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T-2339-85
Garnet Clarence Weatherall (demandeur) c.
Procureur général du Canada, Solliciteur général du Canada et Commissaire aux services correc- tionnels (défendeurs)
T-2613-85
Philip Conway (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
T-2614-85
Richard Spearman (requérant) c.
Tribunal disciplinaire de l'établissement de Col- lins Bay, c'est-à-dire Peter Radley, et Procureur général du Canada (intimés)
RÉPERTORIÉ: WEATHERALL C. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
Division de première instance, juge Strayer — Kingston (Ontario), 8, 9, 10, 11 et 12 décembre 1986; Ottawa, 27 mars 1987.
Pénitenciers Gardiennes dans des pénitenciers réservés aux hommes Les gardiennes peuvent-elles légalement assister à des fouilles à nu, surveiller les unités résidentielles et effectuer des fouilles par palpation? Opposition entre les expectatives des détenus en matière de vie privée et l'égalité des chances en matière d'emploi pour les femmes dans le système carcéral.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Pénitenciers Les gardiennes peuvent-elles léga- lement assister à des fouilles à nu de détenus, participer à la surveillance des unités résidentielles et effectuer des fouilles par palpation L'art. 7 de la Charte ne s'applique pas, car il est impossible de conclure qu'il est destiné à viser les fouilles auxquelles l'art. 8 ne s'applique pas.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Fouilles, perquisitions ou saisies Illégalité du Règlement autorisant les fouilles à nu de détenus parce qu'il ne fixe pas de conditions préalables suffisamment objectives, notamment en ce qui concerne la présence de gar- diennes Les fouilles par palpation de détenus effectuées par des gardiennes ne contreviennent pas à l'art. 8 de la Charte parce qu'il s'agit d'une intrusion négligeable dans la vie privée, qui est contrebalancée par l'intérêt du public à ce que la sécurité soit sauvegardée et à ce que les femmes bénéficient de l'égalité des chances en matière d'emploi dans les pénitenciers Sauf dans les cas d'urgence, les gardiennes ne peuvent procéder, à l'improviste ou sans s'annoncer, à l'examen visuel des unités résidentielles des détenus.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Traitements ou peines cruels et inusités La fouille à nu de détenus effectuée en présence de gardiennes contrevient à l'art. 12, sauf dans les cas d'urgence.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité Le Règlement autorise les fouilles à nu de détenus en présence de gardiennes et permet à celles-ci d'effectuer des fouilles par palpation desdits détenus et de surveiller leur cellules, mais il interdit les fouilles de détenues par des gardiens Une telle inégalité de traitement n'est protégée par l'art. 15(2) de la Charte que dans la mesure les atteintes à la vie privée des détenus sont raisonnablement nécessaires pour le fonctionnement du programme d'action positive II n'est pas nécessaire aux fins de l'emploi d'avoir recours à des gardiennes dans des situations ne présentant aucun caractère d'urgence pour effectuer des fouilles à nu ou pour surveiller les cellules à l'improviste et sans s'annoncer L'art. 28 corrobore la conclusion d'invalidité, mais il n'a aucune vérita- ble incidence en l'espèce étant donné que les textes réglemen- taires et les pratiques suivies sont nuls en vertu des art. 8 et 15 de la Charte.
Droit constitutionnel Charte des droits Clause limita- tive La reconnaissance dans la Loi sur les droits de la personne et dans la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique du droit à l'égalité des chances en matière d'emploi ne consti- tue pas «une règle de droit [qui impose] des limites» au sens de l'art. 1 de la Charte Un tel droit ne peut être exercé sans tenir compte des droits des autres personnes Les disposi tions du Règlement et des Directives qui concernent les gar- diennes dans les pénitenciers réservés aux hommes sont invali- des en vertu des art. 8, 12 et 15 et le sont également en vertu de l'art. 1 Les Directives du commissaire ne constituent pas une «règle de droit», car elles ne créent pas de droits ni d'obligations reconnus par la loi.
Déclaration des droits Le recours dans les pénitenciers réservés aux hommes à des gardiennes pour effectuer des fouilles par palpation alors qu'on n'utilise pas de gardiens pour faire de telles fouilles dans les établissements réservés aux femmes ne constitue pas une atteinte au droit à l'égalité devant la loi Cette situation découle du programme d'ac- tion positive qui vise un objectif fédéral régulier La fouille par palpation constitue une intrusion négligeable dans la vie privée.
Le demandeur Weatherall, qui est détenu à l'établissement de Joyceville, a été fouillé à nu en présence d'une gardienne. Il ne s'agissait pas d'une situation d'urgence. Invoquant les arti cles 7, 8, 12 et 15 de la Charte, le demandeur cherche à obtenir un jugement déclaratoire portant que l'alinéa 41(2)c) du Règle- ment et l'article 14 de la Directive du commissaire, qui autori- sent une telle fouille, sont nuls. Le demandeur Conway, qui est détenu à l'établissement de Collins Bay, se plaint du fait que des gardiennes participent aux fouilles par palpation et à la surveillance des cellules, et il sollicite un jugement déclaratoire leur interdisant de le faire. Le requérant Spearman, qui est également détenu à l'établissement de Collins Bay, a été reconnu coupable d'avoir refusé de subir une fouille par palpa tion par une gardienne. Invoquant le droit à la protection de la vie privée ainsi que le droit à la protection contre la discrimina- tin fondée sur le sexe, il demande un bref de certiorari annulant sa déclaration de culpabilité.
Ces trois affaires concernent l'opposition existant entre les droits ou aspirations des détenus à bénéficier, dans la mesure du possible, des mêmes normes de protection de la vie privée que les personnes en liberté et ceux des femmes à l'égalité des chances en matière d'emploi dans le système carcéral fédéral.
Jugement: les demandes visant à obtenir des jugements déclaratoires sont accueillies en partie. La demande de certio- rari est rejetée.
L'article 7 de la Charte ne s'applique pas aux cas présents. 11 ne comporte pas un élément de fond plus large supposant l'existence d'un droit à la protection de la vie privée non visé par les articles 8 à 14 de la Charte. On ne peut affirmer que l'article 7 pose un principe général dont les articles 8 à 14 ne sont que des exemples.
L'article 8 exige que certaines conditions soient remplies pour qu'une fouille à nu puisse être effectuée. Ce genre de fouilles constitue, eu égard à la dignité humaine et: au droit à la protection de la vie privée, une atteinte qui exige que soient énoncés des critères indiquant les cas ces fouilles peuvent être effectuées; il faut préciser les circonstances les fouilles individuelles de routine, les fouilles générales exceptionnelles ainsi que les fouilles individuelles exceptionnelles sont justifiées. Il faut exiger que l'existence d'une cause raisonnable et proba ble soit démontrée à un fonctionnaire supérieur avant ou après toute fouille exceptionnelle. Le Règlement en vigueur au moment Weatherall a été fouillé ne satisfaisait pas à ces exigences. Permettre qu'une fouille soit effectuée lorsqu'un membre du personnel «considère une telle mesure raisonnable», comme le prévoit l'alinéa 41(2)c) du Règlement, équivaut à accorder une trop grande latitude. Et bien que les Directives du commissaire soient censées fixer certains critères pour les fouil- les à nu, elles n'ont pas force de loi et, par conséquent, elles ne constituent pas des exigences légales qui feraient du pouvoir de fouille prévu au Règlement un pouvoir raisonnable au sens de l'article 8 de la Charte. En outre, la Cour n'est pas disposée à interpréter l'alinéa 41(2)c) de façon à y ajouter les critères nécessaires.
Il reste à déterminer, relativement à l'article 8, si la manière de procéder à une fouille, par ailleurs légalement permise, est raisonnable, lorsqu'elle est effectuée par une personne de l'au- tre sexe. Dans la plupart des cas, le fait pour une personne de devoir, contre son gré, exposer son corps à la vue d'une per- sonne de l'autre sexe se trouvant à proximité va à l'encontre des normes de la décence et n'est pas justifié, même dans le contexte carcéral. À cet égard, le Règlement ne limite pas suffisamment le pouvoir d'effectuer des fouilles à nu. La pré- sence d'une personne de l'autre sexe au cours de fouilles à nu ne devrait être autorisée que dans les cas d'urgence.
Les fouilles par palpation de routine dont il est question en l'espèce ne portent pas atteinte aux droits garantis par l'article 8 de la Charte. Elles ne constituent qu'une intrusion négligeable dans la vie privée, qui est largement contrebalancée par l'intérêt du public à ce que la sécurité soit sauvegardée et à ce que les femmes bénéficient de l'égalité des chances en matière d'emploi dans les pénitenciers fédéraux. S'il était impossible pour les gardiennes d'effectuer ce genre de tâches, leur utilité et leurs chances d'avancement seraient grandement limitées.
Sauf en cas d'urgence, les gardiennes ne devraient pas pou- voir procéder, à l'improviste ou sans s'annoncer, à l'examen visuel des cellules occupées par les détenus.
Si on reconnaît que les fouilles à nu des détenus constitue un «traitement» au sens de l'article 12 de la Charte, ces fouilles, lorsqu'elles sont effectuées en présence de gardiennes dans des situations ne présentant aucun caractère d'urgence, contrevien- draient normalement au droit à la protection contre tous traite- ments ou peines cruels et inusités. En vertu de cet article également, l'alinéa 41(2)c) du Règlement confère aux membres du personnel des pouvoirs trop larges en ce qui concerne les fouilles à nu.
Conway et Weatherall invoquent les droits à l'égalité garan- tis par l'article 15 de la Charte en ce qui concerne les fouilles à nu, les fouilles par palpation et la surveillance des cellules. Il n'est pas possible de faire droit à une plainte fondée sur le paragraphe 15(1) en ce qui a trait aux fouilles par palpation parce que, dans un tel cas, l'ingérence dans la vie privée est négligeable. La fouille à nu par des gardiennes dans des situations ne présentant aucun caractère d'urgence ou la sur veillance à l'improviste des cellules par celles-ci ne constituent pas des tâches essentielles de leur emploi dans des pénitenciers réservés aux hommes. C'est dans cette mesure que l'inégalité découlant du programme d'action positive et de l'absence de gardiens effectuant les mêmes tâches dans les pénitenciers réservés aux femmes n'est pas protégée par le paragraphe 15(2). Par contre, les fouilles à nu effectuées d'urgence et la surveillance à intervalle fixe sont protégées par le paragraphe 15(2) de la Charte parce qu'elles sont raisonnablement néces- saires au programme d'action positive.
L'article 28 n'a aucune incidence véritable en l'espèce. Mais dans la mesure l'article 8 est violé par les fouilles à nu ou la surveillance des cellules effectuées par une personne de l'autre sexe dans le cas des détenus mais non des femmes détenues, il y a atteinte à l'article 28. Et bien que l'article 28 fournisse une protection supplémentaire, il n'a aucune utilité en l'espèce, car les textes réglementaires et les pratiques suivies sont déjà nuls en vertu des articles 8 et 15.
La reconnaissance dans la Loi sur les droits de la personne et dans la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique du droit à l'égalité des chances en matière d'emploi ne constitue pas une «règle de droit [qui impose] des limites» aux droits des détenus au sens de l'article 1 de la Charte. Les droits à l'égalité ne peuvent être exercés sans tenir compte des droits des autres personnes. Étant donné que les dispositions contestées du Règlement et des Directives ont été jugées invalides en vertu des articles 8, 12 et 15 de la Charte, elles sont également invalides en vertu de l'article 1, aucun autre élément permet- tant de démontrer leur justification n'ayant été fourni. En outre, les Directives du commissaire n'imposent pas des limites prévues dans une règle de droit: elles ne sont pas une «règle de droit» au sens de l'article 1 parce qu'elles ne créent pas de droits ni d'obligations reconnus par la loi.
Le recours, dans les pénitenciers réservés aux hommes, à des gardiennes pour effectuer des fouilles par palpation alors que de telles fouilles ne sont pas faites par des gardiens dans les établissements réservés aux femmes ne constitue pas une atteinte au droit à l'égalité devant la loi au sens de l'alinéa 1 b) de la Déclaration des droits. Cette situation découle d'un programme d'action positive qui vise un objectif fédéral régu- lier. De toute manière, la fouille par palpation ne constitue qu'une intrusion négligeable dans la vie privée que la Déclara- tion des droits n'est pas destinée à interdire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 8, 12, 15, 23, 24(1),(2), 28.
Charte de la langue française, L.R.Q. 1977, chap. C-11, art. 73.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen- dice III, art. lb).
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91.
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art 10.
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32.
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 41(2)c) (mod. par DORS/80-462), (3) (ajouté, idem).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 341A (ajoutée par DORS/79-57).
U.S. Constitution, Amend. IV.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
R. v. Institutional Head of Beaver Creek Correctional Camp, Ex p. MacCaud, [1969] 1 O.R. 373 (C.A.); Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, le juge Le Dain (dissident); Miller et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, le juge en chef Laskin (dissident); Gittens (In re), [1983] 1 C.F. 152 (1" inst.); Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350; La Reine c. Beauregard, [1986] 2 R.C.S. 56; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; Procureur général du Québec c. Quebec Association of Protestant School Boards et autres, [1984] 2 R.C.S. 66; Regina v. Noble (1984), 48 O.R. (2d) 643 (C.A.); Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; Grummett v. Rushen, 779 F.2d 491 (9th Cir. 1985); R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; Headley c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la Fonc- tion publique), [1987] 2 C.F. 235 (C.A.); Re Mitchell and the Queen (1984), 150 D.L.R. (3d) 449 (H.C. Ont.); Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118.
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. v. Rao (1984), 40 C.R. (3d) 1 (C.A. Ont.); Stanley et autres c. Gendarmerie royale du Canada, décision en date du 9 février 1987, Tribunal des droits de la personne, non encore publiée; Danch c. Nadon, [1978] 2 C.F. 484 (C.A.); Laroche c. Commissaire de la G.R.C. (1981), 39 N.R. 407 (C.A.F.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Re Maltby et al. and The Attorney-General of Saska- tchewan (1982), 143 D.L.R. (3d) 649 (B.R. Sask.), con- firmée par (1984), 13 C.C.C. (3d) 308 (C.A. Sask.); Soenen v. Dir. of Edmonton Remand Centre (1983), 35 C.R. (3d) 206; 3 D.L.R. (4th) 658 (B.R. Alb.); Bell v. Wolfish, 441 U.S. 520 (1979).
DECISIONS CITÉES:
Renvoi: Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373; R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; Résolution pour modifier la Constitution, Renvoi:, [1981] 1 R.C.S. 753; Smith v. Fairman, 678 F.2d 52 (7th Cir. 1982); R. v. Yellowquill, [1984] 12 W.C.B. 9 (B.R. Man.); Bagley et al. v. Watson et al., 579 F. Supp. 1099 (D. Oreg. 1983); Hudson v. Palmer, 82 L. Ed. (2d) 393 (U.S.S.Ct. 1984); Lanza v. New York, 370 U.S. 139 (N.Y.C.A. 1962); Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (procureur général), [1987] 2 C.F. 359 (C.A.); Shewchuk v. Ricard, [1986] 4 W.W.R. 289 (C.A.C.-B.).
