T-1440-86
Régis Tremblay, un détenu présentement incar-
céré à l'Unité spéciale de détention du Centre
régional de réception (requérant)
c.
Président du Tribunal disciplinaire de l'Établisse-
ment Laval,
et
Marc-André Lafleur, ès qualité de directeur de
l'Établissement Laval,
et
Comité de réduction de peine méritée de l'Établis-
sement Laval,
et
Rhéa! Leblanc, Commissaire au Service correc-
tionnel (intimés) *
RÉPERTORIÉ: TREMBLAY c. CANADA (TRIBUNAL DISCIPLI-
NAIRE DE L'ÉTABLISSEMENT LAVAL)
Division de première instance, juge Rouleau—
Montréal, 3 février; Ottawa, 9 avril 1987.
Pénitenciers — Infractions à la discipline — Détenu accusé
d'être en possession de contrebande relativement à un acte
d'agression armée contre un autre détenu — Droit d'être
représenté par avocat devant le tribunal disciplinaire —
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251,
art. 38 (mod. par DORS/85-640), 39i) (mod. idem) — Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R-U.), art. 7.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Liberté — Droit à la représentation par avocat —
Un détenu, accusé d'avoir de la contrebande en sa possession
relativement à un acte d'agression armée contre un autre
détenu, s'est vu refuser le droit d'être représenté par avocat
devant le Tribunal disciplinaire — Application des critères
adoptés dans l'affaire Howard et de la jurisprudence ulté-
rieure: la gravité de l'accusation et de la peine; la probabilité
que soient soulevés des points de droit; l'aptitude du détenu à
exposer lui-même sa cause — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R-U.), art. 7 — Règlement sur le service des pénitenciers,
C.R.C., chap. 1251, art. 38 (mod. par DORS/85-640), 39i)
(mod. idem).
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Détenu accusé d'être en possession de contrebande relativement
à un acte d'agression armée contre un autre détenu — Rejet du
* Note de l'arrêtiste: voir également [1987] 3 C.F. 91
droit à la représentation par avocat devant le Tribunal
disciplinaire.
Voir la note de l'arrêtiste infra pour ce qui est du résumé des
faits de l'espèce et de l'énoncé du redressement sollicité.
Jugement: La demande visant à obtenir un bref de certiorari
qui annulerait la décision par laquelle le président du Tribunal
disciplinaire a condamné le requérant à trente jours d'isolement
cellulaire punitif devrait être accueillie.
La question se pose principalement de savoir si le rejet par le
président de la demande de représentation par avocat présentée
par le requérant violait son droit à la liberté que garantit la
constitution. La règle applicable est énoncée dans l'affaire
Howard c. Établissement de Stony Mountain. Il découle d'un
examen de la jurisprudence appliquant et commentant l'arrêt
Howard que les trois critères les plus concluants dégagés dans
celui-ci devaient s'appliquer, compte tenu des faits de l'espèce.
1) La gravité de l'accusation et de la peine susceptible d'être
imposée: un homme a été gravement blessé et il s'est trouvé que
le requérant figurait parmi ceux qui en étaient responsables. La
gravité de l'accusation est manifeste. Et le requérant risque de
ne pas se voir octroyer des jours de réduction de peine par le
Comité de réduction de peine méritée en raison de l'accusation
portée contre lui. Il s'agit là encore d'un fait grave. 2) La
possibilité que soient soulevés des points de droit: une personne
ayant une formation juridique aurait peut-être voulu soulever
a) la question du délai entre la date de l'incident et la date
d'audition devant le Tribunal disciplinaire; b) la question de la
multiplicité des accusations résultant d'un même événement et
c) la défense d'autrefois acquit. 3) L'aptitude d'un détenu à
exposer lui-même sa cause. Ce volet recoupe le point précédent.
Sans douter de l'intelligence du requérant, il aurait eu du mal à
exposer sa pensée sur les questions de droit susmentionnées.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F.
642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.); Bailey c. Tribunal
disciplinaire de l'établissement de Mission (président)
(1987), 6 F.T.R. 69.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Savard c. Tribunal disciplinaire de l'établissement d'Ed-
monton (Président) et autre (1986), 3 F.T.R. 1; Walker c.
Comité de discipline du pénitencier de Kingston (1986),
3 F.T.R. 109; Mitchell c. Crozier, [1986] 1 C.F. 255;
(1986), 1 F.T.R. 138.
