A-692-86
Algonquin Mercantile Corporation (appelante)
(demanderesse)
c.
Dart Industries Canada Limited (intimée) (défen-
deresse)
RÉPERTORIÉ: ALGONQUIN MERCANTILE CORP. c. DART
INDUSTRIES CANADA LTD.
Cour d'appel, juges Heald, Hugessen et MacGui-
gan—Toronto, 25, 26, 27, 28, 29 mai; Ottawa, 17
juin 1987.
Compétence de la Cour fédérale — Division de première
instance — Compétence statutaire pour adjuger un intérêt
relativement à des dommages résultant d'une,décision d'accor-
der une injonction interlocutoire — Le montant des dommages
et de l'intérêt est sollicité «en vertu d'une loi du Parlement», en
l'espèce la Loi sur les dessins industriels, ainsi que l'exige
l'art. 20 de la Loi sur la Cour fédérale — L'injonction et
l'engagement de payer des dommages-intérêts sont des redres-
sements d'equity qui viennent en aide à la loi — Les disposi
tions législatives provinciales sont applicables à l'intérêt relatif
à la période antérieure et à la période subséquente au
jugement.
Equity — Intérêt relatif à la période précédant le jugement
— Le moment est venu d'uniformiser la common law et
l'equity, à la lumière de la tendance législative canadienne vers
l'adjudication d'un intérêt avant jugement — Cette tendance
reflète la politique générale actuelle — Cette nouvelle inter-
prétation de la common law est en harmonie avec la jurispru
dence — La Cour n'est pas tenue d'attendre que des disposi
tions législatives fédérales soient édictées.
Pratique — Intérêts — Injonction interlocutoire — Engage
ment à payer des dommages-intérêts — La compétence per-
mettant l'adjudication de dommages-intérêts est conférée par
l'art. 20 de la Loi sur la Cour fédérale — L'indemnité et
l'intérêt en question sont des redressements sollicités en vertu
d'une loi du Parlement du Canada, la Loi sur les dessins
industriels — L'engagement à payer des dommages-intérêts et
l'injonction interlocutoire sont des redressements invoquant
l'equity qui s'appliquent pour venir en aide à la loi — La
défenderesse a droit à une indemnisation complète, ce qui
implique le versement des intérêts — Le moment est venu
d'uniformiser la common law et l'equity, à la lumière de la
tendance législative vers l'adjudication des intérêts avant juge-
ment qui se dégage au Canada — La loi provinciale est
appliquée afin de déterminer le montant de l'intérêt préalable
et de l'intérêt subséquent au jugement.
Pratique — Frais et dépens — La demande d'augmentation
des frais adjugés entre parties fondée sur la nouvelle Règle
344 sur la taxation est rejetée — Les nouvelles règles sur la
taxation ne s'appliquent pas lorsque l'avis prévu à la Règle
346.1(2) est déposé.
Dessins industriels — Plaque chauffante électrique — Pro-
cédure en contrefaçon — Une injonction interlocutoire a été
accordée à la demanderesse — Elle s'est engagée à payer des
dommages-intérêts — Elle a perdu dans l'instance — Évalua-
tion des dommages-intérêts de la défendresse — «Auto-con
currence» — L'appel de la demanderesse sollicitant que l'ap-
préciation de l'effet de celle-ci soit portée de 15 35 % est
rejeté — Éléments de preuve contradictoires — Le juge de
première instance a eu tort de substituer sa propre opinion à
celle du protonotaire qui avait conclu à l'absence d'une «auto-
concurrence» — Appel incident accueilli.
Appel est interjeté d'une décision du juge Addy qui a con
firmé à tous égards sauf un les conclusions tirées par le
protonotaire dans le cadre d'un renvoi relatif à l'appréciation de
dommages-intérêts. Ce renvoi a été ordonné par le juge Maho-
ney après qu'il eut rejeté l'action de la demanderesse fondée sur
la Loi sur les dessins industriels et mis fin à une injonction
interlocutoire prononcée en faveur de la demanderesse qui avait
empêché la défenderesse de commercialiser son petit appareil
ménager appelé «Family Griddle with Warmer» en faisant
concurrence au «Breakfast Nook» de la demanderesse. La
demanderesse, conformément à la pratique habituelle, s'était
engagée à payer des dommages-intérêts au moment où l'injonc-
tion interlocutoire lui serait accordée.
Dans son rapport, le protonotaire n'a pas recommandé la
diminution des dommages-intérêts de la défenderesse fondés
sur l'«auto-concurrence», étant d'avis que les circonstances de
l'espèce n'établissaient pas l'existence d'un tel phénomène. Le
juge Addy a conclu qu'aucune preuve n'indiquait l'absence
d'auto-concurrence. Il a évalué l'effet de celle-ci à 15 % des
ventes de plaques chauffantes plates effectivement réalisées au
cours de l'année de l'injonction ainsi que de l'année suivante, et
il a réduit les dommages-intérêts de la défenderesse en consé-
quence. L'appelante appuie les conclusions d'auto-concurrence
du juge Addy tout en sollicitant que l'appréciation de son effet
soit portée de 15 à 35 %. La défenderesse, dans un appel
incident, demande le rétablissement des conclusions du proto-
notaire. Relativement à la question de l'intérêt, l'appelante
soutient que le juge Addy s'est trompé en accordant un intérêt
pour la période précédant le jugement sur le fondement de
l'article 36 de la Judicature Act l'Ontario, ainsi qu'un intérêt
pour la période subséquente au jugement conformément à
l'article 137 de la Loi sur les tribunaux judiciaires de
l'Ontario.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté et l'appel incident devrait
être accueilli. Le montant adjugé par l'arbitre devrait être
rétabli et assorti d'intérêts adjugés par le juge de première
instance relativement à la période préalable et à la période
postérieure au jugement.
Il incombait à la demanderesse d'établir l'existence de
l'«auto-concurrence» et il n'appartenait pas à la défenderesse
d'en établir l'absence. Les éléments de preuve visant cette
question étaient contradictoires. Dans ces circonstances, le juge
de première instance a eu tort de substituer sa propre apprécia-
tion des probabilités relatives à l'existence de l'«auto-concur
rence» à celle du protonotaire. L'appel incident devrait donc
être accueilli et le montant accordé par le protonotaire pour la
perte des ventes subie au cours de l'année de l'injonction ainsi
que de l'année subséquente devrait être rétabli.