DOCTRINE
Black's Law Dictionary, 5th ed, St. Paul, Minni.: West Publishing Co., 1979.
Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des questions juridiques. Sous-comité sur le régime d'institutions pénitentiaires au Canada. Rap port au Parlement. Ottawa: Ministre des Approvision- nements et Services Canada, 1977.
Canada. House of Commons. Standing Committee on Justice and Legal Affairs. Sub-Committee on the Peni tentiary System in Canada. Report to Parliament. Ottawa: Minister of Supply and Services Canada, 1977.
Gibson, Dale. The Law of the Charter: General Princi ples. Calgary: Carswell, 1986.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed. Toronto: Carswell, 1985.
McLeod et al. The Canadian Charter of Rights: the prosecution and defence of criminal and other statu tory offences, Vol. 2. Toronto: Carswell, 1983.
Romanow et al. Canada ... Notwithstanding Toronto: Carswell/Methuen, 1984.
AVOCATS:
Ronald R. Price, c.r. pour le demandeur Weatherall.
Fergus J. O'Connor pour le demandeur Conway et le requérant Spearman.
J. Grant Sinclair, c.r. et B. J. Saunders pour les défendeurs et les intimés.
PROCUREURS:
Faculty of Law, Queen's University, Kingston (Ontario), pour le demandeur Weatherall.
O'Connor, Ecclestone and Kaiser, Kingston (Ontario), pour le demandeur Conway et le requérant Spearman.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs et les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER:
FAITS
La Cour a ordonné que ces trois affaires soient instruites consécutivement, mais, après accord, elles ont été instruites ensemble parce que les points soulevés se chevauchent dans une large mesure. J'expose donc les motifs qui s'appliquent à toutes ces affaires. Dans les cas Weatherall et Conway, il s'agit de déterminer, par voie de juge- ments déclaratoires, la légalité de l'embauche de gardiennes dans les pénitenciers fédéraux en vue de fouiller les détenus de sexe masculin ou de surveiller leurs unités résidentielles. L'affaire Spearman porte sur une demande de certiorari qui concerne également la légalité de l'embauche de gardiennes pour effectuer des «fouilles par palpa tion» de prisonniers de sexe masculin. On a ordonné que cette demande soit inscrite sur le rôle en vue de l'examen des questions en litige.
LES FAITS
Pour comprendre l'historique de ces cas, il faut savoir qu'à une certaine époque, les femmes ne pouvaient d'aucune façon exercer les fonctions de gardiennes dans les institutions pénitentiaires fédé- rales pour hommes. En 1977, un comité parlemen- taire a recommandé que les femmes aient la possi- bilité d'occuper un tel emploi. À ce sujet, le rapport du Comité (Rapport au Parlement du sous-comité sur le régime d'institutions pénitentiai- res au Canada, Comité permanent de la justice et des questions juridiques, 1977), indiquait, aux pages 601 et 602:
Les employées
316. Quelques femmes travaillent déjà pour le Service cana- dien des pénitenciers et occupent des postes dans des institu tions se trouvent des délinquants du sexe masculin. La plupart d'entre elles occupent des postes dans les domaines du classement, de l'éducation, de la psychologie ou du travail de bureau. Cependant, aucune d'entre elles n'a accès à la gamme complète des possibilités de carrière offertes à leurs collègues masculins. Aux États-Unis, les hommes et les femmes remplis-
sent les mêmes fonctions correctionnelles, qu'il s'agisse de la détention, de la formation, de l'instruction dans les ateliers ou de la sécurité, y compris les fouilles à l'arrivée dans la prison (ces fouilles sont faites avec objectivité et sans gêne; elles ne font cependant pas les fouilles à «poil»). L'administration et la plupart des agents correctionnels masculins ont bien accepté cette nouvelle dimension qu'offre la présence des femmes tra- vaillant dans les établissements. Rien ne justifie que l'on empê- che les femmes faisant preuve de maturité et de stabilité de participer également à tous les aspects du Service des péniten- ciers. Les principaux avantages qu'en retirera le Service seront d'avoir de nouveaux talents et un milieu correctionnel plus sain.
Recommandation 17
Que les femmes et les hommes soient traités sur un pied d'égalité en ce qui concerne les emplois dans le Service canadien des pénitenciers. La sélection doit se faire de la même façon que pour les hommes pour garantir que les candidates ont l'aptitude, la maturité et la maîtrise person- nelle nécessaires au travail pénitentiaire.
Suite à un projet-pilote, une telle politique a été
instaurée en 1980 l'égard des institutions péni- tentiaires à sécurité minimale et à sécurité moyenne. En 1983, le gouvernement du Canada a adopté un programme d'action positive qui a eu pour effet d'établir des objectifs concernant l'em- ploi des femmes dans diverses catégories de servi ces correctionnels, et d'assurer leur admission à ces postes en restreignant l'embauche ou les mutations de candidats de sexe masculin. En ce qui a trait aux deux catégories en rapport avec ces cas, les CX-COF (les gardiens) et les CX-LUF (les agents d'unités résidentielles), le pourcentage visé de femmes occupant ces fonctions a été fixé à 19 % d'ici 1988. En date du 31 octobre 1986, selon des témoignages fournis au procès, 12,4 % de tous les agents correctionnels dans les établissements fédé- raux étaient des femmes. Dans les deux institu tions dont nous traitons ici, soit Collins Bay (Kingston) et Joyceville, voici le nombre et le pourcentage des femmes: Collins Bay, CX-COF, 21 (14,5 %); CX-LUF, 0 (0 %), parce qu'il n'y a pas d'«unités résidentielles» à Collins Bay; Joyce- ville, CX-COF, 13 (13,1 %); CX-LUF, 17 (26,6 %). Les témoignages indiquent qu'à de rares exceptions près, on s'attend à ce que ces agents de sexe féminin exercent les mêmes fonctions que des agents de sexe masculin et alternent régulièrement en étant affectés à des postes successifs d'agents. On peut également signaler qu'en avril 1984, les premières femmes ont été employées comme gar- diennes dans des institutions à sécurité maximale, bien que ce soit hors de propos en l'espèce. Les deux institutions en question sont des institutions à sécurité moyenne.
Il faut noter les plaintes particulières des déte- nus en question. En ce qui concerne Weatherall, il purge sa peine actuelle depuis 1974. Les événe- ments qui sont à l'origine de sa plainte se sont produits le 13 juin 1985, alors qu'il était à l'éta- blissement de Joyceville. Ce jour-là, il quittait l'aire des visites il venait de rencontrer son épouse, quand on lui a ordonné, comme à Benja- min Greco, autre détenu venant également de quit ter l'aire des visites, de passer dans une salle voisine pour y subir une fouille à nu. Cette fouille avait pour but de découvrir de la contrebande ayant pu être passée au cours de la visite. Il est prouvé qu'à cette époque, des agents soupçon- naient tort ou à raison, je n'ai pas à en décider) ce détenu d'être impliqué dans un trafic de drogue dans l'établissement. Trois agents—une femme, Josephine Hlywa, et deux hommes—se trouvaient dans la salle en compagnie des deux détenus. Il ressort de son témoignage que Weatherall a refusé d'être fouillé à nu en présence de Hlywa, que cette dernière a refusé de sortir, et que les deux autres gardiens ont refusé de lui demander de sortir. cet égard, le fait que ni Hlywa, ni un des autres agents présents n'ont été convoqués comme témoin par les défendeurs, est révélateur.) Les gardes de sexe masculin ont fouillé les deux détenus et leurs vêtements, et Hlywa est restée debout à un endroit d'où elle pouvait observer comme témoin; selon l'usage, les fouilles à nu de tout prisonnier sont effectuées par deux agents—l'un d'eux examine effectivement les vêtements et autres effets, l'autre agit comme témoin. Dans son témoignage, Wea- therall a déclaré qu'il a été fouillé à nu environ 300 fois à Joyceville, et que c'est la seule occasion il s'est trouvé en présence d'un agent de sexe fémi- nin. Le 18 juin, Weatherall a signé une «Formule de plainte du détenu» relativement à cette présence d'une gardienne au cours d'une fouille à nu. Il s'est fondé sur la Directive du Commissaire 800-2-07.1 relative aux fouilles, et particulièrement sur le paragraphe 14 de cette directive qui prévoit:
14. Toute fouille à nu doit être effectuée avec discrétion par un membre du même sexe, et habituellement en présence d'un témoin du même sexe. Dans les cas d'urgence, un détenu peut être fouillé par un membre du sexe opposé.
Il a soutenu qu'il n'y avait pas urgence et que, par conséquent, cette fouille était contraire aux règles. Il a reçu une réponse de J. S. Brazeau le 28 juin
1985. La plainte du détenu a été maintenue, mais on lui a fourni la réponse suivante:
[TRADUCTION] Je conviens qu'il n'y avait pas urgence, seul cas la directive du Commissaire permet à une gardienne d'effec- tuer une fouille à nu d'un détenu.
Il s'agit d'un incident malheureux, toutefois, le personnel chargé de la sécurité connaît bien maintenant la politique et cette situation ne devrait pas se reproduire.
Le 2 juillet 1985, Weatherall a signé une «Présen- tation d'un grief par un détenu» adressée au direc- teur de l'établissement de Joyceville dans laquelle il réitérait sa plainte et demandait quelles mesures seraient prises à cet égard. On a répondu au nom du directeur en citant «l'instruction divisionnaire 600-6-03.2»:
Lorsqu'une plainte écrite a été maintenue et que des mesures correctives ont été prises, un grief à ce même sujet est non recevable, étant donné que la question est considérée comme étant résolue.
Son grief a donc été rejeté. Weatherall déclare que cette expérience l'a grandement bouleversé. Ralph Serin, psychologue à Joyceville, affirme qu'il a rencontré Weatherall le 18 juin 1985, et que l'inci- dent a semblé susciter une vive colère chez ce dernier.
Dans la présente action, Weatherall tente d'ob- tenir un jugement déclarant que l'alinéa 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, modifié [par DORS/80-462], et le paragraphe 14 des Directives du Commissaire sont nuls. L'alinéa 41(2)c) porte:
41. ...
(2) ... un membre peut fouiller
c) un détenu ou des détenus, lorsqu'un membre considère une telle mesure raisonnable et nécessaire pour déceler la présence de contrebande ou pour assurer le bon ordre au sein d'une institution; ...
Le paragraphe 14 des Directives du Commissaire a déjà été cité. Selon les motifs allégués ces disposi tions sont contraires aux droits garantis par les articles 7, 8, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Le demandeur Conway purge actuellement une peine au pénitencier de Collins Bay il est détenu depuis 1982. Il ne se plaint d'aucun incident précis
mais plutôt de deux usages généralement répandus dans l'établissement, concernant l'exécution de certaines fonctions par des gardiennes. Ces fonc- tions, qui peuvent être également exercées par des gardiennes car celles-ci doivent occuper par roule- ment régulier tous les postes pour lesquels elles sont qualifiées, sont la «fouille par palpation» (c'est-à-dire la fouille d'un détenu entièrement vêtu, par le gardien qui palpe ses vêtements à la recherche de signes inhabituels pouvant révéler la présence d'une arme ou de contrebande), et l'en- trée à l'intérieur des unités résidentielles des déte- nus de sexe masculin pour effectuer les dénombre- ments réguliers des prisonniers (quatre fois par jour), «les rondes éclairs» (rondes de surveillance effectuées à peu près à toutes les heures mais irrégulièrement), et pour aller chercher les prison- niers dont la présence est exigée ailleurs, etc. En ce qui concerne la fouille par palpation, bien que Conway n'ait pas précisé ce qui l'importunait, il a dit que sa [TRADUCTION] «petite amie n'aime pas cela». Il n'avait aucune plainte personnelle à for- muler quant à la façon dont les gardiennes ont effectué les fouilles par palpation sur sa personne. Lorsqu'on lui a demandé si elles lui ont touché les parties génitales au cours de ces fouilles, il a répondu que non bien qu'il ait entendu des histoi- res à ce sujet. Il a expliqué, ce qui a été confirmé par bien d'autres témoignages, que les fouilles par palpation sont effectuées de façon routinière à de nombreux postes, partout dans ces établissements, et souvent par des femmes, car les gardiennes sont affectées sans discrimination à ces différents postes. Il est courant, par exemple, d'exiger une fouille par palpation de tous les détenus passant à certains endroits de l'établissement, lorsque par exemple ils entrent dans les secteurs administratif ou hospitalier, ou quittent la cuisine après y avoir travaillé.
En ce qui concerne la présence de gardiennes dans les secteurs de logement, la principale plainte de Conway portait sur le fait que des gardiennes, ont souvent l'occasion de regarder dans la cellule d'un détenu sans avertissement, et de voir des détenus déshabillés, ou occupés à des activités intimes telles que l'utilisation des toilettes. Il dit qu'une gardienne le voit assis aux toilettes en moyenne une à trois fois par année. Dans sa demande, Conway conclut, entre autres, aux redressements suivants:
[TRADUCTION] I. Un jugement déclarant qu'une fouille par palpation effectuée par des gardiennes sur des détenus de sexe masculin et impliquant un contact corporel dans des situations non urgentes, est illégale;
II. La présence de gardiennes ou leur affectation à des tâches qui leur permettraient normalement d'observer les détenus de sexe masculin dans les salles de toilette ou dans un endroit ils sont dévêtus, est illégale;
III. Sauf dans des situations d'urgence, les rondes effectuées par des gardiennes dans les unités résidentielles des prisonniers de sexe masculin sont illégales;
La déclaration ne précise pas pour quelles raisons ces diverses pratiques sont «illégales», bien qu'elle laisse supposer des inégalités entre la façon dont les détenus de sexe féminin et ceux du sexe mascu- lin sont traités dans les établissements fédéraux. Il est fait mention du paragraphe 13 de la Directive du Commissaire susmentionnée qui prévoit:
13. Conformément au paragraphe 10., aucune détenue ne doit être fouillée par palpation ou à nu, sauf par un membre du même sexe.
Cette directive va à l'encontre des paragraphes 11 et 14 qui permettent effectivement que des détenus du sexe masculin soient fouillés par palpation et, en cas d'urgence, fouillés à nu par un agent de sexe féminin. Il est aussi allégué que dans les établisse- ments fédéraux pour détenus de sexe féminin, les gardiens [TRADUCTION] «n'occupent que des postes reliés à la sécurité périmétrique». On semble donc alléguer un déni de justice.