DÉCISIONS CITÉES:
Reg. v. Secretary of State for the Home Department, Ex
parte Tarrant, [1984] 2 W.L.R. 613 (Q.B.D. Angl.);
Lasalle c. Tribunaux disciplinaires de l'établissement
Leclerc (1983), 5 Admin. L.R. 23 (C.F. 1« inst.); Cardi
nal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985]
2 R.C.S. 643; La Reine c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613.
AVOCATS:
Lucie Lemonde pour le requérant.
David Lucas pour les intimés.
PROCUREURS:
Daignault & Lemonde, Montréal, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le directeur général a choisi de publier le pré-
sent jugement parce qu'il expose bien l'état de la
jurisprudence depuis la décision de cette Cour
dans Howard c. Établissement Stony Mountain,
[1984] 2 C.F. 642 (C.A.) sur la question du droit
d'un détenu d'être représenté par un avocat
devant un tribunal disciplinaire. Il a cependant été
décidé de publier sous une forme abrégée ce
jugement de 37 pages et de présenter le résumé
suivant des faits.
Le requérant purge une peine d'emprisonne-
ment de six ans pour vol qualifié à l'établissement
de Laval, un pénitencier à sécurité maximale. Le
29 novembre 1985, le requérant et trois autres
détenus, armés de pics de fabrication artisanale
et d'un couteau, font irruption dans la cellule d'un
autre détenu. Ce dernier est grièvement blessé.
Le requérant est placé en ségrégation et subsé-
quemment transféré en unité spéciale de déten-
tion. Le 3 février 1986, le requérant est déclaré
coupable par le président du tribunal disciplinaire
de possession de contrebande (arme offensive)
contrairement à l'alinéa 39i) du Règlement sur le
service des pénitenciers. L'infraction, initialement
qualifiée de «majeure» par l'agent chargé de la
rédaction du Rapport de l'infraction, a par la suite
été réduite à une infraction de catégorie «intermé-
diaire» par les autorités du pénitencier.
Compte tenu de la gravité objective de l'accu-
sation de possession d'une arme offensive, le
requérant a été condamné à 30 jours d'isolement
cellulaire.
Le président du tribunal disciplinaire a rejeté la
demande du requérant en vue d'être représenté
par avocat à l'audition aux motifs que l'accusation
comportait des questions de fait et non de droit;
que le requérant était en mesure de se défendre
et que, puisqu'il s'agissait d'une infraction inter-
médiaire, il n'était pas question de perte de
réduction de peine méritée.
Le requérant sollicite un bref de certiorari pour
faire annuler la décision du président du tribunal
disciplinaire le condamnant à l'isolement cellu-
laire; celle du Comité du réduction de peine méri-
tée de ne pas lui attribuer 10 jours de remise de
peine méritée et celle de le transférer à l'unité
spéciale de détention. Le requérant fait valoir que
ces décisions vont à l'encontre de l'article 7 de la
Charte canadienne des droits et libertés.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE ROULEAU: Lors de l'audition de la
présente requête, l'argumentation de l'avocate du
requérant comportait trois volets. D'abord, elle a
fait valoir ses arguments à l'encontre de la décision
du 3 février 1986 du président du Tribunal disci-
plinaire, ensuite, relativement à la perte de «bon
temps» [réduction de peine méritée] et enfin, au
sujet du transfert en U.S.D. [unité spéciale de
détention] .
On se rappellera que le 3 février 1986, le prési-
dent du Tribunal disciplinaire avait trouvé le
requérant coupable de possession de contrebande
et l'avait condamné à 30 jours d'isolement cellu-
laire punitif. Le requérant et son procureur repro-
chent au président son refus, sans justification, de
permettre audit requérant d'être accompagné et
d'être assisté d'un avocat lors de l'audition du 3
février 1986, ce qui contrevient à l'article 7 de la
Charte canadienne des droits et libertés, qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), qui se lit comme suit:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Bref, on allègue que le refus opposé par le prési-
dent constituait une atteinte à la liberté du
requérant.
J'ouvre une parenthèse pour dire qu'il est faux
de prétendre, comme l'a fait le requérant, que le
président a refusé la demande du requérant sans
justification. Il appert du paragraphe 16 (reproduit
plus haut)* de l'affidavit du président du Tribunal
que tel n'est pas le cas. Il semble de toute évidence
que le requérant et son procureur s'inscrivent
plutôt en faux contre les motifs avancés par le
président et non contre l'absence de raison. Tou-
jours est-il qu'il m'échet maintenant de décider si
le refus opposé par le président à la demande de
représentation par avocat du requérant viole le
droit constitutionnellement reconnu dudit requé-
rant à la liberté.
