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T-1879-83
Reading & Bates Construction Co. et Reading & Bates Horizontal Drilling Ltd. (demanderesses)
c.
Baker Energy Resources Corporation et Baker Marine Corporation (défenderesses)
T - 344 - 84
Reading & Bates Construction Co. et Reading & Bates Horizontal Drilling Ltd. (demanderesses)
c.
Gaz Inter-Cité Québec Inc. (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: READING & BATES CONSTRUCTION CO. c. BAKER ENERGY RESOURCES CORP.
Division de première instance, juge Reed— Toronto, 11 janvier; Ottawa, 15 janvier 1988.
Pratique Jugements et ordonnances Exécution Jugement en faveur des demanderesses dans une action en contrefaçon de brevet mais renvoi incomplet quant aux dom- mages-intérêts Demande de consignation à la Cour de la retenue de garantie Demande accueillie La Règle 470(1) autorise la conservation de biens «au sujet desquels peut se poser une question dans le cadre du litige» La question touchant le droit aux bénéfices (retenue de garantie) réalisés grâce à l'utilisation de la technologie décrite dans le brevet contrefait découle du litige La justice exige que la défende- resse ne reçoive pas les bénéfices illégalement réalisés.
Injonctions Demande de consignation à la Cour de la retenue de garantie pour les travaux exécutés grâce à la technologie liée au brevet contrefait La demande présentée est analogue à celle d'une injonction interlocutoire car elle vise à assurer l'exécution du jugement Les demanderesses sont en meilleure position que celle qui sollicite une injonction interlocutoire puisque la responsabilité est établie Les injonctions de type Mareva s'appliquent lorsque, comme en l'espèce, les éléments d'actif risquent d'être dissipés Le choix qui consiste à fournir un cautionnement ou à cesser l'activité reprochée ne constitue pas un élément inhérent à l'injonction interlocutoire.
Les présentes demandes visaient à obtenir que certaines sommes d'argent soient consignées à la Cour ou que la défende- resse Baker Energy Resources Corporation (BERco) dépose à titre de cautionnement une somme égale aux sommes susmen- tionnées ou qu'elle fournisse une lettre de crédit pour une somme identique. Les demanderesses avaient obtenu à l'encon- tre de BERCO un jugement en contrefaçon de brevet. Une procédure de renvoi pour déterminer le montant des dommages- intérêts n'a pas encore abouti et les profits réalisés ou les dommages-intérêts risquent de dépasser les fonds en cause. BERCO n'a pas d'actif ni de siège social au Canada et sa situation financière est fort précaire. Aux termes du contrat intervenu entre Gaz Inter-Cité Québec Inc. et BERCO pour les travaux exécutés grâce à la technologie liée au brevet contre-
fait, la société Gaz Inter-Cité Québec Inc. a retenu 5 % du prix stipulé par le contrat, (soit 226 450 $) à titre de [TRADUCTION] «retenue de garantie» pour assurer l'exécution intégrale du contrat. Les demanderesses ont exigé que ces fonds soient consignés auprès du tribunal et ont fait valoir que la Cour avait compétence conformément à l'alinéa 59(1)b) de la Loi sur les brevets ou à la Règle 470 des Règles de la Cour fédérale. Elles ont cité des causes des tribunaux, au lieu de rendre une injonction, ont ordonné à une partie de fournir une garantie au cas seraient accordés des dommages-intérêts. Les demande- resses ont également cité différentes décisions relatives aux injonctions de type Mareva, dans lesquelles a été ordonnée la saisie de biens avant jugement. Il n'y avait aucun élément de preuve tendant à établir que la défenderesse subirait un préju- dice quelconque par suite de l'ordonnance, car elle n'a jamais eu la jouissance des fonds en cause et rien n'indique que d'autres créanciers seront lésés.
Jugement: les demandes doivent être accueillies.
La Règle 470 conférait au tribunal la compétence nécessaire pour accorder l'ordonnance demandée. La Règle 470(1) autori- sait la conservation de biens «au sujet desquels peut se poser une question» dans le cadre du litige. Le droit aux profits réalisés grâce à l'utilisation de la technologie décrite dans le brevet contrefait constituait une question qui se posait dans la présente action. La retenue de garantie représentait justement ces profits. La justice exigeait que la défenderesse soit dépouil- lée des profits illégalement réalisés.
