T-2350-86
Dara M. Wilder et Organic Research Inc. et
Vardax Consultants Inc. (demandeurs)
c.
La Reine du chef du Canada, ministre du Revenu
national, Impôt, Henry Rogers, John W. Robert-
son, Bob Roy, Rodney Jamieson, William Lucas,
Philip George Seagle, Larry B. Moi, M. K. Ma,
Reginald H. Norberg et Donald J. Sasnett
(défendeurs)
RÉPERTORIÉ: WILDER C. CANADA
Division de première instance, juge Muldoon—
Vancouver, 23 février et 10 mars 1987.
Compétence de la Cour fédérale — Division de première
instance — Il est allégué que des fonctionnaires du M.R.N. et
des agents du Internal Revenue Service des É.-U. ont manqué
au devoir qui leur est imposé par l'art. 241 de la Loi de l'impôt
sur le revenu — Requête visant à obtenir l'autorisation d'ef-
fectuer une signification ex juris — Les agents du I.R.S.
peuvent être assignés devant un tribunal compétent — La
Division de première instance peut-elle connaître de l'espèce?
— Les critères dégagés dans l'arrêt ITO—International Ter
minal Operators relativement à la compétence de la Cour sont
remplis — L'art. 241 est une disposition accessoire à la
compétence conférée au Parlement par l'art. 101 de la Loi
constitutionnelle de 1867 — L'existence des délits allégués
repose sur un ensemble de règles de droit fédérales, c.-a-d.
l'art. 241 — La Cour est liée par les décisions récentes portant
que les actions en responsabilité délictuelle intentées contre des
particuliers reposent sur la législation fédérale applicable —
Requête accueillie — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10, art. 17(1), (3)c), (4)b) — Loi sur la responsabi-
lité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-28.
Impôt sur le revenu — L'art. 241 interdit la communication
des renseignements obtenus par le ministre du Revenu national
ou en son nom — Il est allégué que des fonctionnaires du
M.R.N. et des agents du Internal Revenue Service des É.-U.
ont manqué au devoir qui leur est imposé par l'art. 241 —
Négligence — Les agents du I.R.S. peuvent être assignés
devant la Division de première instance — Le droit des
demandeurs d'être protégés en vertu de l'art. 241 contre la
divulgation non autorisée tire sa source du droit fédéral — La
requête en signification ex juris est accueillie — Loi de l'impôt
sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 241 — Loi sur
l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111,
annexe II, art. 24 — Charte canadienne des droits et libertés,
qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B. Loi de 1982 sur le Canada, 1982. chap. 11 (R.-U.),
art. 1, 7, 8, 24, 26 — Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31
Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5/ (mod.
par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art. 101 —
Loi . de 1984 sur la Convention Canada—États-Unis en matière
d'impôts, S.C. 1984, chap. 20.
Couronne — Responsabilité délictuelle — Il est allégué que
des fonctionnaires du M.R.N. et des agents du Internai Reve
nue Service des É:-U. ont manqué au devoir qui leur est
imposé par l'art. 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu —
Négligence — Les agents du I.R.S. peuvent être assignés
devant la Division de première instance — Application incer-
taine de la Loi sur la responsabilité de la Couronne — La
Cour est liée par les décisions récentes infirmant les décisions
antérieures où il a été statué que l'action doit être intentée
devant la Division de première instance contre la Couronne
mais non contre les fonctionnaires ou les préposés de la
Couronne lorsque ceux-ci ont commis un délit pouvant donner
lieu à une poursuite — Loi sur la responsabilité de la Cou-
ronne, S.R.C. 1970, chap. C-28.
Pratique — Signification — Ex juris — Personnes visées:
des agents du Internai Revenue Service des États-Unis — Ces
derniers auraient manqué au devoir qui leur est imposé par
l'art. 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu en complotant pour
violer le caractère confidentiel des rapports des demandeurs —
Les conséquences civiles du manquement à un devoir imposé
par la loi doivent être subsumées sous le droit de la responsa-
bilité pour négligence: R. du chef du Canada c. Saskatchewan
Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205 — On a allégué la négligence
— Les codéfendeurs américains peuvent être assignés devant
un tribunal compétent — La Division de première instance de
la Cour fédérale est le tribunal compétent — L'existence des
délits allégués repose sur le droit fédéral — Requête accueillie
— Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 307
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art.
241.
Les demandeurs cherchent à obtenir une ordonnance les
autorisant à effectuer une signification ex juris. Ils intentent
une action en responsabilité délictuelle pour le motif que les
défendeurs auraient manqué au devoir qui leur est imposé par
l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cet article
interdit à tout fonctionnaire de communiquer sciemment un
renseignement obtenu par le ministre du Revenu national ou en
son nom, sauf comme l'autorise ledit article. Les demandeurs
prétendent que l'article 241 fixe une norme de prudence et ils
soutiennent que les préposés de Sa Majesté ont fait preuve de
négligence en communiquant des renseignements à des agents
du Internai Revenue Service des États-Unis. Ils allèguent que
les agents du I.R.S., qui ont été mis en cause à titre de
codéfendeurs, ont manqué à l'obligation de prudence en com-
plotant de manière à porter atteinte au droit garanti aux
demandeurs par l'article 241. Le litige consiste à déterminer si
les agents du I.R.S. peuvent être assignés devant cette Cour et
si cette Cour peut connaître de l'espèce.