Le droit applicable semble avoir été clairement
établi dans l'affaire Howard c. Établissement
Stony Mountain', [1984] 2 C.F. 642; (1985), 57
N.R. 280 (C.A.), où le juge en chef de la Cour
fédérale a conclu, aux pages 663 C.F.; 292 N.R.,
que:
... la question de savoir si oui ou non une personne a le droit
d'être représentée par avocat dépendra des circonstances de
l'espèce, de sa nature, de sa gravité, de sa complexité, de
l'aptitude du détenu lui-même à comprendre la cause et à
présenter sa défense. Cette liste n'est pas exhaustive.
Dans la même affaire, le juge MacGuigan a repris
également à son compte les six critères énoncés par
le juge Webster dans l'arrêt Reg. v. Secretary of
State for the Home Department, Ex parte Tar-
rant, [1984] 2 W.L.R. 613 (Q.B.D. Angl.). Voici
ces six critères dont il faut tenir compte relative-
ment au droit à la représentation par avocat:
1) la gravité de l'accusation et de la peine susceptible d'être
imposée;
2) la probabilité que soient soulevés des points de droit;
3) l'aptitude du détenu à exposer lui-même sa cause;
4) les difficultés en matière de procédure;
5) la nécessité d'obtenir une décision dans un délai raisonna-
blement court; et
6) le besoin d'équité entre les prisonniers et entre ceux-ci et
les fonctionnaires de la prison.
Il ne fait aucun doute que le président du Tribunal
disciplinaire a lu et appliqué l'arrêt Howard,
* Note de l'arrêtiste: Voici le texte de ce paragraphe:
16. Je lui ai dit que je refusais sa demande d'être représenté
par un avocat et je lui ai donné mes motifs, soit:
a) qu'il était parfaitement au courant de la nature de
l'accusation;
b) qu'il s'agissait d'une infraction intermédiaire pour
laquelle je ne pouvais pas lui faire perdre la réduction
méritée de peine;
c) qu'il était intelligent et avait la capacité de se
défendre;
d) que l'accusation en était une de faits et non pas de
droit;
' Présentement devant la Cour suprême du Canada.
comme en témoigne les motifs invoqués au soutien
de son refus (paragraphe 16 de son affidavit).
Il serait utile je pense, à ce stade-ci, de rappeler
les faits qui ont donné lieu à la décision Howard.
Ils sont tirés du sommaire et se lisent comme suit
[à la page 643 C.F.]:
L'appelant [Howard], détenu de l'établissement de Stony
Mountain, a été accusé d'infractions disciplinaires en vertu de
l'article 39 du Règlement sur le service des pénitenciers. Toutes
ces accusations étaient qualifiées de «graves ou flagrantes»
suivant la Directive du Commissaire n° 213. L'appelant a
obtenu les services d'un avocat de l'aide juridique et a demandé
à être représenté par avocat à l'audience disciplinaire. Cette
requête fut rejetée par le président du tribunal disciplinaire des
détenus qui a déclaré que l'article 7 de la Charte n'avait pas
créé un «nouvel ensemble de droits» et que les circonstances de
l'espèce n'empêchaient pas la tenue d'une audition équitable en
l'absence d'un avocat. La Division de première instance a rejeté
la demande de l'appelant en vue d'obtenir un bref de prohibi
tion aux motifs qu'il n'existait pas en vertu de la common law
de droit à la représentation par avocat et que l'article 7 n'avait
conféré à l'appelant aucun droit nouveau à une telle
représentation.
La Cour d'appel a accueilli l'appel du détenu
Howard. Le juge en chef et le juge Pratte sont
d'avis que [à la page 644 C.F.]:
En l'espèce, la requête de l'appelant ne pouvait, à bon droit,
être refusée. Le fait qu'il risquait de perdre ses 267 jours de
réduction de peine méritée, l'absence de détails quant aux
infractions disciplinaires et le fait que l'une des trois accusa
tions, soit celle d'avoir agi de manière à nuire à la discipline et
au bon ordre, constitue un chef d'accusation notoirement vague
et difficile à contester, témoignent de la nécessité de la repré-
sentation par avocat. En outre, dans une société qui reconnaît le
droit de tout individu d'être représenté par un avocat devant
toutes les cours de justice ordinaires afin de se défendre contre
toute accusation, il semble absurde de refuser ce droit à une
personne qui, bien que ne souffrant d'aucun handicap physique
ou mental l'empêchant de se défendre, fait néanmoins face à
des accusations emportant d'aussi graves conséquences.
