Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1175-87
Aktiebolaget Hassle (demanderesse)
c.
Apotex Inc. (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: AKTIEBOLAGET HASSLE c. APOTEX INC.
Division de première instance, juge Dubé— Ottawa, 24 et 29 septembre 1987.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Brevets Licences Redevances La Cour n'a pas compétence pour connaître d'une action en réclamation de redevances non payées Le recouvrement de redevances non payées est une réclamation fondée sur un contrat entre sujets Elle n'est qu'accessoirement reliée aux questions concernant la Loi sur les brevets Demande de radiation de la déclara- tion accueillie.
Brevets Licences Redevances Réclamation de rede- vances non payées La Cour fédérale n'a pas compétence en vertu de la Loi sur les brevets pour connaître de la réclamation Le recouvrement de redevances non payées est une réclama- tion fondée sur un contrat entre sujets Elle n'est qu'acces- soirement reliée à la concession d'une licence.
Il s'agit d'une requête en radiation de la déclaration portant que la Cour fédérale n'a pas compétence pour connaître des réclamations de redevances dues et non payées intentées en vertu de la Loi sur les brevets. La défenderesse s'est vu octroyer une licence relevant du brevet de la demanderesse et concernant des médicaments. La demanderesse prétend avoir droit au recours prévu au paragraphe 41(4) de la Loi qui dispose que le commissaire accordera une licence et fixera le montant de la redevance, en tenant compte du bien-être du public tout en accordant au breveté une juste rémunération. La défenderesse soutient que ces réclamations sont des questions contractuelles qui doivent être soumises aux tribunaux des provinces et qu'el- les ne relèvent pas de l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale.
Jugement: la requête doit être accueillie.
Aux termes du paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets la Cour fédérale n'a pas compétence pour connaître d'une demande en recouvrement de redevances non payées. Ces récla- mations sont essentiellement fondées sur un contrat entre sujets et ne sont qu'accessoirement reliées à la concession d'une licence par le commissaire.
Le jugement rendu dans la cause Composers, Authors & Publishers Assoc. of Canada Ltd. v. Sandholm Holdings Ltd. et al., [1955] R.C.E. 244 n'appuie pas les prétentions de la demanderesse. Le paragraphe 1013(8) de la Loi modificative du droit d'auteur, 1931, dont il était question dans cette affaire, prévoyait un recours pour percevoir les redevances non payées. La Loi sur les brevets n'accorde aucun recours de ce genre. Au contraire, elle édicte au paragraphe 72(1) que la concession d'une licence a le même effet qu'un contrat entre le breveté et le preneur de licence «sans préjudice de tout autre mode de contrainte».
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi modificative du droit d'auteur, 1931, S.C. 1931, chap. 8, art. 10B(8).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 20.
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 41, 45, 720 ).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 4190)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
McCracken et al. v. Watson, [1932] R.C.É. 83.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Kellogg Company v. Kellogg, [1941] R.C.S. 242; (1941), 1 C.P.R. 30; infirmant [1942] R.C.E. 87; Leesona Corp. c. Sinyor Spinners of Canada Ltd. (n ° 2) (1975), 19 C.P.R. (2d) 46 (C.F. 1" inst.); Composers, Authors & Publishers Assoc. of Canada Ltd. v. Sandholm Holdings Ltd. et al., [1955] R.C.É. 244.
DÉCISION EXAMINÉE:
General Foods Ltd. c. Struthers Scientific & Internatio - nal Corp. (1971), 3 C.P.R. (2d) 97 (C.F. 1" inst.).
AVOCATS:
R. Smart, c.r. pour la demanderesse. Malcolm Johnston, c.r. pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Ottawa, pour la demande-
resse.
Malcolm Johnston, c.r. pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DURÉ: Dans sa requête fondée sur la Règle 419(1)a) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], la défenderesse demande la radiation de la déclaration de la demanderesse, pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause raison- nable d'action relevant de la compétence de cette Cour. En résumé, la question est de déterminer si la Cour a ou non compétence pour connaître d'une action en réclamation de redevances dues et non payées, action intentée en vertu de la Loi sur les brevets'.
' S.R.C. 1970, chap. P-4.