Jugement: la requête doit être accueillie.
Comme l'a statué le juge Dickson, tel était alors sont titre,
dans l'arrêt R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat
Pool, [1983] 1 R.C.S. 205, il n'existe pas au Canada de délit
civil spécial de violation d'une obligation légale. Il a dit que les
conséquences civiles de la violation d'une loi doivent être subsu
mées sous le droit de la responsabilité pour négligence. Étant
donné qu'on n'avait pas allégué dans cet arrêt qu'il y avait eu
négligence ni prouvé son existence, l'action a échoué.
On a allégué la négligence en l'espèce. En outre, même si une
peine est prévue, l'article 241 dénote l'intention de protéger les
contribuables contre la divulgation non autorisée plutôt que
celle de punir des fonctionnaires. Les allégations de manque-
ment à l'obligation de prudence avancées contre les agents du
I.R.S. font en sorte que ceux-ci peuvent, à ce stade des procédu-
res, être assignés devant un tribunal compétent pour répondre
aux allégations des demandeurs. -
Il faut ensuite se demander si cette Cour peut connaître de
l'espèce. La Cour suprême du Canada a énoncé dans l'arrêt
ITO—International Terminal Operators, [1986] 1 R.C.S. 752,
les critères légaux permettant d'établir la compétence de cette
Cour: (1) il doit y avoir une attribution de compétence par une
loi du Parlement fédéral; (2) il doit exister un ensemble de
règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige
et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence;
(3) la loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada»
au sens où cette expression est employée à l'article 101 de la
Loi constitutionnelle de 1867.
Bien que ces critères ne soient pas nouveaux, il semble que
leur interprétation fasse l'objet d'une nouvelle vague de déci-
sions. La Division de première instance a déjà indiqué dans des
jugements antérieurs que, lorsque des fonctionnaires ou des
préposés de la Couronne ont commis un délit civil pouvant
donner lieu à une poursuite en vertu de la Loi sur la responsa-
bilité de la Couronne, et pour lequel ils pourraient être tenus
personnellement responsables, l'action doit être intentée devant
la Division de première instance contre la Couronne mais non
contre ses fonctionnaires ou préposés.
La Cour semble s'être écartée de ces décisions comme le
montrent les décisions rendues dans les affaires récentes Mar-
shall, Blackfoot Indian Band et Roberts, cette dernière ayant
été confirmée par la Cour d'appel, où elle a conclu que la
législation fédérale applicable constituait le fondement d'ac-
tions en responsabilité délictuelle intentées contre des particu-
liers. Dans l'arrêt Oag c. Canada, la Cour d'appel a statué que
la Division de première instance avait compétence pour connaî-
tre des poursuites intentées pour arrestation illégale et empri-
sonnement arbitraire contre des particuliers membres de la
Commission nationale des libérations conditionnelles. Pronon-
çant le jugement de la Cour, le juge Stone a invoqué une
décision antérieure de la Cour d'appel, l'arrêt Stephens c. R.,
où celle-ci a statué que malgré l'application de la Loi de l'impôt
sur le revenu, le droit aux dommages-intérêts revendiqués par
les demandeurs n'était pas prévu par une loi fédérale. L'arrêt
Stephens présentait beaucoup plus de points semblables à ceux
de l'espèce que les affaires Roberts et Oag, et le fait que la
Cour d'appel n'ait pas confirmé ou infirmé dans l'arrêt Oag ce
qui a été dit dans l'affaire Stephens a introduit un élément
d'incertitude en ce qui concerne l'application de la Loi sur la
responsabilité de la Couronne.
En l'espèce, l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu
est un ensemble de règles de droit fédérales qui est essentiel à la
solution du litige et constitue le fondement de l'attribution
légale de compétence. Cette disposition constitue essentielle-
ment une règle de droit fédérale, car elle est accessoire à
l'exercice par le Parlement de son pouvoir législatif dans les cas
prévus au paragraphe 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867:
le prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de
taxation. Le droit des demandeurs d'être protégés contre toute
divulgation non autorisée tire donc sa source du droit fédéral.
Pour reprendre les propos du juge Stone dans l'arrêt Oag,
l'existence des délits allégués repose sur le droit fédéral et les
dommages-intérêts qui résultent de la perpétration de ces délits
prouvables peuvent être recouvrés en Division de première
instance. Il est évident que ces conclusions contredisent celles
de la Cour d'appel dans l'arrêt Stephens. Cependant, tant que
la Cour suprême du Canada n'en aura pas décidé autrement,
cette Cour doit respecter les motifs de jugement exprimés dans
les affaires Roberts et Oag.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool,
[1983] 1 R.C.S. 205; ITO—International Terminal
Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986]
I R.C.S. 752; Roberts c. Canada, [1987] 4 C.F. 535
(C.A.); confirmant Roberts c. Canada, [1987] 1 C.F. 155
(I« inst.); Oag c. Canada, [1987] 4 C.F. 511 (C.A.).
DÉCISIONS ÉCARTÉES:
Stephens c. R. (1982), 26 C.P.C. 1; (1982), 40 N.R. 620
(C.A.F.) (sub nom. Succession Stephens c. Ministre du
Revenu national); Pacific Western Airlines Ltd. c. R.,
[1980] 1 C.F. 86; 105 D.L.R. (3d) 44 (1" inst.); confir-
mant [1979] 2 C.F. 476; 105 D.L.R. (3d) 60 (C.A.).