Pour sa part, le juge MacGuigan a émis, dans des
motifs concordants [à la page 645 C.F.], l'opinion
que:
L'article 7 exige qu'on accorde à un détenu le droit d'être
représenté par avocat lorsque le fait de refuser sa requête en ce
sens violerait son droit à la justice fondamentale. L'existence de
ce droit dépend des faits. Le pouvoir dont dispose le président
du tribunal n'empêche pas une cour exerçant son pouvoir de
contrôle de substituer sa propre décision à celle de ce dernier si
elle est convaincu que le pouvoir discrétionnaire du président a
été exercé de façon erronée. En l'espèce, le président du tribu
nal a mal saisi les effets de la Charte lorsqu'il s'est dit d'avis
que l'article 7 «ne crée pas un nouvel ensemble de droits et
n'élève pas à un plus haut degré la responsabilité d'un tribunal
administratif comme le comité de discipline». La Charte a bel
et bien modifié l'interprétation antérieure du droit et ce faisant,
elle influe même sur les procédures de nature purement admi
nistrative. L'appelant a donc manifestement été privé de la
protection d'un principe de justice fondamentale en contraven
tion de l'article 7.
Depuis l'arrêt Howard (précité), la Division de
première instance de la Cour fédérale a eu l'occa-
sion à quatre reprises de se pencher sur ce problè-
me du droit à la représentation par avocat devant
un tribunal disciplinaire de détenus. Ces décisions
sont: Savard c. Tribunal disciplinaire de l'établis-
sement d'Edmonton (Président) et autre (1986), 3
F.T.R. 1; Walker c. Comité de discipline du péni-
tencier de Kingston (1986), 3 F.T.R. 109; Mitchell
c. Crozier, [1986] 1 C.F. 255; (1986), 1 F.T.R.
138 et enfin Bailey c. Tribunal disciplinaire de
l'établissement de Mission (président) (1987), 6
F.T.R. 69. Il faudrait faire remarquer aussi que le
Règlement sur le service des pénitenciers [C.R.C.,
chap. 1251], et plus particulièrement son article
38, a été modifié pour ajouter aux catégories d'in-
conduite légère et d'inconduite flagrante ou grave
une nouvelle catégorie d'infraction soit celle d'in-
conduite intermédiaire'. D'aucuns ont prétendu
que l'ajout de la catégorie d'inconduite intermé-
diaire avait essentiellement pour but de contrecar-
rer les effets de l'arrêt Howard (précité) 3 .
Dans Savard c. Tribunal disciplinaire de l'éta-
blissement d'Edmonton (Président) et autre (pré-
citée), l'infraction reprochée au détenu a été quali-
fiée de flagrante ou grave par l'autorité
compétente de l'institution. En plus d'encourir les
mêmes sanctions qu'une inconduite intermédiaire,
un détenu reconnu coupable d'inconduite flagrante
ou grave est également passible de la déchéance de
son droit à la réduction statutaire de peine ou de la
déchéance de son droit à la réduction de peine
méritée, acquis après le Zef juillet 1978 (voir l'ali-
néa 38(9)f) du Règlement.
Les faits de cette cause sont très simples et se
résument à ceci (à la page 1):
Un détenu a été accusé, en vertu de l'alinéa 39h) du Règle-
ment sur le service des pénitenciers, d'avoir désobéi à un
règlement régissant la conduite des détenus. Précisément, il
aurait été, vers 22 h, absent au «dénombrement». Le détenu a
conclu à un bref de prohibition visant à empêcher le tribunal
disciplinaire de l'établissement d'Edmonton et le directeur de
2 DORS/85-640, 5 juillet 1985.
3 Jackson, Michael «The Right to Counsel in Prison Discipli
nary Hearings» (1986), 20 U.B.C. L. Rev. 221, à la p. 278.
l'établissement de donner suite à l'accusation à moins qu'il ne
soit autorisé à être représenté par avocat.
