'hésiterais à exclure la possibilité que le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives protège d'autres droits que le droit à la vie privée mais, pour les fins du présent pourvoi, je suis convaincu que la protection qu'il offre est au moins aussi étendue. La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu'une attente raisonnable. Cette limitation du droit garanti par l'art. 8, qu'elle soit exprimée sous la forme négative, c'est-à-dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies «abusives», ou sous la forme positive comme le droit de s'attendre «raisonnablement» à la protection de la vie privée, indique qu'il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notam- ment, d'assurer l'application de la loi.
La question qui reste à trancher et dont dépend l'issue du présent pourvoi est de savoir comment cette appréciation doit être faite. Quand doit-elle être faite, par qui et en fonction de quoi? Une fois de plus, je crois qu'il convient d'examiner le but visé.
Comme je l'ai déjà dit, cet article a pour but de protéger les particuliers contre les intrusions injustifiées de l'État dans leur vie privée. Ce but requiert un moyen de prévenir les fouilles et les perquisitions injustifiées avant qu'elles ne se produisent et non simplement un moyen de déterminer, après le fait, si au départ elles devaient être effectuées. Cela ne peut se faire, à mon avis, que par un système d'autorisation préalable et non de validation subséquente.
L'exigence d'une autorisation préalable, qui prend habituelle- ment la forme d'un mandat valide, a toujours été la condition préalable d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie valides sous le régime de la common law et de la plupart des lois. Une telle exigence impose à l'État l'obligation de démontrer la supériorité de son droit par rapport à celui du particulier. Comme telle, elle est conforme à l'esprit apparent de la Charte qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des particuliers de ne pas subir l'ingérence de l'État au droit de ce dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.
L'appelant soutient que ce critère n'a pas été conçu pour s'appliquer à des circonstances diffé- rant de façon marquée de celles considérées par la
Cour suprême dans l'affaire Hunter. En fait, il affirme que le juge en chef a reconnu la possibilité qu'un critère différent soit appliqué dans des cir- constances entièrement différentes lorsqu'il a dit à la page 161 de cet arrêt:
Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi- tion et d'une saisie. [Je souligne.]
L'idée suivant laquelle certaines fouilles ou perqui- sitions, en raison des circonstances dans lesquelles elles sont pratiquées, ne peuvent faire l'objet d'une autorisation préalable, a été notée par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Rao, le juge d'appel Martin a dit aux pages 106 et 107:
[TRADUCTION] A mon avis, la fouille ou perquisition sans mandat du bureau d'une personne doit avoir une justification pour satisfaire au critère du caractère raisonnable établi par l'article 8 de la Charte, et les dispositions des lois autorisant de telles fouilles ou perquisitions sans mandat sont susceptibles d'être contestées en vertu de la Charte. La justification requise à l'égard d'une fouille ou perquisition sans mandat peut naître de l'existence de circonstances qui rendent impossible l'obten- tion d'un mandat: voir, par exemple, le paragraphe 101(2) du Code et le paragraphe 11(2) de la Loi sur les secrets officiels. Les expectatives raisonnables en matière de vie privée des particuliers doivent évidemment être appréciées en comparaison avec l'intérêt qu'a le public dans l'application efficace des lois. Toutefois, lorsqu'il n'existe aucune circonstance rendant impos sible l'obtention d'un mandat et cette obtention n'entraverait pas l'application effective de la loi, une fouille ou perquisition sans mandat d'un bureau situé dans un endroit donné (sauf si elle s'inscrit dans le cadre d'une arrestation légale) ne peut être justifiée et ne satisfait pas au critère constitutionnel du carac- tère raisonnable établi par l'article 8 de la Charte. [Je souligne.]