La question de savoir si la Cour fédérale possède la compé-
tence statutaire pour adjuger des intérêts devrait recevoir une
réponse affirmative. L'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale
confère à la Division de première instance une compétence
concurrente dans les cas où un redressement est recherché en
vertu d'une loi du Parlement relativement à un dessin indus-
triel. La demanderesse a sollicité son injonction interlocutoire
sur le fondement de la Loi sur les dessins industriels. Comme
l'injonction interlocutoire a été accordée à la demanderesse à la
condition qu'elle s'engage à se conformer à toute ordonnance
que pourrait rendre la Cour au sujet des dommages-intérêts,
l'engagement de payer des dommages-intérêts est relié à la Loi
sur les dessins industriels de la même façon que l'injonction
elle-même. Les dommages-intérêts, notamment l'intérêt appro-
prié, constituent donc, ainsi que l'exige l'article 20, des redres-
sements sollicités «en vertu» d'une loi du Parlement. L'equity,
qui a été invoquée à la fois dans l'injonction et dans l'engage-
ment, agit dans un contexte statutaire en venant en aide à la
loi.
La Cour ne peut souscrire à l'opinion du juge de première
instance selon laquelle la question de l'intérêt préalable au
jugement devait être régie par la loi plutôt que par l'equity.
L'intérêt préalable au jugement devait être adjugé pour indem-
niser la défenderesse de sa perte subie en raison de l'injonction.
En toute logique, l'engagement vise l'indemnisation complète,
ce qui implique le versement des intérêts. Il ressort du point de
vue de la majorité des juridictions canadiennes de common law
voulant qu'un intérêt préalable au jugement soit accordé que «le
moment est venu d'uniformiser la common law et l'equity à cet
égard». Cette tendance législative reflète la politique générale
actuelle, et cette Cour n'a pas à attendre qu'une initiative
législative semblable soit prise au niveau fédéral pour mettre
fin à une limite d'origine jurisprudentielle à l'adjudication des
intérêts. Cette nouvelle interprétation de la common law est en
harmonie avec la décision rendue par la Cour suprême du
Canada dans l'affaire Lewis c. Todd et McClure, où un intérêt
a été considéré comme faisant partie du montant des domma-
ges-intérêts alloués, et avec la décision prononcée récemment
par cette Cour dans l'affaire Société Radio-Canada c. S.C.F.P.
Comme il n'existe aucune disposition dans la Loi sur la Cour
fédérale qui fixe le taux de l'intérêt couru avant jugement, il est
nécessaire d'avoir recours à la loi provinciale. Le juge de
première instance a correctement considéré l'article 36 de la
Judicature Act de l'Ontario lorsqu'il a accordé un intérêt
préalable au jugement commençant à courir à compter du
moment où l'injonction provisoire a été accordée et s'étendant
jusqu'à la date du jugement, au taux prévu à cet article.
Le juge de première instance a également eu raison en
appliquant l'article 137 de la Loi sur les tribunaux judiciaires
de l'Ontario pour déterminer le montant de l'intérêt postérieur
au jugement. L'article 40 confère un plein pouvoir discrétion-
naire relativement à l'intérêt couru après jugement. Il n'est
point nécessaire d'avoir recours à l'article 3 de la Loi sur
l'intérêt s'il en «est autrement ordonné par la Cour» au sens de
l'article 40. De plus, l'interprétation libérale donnée par la
Cour suprême du Canada à l'article 3 autorise une cour créée
par le gouvernement fédéral à appliquer une loi provinciale sur
l'intérêt.
La demande présentée par la défenderesse visant l'augmenta-
tion des frais et dépens entre parties sur le fondement de la
nouvelle Règle 344 sur la taxation a dû être rejetée. Les
nouvelles Règles relatives à la taxation ne s'appliquent pas
lorsque, dans les 90 jours de leur entrée en vigueur, une partie à
une instance engagée avant cette date dépose un avis portant
que les dépens seront déterminés sans tenir compte de ces
nouvelles règles : la Règle 346.1(2). La demanderesse a déposé
un tel avis au cours de la période de transition ainsi prévue. La
défenderesse peut toutefois avoir recours aux dispositions de la
Règle 344(7) en vigueur avant le 2 avril 1987, qui permettent à
une partie ayant eu gain de cause de solliciter des directives
spéciales à l'égard des dépens dans les délais prescrits à la
Règle 337(5).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Judicature Act, R.S.O. 1980, chap. 223, art. 36.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap.
10, art. 20, 40, 44.
Loi sur l'intérêt, S.R.C. 1970, chap. I-18, art. 3.
Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8.
Loi sur les tribunaux judiciaires, S.O. 1984, chap. 11,
art. 137.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
337(2)b),(5), 344 (mod. par DORS/87-221, art. 2),
(7), 346.1(2) (ajouté par DORS/87-221, art. 4), Tarif
B (mod., idem, art. 8), art. 1(1)h), i).
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Lewis c. Todd et McClure, [1980] 2 R.C.S. 694; Société
Radio-Canada c. S.C.F.P., [1987] 3 C.F. 515 (C.A.);
Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2
C.F. 575 (C.A.); R. c. La Commission de transport de la
Communauté urbaine de Montréal, [1980] 2 C.F. 151
(C.A.); Prince Albert Pulp Co. Ltd et autre c. The
Foundation Company of Canada, Ltd., [1977] 1 R.C.S.
200; British Pacific Properties Ltd. c. Minister of High
ways and Public Works, [1980] 2 R.C.S. 283; (1980), 33
N.R. 98.
DECISIONS EXAMINÉES:
Hoffmann-La Roche (F) & Co AG v Secretary of State
for Trade and Industry, [1974] 2 All ER 1128 (H.L.);
The Pacifico v. Winslow Marine R. & Shipbuilding Co.,
[1925] 2 D.L.R. 162 (C. de l'E.).
DECISIONS CITÉES:
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C.
396 (H.L.); Delap v. Robinson et al. (1898), 18 P. R. 231
(Ont.); Teledyne Industries, Inc. et autre c. Lido Indus
trial Products Ltd. (1982), 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1"
inst.).
DOCTRINE
McGregor, H. McGregor on Damages, 13th ed. London :
Sweet & Maxwell Limited, 1972.
Saxe, D. «Judicial Discretion in the Calculation of Pre
judgment Interest» (1985-86), 6 Advocate's Q. 433.
AVOCATS:
Ronald E. Dimock et Gordon J. Zimmerman
pour l'appelante (demanderesse).
George A. Macklin, c.r. et Anthony G. Creber
pour l'intimée (défenderesse).
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Dimock, Toronto, pour l'appe-
lante (demanderesse).
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'inti-
mée (défendresse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour
Appel est interjeté d'une décision du juge Addy
([1987] 2 C.F. 373 (publiée sous forme abrégée);
(1986), 12 C.P.R. (3d) 289) qui a confirmé (à tous
égards sauf un) les conclusions tirées par le proto-
notaire Preston dans le cadre d'un renvoi relatif à
l'appréciation de dommages-intérêts. Ce renvoi a
été ordonné par le juge Mahoney [[1984] 1 C.F.