Richard Spearman, qui a présenté une requête en certiorari, a commencé à purger sa peine actuelle en 1981, et il ne sera admissible à la libération conditionnelle qu'en 1992. Il était détenu au pénitencier de Collins Bay lors des événements en question. Le 20 février 1985, il s'est rendu dans le secteur administratif pour rencontrer son conseiller juridique, un étudiant en droit affecté au Queen's University Correctional Law Project. Il y a un poste de sécurité à l'entrée de ce secteur. Il a franchi un détecteur de métal qui, selon lui, n'a émis aucun son. Deux gardiennes étaient en service à cet endroit. L'une d'elles lui a demandé de se soumettre à une fouille par palpa tion. Il a plutôt franchi le détecteur de métal une deuxième fois, encore sans déclencher de son. La gardienne a persisté à vouloir effectuer une fouille par palpation. Spearman a demandé que la fouille soit effectuée par un gardien de sexe masculin. Après que des recherches eurent été faites, il a été
informé qu'aucun agent de sexe masculin n'était disponible. L'agent féminin lui a dit que s'il refu- sait de se soumettre à une fouille par palpation, il ne pourrait pas voir son avocat, et il a été renvoyé dans sa cellule. Il a donc été accusé par la gar- dienne d'avoir refusé de se conformer à un règle- ment carcéral. Le 27 mars 1985, il a comparu devant l'intimé Peter Radley, faisant fonction de tribunal disciplinaire et il a plaidé «coupable avec explication». Son explication a consisté à prétendre qu'il ne saurait être fouillé par palpation par une femme, qu'il était inutile dans les circonstances qu'une fouille soit effectuée, et que si elle devait l'être, un gardien de sexe masculin aurait s'en charger. Il a déclaré qu'il s'était senti blessé dans sa «fierté, sa dignité et son amour-propre». L'in- timé Radley, à titre de président du tribunal, a répondu que, quoiqu'en pense Spearman, l'ordre donné par une gardienne est légal et qu'il est obligé d'y obéir. Le président a expliqué qu'il s'agissait d'une politique gouvernementale visant à fournir une chance égale aux femmes d'agir comme agents dans les établissements correction- nels fédéraux, que ce soit pour des détenus de sexe masculin ou de sexe féminin. La pénalité imposée par le président a simplement consisté à «l'avertir et à le conseiller», ce qui représente la peine la plus clémente autorisée dans pareils cas. Par la suite, Spearman a déposé une demande de certiorari le 28 novembre 1985 pour faire annuler la condam- nation prononcée par le président Radley, pour le motif que le tribunal disciplinaire a commis une erreur de compétence en ne tenant pas compte du moyen de défense que constitue le droit à la vie privée, en omettant de considérer si l'ordre auquel Spearman a désobéi était légal et en négligeant de considérer comme un moyen de défense le droit d'être protégé contre la discrimination fondée sur le sexe.
QUESTIONS JURIDIQUES
Principes généraux
Ces cas concernent, à divers degrés, des conflits réels ou apparents entre les droits ou les aspira tions de deux catégories de personnes: ceux des prisonniers de bénéficier, dans la mesure cela n'est pas nécessairement incompatible avec leur situation de prisonniers, de normes en matière de protection de la vie privée et de décence publique équivalentes aux normes existant à l'extérieur des
prisons; et ceux des femmes d'avoir des chances égales d'emploi dans le système carcéral fédéral. Ce conflit provient de la grande disparité dans le nombre des personnes de chaque sexe condamnées à une peine dans les établissements correctionnels fédéraux, les détenus de sexe féminin ne repré- sentent qu'une infime minorité des personnes emprisonnées dans ces établissements. Je n'ai pas été saisi de la question de savoir si cette disparité reflète une certaine discrimination sexuelle en faveur des femmes, due au système pénal et je n'ai pas à examiner cette question. Il résulte toutefois de cette disparité que pour pouvoir bénéficier de chances importantes d'emploi comme gardiennes dans les prisons fédérales pour hommes, tel qu'il a été expliqué dans l'extrait du rapport du Comité parlementaire cité ci-dessus, les femmes doivent avoir la possibilité de faire essentiellement le même travail que les hommes.
En abordant ces questions, il faut se souvenir de la règle que la Cour suprême du Canada a entéri- née à la majorité dans l'affaire Solosky c. La Reine' et selon laquelle:
... une personne emprisonnée conserve tous ses droits civils autres que ceux dont elle a été expressément ou implicitement privée par la loi.
Les avocats des demandeurs et du requérant ont cité plusieurs articles de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que l'alinéa l b) de la Décla- ration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appen- dice III]. Comme ces cas soulèvent tous des pro- blèmes semblables concernant l'interprétation et l'application de ces dispositions, j'examinerai en premier lieu ce que je considère être leur interpré- tation appropriée en rapport avec les principales questions en litige et je me prononcerai ensuite sur les arguments de chacun des demandeurs et du requérant.
Article 7 de la Charte Cet article prévoit:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Les avocats des détenus soutiennent que l'on a porté atteinte à leur «sécurité» et ce, à l'encontre
' [1980] 1 R.C.S. 821, la p. 839, voir également R. v.
Institutional Head of Beaver Creek Correctional Camp, Ex p. MacCaud, [1969] 1 O.R. 373 (C.A.), aux p. 378 et 379.
des principes de justice fondamentale. Ils préten- dent que l'article 7 a un contenu plus étendu qui, aux fins de l'espèce, comprend le droit à l'intimité qui va au-delà de ces intérêts de la vie privée susceptibles d'être protégés par les articles 8 à 14 de la Charte. Pour appuyer cette proposition, l'avocat de Weatherall s'est fondé principalement sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada, rendu dans Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B. 2 Dans cette décision, le juge Lamer, au nom de cinq membres de la Cour, considère les rapports entre l'article 7 et les articles 8 à 14, et conclut que l'article 7 ne devrait pas être interprété plus étroi- tement que les articles qui le suivent. Il poursuit en disant:
Autrement dit, les art. 7 à 14 auraient pu être fondus en un seul article, en ajoutant, entre le texte de l'art. 7 et les autres articles, la disposition qu'on retrouve souvent dans nos lois «et, sans limiter la généralité de ce qui précède (l'art. 7), ce qui suit est réputé constituer une violation des droits de la personne visés au présent article*. Manifestement, certains de ces articles énoncent des principes qui vont au-delà de ce qu'on peut appeler de la «procédure*.
Si je comprends bien le fondement de cette affaire, personne ne peut être emprisonné à la suite d'un procès la preuve d'intention n'est pas établie, et le droit d'exiger une telle preuve est protégé par l'article 7. Les articles 8 à 14 sont silencieux sur ce point. Selon moi, la Cour suprême a voulu dire que le fait que ces articles ne traitent pas ce point n'empêche pas l'article 7 d'exiger la preuve de certains éléments tels que la mens rea. A mon avis, cette décision n'était pas fondée sur la conclusion que les articles 7 à 14 sont l'équivalent d'un article qui doit être interprété suivant l'hypothèse émise par le juge Lamer dans l'extrait susmentionné, et selon laquelle l'article 7 énonce un principe général dont les articles 8 à 14 ne sont que des exemples. S'il en était ainsi, je pourrais effectivement être tenu de présumer que l'article 7 renferme un droit plus étendu à la vie privée en ce qui a trait aux fouilles, droit qui dépasserait les dispositions parti- culières de l'article 8.
Je ne crois pas que le fondement du renvoi relatif à la Motor Vehicle Act de la C.-B. mène à cette conclusion, et je serais peu enclin à appuyer cette conclusion après consultation d'autres arrêts de la Cour suprême du Canada. Dans le premier de ces arrêts faisant référence à la Charte, Law
2 [1985] 2 R.C.S. 486, aux p. 502 et 503.
Society of Upper Canada c. Skapinker 3 , le juge Estey, au nom de la Cour, a cité les articles 7 à 14 en les considérant comme «huit articles dispara- tes». Cela laisse entendre que du point de vue de la Cour, ces articles traitent, à divers degrés, de sujets différents et les articles 8 à 14 ne sont pas de simples exemples d'un plus grand ensemble que constitue l'article 7. En effet, même quand deux dispositions différentes dont l'une est rédigée en termes généraux et l'autre en termes spécifiques figurent dans un même article de la Charte, les membres de la Cour ont refusé de traiter la dispo sition spécifique comme un exemple de la disposi tion générale. Dans l'affaire R. c. Therens 4 , la Cour devait examiner le rapport entre le paragra- phe 24(2) et le paragraphe 24(1). L'article 24 porte:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
L'une des questions soumises à la Cour était de savoir si le paragraphe 24(1) conférait un pouvoir plus général permettant d'écarter des éléments de preuve même lorsque les conditions particulières mentionnées au paragraphe 24(2) n'étaient pas remplies. Étant donné le caractère permissif du libellé du paragraphe 24(1), autorisant un tribunal à accorder «la réparation qu'il estime convenable», et considérant que le paragraphe 24(2) prévoit en termes impératifs que, dans les circonstances parti- culières qui y sont mentionnées, «ces éléments de preuve sont écartés», on pouvait très bien prétendre que, au-delà de l'obligation d'écarter les éléments de preuve prévue au paragraphe 24(2), le paragra- phe 24(1) accordait le pouvoir de le faire. Le juge Le Dain a déclaré:
Il est évident, à mon avis, qu'en faisant suivre du par. 24(2), qui prévoit expressément l'exclusion d'éléments de preuve, les dis positions générales du par. 24(1), les rédacteurs de la Charte ont voulu que ce redressement particulier soit régi entièrement par les termes du par. 24(2). Il n'est guère raisonnable de
' [1984] 1 R.C.S. 357, la p. 377. 4 [1985] 1 R.C.S. 613.
prêter à ces derniers l'intention de contraindre les cours saisies d'une demande d'exclusion d'éléments de preuve à appliquer deux critères, le premier étant de savoir si l'utilisation de ces éléments est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice et, le second, dans le cas d'une réponse négative, étant de savoir si leur exclusion est néanmoins convenable et juste eu égard aux circonstances. Il résulterait inévitablement de cet autre critère ou redressement que le par. 24(2) deviendrait lettre morte s .
Bien que cette déclaration fit partie d'un jugement dissident, les membres de la majorité ne l'ont pas rejetée mais ils ont jugé inutile de traiter expressé- ment cette question. Le juge McIntyre était du même avis que le juge Le Dain à cet égard 6 . Il ressort de leur raisonnement que lorsque des dispo sitions générales et des dispositions particulières coexistent dans un article, le tribunal doit éviter de considérer la disposition particulière simplement comme un exemple d'une disposition plus générale. Cela, comme on peut le constater, ressemble aux difficultés que le Comité judiciaire du Conseil privé et la Cour suprême du Canada ont eues en matière de partage des pouvoirs, lorsqu'il s'est agi d'attribuer au pouvoir accordé au Parlement, con- cernant la «paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada», termes qui figurent au début de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) annexe de la Loi constitu- tionnelle de 1982, 1)], un contenu plus étendu que celui des 31 rubriques énumérées dans cet article. Il faut se souvenir qu'entre l'expression attribuant un pouvoir visant la «paix, l'ordre et le bon gouvernement» et les rubriques énumérées, on trouve l'autre expression «sans toutefois restreindre la généralité des termes employés plus haut dans le présent article», termes semblables à ceux qui, selon l'hypothèse émise par le juge Lamer dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., auraient pu être utilisés pour réunir l'article 7 de la Charte aux sept articles suivants. Ces mots n'ont pas été repris dans la Charte, et même lorsqu'ils ont été utilisés à l'article 91 de la Loi constitutionnelle de
s Ibid., aux p. 647 et 648.
6 Dans une affaire subséquente, R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, le juge Lamer, à la p. 276, la majorité a confirmé que cette interprétation constituait la conclusion de la Cour dans l'arrêt Therens.
1867, ils n'ont pu permettre au Parlement d'exer- cer un pouvoir général sur «la paix, l'ordre et le bon gouvernement», sauf dans les situations d'urgence'.
Outre cette jurisprudence fondée sur une ana lyse des textes, des décisions de la Cour suprême soulignent l'importance de l'approche historique et téléologique. Comme la Cour l'a dit dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B.:
Il ne faut pas oublier que la décision historique d'enchâsser la Charte dans notre Constitution a été prise non pas par les tribunaux, mais par les représentants élus de la population canadienne. Ce sont ces représentants qui ont étendu la portée des décisions constitutionnelles et confié aux tribunaux cette responsabilité à la fois nouvelle et lourde'.
Cette «décision historique» est probablement perti- nente non seulement pour ce qui est de légitimer le contrôle judiciaire, mais aussi pour en déterminer la portée. Le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B. a réaffirmé la validité de cette approche «fondée sur l'objet» adoptée par la Cour dans des décisions antérieures concernant la Charte 9 , «qui vise à déterminer l'objet de la garantie accordée par l'article et à en interpréter le sens. Dans la cause Procureur général du Québec c. Quebec Association of Protestant School Boards et autres 10 , la Cour a pu déterminer l'objet de l'arti- cle 23 de la Charte en tenant compte de l'histori- que de la législation canadienne en matière linguis- tique. Elle a pu attribuer aux rédacteurs de la Charte l'intention d'outrepasser la «clause Québec», l'article 73 de la Charte de la langue française [L.R.Q. 1977, chap. C-11] du Québec. Un objet semblable a été attribué à l'article 23 de la Charte, de sorte qu'on ne pouvait pas sauver la loi provinciale en ayant recours à l'article 1 de la Charte canadienne. Il semble qu'on ait, en grande partie, pris connaissance d'office de cet historique de l'article 23. Il est maintenant bien connu, ce dont on peut prendre connaissance d'office, que
' Voir par ex. Renvoi: Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373; Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada (2° édition, Toronto: Carswell 1985), aux p. 371 et 372.
8 Voir note 2 à la p. 497.
9 Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295.
10 [1984] 2 R.C.S. 66, en particulier aux p. 79à 84.
lors de la rédaction de la Charte, de nombreux gouvernements provinciaux se sont opposés à toute version formulée en termes généraux de l'article 7 ou de son équivalent". Ce qui importe encore davantage aux fins des présentes, c'est que le 4 juillet 1980, le gouvernement du Canada a proposé aux gouvernements provinciaux un avant-projet de l'article 7 actuel. Ce projet contenait le passage suivant:
6. (1) Toute personne a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et a le droit de n'en être privée que par l'application régulière de la loi qui comprend nécessairement:
. (C'est moi qui souligne.)
Venaient ensuite tous ou presque tous les droits qui figurent dans les articles 8 à 14, avec, en plus:
b) le droit d'être protégé contre les immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée' 2 .
Les mots copulatifs que nous avons soulignés ci-dessus auraient fait en sorte que les termes figurant au début du paragraphe énoncent un prin- cipe général dont les droits particuliers n'étaient que des exemples, car le verbe «comprend» devrait normalement signifier «contenir». Cette formula tion n'a généralement pas été acceptée par les provinces et les avant-projets subséquents ont divisé les garanties juridiques en articles distincts, tels qu'ils se trouvent maintenant dans la Charte. Compte tenu de cet historique, il m'est difficile de conclure que c'était «l'intention» des rédacteurs de créer à l'article 7 un droit général qui devait «comprendre» tous les autres droits et qui est censé aller plus loin que les articles 8 à 14 en vue de garantir exactement, les mêmes droits qui sont protégés par ces articles. L'inclusion d'un droit spécifique à la vie privée ayant aussi été rejetée, il est douteux qu'on ait eu néanmoins l'intention d'inclure ce droit dans l'article 7.
Voir par ex. Romanow, Whyte, Leeson Canada ... Not withstanding Toronto: Carswell/Methuen, 1984, aux p. 245- 246. La nécessité de l'assentiment des provinces au changement constitutionnel dans le cadre de la convention constitutionnelle a été évidemment confirmée par la Cour suprême à la majorité dans Résolution pour modifier la Constitution, Renvoi:, [1981] R.C.S. 753, à la p. 909.