Cette règle a été reconnue dans l'affaire R. v. J.M.G. (1986), 56 O.R. (2d) 705 (C.A.), une disposition d'une loi autorisant la fouille sans auto- risation préalable d'un étudiant pour trouver des objets détenus illégalement a été maintenue. Aux pages 710 et 711, le juge d'appel Grange a observé au nom de la Cour:
[TRADUCTION] Au Canada, l'arrêt Hunter et autres c. Sou- tham Inc. (1984), 14 C.C.C. (3d) 97, 11 D.L.R. (4th) 641, 2 C.P.R. (3d) 1 a décidé que de façon générale, le critère applicable à une loi donnant le droit de pratiquer une fouille ou perquisition résidait dans l'autorisation préalable de cette fouille ou perquisition par une personne neutre et impartiale. La Cour suprême du Canada a également examiné le «droit de s'attendre raisonnablement à la protection de la vie privée» des particuliers qui sont soumis à des fouilles ou perquisitions. Toutefois, dans l'arrêt Hunter, le juge en chef Dickson soupe-
sait l'importance respective de l'intérêt du particulier et de l'intérêt de l'État. Bien que, comme je l'ai déjà dit, je sois prêt à présumer que la Charte s'applique aux rapports, entre le direc- teur d'école et les étudiants, ces rapports ne ressemblent pas, même de façon éloignée, à ceux d'un policier et d'un citoyen. Premièrement, le directeur d'école possède un intérêt important non seulement dans le bien-être des autres étudiants mais encore dans celui de l'étudiant accusé lui-même. Deuxième- ment, la société dans son ensemble possède un intérêt dans le maintien d'un milieu éducationnel adéquat, ce qui implique clairement qu'on soit capable d'appliquer les règles disciplinai- res scolaires de façon efficace et effective. Il arrive fréquem- ment qu'il ne soit ni possible ni souhaitable que le directeur d'école doive obtenir une autorisation préalable avant de fouil- ler son étudiant et de saisir des objets détenus illégalement. [Je souligne.]
L'appelant soutient qu'il devrait être considéré que les réalités du milieu pénitentiaire permettent de déroger à la règle de l'autorisation préalable et de l'existence d'une croyance raisonnable. De telles réalités ont été reconnues par les tribunaux. Elles se trouvent décrites de façon pittoresque dans le passage suivant des motifs prononcés par le juge MacGuigan (en son propre nom) dans l'affaire Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642 (C.A.), à la page 681:
Les pénitenciers ne sont pas des endroits agréables réservés aux personnes aimables. Au contraire, ce sont des lieux d'incar- cération l'on met à l'écart des hommes et des femmes purgeant des peines de plus de deux ans et qui, pour la plupart, sont des criminels endurcis ayant un comportement asocial. Heureusement, le système carcéral aspire toujours à réformer. Cependant, l'ambiance qui y règne rappelle tristement l'état primitif de la nature telle que l'imaginait Hobbes avant l'avène- ment du Leviathan, l'être humain menait une vie solitaire, pauvre, malsaine, abrutissante et courte. Dans un tel climat de haine et de discorde, la plus petite étincelle peut mettre le feu aux poudres. Le bon ordre y est encore plus nécessaire et plus fragile que dans des contextes militaires et policiers et son rétablissement, lorsqu'il a été troublé, devient une question d'extrême urgence.
Seul un tribunal bien mal renseigné pourrait ignorer que les autorités des pénitenciers doivent réagir sur-le-champ aux trou bles de l'ordre dans la prison et seul un tribunal irréfléchi leur refuserait les moyens de réagir efficacement.
Dans deux affaires américaines qui ont été por- tées jusque devant la Cour suprême des États- Unis, la fouille de prisonniers ou de personnes détenues semble avoir été laissée à la discrétion de l'établissement pénal ou de détention en cause plutôt que contrôlée au moyen d'une série de con ditions préalables: Lanza v. New York, 370 U.S. 139 (1962); Bell v. Wolfish, 441 U.S. 520 (1979). Il y a été soutenu que les fouilles et perquisitions violaient le droit inscrit au Quatrième amende-
ment de la Constitution des États-Unis d'être garanti [TRADUCTION] «des perquisitions et saisies abusives». Dans la première affaire, le juge Ste- wart a fait état des particularités du milieu carcé- ral lorsqu'il a dit au nom de la majorité de la Cour à la page 143:
[TRADUCTION] Mais il est, au mieux, inédit de prétendre qu'une prison publique est pour un homme l'équivalent de sa «maison» ou est un endroit un particulier peut se prévaloir de l'immunité constitutionnelle contre les fouilles, perquisitions ou saisies de sa personne, de ses documents ou de ses effets personnels. Chose certaine, la Cour, dans son interprétation de la portée matérielle de la protection mentionnée au Quatrième Amendement, a été très généreuse. Un bureau commercial est un endroit protégé (Silverthorne Lumber Co. v. United States, 251 U.S. 385; Gouled v. United States, 255 U.S. 298), comme peut l'être un magasin (Amos v. United States, 255 U.S. 313; Davis v. United States, 328 U.S. 582.) Une chambre d'hôtel, aux yeux du Quatrième Amendement, peut devenir la «maison» d'une personne (Lustig v. United States, 338 U.S. 74; United States v. Jeffers, 342 U.S. 48), comme le peut évidemment aussi un appartement. (Jones v. United States, 362 U.S. 257.) Une automobile ne peut faire l'objet de perquisitions abusives (Gambino v. United States, 275 U.S. 310; Carroll v. United States, 267 U.S. 132; Brinegar v. United States, 338 U.S. 160; Henry v. United States, 361 U.S. 98). Une voiture taxi ne le peut pas non plus (Rios v. United States, 364 U.S. 253). Cependant, sans tenter ni de définir ni de prédire la portée ultime de la protection accordée par le Quatrième Amende- ment, il est évident qu'une prison ne partage à l'égard de la vie privée aucun des attributs du foyer, de l'automobile, du bureau ou de la chambre d'hôtel. En prison, la surveillance officielle a traditionnellement été pratiquée de façon constante. (L'art. §500-c de la N.Y. Correction Law déclare notamment: «Les détenus purgeant une peine n'auront le droit de converser avec quiconque qu'en présence d'un gardien.» Les Regulations for Management of County Jails (Revised 1953 ed.), de la N.Y. State Commission of Correction prévoient notamment que: «Toutes les parties de la prison devraient être fouillées fréquem- ment pour y découvrir éventuellement des objets détenus illéga- lement.») [Je souligne.]
Dans l'affaire Wolfish, le juge Rehnquist (c'était alors son titre), parlant au nom de la majorité de la Cour, a surtout pris en considération les problè- mes relatifs à la sécurité des institutions péniten- cières lorsqu'il a apprécié le caractère raisonnable des fouilles corporelles. Aux pages 558 et 559, il a dit:
[TRADUCTION] Nous reconnaissons que cette pratique est celle qui, instinctivement, suscite chez nous le plus d'hésitation. Toutefois, en tenant pour acquis pour les fins de la présente espèce que les prisonniers, tant ceux dont la culpabilité a été prononcée que les détenus avant procès, conservent certains des droits découlant du Quatrième Amendement lorsqu'ils sont confiés à la garde d'un établissement correctionnel (voir Lanza v. New York, susmentionné; Stroud v. United States, 251 U.S. 15, 21 (1919)), nous concluons néanmoins que les fouilles en
question ne violent pas cet amendement. Le Quatrième Amen- dement interdit seulement les fouilles abusives (Carroll v. United States, 267 U.S. 132, 147 (1925)), et, dans les circons- tances de l'espèce, nous ne croyons pas que les fouilles prati- quées soient abusives.
Le critère du caractère raisonnable prévu au Quatrième Amendement ne peut être défini de façon précise ou appliqué de façon machinale. Dans chaque cas, le besoin d'une fouille particulière doit être opposé aux droits personnels brimés par la fouille. Les tribunaux doivent considérer l'étendue de l'empiète- ment en jeu, la manière dont il est effectué, la justification qui en est donnée et le lieu dans lequel il est pratiqué (par exemple, United States v. Ramsey, 431 U.S. 606 (1977); United States v. Martinez-Fuerte, 428 U.S. 543 (1976); United States v. Brignoni-Ponce, 422 U.S. 873 (1975); Terry v. Ohio, 392 U.S. 1 (1968); Katz v. United States, 389 U.S. 347 (1967); Schmer- ber v. California, 384 U.S. 757 (1966)). Un établissement de détention est un endroit à caractère unique dans lequel foison- nent les dangers importants pour la sécurité. L'introduction illégale d'argent, de drogue, d'armes et d'autres objets interdits n'y est que trop répandue. Les tentatives des détenus de faire entrer de tels articles dans l'établissement en les cachant dans des cavités corporelles sont bien documentées dans le présent
dossier (Dossier, aux pages 71 76) ainsi que dans d'autres affaires (par exemple Ferraro v. United States, 590 F. 2d 335 (CA6 1978); United States v. Park, 521 F. 2d 1381, 1382 (CA9 1975)). [Je souligne.]