Même si l'objet de la présente demande était analogue à celui visé dans une demande d'injonction interlocutoire (s'assu- rer que la demanderesse pourra recouvrer des dommages-inté- rêts), la requérante était dans une meilleure position parce que la responsabilité avait déjà été établie. On peut avoir recours aux injonctions de type Mareva non seulement lorsqu'il y a lieu de craindre qu'on fasse sortir les biens du ressort de la Cour, mais aussi lorsqu'il y a danger de dissipation des biens.
Du moment qu'on établissait les éléments qui doivent être prouvés pour que soit accordée une injonction interlocutoire, la requérante avait droit à ce que cette ordonnance soit rendue. Le choix de fournir un cautionnement ou de cesser l'activité dom- mageable ne s'offrait plus à la requérante. Certes, il y a choix dans la mesure l'intimée tente de parer à une injonction par une mesure substitutive, notamment en fournissant une garan- tie, en versant un cautionnement ou en produisant une lettre de crédit. Le choix ne constitue toutefois pas un élément inhérent à l'injonction interlocutoire elle-même ni un élément essentiel au type d'ordonnance demandé en l'espèce.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 59(1)b). Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 470.
Règles de procédure civile, Règles de l'Ont. 560/84, Règle 45.02.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Teledyne Industries, Inc. et autre c. Lido Industrial Products Ltd. (1982), 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1'» inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Reading & Bates Horizontal Drilling Co. et autre c. Spie, Horizontal Drilling Co. Inc. et autre (1986), 13 C.P.R. (3d) 37 (C.F. 1fe inst.); Aetna Financial Services Ltd. c. Feigelman et autres, [1985] 1 R.C.S. 2; 4 C.P.R. (3d) 145; Chitel et al. v. Rothbart et al. (1982), 141 D.L.R. (3d) 268; 39 O.R. (2d) 513; 69 C.P.R. (2d) 62 (Ont. C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Apple Computer, Inc. v. Computermat Inc. et al. (1985), 3 C.P.R. (3d) 407 (H.C. Ont.); T.D. Williamson, Inc. et autre c. Electronic Pigging Systems, Inc. et autre (1984), 79 C.P.R. (2d) 197 (C.F. 1"° inst.); Halliburton Co. et autre c. Northstar Drillstem Testers Ltd. et autre (1981), 58 C.P.R. (2d) 73 (C.F. l"° inst.); Third Chandris Shipping Corpn v Unimarine SA, [1979] 2 All ER 972 (Q.B. Div.); Rotin v. Lechier-Kimel [sic] (1985), 3 C.P.C. (2d) 15 (H.C. Ont.).
AVOCATS:
Ronald E. Dimock et Gordon J. Zimmerman pour les demanderesses.
D. N. Deeth et E. M. McMahon pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Woolley, Dale & Dingwall, Toronto, pour les demanderesses.
MacBeth & Johnson, Toronto, pour les défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Les demanderesses présentent des demandes visant à obtenir que certaines sommes d'argent actuellement détenues par Gaz Inter-Cité Québec Inc. soient consignées à la Cour ou que la défenderesse Baker Energy Resources Corporation (BERCO) dépose en cautionnement une somme égale aux sommes susmentionnées ou qu'elle fournisse une lettre de crédit pour une somme identique. Elles sollicitent subsidiairement une ordonnance ou un jugement portant que Gaz Inter-Cité Québec Inc. détient les sommes en ques tion en fiducie pour elles.