' 2 Pour connaître le texte de cette proposition et les textes subséquents, voir l'ouvrage de McLeod, Takach, Morton, Segal, intitulé The Canadian Charter of Rights: the prosecu tion and defence of criminal and other statutory offences, Vol. 2: Carswell, Toronto, 1983, aux p. A-128 et suivantes.
Considérant le texte, l'historique et l'intention manifeste de diviser ces articles, je dois présumer que de prime abord, chacun d'eux porte sur des sujets différents. Comme lorsqu'on interprète tout document des articles ou paragraphes distincts peuvent se chevaucher, il faut chercher un moyen de les lire ensemble afin que les deux puissent avoir une certaine signification, comme l'a fait le juge Le Dain dans l'arrêt Therens au sujet des paragraphes 24(1) et (2) de la Charte ' 3 . Ainsi, en lisant les articles 7 et 8 ensemble, je ne présume- rais pas que, parce que l'article 8 protège toute personne contre «les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives», l'article 7 constitue néanmoins une protection par exemple contre «les fouilles ou saisies raisonnables»; et en lisant les articles 7 et 12 ensemble, je ne présumerais pas que, parce que l'article 12 interdit «tous traitements ou peine cruels et inusités», l'article 7 interdit néanmoins [TRADUCTION] «les traitements ou peines usuels et humanitaires». De telles présomptions rendraient les articles 8 et 12 vides de sens. Comme l'a dit le juge Le Dain dans l'arrêt Therens, en rejetant l'argument selon lequel le paragraphe 24(1) per- mettait d'exclure les éléments de preuve dans toute affaire appropriée, même lorsque les exigences du paragraphe 24(2) n'ont pas été remplies:
Les rédacteurs de la Charte n'ont pu vouloir que la restriction explicite et délibérément adoptée qu'impose le par. 24(2) au pouvoir d'écarter des éléments de preuve en raison d'une atteinte à un droit ou à une liberté garantis soit ainsi minée ou contournée 14 .
Il me semble donc qu'il n'existe pas de formule simple pour établir un rapport entre l'article 7 et les articles 8 à 14. Il faut plutôt, dans chaque cas, examiner l'article 7 et les autres articles qui sem- blent pertinents, et tenter de donner à chacun d'eux un sens différent 15 . Il se peut que dans certains cas, l'article 7 offre certaines garanties en matière de procédure quant à la façon dont d'au- tres garanties juridiques peuvent être violées. Il se peut que l'article 7 supplée aux autres garanties juridiques par d'autres moyens. Cela dépend beau
" Voir note 4.
14 Ibid., à la p. 648.
15 La Cour suprême a déjà suivi cette méthode en interpré- tant la Charte: Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, aux p. 365 et 366; et en interprétant des questions constitutionnelles de façon générale: La Reine c. Beauregard, [1986] 2 R.C.S. 56, aux p. 80 et 81.
coup de la formulation choisie par les rédacteurs à l'égard de chaque garantie juridique.
Pour ce qui est des cas qui me sont soumis, j'estime que chacun d'eux comporte une «fouille ou perquisition». Le Black's Law Dictionary, 5e édi- tion (1979) définit la «fouille ou perquisition» (search) comme:
[TRADUCTION] une inspection de la maison ou d'autres immeu- bles ou locaux d'un homme ou de sa personne ... en vue de trouver de la contrebande ou des biens illicites ou volés, ou des preuves de culpabilité devant servir à une poursuite criminelle pour un crime ou une infraction dont il est accusé.
Il faut noter que cette définition vise les fouilles des lieux et des personnes 16 . Certes, il s'agit sim- plement de la recherche de preuves de culpabilité en vue de poursuites judiciaires, mais je crois que cela s'applique également aux fouilles dont il est ici question. En partie, bien sûr, les inspections en l'espèce visent à déceler des choses ou des activités interdites par les règles de la prison et à l'égard desquelles des accusations disciplinaires peuvent être portées. Elles ont en partie pour objet d'assu- rer la garde des détenus en toute sécurité et con- formément à la loi. Tout cela comporte l'examen obligatoire, par des fonctionnaires, de locaux, de personnes et d'activités dans le but de faire obser ver la loi et à mon avis, ce sont des «fouilles».
L'article 8 de la Charte traite de «fouilles, per- quisitions ou saisies». Cet article contient aussi son propre modificateur en interdisant seulement les fouilles, perquisitions ou saisies «abusives». Dans l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc." la Cour suprême, a statué que pour savoir ce qui est «abusif», il faut examiner les intérêts respectifs des particuliers et de l'État, examen qui peut conduire à certaines conclusions quant aux motifs et procé- dures permis pour la conduite des fouilles. En l'espèce, je n'arrive pas, comme la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Regina v. Noble'$, à voir comment les fouilles en question pourraient être interdites par l'article 7 si elles sont conformes aux exigences de l'article 8.
16 On a présumé dans l'affaire Collins que les fouilles de la personne sont couvertes par l'article 8 de la Charte, voir note 6.
17 Voir note 9.
1 " (1984), 48 O.R. (2d) 643 (C.A.), à la p. 659. Voir aussi R.
v. Yellowquill, [1984] 12 W.C.B. 9 (B.R. Man.).
En tirant cette conclusion, j'affirme simplement que j'accepte d'emblée la thèse des avocats selon laquelle les fouilles d'une personne ou de son lieu de résidence, dans des circonstances qui consti tuent une atteinte à sa vie privée normale, sont une violation de sa «sécurité» et peuvent par conséquent être visées par l'article 7. Mais en lisant les articles 7 et 8 ensemble, je ne puis conclure que les rédac- teurs ont voulu interdire, à l'article 7, des fouilles de cette nature qui ne seraient pas interdites par l'article 8. Il est tentant d'accepter les arguments énoncés au nom des détenus et selon lesquels il existe un droit abstrait à «la vie privée» qui doit bien être protégé quelque part dans la Charte. Mais ce qui fait l'objet du présent litige, c'est une forme particulière d'intrusion dans la vie privée, soit lorsque des gardiens procèdent à des fouilles en vue d'assurer la sécurité dans les prisons. Les demandeurs et le requérant n'ont pas vraiment contesté la nécessité des fouilles corporelles et de la surveillance des cellules. Il n'est pas ici question d'intrusions suscitées par simple curiosité ou par un excès de zèle ou d'autorité. Il s'agit plutôt d'inspections réfléchies de personnes et de lieux faites dans l'intérêt de la sécurité, et à mon avis, ces actes doivent être interprétés comme une «fouille» suivant le sens précis que les rédacteurs de la Charte ont donné à ce terme en formulant l'article 8. Certes, comme il a été décidé dans l'affaire Hunter, c'est une forme particulière de droit à la vie privée que l'article 8 reconnaît et protège contre une forme particulière d'intrusion. Un système établi permet de vérifier cette forme particulière d'intrusion et j'en déduis que les autres vérifications, fondées sur la Charte, sont à rejeter.
Je considère par conséquent que l'article 7 ne s'applique pas à ces cas.
Article 8 de la Charte
Weatherall cite l'article 8 pour attaquer le Règlement et les directives du commissaire, parce qu'ils n'imposent pas de conditions préalables pour les fouilles à nu (comme par exemple une raison probable de croire que le détenu en question trans- porte une chose interdite, et une autorisation préa- lable); et parce qu'ils sont appliqués de façon abusive, étant donné qu'ils n'interdisent pas adé- quatement ou complètement la fouille à nu d'un détenu mâle en la présence d'une gardienne. L'avocat de Conway et de Spearman ne s'est pas
beaucoup appuyé sur l'article 8, mais il l'a cité pour étayer son argument fondé sur l'article 7 au
sujet du droit à la vie privée. Comme je l'ai déjà dit, à mon avis, la seule protection pertinente de la vie privée en l'espèce est celle que donne l'article 8, protection sur laquelle Conway et Spearman pour- raient s'appuyer pour faire déclarer les fouilles «illégales». Si je comprends bien les actes de procé- dure et autres documents déposés dans ces deux affaires, le demandeur Conway et le requérant Spearman ne contestent pas les conditions préala- bles énoncées dans le Règlement et dans les direc tives du commissaire pour permettre les fouilles par palpation ou la surveillance des cellules. Ils soutiennent plutôt que ces fouilles sont faites de façon abusive si elles [TRADUCTION] «sont effec- tuées par une personne du sexe opposé (cross -gen der)», c'est-à-dire lorsqu'une gardienne fouille un détenu du sexe masculin ou examine sa cellule. (Pour fins de commodité, j'adopte, sans égard à l'étymologie, l'emploi que font les parties, dans la version anglaise, du mot «gender» pour désigner le «sexe» dans ce contexte.) Par conséquent, je n'ai besoin de considérer la pertinence des conditions préalables que par rapport aux fouilles à nu.
J'estime que les exigences de l'article 8 sont fixées de façon définitive par un extrait d'un arrêt récent de la Cour suprême, R. c. Collins 19 .
Une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas été effectuée d'une manière abusive.
a) Conditions préalables des fouilles
J'examinerai d'abord la question des conditions préalables pour la conduite d'une fouille à nu, dont a fait mention Weatherall en rapport avec l'article 8. Cette question a trait aux dispositions habilitan- tes et au caractère raisonnable de la loi sur laquelle on se fondait pour procéder à une telle fouille. L'avocat de Weatherall soutient que pour qu'une fouille soit «raisonnable» dans l'optique de l'article 8 de la Charte [TRADUCTION] «il doit y avoir un motif réel et raisonnable de croire que des raisons existent qui justifieraient une fouille ou une saisie pour une fin permise par la loi.» À l'appui de
19 Voir note 6, juge Lamer, à la p. 278.
son argument, il cite une décision de la Cour d'appel de l'Ontario R. v. Rao 20 . Pour ce qui est de l'autorisation préalable, il soutient, en se fondant sur l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc. 21 , «qu'une perquisition sans mandat est à première vue abusive»: il a donc prétendu qu'il devrait y avoir une «autorisation préalable» pour la fouille à nu de tout détenu, mais sans préciser si cette autorisation devait provenir d'un tribunal, sous la forme d'un mandat, ou d'un agent principal de l'établissement. D'après l'argumentation, il semble qu'on envisageait en fait l'autorisation préalable d'un agent principal.
J'ai examiné les affaires invoquées par l'avocat et je ne suis pas convaincu qu'elles constituent une autorité sur laquelle on se peut fonder pour exiger de façon absolue des conditions préalables dans le contexte de la fouille à nu de détenus. Pour ce qui est de l'exigence de motifs probables et raisonna- bles de procéder à une fouille, il a été dit dans l'affaire Rao, que si l'article en question devait être interprété de façon à autoriser une fouille sans mandat:
[TRADUCTION] sans exiger une raison de croire en l'existence de motifs raisonnables de faire la fouille, celle-ci serait, à première vue clairement abusive et par conséquent inconstitutionnelle 22.
Il convient cependant de noter qu'il s'agissait d'une opinion incidente émise dans le contexte d'une cause concernant la perquisition sans mandat d'un bureau. Le tribunal a assimilé [TRA- DUCTION] «l'expectative légitime en matière de vie privée» dans le cas d'un bureau à celle qui existe dans le cas du foyer d'une personne 23 . Pour ce qui est de l'exigence d'une autorisation préalable, on a fait remarquer, dans l'arrêt Rao, qu'il pourrait y avoir des circonstances même la perquisition d'un bureau sans mandat serait raisonnable, et on a aussi fait une distinction entre la fouille d'un endroit fixe (où il est ordinairement possible d'ob- tenir un mandat à temps) et la fouille d'objets mobiles tels que véhicules, navires et avions 24. Dans l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc., qui portait également sur la fouille d'un bureau, la
20 (1984), 40 C.R. (3d) 1 (C.A. Ont.), spécialement aux p. 15 et 16.
21 Voir note 9.
22 Voir note 20.
23 Ibid., à la p. 32.
24 Ibid., à la p. 35.
Cour suprême a statué que la fouille était abusive parce que l'autorisation préalable n'était pas adé- quate, mais elle a aussi reconnu qu'une autorisa- tion préalable n'était pas une exigence absolue. Tout d'abord, la Cour a souligné que la garantie donnée par l'article 8 contre les fouilles ou saisies abusives, ne vise qu'une attente raisonnable. Elle a dit que dans une situation donnée, il faut détermi- ner si le droit d'un particulier de ne pas être importuné doit céder le pas au droit du gouverne- ment de s'immiscer dans sa vie privée. La Cour a en outre reconnu qu'il «n'est peut-être pas raison- nable dans tous les cas d'insister sur l'autorisation préalable» mais «qu'une telle autorisation, lors- qu'elle peut être obtenue, est une condition préala- ble de la validité d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie» 25 . Il y a donc un élément de relativité dont il faut tenir compte dans toute décision portant, comme en l'espèce, sur les condi tions préalables d'une fouille à nu d'un détenu dans un établissement correctionnel.
Je suis convaincu que les fouilles de détenus n'exigent pas de mandats. Les prisonniers sont mobiles et les témoignages de gardiens de prisons ont montré qu'après un laps de temps appréciable, ou avec le déplacement de détenus, même sous surveillance, ceux-ci arrivent souvent à se départir de contrebande. Cela fait ressortir l'urgence de ces fouilles. En outre, il n'est pas raisonnable d'établir un parallèle entre la vie privée recherchée dans une maison ou un bureau avec celle à laquelle on peut s'attendre dans une prison.
Selon certains arrêts de jurisprudence cana- diens, des fouilles à nu, faites dans des centres de détention provisoire, sans autorisation spéciale préalable ou sans motif raisonnable et probable de croire que la personne fouillée transporte des choses interdites ne violent pas l'article 8. Dans l'affaire Re Maltby et al. and The Attorney - General of Saskatchewan et a1. 26 , le tribunal a confirmé la validité des fouilles à nu de routine après des «visites-contacts» (c'est-à-dire des visites comme celle que Weatherall a reçue et il n'existait aucune barrière physique empêchant un
25 Voir note 9, à la p. 161.
26 (1982), 143 D.L.R. (3d) 649 (B.R. Sask.), confirmée par (1984), 13 C.C.C. (3d) 308 (C.A. Sask.).
visiteur de passer des choses à un détenu). Dans l'affaire Soenen v. Dir. of Edmonton Remand Centre 27 , le tribunal a décidé que les fouilles à nu faites dans un centre de détention provisoire et comportant un examen visuel de la région rectale ne violaient pas l'article 8, [TRADUCTION] «pourvu que la fouille visuelle soit faite de bonne foi à la recherche d'armes ou de contrebande, et non dans le but de punir», même en l'absence de motifs raisonnables et probables de croire que le prison- nier examiné cachait un tel objet sur sa personne. Ces fouilles sont effectuées apparemment assez couramment lorsque les gardiens sont à la recher- che d'objets disparus qui pourraient servir à la fabrication d'armes.
Il existe aussi des causes de jurisprudence amé- ricaine disant clairement que des fouilles sembla- bles dans les prisons ne violent pas le Quatrième Amendement qui prévoit que:
[TRADUCTION] le droit des citoyens d'être garantis dans leurs personnes, domiciles, papiers et effets, contre des perquisitions et saisies abusives ne sera pas violé ...
