T-757-83
Tenneco Canada Inc. (auparavant Tenneco
Canada Corp., auparavant Speedy Muffler King
Corporation, auparavant Discoverer Services Lim
ited) (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: TENNECO CANADA INC. C. CANADA
Division de première instance, juge Dubé—
Toronto, 6, 7 et 8 octobre; Ottawa, 26 octobre
1987.
Impôt sur le revenu — Calcul du. revenu — Allocation du
coût en capital — Assemblage et installation de systèmes
d'échappement sur les véhicules automobiles — Contrat de
fourniture de services — Ne constitue pas de la «transforma-
tion» puisque les pièces, qui sont fournies par une filiale, sont
installées sans aucune modification — L'assemblage ne consti-
tue pas de la «fabrication» lorsqu'elle consiste simplement à
installer des pièces de remplacement — Un nouveau produit
doit être créé — Le contribuable ne crée pas de nouveaux
articles destinés à la vente, mais il installe plutôt des articles
fabriqués ailleurs sur commande — Il n'y a pas vente d'arti-
cles ainsi que l'exige l'art. 125.1(3) de la Loi de l'impôt sur le
revenu — Le droit de propriété des pièces change de mains par
voie de cession.
Il s'agit en l'espèce d'un appel en matière d'impôt sur le
revenu. L'entreprise du contribuable consiste à assembler et à
installer des systèmes d'échappement sur des véhicules automo
biles. Les pièces, qui sont fournies par une filiale, sont installées
sans subir de modifications importantes. Souvent, on ne rem-
place qu'une ou deux pièces importantes plutôt que tout le
système. Après avoir enlevé les pièces usagées, les techniciens
installent les nouvelles une par une. Les factures ne font état
que du coût des pièces et non de celui de la main-d'oeuvre. Les
prix demandés pour les pièces comprennent le coût de la
main-d'oeuvre. La question en litige consiste à se demander si
l'entreprise du contribuable constitue de la fabrication et de la
transformation et, si oui, si des articles sont produits pour fins
de vente ainsi que l'exige la définition de l'expression «bénéfices
de fabrication et de transformation au Canada» à l'alinéa
125.1(3)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Jugement: l'action devrait être rejetée.
Le travail effectué par Speedy Muffler ne constitue pas de la
fabrication ou de la transformation, mais constitue plutôt de la
fourniture de services. Deux critères servent à définir le mot
«transformation»: 1) le traitement appliqué aux articles doit les
rendre plus commercialisables et 2) ceux-ci doivent subir un
changement d'apparence ou de nature. Le travail effectué par
les employés du contribuable ne satisfait pas à ces critères
puisque les pièces sont installées pratiquement sans change-
ment. Bien que la jurisprudence fasse souvent mention de la
notion de fabrication en quantités considérables et sur une
grande échelle, l'assemblage a, dans certains cas, été considéré
comme constituant de la fabrication. Tel n'est pas le cas
cependant lorsque l'assemblage se limite uniquement à l'instal-
lation de pièces de remplacement. L'assemblage doit créer un
nouveau produit. Speedy Muffler ne crée pas des articles
nouveaux destinés à la vente, elle ne fait qu'installer sur des
véhicules moteurs des articles fabriqués ailleurs sur commande.
Même si le travail en question constituait de la fabrication ou
de la transformation, il ne porterait pas pour autant sur des
articles destinés à la vente. Les pièces ne sont pas vendues au
client, elles deviennent plutôt sa propriété par voie d'accession.
On affirme, dans l'ouvrage Benjamin's Sale of Goods, que
lorsqu'un bien meuble de l'employeur fait l'objet de travaux
comportant l'adjonction de matériaux appartenant à la per-
sonne engagée à cette fin, il s'agit normalement d'un contrat de
fourniture d'ouvrage et de matériaux, la propriété de ceux-ci
passant alors à l'employeur par accession et non pas en vertu
d'un contrat de vente. Parfois, cependant, il peut s'agir de la
vente d'un article assortie d'une entente subsidiaire en vue de
l'adjonction de cet article. Il y a alors transfert du droit de
propriété afférent à cet article avant son adjonction. Tout est
question d'intention.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 125.1(1)a) (édicté par S.C. 1973-74, chap. 29, art.