Les demanderesses ont obtenu à l'encontre de la défenderesse BERCO un jugement pour contrefaçon du brevet numéro 1,140,106 (le brevet de «retrait»); voir la décision du juge Strayer en date du 20 mars 1986 (n° du greffe T-1879-83), confir-
mée en appel par un arrêt en date du 20 novembre 1987 (n° du greffe A-199-86). L'action soeur inten- tée contre Gaz Inter-Cité Québec Inc. a été reje- tée; voir le jugement en date du 20 mars 1986 (n° du greffe T-344-84), confirmé en appel par un arrêt daté du 20 novembre 1987 (n° du greffe A-198-86). Dans ces décisions, on statue égale- ment sur des allégations de contrefaçon du brevet numéro 1,037,462 (le brevet de «gaine posté- rieure»). Ce brevet a été jugé invalide.
Le juge Strayer, dans son jugement en date du 20 mars 1986 (n° du greffe T-1879-83), a ordonné à la défenderesse BERCO soit de procéder au calcul des profits, soit de payer des dommages-intérêts, au choix des demanderesses, relativement aux actes de contrefaçon dont elle avait été jugée coupable. Dans l'un ou l'autre cas, le montant devait être déterminé au moyen d'un renvoi. Le renvoi a donné naissance à de nombreuses deman- des interlocutoires. En gros, la défenderesse tentait par d'obtenir la suspension du renvoi en atten dant que la Cour d'appel se soit prononcée sur les appels interjetés dans le cadre des instances sus- mentionnées. La suspension sollicitée a été accor- dée par le protonotaire, M. Giles, à condition que la défenderesse, BERCO, fournisse 100 000 $ à titre de garantie (ordonnance en date du 6 mars 1987), ce qu'elle n'a jamais fait. Or, comme le renvoi n'a pas encore abouti, les demanderesses bénéficient d'un jugement établissant la responsabilité de la défenderesse BERCO, mais ni le montant des profits ni celui des dommages-intérêts n'a été déterminé.
D'après la preuve, les profits réalisés ou les dommages-intérêts risquent d'être considérables. Les travaux entrepris par BERCO pour Gaz Inter- Cité Québec Inc., d'où est née l'action en contrefa- çon, consistaient à poser un gazoduc sous le fleuve St-Laurent dans la région de Trois-Rivières. Il a fallu à cette fin forer un trou horizontalement au-dessous du lit du fleuve de la rive nord à la rive sud, puis attacher un tube à la foreuse qu'on ramenait ensuite du sud au nord de manière que le tube soit tiré dans le trou et ainsi mis en place. (Il s'agit d'une description fort schématique du procédé; les décisions susmentionnées en fournis- sent une explication détaillée.) Dans la première phase du procédé, on a employé la technologie visée par le brevet de «gaine postérieure» et, dans
la seconde, c'est à la technologie exposée dans le brevet de «retrait» qu'on a eu recours.
Le contrat fixait à 4 529 000 $ le prix à payer par Gaz Inter-Cité Québec Inc. à BERCO au titre des travaux entrepris par celle-ci. Les coûts de BERCO s'élevaient à 1 195 325,89 $ (pièce 4 pro- duite lors du contre-interrogatoire de M. Greer le 22 avril 1987). Les bénéfices provenant des tra- vaux se chiffrent donc à environ 3 334 000 $. Pour ce qui est des coûts énumérés dans la pièce 4 produite lors du contre-interrogatoire de M. Greer, ils sont répartis entre plusieurs postes (par ex.: mise en chantier, bureau sur le chantier, sécurité du personnel, installations sur le chantier, «démo- bilisation»). De loin les plus grandes dépenses sont celles entraînées par le forage du trou de la rive nord du fleuve jusqu'à la rive sud («trou arpenté- 389 620,86 $») et par le fait de ramener la foreuse, le tube y ayant été attaché, de la rive sud à la rive nord, de manière à réaliser la mise en place du tube («pose du tube-648 735,74 $»). Si les profits sont attribués aux divers stades des travaux en raison directe du coût de chacun, il devient alors évident que c'est la partie des travaux qui a néces- sité l'utilisation de la technologie de «retrait» qui a rapporté un pourcentage important des profits. De plus, on a produit des éléments de preuve établis- sant qu'il est raisonnable d'imputer une forte pro portion des profits aux aspects les plus risqués du procédé (paragraphes 11, 12 et 13 de l'affidavit de John D. Hair, en date du 9 décembre 1987).