Dans l'arrêt faisant autorité, Bell v. Wolfish 28 , la Cour suprême des États-Unis a confirmé la vali- dité des fouilles à nu comportant une inspection visuelle des orifices du corps, effectuées de façon courante dans un centre de détention provisoire après chaque visite-contact. La Cour semble avoir accordé beaucoup d'importance aux problèmes de sécurité dans un centre de détention ou les détenus attendent leur procès. Elle a aussi reconnu que même s'il n'y a eu qu'un seul cas un détenu a essayé de faire de la contrebande dans l'établisse- ment, cela tendait à prouver l'efficacité des fouilles comme moyen de dissuasion. La Cour semble avoir admis la dissuasion pour justifier les fouilles et, bien sûr, cela élimine implicitement la nécessité d'un motif raisonnable et probable de soupçonner qu'un prisonnier fouillé cache de la contrebande.
Sans doute y a-t-il certaines différences entre ce qui est justifiable dans un centre de détention provisoire et dans les cas d'une longue peine d'em- prisonnement, mais la preuve me convainc qu'un détenu condamné ne peut pas raisonnablement s'attendre à ce qu'on respecte sa vie privée, lors de fouilles corporelles, ce que toute autre personne
27 (1983), 35 C.R. (3d) 206, la p. 223; 3 D.L.R. (4th) 658
(B.R. Alb.)., à la p. 673.
2' 441 U.S. 520 (1979), aux p. 558à 560.
peut normalement espérer: c'est-à-dire que l'une des restrictions à ses droits normaux, qui découle implicitement de sa condamnation et de son empri- sonnement, fait en sorte qu'il doit se soumettre à des fouilles sur sa personne pour assurer la sécurité et le bon ordre de l'établissement et de ses détenus. Ces fouilles devraient néanmoins être l'objet d'un certain contrôle afin qu'elles soient vraiment utili sées pour les fins qui justifient cette atteinte aux droits normalement reconnus à toute personne. J'ai conclu que si on peut admettre des fouilles à nu de routine sans qu'il soit nécessaire d'obtenir au préa- lable une autorisation spécifique, et sans qu'il soit nécessaire de fournir un motif raisonnable et pro bable de soupçonner que le détenu fouillé pourrait dissimuler quelque objet interdit, les circonstances dans lesquelles ces fouilles de routine sont autori- sées devraient être prévues par règlement. Il faudra adopter des règles raisonnables pour définir les situations où, en raison de la probabilité ou de la possibilité qu'il y ait dissimulation de contre- bande, ou bien en raison du besoin de décourager la contrebande, une fouille à nu de routine est justifiée dans l'intérêt public. Pour ce qui est des fouilles non courantes, je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas aussi des règles juridiques régissant ces situations. Il pourrait y avoir, par exemple, une règle prévoyant que, lorsque survient un problème urgent et précis de sécurité ou d'action coercitive, tous les détenus ou certains d'entre eux peuvent faire l'objet d'une fouille à nu générale. Cela pour- rait arriver, par exemple, quand un détenu a été poignardé dans un pavillon cellulaire et qu'il est jugé nécessaire de procéder à une fouille à nu de tous les détenus de ce pavillon pour trouver l'arme du crime. Mais quand, mises à part ces fouilles à nu générales ou de routine, certains détenus en particulier doivent être fouillés à nu, il devrait y avoir une règle obligeant ceux qui font cette fouille à avoir un motif raisonnable et probable de croire que le détenu en question cache des choses interdi- tes sur sa personne. Lorsque le temps ou les cir- constances ne permettent pas à ceux qui mènent une fouille non courante d'obtenir l'autorisation d'un agent principal, il faudrait que cet agent procède à un examen des cas après le fait. Les témoignages concernant les examens effectués après les fouilles à Joyceville ne me portent pas à croire qu'ils pouvaient contribuer efficacement à empêcher les fouilles injustifiées.
Bref, à mon avis, les fouilles à nu (mais non les fouilles par palpation) constituent une telle atteinte à la dignité humaine et à la vie privée, qu'il devrait y avoir des critères régissant leur utilisation: ces critères devraient définir les cir- constances les fouilles individuelles de routine, les fouilles générales non courantes et les fouilles individuelles non courantes sont justifiées; et ils devraient prévoir qu'il faudrait prouver à un agent principal, avant ou après les fouilles non courantes, qu'il existe un motif raisonnable et probable de procéder à de telles fouilles. Les Règles en vigueur au moment de la fouille de Weatherall ne répon- dent pas, de toute évidence, à ces exigences. L'ali- néa 41(2)c) du Règlement sur le service des péni- tenciers prévoit:
41....
(2) Sous réserve du paragraphe (3), un membre peut fouiller
c) un détenu ou des détenus, lorsqu'un membre considère une telle mesure raisonnable et nécessaire pour déceler la présence de contrebande ou pour assurer le bon ordre au sein d'une institution; ... [C'est moi qui souligne.]
Pour des raisons que j'examinerai en détail plus tard, j'estime que cette disposition est détermi- nante, car elle seule a force de loi et la légalité de toute fouille devra être vérifiée à la lumière de ladite disposition et non des directives du commis- saire. Ce règlement n'établit pas une condition préalable assez objective pour toute fouille. Il vise à autoriser une fouille quand un «membre (du personnel) considère une telle mesure raisonnable et nécessaire» pour déceler de la contrebande ou pour maintenir le bon ordre. Pour les raisons sus- mentionnées, je pense que les règles doivent être plus précises.
La situation pourrait toujours s'expliquer, au moins en partie, si le règlement avait adopté par référence des critères comme ceux qui sont prévus dans les directives du commissaire, mais tel n'est pas le cas. La directive du commissaire 800-2-07.1 applicable à l'époque en question prévoit:
12. Sous réserve du paragraphe 10., tout détenu peut être soumis à une fouille à nu par un membre:
a. immédiatement avant de quitter l'établissement et à son retour;
b. immédiatement avant d'entrer dans l'aire ouverte des visites d'un établissement et au moment de la quitter;
c. au moment de quitter un secteur d'isolement et d'y entrer, sauf s'il vient d'être fouillé en vertu du paragra- phe b. ci-dessus et,
d. au moment de quitter un secteur de travail.
À mon sens, le paragraphe b. de cet article vise la situation dans laquelle Weatherall s'est trouvé, alors qu'il quittait une aire ouverte des visites. Mais comme les directives ne peuvent être considé- rées comme ayant force de loi, elles ne constituent pas des exigences légales grâce auxquelles le pou- voir d'effectuer une fouille prévu dans le Règle- ment aurait un caractère raisonnable au sens de l'article 8 de la Charte. Cela ne concerne pas l'application possible de l'article 1 de la Charte. Comme l'a affirmé la Cour suprême dans l'arrêt Hunier et autres c. Southam Inc. 29 , «il n'appar- tient pas aux tribunaux d'ajouter les détails qui rendent constitutionnelles les lacunes législatives». La Cour a refusé, dans ce cas, de donner une interprétation large ou atténuée aux dispositions de la loi de façon à établir des critères implicites que le législateur n'avait pas lui-même prévus à l'égard des fouilles effectuées en vertu de l'article 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les coali tions [S.R.C. 1970, chap. C-23]. Je ne suis pas non plus disposé à conclure que l'alinéa 41(2)c) du Règlement fournit les critères nécessaires. On peut aussi remarquer que l'article 12 des directives du commissaire ne dit rien sur la question des critères pour les fouilles à nu qui ne sont pas de la nature de celle qui y est décrite.
b) Manière d'effectuer une fouille
L'autre question à examiner dans le cadre de l'article 8 est celle du caractère raisonnable de la façon dont se fait une fouille par ailleurs dûment autorisée. Dans chacun des trois cas, la question est de savoir si les fouilles d'un détenu par une «personne de sexe différent» sont raisonnables. Les trois cas comportent une fouille de la personne et dans l'affaire Conway, il y a également eu une «perquisition», par surveillance, de cellules occu- pées.
J'accepte, comme on l'a noté dans l'affaire Collins", que pour qu'une fouille soit «raisonna- ble», elle doit non seulement se fonder sur l'exis- tence de conditions préalables, mais elle doit aussi être effectuée d'une manière raisonnable. Le caractère raisonnable de l'exécution comprend, à
29 Voir note 9, à la p. 169.
J 0 Voir note 6; voir aussi R. v. Rao, note 20, la p. 15.
mon avis, le respect des règles normales de la décence dans la mesure cela est normalement permis par les restrictions qui découlent implicite- ment de la situation.
L'avocat ne m'a signalé aucune décision judi- ciaire canadienne au sujet des fouilles de détenus ou de la surveillance de leur cellule par une «per- sonne de l'autre sexe». On a cité la décision rendue le 9 février 1987, par le Tribunal des droits de la personne, établi en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne [S.C. 1976-77, chap. 33], dans l'affaire Stanley et autres c. Gendarmerie royale du Canada. Le président de ce tribunal a estimé que la GRC était fondée à refuser de confier à des femmes la garde des cellules les inculpés sont incarcérés temporairement avant de subir leur procès. Il a statué que la condition imposée par la GRC, selon laquelle ces gardiens doivent être du même sexe que leurs prisonniers, est une exigence professionnelle raisonnable et que par conséquent, la GRC n'était pas coupable de discrimination en refusant d'employer des femmes dans ces établissements. Le président du tribunal a considéré cette exigence comme une protection légitime de la [TRADUCTION] «vie privée des déte- nus». De toute façon, cette décision ne lie pas cette Cour, et bien entendu, elle touche des points de terminologie qui se rapportent à la Loi canadienne sur les droits de la personne, et non à la Charte. En outre, comme le président l'a expressément reconnu, ses conclusions ne sont pas forcément applicables à d'autres genres d'établissements. Dans cette affaire, on a fortement insisté sur les problèmes de sécurité posés par ces lieux de déten- tion provisoire, notamment les tendances au sui cide chez les personnes qui viennent d'être arrê- tées. Ces cellules sont évidemment différentes, à bien des égards, des cellules des prisons fédérales sont incarcérés les détenus condamnés à deux ans d'emprisonnement ou plus, il y a des rap ports suivis entre le personnel et les détenus, et où, par exemple, on peut très facilement déceler les tendances suicidaires de certains détenus.
Dans une décision américaine au moins, l'affaire Grummett v. Rushen 31 , la Cour d'appel des États- Unis, 9e Circuit, a décidé qu'à San Quentin, l'une des deux prisons à sécurité maximale de la Califor-
31 779 F.2d 491 (9th Cir. 1985), à la p. 496.
nie, en 1985, quelque 113 des 720 agents correctionnels étaient des femmes, les très rares cas d'urgence des gardiennes ont observé les fouilles à nu de prisonniers ne violent pas les droits des détenus à la protection contre «les fouilles abusives» accordée par le Quatrième Amendement.
Il est évident que le milieu carcéral empiète, et doit empiéter, sur la vie privée des détenus de différentes façons qui ne seraient normalement pas tolérées par des citoyens ordinaires. À certains égards, ces vicissitudes ne sont pas propres à la vie carcérale: les conscrits ou les personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques en application de la loi peuvent être soumis à des intrusions similai- res dans leur vie privée. Depuis l'adoption de la Charte, tout au moins, les intrusions graves doi- vent être justifiées en fonction du processus «d'ap- préciation» que la Cour suprême a décrit dans l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc., et doivent par conséquent être évaluées sous l'angle «des expectatives raisonnables en matière de vie privée».
En ce qui concerne les fouilles à nu, la définition d'une expectative raisonnable dépend des normes générales de la décence. En essayant de définir la norme pertinente en l'espèce, il faut mettre de côté les situations des personnes dévêtues s'exposent volontairement aux regards de personnes de l'autre sexe, par exemple pour recevoir des soins médi- caux. Il faut également ne pas tenir compte des gens hypersensibles. Les défendeurs et l'intimé ont, par exemple, fait appel à des témoins experts pour dire que certaines personnes se sentent très embar rassées lorsqu'elles se trouvent nues en présence d'une autre personne de quelque sexe que ce soit. Il y a probablement d'autres personnes qui ont des tendances exhibitionnistes et qui n'éprouvent aucun embarras à se montrer nues. Il s'agit en l'espèce de détenus forcés de se montrer nus en présence d'agents du sexe opposé qui les observent de très près et de façon délibérée. Je suis con- vaincu que dans la plupart des cas, cela enfreint les normes de la décence et n'est pas justifié, même dans le contexte carcéral. En fait, les défendeurs dans l'affaire Weatherall n'ont pas cherché à justi- fier les fouilles à nu de prisonniers en présence de gardiennes, sauf en cas d'urgence, et j'estime que c'est la limite convenable, limite qui, au moins implicitement, a été adoptée dans l'affaire Grum-
mett v. Rushen 32 .
Je répète qu'à cet égard, le Règlement sur le service des pénitenciers ne limite pas suffisamment le pouvoir de fouiller à nu les prisonniers. L'alinéa 41(2)c) déjà cité autorise, sous réserve du paragra- phe (3) [ajouté par DORS/80-462], la fouille de tout détenu «lorsqu'un membre considère un telle mesure raisonnable et nécessaire». Le paragraphe (3) limite ce pouvoir général en prévoyant seule- ment que:
41. ...
(3) Une personne du sexe féminin qui est fouillée aux termes du paragraphe (2) ne peut être fouillée que par une personne du même sexe.
Cela implique clairement que des personnes du sexe féminin sont autorisées à fouiller des person- nes de sexe masculin. Je rappelle que la Directive 800-2-07.1 du commissaire, en vigueur aux épo- ques en cause, portait que:
14. Toute fouille à nu doit être effectuée avec discrétion par un membre du même sexe et habituellement en présence d'un témoin du même sexe. Dans les cas d'urgence, un détenu peut être fouillé par un membre du sexe opposé.
On notera que la directive tend à limiter les fouil- les de détenus par des personnes du sexe opposé aux «cas d'urgence». Les détenus jouiraient d'une meilleure protection si la directive établissait un critère quelconque permettant de déterminer les cas urgents, et si elle prévoyait un examen signifi- catif, après la fouille, de la décision d'effectuer cette fouille, et de la façon dont on a procédé. De toute façon, la directive du commissaire n'a pas force de loi, et par conséquent, elle ne limite pas le pouvoir légal général prévu à l'article 41 du Règle- ment permettant d'effectuer une fouille toutes les fois qu'un agent «considère une telle mesure rai- sonnable et nécessaire», y compris, implicitement, les fouilles à nu de prisonniers par des agents de sexe féminin.
En ce qui concerne la fouille par palpation, c'est-à-dire la fouille d'un détenu complètement vêtu par un agent qui passe la main sur ses vête- ments pour détecter la présence de contrebande, Conway et Spearman se plaignent essentiellement non pas de la façon dont ces fouilles sont effec- tuées mais du fait que des agents de sexe féminin
32 Ibid.
sont autorisées à procéder à de telles fouilles sur des détenus de sexe masculin.