246] après qu'il eut rejeté l'action de la demande-
resse fondée sur la Loi sur les dessins industriels'
et mis fin à une injonction interlocutoire obtenue
par la demanderesse un peu plus d'un an plus tôt
(le 12 mars 1982). Cette injonction avait eu pour
effet d'empêcher la défenderesse de commerciali-
ser son nouveau produit, un appareil ménager
connu sous le nom de «Family Griddle With
Warmer» («FGWW»), en faisant concurrence au
produit de la demanderesse, le «Breakfast Nook»
(«BN»). Au moment où l'injonction interlocutoire
était accordée, la demanderesse, conformément à
la pratique habituelle, s'était engagée à payer des
dommages-intérêts, et cet engagement a constitué
le fondement sur lequel s'est appuyé le juge Maho-
ney pour ordonner un renvoi lors de la dissolution
de l'injonction.
Dans son rapport ((1985), 8 C.P.R. (3d) 1), le
protonotaire Preston a examiné de façon exhaus
tive toute la preuve qu'il avait entendue et conclu,
entre autres, que la défenderesse avait perdu la
vente de 30 000 FGWW pendant que l'injonction
était en vigueur; il a également conclu que les
effets de l'injonction se sont poursuivis environ un
an après sa dissolution et il a évalué les pertes
supplémentaires subies par la défenderesse au
S.R.C. 1970, chap. 1-8.
cours de cette période à 20 000 pièces. Bien que
ces conclusions aient été vigoureusement contes-
tées par la demanderesse dans le cadre du présent
appel, nous n'avons pas considéré nécessaire de
demander à la défenderesse de fournir une
réponse. Les conclusions du protonotaire Preston
ont été attentivement examinées par le juge Addy
et celui-ci les a confirmées. Elles étaient appuyées
par des éléments de preuve. Siégeant maintenant
en qualité de seconde cour d'appel, nous sommes
en présence de conclusions de fait concurrentes des
tribunaux visés. Le demandeur a, tout au plus, pu
établir l'existence de certaines anomalies ou con
tradictions dans les conclusions du protonotaire
Preston; elles sont presque inévitables dans les
affaires où, comme en l'espèce, l'on tente de repro-
duire les variables d'une situation hypothétique
dans un domaine aussi complexe que celui de la
commercialisation des produits de consommation.
Il nous en faudrait bien plus pour nous convaincre
d'intervenir, et nous refusons de le faire.
Dans une autre partie de son rapport, le proto-
notaire Preston a refusé de recommander la dimi
nution des dommages-intérêts dus à la défende-
resse, en raison de la [TRADUCTION] «substitution»
ou de [TRADUCTION] l'«auto-concurrence». Ce
phénomène est celui selon lequel les ventes d'un
nouveau produit sont plus ou moins effectuées au
détriment de celles d'un produit existant du même
fabricant. Concrètement, en l'espèce, les ventes
que la défenderesse aurait effectuées de sa nou-
velle FGWW au cours de l'année de l'injonction et
pendant l'année suivante auraient remplacé certai-
nes des ventes des modèles plus anciens de ses
plaques chauffantes plates.
Dans son rapport, le protonotaire Preston a dit
[à la page 37]:
De même, on a déclaré que, durant l'injonction, la vente par
West Bend [défenderesse] d'autres plaques chauffantes était
plus forte que ce qu'elle n'aurait été si le FGWW avait été sur
le marché en 1982. A mon avis, la théorie de l'auto-concurrence
ou du gain, n'est pas indiquée. L'acheteur, sur le marché,
recherche soit une plaque chauffante plate, soit une plaque
chauffante munie d'un dispositif de réchaud. La preuve révèle
que, en 1982, l'acheteur dont l'intention était d'acheter une
plaque chauffante avec réchaud n'était pas intéressé à la
gamme des plaques chauffantes de West Bend, sans un disposi-
tif de réchaud.
Dans le jugement porté en appel, le juge Addy a
exprimé son désaccord avec cette assertion. Après
avoir examiné l'ensemble de la preuve, il a dit [à la
page 308 C.P.R.]:
En résumé, aucune preuve factuelle directe ni aucun témoi-
gnage d'opinion catégorique n'indique l'absence «d'auto-concur
rence», l'expert de la défenderesse, M. Tigert, a reconnu que
celle-ci aurait pu se produire à la fois au niveau des détaillants
et à celui des acheteurs, et tous les autres éléments de preuve
sur ce sujet indiquent qu'elle a probablement eu lieu.
Il a ensuite évalué l'effet de l'auto-concurrence à
15 % des ventes de plaques chauffantes plates
effectivement réalisées par la défenderesse au
cours de l'année de l'injonction ainsi que de l'année
suivante, et, après avoir effectué les calculs qui
s'imposaient, il a réduit les dommages-intérêts de
la défenderesse en conséquence.
Dans le cadre de l'appel, la demanderesse
appuie les conclusions d'auto-concurrence du juge
Addy tout en sollicitant que l'appréciation de leur
effet soit portée de 15 35 %. La défenderesse,
dans un appel incident, demande le rétablissement
des conclusions du protonotaire Preston.
Avec déférence, nous sommes d'avis que le juge
de première instance a commis une erreur de droit
et que l'appel incident doit être accueilli. La pré-
sence de l'auto-concurrence n'est pas évidente en
soi. En fait, il semble, à première vue, au moins
tout aussi probable que les pertes de ventes de la
plaque chauffante plate de la défenderesse ont été
occasionnées par un [TRADUCTION] «gain» réalisé
par le BN de la demanderesse, qui était populaire
sur le marché depuis 1979, et que la vente de la
FGWW, eût-elle eu lieu comme prévu en 1982,
aurait principalement touché le BN. Quoi qu'il en
soit, la question de l'existence de l'auto-concur
rence s'étant posée à la suite des allégations de la
demanderesse, c'est celle-ci qui devait en établir
l'existence, et il n'appartenait pas à la défenderesse
d'établir «l'absence» d'auto-concurrence ainsi que
l'a dit le juge de première instance. Les éléments
de preuve visant cette question étaient contradic-
toires et, dans les circonstances, nous sommes
d'avis que le juge Addy a eu tort de substituer sa
propre appréciation des probabilités à celle à
laquelle était parvenu le protonotaire Preston.
L'appel incident devrait donc être accueilli et le
montant accordé par le protonotaire Preston pour
la perte de ventes subie au cours de l'année de
l'injonction ainsi que de l'année subséquente
devrait être rétabli.
Les avocats des parties se sont entendus pour
que toutes les questions relatives à l'intérêt dont
était saisi le protonotaire soient reportées pour être
débattues. En conséquence, seule la décision du
juge de première instance tranche ces questions.
Le juge Addy a conclu qu'un intérêt, qu'il a évalué
à 379 096,43 $, devait être accordé pour la période
précédant le jugement. Il a calculé l'intérêt relatif
à la période postérieure au jugement à partir de la
date du jugement sur le total des dommages-inté-
rêts adjugés plus l'intérêt antérieur au jugement et
les dépens puisque tous ces montants constituaient
une somme d'argent due aux termes d'une ordon-
nance; le taux de l'intérêt accordé devait être fixé
conformément à l'article 137 de la Loi sur les
tribunaux judiciaires de 1984 de l'Ontario 2 .
