T-1879-83
Reading & Bates Construction Co. et Reading &
Bates Horizontal Drilling Ltd. (demanderesses)
c.
Baker Energy Resources Corporation et Baker
Marine Corporation (défenderesses)
T - 344 - 84
Reading & Bates Construction Co. et Reading &
Bates Horizontal Drilling Ltd. (demanderesses)
c.
Gaz Inter-Cité Québec Inc. (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: READING & BATES CONSTRUCTION CO. c. BAKER
ENERGY RESOURCES CORP.
Division de première instance, juge Reed—
Toronto, 11 janvier; Ottawa, 15 janvier 1988.
Pratique — Jugements et ordonnances — Exécution —
Jugement en faveur des demanderesses dans une action en
contrefaçon de brevet mais renvoi incomplet quant aux dom-
mages-intérêts — Demande de consignation à la Cour de la
retenue de garantie — Demande accueillie — La Règle 470(1)
autorise la conservation de biens «au sujet desquels peut se
poser une question dans le cadre du litige» — La question
touchant le droit aux bénéfices (retenue de garantie) réalisés
grâce à l'utilisation de la technologie décrite dans le brevet
contrefait découle du litige — La justice exige que la défende-
resse ne reçoive pas les bénéfices illégalement réalisés.
Injonctions — Demande de consignation à la Cour de la
retenue de garantie pour les travaux exécutés grâce à la
technologie liée au brevet contrefait — La demande présentée
est analogue à celle d'une injonction interlocutoire car elle vise
à assurer l'exécution du jugement — Les demanderesses sont
en meilleure position que celle qui sollicite une injonction
interlocutoire puisque la responsabilité est établie — Les
injonctions de type Mareva s'appliquent lorsque, comme en
l'espèce, les éléments d'actif risquent d'être dissipés — Le
choix qui consiste à fournir un cautionnement ou à cesser
l'activité reprochée ne constitue pas un élément inhérent à
l'injonction interlocutoire.
Les présentes demandes visaient à obtenir que certaines
sommes d'argent soient consignées à la Cour ou que la défende-
resse Baker Energy Resources Corporation (BERco) dépose à
titre de cautionnement une somme égale aux sommes susmen-
tionnées ou qu'elle fournisse une lettre de crédit pour une
somme identique. Les demanderesses avaient obtenu à l'encon-
tre de BERCO un jugement en contrefaçon de brevet. Une
procédure de renvoi pour déterminer le montant des dommages-
intérêts n'a pas encore abouti et les profits réalisés ou les
dommages-intérêts risquent de dépasser les fonds en cause.
BERCO n'a pas d'actif ni de siège social au Canada et sa
situation financière est fort précaire. Aux termes du contrat
intervenu entre Gaz Inter-Cité Québec Inc. et BERCO pour les
travaux exécutés grâce à la technologie liée au brevet contre-
fait, la société Gaz Inter-Cité Québec Inc. a retenu 5 % du prix
stipulé par le contrat, (soit 226 450 $) à titre de [TRADUCTION]
«retenue de garantie» pour assurer l'exécution intégrale du
contrat. Les demanderesses ont exigé que ces fonds soient
consignés auprès du tribunal et ont fait valoir que la Cour avait
compétence conformément à l'alinéa 59(1)b) de la Loi sur les
brevets ou à la Règle 470 des Règles de la Cour fédérale. Elles
ont cité des causes où des tribunaux, au lieu de rendre une
injonction, ont ordonné à une partie de fournir une garantie au
cas où seraient accordés des dommages-intérêts. Les demande-
resses ont également cité différentes décisions relatives aux
injonctions de type Mareva, dans lesquelles a été ordonnée la
saisie de biens avant jugement. Il n'y avait aucun élément de
preuve tendant à établir que la défenderesse subirait un préju-
dice quelconque par suite de l'ordonnance, car elle n'a jamais
eu la jouissance des fonds en cause et rien n'indique que
d'autres créanciers seront lésés.
Jugement: les demandes doivent être accueillies.
La Règle 470 conférait au tribunal la compétence nécessaire
pour accorder l'ordonnance demandée. La Règle 470(1) autori-
sait la conservation de biens «au sujet desquels peut se poser
une question» dans le cadre du litige. Le droit aux profits
réalisés grâce à l'utilisation de la technologie décrite dans le
brevet contrefait constituait une question qui se posait dans la
présente action. La retenue de garantie représentait justement
ces profits. La justice exigeait que la défenderesse soit dépouil-
lée des profits illégalement réalisés.