Quant à la façon dont ces fouilles sont effec- tuées, que ce soit par des hommes ou des femmes, le Règlement ne prévoit rien, mais l'article 7 de la directive du commissaire 800-2-07.1 définit, à ses fins, le mot «fouille» qui englobe une fouille par palpation et décrit cette dernière ainsi:
a. fouille par palpation—il s'agit d'une fouille effectuée à la main, le long du corps, de la tête aux pieds à l'avant et à l'arrière, autour des jambes et à l'intérieur des plis des vêtements, des poches et des chaussures; elle comporte l'uti- lisation de détecteurs portatifs.
Je crois que cette définition décrit bien (même si elle n'a pas force de loi) la façon dont ces fouilles sont normalement effectuées. On notera que la directive n'interdit pas formellement de fouiller les organes génitaux. La preuve présentée par la défenderesse et les intimés indique clairement que l'on évite de toucher aux parties génitales, et cela m'a également été démontré au cours d'une fouille simulée devant la Cour. Le demandeur Conway a admis qu'il n'avait jamais été fouillé dans les parties génitales, bien qu'il ait «entendu dire» que c'était arrivé à d'autres détenus. De toute façon, je n'ai pas à me prononcer sur le caractère raisonna- ble des fouilles par palpation à cet égard, car le demandeur Conway et le requérant Spearman con- testent plutôt toute fouille par palpation d'un détenu de sexe masculin par un agent de sexe féminin.
Aux États-Unis, les tribunaux ont statué que les «fouilles» par palpation de routine ne portent pas atteinte aux droits de la personne reconnus par le Quatrième Amendement en ce qui concerne les fouilles «abusives»", même quand ces fouilles s'étendent aux organes génitaux 34 . Dans ces affai- res, les tribunaux ont en général souligné que les droits des prisonniers à la protection de leur vie privée sont limités en raison des règles de sécurité très importantes en vigueur dans les prisons.
Il est vrai que dans ce domaine, il faut se référer avec prudence à la jurisprudence américaine, compte tenu du fait qu'aux Etats-Unis, le Bill of
33 Voir par ex. Smith y. Fairman, 678 F.2d 52 (7th Cir. 1982), la p. 53.
34 Grummett v. Rushen, voir note 31, la p. 495; Bagley et al. v. Watson et al., 579 F. Supp. 1099 (D. Oreg. 1983), la p. 1103.
Rights ne contient aucune disposition comparable à l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cela signifie que les tribunaux américains doivent faire l'équilibre entre l'intérêt public et l'intérêt privé, en s'efforçant davantage d'interpré- ter le droit constitutionnel lui-même, puisqu'il n'existe pas de disposition générale permettant de favoriser l'intérêt public au moyen de restrictions aux droits privés prescrites par la loi, ainsi que le prévoit l'article 1 de la Charte. Dans l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc., la Cour suprême du Canada a néanmoins statué qu'étant donné que l'article 8 de la Charte n'interdit que les fouilles «abusives», il faut, pour déterminer s'il y a eu violation de cet article, apprécier l'intérêt privé par rapport à l'intérêt collectif. La Cour a fait cette appréciation entièrement dans le contexte de l'article 8, puisqu'elle a conclu que rien ne justi- fiait l'application de l'article 1.
J'ai conclu que les fouilles par palpation de routine dont il est question en l'espèce ne portent pas atteinte aux droits protégés par l'article 8 de la Charte. En premier lieu, une telle intrusion dans la vie privée est négligeable, quel que soit le critère d'évaluation sur lequel on se fonde, et un fardeau «négligeable ou insignifiant» ne constitue pas une violation de la Charte". Même si elle n'est pas considérée comme négligeable, l'intrusion très limitée dans la vie privée d'un détenu est large- ment contrebalancée par l'intérêt public. Il faut d'abord et avant tout assurer une sécurité adé- quate dans ces établissements et la preuve me convainc que les fouilles par palpation, courantes et spéciales, effectuées par quelqu'un, sont un élé- ment important du maintien de cette sécurité. En deuxième lieu, je suis convaincu qu'on sert l'intérêt public de façon importante en embauchant des femmes dans les établissements pénitentiaires fédéraux. C'est une question de justice fondamen- tale que de permettre aux femmes un accès égal aux emplois dans un secteur important de la fonc- tion publique fédérale. À Collins Bay, la ques tion s'applique aux cas à l'étude, il me semble que
35 R. c. Edwards Books and Art Ltd., [ 1986] 2 R.C.S. 713, à la p. 759; voir également Headley c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique), [1987] 2 C.F. 235 (C.A.), juge MacGuigan, à la p. 244; Gibson, Dale. The Law of the Charter: General Principles. Calgary: Carswell, 1986, la p. 141.
les gardiennes ne pourraient être embauchées si on leur interdisait de procéder à des fouilles par pal pation. Sur les vingt postes de sécurité, tous sauf trois ou quatre comportent une fouille courante ou occasionnelle. Et, d'après les témoignages, tout agent qui travaille auprès des détenus doit être capable de faire ces fouilles sur une base ponc- tuelle. Si les gardiennes ne pouvaient remplir ces fonctions, leur utilité se trouverait grandement réduite et cela aurait un effet très négatif sur leur carrière. De plus, la preuve me convainc que la présence d'agents féminins dans un tel établisse- ment exerce un effet bénéfique important sur la conduite de la plupart des détenus et peut contri- buer de façon importante à leur réadaptation à la société, une fois remis en liberté. Bien sûr, je ne peux ni ne dois me prononcer sur les fouilles par palpation dans d'autres établissements au sujet desquels ni plainte ni preuve ne m'ont été soumises.
L'autre question à laquelle peut s'appliquer l'ar- ticle 8 de la Charte, est celle que soulève Conway à propos de la présence de gardiennes dans les unités résidentielles des détenus de sexe masculin. Celui-ci cherche à obtenir un jugement déclarant illégale:
la présence des gardiennes ou leur affectation à des tâches qui leur permettraient normalement d'observer les détenus de sexe masculin dans les salles de toilette ou dans un endroit ils sont dévêtus ...
Il cherche aussi à faire déclarer illégales:
sauf dans des situations d'urgence, les rondes effectuées par des gardiennes dans les unités résidentielles des prisonniers de sexe masculin ...
Ces deux requêtes portent essentiellement sur le même problème: lorsque des gardiennes sont dans des pavillons cellulaires pour y exercer des fonc- tions de routine, telles qu'elles ont été décrites au début des présents motifs et qui consistent à faire le compte des prisonniers, à effectuer des rondes éclairs, ou encore à visiter des prisonniers pour des raisons particulières, il peut leur arriver de voir ceux-ci dévêtus ou utilisant la toilette. Même si la plupart des cellules de Collins Bay ont des portes pleines munies d'un petit guichet, et si les autres ont des écrans qui couvrent les trois quarts de l'ouverture de la porte, il est quand même possible que des gardiennes regardent dans les cellules, et c'est même leur devoir lors d'un comptage ou d'une «ronde éclair». Il n'y a pas eu de preuve
d'autres atteintes à la pudeur, telles que l'observa- tion des détenus sous la douche par des agents de sexe opposé.
encore, la jurisprudence américaine n'a pas considéré avec beaucoup de sympathie les plaintes de détenus dans de telles situations. Comme prin- cipe de base, la Cour suprême des États-Unis a statué, dans une cause il y avait eu une fouille approfondie d'une cellule, que même si les prison- niers conservent certains droits qui ne sont pas fondamentalement incompatibles avec leur empri- sonnement, ils ne peuvent pas légitimement s'at- tendre à ce que leur vie privée soit respectée dans une cellule de prison et ne sont donc pas protégés par le Quatrième Amendement contre la fouille de leur cellule 36 . Dans l'affaire Grummett 37 , la Cour d'appel des États-Unis (9 e circuit) a jugé que l'utilisation courante de gardiennes dans des postes elles peuvent regarder, d'une distance considé- rable, dans les cellules des détenus de sexe mascu- lin au cours de leurs rondes ordinaires, ne violait pas le Quatrième Amendement, même s'il peut leur arriver de voir, d'une certaine distance, des détenus partiellement ou complètement dévêtus. Cela se passait à San Quentin, une prison à sécu- rité maximale construite pour permettre [TRADUC- TION] «l'observation en tout temps des détenus par des agents de l'établissement».
Comme je l'ai déjà dit, on ne peut invoquer l'article 8 pour empêcher des intrusions négligea- bles dans la vie privée. De plus, les détenus ne peuvent pas raisonnablement s'attendre à n'être soumis à aucune surveillance. S'ils redoutent d'être vus dans un état de nudité partielle ou totale, ou accomplissant certaines fonctions vitales, il leur appartient de prendre certaines précautions qui sont à leur portée pour minimiser de telles possibi- lités. Par ailleurs, j'estime que c'est une atteinte inutile à la dignité humaine lorsque, en l'absence de toute urgence, des gardiennes de Collins Bay observent ainsi des détenus dans leurs cellules. Cela veut dire en fait que, sauf en cas d'urgence, les gardiennes ne devraient pas pouvoir observer à l'improviste les cellules occupées par des détenus de sexe masculin. Compte tenu de la preuve, je ne
36 Hudson v. Palmer, 82 L. Ed. (2d) 393 (U.S.S.Ct. 1984). Voir également Lanza v. New York, 370 U.S. 139 (N.Y.C.A. 1962).
37 Voir note 31, aux p. 494 et 495.
pense pas que cela crée de graves problèmes admi- nistratifs ou nuise à la carrière des gardiennes. D'après le témoignage de M. Payne, directeur de Collins Bay, il y a quatre comptages par jour: à 7 h, à midi, à 16 h, et à 23 h. Les détenus connais- sent sans doute bien ces heures et ils peuvent alors éviter de se trouver dans des situations embarras- santes quand ils savent que des agents de sexe féminin peuvent participer aux comptages. Pour ce qui est des inspections visuelles de la cellule d'un détenu, il ressort de la preuve que lorsqu'une gar- dienne s'approche d'une cellule, elle annonce nor- malement sa présence avant de regarder à l'inté- rieur et encore, cela respecte les droits du détenu à sa vie privée, sans entraver l'administra- tion de la prison. Il me semble que le seul problè- me qui pourrait se poser toucherait les «rondes éclairs» qui se font en moyenne une fois par heure, mais à intervalles irréguliers, afin de créer un élément de surprise. Si je comprends bien l'organi- sation du personnel et étant donné que seulement 14,5 % des agents de Collins Bay sont des femmes, l'interdiction en vertu de laquelle les gardiennes ne pourraient pas observer à l'improviste lors d'une «ronde éclair», ne devrait pas, à mon avis, poser de graves problèmes d'administration, ni nuire consi- dérablement à la carrière des agents de sexe fémi- nin. Il me semble y avoir au moins deux solutions de rechange possibles: si un agent féminin effectue une «ronde éclair», sa présence pourra être annon- cée juste avant que celle-ci ne commence (ce qui, suivant la preuve, se fait de toute façon par le cri du premier détenu qui voit arriver l'agent chargé de la «ronde éclair»); ou bien des agents de sexe masculin pourront traverser les pavillons cellulai- res, en demandant à leurs collègues féminines de les couvrir à l'entrée du pavillon (c'est-à-dire qu'el- les monteraient la garde à l'entrée en, protégeant l'autre agent qui se trouve dans le pavillon cellu- laire, cette pratique étant employée pour des rai- sons de sécurité). J'estime en outre que ces mesu- res ne sont nécessaires que durant les heures de veille des détenus: si un détenu choisit de ne pas se couvrir pendant ses heures normales de sommeil, il peut risquer d'être observé par un agent de l'autre sexe. Il appartient bien sûr aux autorités de l'éta- blissement de prendre les mesures administratives appropriées et je veux seulement montrer qu'à la lumière de la preuve, je suis convaincu qu'il existe des solutions de rechange raisonnables permettant d'éviter le genre d'intrusion dans la vie privée que le régime actuel permet.
Article 12 de la Charte
Seul Weatherall invoque l'article 12 de la Charte qui prévoit:
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.
Il cite cet article à l'appui de sa requête en juge- ment déclaratoire portant que l'alinéa 41(2)c) du Règlement sur le service des pénitenciers et l'arti- cle 14 de la Directive 800-2-07.1 du commissaire sont inopérants. Ces dispositions ont été citées plus haut. La plainte de Weatherall, et le seul point sur lequel il a qualité pour agir, a trait à la fouille à nu effectuée par une personne de sexe opposé.
Pour commencer, je dois dire que je considère la fouille à nu des détenus comme un «traitement» au sens de l'article 12. Qu'il s'agisse de Weatherall ou d'autres détenus, il n'y a pas eu de preuve permet- tant de croire que ce genre de fouille constitue une «peine» et il ne pourrait certainement pas servir légalement à une telle fin. Il ne s'agissait sûrement pas d'une peine infligée par un tribunal, et à ma connaissance, aucune loi ni aucun règlement ne permet de recourir à de telles fouilles pour punir des infractions commises à l'intérieur d'un établis- sement pénitentiaire.
En outre, je souscris au point de vue selon lequel les mots «cruels et inusités» peuvent être interpré- tés comme des «termes qui se complètent et qui, interprétés l'un par l'autre, doivent être considérés comme la formulation concise d'une norme» 38 .
J'estime également que les mots «cruels et inusi- tés» comportent un élément de relativité. Comme
l'a indiqué le juge Linden dans Re Mitchell and the Queen 39:
[TRADUCTION] . la norme à appliquer pour établir si le
traitement ou la peine est cruel et inusité est de savoir si le traitement ou la peine est excessif au point d'outrager les normes de la décence et de dépasser les limites raisonnables d'un traitement ou d'une peine. Il s'agit donc d'un critère fondé sur la disproportion ...
En appliquant ces principes au cas présent, il faut d'abord noter que l'avocat de la défenderesse
38 Le juge en chef Laskin, dissident dans l'affaire Miller et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, aux p. 689 et 690. Voir aussi l'affaire Gittens (In re), [1983] 1 C.F. 152 (1' inst.), aux p. 160 et 161; Re Mitchell and the Queen (1984), 150 D.L.R. (3d) 449 (H.C. Ont.), à la p. 470.
39 Ibid., à la p. 474, et voir les affaires qui y sont mentionnées.
n'a pas cherché à justifier, ce qu'il n'aurait pu faire, selon moi, la fouille à nu d'un détenu en présence d'agents du sexe féminin, sauf lorsqu'il s'agit de cas d'urgence. À mon avis, une telle pratique violerait les normes de la décence et ne saurait être justifiée par la nécessité ou l'égalité des chances pour les femmes. Le fait qu'une telle pratique ne soit pas nécessaire a effectivement été confirmé par le témoignage des agents de Collins Bay et de Joyceville indiquant que les fouilles à nu de détenus en présence de gardiennes sont extrê- mement rares. Personne ne prétend que cette prati- que serait admise en temps ordinaire. J'estime que ce serait une violation de l'article 12 de la Charte, s'il n'y a pas urgence.
Je suis toutefois convaincu que de telles fouilles ne violeraient pas l'article 12 dans un cas d'ur- gence la sécurité de l'établissement en général ou d'agents ou de détenus en particulier, serait gravement menacée, ou lorsque l'absence d'inter- vention rapide permettrait probablement à des détenus de dissimuler, d'obtenir, ou d'introduire de la contrebande dans l'établissement.