La demanderesse a prétendu que le juge de
première instance s'était trompé en accordant
quelqu'intérêt que ce soit pour la période précé-
dant le jugement puisque: (a) l'engagement et les
ordonnances subséquentes des tribunaux ne pré-
voyaient que le paiement des dommages-intérêts;
(b) cette Cour n'est pas habilitée à appliquer
l'article 36 de la Judicature Act de l'Ontario'; (c)
l'article 36 de la Judicature Act, libellé comme il
l'est, ne s'applique pas à la présente espèce.
Elle a également prétendu que, en supposant
qu'un intérêt avant jugement puisse être accordé,
le juge de première instance s'était trompé en
adjugeant un intérêt pour une période précédant la
date à laquelle les dommages-intérêts et l'intérêt
ont été réclamés ainsi qu'en choisissant un taux
inapproprié fondé sur l'article 36 de la Judicature
Act de l'Ontario.
Elle a également soutenu que le juge de pre-
mière instance avait erré en accordant un intérêt
postérieur au jugement conformément à la Loi sur
les tribunaux judiciaires de l'Ontario et, égale-
ment, en calculant cet intérêt selon un taux
excessif.
La première question qui se pose est celle de
savoir si la Cour fédérale est compétente à exami
ner l'adjudication d'intérêts dans un litige comme
celui en l'espèce. L'article 20 de la Loi sur la Cour
fédérale 4 prévoit que la Division de première ins
tance a une compétence concurrente avec celle des
2 S.O. 1984, chap. 11.
3 R.S.O. 1980, chap. 223.
4 S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10.
tribunaux provinciaux en ce qui regarde les ques
tions relatives aux dessins industriels. La partie
pertinente de l'article 20 est ainsi libellée:
20. La Division de première instance ...
... a compétence concurrente dans tous les autres cas où l'on
cherche à obtenir un redressement en vertu d'une loi du Parle-
ment du Canada, ou de toute autre règle de droit relativement à
... un dessin industriel.
La demanderesse a sollicité son injonction inter-
locutoire sur le fondement de la Loi sur les dessins
industriels, ainsi qu'il ressort clairement du para-
graphe 4 de sa déclaration (Dossier d'appel, à la
page 2):
[TRADUCTION] En vertu de l'enregistrement dudit dessin
industriel ainsi que des dispositions de la Loi sur les dessins
industriels S.R.C. 1970, chap. I-8, pour une période de cinq (5)
ans s'étendant du 11 février 1980 au 11 février 1985 et, sur
renouvellement, pour une autre période de cinq ans, la deman-
deresse possède, au Canada, le droit exclusif d'appliquer, à des
fins de vente, ce dessin industriel à un appareil de cuisson ainsi
que de publier, vendre ou offrir en vente ou utiliser un appareil
de cuisson qui comporte ou sur lequel est appliqué ledit dessin
industriel et d'empêcher que d'autres pefsonnes appliquent ledit
dessin industriel, ou une imitation frauduleuse de celui-ci à un
appareil de cuisson et vendre ou offre en vente ou utilise un tel
appareil. [C'est moi qui souligne.]
L'engagement de la demanderesse de se confor-
mer à toute ordonnance que pourrait rendre la
Cour au sujet des dommages-intérêts n'était rien
d'autre qu'une condition de la délivrance de l'in-
jonction interlocutoire, ainsi qu'il ressort de l'or-
donnance du juge Collier accordant l'injonction en
date du 12 mars 1982:
ORDONNANCE:
1. La demanderesse s'étant engagée à se conformer à toute
ordonnance pouvant être prononcée par cette Cour relative-
ment à des dommages-intérêts dans l'éventualité où celle-ci
conclurait que la défenderesse a, à cause de la présente
ordonnance, subi des dommages dont elle devrait être indem-
nisée par la demanderesse:
(a) Par les présentes, il est interdit à la défenderesse,
directement ou par l'intermédiaire de ses cadres, employés
ou mandataires, jusqu'à l'instruction de la présente action
ou jusqu'à ce que soit prononcée une autre ordonnance, de
faire ce qui suit:
(i) Fabriquer, utiliser, exposer ou offrir en vente une
plaque chauffante combinée à un four qui comporte ou sur
laquelle est appliqué le dessin industriel enregistré sous le
numéro 46557 ou une imitation de ce dessin.
(ii) Fabriquer, utiliser, exposer ou offrir en vente et vendre
une plaque chauffante combinée à un réchaud, appareil
qui se trouve illustré par la plaque chauffante avec
réchaud figurant sur la photographie apparaissant à l'an-
nexe «B» de la déclaration présentée dans cette action.
2. Les frais relatifs à la présente requête suivront l'issue du
litige. [C'est moi qui souligne.]
Une telle pratique correspond en tout point à
celle dont il est fait état par lord Diplock dans
l'arrêt Hoffmann-La Roche (F) & Co AG y Secre
tary of State for Trade and Industry, [ 1974] 2 All
ER 1128 (H.L.), aux pages 1149 et 1150:
[TRADUCTION] La pratique consistant à exiger d'un deman-
deur à qui une injonction provisoire est accordée un engage
ment relatif à des dommages-intérêts éventuels est née au cours
de la vice-chancellerie de Sir James Knight Bruce, qui s'est
étendue de 1841 1851. Tout d'abord, elle ne s'est appliquée
qu'aux injonctions accordées ex parte; cependant, après 1860,
cette pratique a été étendue à toutes les injonctions interlocutoi-
res. Vers la fin du siècle, l'insertion d'un tel engagement allait
de soi dans toutes les ordonnances d'injonctions provisoires
accordées dans le cadre de litiges entre particuliers.
Les avantages découlant d'une telle pratique dans toute
action visant à protéger ou à faire valoir des droits personnels
ou des droits de propriété sont assez clairs. Une injonction
provisoire est un redressement temporaire et exceptionnel offert
avant la détermination définitive des droits des parties et, dans
le cas d'une injonction ex parte, avant même que la Cour ait été
informée de la nature de la cause du défendeur. Pour établir
qu'un tel redressement est justifié, le demandeur doit convain-
cre le tribunal, premièrement, qu'il existe une forte apparence
de droit qu'il devrait se voir accorder une ordonnance interdi-
sant au défendeur de faire ce qu'il menace de faire, et deuxiè-
mement, qu'il subira un préjudice irréparable ne pouvant être
compensé par une adjudication subséquente de dommages-inté-
rêts dans le cadre de l'action si le défendeur n'est pas empêché
de faire ce qu'il menace de faire entre la date de la demande
d'injonction provisoire et la date de l'ordonnance définitive
prononcée au terme de l'instruction de l'action. Néanmoins, au
stade de la requête, la cour ne peut avoir la certitude que le
demandeur réussira au procès à justifier de son droit d'empê-
cher le défendeur de faire ce qu'il menace de faire. Advenant
son insuccès, le défendeur pourrait avoir subi une perte, du fait
de cette interdiction, tout au long de l'injonction temporaire; et
toute perte est probablement un damnum absque injuria, pour
laquelle il ne pourrait recouvrer de dommages-intérêts du
demandeur, en common law. A moins d'un autre moyen d'in-
demniser, dans ce cas, le défendeur de sa perte, il y a donc
risque d'injustice.