1), (3)a) (édicté, idem), b) (édicté, idem), 127(5)
(édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 71, art. 9.).
Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., chap. 945,
annexe II, catégorie 29.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Crown Tire Service Ltd. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 219;
(1983), 83 DTC 5426 (1'° inst.); Sterling Engine Works
v. Red Deer Lumber Co. (1920), 51 D.L.R. 509 (C.A.
Man.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Halliburton Services Ltd. v. The Queen (1985), 85 DTC
5336 (C.F. Pe inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Federal Farms Ltd. v. Minister of National Revenue,
[1966] R.C.É. 410; (1967), 67 DTC 5311; confirmée sans
motifs, [1967] R.C.S. vi; Queen, The v. York Marble,
Tile and Terrazzo Limited, [1968] R.C.S. 140; infirmant
[1966] R.C.É. 1039; [1966] C.T.C. 355; (1966), 66 DTC
5210; Fiat Auto Canada Limited c. La Reine, [1984] 1
C.F. 203 (Pe inst.); Canadian Wirevision Ltd. c. R.,
[1978] 2 C.F. 577 (1'e inst.); confirmée par [1979] 2 C.F.
164; [1979] CTC 122 (C.A.); R. v. Sutherland, [1930] 4
D.L.R. 183 (C.A.C.-B.); Deputy Minister of National
Revenue for Customs and Excise v. Research -Cottrell
(Canada) Limited et al., [1968] R.C.S. 684; Re Coleman,
Township of, and Northern Ontario Light and Power Co.
Ltd. (1927), 60 O.L.R. 405 (Div. d'appel); Martin, John,
Paper Co. v. American Type Foundry Co., [1924] 3
D.L.R. 1080 (C.S. Alb.).
DOCTRINE
Benjamin's Sale of Goods, 1st ed. A.G. Guest, London:
Sweet & Maxwell, 1974.
Benjamin's Sale of Goods, 3rd ed. A.G. Guest, London:
Sweet & Maxwell, 1987.
AVOCATS:
Wolfe D. Goodman, c.r. et Joanne E. Swystun
pour la demanderesse.
Ian S. MacGregor et Alexandra Brown pour
la défenderesse.
PROCUREURS:
Goodman & Carr, Toronto, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada, pour
la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DUBÉ: Dans le présent appel en
matière d'impôt sur le revenu, la demanderesse
(désignée parfois par le nom «Speedy Muffler»)
soutient que ses activités d'assemblage et d'instal-
lation de systèmes d'échappement sur des véhicules
automobiles constituaient une entreprise, exploitée
activement, de fabrication et de transformation
d'articles destinés à la vente au Canada. En cas de
décision favorable à la demanderesse, celle-ci
aurait droit à des déductions pour amortissement,
déductions et crédits d'impôt à l'investissement
pour les années d'imposition 1975, 1976, 1977 et
1978, en vertu de l'alinéa 125.1(1)a) [édicté par
S.C. 1973-74, chap. 29, art. 1] et du paragraphe
127(5) [édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 71, art.
9] de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-
71-72, chap. 63] et de la catégorie 29 de l'annexe
II des Règlements de l'impôt sur le revenu
[C.R.C., chap. 945].
La Loi de l'impôt sur le revenu ne définit pas les
termes «fabrication» ou «transformation», mais le
paragraphe 125.1(3) [édicté par S.C. 1973-74,
chap. 29, art. 1] définit de la façon suivante l'ex-
pression «bénéfices de fabrication et de transfor
mation au Canada»:
125.1 ...