Dans sa déclaration, la demanderesse, une com- pagnie suédoise, allègue qu'elle est titulaire du brevet canadien 982140 délivré le 20 janvier 1976 concernant une invention intitulée «Phenoxy- Hydroxypropylamines and Their Preparation». Le 30 juillet 1984, le commissaire des brevets con- cédait à la défenderesse, une compagnie cana- dienne, la licence temporaire 659, conformé- ment à l'article 41 de la Loi sur les brevets et le 23 janvier 1985, il lui, octroyait la licence 659 relevant du brevet de la demanderesse.
La demanderesse allègue dans sa déclaration que la défenderesse ne lui a fait parvenir aucun état de compte et n'a payé aucune redevance après le 30 septembre 1984. En raison de ces violations, un avis de résiliation a été donné conformément au paragraphe 9 de la licence. Le montant des rede- vances exigibles en date du 22 janvier 1985 se chiffrait à 28 468,66 $. La demanderesse prétend donc qu'elle a droit à un compte rendu devant cette Cour fixant le montant des redevances dues et non payées et à une ordonnance portant que la défenderesse a violé les conditions des licences qui sont automatiquement résiliées en raison desdites violations.
La défenderesse prétend que ces réclamations sont de nature contractuelle, qu'elles doivent être soumises aux tribunaux des provinces et qu'elles ne relèvent pas à proprement parler de la Loi sur la Cour fédérale 2 . L'article 20 de la Loi qui traite de la propriété industrielle prévoit:
20. La Division de première instance a compétence exclusive en première instance, tant entre sujets qu'autrement,
a) dans tous les cas des demandes de brevet d'invention ou d'enregistrement d'un droit d'auteur, d'une marque de commerce ou d'un dessin industriel sont incompatibles, et
b) dans tous les cas l'on cherche à faire invalider ou annuler un brevet d'invention ou insérer, rayer, modifier ou rectifier une inscription dans un registre des droits d'auteur, des marques de commerce ou des dessins industriels,
et elle a compétence concurrente dans tous les autres cas l'on cherche à obtenir un redressement en vertu d'une loi du Parle- ment du Canada, ou de toute autre règle de droit relativement à un brevet d'invention, un droit d'auteur, une marque de com merce ou un dessin industriel. [C'est moi qui souligne.]
Si cette Cour avait compétence pour connaître de la réclamation de la demanderesse, ce serait en vertu de la Loi sur les brevets. L'article 72 de
z S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10.
ladite Loi précise toutefois que la concession d'une licence a le même effet que si elle était incorporée dans un acte, donc dans un contrat conclu entre les parties. Le paragraphe 72(1) énonce:
72. (1) Toute ordonnance rendue pour concéder une licence sous l'autorité de la présente loi a, sans préjudice de tout autre mode de contrainte, le même effet que si elle était incorporée dans un acte de concession d'une licence souscrit par le breveté et par les autres parties nécessaires.
Dans l'affaire McCracken et al. v. Watson', tranchée en 1932 par la Cour de l'Échiquier les demandeurs soutenaient que le défendeur avait contrefait le brevet en question en vendant des appareils de fabrication de tuiles dans un territoire interdit délimité dans une seconde entente. La Cour a statué que le litige entre les parties concer- nait l'inexécution présumée d'un contrat portant sur la propriété et les droits civils et qu'elle n'avait pas compétence pour entendre une telle demande. Le juge Maclean dit à la page 87 que l'allégation [TRADUCTION] «selon laquelle le défendeur avait vendu trois appareils à des personnes dans le terri- toire interdit laisse croire qu'il s'agit non pas d'une contrefaçon mais peut-être d'une inexécution de contrat».
Dans Kellogg Company v. Kellogg 4 , la Cour suprême du Canada s'est penchée sur le paragra- phe 8 de la déclaration dans lequel la demande- resse prétendait que le premier inventeur de l'objet de la demande de brevet avait créé l'invention alors qu'il était au service de la demanderesse et qu'elle avait droit au bénéfice de ladite invention. La Cour de l'Échiquier [[1942] R.C.É. 87] a radié le paragraphe pour le motif qu'elle n'avait pas compétence pour décider des points en litige: la compétence de la Cour devra lui être conférée par l'article 44 (maintenant l'article 45) de la Loi sur les brevets [TRADUCTION] «car la prétention de l'appelante énoncée au paragraphe 8 concerne la propriété et les droits civils et relève de la compé- tence des tribunaux des provinces» [aux pages 247 R.C.S.; 36 C.P.R.]. L'ancien article 44 et l'actuel article 45 traitent des conflits de demandes de brevets. Le juge Rinfret écrit aux pages 249 R.C.S.; 39 C.P.R.:
' [1932] R.C.É. 83.