À mon sens, en tranchant ce point nous ne devrions pas ignorer ces particularités de la vie carcérale ni les problèmes spécifiques qu'elles sou- lèvent pour les administrateurs de prisons qui s'ac- quittent de leur responsabilité d'assurer «la sûreté et ... la sécurité» de l'institutions. Il ressort selon moi de ces conditions particulières que les adminis- trateurs des prisons ont droit à une certaine lati tude dans l'adoption et dans l'application des poli- tiques et des pratiques requises pour le maintien de l'ordre et de la sûreté de son institution ainsi que pour la sécurité et la protection des détenus comme du personnel. Je n'entends pas ainsi suggé- rer que les autorités et le personnel devraient être laissés complètement libres en ce qui regarde ces questions et avoir ainsi la possibilité d'abuser de leurs pouvoirs. L'autorité conférée par l'alinéa 41(2)c) est limitée aux situations dans lesquelles un membre considère que la mesure visée est «raisonnable» soit pour déceler la présence d'objets détenus illégalement soit pour assurer le bon ordre
5 Le paragraphe 5(1) du Règlement déclare:
5. (1) Le chef d'institution est responsable de la direction de son personnel, de l'organisation de la sûreté et de la sécurité de son institution, y compris la formation discipli- naire des détenus qui y sont incarcérés.
au sein de l'institution. À mon avis, de telles fouilles doivent toujours être pratiquées de bonne foi. Elles ne peuvent avoir pour but d'intimider, d'humilier ou de harceler les détenus ou de leur infliger une punition. Une procédure effective de révision devrait également être accessible après la fouille de manière à permettre une prompte décou- verte des abus.
Situations d'urgence
On a pleinement débattu devant nous la ques tion de savoir si l'expression [TRADUCTION] «si- tuations d'urgence» pouvait être définie dans le Règlement, et le cas échéant, comment elle pour- rait l'être, eu égard aux droits garantis par l'article 8 de la Charte. Une telle définition pourrait être inscrite dans un règlement édicté par le gouver- neur en conseil en vertu des larges pouvoirs que lui confère le paragraphe 29(1) [mod. par S.C. 1976-77, chap. 43, art. 44] de la Loi sur les pénitenciers:
29. (1) Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements
a) relatifs à l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'ef- ficacité, l'administration et la direction judicieuse du Service;
b) relatifs à la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus;
c) relatifs, de façon générale, à la réalisation des objets de la présente loi et l'application de ses dispositions.
Je n'ai pas l'intention de traiter exhaustivement de cette question mais simplement de présenter à cet égard certaines observations. L'appelant préco- nise une approche souple, qui permette au chef de l'institution de s'acquitter de façon judicieuse et raisonnable de la responsabilité que lui assigne la
loi de préserver la «sûreté et . la sécurité de son institution». L'intimé soutient que l'expression en cause devrait être définie de façon plus précise. J'ai déjà fait état des particularités distinguant le milieu pénitentiaire d'autres endroits des fouil- les ou perquisitions sont parfois pratiquées sur des particuliers, par exemple un bureau commercial ou une résidence privée. A cet égard, je suis entière- ment d'accord avec le juge de première instance lorsqu'il dit à la page 393 C.F. de ses motifs de jugement:
Les prisonniers sont mobiles et les témoignages de gardiens de prisons ont montré qu'après un laps de temps appréciable, ou avec le déplacement de détenus, même sous surveillance, ceux-ci arrivent souvent à se départir de contrebande. Cela fait ressortir l'urgence de ces fouilles. En outre, il n'est pas raison- nable d'établir un parallèle entre la vie privée recherchée dans
une maison ou un bureau avec celle à laquelle on peut s'atten- dre dans une prison.
En même temps, il m'apparaît difficile, sinon impossible, d'élaborer une définition des situations d'urgence fondée sur des critères spécifiques qui serait tout à la fois suffisamment claire, précise et applicable. Ce sentiment est confirmé par une opinion d'experts présentée lors du procès. Le témoin qui l'a énoncée a considéré qu'il y aurait urgence [TRADUCTION] «en présence d'un désor- dre ou d'une émeute générale majeure dans la prison» (Transcription, volume 5, à la page 959), mais il n'a offert aucune autre illustration à cet égard. Contre-interrogé, il a reconnu qu'une cer- taine discrétion doit toujours être laissée à l'insti- tution lorsqu'il s'agit de déterminer l'existence d'une 'situation d'urgence. Il a déposé:
[TRADUCTION] Q. Est-ce que vous seriez d'accord pour dire que le chef de l'institution devrait jouir d'une certaine latitude lorsqu'il s'agit de décider s'il y a urgence?