La défenderesse BERCO n'a pas d'actif ni de lieu d'affaires au Canada. Sa situation financière est très précaire. En effet, ses états financiers pour les exercices financiers se terminant en 1984 et en 1985 portent une note des vérificateurs datée du 20 mai 1986, d'où il ressort que l'existence de la société est peut-être menacée. Voir en outre l'affi- davit de M. Hair en date du 26 juin 1986 (para- graphe 24) et celui en date du 9 décembre 1987 (paragraphes 8 et 15).
Aux termes du contrat intervenu entre BERCO et Gaz Inter-Cité Québec Inc., celle-ci pouvait rete- nir 5 % du prix stipulé par le contrat, (soit 226 450 $), à titre de [TRADUCTION] «retenue de garantie» en attendant l'achèvement des travaux. Telle est la pratique suivie dans l'industrie en question. La retenue de garantie sert à assurer
l'exécution intégrale du contrat. En l'espèce, la somme retenue n'a pas été payée à BERCO à la fin des travaux, peut-être en raison du litige relatif au brevet qui, à ce moment-là, avait déjà été engagé. À l'été et à l'automne de 1984, la défenderesse BERCO a cherché à obtenir le paiement des fonds en cause en demandant qu'ils soient virés à un compte en banque à Houston (Texas). Cela n'a pas été fait. Les demanderesses croient que c'est encore Gaz Inter-Cité Québec Inc. qui détient les fonds ainsi que les intérêts en provenant. La Cour d'appel a maintenant rendu ses arrêts. Les deman- deresses craignent donc que les fonds ne soient versés à BERCO et ainsi enlevés du ressort de la Cour ou qu'ils ne soient dissipés de quelque manière. L'avocat de BERCO pour sa part a fourni un engagement selon lequel les fonds resteront dans le ressort.
L'avocat des demanderesses fait valoir que la Cour peut s'autoriser de l'alinéa 59(1)b) de la Loi sur les brevets [S.R.C. 1970, chap. P-4] ou de la Règle 470 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] pour ordonner que les fonds détenus par Gaz Inter-Cité Québec Inc. soient consignés à la Cour ou, subsidiairement, pour exiger que la défenderesse BERCO dépose en cautionnement une somme équivalente ou qu'elle fournisse une lettre de crédit pour la même somme. Suivant l'argu- ment de l'avocat: 1) les fonds en question appar- tiennent en réalité à BERCO; 2) BERCO n'a dans le ressort aucun autre élément d'actif; 3) BERco se trouve dans une situation financière précaire; 4) les fonds représentent une partie des «fruits» de la contrefaçon; 5) si les fonds sont versés à BERCO il existe un danger réel qu'on les fasse sortir du ressort ou qu'ils soient dissipés de quelque manière. On invoque à l'appui de la demande d'ordonnance les affaires des tribunaux saisis de demandes d'injonction interlocutoire, au lieu de rendre une injonction interdisant l'activité qui aurait constitué la contrefaçon, ont ordonné à une partie de fournir une garantie au cas seraient accordés des dommages-intérêts. En particulier, l'avocat s'est référé à: Apple Computer, Inc. v. Computermat Inc. et al. (1985), 3 C.P.R. (3d) 407 (H.C. Ont.); T.D. Williamson, Inc. et autre c. Electronic Pigging Systems, Inc. et autre (1984), 79 C.P.R. (2d) 197 (C.F. lie inst.); Halliburton Co. et autre c. North- star Drillstem Testers Ltd. et autre (1981), 58 C.P.R. (2d) 73 (C.F. 1" inst.). On a cité en outre différentes décisions relatives
aux injonctions de type Mareva, dans lesquelles a été ordonnée la saisie de biens avant jugement: Reading & Bates Horizontal Drilling Co. et autre c. Spie, Horizontal Drilling Co. Inc. et autre (1986), 13 C.P.R. (3d) 37 (C.F. 1" inst.); Aetna Financial Services Ltd. c. Feigelman et autres, [1985] 1 R.C.S. 2; 4 C.P.R. (3d) 145; Chitel et al. v. Rothbart et al. (1982), 141 D.L.R. (3d) 268; 39 O.R. (2d) 513; 69 C.P.R. (2d) 62 (C.A. Ont.); Third Chandris Shipping Corpn y Unimarine SA, [1979] 2 All ER 972 (Q.B. Div.).
