T-2335-86
Secrétaire d'État (appelant)
c.
Ali-Yullah Nakhjavani (intimé)
T-2336-86
Secrétaire d'État (appelant)
c.
Violette Nakhjavani (intimée)
RÉPERTORIÉ: CANADA (SECRÉTAIRE D'ÉTAT) c. NAKHJAVANI
Division de première instance, juge Joyal—
Toronto, 26 juin; Ottawa, 14 août 1987.
Citoyenneté — Conditions de résidence — Le requérant
réside en Israël en raison du poste qu'il occupe au sein d'un
organisme religieux — L'établissement d'une résidence au
Canada combiné à l'intention d'y revenir ne suffit pas lorsque
les intimés sont demeurés dans ce pays tout au plus deux mois
sur une période de quatre ans — Ils n'ont pas démontré leur
aptitude à s'intégrer à la société.
Les intimés, tous les deux apatrides, sont adeptes du
baha'isme; les devoirs qu'imposaient au mari son rôle de
membre de l'organe dirigeant suprême de cette religion et à
l'épouse son rôle de compagne de voyage les obligeaient à vivre
à Haifa (Israël) et à voyager fréquemment à l'étranger. Ils ont
obtenu leur admission permanente au Canada en 1982. Depuis
ce temps, le mari n'a totalisé que vingt-deux jours de résidence
au Canada et son épouse soixante jours. Malgré cela, la Cour
de la citoyenneté a décidé qu'il fallait leur accorder la citoyen-
neté canadienne parce qu'ils avaient établi leur résidence per-
manente dans un appartement situé dans la maison du frère de
l'épouse à Toronto, et que s'ils devaient demeurer à Haïfa,
c'était en raison des responsabilités que leur imposait la foi
baha'ie.
Il s'agit en l'espèce d'un appel formé contre cette dernière
décision.
Jugement: l'appel doit être accueilli.
Même si la jurisprudence a élargi la portée des dispositions
relatives à la résidence figurant à l'alinéa 5(1)b) de la Loi, les
intimés ne satisfont pas au nouveau critère double: l'intention
de demeurer au Canada de manière permanente et l'existence
de faits constituant une expression concrète de cette intention.
La citoyenneté canadienne ne doit être accordée qu'aux
personnes qui ont démontré leur aptitude à s'intégrer à notre
société. La possession d'une résidence avec l'intention d'y reve-
nir ne suffit pas lorsque les personnes qui demandent la citoyen-
neté canadienne ne se sont pas mêlées de quelque manière que
ce soit à la société canadienne ou n'ont pas établi avec les
Canadiens ou les institutions canadiennes le genre de lien
envisagé par la Loi sur la citoyenneté.
Avant même d'avoir obtenu le droit d'établissement au
Canada, le mari s'était déjà engagé dans des activités religieu-
ses qui nécessitaient sa présence continue à Haïfa. Pour ce qui
est de l'épouse, même si son premier séjour au Canada a duré
quatre semaines, ses séjours subséquents découlaient principale-
ment de son rôle de compagne de voyage lors d'assemblées
religieuses tenues à Ottawa et Montréal. Les intimés n'ont
jamais résidé ensemble au Canada.
Un immigrant admis ne peut simplement adopter le Canada
à titre de pavillon de complaisance aux fins de la Loi sur la
citoyenneté. Le Canada a déjà fait tout ce qu'il pouvait pour les
intimés en leur octroyant le statut d'immigrants admis, en leur
délivrant des documents leur permettant de voyager à l'étran-
ger et en leur fournissant un asile sûr chaque fois qu'ils désirent
revenir au pays.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, chap. 108, art.
5(1)b) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 52, art. 128),
(4).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Loi sur la citoyenneté (In re la) et in re Papadogiorgakis,
[1978] 2 C.F. 208 (1" inst.); Re Anquist (1984), 34 Alta.
L.R. (2d) 241; [1985] 1 W.W.R. 562 (C.F. 1« inst.);
Blaha c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration,
[1971] C.F. 521 (C.A.C.).
AVOCATS:
V. Bell pour l'appelant.
Sheldon M. Robins pour l'intimée.
Peter K. Large, amicus curiae.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
Sheldon M. Robins, Toronto, pour l'intimée.