Il n'appartient toutefois pas au tribunal de défi- nir un tel cas d'urgence. Pour les raisons que j'ai données au sujet de l'article 8, je suis convaincu que l'alinéa 41(2)c) du Règlement confère des pouvoirs trop étendus aux membres du personnel en ce qui concerne les fouilles à nu et il ne peut pas s'appuyer sur l'article 14 des directives du commis- saire qui vise à empêcher la fouille à nu d'un détenu par un agent de sexe féminin, sauf «dans les cas d'urgence». Pour des raisons que j'expliquerai ci-dessous au sujet de l'article 1 de la Charte, la directive n'est pas une loi et par conséquent ne protège pas le détenu qui est soumis ou qui est sur le point d'être soumis à une fouille en violation de. l'article 12 de la Charte.
Je suis arrivé à cette conclusion après avoir examiné attentivement la décision rendue par le juge McDonald dans l'affaire Soenen 40 , il a statué que les fouilles à nu de détenus n'enfrei- gnent pas les dispositions de l'article 12. Mais il ne s'agissait pas, dans cette affaire, de fouilles effec- tuées par des agents de sexe opposé. Le juge a également rejeté l'idée de disproportion dans l'ap-
Voir note 27, aux p. 222 et 223.
plication de l'article 12, car vu la présence de l'article 1 de la Charte, l'équilibre doit se faire dans le cadre de cet article, après qu'on a fait la preuve prima facie de la violation de l'article 12. Cette décision était cependant antérieure à celle de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc., la Cour a déclaré que lorsqu'un tribunal applique l'article 8, se trouve le qualificatif «abusives», il doit d'abord apprécier les intérêts collectifs et individuels pour établir s'il y a eu prima facie violation de cet article, avant de considérer toute justification pos sible aux termes de l'article 1 4 '. De même, une évaluation de la proportionnalité du traitement infligé semblerait appropriée pour les fins de l'ap- plication de l'article 12 qui renferme les qualifica- tifs «cruels et inusités».
Article 15 de la Charte
Spearman reconnaît qu'il ne peut pas invoquer l'article 15 puisqu'il n'était pas en vigueur au moment il a été condamné pour avoir commis une infraction disciplinaire, condamnation qu'il cherche à faire annuler. Conway et Weatherall citent toutefois l'article 15 en question qui dispose:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'in- dividus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.
Ils se plaignent en fait que les prisonniers de sexe masculin soient soumis à des fouilles à nu en présence de gardiennes, qui procèdent à des fouil- les par palpation et les surveillent dans leur cellule alors que les détenues dans les établissements fédé- raux ne sont pas soumises à de telles fouilles par des agents du sexe opposé. Cela est en partie aux textes qui régissent ces procédures. Comme il a été dit plus haut, le paragraphe 41(2) du Règle- ment sur le service des pénitenciers confère aux membres du personnel des pouvoirs étendus leur permettant de fouiller tout détenu lorsqu'il ou elle «considère une telle mesure raisonnable et néces-
4' Voir note 9, aux p. 159 et 160, 169 et 170.
saire», alors que le paragraphe 41(3) prévoit «qu'une personne du sexe féminin qui est fouillée aux termes du paragraphe (2) ne peut être fouillée que par une personne du même sexe». Cette dispo sition interdit la fouille des détenues par un agent du sexe opposé, mais elle n'assure pas cette protec tion aux détenus de sexe masculin. De même, l'article 13 de la directive du commissaire 800-2-07.1 porte:
... aucune détenue ne doit être fouillée par palpation ou à nu, sauf par un membre du même sexe.
mais l'article 14 prévoit au sujet des fouilles à nu:
Dans les cas d'urgence, un détenu peut être fouillé par un membre du sexe opposé.
En outre, pendant l'interrogatoire préalable de Kenneth Payne, directeur de l'établissement de Collins Bay, interrogé pour le compte des défen- deurs, on a admis qu'à la prison pour femmes de Kingston, un établissement pénitentiaire fédéral réservé exclusivement aux femmes, les agents de sexe masculin sont affectés uniquement aux postes de contrôle et à la sécurité périmétrique et seules les gardiennes travaillent dans l'unité résidentielle de l'établissement. La situation est tout à fait différente à Collins Bay et à Joyceville les gardiennes sont constamment de service dans l'unité résidentielle de ces établissements réservés aux détenus de sexe masculin.
L'interprétation du paragraphe 15(1) de la Charte fait l'objet d'un éternel débat. Toute dis tinction fondée sur le sexe (ou sur tout autre motif de discrimination qui y est énuméré) devrait-elle être présumée nulle? Ou les tribunaux devraient- ils dans chaque cas décider si des personnes qui se trouvent dans la même situation sont traitées de la même façon, ou devraient-ils appliquer un autre critère, tel que le caractère raisonnable de la distinction"? Je ne pense pas que j'aie à trancher cette question dans le cas présent. En ce qui concerne les fouilles par palpation, comme l'intru-
42 Voir par ex. Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (procureur général), [1987] 2 C.F. 359 (C.A.); Head- ley c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la Fonc- tion publique), voir note 35.
sion dans la vie privée est, à mon avis, négligeable dans ce cas, elles ne peuvent pas donner lieu à une plainte fondée sur le paragraphe 15(1) 43 . Pour ce qui est des fouilles à nu et de l'inspection des cellules, l'intrusion n'est pas négligeable et de telles activités sont une forme péjorative de discri mination sexuelle qui, si ce n'était du paragraphe 15(2), serait intolérable. La preuve me convainc toutefois que le programme d'action positive adopté par le gouvernement pour permettre aux femmes de travailler dans les établissements péni- tentiaires fédéraux est conforme au paragraphe 15(2) de la Charte puisqu'il est «destiné à amélio- rer la situation d'individus ou de groupes défavori- sés, notamment du fait ... de leur sexe». Les demandeurs n'ont pas contesté cette observation. Comme les termes employés au début du paragra- phe 15(2) prévoient qu'il faut considérer les droits conférés par le paragraphe 15(1) en tenant compte de tout programme d'action positive, cette forme de discrimination que constitue la palpation ou la surveillance par un agent du sexe opposé ne viole pas la Charte dans la mesure elle est essentielle pour la mise en oeuvre d'un programme d'action positive 44 . Il me semble que du point de vue de la procédure administrative, le fait d'embaucher des femmes dans des prisons pour hommes, que permet le paragraphe 15(2) de la Charte, peut incidemment faire en sorte que des femmes soient tenues de surveiller les cellules des détenus et qu'elles doivent parfois assister à certaines fouilles à nu de ces détenus. Comme il n'existe pas de programmes d'action positive comparables afin que les hommes travaillent dans les unités résiden- tielles de la prison fédérale pour femmes de Kings- ton, il s'ensuit que les détenues de cette prison ne peuvent être fouillées par des agents du sexe opposé. Cette procédure administrative entraîne donc une certaine inégalité, mais à mon avis, c'est une inégalité protégée par le paragraphe 15(2) de la Charte qui interdit toute plainte fondée sur le paragraphe 15(1). Cela n'est vrai toutefois que dans la mesure ces intrusions discriminatoires dans la vie privée des hommes sont raisonnable- ment nécessaires à la mise en oeuvre du pro gramme d'action positive. Comme je l'ai fait
43 Voir les autorités citées, à la note 35.
44 Voir par ex. Shewchuk v. Ricard, [1986] 4 W.W.R. 289 (C.A.C.-B.), aux p. 306 et 307.
remarquer antérieurement, j'estime que la partici pation des gardiennes à des fouilles à nu dans des situations qui ne sont pas urgentes ou à la surveil lance des cellules qui n'a été ni prévue ni annoncée n'est pas nécessaire lorsque ces gardiennes travail- lent dans des prisons pour hommes.
En outre, je ne vois pas comment une inégalité créée par le paragraphe 41(3) du Règlement sur le service des pénitenciers qui prévoit qu'aune per- sonne du sexe féminin qui est fouillée . .. ne peut être fouillée que par une personne du même sexe», peut être justifiée lorsque la loi n'offre pas une protection comparable aux hommes. Cela n'a aucun lien logique avec un programme d'action positive. A mon avis, c'est nier le droit à l'égalité devant la loi et à la protection égale de la loi. Ce n'est pas parce que des mesures spéciales peuvent être prises pour permettre à des femmes de travail- ler dans des prisons pour hommes qu'il faut empê- cher des agents de sexe masculin de travailler ou d'exercer certaines fonctions dans des prisons pour femmes. Selon les dépositions d'experts, faites pour le compte des défendeurs et de l'intimé par le docteur Lionel Béliveau, psychiatre de Montréal affecté aux prisons et par le docteur Lois Shawver, psychologue de la Californie dont la pratique est également orientée vers les prisonniers, les gar- diens, à cause de leur mentalité d'homme, sont plus susceptibles de tirer profit des fouilles et de la surveillance des détenues, que ne pourraient le faire les gardiennes à l'égard des détenus. Il me semble que c'est exactement le genre de stéréotype que le paragraphe 15 (1) de la Charte vise à empê- cher. Aucun tribunal n'acceptera l'argument, par exemple, que des Noirs, des Baptistes ou des Écos- sais, en raison d'un défaut de caractère prétendu- ment typique, sont plus susceptibles, en tant que groupes, d'exploiter leurs semblables, ce qui justi- fierait l'adoption de lois discriminatoires à l'encon- tre de ces catégories de personnes. Je ne vois pas pourquoi je dois accepter un tel argument présenté contre les hommes. J'estime qu'il ne constitue ni une excuse fondée sur le paragraphe 15 (1) de la Charte ni une justification permettant de restrein- dre le droit à l'égalité prévue par l'article 1 de la Charte.
Article 28 de la Charte Cet article prévoit:
28. Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.
Je suis arrivé à la conclusion que cet article n'a pas d'effet important dans le cas présent.
J'ai dans une large mesure appuyé les fouilles effectuées par des personnes de sexe opposé. Mais comme des détenus de sexe masculin sont fouillés à nu ou surveillés dans leur cellule par des gardien- nes en violation de l'article 8, alors que les prison- nières ne sont pas soumises à la même intrusion, les hommes et femmes ne bénéficient pas alors du même respect des droits qui leur sont conférés par l'article 8. Cette discrimination est une violation de l'article 28. Dans la mesure les droits prévus au paragraphe 15(1) n'ont pas été valablement restreints par le paragraphe 15(2), ils peuvent également bénéficier de la protection additionnelle de l'article 28. Mais l'article 28 n'ajoute rien en l'espèce parce que ces lois et pratiques sont annu- lées par les articles 8 et 15. L'article 28 n'aurait une incidence importante dans le cas présent que si l'on cherchait à justifier une telle mesure discrimi- natoire contre les hommes en invoquant l'article 1. Dans ce cas, l'article 28 empêcherait que seuls les droits des hommes prévus aux articles 8 ou 15 soient assujettis à la restriction de l'article 1.
Article 1 de la Charte Cet article prévoit:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res- treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Les défendeurs et l'intimé ont invoqué en partie la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique [S.R.C. 1970, chap. P-32] qui interdisent toutes deux la discrimination en matière d'emploi dans la Fonction publique, fondée notamment sur le sexe, puisqu'il s'agit «[d']une règle de droit, dans des limites» imposées aux droits des détenus et qui sont justifiées par l'article 1.
Il ne résulte pas automatiquement des disposi tions de ces lois selon lesquelles les femmes devraient en principe avoir les mêmes droits que les hommes pour ce qui est d'obtenir un emploi dans des institutions fédérales, que ces droits peu-
vent être exercés sans tenir compte des droits des autres. Je doute que ces dispositions justifient, par exemple, l'affectation d'une femme à la surveil lance des toilettes réservées aux hommes dans l'immeuble Langevin. Sans plus d'indications, je ne peux pas voir comment ces lois imposent des limites spécifiques aux droits d'un détenu.
À part ces lois, les défendeurs et l'intimé ont cité, à titre de «règle de droit [qui impose] des limites», le Règlement sur le service des péniten- ciers et les directives du commissaire, qui, comme je l'ai déjà déclaré, sont à certains égards, contrai- res à la Charte. Dans la mesure ces dispositions sont insoutenables sous le régime des articles 8, 12 et 15, elles le sont également sous le régime de l'article 1, vu l'absence de toute autre justification en leur faveur.
En particulier, comme je l'ai déjà indiqué à différentes reprises, les directives du commissaire ne peuvent pas être considérées comme «une règle de droit» au sens de l'article 1. Il y a des arrêts de jurisprudence concluants à cet effet, qui se fondent sur le principe selon lequel les directives du com- missaire visent à réglementer la gestion interne des établissements pénitentiaires. Toute infraction à ces directives peut entraîner des mesures discipli- naires au sein de l'établissement, mais elles ne créent aucun droit ni aucune obligation légale 45 L'avocat des défendeurs et de l'intimé m'a cité des décisions de la Cour d'appel fédérale qui, selon lui, ont réfuté cette jurisprudence. Après avoir étudié lesdites décisions 46 , je suis convaincu qu'elles ne réfutent rien, et qu'en fait elles distinguent expres- sément les situations qui se sont présentées dans ces décisions de l'important jugement rendu par quatre juges de la Cour suprême, dans l'affaire Martineau, portant que les directives du commis- saire ne sont pas une règle de droit.
Par conséquent, ces directives ne peuvent pas être considérées comme étant exécutoires de façon à limiter les pouvoirs en matière de fouille et elles
45 Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118, à la p. 129; R. v. Institutional Head of Beaver Creek Correctional Camp, Ex p. MacCaud, voir note 1, à la p. 380.
46 Danch c. Nadon, [1978] 2 C.F. 484 (C.A.), aux p. 505 et 506; Laroche c. Commissaire de la G.R.C. (1981), 39 N.R. 407 (C.A.F.), à la p. 424.
ne peuvent pas non plus être considérées comme étant exécutoires sous le régime de l'article 1 à titre de «règle de droit, dans des limites» visant à restreindre les droits garantis par la Charte.
Alinéa 1 b) de la Déclaration canadienne des droits
Cet article dispose qu'il existe pour tout individu au Canada «quel[.. igue soi[...]t ... son sexe...»
1....
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi ...
Spearman s'appuie sur ce paragraphe, parce que,
comme on l'a fait remarquer plus haut, il reconnaît qu'il ne peut pas se fonder sur l'article 15 de la Charte. Son avocat a déclaré dans sa plaidoirie écrite que:
[TRADUCTION] ... le refus du requérant de se laisser toucher par la gardienne était justifié étant donné la protection que lui assure l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits.
Cet argument se rapporte bien sûr à la fouille par palpation qui doit être effectuée par un agent de sexe féminin, et à laquelle Spearman a refusé de se soumettre. Il signifie, à mon avis, que l'embauche de gardiennes à de telles fins dans une prison pour hommes, alors que les gardiens ne peuvent exercer de telles fonctions dans les établissements pour femmes, le prive de son droit à «l'égalité devant la loi».