4 [1941] R.C.S. 242; (1941), 1 C.P.R. 30.
[TRADUCTION] Il est sans doute vrai, comme l'a déclaré le président, que la Cour de l'Échiquier n'a pas compétence pour trancher un litige qui concerne purement et simplement un contrat entre sujets ... mais en l'espèce, l'objet de l'allégation de l'appelante ne mentionne le contrat de travail que d'une façon incidente.
La Cour suprême a estimé que l'allégation por- tait principalement sur l'invention et elle a accueilli l'appel.
Dans l'affaire General Foods Ltd. c. Struthers Scientific & International Corp.S, le juge en chef adjoint Noël de la Cour fédérale a décidé que la Cour n'est pas compétente lorsque le point en litige concerne purement et simplement les droits prévus aux termes d'un contrat entre sujets. Mais lorsque l'objet de l'allégation du demandeur ne fait men tion d'un contrat conclu entre les parties que de façon incidente et peut faire en sorte que ledit demandeur soit autorisé à revendiquer les droits découlant de l'invention, cet argument doit être accepté et la question doit être tranchée par le juge de première instance.
Dans l'affaire Leesona Corp. c. Sinyor Spinners of Canada Ltd. (no 2) 6 , le juge Walsh, ancien membre de cette Cour, a rejeté une demande de suspension des procédures lorsqu'il a constaté que l'action de la demanderesse était à première vue une action en contrefaçon de brevet, question qui relève de la cômpétence de la Cour. Il a toutefois écrit aux pages 50 et 51:
La jurisprudence citée par l'avocat de la défenderesse à l'appui de sa prétention voulant que lorsqu'une affaire vise principalement une rupture de contrat et ne concerne qu'inci- demment la contrefaçon d'un brevet, la Cour ne soit pas compétente, n'est pas pertinente en l'espèce puisqu'il s'agit sans contredit d'une question de contrefaçon, la demanderesse n'in- voquant même pas le contrat.
En l'espèce, la demanderesse prétend avoir droit au recours prévu au paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets. Ledit paragraphe dispose que le commissaire accordera à celui qui en fera la demande, à certaines conditions, une licence pour tout brevet relatif à des médicaments. Il prescrit qu'en arrêtant les conditions de la licence et en fixant le montant de la redevance ou autre contre- partie à payer, le commissaire tiendra compte du bien-être du public tout en accordant au breveté une juste rémunération.
5 (1971), 3 C.P.R. (2d) 97 (C.F. 1" inst.).
6 (1975), 19 C.P.R. (2d) 46 (C.F. 1" inst.).
À mon avis, cet article ne confère pas à la Cour fédérale la compétence pour juger les demandes en recouvrement de redevances non payées, qui sont essentiellement des réclamations fondées sur un contrat entre sujets et ne sont qu'accessoirement reliées à la concession d'une licence par le commis- saire. Le but de ce paragraphe est de garantir au public l'accès aux médicaments au plus bas prix possible (tout en accordant au breveté une juste rémunération). Le paragraphe 41(4) ne constitue pas un recours légal pour ce qui est de recouvrer des factures non payées.
La demanderesse se fonde principalement sur un jugement rendu en 1955 par la Cour de l'Échiquier dans la cause Composers, Authors & Publishers Assoc. of Canada Ltd. v. Sandholm Holdings Ltd. et al.', en application de la Loi du droit d'auteur [S.R.C. 1927, chap. 32]. Dans cette affaire, la défenderesse n'avait pas acquitté les droits de sa licence à la suite de l'exécution d'une oeuvre musi cale dont les droits d'exécution appartenaient à la demanderesse. Celle-ci prétendait que lesdites exé- cutions faites par la défenderesse après la suspen sion de sa licence portaient atteinte à son droit d'auteur, qu'elle avait de ce fait subi des domma- ges et qu'elle avait droit à une indemnité en raison de cette atteinte en plus des droits de licence non payés. Le président Thorson a fait remarquer aux pages 249 et 250:
[TRADUCTION] Au début du procès, j'avais des doutes quant au droit de la demanderesse de réclamer devant cette Cour des droits de licence, car je présumais que le droit d'action de la demanderesse était fondé sur un contrat entre sujets. Je me suis demandé premièrement si cette Cour avait ou non compétence pour connaître d'une telle action et, deuxièmement, dans l'affir- mative, si le Parlement avait le pouvoir de lui conférer une telle compétence.