(3) Dans le présent article,
a) «bénéfices de fabrication et de transformation au Canada»
d'une corporation pour une année d'imposition signifie le
pourcentage de tous les montants dont chacun est le revenu
que la corporation a tiré pour l'année d'une entreprise exploi-
tée activement au Canada, déterminé en vertu des règles
prescrites à cette fin par voie de règlement établi sur la
recommandation du ministre des Finances, qui doit s'appli-
quer à la fabrication ou à la transformation au Canada
d'articles destinés à la vente ou à la location; et
b) «fabrication ou transformation» ne comprend pas
(x) toute fabrication ou transformation de marchandises
en vue de la vente ou de la location, si, pour une année
d'imposition d'une corporation à l'égard de laquelle l'ex-
pression s'applique, moins de 10 % de ses recettes brutes de
toutes les entreprises exploitées activement au Canada
provenait
(A) de la vente ou de la location d'articles qu'elle a
fabriqués ou transformés au Canada, et
(B) de la fabrication ou de la transformation au Canada
d'articles destinés à la vente ou à la location, autres que
des articles qu'elle devait vendre ou louer elle-même.
Il ressort des termes mêmes de la déclaration de
la demanderesse, que de 1975 à 1978, celle-ci
faisait l'assemblage et l'installation de systèmes
d'échappement et de suspension sur des véhicules
automobiles (l'installation de systèmes de suspen
sion n'est pas visée dans la présente action).
Les systèmes d'échappement sont généralement
constitués de trois pièces principales: le tuyau
d'échappement qui est relié au moteur, le silen-
cieux lui-même, qui constitue la pièce principale
et, finalement, le tuyau arrière qui conduit les
émanations à l'arrière du véhicule. Certains systè-
mes comptent trois autres pièces importantes, le
silencieux auxiliaire, le connecteur et le convertis-
seur catalytique. Cependant, dans bien des cas, on
ne remplace qu'une ou deux pièces importantes à
la fois. Pendant les années visées, on a remplacé en
moyenne 2,31 pièces principales par véhicule.
Diverses petites pièces courantes tels des joints
d'étanchéité, des colliers de serrage, des étriers de
suspension et des supports, sont utilisées afin de
relier ou de rattacher les pièces principales les unes
aux autres ou au châssis de l'automobile. Divers
types d'écrous et de boulons viennent compléter le
matériel de base utilisé dans les garages Speedy
Muffler.
Toutes les pièces principales proviennent de
Walker Exhausts Limited de Cambridge (Ontario)
(«Walker»), qui est une filiale de la demanderesse
Tenneco Canada Inc. Walker publie un catalogue
principal pour tous les systèmes d'échappement.
Les garages Speedy Muffler gardent des stocks de
pièces principales suffisants pour satisfaire à la
demande. Les pièces principales sont fabriquées
pour des modèles particuliers d'automobiles ainsi
que pour des années particulières. Les petites
pièces de fixation proviennent également de
Walker. Aucune pièce n'est fabriquée ou créée
dans les garages Speedy Muffler.
À l'audience, la demanderesse a présenté, sur un
écran de télévision, un montage vidéo expliquant
l'installation d'un système d'échappement sur une
voiture familiale Ford LTD 1975. Le véhicule est
d'abord soulevé par un cric hydraulique, puis un
employé de Speedy Muffler (qui n'est pas un
mécanicien titulaire d'un permis mais plutôt une
personne formée par Speedy Muffler) enlève les
pièces usagées qui doivent être remplacées, l'en-
semble du système d'échappement dans le cas qui
nous était présenté. L'employé a utilisé un chalu-
meau afin d'enlever un tenon rouillé qu'il a rem-
placé par un boulon neuf. Les pièces principales ne
sont pas assemblées sur le plancher et ensuite
levées sous l'automobile, elles sont plutôt assem
blées une par une, en commençant par le tuyau
d'échappement qui est relié au collecteur d'échap-
pement. Le silencieux lui-même est ensuite ratta-
ché au tuyau d'échappement à l'aide d'un collier
de serrage. Finalement, le tuyau arrière est
d'abord relié au silencieux puis rattaché au châssis
de l'automobile à l'aide d'un étrier de suspension.