Même si l'objet de la présente demande était analogue à
celui visé dans une demande d'injonction interlocutoire (s'assu-
rer que la demanderesse pourra recouvrer des dommages-inté-
rêts), la requérante était dans une meilleure position parce que
la responsabilité avait déjà été établie. On peut avoir recours
aux injonctions de type Mareva non seulement lorsqu'il y a lieu
de craindre qu'on fasse sortir les biens du ressort de la Cour,
mais aussi lorsqu'il y a danger de dissipation des biens.
Du moment qu'on établissait les éléments qui doivent être
prouvés pour que soit accordée une injonction interlocutoire, la
requérante avait droit à ce que cette ordonnance soit rendue. Le
choix de fournir un cautionnement ou de cesser l'activité dom-
mageable ne s'offrait plus à la requérante. Certes, il y a choix
dans la mesure où l'intimée tente de parer à une injonction par
une mesure substitutive, notamment en fournissant une garan-
tie, en versant un cautionnement ou en produisant une lettre de
crédit. Le choix ne constitue toutefois pas un élément inhérent
à l'injonction interlocutoire elle-même ni un élément essentiel
au type d'ordonnance demandé en l'espèce.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 59(1)b).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
470.
Règles de procédure civile, Règles de l'Ont. 560/84,
Règle 45.02.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Teledyne Industries, Inc. et autre c. Lido Industrial
Products Ltd. (1982), 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1'» inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Reading & Bates Horizontal Drilling Co. et autre c.
Spie, Horizontal Drilling Co. Inc. et autre (1986), 13
C.P.R. (3d) 37 (C.F. 1fe inst.); Aetna Financial Services
Ltd. c. Feigelman et autres, [1985] 1 R.C.S. 2; 4 C.P.R.
(3d) 145; Chitel et al. v. Rothbart et al. (1982), 141
D.L.R. (3d) 268; 39 O.R. (2d) 513; 69 C.P.R. (2d) 62
(Ont. C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Apple Computer, Inc. v. Computermat Inc. et al. (1985),
3 C.P.R. (3d) 407 (H.C. Ont.); T.D. Williamson, Inc. et
autre c. Electronic Pigging Systems, Inc. et autre (1984),
79 C.P.R. (2d) 197 (C.F. 1"° inst.); Halliburton Co. et
autre c. Northstar Drillstem Testers Ltd. et autre
(1981), 58 C.P.R. (2d) 73 (C.F. l"° inst.); Third Chandris
Shipping Corpn v Unimarine SA, [1979] 2 All ER 972
(Q.B. Div.); Rotin v. Lechier-Kimel [sic] (1985), 3
C.P.C. (2d) 15 (H.C. Ont.).
AVOCATS:
Ronald E. Dimock et Gordon J. Zimmerman
pour les demanderesses.
D. N. Deeth et E. M. McMahon pour les
défenderesses.
PROCUREURS:
Woolley, Dale & Dingwall, Toronto, pour les
demanderesses.
MacBeth & Johnson, Toronto, pour les
défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Les demanderesses présentent
des demandes visant à obtenir que certaines
sommes d'argent actuellement détenues par Gaz
Inter-Cité Québec Inc. soient consignées à la Cour
ou que la défenderesse Baker Energy Resources
Corporation (BERCO) dépose en cautionnement
une somme égale aux sommes susmentionnées ou
qu'elle fournisse une lettre de crédit pour une
somme identique. Elles sollicitent subsidiairement
une ordonnance ou un jugement portant que Gaz
Inter-Cité Québec Inc. détient les sommes en ques
tion en fiducie pour elles.
Les demanderesses ont obtenu à l'encontre de la
défenderesse BERCO un jugement pour contrefaçon
du brevet numéro 1,140,106 (le brevet de
«retrait»); voir la décision du juge Strayer en date
du 20 mars 1986 (n° du greffe T-1879-83), confir-
mée en appel par un arrêt en date du 20 novembre
1987 (n° du greffe A-199-86). L'action soeur inten-
tée contre Gaz Inter-Cité Québec Inc. a été reje-
tée; voir le jugement en date du 20 mars 1986 (n°
du greffe T-344-84), confirmé en appel par un
arrêt daté du 20 novembre 1987 (n° du greffe
A-198-86). Dans ces décisions, on statue égale-
ment sur des allégations de contrefaçon du brevet
numéro 1,037,462 (le brevet de «gaine posté-
rieure»). Ce brevet a été jugé invalide.