Je suis maintenant convaincu que ces doutes ne sont pas fondés. A l'examen des lois pertinentes, il est évident que cette Cour a compétence pour entendre et trancher un litige comme en l'espèce. Je citerai premièrement l'alinéa 22c) de la Loi de la cour de l'Echiquier, S.R.C. 1927, chapitre 34, modifié par l'article 3 du chapitre 23 des Statuts du Canada, 1928, qui prévoit:
22. La cour de l'Echiquier a juridiction tant entre sujet et sujet qu'autrement,
c) Dans tous les autres cas un recours est sollicité sous l'autorité d'une loi du Parlement du Canada ou en vertu du droit coutumier ou en équité concernant un brevet d'invention, un droit d'auteur, une marque de commerce ou un dessin de fabrique.
'[1955] R.C.É. 244.
À mon avis, la présente action est visée par cette loi puisque la demanderesse exerce un recours en matière de droit d'auteur sous l'autorité d'une loi du 'Parlement du Canada, nommément le paragraphe (8) de l'article 10B de la Loi modificative du droit d'auteur, 1931, que j'ai déjà cité. La demanderesse a délivré à la défenderesse une licence permettant à celle-ci d'exécuter des oeuvres musicales dont les droits d'exécution, c'est-à-dire une partie du droit d'auteur, appartenaient à ladite demanderesse et le Parlement lui a accordé un recours contre le preneur de cette licence. Il ne s'agit donc pas d'une action en exécution d'un droit contractuel, mais plutôt de l'exercice d'un recours prévu par la loi. À mon avis, cela distingue suffisam- ment l'espèce de la cause McCracken v. Watson.
Je me réfère maintenant au paragraphe 6 de l'article 20 de la Loi du droit d'auteur, S.R.C. 1927, chapitre 32, adopté par l'article 7 de la Loi modificative du droit d'auteur, 1931, qui prévoit:
20(6) La Cour de l'Echiquier du Canada, concurremment avec les tribunaux provinciaux, a juridiction pour instruire et juger toute action, poursuite ou procédure civile pouvant être instituée sur motif d'infraction à quelque disposition de la présente loi ou sur réclamation des recours civils que prescrit la présente loi.
Cet article ne permet plus de douter que le Parlement a attribué à cette Cour la compétence voulue pour instruire et juger une action comme en l'espèce, puisqu'il s'agit clairement d'une action civile visant l'exercice du recours civil prévu au paragraphe (8) de l'article 10B de la Loi modificative du droit d'auteur, 1931. Étant donné les dispositions précitées, je n'ai désormais aucune hésitation à conclure que cette Cour est habilitée à entendre et à juger une action en recouvrement de droits de licence lorsqu'une licence a été délivrée par une société telle la demanderesse, en vue de l'exécution d'oeuvres musicales dont les droits d'exécution lui appartiennent. [Les soulignements sont ajoutés.]
En toute déférence, cette décision rendue en application de la Loi modificative du droit d'au- teur, 1931 [S.C. 1931, chap. 8], n'est d'aucun secours à la demanderesse. Ladite Loi diffère à bien des égards de la Loi sur les brevets. Dans la Loi en question, le droit de réclamer les sommes homologuées par la Commission d'appel du droit d'auteur a été expressément accordé par le para- graphe 10B(8) [mod. par S.C. 1936, chap. 28, art. 2] qui stipule que «l'association, société ou compa- gnie intéressée pourra réclamer ou percevoir léga- lement» ses droits ou redevances. Ce paragraphe accorde clairement un recours lorsqu'il s'agit de recouvrer des redevances non payées. La Loi sur les brevets n'accorde toutefois aucun recours de ce genre au breveté. Au contraire, elle édicte au paragraphe 72(1) déjà cité, que la concession d'une licence a le même effet qu'un contrat entre le breveté et le preneur de la licence «sans préju- dice de tout autre mode de contrainte». De nou-
veau, l'action intentée en l'espèce contre le preneur de la licence est essentiellement une action en exécution du contrat signé par les parties et ne touche qu'accessoirement à la Loi sur les brevets.
En conséquence, la déclaration en l'espèce sera radiée dans son entier conformément à la Règle 419(1)a) pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action relevant de la compé- tence de cette Cour.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.