DECISIONS CITÉES:
Marshall c. La Reine, [1986] 1 C.F. 437 (1" inst.);
Bande indienne Blackfoot, n° 146 (membres) c. Canada
et la bande indienne Blackfoot, n° 146 (chef et conseil-
lers) (1986), 5 F.T.R. 23 (C.F. 1' inst.).
AVOCAT:
J. S. Nossal pour les demandeurs.
Personne n'a comparu pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Davis & Company, Vancouver, pour Clark,
Dymond, Crump, Calgary, pour les deman-
deurs.
Personne n'a comparu pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Les demandeurs cherchent
à obtenir, conformément à la Règle 307 [Règles de
la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], une ordon-
nance les autorisant à signifier leur déclaration
modifiée aux défendeurs Reginald H. Norberg et
Donald J. Sasnett dans l'État de Washington ou
ailleurs aux États-Unis d'Amérique.
La Règle 307 exige qu'une telle demande soit
appuyée d'un affidavit ou d'une autre preuve indi-
quant que, à la connaissance du déposant, le
demandeur a une bonne cause d'action. Ce ne sont
pas tous les tribunaux supérieurs du Canada qui
exigent qu'une telle demande soit présentée ni
qu'une telle ordonnance soit rendue pour permet-
tre la signification à l'extérieur de leur ressort. Par
conséquent, il est manifeste que les requérants
doivent non seulement montrer que le déposant
croit que les demandeurs ont une bonne cause
d'action, mais ils doivent également convaincre la
Cour que ceux-ci possèdent effectivement une
bonne cause d'action. Il est également manifeste
qu'une telle cause d'action doit relever de la com-
pétence de cette Cour. Tel doit être l'objectif
fondamental de la Règle.
Les demandeurs intentent une action en respon-
sabilité délictuelle pour le motif que les défendeurs
auraient manqué au devoir qui leur est imposé par
l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu,
S.C. 1970-71-72, chap. 63 et ses modifications (la
«Loi»). Ils allèguent que les défendeurs Norberg et
Sasnett seraient des agents du Internal Revenue
Service des États-Unis (I.R.S. et É.-U.) qui
n'étaient pas légalement habilités à recevoir les
renseignements obtenus par le ministre du Revenu
national (le ministre) ou en son nom aux fins de la
Loi ou de la Loi de l'impôt sur les revenus pétro-
liers [S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, Partie IV].
C'est depuis le mois de janvier 1986 que ces deux
défendeurs recevraient des renseignements sur les
demandeurs par l'entremise des défendeurs Ma,
Moi et Seagle, qui se trouvent au Canada. Il est
allégué que les deux agents du I.R.S. sont en partie
responsables du manquement et de la négligence
volontaire reprochés à Ma, Moi et Seagle, ou qu'ils
ont illégalement comploté avec ces derniers au
Canada pour porter atteinte aux droits des deman-
deurs décrits à l'article 241 de la Loi.
Les demandeurs invoquent non seulement l'arti-
cle 241 de la Loi, mais également l'article 24 et
l'annexe II de la Loi sur l'accès à l'information,
S.C. 1980-81-82-83, chap. 111. Ils prétendent que
les défendeurs canadiens ont porté atteinte aux
droits qui leur sont garantis par les articles 1, 7,
8, 24 et 26 de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Ils allèguent
plus précisément que l'article XXVII (échange de
renseignements) de la Convention entre le Canada
et les Etats-Unis, qui a été approuvée et sanction-
née par la Loi de 1984 sur la Convention Canada-
États-Unis en matière d'impôts, S.C. 1984, chap.
20, ne permet pas la divulgation ou l'échange de
renseignements qui auraient eu lieu en l'espèce.
Les demandeurs cherchent à faire déclarer
nulles et inopérantes les exceptions légales à la
règle générale énoncée à l'article 241 de la Loi en
ce qui concerne la communication et la divulgation
de renseignements, de livres, de registres, d'écrits,
de déclarations ou d'autres documents. Ils deman-
dent à la Cour de déclarer que toute communica
tion et divulgation de ce genre sont illégales et que
de tels actes de la part des défendeurs contrevien-
nent à la Charte. Ils cherchent également à obtenir
un jugement déclarant que l'article XXVII de la
Convention susmentionnée est incompatible avec
les articles 1, 7, 8, 24 et 26 de la Charte. Ils
sollicitent en outre des injonctions provisoires ou
interlocutoires interdisant aux défendeurs qui sont
des préposés et mandataires de Sa Majesté de
communiquer ou de permettre que soient commu-
niqués les renseignements ou documents susmen-
tionnés ou d'y donner accès.
Enfin, les demandeurs réclament des domma-
ges-intérêts généraux et spéciaux pour la négli-
gence des défendeurs qui ont manqué à l'obligation
de prudence à laquelle ils auraient été tenus à leur
égard en vertu de l'article 241 de la Loi. Ils
demandent également que les défendeurs soient
condamnés à leur verser des dommages-intérêts
spéciaux, généraux et exemplaires parce qu'ils
auraient comploté au Canada avec les défendeurs
Ma, Moi, Seagle, Norberg et Sasnett afin de
communiquer des renseignements et de permettre
l'examen de documents concernant les demandeurs
et ce, en violation flagrante du droit de ces der-
niers d'être protégés contre ce genre de comporte-
ment, de communication et d'examen.