Divers outils sont utilisés par les préposés: en
plus des outils courants tels les marteaux, les
tournevis et les clefs à molette, mentionnons des
outils plus spécialisés tels les expanseurs Spee-D
(qui permettent d'enlever les rainures et les bosse-
lures des tuyaux) et les cintreuses Spee-D (qui
servent à modifier la forme des tuyaux et des
extrémités de raccordement). De façon générale, il
faut environ cinq minutes pour enlever le vieux
système d'échappement et quinze minutes pour
installer le nouveau. Dans le cours de l'installation
de nouvelles pièces, il est possible que les tuyaux
doivent être évasés de façon à ce qu'ils s'emboîtent
bien avec les autres pièces, ou encore qu'ils soient
comprimés en raison du fait qu'ils sont retenus par
des colliers de serrage. Les pièces ne subissent
aucune modification importante dans les garages.
Dans la plupart des cas, les pièces principales, y
compris les tuyaux, s'emboîtent les unes dans les
autres sans besoin de modification puisqu'elles
sont toutes fabriquées par Walker pour être instal-
lées sur des véhicules de modèles déterminés, pour
des années particulières.
Les factures remises au client au terme de l'ins-
tallation ne comprennent pas les frais de main-
d'oeuvre, mais seulement le coût des pièces. Il est
cependant reconnu que le prix de vente des pièces
comprend le coût de la main-d'oeuvre. Les clients
reçoivent également une garantie écrite d'un an
visant toutes les pièces du système d'échappement
ainsi que la main-d'oeuvre. Tout silencieux haute-
performance destiné aux automobiles nord-améri-
caines est garanti [TRADUCTION] «aussi longtemps
que vous possédez le véhicule sur lequel il est
installé».
Comme nous l'avons déjà mentionné, la Loi de
l'impôt sur le revenu ne définit pas les mots «fabri-
cation» ou «transformation». Il existe toutefois une
abondante jurisprudence sur cette question. Les
tribunaux ont conclu que le sens technique attribué
au mot «transformation» par les témoignages d'ex-
perts devait être rejeté au profit du sens courant,
ou sens du dictionnaire, de ce mot'. La définition
suivante du verbe «transformer», qui est tirée d'un
dictionnaire, a été citée avec approbation 2 : [TRA-
DUCTION] «soumettre à une méthode, à une tech
nique ou à un système particulier de préparation
ou de traitement conçu afin d'obtenir un résultat
déterminé» 3 .
On a jugé que des opérations de finition effec-
tuées sur des dalles de marbre brut constituaient
de la «fabrication»: les dalles de marbres ayant
[TRADUCTION] «par suite d'un travail, tant
manuel que mécanique, reçu une nouvelle forme,
une qualité nouvelle et de nouvelles propriétés» 4 . Il
a également été décidé «que la mise en place, par
' Federal Farms Ltd. v. Minister of National Revenue,
[1966] R.C.É. 410; (1967), 67 DTC 5311; confirmée par la
Cour suprême du Canada sans motifs écrits, [1967] R.C.S. vi.
2 Id., à la p. 416.
3 Webster's Third New International Dictionary, 1964.
4 Queen, The v. York Marble, Tile and Terrazzo Limited,
[1968] R.C.S. 140, la p. 145 (infirmant [1966] R.C.É. 1039;
[1966] C.T.C. 355; (1966), 66 DTC 5210).
la demanderesse, des appareils de radio dans les
automobiles qu'elle a importées pour les vendre à
ses concessionnaires ne fait pas d'elle un fabricant
ou un producteur» 5 .
Deux critères servent à définir le mot «transfor-
mation». Premièrement, le traitement appliqué aux
articles doit les rendre plus commercialisables et,
deuxièmement, ceux-ci doivent subir un change-
ment d'apparence ou de nature 6 .
Certaines décisions soulignent que la fabrication
implique la production de quantités considérables
d'articles, celle-ci étant «la confection d'éléments
... (. .. sur une grande échelle) manuellement ou
par des procédés mécaniques»'. On a conclu que
[TRADUCTION] «Le fait de mettre au point ou de
produire, à l'aide de dispositifs mécaniques, en
grandes quantités, un produit déterminé, contrôlé
et commercialisable suggère [...] l'action de
`fabriquer'» 8 . Par ailleurs, on a jugé que la fabrica
tion connote l'idée [TRADUCTION] «d'importantes
quantités destinées au commerce» 9 .