Selon l'avocat de la défenderesse BERCO, l'ordre public exige que les demanderesses soient débou- tées de leur demande parce que celle-ci vise à obtenir qu'elles soient colloquées avant d'autres créanciers de la défenderesse. Or, cette dernière n'a produit aucun élément de preuve qui appuie l'affirmation qu'il y a d'autres créanciers, qui nomme ces créanciers, ou qui indique s'ils se trou- vent ou non dans le ressort de la Cour. Compte tenu des états financiers susmentionnés de BERCO, il est raisonnable de supposer qu'il existe probable- ment d'autres créanciers quelque part. Néanmoins, en l'absence d'éléments de preuve concrets établis- sant l'existence d'autres créanciers et leurs noms, je ne trouve pas convaincant cet argument.
L'avocat de la défenderesse BERCO soutient que les demanderesses elles-mêmes n'ont plus d'actif au Canada, que la propriété des brevets en cause a fait l'objet de plusieurs cessions entre sociétés et qu'il y a eu des changements quant au titulaire desdits brevets, de sorte que la qualité des deman- deresses pour agir au Canada n'est guère plus réelle que celle de la défenderesse. Je ne crois pas que cela soit pertinent relativement aux demandes dont il s'agit en l'espèce. Selon l'avocat, on sollicite une ordonnance qui aura force exécutoire contre Gaz Inter-Cité Québec Inc. et ses ayants cause, mais ni les ayants cause ni Gaz Inter-Cité Québec Inc. n'ont eu une signification régulière. Or, on ne m'a présenté dans le cadre de la présente requête aucun élément de preuve établissant qu'il existe des ayants cause de Gaz Inter-Cité Québec Inc. Il n'y a en fait rien qui indique que la clause en question soit autre chose qu'une espèce de «clause de style». Dans le cas de Gaz Inter-Cité Québec Inc., signification a été faite à son avocat (qui est également l'avocat des défenderesses BERco et Baker Marine). Personne ne s'est opposé à ce que
la signification se fasse de cette manière. Par ailleurs, Gaz Inter-Cité Québec Inc. a jugé bon de ne pas comparaître relativement à la présente requête.
L'avocat de BERCO prétend en outre que ni l'alinéa 59(1)b) de la Loi sur les brevets ni la Règle 470 des Règles de la Cour fédérale n'habi- lite cette Cour à rendre l'ordonnance demandée et que ni la jurisprudence relative aux injonctions interlocutoires ni les décisions en matière d'injonc- tions de type Mareva ne s'appliquent en l'espèce. D'après l'avocat, dans les causes invoquées il est question d'injonctions interlocutoires, on a permis au défendeur de choisir s'il continuerait ou non à exercer une activité donnée. S'il décidait de pour- suivre cette activité, il devait alors consigner à la cour un cautionnement destiné à garantir au demandeur, dans l'hypothèse celui-ci subirait un préjudice par suite de ladite activité, qu'il pourrait recouvrer soit des dommages-intérêts, soit les profits réalisés. En l'espèce, la défenderesse ne se livre à aucune activité donnant lieu à contesta- tion. L'activité reprochée ne s'exerce plus depuis longtemps. L'avocat soutient donc que la défende- resse ne bénéficie d'aucun choix.
On allègue que les décisions relatives aux injonc- tions de type Mareva ne s'appliquent pas ici parce que ces injonctions visent à empêcher qu'on ne fasse sortir des biens du ressort de la Cour. L'avo- cat affirme être autorisé à fournir un engagement suivant lequel les biens présentement en cause ne seront pas enlevés du ressort. Il fait valoir que les injonctions de type Mareva ne sont pas accordées pour protéger un demandeur dans le cas des procédures de faillite seraient entamées contre le défendeur. La Cour, prétend l'avocat, n'a pas com- pétence pour rendre à ce stade tardif l'ordonnance sollicitée, ordonnance qui, toujours selon l'avocat, pourrait avoir pour effet de déterminer les droits de créanciers qui ne sont pas parties au litige.
