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T-2526-85
Robert R. MacLeod (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: MACLEOD C. CANADA
Division de première instance, juge McNair— Fredericton, 13 janvier 1988.
Pratique Plaidoiries Requête en radiation Demande reconventionnelle visant à obtenir le remboursement de sommes versées en trop à titre de prestations d'assurance- chômage, et le paiement d'une pénalité Le demandeur allègue des violations de la Charte Requête rejetée La demande reconventionnelle soulève une cause défendable On ne peut convenablement statuer sur des questions d'ordre constitutionnel revêtant une importance considérable au cours d'une demande interlocutoire La Cour n'est pas disposée à présumer la violation des droits garantis par la Charte ou à examiner le bien-fondé des arguments reposant sur la Charte Le demandeur doit établir l'existence d'une preuve prima facie avant que la défenderesse ne soit tenue d'établir la justification prévue à l'article premier Des allégations de violation de la Charte ne devraient pas pouvoir limiter les droits garantis à la partie adverse par les Règles de la Cour fédérale.
Assurance-chômage Demande reconventionnelle visant à obtenir le remboursement de sommes versées en trop à titre de prestations d'assurance-chômage et le paiement d'une pénalité La défenderesse a le droit de considérer les sommes comme des dettes à l'égard de Sa Majesté et de chercher à les recouvrer devant la Cour fédérale en vertu de l'art. 49(2) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, art. 49(2).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (Ife inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Nabisco Brands Ltd. Nabisco Brands Liée c. Procter & Gamble Co. et autre (1985), 5 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.).
AVOCATS:
Daniel G. Pole, pour le demandeur.
Michael F. Donovan, pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Brewer MacPherson Quinn, Fredericton (Nouveau-Brunswick), pour le demandeur. Le sous-procureur général du Canada, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance prononcés à l'audience par
LE JUGE MCNAIR: Le demandeur m'a présenté, sur le fondement de la Règle 419 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], une requête visant à faire radier la demande reconventionnelle de la défenderesse pour les motifs suivants:
(i) la demande ne révèle aucune cause raisonnable d'action parce que Sa Majesté la Reine ne peut, sur le fondement de la Loi sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48 et ses modifications, introduire une action civile visant à obtenir le remboursement de sommes versées en trop à titre de prestations d'assurance-chômage ou le paiement des pénalités établies rela- tivement à ces sommes tant qu'il n'a pas été décidé que lesdites sommes constituent des dettes à l'égard de Sa Majesté;
(ii) elle portera atteinte au déroulement de l'action comme l'a indiqué le demandeur dans sa déclaration parce que les alléga- tions et les éléments de preuve qui seront soumis ou divulgués au soutien de la demande reconventionnelle ont été obtenus illégalement et en violation de la Charte canadienne des droits et libertés;
(iii) elle constituera un emploi abusif des procédures de la Cour;
(iv) elle sera vexatoire envers l'action du demandeur.
Selon la règle généralement suivie en matière de requêtes en radiation présentées sur le fondement de la Règle 419(1)a) pour le motif que la plaidoi- rie ne révèle aucune cause raisonnable d'action, les allégations plaidées sont considérées exactes et la demande ne peut et, en fait, ne doit pas être appuyée par des affidavits.
En ce qui concerne les demandes de radiation fondées sur les autres motifs énoncés aux alinéas 419(1)b) à J) inclusivement, la pratique exige que des affidavits soient produits au soutien des motifs invoqués pour faire radier la plaidoirie. Ce n'est pas le cas en l'espèce.
Les arguments avancés par l'avocat du deman- deur au cours de son admirable et habile plaidoirie sont essentiellement les suivants.
Il a tout d'abord prétendu que la demande reconventionnelle était destinée à permettre à la défenderesse d'obtenir des éléments de preuve grâce à un interrogatoire préalable ce qui ne devrait pas être permis dans une affaire sont alléguées des violations de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitute la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Il a soutenu subsidiairement que l'interrogatoire ainsi obtenu par la défenderesse devrait se limiter aux allégations plaidées par le demandeur dans sa déclaration et qu'il ne devrait pas permettre l'in- troduction d'éléments relatifs au paiement en trop allégué et à la pénalité qui, de l'avis de la défende- resse, constituent des dettes envers Sa Majesté.
Le véritable point litigieux consiste à déterminer si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétion- naire et accorder le redressement sollicité par le demandeur dans sa requête. À mon avis, il s'agit de savoir si la demande reconventionnelle permet de conclure à l'existence d'une cause défendable.
J'estime que le critère applicable ne consiste pas à se demander si la demande reconventionnelle soulève une preuve prima facie, mais simplement une cause défendable. Il me semble que tel est le cas et c'est principalement pour ce motif que je décide de rejeter la requête en radiation.
Ma décision repose également sur le fait que l'espèce soulève des questions d'ordre constitution- nel revêtant une importance considérable en ce qui concerne la violation alléguée de certains des droits garantis au demandeur par la Charte canadienne des droits et libertés, de sorte qu'il n'est pas possible de statuer sur la présente affaire au cours d'une demande interlocutoire de ce gertre.