Le juge Strayer, dans son jugement en date du
20 mars 1986 (n° du greffe T-1879-83), a ordonné
à la défenderesse BERCO soit de procéder au calcul
des profits, soit de payer des dommages-intérêts,
au choix des demanderesses, relativement aux
actes de contrefaçon dont elle avait été jugée
coupable. Dans l'un ou l'autre cas, le montant
devait être déterminé au moyen d'un renvoi. Le
renvoi a donné naissance à de nombreuses deman-
des interlocutoires. En gros, la défenderesse tentait
par là d'obtenir la suspension du renvoi en atten
dant que la Cour d'appel se soit prononcée sur les
appels interjetés dans le cadre des instances sus-
mentionnées. La suspension sollicitée a été accor-
dée par le protonotaire, M. Giles, à condition que
la défenderesse, BERCO, fournisse 100 000 $ à titre
de garantie (ordonnance en date du 6 mars 1987),
ce qu'elle n'a jamais fait. Or, comme le renvoi n'a
pas encore abouti, les demanderesses bénéficient
d'un jugement établissant la responsabilité de la
défenderesse BERCO, mais ni le montant des profits
ni celui des dommages-intérêts n'a été déterminé.
D'après la preuve, les profits réalisés ou les
dommages-intérêts risquent d'être considérables.
Les travaux entrepris par BERCO pour Gaz Inter-
Cité Québec Inc., d'où est née l'action en contrefa-
çon, consistaient à poser un gazoduc sous le fleuve
St-Laurent dans la région de Trois-Rivières. Il a
fallu à cette fin forer un trou horizontalement
au-dessous du lit du fleuve de la rive nord à la rive
sud, puis attacher un tube à la foreuse qu'on
ramenait ensuite du sud au nord de manière que le
tube soit tiré dans le trou et ainsi mis en place. (Il
s'agit là d'une description fort schématique du
procédé; les décisions susmentionnées en fournis-
sent une explication détaillée.) Dans la première
phase du procédé, on a employé la technologie
visée par le brevet de «gaine postérieure» et, dans
la seconde, c'est à la technologie exposée dans le
brevet de «retrait» qu'on a eu recours.
Le contrat fixait à 4 529 000 $ le prix à payer
par Gaz Inter-Cité Québec Inc. à BERCO au titre
des travaux entrepris par celle-ci. Les coûts de
BERCO s'élevaient à 1 195 325,89 $ (pièce 4 pro-
duite lors du contre-interrogatoire de M. Greer le
22 avril 1987). Les bénéfices provenant des tra-
vaux se chiffrent donc à environ 3 334 000 $. Pour
ce qui est des coûts énumérés dans la pièce 4
produite lors du contre-interrogatoire de M. Greer,
ils sont répartis entre plusieurs postes (par ex.:
mise en chantier, bureau sur le chantier, sécurité
du personnel, installations sur le chantier, «démo-
bilisation»). De loin les plus grandes dépenses sont
celles entraînées par le forage du trou de la rive
nord du fleuve jusqu'à la rive sud («trou arpenté-
389 620,86 $») et par le fait de ramener la foreuse,
le tube y ayant été attaché, de la rive sud à la rive
nord, de manière à réaliser la mise en place du
tube («pose du tube-648 735,74 $»). Si les profits
sont attribués aux divers stades des travaux en
raison directe du coût de chacun, il devient alors
évident que c'est la partie des travaux qui a néces-
sité l'utilisation de la technologie de «retrait» qui a
rapporté un pourcentage important des profits. De
plus, on a produit des éléments de preuve établis-
sant qu'il est raisonnable d'imputer une forte pro
portion des profits aux aspects les plus risqués du
procédé (paragraphes 11, 12 et 13 de l'affidavit de
John D. Hair, en date du 9 décembre 1987).