Une autre demande soumise ex parte par les
demandeurs afin d'obtenir l'autorisation d'effec-
tuer la signification à l'extérieur du ressort de la
Cour a été rejetée par le juge Joyal le 3 décembre
1986 [T-2350-86, non encore publiée], sous
réserve toutefois du droit des demandeurs de pré-
senter une nouvelle demande fondée «sur des
motifs plus convaincants». Dans ses motifs, le juge
Joyal a écrit [à la page 2]:
Je ne suis pas convaincu qu'il s'agisse d'un cas où il y a lieu
de rendre l'ordonnance demandée conformément à la règle 307
des Règles de la Cour. J'ai lu attentivement la déclaration ainsi
que l'affidavit produit au soutien de la requête visant à obtenir
une ordonnance de signification à l'extérieur du ressort de la
Cour. J'estime que les demandeurs cherchent à obtenir un
redressement contre la Couronne et ses proposés désignés qui
auraient illégalement divulgué des renseignements fiscaux con-
fidentiels. Je ne vois aucun motif pour lequel on pourrait
reprocher aux défendeurs Norberg et Sasnett d'avoir reçu
lesdits renseignements.
Qui plus est, les diverses demandes de redressement visant
essentiellement à obtenir des ordonnances déclaratoires s'adres-
sent à la Couronne et à ses préposés qui auraient divulgué
illégalement aux autorités américaines des renseignements fis-
caux confidentiels relatifs aux demandeurs. Bien que des dom-
mages-intérêts soient réclamés aux «défendeurs» en général, je
ne vois pas à ce stade-ci en quoi les défendeurs Norberg et
Sasnett pourraient être tenus responsables de la violation d'une
loi canadienne. Il ressort des faits exposés dans la déclaration,
et que je dois tenir pour véridiques aux fins de la présente
demande, que les défendeurs Norberg et Sasnett ne sauraient
être tenus responsables en vertu des dispositions de la Loi de
l'impôt sur le revenu qui servent de fondement principal à la
réclamation des demandeurs.
Ce n'est qu'une fois cette première décision
rendue sur leur demande que les demandeurs ont
modifié leur déclaration afin d'alléguer un complot
entre Ma, Moi et Seagle, d'une part, et Norberg et
Sasnett d'autre part, complot qui, selon les deman-
deurs, aurait eu lieu au Canada à divers endroits et
moments qu'eux seuls connaissaient.
Afin de respecter les exigences de la Règle 307,
les demandeurs ont produit au soutien de leur
demande de signification à l'extérieur du ressort de
la Cour l'affidavit de Douglas C. Morley, avocat
exerçant sa profession à Vancouver (Colombie-
Britannique). Cet affidavit porte notamment:
[TRADUCTION] 10. Les demandeurs allèguent qu'aux fins du
complot mentionné plus haut ...
(i) Ma, Moi, Seagle, Norberg et Sasnett se sont rencontrés
au Canada pour communiquer, recevoir, examiner des rensei-
gnements relatifs aux affaires des demandeurs, qu'ils ont
obtenus dans l'exercice de leurs fonctions, et pour permettre
l'accès auxdits renseignements.
(ii) Ma et Moi se sont rendus à Seattle aux États-Unis et ont
assisté à l'interrogatoire, par Norberg et Sasnett, d'un associé
commercial des demandeurs.
(iii) Ma, Moi et Seagle ont remis à Norberg et Sasnett,
pendant que ceux-ci se trouvaient au Canada, des documents
et des renseignements relatifs aux affaires des demandeurs et
ils leur ont permis de retourner aux États-Unis avec lesdits
documents et renseignements.
(iv) Ma, Moi et Seagle ont dit à Norberg que Wilder n'avait
produit des déclarations d'impôt sur le revenu au Canada
pour les années d'imposition 1982, 1983 et 1984 qu'après
avoir été requis de le faire.
(v) En janvier 1986, Ma, Moi et Seagle ont déclaré à
Norberg que Wilder faisait l'objet d'une enquête au Canada
par le ministère du Revenu national, Impôt.
11. Après avoir examiné la déclaration modifiée et les faits qui
y sont exposés, ainsi que les dispositions pertinentes de la Loi de
l'impôt sur le revenu, et en particulier, l'article 241, je suis
convaincu que les demandeurs ont établi une preuve prima
facie.
12. Je suis convaincu que Norberg et Sasnett doivent être
constitués parties aux présentes.
Bien que la présente demande ne vise pas à faire
radier la déclaration, pour laquelle aucun élément
de preuve n'est admissible, il faut néanmoins se
demander si les défendeurs Norberg et Sasnett
peuvent être assignés devant cette Cour dans une
action ou procédure relevant de la compétence de
celle-ci. Les demandeurs prétendent que l'article
241 de la Loi, qui est une loi du Canada au sens de
l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867
[30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, no 1)], fixe une norme
de prudence et ils soutiennent que les préposés de
Sa Majesté ont fait preuve de négligence en man-
quant à cette obligation. Ils allèguent que les
défendeurs Norberg et Sasnett ont comploté avec
les autres défendeurs afin de violer cette obligation
de prudence [TRADUCTION] «causant ainsi des
dommages aux demandeurs en plus de nuire à
leurs intérêts économiques». Les demandeurs n'in-
diquent pas comment le manquement allégué des
défendeurs à leur obligation aurait causé ces dom-
mages ou ce préjudice, ni comment ceux-ci se sont
produits. On peut toutefois présumer qu'une
indemnité pourrait être accordée aux demandeurs
sans qu'il soit nécessaire de prouver des dommages
si, en l'espèce, il y avait eu atteinte à leur «droit à
la protection contre les fouilles, les perquisitions ou
les saisies abusives» garanti par la Charte.