À mon avis, si je statuais que la demande recon- ventionnelle doit être radiée parce que la Charte aurait été violée, je serais alors tenu de présumer que les droits garantis au demandeur par la Charte ont effectivement été violés. Je ne suis pas disposé à faire une telle supposition. De même, je ne suis pas non plus disposé à examiner le bien-fondé des arguments du demandeur reposant sur la Charte.
Même si les affaires au cours desquelles on allègue que les droits conférés à une partie par la
Charte ont été violés soulèvent indubitablement des questions constitutionnelles d'une grande importance, il n'en demeure pas moins qu'il incombe toujours à cette partie de prouver les violations alléguées. Il ne suffit pas de plaider des allégations pour que celles-ci soient automatique- ment prouvées.
En d'autres termes, le demandeur doit établir l'existence d'une preuve prima facie. Cela fait, j'estime qu'il revient alors à la partie adverse d'établir que les droits qui ont été violés selon la Charte sont restreints «dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique».
Il existe un autre motif qui, à mon avis, étaye la décision que j'ai rendue. Lorsqu'une partie intente une action, elle doit faire face à la possibilité que la partie poursuivie se défende. Je parle ici d'une action civile dans le contexte des Règles de la Cour fédérale. Dans un tel cas, la partie poursuivie possède, en vertu des Règles, certains droits en ce qui concerne la contestation de l'action, la commu nication des documents, les interrogatoires préala- bles et les autres procédures semblables.
À mon avis, il serait tout à fait erroné de conclure qu'en invoquant des violations de la Charte dans son action, la partie limite les procé- dures normales de communication de documents et d'interrogatoires préalables auxquelles elle peut avoir recours dans sa contestation de l'action.
La conclusion logique d'un tel raisonnement serait que toute personne invoquant une violation à la Charte pourrait pratiquement créer une pré- somption irréfragable selon laquelle il n'est pas nécessaire de prouver la violation en utilisant les règles ordinaires de la preuve applicables en matière civile, ce qui priverait la partie adverse des moyens raisonnables qui s'offrent à elle pour con- tester l'action.
Je ne suis certainement pas disposé à faire une telle supposition parce qu'on allègue au cours d'une action que la Charte a été violée. Il ressort implicitement des décisions de la Cour suprême du Canada et des déclarations faites à maintes repri ses par les juges que les affaires reposant sur la Charte sont très importantes parce qu'on y soulève des questions d'ordre constitutionnel, mais malgré
cela, la décision sur ces questions doit habituelle- ment être rendue au procès. En résumé, il n'y a pas lieu ou il n'est pas approprié de rendre une déci- sion sur des questions d'une telle importance au cours d'une demande interlocutoire. De toute façon, telle est la décision que j'ai rendue.
De plus, je souscris à la prétention de l'avocat de la défenderesse qui affirme que le paragraphe 49(2) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, chap. 48] s'applique à ce que la défenderesse cherche à faire en l'espèce en présen- tant une demande reconventionnelle. À mon avis, la défenderesse avait le droit de considérer que la somme payée en trop et la pénalité qu'elle réclame constituent à juste titre des dettes à l'égard de Sa Majesté et de chercher à recouvrer ces dettes devant la Cour fédérale en sa qualité de cour compétente pour connaître d'une telle question.
C'est à la défenderesse qu'il incombe de prouver qu'elle a droit à la somme qu'elle cherche à récu- pérer par sa demande reconventionnelle et elle devra en outre prouver que le paiement en trop et la pénalité sont des dettes à l'égard de Sa Majesté la Reine.
Je citerai deux décisions en ce qui concerne la procédure. L'une de celles-ci est l'arrêt Nabisco Brands Ltd.—Nabisco Brands Ltée c. Procter & Gamble Co. et autre (1985), 5 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.).
Le point essentiel de cette décision est que la Cour d'appel n'infirmera pas l'ordonnance interlo- cutoire discrétionnaire et non motivée prononcée par un juge de première instance relativement à une requête à moins que l'on puisse prouver que ledit juge s'est manifestement trompé ou s'est fondé sur un principe erroné.
L'autre décision est intitulée Waterside Ocean Navigation Co. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (iie inst.) le juge en chef adjoint Thurlow [tel était alors son titre] a dit à la page 259:
Relativement à (1) [la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action], on doit prendre la décision en se basant sur les allégations de la déclaration. Quant à (2), que la demande soit présentée en vertu de la Règle 419(1)c) ou J) ou en vertu de la compétence inhérente de la Cour, une preuve est admissible. En aucun cas, cependant, il n'est facile pour un requérant de s'acquitter de ce fardeau. La Cour est toujours réticente à radier une déclaration et à rejeter une action en
vertu de la Règle 419(1)a) et elle ne le fera que s'il est clair qu'aucun amendement ne peut modifier la déclaration de façon à révéler une cause raisonnable d'action. Ce critère est aussi rigoureux, sinon plus, lorsqu'on demande le rejet d'une action au motif que la procédure est futile ou vexatoire ou constitue un emploi abusif des procédures de la Cour. La Cour ne mettra pas fin à une procédure et ne privera pas un demandeur du droit de faire entendre sa cause à moins qu'il soit clair que l'action est futile ou vexatoire ou que le demandeur n'a aucune cause raisonnable d'action et que permettre à l'action de suivre son cours constitue un emploi abusif de ses procédures.
La requête du demandeur est donc rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.
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