La défenderesse BERCO n'a pas d'actif ni de lieu
d'affaires au Canada. Sa situation financière est
très précaire. En effet, ses états financiers pour les
exercices financiers se terminant en 1984 et en
1985 portent une note des vérificateurs datée du
20 mai 1986, d'où il ressort que l'existence de la
société est peut-être menacée. Voir en outre l'affi-
davit de M. Hair en date du 26 juin 1986 (para-
graphe 24) et celui en date du 9 décembre 1987
(paragraphes 8 et 15).
Aux termes du contrat intervenu entre BERCO et
Gaz Inter-Cité Québec Inc., celle-ci pouvait rete-
nir 5 % du prix stipulé par le contrat, (soit
226 450 $), à titre de [TRADUCTION] «retenue de
garantie» en attendant l'achèvement des travaux.
Telle est la pratique suivie dans l'industrie en
question. La retenue de garantie sert à assurer
l'exécution intégrale du contrat. En l'espèce, la
somme retenue n'a pas été payée à BERCO à la fin
des travaux, peut-être en raison du litige relatif au
brevet qui, à ce moment-là, avait déjà été engagé.
À l'été et à l'automne de 1984, la défenderesse
BERCO a cherché à obtenir le paiement des fonds
en cause en demandant qu'ils soient virés à un
compte en banque à Houston (Texas). Cela n'a pas
été fait. Les demanderesses croient que c'est
encore Gaz Inter-Cité Québec Inc. qui détient les
fonds ainsi que les intérêts en provenant. La Cour
d'appel a maintenant rendu ses arrêts. Les deman-
deresses craignent donc que les fonds ne soient
versés à BERCO et ainsi enlevés du ressort de la
Cour ou qu'ils ne soient dissipés de quelque
manière. L'avocat de BERCO pour sa part a fourni
un engagement selon lequel les fonds resteront
dans le ressort.
L'avocat des demanderesses fait valoir que la
Cour peut s'autoriser de l'alinéa 59(1)b) de la Loi
sur les brevets [S.R.C. 1970, chap. P-4] ou de la
Règle 470 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C.,
chap. 663] pour ordonner que les fonds détenus
par Gaz Inter-Cité Québec Inc. soient consignés à
la Cour ou, subsidiairement, pour exiger que la
défenderesse BERCO dépose en cautionnement une
somme équivalente ou qu'elle fournisse une lettre
de crédit pour la même somme. Suivant l'argu-
ment de l'avocat: 1) les fonds en question appar-
tiennent en réalité à BERCO; 2) BERCO n'a dans le
ressort aucun autre élément d'actif; 3) BERco se
trouve dans une situation financière précaire; 4)
les fonds représentent une partie des «fruits» de la
contrefaçon; 5) si les fonds sont versés à BERCO il
existe un danger réel qu'on les fasse sortir du
ressort ou qu'ils soient dissipés de quelque
manière. On invoque à l'appui de la demande
d'ordonnance les affaires où des tribunaux saisis de
demandes d'injonction interlocutoire, au lieu de
rendre une injonction interdisant l'activité qui
aurait constitué la contrefaçon, ont ordonné à une
partie de fournir une garantie au cas où seraient
accordés des dommages-intérêts. En particulier,
l'avocat s'est référé à: Apple Computer, Inc. v.
Computermat Inc. et al. (1985), 3 C.P.R. (3d) 407
(H.C. Ont.); T.D. Williamson, Inc. et autre c.
Electronic Pigging Systems, Inc. et autre (1984),
79 C.P.R. (2d) 197 (C.F. lie inst.); Halliburton
Co. et autre c. North- star Drillstem Testers Ltd.
et autre (1981), 58 C.P.R. (2d) 73 (C.F. 1" inst.).
On a cité en outre différentes décisions relatives
aux injonctions de type Mareva, dans lesquelles a
été ordonnée la saisie de biens avant jugement:
Reading & Bates Horizontal Drilling Co. et autre
c. Spie, Horizontal Drilling Co. Inc. et autre
(1986), 13 C.P.R. (3d) 37 (C.F. 1" inst.); Aetna
Financial Services Ltd. c. Feigelman et autres,
[1985] 1 R.C.S. 2; 4 C.P.R. (3d) 145; Chitel et al.
v. Rothbart et al. (1982), 141 D.L.R. (3d) 268; 39
O.R. (2d) 513; 69 C.P.R. (2d) 62 (C.A. Ont.);
Third Chandris Shipping Corpn y Unimarine SA,
[1979] 2 All ER 972 (Q.B. Div.).