En prononçant l'arrêt de la Cour suprême R. du
chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool,
[1983] 1 R.C.S. 205, l'actuel juge en chef du
Canada, le juge Dickson, a conclu qu'il n'existait
pas au Canada de délit civil spécial de violation
d'une obligation légale. Ce jugement est utile en
raison de l'examen approfondi de la loi fait par le
juge Dickson. Il a résumé aux pages 227 et 228 les
principes dont l'application déborde le cadre de ce
litige:
1. Les conséquences civiles de la violation d'une loi doivent être
subsumées sous le droit de la responsabilité pour négligence.
2. La notion d'un délit civil spécial de violation d'une obliga
tion légale qui donnerait droit à des dommages-intérêts sur
simple preuve d'une violation et d'un préjudice, doit être reje-
tée, comme doit l'être également le point de vue selon lequel
une violation sans excuse valable constitue de la négligence en
soi et emporte responsabilité absolue.
3. La preuve de la violation d'une loi, qui cause un préjudice,
peut être une preuve de négligence.
4. L'obligation formulée dans un texte de loi peut constituer
une norme, à la fois précise et utile, de conduite raisonnable.
5. En l'espèce on n'a pas allégué qu'il y a eu négligence ni
prouvé son existence. L'action doit échouer.
On a allégué négligence en l'espèce. En outre,
même si une peine frappe les fonctionnaires et les
personnes autorisées qui commettent l'infraction
créée par le paragraphe 241(9) de la Loi, il semble
évident que le législateur avait l'intention de proté-
ger une catégorie de personnes telles que les
demandeurs contre la divulgation non autorisée.
Pris dans son ensemble, l'article 241 dénote plutôt
cette intention de protéger le caractère confidentiel
des registres des demandeurs que celle, plus limi-
tée, de punir des fonctionnaires ou des personnes
désobéissantes dont le comportement pourrait de
toute façon faire l'objet de mesures dans le cadre
de leur poste.
Pour ce qui est de l'articulation d'une cause
d'action contre les deux défendeurs de nationalité
américaine, les allégations de manquement à
l'obligation de prudence par suite d'un complot au
Canada visant à violer le caractère confidentiel des
registres des demandeurs font en sorte que ces
défendeurs peuvent, à ce stade des procédures, être
assignés devant un tribunal compétent pour répon-
dre aux allégations des demandeurs.
Il faut ensuite se demander si cette Cour peut
connaître de l'espèce. La Cour suprême du Canada
s'est prononcée récemment sur cette question dans
l'arrêt ITO—International Terminal Operators
Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1
R.C.S. 752. Rédigeant le jugement de la majorité,
le juge McIntyre a énoncé à la page 766 les
critères légaux permettant d'établir la compétence
générale de cette Cour:
L'étendue générale de la compétence de la Cour fédérale a été
examinée à maintes reprises par les tribunaux ces dernières
années. Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Cana-
dien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, et dans l'arrêt
McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2
R.C.S. 654, on a établi les conditions essentielles pour pouvoir
conclure à la compétence de la Cour fédérale. Ces conditions
sont les suivantes:
1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du
Parlement fédéral.
2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui
soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de
l'attribution légale de compétence.
3. La loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada»
au sens où cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi
constitutionnelle de 1867.
Bien que ces critères ne soient pas nouveaux, il
semble que leur interprétation fasse l'objet d'une
nouvelle vague de décisions. Dans Marshall c. La
Reine, [1986] 1 C.F. 437 (1" inst.) et Bande
indienne Blackfoot, n° 146 (membres) c. Canada et
la bande indienne Blackfoot, n° 146 (chef et con-
seillers) (1986), 5 F.T.R. 23 (C.F. P» inst.),
madame le juge Reed a conclu que la législation
fédérale applicable peut servir de fondement à des
actions en responsabilité délictuelle intentées
contre des particuliers. Dans Roberts c. Canada,
[1987] 1 C.F. 155 (1"e inst.), le juge Joyal a refusé
de radier une déclaration dans laquelle une bande
indienne poursuivait une autre bande au sujet de la
possession de terres occupées par cette dernière
bande. L'action a été intentée à bon droit contre la
Couronne à laquelle on reprochait un manquement
à son obligation fiduciaire, mais le juge Joyal a
statué que, suivant le libellé du paragraphe 17(1)
de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10, la position légale de la bande
défenderesse était étroitement liée à celle de la
Couronne dans une affaire où un redressement
était également demandé contre celle-ci. Il a suivi
à cet égard les jugements prononcés par le juge
Reed.
La Division d'appel de cette Cour a rejeté à
l'unanimité le 2 mars 1987 [[1987] 4 C.F. 535
l'appel interjeté contre la décision du juge Joyal.