Pour ce qui est de l'argument selon lequel cette Cour est incompétente pour rendre l'ordonnance demandée, je crois que compétence lui est conférée par la Règle 470. L'avocat de BERCO prétend que cette Règle ne joue que dans la mesure le litige porte précisément sur les fonds dont il est question et que, dans la présente affaire, c'est le brevet et non pas les fonds qui fait l'objet du litige.
Il ne fait pas de doute que le litige porte sur les droits conférés par le brevet. Néanmoins, la Règle 470(1) autorise la conservation de biens «au sujet desquels peut se poser une question» dans le cadre du litige. Or, le droit aux profits réalisés grâce à l'utilisation de la technologie décrite dans le brevet contrefait constitue en effet une question qui se pose dans la présente action. La retenue de garan- tie représente justement ces profits-là. Quant à savoir si les bénéfices tirés de l'usage du brevet de «retrait» doivent être considérés comme constituant une partie seulement des fonds composant la rete- nue de garantie, voilà une question qui n'a pas été débattue devant moi. Même si elle l'avait été, je ne me serais pas sentie obligée de répartir les fonds de cette manière.
Dans la décision Teledyne Industries, Inc. et autre c. Lido Industrial Products Ltd. (1982), 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1" inst.), aux pages 208 et 209, le juge Addy précise que la reddition de comptes dans une affaire en matière de propriété industrielle est un redressement en equity:
En ce qui concerne la nature d'une reddition de comptes, en equity, des bénéfices illégalement réalisés dans des affaires de propriété industrielle, on trouve la déclaration suivante dans 38 Hals., 3' éd., pages 647 et 648, par. 1059:
[TRADUCTION] Dans une reddition de comptes des bénéfi- ces, qui est un recours en equity, le dommage subi par la demanderesse est sans aucune importance: la reddition de comptes a pour objet de donner à la demanderesse les profits réels réalisés par le défendeur et que l'équité lui enlève assitôt qu'il est établi qu'ils ont été réalisés d'une manière illégitime.
Dès le début de la période en question, la défenderesse, sans aucun semblant de droit ou de pouvoir, a sciemment utilisé et bénéficié des biens des demanderesses et la Cour, avant la reddition de comptes, a conclu qu'elle était l'auteur d'un acte illicite. [C'est moi qui souligne.]
Bien entendu, le juge Addy a fait ses observa tions dans un contexte il était appelé à détermi- ner à qui incombait la charge de la preuve aux fins du calcul des profits. J'estime néanmoins qu'elles sont tout aussi applicables dans la situation qui se présente en l'espèce. À mon avis, la compétence pour rendre l'ordonnance sollicitée résulte donc de la Règle 470(1). Cela étant, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'examiner si la Règle 470(7) est également attributive de compétence; pour des cas analogues voir la Règle 45.02 des Ontario Rules of Court [Règles de procédure civile, Règles de l'Ont. 560/84] et la décision Rotin v. Lechier- Kimel [sic] (1985), 3 C.P.C. (2d) 15 (H.C. Ont.).
Comme je suis d'avis que la Règle 470(1) donne compétence pour rendre l'ordonnance sollicitée, je ne crois pas qu'il soit strictement nécessaire d'exa- miner les arguments des avocats relativement aux injonctions interlocutoires et aux injonctions de type Mareva ni de déterminer si, d'après les faits de la présente affaire, on a satisfait aux exigences à remplir pour que soit accordée une injonction de l'une ou de l'autre catégorie. Ce nonobstant, je ferai les observations suivantes. L'ordonnance qu'on demande est semblable à celles rendues dans le cadre de procédures en vue de l'obtention d'in- jonctions interlocutoires en ce sens que l'objet visé est d'essayer de faire en sorte que la victoire d'un demandeur qui obtient gain de cause ne soit pas illusoire. Quoique la jurisprudence relative aux injonctions interlocutoires exige qu'un demandeur établisse une preuve suffisante à première vue (ou l'existence d'une question sérieuse à juger), il y a déjà eu en l'espèce une conclusion de responsabi- lité. Donc, on dépasse largement ce qui doit être prouvé pour obtenir une injonction interlocutoire avant l'instruction. Par ailleurs, je tiens pour inap- plicables en l'espèce les déclarations comme celles faites dans l'arrêt Aetna Financial Services (pré- cité), aux pages 10 à 14 R.C.S.; 150 à 152 C.P.R., d'où il ressort qu'on ne doit pas recourir à une injonction de type Mareva pour effectuer l'exécu- tion avant jugement. Dans le cas présent, un juge- ment a été rendu. Bien que ni le montant des profits à calculer ni celui des dommages-intérêts devant être accordés n'ait pas encore été fixé, la responsabilité de la défenderesse BERCO est certaine.