Selon l'avocat de la défenderesse BERCO, l'ordre
public exige que les demanderesses soient débou-
tées de leur demande parce que celle-ci vise à
obtenir qu'elles soient colloquées avant d'autres
créanciers de la défenderesse. Or, cette dernière
n'a produit aucun élément de preuve qui appuie
l'affirmation qu'il y a d'autres créanciers, qui
nomme ces créanciers, ou qui indique s'ils se trou-
vent ou non dans le ressort de la Cour. Compte
tenu des états financiers susmentionnés de BERCO,
il est raisonnable de supposer qu'il existe probable-
ment d'autres créanciers quelque part. Néanmoins,
en l'absence d'éléments de preuve concrets établis-
sant l'existence d'autres créanciers et leurs noms,
je ne trouve pas convaincant cet argument.
L'avocat de la défenderesse BERCO soutient que
les demanderesses elles-mêmes n'ont plus d'actif
au Canada, que la propriété des brevets en cause a
fait l'objet de plusieurs cessions entre sociétés et
qu'il y a eu des changements quant au titulaire
desdits brevets, de sorte que la qualité des deman-
deresses pour agir au Canada n'est guère plus
réelle que celle de la défenderesse. Je ne crois pas
que cela soit pertinent relativement aux demandes
dont il s'agit en l'espèce. Selon l'avocat, on sollicite
une ordonnance qui aura force exécutoire contre
Gaz Inter-Cité Québec Inc. et ses ayants cause,
mais ni les ayants cause ni Gaz Inter-Cité Québec
Inc. n'ont eu une signification régulière. Or, on ne
m'a présenté dans le cadre de la présente requête
aucun élément de preuve établissant qu'il existe
des ayants cause de Gaz Inter-Cité Québec Inc. Il
n'y a en fait rien qui indique que la clause en
question soit autre chose qu'une espèce de «clause
de style». Dans le cas de Gaz Inter-Cité Québec
Inc., signification a été faite à son avocat (qui est
également l'avocat des défenderesses BERco et
Baker Marine). Personne ne s'est opposé à ce que
la signification se fasse de cette manière. Par
ailleurs, Gaz Inter-Cité Québec Inc. a jugé bon de
ne pas comparaître relativement à la présente
requête.
L'avocat de BERCO prétend en outre que ni
l'alinéa 59(1)b) de la Loi sur les brevets ni la
Règle 470 des Règles de la Cour fédérale n'habi-
lite cette Cour à rendre l'ordonnance demandée et
que ni la jurisprudence relative aux injonctions
interlocutoires ni les décisions en matière d'injonc-
tions de type Mareva ne s'appliquent en l'espèce.
D'après l'avocat, dans les causes invoquées où il est
question d'injonctions interlocutoires, on a permis
au défendeur de choisir s'il continuerait ou non à
exercer une activité donnée. S'il décidait de pour-
suivre cette activité, il devait alors consigner à la
cour un cautionnement destiné à garantir au
demandeur, dans l'hypothèse où celui-ci subirait
un préjudice par suite de ladite activité, qu'il
pourrait recouvrer soit des dommages-intérêts, soit
les profits réalisés. En l'espèce, la défenderesse ne
se livre à aucune activité donnant lieu à contesta-
tion. L'activité reprochée ne s'exerce plus depuis
longtemps. L'avocat soutient donc que la défende-
resse ne bénéficie d'aucun choix.
On allègue que les décisions relatives aux injonc-
tions de type Mareva ne s'appliquent pas ici parce
que ces injonctions visent à empêcher qu'on ne
fasse sortir des biens du ressort de la Cour. L'avo-
cat affirme être autorisé à fournir un engagement
suivant lequel les biens présentement en cause ne
seront pas enlevés du ressort. Il fait valoir que les
injonctions de type Mareva ne sont pas accordées
pour protéger un demandeur dans le cas où des
procédures de faillite seraient entamées contre le
défendeur. La Cour, prétend l'avocat, n'a pas com-
pétence pour rendre à ce stade tardif l'ordonnance
sollicitée, ordonnance qui, toujours selon l'avocat,
pourrait avoir pour effet de déterminer les droits
de créanciers qui ne sont pas parties au litige.