Les juges de la majorité, les juges Urie et Huges-
sen, ont toutefois conclu qu'étant donné les cir-
constances particulières de l'espèce, c'est l'alinéa
17(3)c) de la Loi sur la Cour fédérale qui confère
une compétence exclusive sur les procédures aux
fins de juger les contestations dans lesquelles la
Couronne a ou peut avoir une obligation qui est ou
peut être l'objet de demandes contradictoires. Le
juge MacGuigan a souscrit à cette conclusion,
mais il s'est également dit d'accord avec les juges
Joyal et Reed pour fonder l'attribution de compé-
tence requise sur le paragraphe 17 (1) de même
que sur l'alinéa 17(3)c). Malgré l'insistance de
l'avocat des requérants en l'espèce, l'affaire
Roberts présente peu de ressemblance avec l'es-
pèce, à part la mise en cause d'un particulier
comme codéfendeur de la Couronne.
La décision récente de la Division d'appel de
cette Cour dans Oag c. Canada, [1987] 4 C.F. 511
a une plus grande similitude avec l'espèce. Dans
cette affaire, le demandeur qui avait été «consigné»
au moment de sa mise en liberté sous surveillance
obligatoire a poursuivi la Couronne, la Commis
sion nationale des libérations conditionnelles, le
président et un autre membre de la Commission,
ainsi que trois fonctionnaires. Les motifs invoqués
au soutien de l'action étaient l'arrestation illégale,
l'emprisonnement arbitraire, les voies de fait et la
violation de droits garantis par la Charte. La
déclaration a été radiée et l'action rejetée en ce qui
concerne la Commission et les fonctionnaires. Il
s'agissait de déterminer lors de l'appel si la Divi
sion de première instance avait compétence pour
entendre et trancher les poursuites intentées contre
les deux particuliers défendeurs, le président de la
Commission et son collègue qui n'étaient pas fonc-
tionnaires, mais avaient été nommés à leur poste
par le gouverneur en conseil.
Les motifs du jugement de la Division d'appel
dans l'affaire Oag ont été prononcés par le juge
Stone, avec l'appui du juge en chef Thurlow et du
juge Heald. Le raisonnement suivi est très subtil et
doit être évalué dans son ensemble, mais ses passa
ges cruciaux sont les suivants [à la page 519]:
La liberté dont [le demandeur] jouissait au moment de sa
prétendue arrestation illégale et de son prétendu emprisonne-
ment arbitraire prend sa source dans le droit fédéral. Les
dispositions législatives pertinentes sont le paragraphe 24(1) de
la Loi sur les pénitenciers [S.R.C. 1970, chap. P-6 (mod. par
S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41)] et le paragraphe 10(1),
l'article 12 et les paragraphes 15(1) et (2) de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus [S.R.C. 1970, chap. P-2
(mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28)]:
Il est évident que, aussi longtemps que [k demandeur]
satisfaisait aux conditions de sa surveillance obligatoire, il avait
le droit de jouir d'une certaine liberté.
Cette [position] a été approuvée par la Cour suprême du
Canada lorsque, de fait, elle a jugé illégale la pratique dite du
«blocage» sur laquelle la présente action est fondée (R. c.
Moore; Oag c. La Reine et autres, [1983] 1 R.C.S. 658, à la
page 659).
Il en résulte donc, pour utiliser l'expression du juge en chef
Laskin dans l'affaire Rhine et Prytula, «un cadre législatif
détaillé» de droit fédéral en vertu duquel l'appelant a acquis
non seulement le droit d'être libre mais également celui de le
rester. Il faut souligner que, comme il restait sous l'effet d'une
condamnation, la liberté dont il jouissait n'était pas la même
que celle que possède une personne qui ne fait pas l'objet d'une
condamnation. Ses limites étaient fixées par des lois fédérales.
S'il y a eu arrestation illégale et emprisonnement arbitraire
comme il a été allégué, ces délits ont été commis parce qu'on a
porté atteinte au droit de l'appelant, ainsi délimité, de rester
libre. Je ne crois pas que la loi ait à prévoir expressément un
recours à l'égard d'une telle atteinte pour que les demandes
soient régies par elle. L'existence de ces délits, à mon avis,
repose sur le droit fédéral; les dommages-intérêts qui résultent
de la perpétration de ces délits prouvables peuvent être recou-
vrés en Division de première instance. J'en suis arrivé à la
conclusion que les demandes sont prévues dans les «lois du
Canada» ou le «droit fédéral».
La seule autre question est de savoir si en l'espèce il y a
«attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral»
afin de répondre à la première. exigence. À mon avis, on trouve
une telle attribution de compétence à l'alinéa 17(4)b) de la Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2» Supp.), chap. 10:
17....
(4) La Division de première instance a compétence con-
currente en première instance
b) dans les procédures dans lesquelles on cherche à obtenir
un redressement contre une personne en raison d'un acte
ou d'une omission de cette dernière dans l'exercice de ses
fonctions à titre de fonctionnaire ou préposé de la
Couronne.
Bien que le mot «fonctionnaire» ne soit pas défini par cette Loi,
on s'est appuyé sur la définition de «fonctionnaire public»
prévue à l'article 2 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970,
chap. I-23:
2. ( I ) ...