De plus, je ne crois pas que le recours à une injonction de type Mareva se limite aux cas il y a lieu de craindre qu'on ne fasse sortir les biens en question du ressort de la cour. Selon mon interpré- tation de la jurisprudence pertinente, il se peut également que de telles injonctions puissent être accordées lorsqu'il y a danger de dissipation des biens. Aux pages 25 R.C.S.; 160 C.P.R. de l'arrêt Aetna financial Services (précité), la Cour suprême affirme:
Le point essentiel de l'action Mareva est le droit de geler les biens exigibles qui se trouvent dans le ressort ... Toutefois, l'injonction ne sera pronconcée que s'il y a un risque réel de voir disparaître des biens, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du ressort. [C'est moi qui souligne.]
Puis, aux pages 27 R.C.S.; 162 C.P.R., la Cour suprême cite le passage suivant tiré de l'arrêt Chitel et al. v. Rothbart et al. (précité), aux pages 289 D.L.R.; 532 O.R.; 83 C.P.R.:
[TRADUCTION] Les pièces produites par le requérant doivent convaincre la cour que le défendeur est en train de sortir ses biens du ressort pour parer un jugement éventuel, ou qu'il y a un risque réel qu'il le fasse, ou encore que le défendeur est en train de dissiper ou d'aliéner autrement ses biens. [C'est moi qui souligne.]
En ce qui concerne l'argument des avocats selon lequel le type d'ordonnance demandé doit être évalué en fonction des exigences à remplir pour l'obtention d'une injonction interlocutoire et selon lequel parmi celles-ci figure l'obligation de donner un choix au défendeur (c.-à-d. soit fournir un cautionnement, soit cesser les activités dont on se plaint), je ne crois pas que l'élément du choix représente un aspect crucial d'une telle ordon- nance. De toute évidence, tel a également été l'avis du juge Cullen dans la décision Reading & Bates Horizontal Drilling Co. et autre c. Spie, Horizon tal Drilling Co. Inc. et autre (1986), 13 C.P.R. (3d) 37 (C.F. lie inst.), surtout à la page 42. Au surplus, du moment qu'on établit les éléments qui doivent être prouvés pour que soit accordée une injonction interlocutoire, le requérant a droit à ce que cette ordonnance soit rendue. Certes, il y a choix dans la mesure l'intimé tente de parer à cette ordonnance par une mesure substitutive, notamment en fournissant une garantie, en versant un cautionnement ou en produisant une lettre de crédit. Le choix ne constitue toutefois pas un élément inhérent à l'injonction interlocutoire elle-même.
En l'espèce, la responsabilité a été prouvée; il y a lieu de croire que les fonds en question seront dissipés s'ils ne sont pas saisis; la somme représen- tant les profits (ou les dommages-intérêts) à verser à la demanderesse dépasseront vraisemblablement de loin le montant des fonds susmentionnés; ceux-ci sont les «fruits» mêmes de la contrefaçon; il n'y a aucun élément de preuve tendant à établir que la défenderesse subira un préjudice quelcon- que par suite de l'ordonnance sollicitée, car elle n'a jamais eu la jouissance des fonds en cause; rien n'indique non plus que d'autres créanciers seront lésés. Dans les circonstances, l'ordonnance sollici- tée sera rendue.
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