Pour ce qui est de l'argument selon lequel cette
Cour est incompétente pour rendre l'ordonnance
demandée, je crois que compétence lui est conférée
par la Règle 470. L'avocat de BERCO prétend que
cette Règle ne joue que dans la mesure où le litige
porte précisément sur les fonds dont il est question
et que, dans la présente affaire, c'est le brevet et
non pas les fonds qui fait l'objet du litige.
Il ne fait pas de doute que le litige porte sur les
droits conférés par le brevet. Néanmoins, la Règle
470(1) autorise la conservation de biens «au sujet
desquels peut se poser une question» dans le cadre
du litige. Or, le droit aux profits réalisés grâce à
l'utilisation de la technologie décrite dans le brevet
contrefait constitue en effet une question qui se
pose dans la présente action. La retenue de garan-
tie représente justement ces profits-là. Quant à
savoir si les bénéfices tirés de l'usage du brevet de
«retrait» doivent être considérés comme constituant
une partie seulement des fonds composant la rete-
nue de garantie, voilà une question qui n'a pas été
débattue devant moi. Même si elle l'avait été, je ne
me serais pas sentie obligée de répartir les fonds de
cette manière.
Dans la décision Teledyne Industries, Inc. et
autre c. Lido Industrial Products Ltd. (1982), 68
C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1" inst.), aux pages 208 et
209, le juge Addy précise que la reddition de
comptes dans une affaire en matière de propriété
industrielle est un redressement en equity:
En ce qui concerne la nature d'une reddition de comptes, en
equity, des bénéfices illégalement réalisés dans des affaires de
propriété industrielle, on trouve la déclaration suivante dans 38
Hals., 3' éd., pages 647 et 648, par. 1059:
[TRADUCTION] Dans une reddition de comptes des bénéfi-
ces, qui est un recours en equity, le dommage subi par la
demanderesse est sans aucune importance: la reddition de
comptes a pour objet de donner à la demanderesse les profits
réels réalisés par le défendeur et que l'équité lui enlève assitôt
qu'il est établi qu'ils ont été réalisés d'une manière illégitime.
Dès le début de la période en question, la défenderesse, sans
aucun semblant de droit ou de pouvoir, a sciemment utilisé et
bénéficié des biens des demanderesses et la Cour, avant la
reddition de comptes, a conclu qu'elle était l'auteur d'un acte
illicite. [C'est moi qui souligne.]
Bien entendu, le juge Addy a fait ses observa
tions dans un contexte où il était appelé à détermi-
ner à qui incombait la charge de la preuve aux fins
du calcul des profits. J'estime néanmoins qu'elles
sont tout aussi applicables dans la situation qui se
présente en l'espèce. À mon avis, la compétence
pour rendre l'ordonnance sollicitée résulte donc de
la Règle 470(1). Cela étant, je ne crois pas qu'il
soit nécessaire d'examiner si la Règle 470(7) est
également attributive de compétence; pour des cas
analogues voir la Règle 45.02 des Ontario Rules of
Court [Règles de procédure civile, Règles de
l'Ont. 560/84] et la décision Rotin v. Lechier-
Kimel [sic] (1985), 3 C.P.C. (2d) 15 (H.C. Ont.).
Comme je suis d'avis que la Règle 470(1) donne
compétence pour rendre l'ordonnance sollicitée, je
ne crois pas qu'il soit strictement nécessaire d'exa-
miner les arguments des avocats relativement aux
injonctions interlocutoires et aux injonctions de
type Mareva ni de déterminer si, d'après les faits
de la présente affaire, on a satisfait aux exigences
à remplir pour que soit accordée une injonction de
l'une ou de l'autre catégorie. Ce nonobstant, je
ferai les observations suivantes. L'ordonnance
qu'on demande est semblable à celles rendues dans
le cadre de procédures en vue de l'obtention d'in-
jonctions interlocutoires en ce sens que l'objet visé
est d'essayer de faire en sorte que la victoire d'un
demandeur qui obtient gain de cause ne soit pas
illusoire. Quoique la jurisprudence relative aux
injonctions interlocutoires exige qu'un demandeur
établisse une preuve suffisante à première vue (ou
l'existence d'une question sérieuse à juger), il y a
déjà eu en l'espèce une conclusion de responsabi-
lité. Donc, on dépasse largement ce qui doit être
prouvé pour obtenir une injonction interlocutoire
avant l'instruction. Par ailleurs, je tiens pour inap-
plicables en l'espèce les déclarations comme celles
faites dans l'arrêt Aetna Financial Services (pré-
cité), aux pages 10 à 14 R.C.S.; 150 à 152 C.P.R.,
d'où il ressort qu'on ne doit pas recourir à une
injonction de type Mareva pour effectuer l'exécu-
tion avant jugement. Dans le cas présent, un juge-
ment a été rendu. Bien que ni le montant des
profits à calculer ni celui des dommages-intérêts
devant être accordés n'ait pas encore été fixé, la
responsabilité de la défenderesse BERCO est
certaine.