La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a
conclu, dans R. v. Sutherland 10 , que [TRADUC-
TION] «selon une conception moderne du mot
«fabricant», ce dernier est une personne qui, sur
une échelle raisonnablement grande, fabrique, par
l'utilisation de main-d'oeuvre ou de procédés méca-
niques un produit fini ou semi-fini, destiné à un
usage général. Un tel fabricant n'a pas de client
déterminé pour chaque article qu'il produit». Dans
l'affaire Deputy Minister of National Revenue for
Customs and Excise v. Research -Cottrell
(Canada) Limited et al. ", la Cour suprême exami-
nait le cas d'une compagnie qui avait assemblé et
érigé huit cuves de précipitation, après avoir
importé au pays les pièces déjà fabriquées. Le juge
5 Fiat Auto Canada Limited c. La Reine, [1984] 1 C.F. 203
(1re inst.), à la p. 210.
6 Federal Farms Ltd. v. Minister of National Revenue, préci-
tée, note 1, à la p. 410 et Canadian Wirevision Ltd. c. R.,
[1978] 2 C.F. 577 (lfe inst.); confirmée par, [1979] 2 C.F. 164;
[1979] CTC 122 (C.A.).
Shorter Oxford English Dictionary, à la p. 1275.
Re Coleman, Township of and Northern Ontario Light
and Power Co. Ltd. (1927), 60 O.L.R. 405 (Div. d'appel), à la
p. 408.
9 Martin, John, Paper Co. v. American Type Foundry Co.,
[1924] 3 D.L.R. 1080 (C.S. Alb.), à la p. 1082.
10 [1930] 4 D.L.R. 183 (C.A. C.-B.), à la p. 187.
11 [1968] R.C.S. 684.
Martland a déclaré, à la page 693, que [TRADUC-
TION] «l'assemblage de pièces peut, dans certaines
circonstances, constituer de la fabrication, mais je
ne suis pas d'avis que tel est le cas en toutes
circonstances». À mon avis, l'assemblage peut
constituer de la «fabrication», mais non dans les
cas où l'assemblage se limite uniquement à l'instal-
lation de pièces de remplacement: l'assemblage
doit créer un produit nouveau.
Le seul témoin qu'a assigné la demanderesse
avait, à quelques reprises, visité une importante
usine de fabrication d'automobiles. Ce dernier a
considéré qu'il s'agissait d'une usine d'assemblage
de pièces, mais que celle-ci n'en constituait pas
moins une entreprise de fabrication de véhicules
automobiles. Évidemment, la distinction principale
réside dans le fait que ces grandes usines d'assem-
blage créent un produit nouveau, une automobile
en l'occurrence, qui est ensuite distribué en gros,
alors que Speedy Muffler ne fait qu'assembler
quelques pièces déjà fabriquées sur commande par
un autre fabricant (Walker) et les fixe au véhicule.
À mon avis, Speedy Muffler ne crée pas réelle-
ment des articles nouveaux destinés à la vente: elle
ne fait qu'installer sur des véhicules automobiles
des articles déjà fabriqués ailleurs.
Aux termes de l'alinéa 125.1(3)a) de la Loi, la
«fabrication» ou «transformation» doit viser des
«articles destinés à la vente». La position de la
défenderesse consiste à dire que l'entreprise de la
demanderesse ne tendait pas à la production d'arti-
cles destinés à la vente, mais constituait essentiel-
lement une entreprise de services: Speedy Muffler
répare ou remplace des pièces de système d'échap-
pement, offrant ainsi un service à des clients indi-
viduels. De plus, les pièces ne sont pas vendues aux
clients, mais elles sont fixées à leur véhicule et
deviennent leur propriété par voie d'accession.