C'est pour atténuer ce risque que le tribunal refuse d'accor-
der une injonction temporaire, à moins que le demandeur ne
consente à produire un engagement, en son nom ou au nom de
toute autre personne consentante responsable,
"de se conformer à toute ordonnance que le tribunal pourrait
émettre quant aux dommages, au cas où il en arrivait ulté-
rieurement à la conclusion que le défendeur aura subi un
dommage quelconque, du fait de cette ordonnance [soit
l'injonction temporaire], que le demandeur devra rembour-
ser".
La cour n'est pas habilitée à contraindre la personne qui
demande une injonction provisoire à s'engager à verser des
dommages-intérêts. Tout ce qu'elle peut faire c'est de refuser
l'injonction si le requérant ne consent pas à fournir l'engage-
ment. Ce dernier est pris non pas envers le défendeur mais
envers la cour elle-même. Son inexécution constitue un outrage
au tribunal et non pas une inexécution de contrat, et elle donne
ouverture aux recours prévus en cas d'outrage; mais la cour
exige que l'engagement soit fourni pour le bénéfice du
défendeur.
(Depuis la décision rendue par la Chambre des
lords dans l'affaire American Cyanamid Co. v.
Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396, aux pages 407 et
408, il a été généralement considéré que le deman-
deur qui sollicite une injonction provisoire n'avait
pas à faire preuve d'une très forte apparence de
droit, ce qui ne fait cependant qu'accroître l'im-
portance de l'engagement relatif aux dommages-
intérêts.)
La demanderesse a soutenu que l'engagement
visé n'avait pas été donné conformément à une loi
puisqu'il avait été fourni à la Cour plutôt qu'à la
défenderesse et puisque la non-exécution de cet
engagement aurait constitué un outrage au tribu
nal plutôt qu'un bris de contrat; en conséquence,
a-t-elle soutenu, le fondement statutaire exigé par
l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale se trouve
absent.
S'il est vrai que l'engagement visé ne constitue
pas un contrat, il constitue néanmoins, ainsi que l'a
déclaré le chancellier Boyd dans l'affaire. Delap v.
Robinson et al. (1898), 18 P. R. 231 (Ont), [TRA-
DUCTION] «le prix d'une injonction interlocutoire
... une condition fixée pour la délivrance d'une
injonction>. Cet engagement est donc relié à la Loi
sur les dessins industriels de la même façon que
l'injonction elle-même, qui a été sollicitée par la
demanderesse, selon les termes de sa déclaration,
[TRADUCTION] «en vertu ... des dispositions de la
Loi sur les dessins industriels». Les dommages-
intérêts, notamment l'intérêt approprié, consti
tuent donc, ainsi que l'exige l'article 20, des
redressements sollicités «en vertu» d'une loi du
Parlement du Canada. On peut dire que l'equity,
qui a été invoquée à la fois dans l'injonction et
dans l'engagement, agit dans un contexte statu-
taire en venant en aide à la loi. Il peut être
nécessaire à une cour, pour le maintien de la
suprématie du droit, de faire appel à ses pouvoirs
inhérents pour faire exécuter un engagement non
respecté; il ne s'ensuit cependant pas que l'inter-
prétation normale des engagements relatifs aux
dommages-intérêts doit avoir lieu sans faire réfé-
rence aux lois visées.
La compétence préliminaire de la Cour se trou-
vant établie par l'article 20 de la Loi sur la Cour
fédérale, la question qui se pose à présent est celle
de savoir si un intérêt sur les dommages-intérêts
peut être adjugé à compter de la délivrance de
l'injonction provisoire.
Le juge de première instance était d'avis que
cette question devait être régie par la loi plutôt que
par l'equity (supra, aux pages 397 C.F.; 316
C.P.R.):
Il semble toutefois évident en l'espèce que les principes
d'equity ne sont pas en cause. Le paiement ou le non-paiement
d'un intérêt demeure une question de droit, les dommages-inté-
rêts ayant découlé d'un engagement. Le simple fait que l'enga-
gement n'était pas un véritable contrat au sens de la loi ou qu'il
se rapportait à la décision d'accorder une injonction interlocu-
toire qui constitue un recours en equity ne change pas, à mon
avis, l'aspect essentiel de l'affaire, c'est-à-dire que les domma-
ges-intérêts découlent directement d'une promesse formelle et
non d'un principe d'equity et qu'ils doivent être calculés comme
s'ils étaient accordés en vertu d'un contrat d'indemnisation
(voir l'arrêt Hoffman-LaRoche (F) & Co AG v. Secretary of
State for Trade and Industry ([1974] 2 All E.R. 1128
(H.L.)))•
Pour nous, toutefois, une telle conclusion ne ressort
pas à l'évidence. L'injonction elle-même n'est pas
prévue à la Loi sur les dessins industriels, mais
seulement à l'article 44 de la Loi sur la Cour
fédérale. La demanderesse a cependant dit, à notre
avis avec raison, qu'elle en demandait la délivrance
«en vertu ... des dispositions de la Loi sur les
dessins industriels» parce que ce recours, à titre de
redressement fondé sur l'equity, pouvait venir en
aide à la Loi. Il semblerait que l'on puisse dire la
même chose de l'engagement.
Il ne fait aucun doute qu'un intérêt visant la
période préalable au jugement puisse être accordé
selon l'equity. En fait, le droit maritime a directe-
ment tiré de l'equity le principe fondant l'adjudica-
tion d'un intérêt pour la période antérieure au
jugement_. Comme l'a dit le juge McLean dans
l'affaire The Pacifico v. Winslow Marine R. &
Shipbuilding Co., [1925] 2 D.L.R. 162 (C. de
l'E.), à la page 167:
[TRADUCTION] Le principe adopté par la Cour d'amirauté,
statuant en equity, énoncé par Sir Robert Phillimore dans The
Northumbria (1869) 3 A. & E. 5, et tiré du droit civil, est que
le créancier a toujours droit aux intérêts lorsque le débiteur a
différé le paiement, que l'obligation résulte d'un contrat ou
d'un délit. Il semble que le point de vue adopté par la Cour
d'amirauté a été que la personne responsable d'une dette ou de
dommages, ayant retenu la somme à payer au demandeur,
devrait être considérée comme l'ayant reçue pour le compte de
celui à qui le principal est payable. Les dommages et les
intérêts, en vertu du droit civil, sont la perte qu'une personne a
subie ou le gain qu'elle a manqué de réaliser.