Peter K. Large, Toronto, amicus curiae.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE JOYAU Le Secrétaire d'État appelle
d'une décision de la Cour de la citoyenneté accor-
dant la citoyenneté aux deux intimés en l'espèce.
La Cour est saisie de deux appels distincts, les
intimés étant mari et femme. Les faits étant essen-
tiellement les mêmes dans les deux cas et les deux
appels ayant été entendus en même temps, il est
normal que les présents motifs du jugement s'ap-
pliquent à chacun des époux.
Les intimés sont adeptes du baha'isme. Le mari
est l'un des neuf membres de l'organe dirigeant
suprême, la Maison universelle de la justice, située
à Haïfa (Israël). Il fait partie de cet organisme
depuis 1963, ayant été élu pour des mandats suc-
cessifs de cinq ans dont le dernier se termine en
1988. Son épouse Violette participe également aux
activités de l'institution comme compagne de voya
ges pour les nombreux déplacements découlant de
la promotion et du maintien de la foi baha'ie. Les
deux époux doivent voyager fréquemment pour
remplir leurs diverses obligations.
Le mari est maintenant apatride. Il est d'origine
iranienne né à Haïfa (Israël) en 1919. Il s'est
établi en Iran en 1936 où il a demeuré pendant
douze ans. Il a ensuite passé onze ans en Ouganda
avant de retourner à Haïfa, en 1961, où il s'ac-
quitte depuis ce temps de ses obligations religieu-
ses et de ses fonctions administratives.
L'épouse était également iranienne. Elle est née
à Téhéran, elle a vécu pendant quelque temps en
Ouganda et elle a par la suite rejoint son mari à
Haïfa où, comme elle l'a déclaré dans son témoi-
gnage, elle habite depuis ce temps.
La révolution de 1979 en Iran a tout bouleversé.
Le couple a demandé l'admission permanente au
Canada, demande qui a été acceptée. L'épouse a
obtenu le droit d'établissement au Canada le 5
août 1982 et son mari le 17 septembre 1982. Leur
demande de citoyenneté canadienne a été entendue
par la Cour de la citoyenneté le 26 août 1986.
Le dossier de citoyenneté indique que, pendant
les années qui se sont écoulées dans l'intervalle, le
mari a totalisé quelque vingt-deux jours de rési-
dence au Canada et son épouse environ soixante
jours.
À leur arrivée au Canada en 1982, les intimés
ont occupé l'étage inférieur d'une maison à paliers
située au 200, Green Lane, Thornhill (Ontario).
Cette maison appartient au frère de l'épouse, M.
A. H. Banani. Les intimés n'ont pas apporté leurs
biens avec eux, mais ils ont graduellement meublé
les pièces qui leur étaient réservées dans la maison,
soit une salle de séjour, une chambre à coucher,
une cuisine et une salle de bain. Les intimés et M.
Banani ont déclaré dans leurs témoignages que ces
pièces, pendant toute cette période, étaient réser-
vées à l'usage exclusif des intimés.
La preuve indique également que le mari est
resté pendant quinze jours au Canada après avoir
obtenu le droit d'établissement le 17 septembre
1982. Il est revenu au Canada le 24 août 1983 et y
est demeuré sept jours. L'épouse de son côté a
demeuré au Canada pendant un mois après l'ob-
tention du droit d'établissement le 5 août 1982.
Elle est revenue au Canada pour deux semaines en
1984 et pour deux autres semaines en 1985.
L'appel dont je suis saisi consiste à déterminer si
les intimés satisfont aux conditions de résidence
énoncées à l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyen-
neté [S.C. 1974-75-76, chap. 108 (mod. par S.C.
1976-77, chap. 52, art. 128)], dont voici le texte:
5. (1) Le Ministre doit accorder la citoyenneté à toute
personne qui, n'étant pas citoyen, en fait la demande et qui
b) a été légalement admise au Canada à titre de résident
permanent, n'a pas depuis perdu ce titre conformément à
l'article 24 de la Loi sur l'immigration de 1976, et a, dans les
quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, totalisé au
moins trois ans de résidence au Canada calculés de la
manière suivante:
(i) elle est censée avoir acquis un demi-jour de résidence
pour chaque jour durant lequel elle résidait au Canada
avant son admission légale au Canada à titre de résident
permanent, .. .