En ce qui concerne le programme administratif faisant appel à la présence de gardiennes dans des prisons pour hommes elles accomplissent des tâches qui ne sont pas confiées aux gardiens dans les prisons pour femmes, je ne pense pas que cette disposition appuie l'argument de Spearman. Il est maintenant reconnu par la jurisprudence que l'ali- néa l b) de la Déclaration canadienne des droits n'est pas violé si une loi qui fait ces distinctions vise un «objectif fédéral régulier ou valable»"'. J'admets que la fouille par palpation par des per- sonnes de l'autre sexe, bien qu'elle n'enfreigne pas les articles 8 et 12 de la Charte, peut néanmoins causer aux prisonniers des inconvénients que n'ont pas à subir les détenues emprisonnées dans des établissements fédéraux. Mais je crois que c'est une conséquence du programme d'action positive
^' Voir La Reine c. Beauregard, [1986] 2 R.C.S. 56, aux p. 85à89.
en vertu duquel des gardiennes sont affectées à des prisons pour hommes cause du faible nombre de postes pour femmes dans les prisons pour femmes) aux fins de réaliser «un objectif fédéral valable» qui consiste à donner aux femmes des chances égales d'obtenir un emploi dans la Fonction publi- que fédérale.
Quant aux inégalités découlant de la loi elle- même, Spearman ne s'attaque pas à une disposi tion précise de la loi qui crée cette discrimination. Il me semble que le paragraphe 41(3) du Règle- ment sur le service des pénitenciers, exigeant que les femmes ne soient fouillées que par des femmes, crée une telle discrimination fondée sur le sexe. Mais dans le cas présent qui concerne une fouille par palpation, il s'agit d'une intrusion négligeable dans la vie privée des prisonniers. Je ne crois pas que l'alinéa 1 b) de la Déclaration canadienne des droits, pas plus que l'article 15 de la Charte, vise à empêcher une inégalité découlant d'une intrusion négligeable dans la vie privée d'êtres humains.
CONCLUSIONS
Weatherall
Il est manifeste que la fouille à nu de Weathe- rall, en présence d'une gardienne était illégale, selon les normes de la Charte et des directives du commissaire. D'après la réaction à sa plainte, il est évident que les autorités ont reconnu que ce n'était pas un cas d'urgence comme le prévoit l'article 14 de la Directive 800-2-07.1 du commissaire, et qu'il devait y avoir une telle urgence pour justifier la présence d'une gardienne pendant la fouille à nu d'un prisonnier. Au procès, l'avocat des défendeurs a admis qu'une situation d'urgence était la seule justification possible et il n'a pas cherché à expli- quer ce qui s'est réellement passé.
En fait Weatherall ne cherche pas à obtenir réparation par suite de la fouille illégale à laquelle il a été soumis, mais il veut plutôt faire déclarer nuls le Règlement et les directives pertinentes du commissaire. L'avocat des défendeurs a soutenu que ces dispositions sont valides, mais qu'elles ont tout simplement été mal appliquées dans le cas de Weatherall.
Pour les raisons que j'ai données, je suis d'avis que les dispositions pertinentes du Règlement,
c'est-à-dire l'alinéa 41(2)c) et le paragraphe 41(3) enfreignent la Charte en ce qui concerne les fouil- les à nu de prisonniers. L'alinéa 41(2)c) confère un pouvoir très étendu en matière de fouille qui, à mon avis, tend à autoriser ce qui équivaudrait à des fouilles à nu «abusives» prévues par l'article 8 de la Charte. Le seul critère exigé pour ce genre de fouille d'un détenu par un membre du personnel est que ce dernier doit «considére[r] une telle mesure raisonnable et nécessaire pour déceler la présence de contrebande ou pour assurer le bon ordre au sein d'une institution». On n'exige pas que cette mesure soit raisonnablement nécessaire à ces fins, mais il faut seulement qu'un membre du personnel «considère» qu'elle est raisonnable. Certes, il n'y aurait pas lieu d'exiger des mandats dans de telles situations mais le Règlement doit, au moins dans le cas de fouilles à nu, être plus précis. Comme je l'ai indiqué plus haut, il pourrait préci- ser les cas la fouille à nu peut être effectuée de façon routinière et d'autres cas la fouille à nu générale d'un certain groupe de prisonniers peut être effectuée exceptionnellement pour faire face à une situation particulière. De plus, le Règlement devrait exiger qu'on a des motifs raisonnables et probables de croire qu'un détenu est en possession de contrebande ou d'autres articles menaçant la sécurité de la prison. Dans les cas autres que les fouilles à nu de routine, le Règlement devrait exiger expressément qu'un agent principal donne son autorisation préalable ou qu'il examine soi- gneusement les motifs et le déroulement de la fouille une fois qu'elle a eu lieu. On pourrait évidemment concevoir d'autres formes de garanties et de restrictions, pour autant qu'elles répondent aux exigences générales de l'article 8.
En outre, le paragraphe 41(3) est nul parce que, lorsqu'on le lit en corrélation avec l'alinéa 41(2)c), il est à première vue discriminatoire en ce qui concerne les détenus de sexe masculin et de sexe féminin. Rien dans la preuve ne peut me convain- cre que cela est conforme à l'article 15 de la Charte, ou justifiable sous le régime de l'article 1 de la Charte.
De plus, pour les raisons que j'ai déjà énoncées, je ne crois pas que le Règlement puisse d'une façon ou de l'autre être sauvé par les restrictions qui figurent dans les directives du commissaire. Comme je l'ai dit précédemment, le libellé de ces
restrictions est inadéquat et, ce qui est plus impor tant, elles n'ont pas force de loi; un détenu ne peut donc pas invoquer ces restrictions, comme une règle de droit, pour faire modifier les pouvoirs étendus de fouille conférés par l'alinéa 41(2)c).
J'estime, par conséquent que l'alinéa 41(2)c) et le paragraphe 41(3) du Règlement sur le service des pénitenciers sont nuls en ce qui concerne les fouilles à nu de détenus.
Je n'ai pas à me prononcer sur les directives du commissaire, ayant déjà conclu qu'elles n'ont pas force de loi et qu'elles ne sont d'aucune aide aux défendeurs.
J'ai également conclu que la présence de gar- diennes durant la fouille à nu d'un détenu, lorsqu'il n'y a pas urgence, enfreint l'article 12 de la Charte parce que c'est un «traitement cruel et inusité»; et comme le règlement en vigueur ne limite pas cette pratique aux cas d'urgence, c'est une autre raison pour laquelle il est nul.
Le demandeur a droit aux frais et dépens. Compte tenu des répercussions considérables que cette décision pourrait avoir et comme elle ne peut maintenant avoir qu'une incidence pratique minime sur le demandeur, je laisserai à ce dernier le soin de demander un jugement formel, soit sur consentement ou, s'il y a lieu, par voie de requête contestée. Cela permettra aux parties de voir si le jugement devrait être suspendu en attendant le pourvoi en appel conformément à la Règle 341A [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663 (ajoutée par DORS/79-57)].
Conway
Comme je l'ai déjà expliqué, j'ai conclu que la plainte de Conway est en grande partie négligeable et n'entre pas dans le champ d'application de la Charte. Il en est ainsi de sa plainte au sujet des fouilles par palpation par des agents du sexe opposé, et dans une certaine mesure, de sa plainte au sujet des rondes de surveillance effectuées par des gardiennes dans les [TRADUCTION] «unités résidentielles des détenus».
Quant aux fouilles par palpation, je ne peux conclure que cette pratique est «abusive» au sens de l'article 8 de la Charte, étant donné la perte inévitable de la vie privée qui découle implicite- ment de l'emprisonnement, le bon ordre et les
conditions de sécurité exigés en milieu carcéral, l'atteinte relativement peu importante à l'intégrité physique, et le fait d'assurer aux femmes l'accès à des emplois. Il n'y a aucune preuve, cela n'est d'ailleurs pas mentionné dans la plainte de Conway, que les fouilles sont effectuées d'une manière irrégulière: à son avis, elles sont tout simplement illégales, quelle que soit la façon dont elles sont effectuées.
En ce qui concerne les rondes de surveillance faites par des gardiennes dans les unités résiden- tielles des détenus, encore aucune preuve n'indi- que qu'il y a eu des intrusions importantes dans la vie privée, si ce n'est la surveillance des cellules occupées par les détenus. Les témoignages m'ont convaincu que la pudeur des prisonniers était suffi- samment respectée dans les douches et en dehors de leurs cellules et qu'il est donc inutile que je me prononce sur ces questions. Je suis toutefois arrivé à la conclusion que dans le contexte du pénitencier de Collins Bay, l'article 8 de la Charte protège les prisonniers lorsqu'ils sont dans leur cellule en empêchant les gardiennes de les observer à l'im- proviste pour des raisons de sécurité. En évaluant les intérêts des détenus et ceux de l'établissement, je suis arrivé à cette conclusion parce que la preuve ne me convainc pas qu'il est nécessaire, pour des raisons de sécurité ou pour permettre l'embauche de gardiennes, que celles-ci observent les détenus dans leur cellule lorsque cela n'est pas prévu ou n'est pas au moins précédé d'un avertissement minimal.
À mon avis, l'application de l'article 15 de la Charte donne le même résultat. Le programme d'action positive qui est autorisé par le paragraphe 15(2) et qui a permis à des agents de sexe féminin de travailler à la prison de Collins Bay, alors qu'il n'y a pas de gardiens dans les unités résidentielles de la prison pour femmes à Kingston, justifie, selon les termes figurant au début du paragraphe 15(2), une atteinte au droit des détenus d'être traités sur un pied d'égalité, droit qui leur est conféré par le paragraphe 15(1), lorsqu'une telle atteinte est raisonnablement nécessaire pour pou- voir mettre ce programme en oeuvre. Je ne suis pas convaincu qu'il soit raisonnablement nécessaire que des gardiennes observent à l'improviste les cellules des détenus, sauf en cas d'urgence.
Pour les raisons susmentionnées, l'article 28 ren- force la conclusion à laquelle je suis arrivé en me fondant sur les articles 8 et 15 et qui déclarait nulle l'observation à l'improviste de détenus dans leur cellule par des agents du sexe opposé. Les droits reconnus par l'article 8 et le paragraphe 15(1) (lorsqu'ils ne sont pas valablement restreints par le paragraphe 15(2)) doivent être accordés également aux hommes et aux femmes.
Je statue qu'au pénitencier de Collins Bay, les gardiennes ne peuvent pas légalement, sauf en cas d'urgence, observer des détenus dans leur cellule, lorsque cette observation n'est ni prévue ni précé- dée d'un avertissement ou d'une annonce.
Conway n'a contesté aucune loi, aucun règle- ment ni aucune directive du commissaire pouvant se rapporter à ce sujet, de sorte que je ne me prononce pas sur l'un ou l'autre d'entre eux. Étant donné le succès mitigé de la demande, je n'adjuge aucuns dépens.
Spearman
La procédure applicable à la plainte de Spear- man est un peu différente. Il s'agit d'une demande de certiorari en vue d'obtenir l'annulation d'une déclaration de culpabilité prononcée contre lui par l'intimé, le tribunal disciplinaire du pénitencier de Collins Bay. Dans l'avis de requête initial, le requérant invoque à l'appui de sa demande de certiorari que le président du tribunal a commis diverses erreurs de compétence en ne considérant pas les questions de droit à la protection de la vie privée et de la discrimination fondée sur le sexe (qui mettent probablement en jeu la Charte et la Déclaration canadienne des droits). Il était égale- ment allégué dans l'avis de requête que le prési- dent avait commis une erreur de compétence en ne se demandant pas si le requérant avait réellement violé un ordre légal lui enjoignant de se soumettre à une fouille par palpation devant être effectuée par une gardienne.
Dans son argumentation écrite, l'avocat de Spearman a invoqué d'autres motifs, prétendant notamment que lorsque Spearman a plaidé «coupa- ble avec explication» concernant l'accusation d'in- fraction à la discipline, le président aurait conclure qu'il s'agissait d'un plaidoyer de «non-cul- pabilité». Parce que l'avocat du requérant a ainsi
élargi les motifs pour lesquels il attaquait la déci- sion du tribunal disciplinaire, l'avocat du tribunal a demandé que le procureur général du Canada soit mis en cause; cette demande ayant été accep- tée par le requérant et approuvée par le tribunal, l'avocat a entrepris de présenter des arguments pour le compte du procureur général.
En ce qui concerne d'abord ces motifs supplé- mentaires d'annulation, j'ai lu la transcription de l'audience devant le tribunal, et j'estime que ces motifs sont mal fondés et vexatoires. Le fait essen- tiel est que Spearman a plaidé coupable d'avoir commis cette infraction. Il a dit exactement ceci: «coupable avec explication». Son avocat soutient que ce n'est pas le plaidoyer approprié et que, par conséquent, il aurait être traité comme un plaidoyer «de non-culpabilité». Dans des procédu- res disciplinaires de ce genre, on ne peut pas s'attendre à toute la précision et à tout le forma- lisme juridique d'un tribunal. On peut donner aux mots leur signification normale, même s'ils ne peuvent pas être choisis avec la même précision qui serait exigée d'un plaidoyer formel en réponse à une accusation portée aux termes du Code crimi- nel [S.R.C. 1970, chap. C-34]. Je crois que pour la plupart des gens, «coupable avec explication» veut dire que l'accusé reconnaît sa culpabilité, mais qu'il désire expliquer les circonstances qui pour- raient contribuer à atténuer la sévérité de la peine. C'est précisément ce qu'a fait Spearman pendant l'audience. Je pense que le président du tribunal a agi raisonnablement en supposant que le requé- rant, qui avait probablement comparu au moins une fois devant un tribunal, savait ce qu'il disait lorsqu'il a employé le terme «coupable». Le dossier montre que le président a écouté les doléances du requérant au sujet des fouilles par palpation effec- tuées par des agents du sexe opposé et lui a expliqué la façon appropriée de procéder pour faire changer cette pratique.
Pour ce qui est du droit à la protection de la vie privée et du droit de ne pas être l'objet de discrimi nation qui, selon le requérant, auraient être pris en considération, j'ai statué qu'en ce qui concerne la fouille par palpation, ces «moyens de défense» sont mal fondés. J'ai conclu que toute intrusion dans la vie privée, toute inégalité entre les sexes résultant des fouilles par palpation sont négligea- bles et n'invalident ni cette pratique ni le Règle-
ment en vertu duquel elles sont exécutées. Par conséquent, le président du tribunal n'a pas excédé sa compétence en omettant de tenir compte de ces éléments. Il n'y avait aucun autre motif de contes- ter la légitimité de l'ordre auquel Spearman a désobéi.
Puisque j'ai conclu qu'aucune disposition de la Charte ou de la Déclaration canadienne des droits n'empêchait le président de connaître de cette question et comme le requérant a plaidé coupable à la suite de l'accusation, il n'y a rien d'autre qui peut ou doit être fait par voie de certiorari. On peut soutenir qu'il aurait mieux valu porter une accusation d'avoir désobéi à un ordre légal plutôt qu'à un règlement ou à une règle. Comme le requérant n'a pas soulevé d'objection à cet effet au cours de l'audience, je n'exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire, en ce qui concerne le bref de cer- tiorari, qui m'aurait permis d'annuler la déclara- tion de culpabilité pour cette raison. À mon avis, le plaidoyer de culpabilité empêche le requérant d'af- firmer qu'il ne pensait pas qu'un gardien lui avait donné un ordre, si c'est vraiment ce qu'il affirme maintenant.
La présente demande est donc rejetée avec dépens.
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