On a généralement cru qu'il n'existait, en
common law, qu'un droit très limité à l'adjudica-
tion d'un intérêt au chapitre des dommages-inté-
rêts, principalement des dommages-intérets con-
ventionnels. L'auteur de McGregor on Damages,
13e éd., 1972, la page 318, paragraphe 435,
énonce ce point de vue de la manière suivante:
[TRADUCTION] L'état actuel du droit, de façon générale, est
donc le suivant. Indépendamment du droit statutaire, la
common law prévoit un droit à un intérêt au chapitre des
dommages-intérêts pour un éventail très limité de demandes
fondées sur les contrats, principalement celles qui' sont reliées
au défaut de payer une somme d'argent, et également, de façon
générale, dans les actions relevant du droit maritime; de plus, le
droit statutaire oblige maintenant les tribunaux à assortir d'un
intérêt les dommages-intérêts accordés dans des actions visant
des blessures corporelles ou une mort résultant d'un acte délic-
tuel. Dans tous les autres cas, on doit avoir recours au pouvoir
discrétionnaire général conféré aux tribunaux par le droit statu-
taire, un pouvoir dont l'exercice pourrait devenir un peu plus
fréquent maintenant que l'adjudication d'un intérêt, en deve-
nant obligatoire pour une importante catégorie de litiges, a
acquis une importance accrue dans la vie des tribunaux.
Il nous semble que, même si la question était
examinée selon la common law plutôt que selon
l'equity, l'espèce présente une situation intermé-
diaire dans laquelle un intérêt doit être adjugé
pour une période préalable au jugement afin d'in-
demniser la défenderesse ou de compenser la perte
que celle-ci a subie en raison de l'injonction. En
toute logique, l'engagement vise l'indemnisation
complète, qui implique le versement des intérêts.
De plus, nous sommes d'avis que le moment est
venu d'uniformiser la common law et l'equity à cet
égard, particulièrement à la lumière de la tendance
inexorable vers l'adjudication d'un intérêt avant
jugement qui se dégage dans les ressorts cana-
diens. Comme l'a écrit récemment Dianne Saxe
dans l'article intitulé «Judicial Discretion in the
Calculation of Prejudgment Interest» (1985-86), 6
Advocate's Q. 433, la page 443:
[TRADUCTION] Dans la majorité des ressorts canadiens de
common law, les intérêts relatifs à la période précédant le
jugement ne constituent plus un privilège mais un droit. Les
tribunaux doivent à présent exercer le pouvoir discrétionnaire
qui leur est conféré relativement à l'adjudication de tels intérêts
pour ajuster les intérêts accordés à la perte réellement subie par
le demandeur ...
Nous considérons que cette vague législative
reflète fidèlement la politique générale actuelle, et
nous ne voyons pas pourquoi cette Cour devrait
attendre qu'une initiative législative semblable soit
prise au niveau fédéral pour mettre fin à une limite
d'origine jurisprudentielle à l'adjudication d'un
intérêt qui, de façon évidente, n'est plus considérée
comme une politique générale valable. Nous
sommes d'opinion que cette nouvelle interprétation
de la common law s'accorde avec le concept
reconnu par la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Lewis c. Todd et McClure, [1980] 2
R.C.S. 694, à la page 717, selon lequel l'intérêt
fait partie du montant des dommages-intérêts
alloués. Elle est également conforme à la décision
récente rendue par notre Cour dans l'affaire
Société Radio-Canada c. S.C.F.P., [1987] 3 C.F.
515 (C.A.).
Il n'existe, évidemment, aucune disposition dans
la Loi sur la Cour fédérale qui fixe le taux de
l'intérêt couru avant jugement; aussi est-il néces-
saire d'avoir recours à la loi provinciale. Notre
Cour a expressément approuvé cette manière de
procéder dans les arrêts suivants: Bensol Customs
Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575
(C.A.); R. c. La Commission de transport de la
Communauté urbaine de Montréal, [1980] 2 C.F.
151 (C.A.). Le juge Addy a donc eu raison de se
référer à l'article 36 de la Judicature Act de
l'Ontario.
La défenderesse ferait peut-être mieux de récla-
mer l'intérêt applicable selon l'equity, qui, de l'avis
du juge Addy dans l'affaire Teledyne Industries,
Inc. et autre c. Lido Industrial Products Ltd.
(1982), 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1" inst.), à la
page 223, serait fixé au taux courant établi semes-
triellement ou annuellement. Cependant, n'ayant
interjeté aucun appel incident relativement à cette
question, elle ne peut à présent solliciter le recou-
vrement des intérêts sur un tel fondement.
Selon nous, en l'espèce, le juge Addy a correcte-
ment interprété l'article 36 de la Judicature Act en
ce qui a trait au moment à compter duquel des
intérêts sont dus, à l'étendue de cette période et au
taux lui-même, supra, aux pages 397 à 400 C.F.;
316 318 C.P.R.:
L'action en contrefaçon de dessin industriel a été intentée par
la demanderesse le 9 février 1982. Le droit de la défenderesse à
des dommages-intérêts n'a toutefois pas pris naissance à cette
date. En fait, ce droit n'a existé qu'à partir du moment où la
demanderesse a pris l'engagement d'indemniser la défenderesse
et les dommages-intérêts n'ont commencé à courir qu'à compter
de l'injonction interlocutoire. Il semble en outre que ce droit ne
repose aucunement sur l'action mais simplement sur l'engage-
ment qui a été pris au cours de ladite action. Lorsqu'on
applique l'alinéa 36(3)a) aux faits de l'espèce, il importe peu de
savoir si le taux préférentiel devrait être celui du mois qui a
immédiatement précédé le début de l'action, soit le mois de
janvier 1982, ou celui du mois qui a immédiatement précédé la
date de l'engagement, soit le mois de février 1982, parce que
dans chaque cas le taux préférentiel était de 16,5 %. On devrait
donc considérer que c'est ce taux qui s'applique.
Pour ce qui est de la période du calcul de l'intérêt, étant
donné qu'il s'agit manifestement de dommages-intérêts non
déterminés, on doit considérer que la date à laquelle l'engage-
ment a été demandé par la défenderesse et imposé par la Cour,
soit le 12 mars 1982, constitue la date à laquelle l'intérêt doit
commencer à courir conformément au sous-alinéa 36(3)b)(ii).
Il est vrai qu'à ce moment-là la réclamation n'avait pas été
notifiée par écrit à la demanderesse, mais il faut nécessairement
considérer que l'engagement formel fourni par cette partie à la
Cour et qui devait être accepté par cette dernière comme
condition préalable pour que l'injonction soit accordée était un
avis beaucoup plus formel et valable qu'un simple avis écrit.