Après avoir examiné la demande de citoyenneté
des intimés, madame le juge Maria Sgro de la
Cour de la citoyenneté canadienne a statué que
lesdits intimés avaient satisfait aux conditions de
résidence prévues à l'article 5 de la Loi. Elle a dit
dans son jugement prononcé le 26 août 1986:
[TRADUCTION] Ces requérants ont établi et maintenu leur
domicile au Canada. J'estime qu'ils ont fourni la preuve de leur
résidence et je recommande, par conséquent, qu'on leur octroie
la citoyenneté conformément à l'article 5(1)b).
M. et M"' NAKHJAVANI sont adeptes de la foi BAHA'IE. M.
NAKHJAVANI est l'un des neuf membres de l'organe dirigeant
suprême, la Maison universelle de la justice, située à Haïfa
(Israël). Il a été réélu à cette fonction à quatre reprises depuis
1968, la durée de chaque mandat étant de cinq ans. Son dernier
mandat prendra fin le 21 avril 1988.
Les deux requérants ont dû retourner à Haïfa peu de temps
après avoir reçu le statut d'immigrants admis en raison des
responsabilités religieuses et administratives qui leur incom-
bent; ils ont cependant centralisé leur mode de vie habituel en
conservant un appartement indépendant leur servant de domi
cile. Ils gardent à cet endroit leurs meubles, leurs ustensiles de
cuisine, leurs livres et leurs articles ménagers ...
Ils retournent à cet appartement lorsque leurs responsabilités
au centre mondial BAHA'I le leur permettent.
Agissant à titre de fiduciaire, M. A. H. Banani, beau-frère
des requérants [sic]. a acheté, le 3 juillet 1973, une maison sise
au 64, Castlefield Avenue, Toronto (Ontario), pour M. et M''
NAKHJAVANI. Les requérants louent cette propriété pour l'ins-
tant, mais ils ont l'intention d'y vivre lorsqu'ils reviendront au
Canada ...
En raison de leur obligation sacrée de servir leur religion au
sein de cet organe administratif, il a été impossible pour les
requérants d'être plus souvent «présents effectivement» au
Canada, mais ils considèrent ce pays comme leur pays où ils
reviendront dès que possible.
Le Secrétaire d'État interjette appel pour le
motif que la Cour de la citoyenneté a commis une
erreur de droit et une erreur de fait en approuvant
la demande de citoyenneté des requérants avant
qu'ils aient totalisé au moins trois ans de résidence
au Canada comme le prévoit l'alinéa 5(1)b) de la
Loi sur la citoyenneté et que, par conséquent, le
juge de la Cour de la citoyenneté a outrepassé sa
compétence en approuvant ladite demande.
Il ressort des commentaires du juge de la Cour
de la citoyenneté que deux faits principaux l'ont
amenée à conclure que les requérants avaient satis-
fait aux conditions de résidence, c'est-à-dire que
lesdits requérants avaient établi une résidence per-
manente au Canada dans la demeure de M.
Banani et que les devoirs imposés au mari par la
foi baha'ie l'obligeaient à demeurer à Haïfa de
façon permanente.
L'appelant reconnaît que la jurisprudence a
élargi la portée des dispositions relatives à la rési-
dence figurant à l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la
citoyenneté. Dans l'affaire Loi sur la citoyenneté
(In re la) et in re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F.
208 (P ° inst.), le juge en chef adjoint Thurlow, tel
était alors son titre, a conclu, après avoir analysé
en détail les exigences de la loi et l'interprétation
du mot «résidence» faite par les tribunaux, que ce
concept ne se limite pas à la présence effective
dans un lieu déterminé. Il peut comprendre le cas
de personnes ayant un lieu de résidence pour prou-
ver le caractère effectif de leur résidence dans ce
lieu même si elles en ont été absentes pendant un
certain temps. Le juge a dit à la page 214:
Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne
cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins
temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances
ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille
continue à y habiter durant son absence peut appuyer la
conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à
cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue.
Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y
revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que
l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend
[TRADUCTION] «essentiellement du point jusqu'auquel une per-
sonne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise
son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales,
d'intérêts et de convenances, au lieu en question».