«fonctionnaire public» comprend toute personne dans la fonc-
tion publique du Canada
a) autorisée par un texte législatif ou sous son régime à
accomplir un acte ou une chose ou à en assurer l'accom-
plissement, ou à exercer un pouvoir, ou
b) à qui un devoir est imposé par un texte législatif ou
sous son régime;
Je ne crois pas qu'il faille trancher ce point de façon définitive,
car on a présenté devant la Cour aucun élément de preuve qui
établisse les fonctions des deux particuliers intimés. Vu cette
absence de preuve, les parties veulent bien considérer chacun
des intimés comme un «fonctionnaire» de la Commission des
libérations conditionnelles pour les fins du présent appel. Sur ce
fondement, je suis convaincu que l'alinéa 17(4)b) de la Loi sur
la Cour fédérale confère effectivement compétence à la Divi-
sion de première instance pour connaître des poursuites enga
gées contre les particuliers intimés en l'espèce. Je ne vois
aucune raison de donner une interprétation plus étroite au
libellé de cet alinéa.
Il existe une énigme dans l'arrêt Oag. Elle se
trouve dans la citation d'un passage tiré d'un arrêt
antérieur de la Division d'appel, Stephens c. R.
(1982), 26 C.P.C. 1, publié également sous l'inti-
tulé Succession Stephens c. Ministre du Revenu
national (1982), 40 N.R. 620, passage dont voici
le texte (aux pages 9 et 10 C.P.C.; 629 et 630
N.R.):
En l'espèce, il est allégué que les cotisations d'impôt étaient
nulles et que les défendeurs autres que la Couronne ont agi sans
autorité juridique en tentant de recouvrer les arriérés impayés.
L'allégation voulant qu'ils aient agi sans justification juridique
semblerait un fondement nécessaire à leur responsabilité sur le
plan délictuel, le cas échéant. Par conséquent, les demandes
contre les défendeurs autres que la Couronne mettent nécessai-
rement en jeu l'interprétation et l'application des dispositions
de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cela permet-il de conférer
compétence à la Cour pour connaître des demandes contre ces
défendeurs, eu égard aux répercussions de la décision de la
Cour suprême dans l'affaire Rhine et Prytula? Après examen
de ces répercussions, je conclus que ce n'est pas là une base
suffisante pour conférer compétence à la Cour. A mon avis, il
ressort de l'affaire Rhine et Prytula qu'une cause d'action en
responsabilité contractuelle (ou délictuelle) peut être suffisam-
ment appuyée par une législation fédérale pour conférer compé-
tence à la Cour fédérale si la responsabilité contractuelle ou
délictuelle peut être considérée comme prévue par la législation
fédérale. Dans l'arrêt Rhine et Prytula, la Cour suprême
semble avoir conclu que les droits alors revendiqués tiraient
essentiellement leur origine d'une législation fédérale parce
qu'ils étaient prévus et régis dans une large mesure par les lois
fédérales applicables. En l'espèce, malgré l'application néces-
saire des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu à la
question de validité ou de justification juridique, on ne peut
soutenir que le droit aux dommages-intérêts soit prévu par une
loi fédérale. En fait, si ce droit existe, il a été créé par le droit
provincial. La loi fédérale applicable n'a pas pour objet de créer
ou de prévoir ce droit. [Non souligné dans le texte original.]
La Division d'appel a repris ce passage du juge Le
Dain en rapportant les arguments dont elle avait
été saisie par les intimés. Elle n'a ni approuvé ni
rejeté les propos du juge Le Dain. L'affaire Ste-
phens, dans laquelle le juge Le Dain a fait la
déclaration susmentionnée, présentait beaucoup
plus de points semblables à ceux de l'espèce que les
affaires Roberts et Oag, susmentionnées, dans les-
quelles la Division d'appel a rendu récemment sa
décision. C'est ainsi que cette nouvelle vague de
décisions introduit dans le droit un élément d'in-
certitude déplorable.
Dans l'affaire Oag où il était sans aucun doute
possible de choisir qui de la Commission nationale
des libérations conditionnelles, du procureur géné-
ral ou des membres de la Commission en cause
était responsable du préjudice allégué, la Division
d'appel a choisi les membres de la Commission.
Son jugement semble les tenir personnellement
responsables. Cette Cour a déjà indiqué dans des
jugements antérieurs que, lorsque des fonctionnai-
res ou des préposés de la Couronne ont commis un
délit civil pouvant donner lieu à une poursuite en
vertu de la Loi sur la responsabilité de la Cou-
ronne [S.R.C. 1970, chap. C-38], et pour lequel ils
pourraient être tenus personnellement responsa-
bles, l'action doit être intentée devant cette Cour
contre la Couronne mais non contre ses fonction-
naires et préposés.
Il semblerait facile en l'espèce de conclure que
la Cour a compétence en vertu du paragraphe
17(1) et de l'alinéa 17(4)b) de la Loi sur la Cour
fédérale:
17. (1) La Division de première instance a compétence en
première instance dans tous les cas où l'on demande contre la
Couronne un redressement et, sauf disposition contraire, cette
compétence est exclusive.
(4) La Division de première instance a compétence concur-
rente en première instance
b) dans les procédures dans lesquelles on cherche à obtenir
un redressement contre une personne en raison d'un acte ou
d'une omission de cette dernière dans l'exercice de ses fonc-
tions à titre de fonctionnaire ou préposé de la Couronne.