De plus, je ne crois pas que le recours à une
injonction de type Mareva se limite aux cas où il y
a lieu de craindre qu'on ne fasse sortir les biens en
question du ressort de la cour. Selon mon interpré-
tation de la jurisprudence pertinente, il se peut
également que de telles injonctions puissent être
accordées lorsqu'il y a danger de dissipation des
biens. Aux pages 25 R.C.S.; 160 C.P.R. de l'arrêt
Aetna financial Services (précité), la Cour
suprême affirme:
Le point essentiel de l'action Mareva est le droit de geler les
biens exigibles qui se trouvent dans le ressort ... Toutefois,
l'injonction ne sera pronconcée que s'il y a un risque réel de voir
disparaître des biens, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du
ressort. [C'est moi qui souligne.]
Puis, aux pages 27 R.C.S.; 162 C.P.R., la Cour
suprême cite le passage suivant tiré de l'arrêt
Chitel et al. v. Rothbart et al. (précité), aux pages
289 D.L.R.; 532 O.R.; 83 C.P.R.:
[TRADUCTION] Les pièces produites par le requérant doivent
convaincre la cour que le défendeur est en train de sortir ses
biens du ressort pour parer un jugement éventuel, ou qu'il y a
un risque réel qu'il le fasse, ou encore que le défendeur est en
train de dissiper ou d'aliéner autrement ses biens. [C'est moi
qui souligne.]
En ce qui concerne l'argument des avocats selon
lequel le type d'ordonnance demandé doit être
évalué en fonction des exigences à remplir pour
l'obtention d'une injonction interlocutoire et selon
lequel parmi celles-ci figure l'obligation de donner
un choix au défendeur (c.-à-d. soit fournir un
cautionnement, soit cesser les activités dont on se
plaint), je ne crois pas que l'élément du choix
représente un aspect crucial d'une telle ordon-
nance. De toute évidence, tel a également été l'avis
du juge Cullen dans la décision Reading & Bates
Horizontal Drilling Co. et autre c. Spie, Horizon
tal Drilling Co. Inc. et autre (1986), 13 C.P.R.
(3d) 37 (C.F. lie inst.), surtout à la page 42. Au
surplus, du moment qu'on établit les éléments qui
doivent être prouvés pour que soit accordée une
injonction interlocutoire, le requérant a droit à ce
que cette ordonnance soit rendue. Certes, il y a
choix dans la mesure où l'intimé tente de parer à
cette ordonnance par une mesure substitutive,
notamment en fournissant une garantie, en versant
un cautionnement ou en produisant une lettre de
crédit. Le choix ne constitue toutefois pas un
élément inhérent à l'injonction interlocutoire
elle-même.
En l'espèce, la responsabilité a été prouvée; il y a
lieu de croire que les fonds en question seront
dissipés s'ils ne sont pas saisis; la somme représen-
tant les profits (ou les dommages-intérêts) à verser
à la demanderesse dépasseront vraisemblablement
de loin le montant des fonds susmentionnés;
ceux-ci sont les «fruits» mêmes de la contrefaçon; il
n'y a aucun élément de preuve tendant à établir
que la défenderesse subira un préjudice quelcon-
que par suite de l'ordonnance sollicitée, car elle n'a
jamais eu la jouissance des fonds en cause; rien
n'indique non plus que d'autres créanciers seront
lésés. Dans les circonstances, l'ordonnance sollici-
tée sera rendue.
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