Dans l'affaire Crown Tire Service Ltd. c. La
Reine 12 , le juge Strayer de la Division de première
instance a conclu que, dans la mesure où ces
opérations avaient pour objet le rechapage de
pneus appartenant à des clients, la fabrication ou
la transformation à laquelle se livrait le contribua-
ble ne se rapportait pas à la production d'articles
12 [1984] 2 C.F. 219; (1983), 83 DTC 5426 (1"° inst.).
destinés à la vente: les contrats afférents à ces
pneus étaient des contrats de fourniture d'ouvrage
et de matériaux. La Cour a cité l'ouvrage Benja-
min's Sale of Goods 13 :
[TRADUCTION] Lorsqu'un bien, meuble ou immeuble, de l'em-
ployeur doit faire l'objet de travaux comportant l'utilisation ou
l'adjonction de matériaux appartenant à la personne engagée à
cet effet, il s'agira normalement d'un contrat de fourniture
d'ouvrage et de matériaux, la propriété de ceux-ci passant alors
à l'employeur par accession et non pas en vertu d'un contrat de
vente.
Le juge Strayer a conclu ainsi:
J'estime que le principe général énoncé dans Benjamin s'ap-
plique à la situation en l'espèce. Quant aux pneus appartenant
aux clients, il me semble que pendant tout le processus du
rechapage ces derniers en conservent la propriété 14 .
Toutefois, dans l'arrêt Halliburton Services Ltd.
c. La Reine 15 le juge Reed, également de la Cour,
examinait le cas d'une société qui exerçait des
activités de forage de puits de pétrole et de gaz
exigeant l'emploi d'un produit spécialisé qu'elle
produisait en plus d'assurer les services connexes.
La Cour a conclu que le contribuable était un
fabricant et que, dans cette affaire, il n'était pas
nécessaire d'établir une distinction entre les arti
cles vendus aux termes d'un contrat de vente de
marchandises et ceux vendus aux termes d'un con-
trat de fourniture de services. Le juge Reed a
distingué l'affaire qui l'intéressait de celle ayant
fait l'objet de la décision du juge Strayer de la
façon suivante:
Il conviendrait tout d'abord de souligner que, bien que le juge
Strayer se soit fondé sur la distinction qui existe entre les
contrats de vente de marchandises et les contrats de fourniture
d'ouvrage et de matériaux tels que décrits dans Benjamin's
Sale of Goods, il a fait expressément remarquer que l'applica-
tion de ce principe «variera en conséquence». Deuxièmement, la
transformation qui l'intéressait ne comportait pas la création
d'une marchandise avant son emploi dans la prestation d'un
service. Troisièmement, l'élément important dans cette affaire
était que «la carcasse de pneu qui faisait l'objet des travaux ne
cessait pas d'appartenir au client» 16 . [Non souligné dans le
texte original.]
En l'espèce, il suffit de dire que la troisième
distinction ne s'applique pas car le véhicule qui
faisait l'objet des travaux par Speedy Muffler ne
cessait pas d'appartenir au client.
13 Id., à la p. 223 C.F.; 5428 DTC; Benjamin's Sale of
Goods, l èfe éd. A.G. Guest, London: Sweet & Maxwell, 1974.
14 Crown Tire Service Ltd. c. La Reine, précité, note 12, aux
p. 223 C.F.; et 5428 DTC.
15 (1985), 85 DTC 5336 (1r» inst.).
16 Id., à la p. 5340.
On observe, dans Benjamin", au numéro 41, qui
est intitulé [TRADUCTION] «Distinction entre la
vente et le contrat de fourniture d'ouvrage et de
matériaux», qu'il est parfois extrêmement difficile
de statuer s'il est plus précis de désigner une
entente particulière comme étant un contrat de
vente de marchandises ou encore un contrat relatif
à l'exécution de travaux ou de services. De plus,
l'auteur souligne que la distinction [TRADUCTION]
«semble aujourd'hui avoir peu d'importance», en
ajoutant toutefois [TRADUCTION] «sauf en ce qui a
trait aux autres dispositions législatives qui ne
s'appliquent qu'à une "vente" ou à un "contrat de
vente"». (Le paragraphe 125.1(3) de la Loi de
l'impôt sur le revenu ne s'applique qu'aux articles
destinés à la vente ou à la location). L'auteur
aborde, au numéro 43, la question des biens mobi-
liers destinés à être joints à un bien-fonds ou à un
autre bien mobilier:
[TRADUCTION] Biens mobiliers destinés à être joints à un
bien-fonds ou â un autre bien mobilier. Lorsque le bien-fonds
de l'employeur ou un bien mobilier appartenant à ce dernier
doit faire l'objet de travaux comportant l'utilisation ou l'adjonc-
tion de matériaux appartenant à la personne engagée à cette
fin, il s'agira normalement d'un contrat de fourniture d'ouvrage
et de matériaux, la propriété de ceux-ci passant alors à l'em-
ployeur par accession et non pas en vertu d'un contrat de vente.