La question en litige était ainsi formulée par le
savant juge Reed (aux pages 2 et 3):
Par conséquent, la seule question à trancher est l'application
de la décision de la Cour d'appel dans Howard c. Président du
tribunal disciplinaire des détenus de l'établissement de Stony
Mountain (1985), 57 N.R. 280; 45 C.R. (3d) 242. Dans ce
jugement, il a été décidé que le droit d'un détenu à être
représenté par un avocat devant un tribunal disciplinaire d'un
pénitencier dépendait des circonstances de chaque espèce. Le
critère à appliquer a été énoncé à la page 263 C.R.: s'agit-il
d'un cas où, «pour donner au détenu la possibilité d'exposer
adéquatement sa cause, il faut lui permettre d'être représenté
par un avocat»? Le juge a indiqué qu'il fallait tenir compte des
facteurs suivants pour prendre une telle décision: (1) la gravité
de l'accusation; (2) la complexité de l'accusation et la probabi-
lité que soient soulevés des points de droit; (3) l'aptitude de
l'individu à se défendre lui-même; (4) l'existence de difficultés
en matière de procédure; (5) la nécessité d'obtenir une décision
en matière de discipline dans un délai court; (6) le besoin
d'équité entre les prisonniers et entre ceux-ci et les fonctionnai-
res de la prison. Le juge a précisé que cette liste n'était pas
exhaustive.
Pour résoudre cette question, elle a donc appliqué
les critères énoncés dans Howard au cas devant
elle. Voici son analyse (aux pages 3 et 4):
Dans le cas présent, il est difficile de déterminer la gravité de
l'accusation. Comme nous l'avons précisé ci-dessus, l'infraction
a été considérée comme grave dans la formule remise au
détenu. L'avocat des intimés a déclaré que les sanctions possi
bles de ce type d'infraction sont précisées au paragraphe 38(9)
du Règlement sur le service des pénitenciers (précité). Malgré
tout, en raison des circonstances particulières de ce détenu et de
l'infraction dont il a été accusé, il ne peut effectivement perdre
son droit à la réduction de peine ni se voir imposer une amende
de 500 $. Compte tenu des peines imposées dans des cas
analogues, il est plus probable que le détenu fasse l'objet d'une
peine d'un certain nombre de jours d'isolement avec sursis.
D'après mon interprétation de l'affaire Howard, il faut tenir
compte des circonstances particulières de la personne ainsi que
des conséquences théoriques qui pourraient résulter de façon
générale des accusations du type en question. Vue sous cet
angle, l'infraction en cause ne me paraît pas grave au point où,
pour cette seule raison, le détenu doit avoir droit à un avocat
afin d'assurer le respect des principes de justice fondamentale.
Qu'en est-il des autres éléments à prendre en considération?
L'infraction n'est pas complexe; elle porte surtout sur des
questions de fait: y a-t-il eu dénombrement le soir en cause et le
requérant avait-il une excuse valable pour ne pas être présent?
L'avocat du requérant a fait remaquer que le moyen de défense
de la nécessité, en common law, est une question de droit et de
fait complexe. Il s'est reporté à l'arrêt Perka et al. v. R.,
(1984), 55 N.R.1; 42 C.R. (3d) 113.
L'affaire Perka est un jugement très long dans lequel sont
étudiés en détail les fondements philosophiques de la prétendue
défense de nécessité ainsi que la façon dont celle-ci devrait être
considérée aux fins du droit pénal. Je ne pense pas que le point
essentiel de la décision que le tribunal disciplinaire doit rendre
est aussi complexe. Je reprendrais les paroles du juge en chef (à
la page 131):
... Au cœur de ce moyen de défense, il y a le sentiment
d'injustice que soulève la punition pour une violation de la loi
commise dans des circonstances où la personne n'avait pas
d'autre choix viable ou raisonnable; l'acte était mauvais, mais
il est excusé parce qu'il était vraiment inévitable.
En fait, je soupçonne que le requérant désire que le tribunal
disciplinaire aille au-delà de l'appréciation stricte de la défense
de nécessité qui, selon le juge en chef, exige la preuve d'une
«réaction involontaire face à un danger immédiat et incontrôla-
ble» et considère tous les facteurs entourant l'infraction allé-
guée afin d'apprécier son «excuse» ainsi que les conséquences
qui en résulteraient. C'est là la fonction du tribunal discipli-
naire, mais sans que celui-ci soit lié par les règles de forme
s'appliquant aux procédures criminelles. Je ne peux qualifier sa
décision de complexe.