L'affaire Papadogiorgakis n'a pas nécessaire-
ment court-circuité les conditions de résidence pré-
vues dans la Loi sur la citoyenneté du Canada,
mais elle a fait disparaître la difficulté que cette
Loi soulève lorsqu'il s'agit de calculer si un requé-
rant a effectivement résidé ou non au Canada
pendant les trois quarts d'une période de quatre
ans. Elle a imposé aux cours l'obligation d'exami-
ner à la fois l'intention et les faits, aucun de ces
éléments n'étant déterminant lorsqu'il est pris indi-
viduellement. Une déclaration d'intention à carac-
tère subjectif n'aurait donc que peu de poids à
moins d'être étayée par des faits objectifs consti-
tuant une expression concrète de cette intention,
c.-à-d. la possession d'une résidence, l'immatricu-
lation d'une voiture, des comptes en banque, l'ad-
hésion à un club ou à une association et, en
particulier, la présence continuelle au Canada des
membres de la famille d'une personne qui vient les
y rejoindre à l'occasion, même si ce n'est que pour
de brèves périodes.
Dans le même ordre d'idées, il est possible que
des faits objectifs ne soient pas concluants lors-
qu'ils indiquent simplement une forme de présence
au Canada, mais qu'il devient évident que la per-
sonne n'a pas l'intention de s'y établir. Ce serait le
cas, par exemple, d'un requérant qui a obtenu le
droit d'établissement au Canada, loue un local et y
installe un lit, ouvre une agence, engage quelqu'un
pour s'occuper de celle-ci et retourne dans son pays
d'origine pour y vivre avec sa famille et ses amis et
vaquer à ses affaires habituelles. Si de tels faits
devaient ressortir d'une enquête, il serait logique
de conclure que le requérant n'a même pas satis-
fait au critère principal de résidence que la Loi
impose. Une telle personne pourrait constituer un
très bon immigrant admis, mais cela ne lui donne-
rait pas le droit d'obtenir la citoyenneté quatre ans
plus tard.
Je voudrais souligner que, dans les cas où l'on
soulève la question d'absences prolongées du
Canada, il faut toujours tenir compte de la distinc-
tion qui existe entre le statut conféré à un immi
grant admis en vertu de la Loi sur l'immigration
de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] et l'octroi de la
citoyenneté conformément à la Loi sur la citoyen-
neté. Un immigrant admis conserve le droit d'être
réadmis au Canada tant qu'il respecte les disposi
tions de l'article 24 de la Loi sur l'immigration de
1976. L'octroi de la citoyenneté est tout autre
chose. La citoyenneté confère un statut spécial à
une personne, statut qui est reconnu et respecté
partout dans le monde. Elle est attribuée non
seulement à la personne mais également à ses
descendants. Elle confère une identité particulière,
qui est perpétuelle et incontestable.
Le juge Muldoon fait allusion à cette question
dans l'analyse approfondie de la loi qu'il a faite
dans la cause Re Anquist (1984), 34 Alta. L.R.
(2d) 241; [1985] 1 W.W.R. 562 (C.F. Ire inst.), où
il cite un extrait du jugement prononcé par le juge
Pratte dans l'affaire Blaha c. Ministre de la
Citoyenneté et de l'Immigration, [1971] C.F. 521
(C.A.C.), à la page 525:
Ainsi, le législateur veut-il s'assurer que la
citoyenneté canadienne ne soit accordée qu'à
ceux-là qui ont démontré leur aptitude à s'intégrer
dans notre société.
Ces propos ont été tenus avant que les modifica
tions apportées en 1976 aient permis d'appliquer
des règles plus libérales en matière de résidence.
Le juge Muldoon pouvait néanmoins affirmer [aux
pages 249 Alta. L.R.; 571 et 572 W.W.R.]:
Le législateur n'a pas modifié l'esprit de la Loi par son amende-
ment subséquent, même s'il a élargi les critères servant à établir
la résidence par l'envoi à l'article 24 de la Loi sur l'immigration
de 1976. Comme l'affirme le juge Pratte, le législateur a voulu
que le requérant démontre qu'il a effectivement résidé parmi les
Canadiens et qu'il partage volontairement notre sort au sein
d'une collectivité canadienne.