[Non souligné dans le texte original.]
Il s'agit manifestement en l'espèce d'un cas où l'on
demande un redressement contre la Couronne, et
d'une procédure où, si ce n'était de l'application
(maintenant incertaine) de la Loi sur la responsa-
bilité de la Couronne, on pourrait chercher à
obtenir un redressement contre toute personne
pour méfait dans l'exécution de ses obligations en
tant que fonctionnaire ou préposé de la Couronne.
Il faut reconnaître qu'il s'agit là d'interprétations
auxquelles les juges Urie et Hugessen ont refusé de
souscrire dans l'affaire Roberts, précitée.
Il semble évident qu'il existe en l'espèce un
ensemble de règles de droit fédérales qui est essen-
tiel à la solution du litige et constitue le fondement
de l'attribution légale de compétence. C'est un
ensemble restreint puisqu'il ne comprend que l'ar-
tide 241 de la Loi qui a été adopté pour protéger
les contribuables et toute autre personne par l'en-
tremise desquels le ministre obtient des renseigne-
ments, des déclarations et d'autres documents. Le
but fondamental de cet article est peut-être de
protéger le fisc, mais il cherche à atteindre cet
objectif en protégeant les contribuables et d'autres
personnes. Les demandeurs font partie de ces con-
tribuables ou autres personnes. L'obligation qui
incombe aux employés du ministre de ne pas divul-
guer ces documents et le droit correspondant des
demandeurs à ce que leurs renseignements, livres,
registres, déclarations ou autres documents ne
soient pas divulgués par les employés du ministre
découlent de l'article 241 qui constitue leur condi
tion sine qua non. Cette disposition constitue
essentiellement une règle de droit fédérale, car elle
est accessoire à l'exercice par le Parlement de son
pouvoir législatif dans les cas prévus à la rubrique
3 de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de
1867: le prélèvement de deniers par tous modes ou
systèmes de taxation.
Les autres dispositions législatives fédérales
invoquées par les demandeurs sont l'article 24 et
l'annexe II de la Loi sur l'accès à l'information,
S.C. 1980-81-82-83, chap. 111. Ces dispositions
législatives complètent et appuient expressément
l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il
s'agit indubitablement d'une véritable règle de
droit fédérale.
Par conséquent, pour reprendre les propos du
juge Stone dans la décision unanime de la Division
d'appel dans Oag, le droit dont les demandeurs
pouvaient bénéficier en tout temps après que leurs
renseignements et documents eurent été «obtenus
par le Ministre ou en son nom aux fins de la
présente loi» tire sa source du droit fédéral. Et
pour reprendre encore une fois ses propos: «L'exis-
tence de ces [prétendus] délits ... repose sur le
droit fédéral; les dommages-intérêts qui résultent
de la perpétration de ces délits prouvables peuvent
être recouvrés en Division de première instance.» Il
faut reconnaître que ces conclusions ne cadrent pas
avec celles énoncées antérieurement par le juge Le
Dain au nom d'un banc unanime de la Division
d'appel dans l'arrêt Stephens et qui ont été passi-
vement exposées par les membres de cette Division
dans la récente affaire Oag. Il faut également
admettre que ces conclusions ne concordent pas
non plus avec les décisions de cette Cour dans les
affaires Pacific Western Airlines c. R., [1980] 1
C.F. 86; 105 D.L.R. (3d) 44 (lie inst.), confirmant
[1979] 2 C.F. 476; 105 D.L.R. (3d) 60 (C.A.).
Le principe de droit ainsi énoncé semble poser
une énigme à la Cour: que devrait-elle décider,
compte tenu des nombreuses interprétations anté-
rieures apparemment décisives de l'article 101 de
la Loi constitutionnelle de 1867? Il ne fait aucun
doute que les trois critères dégagés par le juge
McIntyre dans l'arrêt Ito—International Terminal
Operators Ltd. constituent l'interprétation la plus
déterminante de cette disposition constitutionnelle.
De même, les interprétations de ces trois critères
formulées par la Division d'appel dans les arrêts
Roberts et Oag constituent des énoncés décisifs en
matière de compétence que la Cour est tenue de
suivre. Tant que la Cour suprême du Canada n'en
aura pas décidé autrement, cette Cour doit se
conformer au raisonnement adopté par un banc de
la Division d'appel dans l'arrêt Roberts et elle doit
en particulier respecter le raisonnement suivi par
un autre banc de la Division d'appel dans la situa
tion plus pertinente de l'arrêt Oag. Et ce, malgré le
principe contraire, maintenant apparemment
infirmé, dégagé antérieurement par la Division
d'appel dans l'arrêt analogue Stephens ainsi que
dans l'arrêt Pacific Western Airlines.
Par conséquent, la Cour statue qu'un avis de la
déclaration modifiée peut être signifié aux défen-
deurs Reginald H. Norberg et Donald J. Sasnett
au 915, Deuxième avenue, Seattle, État de Wash-
ington (États-Unis), ou à quelque autre endroit où
ils se trouvent dans ce pays. Chacun de ces défen-
deurs bénéficiera alors d'un délai de 60 jours à
compter de la signification pour déposer sa
défense. La Règle 307(2) prévoit que le défendeur
peut, pendant ce délai, chercher à obtenir de la
Cour une prolongation du délai pour déposer sa
défense.
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