R. Telle est précisément le but visé en demandant à l'institu- tion ou à l'instance compétente d'élaborer des politiques au sujet des urgences, oui.
Q. Mais ces politiques laisseraient au chef de l'institution le pouvoir discrétionnaire de déterminer quand il y a urgence?
R. Je crois que l'ampleur de la discrétion conférée dépendrait de la définition donnée à une urgence.
À nouveau, je suppose que plusieurs types de situations seraient visés par la notion d'urgence, mais celle-ci serait probablement définie, et peut-être plusieurs lignes de conduite seraient-elles précisées à cet égard.
Q. Vous seriez d'accord pour dire qu'une certaine discrétion devrait toujours être laissée au chef de l'institution relativement à la question de savoir s'il existe une situation d'urgence et ce, même si certaines circonstances étaient par ailleurs définies ou établies?
R. Je suis d'accord pour dire qu'une certaine discrétion devrait
être laissée aux directeurs des institutions, oui.
(Transcription, volume 5, à la page 960)
Ce témoignage, il me semble, fait ressortir la difficulté de définir les [TRADUCTION] «situations d'urgence» de façon satisfaisante sans violer la garantie conférée par l'article 8. Une définition qui irait du particulier au général (commençant par des situations précises comme les désordres ou émeutes majeures pour se terminer en des termes plus généraux recouvrant des situations non préci- sées qui risqueraient d'être difficiles ou même impossibles à prévoir) pourrait sans doute être élaborée. Si j'ai bien saisi les réalités du milieu carcéral, il semblerait insensé d'insister sur une définition des situations d'urgence qui serait limi-
tée à certaines catégories d'urgence, par exemple les désordres et émeutes majeures. Ce faisant, nous introduirions le jugement de la Cour dans la sphère des responsabilités régulièrement assignées aux chefs d'institutions. Bien que des situations de ce type devraient être précisées, je crois que la définition à adopter aurait également à tenir compte de l'existence d'autres situations dans les- quelles la fouille à nu de détenus de sexe masculin en présence d'un gardien de sexe féminin doit être pratiquée de façon immédiate 6 .
Dispositif
Je conclurais en accueillant l'appel dans la mesure que j'ai indiquée et en modifiant le para- graphe 1 du jugement porté en appel de la manière suivante:
1. en ajoutant l'expression «de sexe masculin» immédiatement avant les termes «des pénitenciers» et les mots «par un agent de sexe féminin du Service correctionnel ou en sa présence dans une situation autre qu'une situation d'urgence» après le mot «pénitenciers» à la quatrième ligne;
2. en ajoutant le terme «de sexe masculin» immé- diatement après le mot «détenus» à la cinquième ligne;
3. en ajoutant à la fin de ce paragraphe les termes «dans la mesure de cette incompatibilité.»
de sorte que ce paragraphe ainsi modifié sera libellé de la façon suivante:
1. IL EST JUGÉ ET DÉCLARÉ QUE l'alinéa 41(2)c) du Règle- ment sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251, dans la mesure il vise à autoriser la fouille des détenus de sexe masculin des pénitenciers par un agent du Service correc- tionnel de sexe féminin ou en sa présence dans une situation autre qu'une situation d'urgence est, dans sa forme actuelle, incompatible avec les droits garantis aux détenus de sexe masculin des pénitenciers par l'article 8 de la Charte cana- dienne des droits et libertés et, aux fins d'autorisation de ces fouilles, est inopérant et n'a aucune force ni effet dans la mesure de cette incompatibilité.
L'intimé a également prétendu que le juge avait commis une erreur de droit en rejetant sa préten-
6 Dans l'affaire Sterling v. Cupp, 625 P.2d 123 (Or. 1981), par exemple, l'expression «emergency situation» ([TRADUC- TION] «situation d'urgence») figurant dans les règles adminis- tratives d'une prison, a été redéfinie de façon large comme désignant [TRADUCTION] l'«apparition d'une circonstance imprévue qui appelle l'adoption de mesures correctrices immédiates».
tion que le détenu de pénitencier possède un droit général à la vie privée qui est garanti par l'article 7 de la Charte. Comme cette question ne se trouve pas proprement soulevée devant nous, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'en traiter à ce point ci.
L'appelant n'ayant point réclamé de dépens, aucuns ne seront adjugés.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs. LE JUGE LACOMBE: Je souscris à ces motifs.
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