L'argument principal des intimés consiste à dire
que l'établissement d'une résidence permanente
dans une partie de la maison de M. Banani à
Thornhill constitue le genre de résidence visée par
l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté. Combi-
nés à l'intention de revenir au pays, comme en fait
foi la délivrance de permis de retour pour résidents
permanents, les faits et l'intention satisfont au
critère prévu à cet article. Je dois, à cet égard,
citer encore une fois le juge Muldoon qui dit à la
page 13 de l'affaire Anquist (précitée) [aux pages
249 Alta. L.R.; 572 W.W.R.]:
Si les dispositions de l'alinéa 5(l)b) de la Loi sur la citoyen-
neté n'exigeaient que le respect de l'exception prévue au para-
graphe 24(2) de la Loi sur l'immigration, je devrais manifeste-
ment accueillir le présent appel. Toutefois, ces dispositions sont
plus exigeantes. Comme le souligne le juge Addy dans l'affaire
Stafford ((1980), 97 D.L.R. (3d) 499, aux pages 500 et 501),
elles exigent plus qu'une «simple intention de retour».
Il est facile d'établir l'intention des intimés de
revenir au Canada étant donné qu'ils devront
effectivement le faire tôt ou tard. En effet, le seul
document de voyage qu'ils possèdent est un certifi-
cat d'identité canadien qu'ils doivent renouveler
chaque année. Ils possèdent également des permis
de résidence en Israël lorsque le mari vaque à ses
obligations religieuses et administratives dans ce
pays, mais la permanence de leur statut n'est
assurée que par la possibilité qu'ils ont de rentrer
au Canada.
Je ne suis pas d'accord pour dire que le simple
fait pour les requérants de posséder une résidence
au Canada et d'avoir l'intention d'y retourner
permet de conclure que leur cas est visé par l'ali-
néa 5(1)b) de la Loi, même si on devait interpréter
cette disposition avec la plus grande flexibilité. Je
ne peux pas voir à quel moment pendant les années
1982 à 1986, les intimés se sont mêlés de quelque
manière que ce soit à la société canadienne ou ont
établi avec les Canadiens ou leurs institutions le
genre de liens envisagés par le législateur dans sa
Loi. Fait important à cet égard, le mari s'était déjà
engagé dans les activités que lui impose la foi
baha'ie avant même d'avoir obtenu le droit d'éta-
blissement, activités qui nécessitaient de toute évi-
dence sa présence continue à Haïfa. On ne peut
donc pas affirmer que lorsqu'il est arrivé au
Canada, il avait l'intention d'y établir une nouvelle
résidence. La jurisprudence est claire: avant que
l'on puisse appliquer à la durée de la résidence le
critère applicable à la résidence en vertu de la Loi,
le requérant doit tout d'abord prouver qu'il a établi
sa résidence au Canada. On pourrait considérer
qu'un séjour de deux semaines en septembre 1982
et un autre d'une semaine en août 1983, comme
l'indique le dossier, satisfont théoriquement à cette
règle particulière, mais j'estime que cela ne répond
pas aux principales exigences de la Loi.
Pour ce qui est de l'épouse, il est vrai que son
premier séjour au Canada a duré quatre semaines.
Son témoignage me permet toutefois de conclure
qu'elle a séjourné au Canada deux semaines en
1984 et deux autres semaines en 1985 principale-
ment en raison de son rôle de compagne de voya
ges lors des assemblées de la communauté baha'ie
tenues à Ottawa et Montréal.
La preuve versée au dossier indique également
que le mari et son épouse n'ont jamais résidé
ensemble au Canada. Cela ne signifie pas que la
cohabitation des époux au Canada est, suivant les
règles relatives à la citoyenneté, une condition
préalable essentielle pour établir leur résidence au
Canada, mais cela indique plutôt, à mon avis,
qu'on peut difficilement affirmer que les intimés
avaient un pied-à-terre fixe à Thornhill (Ontario).
Toute tentative de dresser une liste exhaustive
des différents indices qui permettent de déterminer
si un requérant satisfait à l'esprit des règles relati
ves à la citoyenneté qui ont été adoptées sous le
régime de la Loi sur la citoyenneté nécessiterait un
effort épuisant. Compte tenu des faits qui m'ont
été soumis, j'estime qu'il n'existe aucun indice de
ce genre, à part le droit des intimés d'occuper des
locaux à Thornhill aussi bien que partout ailleurs
au Canada. Un immigrant admis ne peut simple-
ment adopter le Canada à titre de pavillon de
complaisance aux fins de la Loi sur la citoyenneté
et des exigences de son article 5.