Parfois, cependant, il peut s'agir de la vente d'un article assortie
d'une entente supplémentaire et subsidiaire en vue de l'adjonc-
tion de cet article. Il y a alors transfert du droit de propriété
afférent à cet article avant son adjonction, en vertu soit du
contrat de vente lui-même soit d'une prise de possession effec-
tuée aux termes de celui-ci. Manifestement, la question de
savoir si l'intention des parties est essentiellement l'améliora-
tion du bien-fonds ou du bien mobilier principal (à l'égard
duquel la fourniture des matériaux est accessoire) ou la conclu
sion d'une vente (à l'égard de laquelle l'entente d'adjonction est
accessoire) est une question de degré, qu'il peut s'avérer diffi-
cile de trancher dans la pratique; mais en théorie cela ne
présente aucune difficulté. Dans les décisions qui ont été ren-
dues sur cette question, les cas suivants ont été jugés des
contrats de fourniture d'ouvrage et de matériaux: la fourniture
et l'installation de machines dans un bâtiment, la révision et la
modification des moteurs et autres machines d'un navire, l'érec-
tion d'un bâtiment, la construction d'un bar encastré dans une
maison, l'ajustement de garniture de freins d'une automobile. À
l'opposé, ont été jugés des contrats de vente de marchandises:
un contrat de fourniture et d'installation, sur les lieux, de
rideaux opaques et de tringles ainsi qu'un contrat visant la
fabrication d'une trémie pour aliments en vrac et (moyennant
des frais supplémentaires) la livraison et l'installation de cette
trémie.
" Op. cit., précité note 13, 3° éd., London: Sweet & Maxwell,
1987.
Une dernière citation mérite d'être reproduite.
Dans l'arrêt Sterling Engine Works v. Red Deer
Lumber Co. 18 , la Cour d'appel du Manitoba a jugé
qu'un contrat conclu en vue de la fourniture d'une
machine ou d'un objet mobilier de quelque nature
que ce soit et (avant qu'il n'y ait transfert du droit
de propriété afférent à cette machine ou à cet
objet) de son adjonction au bien-fonds ou à un
autre bien mobilier ne constituait pas un contrat
de vente de marchandises. Le juge d'appel Dennis-
toun a déclaré ce qui suit, à la page 513:
[TRADUCTION] Je suis d'avis que la propriété de chaque
plaque, rivet ou autre élément incorporé au moteur de la
défenderesse par la demanderesse est passée à la défenderesse
au moment où l'objet en question a été attaché au moteur et
pas autrement.
En résumé, le travail effectué par Speedy Muf
fler sur les véhicules de ses clients, qu'il s'agisse de
réparation au système d'échappement déjà en
place, ou du remplacement de l'ensemble du sys-
tème d'échappement ou de certaines de ses pièces,
ne constitue pas de la fabrication ou de la transfor
mation d'articles destinés à la vente, mais constitue
plutôt de la fourniture de services.
En outre, même si je considérais ce travail
comme étant de la fabrication ou de la transforma
tion, de telles activités ne viseraient pas des articles
destinés à la vente au sens de la Loi, car, à mon
avis, les pièces de système d'échappement instal-
lées sous les véhicules des clients ne font pas l'objet
d'une vente au client, mais deviennent plutôt leur
propriété par voie d'accession.
L'action de la demanderesse est, par conséquent,
rejetée avec dépens.
18 (1920), 51 D.L.R. 509 (C.A. Man.).
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.