L'injonction a été en vigueur du 12 mars 1982 au 28 mars
1983. Aucuns dommages-intérêts n'étaient évidemment dus au
début de cette période; ils se sont accumulés pendant celle-ci
jusqu'à ce qu'ils totalisent 365 438 $ le dernier jour. Compte
tenu des dispositions du paragraphe 36(6), j'estime qu'il serait
juste dans les circonstances d'établir une moyenne et d'appli-
quer la moitié du taux applicable, soit 8,25 %, au montant total
de 365 438 $ pour la période se terminant le 28 mars 1983. Par
la suite, il faudrait appliquer à cette perte le taux intégral de
16,5 % jusqu'à ce que j'aie rendu mon jugement en l'espèce et
que les taux d'intérêt postérieurs au jugement soient appliqués.
Quant à la somme de 256 468,75 $ qui représente les domma-
ges-intérêts alloués après l'injonction pendant la période qui a
été limitée à un an par l'arbitre, soit du 28 mars 1983 au 28
mars 1984, il faudrait faire la moyenne de ces dommages-inté-
rêts en appliquant la moitié du taux pour l'ensemble de cette
période. Par la suite, le taux de 16,5 % s'appliquera à cette
somme jusqu'au jugement.
Les frais de transport et de publicité s'élevant à 1 097 $ et
qui étaient dus à compter du 31 mars 1982, porteront intérêt au
taux de 8,25 % à compter de cette date jusqu'au jugement. J'ai
délibérément traité cette dernière somme, qui en fait représente
des dommages-intérêts spéciaux, sans appliquer le taux d'inté-
rêt intégral ni la méthode de calcul prévue aux paragraphes (3)
et (4) de l'article 36 de la Judicature Act de l'Ontario [R.S.O.
1980, chap. 223], précitée, parce que cette somme a été accep-
tée par les parties et qu'elle est minime compte tenu du
montant total des dommages-intérêts en cause.
La question qui se pose à présent a trait à
l'intérêt postérieur au jugement. L'article 40 de la
Loi sur la Cour fédérale dit à ce sujet:
40. A moins qu'il n'en soit autrement ordonné par la Cour,
un jugement, notamment un jugement contre la Couronne,
porte intérêt à compter du moment où le jugement est rendu au
taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.
L'article 3 de la Loi sur l'intérêt 5 dispose pour
sa part:
3. Sauf à l'égard des obligations qui existaient immédiate-
ment avant le 7 juillet 1900, chaque fois que de l'intérêt est
exigible par convention entre les parties ou en vertu de la loi, et
qu'il n'est pas fixé de taux en vertu de cette convention ni par la
loi, le taux de l'intérêt est de cinq pour cent par an.
Les tribunaux ont donné une interprétation libé-
rale à l'article 3. Dans l'arrêt Prince Albert Pulp
Co. Ltd. et autre c. The Foundation Company of
Canada, Ltd., [1977] 1 R.C.S. 200, la page 211,
le juge Martland a dit au nom de la Cour:
L'article 3 me paraît s'appliquer lorsque les parties à une
convention ont convenu du versement d'un intérêt sans en fixer
le taux, ou lorsque la loi porte qu'un intérêt sera versé sans
préciser le taux. Dans l'arrêt Toronto Railway [[1906] A.C.
117], on a statué qu'une cour peut accorder un intérêt lorsque
le paiement d'une juste dette a été indûment retenu et qu'il est
juste et équitable que le débiteur dédommage le créancier en lui
versant un intérêt [TRADUCTION] «à un taux qu'elle (la Cour)
juge convenable». Lorsque par jugement, une cour accorde un
intérêt conformément à ce principe, le taux qu'elle impose se
trouve fixé par la loi et c'est celle-ci qui le fixe. Dans ce cas,
l'article en question ne s'applique pas.
Le juge en chef Laskin, parlant au nom de la Cour
dans l'arrêt British Pacific Properties Ltd. c.
Minister of Highways and Public Works, [1980] 2
R.C.S. 283, aux pages 289-290; (1980), 33 N.R.
98, la page 104, a exprimé une opinion semblable
à celle-là:
A mon avis, rien ne justifie une distinction entre un intérêt
accordé à un taux spécifié par un juge de première instance en
vertu d'un pouvoir prévu par la loi et un intérêt accordé à un
taux spécifié par des arbitres qui fixent une indemnité d'expro-
priation conformément à un pouvoir prévu par la loi. Dans les
deux cas, l'intérêt est exigible en vertu de la loi et le taux est
fixé par la loi, ce qui permet d'échapper au taux limité prescrit
par l'art. 3 de la Loi sur l'intérêt. Qu'un intérêt soit versé
(comme par exemple à l'égard d'une indemnité ou d'une dette)
en vertu d'une loi qui prévoit elle-même le taux ou qui renvoie
la détermination de l'indemnité et du taux à un juge, à un
arbitre ou à un conseil d'arbitrage ou qui fournit une méthode
de calcul du taux, il reste que le taux découle de la loi et est par
conséquent fixé par la loi. J'estime qu'il faut donner une
interprétation large à l'expression «fixé par la loi» de manière à
englober la fixation d'un taux d'intérêt en vertu de la loi ou
conforme à ses dispositions lorsque le taux qui en découle lie
5 S.R.C. 1970, chap. 1-18.
toutes les parties en cause. A mon avis, l'art. 3 de la Loi sur
l'intérêt ne s'applique qu'en l'absence de dispositions dans une
loi applicable ou dans une convention et qu'aucun mécanisme
n'est prévu pour fixer le taux.
Il découle de ces arrêts que l'article 3 de la Loi
sur l'intérêt ne restreint pas les pouvoirs discré-
tionnaires conférés par les lois aux tribunaux rela-
tivement à l'intérêt couru après jugement. Consi-
dérant l'interprétation libérale donnée par la Cour
suprême à cette disposition, le fait qu'une Cour
créée par le gouvernement fédéral applique une loi
provinciale sur l'intérêt ne devrait rien y changer.
La conclusion qui précède décide de tout argument
fondé sur l'aspect constitutionnel de cette question.
On constate, en interprétant l'article 40 de la
Loi sur la Cour fédérale, que le libellé de cette
disposition même confère à la Cour un plein pou-
voir discrétionnaire relativement à l'intérêt couru
après jugement; il n'est point nécessaire d'avoir
recours à l'article 3 de la Loi sur l'intérêt s'il en est
«autrement ordonné par la Cour». Nous sommes
d'avis que le juge Addy a eu raison de dire, supra,
aux pages 401-402 C.F.; 319 C.P.R.:
À mon avis, l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale ne
s'applique que lorsque la Cour a choisi de ne pas fixer l'intérêt
postérieur au jugement. Lorsqu'elle a cependant décidé de le
faire, la cour peut alors appliquer le taux d'intérêt ordinaire
postérieur au jugement qui est en vigueur dans la province dont
les dispositions législatives déterminent l'assujettissement et elle
devrait normalement appliquer ce taux dans de tels cas à moins
qu'il n'existe des circonstances particulières qui permettraient
d'y déroger. Ce principe s'applique a fortiori lorsqu'il s'agit
d'un cas où la Cour fédérale et la cour appropriée d'une
province ont compétence concurrente pour connaître d'une
affaire, afin d'éviter, comme je l'ai déjà dit, que les règles de
fond applicables soient choisies en fonction du tribunal.