En concluant que les appels du Secrétaire d'État
doivent être accueillis, je ne dois pas oublier les
autres éléments des points litigieux qui m'ont été
soumis. Il est vrai que le mari et son épouse, tous
deux ressortissants iraniens, sont désormais apatri-
des. Ils ne possèdent aucun passeport. Ils sont
tenus par les obligations découlant de leurs fonc-
tions d'habiter à Haïfa (Israël). Il ressort de leurs
témoignages qu'ils sont bien connus là-bas et qu'ils
n'ont jamais eu de difficultés à faire renouveler
leurs permis de résidence en Israël. Le personnel
de la mission canadienne en Israël les connaît
également et c'est pourquoi ils ont réussi à faire
renouveler leurs certificats d'identité canadiens
sans difficulté. Les fonctions du mari et de son
épouse exigent qu'ils voyagent énormément et
leurs documents de voyage canadiens leur ont
permis de se rendre au Royaume-Uni, à Chypre,
en France, en Allemagne de l'Ouest, dans les pays
du Bénélux, aux États-Unis, en Suisse et probable-
ment dans d'autres pays.
Le mari a laissé entendre qu'un certificat d'iden-
tité est moins pratique qu'un passeport, étant
donné qu'il doit être renouvelé tous les ans alors
qu'un passeport l'est tous les cinq ans. L'épouse a
également déclaré dans son témoignage qu'elle
avait connu de temps à autre des embêtements en
entrant dans certains pays, un risque qui, selon
elle, serait éliminé si elle détenait un passeport
canadien. Il faut reconnaître qu'il s'agit là d'incon-
vénients, mais la difficulté d'obtenir des visas ou
des permis d'admission est chose normale pour des
personnes qui, comme les intimés, voyagent beau-
coup. Cette difficulté est même normale pour les
personnes qui voyagent beaucoup et sont détentri-
ces de passeports canadiens valides. Ces incidents
de parcours ne constituent pas des motifs pour
modifier la loi en faveur des intimés.
Le mari a également déposé au sujet des obliga
tions qui lui incombent en vertu de la foi baha'ie.
L'élection à la Maison universelle de la justice
comporte l'obligation sacrée pour la personne élue
de s'acquitter des responsabilités de son poste, ce
qui exige donc que le mari réside de manière
permanente à Haïfa dans une maison qui lui est
fournie par la communauté. En cas de réélection
l'année prochaine pour un autre mandat de cinq
ans, le mari se sentira obligé de continuer à résider
à Haïfa, et son épouse et lui seront incapables de
satisfaire aux règles relatives à la résidence au
Canada afin d'obtenir la citoyenneté canadienne.
La Cour comprend très bien cette situation diffi-
cile et elle exprime sa sympathie aux personnes qui
doivent y faire face. Il n'en demeure pas moins,
comme l'a souligné brièvement l'amicus curiae
lors de l'audience, que le Canada a déjà fait tout
ce qu'il peut pour les intimés en leur octroyant le
statut d'immigrants admis, en leur délivrant des
documents de voyage qui ne constituent pas un
obstacle à leurs nombreux voyages à l'étranger et
en leur fournissant un asile sûr chaque fois qu'ils
désirent revenir au pays.
Il faut reconnaître qu'il est possible que des
événements viennent modifier la situation actuelle
des intimés et créer la situation particulière et
exceptionnelle de détresse dont il est question au
paragraphe 5(4) de la Loi et où l'on pourrait
recommander l'intervention du gouverneur en con-
seil. Une telle situation n'existe pas encore et il
serait donc prématuré de ma part de faire une
recommandation de ce genre. Cela n'empêche évi-
demment pas les intimés de faire valoir devant le
gouverneur en conseil d'autres arguments reposant
sur des faits ou des preuves qui n'ont pas été
soumis à cette Cour.
Les appels formés par le Secrétaire d'État sont
accueillis et les ordonnances de la Cour de la
citoyenneté sont annulées. Aucuns dépens ne sont
adjugés.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.