Le juge de première instance a donc, selon nous,
eu raison de se guider sur la loi provinciale perti-
nente, en l'espèce l'article 137 de la Loi sur les
tribunaux judiciaires, 1984, de l'Ontario, et a
correctement interprété cette Loi.
Bref, nous ne modifierions point le montant
adjugé par le juge de première instance en ce qui
regarde l'intérêt couru soit avant soit après le
jugement.
À la fin de l'audition du présent appel, l'avocat
de la défenderesse a présenté une demande visant
l'augmentation des frais et dépens entre parties. Il
a prétendu que, en vertu des dispositions de la
nouvelle Règle 344 6 (entrée en vigueur le 2 avril
1987 [DORS/87-221, art. 2]) relative à la taxa
tion, la Cour serait justifiée, dans les circonstances
de l'espèce, d'exercer la discrétion qui lui est con-
férée en ordonnant à l'officier taxateur d'accroître
de façon importante les montants précisés au tarif
B [DORS/87-221 art. 8] à l'égard de la prépara-
tion de l'audition devant la Cour d'appel (nouveau
tarif B—poste 1(1)h)) et à l'égard de l'audition
elle-même devant la Cour d'appel (nouveau tarif
B—poste 1(1)i)).
6 Règle 344. (1) La Cour a entière discrétion pour adjuger les
frais et dépens aux parties à une instance, pour en déterminer la
somme, pour les répartir et pour désigner les personnes qui
doivent les supporter.
(2) Les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre
elle.
(3) En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe
(1), la Cour peut tenir compte:
a) du résultat de l'instance;
b) des sommes réclamées et des sommes recouvrées;
c) de l'importance des questions en litige;
d) du partage de la responsabilité;
e) de toute confession de jugement faite en vertu de la règle
405 et de la somme y afférente;
J) de toute consignation d'argent à la Cour en vertu des
règles 441 et suivantes et du montant de cette consignation;
g) de toute offre de règlement présentée par écrit;
h) de toute offre de contribution, faite en vertu de la règle
1732, qui est portée à l'attention de la Cour par une partie
exerçant un droit réservé à cette fin;
i) de la charge de travail;
j) de la complexité des questions en litige;
k) de la conduite d'une partie qui aurait abrégé ou prolongé
inutilement la durée de l'instance;
1) de la dénégation d'un fait par une partie ou de sa
négligence ou son refus de l'admettre, lorsque ce fait aurait
dû être admis;
m) de la question de savoir si une procédure:
(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile, ou
(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou
avec trop de circonspection;
n) de la question de savoir si on devrait accorder plus d'un
mémoire de frais lorsque deux ou plusieurs parties sont
représentées par différents avocats ou lorsque, étant repré-
sentées par le même avocat, elles ont séparé leur défense sans
raison valable;
o) de la question de savoir si deux ou plusieurs parties
représentées par le même avocat ont engagé des instances
distinctes sans raison valable; et
p) de toute autre question pouvant influer sur la détermina-
tion des dépens.
À l'appui de sa demande, cet avocat a prétendu
que les alinéas a),b),c),e),i) et j) de la Règle
344(3) étaient pertinents au présent appel et que la
Cour trouvera justifiée, si elle examine les circons-
tances dont ils font état, une augmentation impor-
tante des montants alloués sous les postes 1(1)h) et
1(1)0 du nouveau tarif B mentionnés ci-haut.
L'avocat de la demanderesse, toutefois, a fait
référence aux dispositions de la Règle 346.1(2)
(également entrée en vigueur le 2 avril 1987
[DORS/87-221, art. 4]), qui est ainsi libellée:
Règle 346.1 .. .
(2) Les nouvelles règles sur la taxation ne s'appliquent pas
lorsque, dans les 90 jours suivant la date de leur entrée en
vigueur, une partie à une instance engagée avant cette date
dépose devant la Cour un avis portant que les dépens seront
déterminés sans tenir compte des nouvelles règles sur la
taxation.
Ainsi qu'il a déjà été noté, les nouvelles règles sur
la taxation sont entrées en vigueur le 2 avril 1987.
Le greffe de la Cour nous informe que l'avocat de
la demanderesse a déposé l'avis prévu à la Règle
346.1(2) précitée le 2 juin 1987. Cet avis ayant
clairement été déposé au cours de la période de
transition établie à la Règle 346.1(2) précitée, les
dépens en l'espèce doivent être déterminés sans
tenir compte des nouvelles Règles sur la taxation.
L'avocat de la défenderesse a toutefois égale-
ment prétendu que même les anciennes Règles sur
les dépens lui donnaient droit à des dépens accrus.
Selon nous, dans de telles circonstances, il y aurait
lieu de suivre les dispositions du paragraphe (7) de
la Règle 344 en vigueur avant le 2 avril 1987:
Règle 344. .. .
(7) Une partie peut
a) après le prononcé du jugement, dans le délai accordé par
la Règle 337(5) pour requérir la Cour d'examiner de nou-
veau le prononcé du jugement, ou
b) après que la Cour aura décidé du jugement à prononcer,
au moment où la requête pour l'obtention d'un jugement est
présentée,
que le jugement ait ou non réglé la question des dépens,
requérir la Cour de donner, au sujet des dépens, des directives
spéciales aux termes de la présente Règle, y compris une
directive visée au tarif B, et de statuer sur tout point relatif à
l'application de tout ou partie des dispositions de la Règle 346.
Une demande faite à la Cour d'appel en vertu du présent alinéa
doit être faite devant le juge en chef ou un juge désigné par lui,
mais l'une ou l'autre partie peut demander à un tribunal
composé d'au moins trois juges de la Cour d'examiner une
décision ainsi obtenue.
Considérant les dispositions de ce paragraphe,
nous ne voyons pas pourquoi la pratique normale
ne serait pas suivie dans le cadre du présent appel.
Selon cette pratique, la partie ayant eu gain de
cause, et avisée en ce sens, peut, dans les délais
prescrits à la Règle 337(5), solliciter des directives
spéciales à l'égard des dépens conformément aux
Règles 344(7) et 337(5).
Pour tous les motifs qui précèdent, l'appel de la
demanderesse devrait être rejeté avec dépens
tandis que l'appel incident interjeté par la défende-
resse devrait être accueilli avec dépens et le mon-
tant adjugé par l'arbitre devrait être rétabli et
assorti de l'intérêt adjugé par le juge de première
instance relativement à la période préalable et à la
période postérieure au jugement. En vertu de la
Règle 337(2)b), l'avocat de la défenderesse peut
préparer un projet de jugement approprié pour
donner effet aux conclusions tirées par la Cour en
l'espèce et demander que ce jugement soit
prononcé.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.