En l'espèce, rien n'indique que le détenu n'a pas la capacité
ni l'aptitude de présenter sa propre défense, bien au contraire.
Rien n'indique qu'il existe des difficultés en matière de procé-
dure. Toutefois, rien n'indique non plus qu'il soit nécessaire de
régler l'affaire sans délai, en fait le détenu n'a été informé de
l'accusation que deux semaines après l'incident en cause. Rien
n'indique non plus que le besoin d'équité entre les prisonniers
ou entre ceux-ci et les fonctionnaires de la prison exige que le
détenu soit représenté par un avocat.
Après cette analyse poussée, le docte juge a conclu
(à la page 4) que:
À la lumière de toutes ces circonstances, je ne peux conclure
qu'en l'espèce, le refus opposé au détenu d'être représenté par
un avocat équivaut à une atteinte aux principes de justice
fondamentale, contrairement à l'article 7 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés.
Il faut donc retenir de cette affaire que, bien que
l'infraction ait été au départ qualifiée de flagrante
ou grave, toutes les circonstances entourant cette
cause ont fait en sorte que la représentation par
avocat n'était pas nécessaire. Le juge Reed étant
d'avis que le fait que le détenu ne pouvait en
l'espèce encourir une déchéance de son droit à la
réduction de peine ou d'une amende pesait lourd
dans la balance. L'autre facteur primordial semble
avoir été l'absence de point de droit susceptible
d'être soulevé puisque l'infraction en était une
exclusivement de fait, c'est-à-dire qu'il s'agissait
pour le président du Tribunal de juger si l'excuse
offerte par le détenu pour son absence lors de
l'appel nominal était légitime.
Dans Walker c. Comité de discipline du péni-
tencier de Kingston (précitée), le détenu Walker
était accusé de s'être comporté de manière indé-
cente, irrespectueuse ou menaçante envers une
autre personne, en l'occurrence un agent du service
correctionnel. L'infraction a été qualifée d'incon-
duite flagrante ou grave, ce qui n'a toutefois pas
empêché le président du Tribunal disciplinaire de
refuser la représentation par avocat qu'exigeait le
détenu.
Le docte juge Strayer a ainsi résumé les consé-
quences possibles pour le détenu d'un verdict de
culpabilité (à la page 110):
Le requérant a été condamné à perpétuité pour meurtre au
second degré. Il cherche à obtenir un certiorari relativement à
la décision que Thomas W. Thoughton a rendue le 18 juin
1985, en sa qualité de président indépendant du comité de
discipline du pénitencier de Kingston, et dans laquelle il a
reconnu le requérant coupable d'avoir commis l'infraction disci-
plinaire prévue à l'alinéa 39g) du Règlement sur le service des
pénitenciers alors en vigueur, soit
(de s'être comporté), par ses actions, propos ou écrits, d'une
façon indécente, irrespectueuse ou menaçante envers qui que
ce soit;
Aux termes du paragraphe 38(4) dudit Règlement, quiconque
commet pareille infraction est passible, si celle-ci est considérée
comme flagrante ou grave (ce qui était ici le cas), de l'une des
deux peines suivantes ou des deux peines à la fois: (i) l'isole-
ment pour une période de trente jours au plus, et (ii) la perte de
privilèges. Dans ce cas-ci, le requérant a été condamné à cinq
jours d'isolement disciplinaire, et à quatorze jours de perte de
privilèges, ceux-ci ayant par ailleurs été suspendus pour quatre-
vingt-dix jours. Mais il n'a en fait perdu aucun privilège et il y
a longtemps qu'il a purgé les cinq jours d'isolement disciplinaire
en question.
Après avoir fait état de la jurisprudence applicable
en l'espèce, le juge Strayer s'est attardé plus lon-
guement à l'affaire Howard (précitée) pour con-
clure, non sans avoir préalablement appliqué les
critères dégagés par la Cour d'appel sur le droit à
la représentation par avocat, que le détenu Walker
n'avait pas besoin d'une telle représentation par
avocat (à la page 111):
Par conséquent, il ressort de l'arrêt Howard, semble-t-il,
qu'en l'espèce, grâce au pouvoir de contrôle qui m'est conféré,
je peux tenir compte de toutes les circonstances et déterminer si
elles sont telles que pour être en mesure d'exposer son point de
vue d'une manière adéquate, le requérant devait être représenté
par un avocat, ce dont je ne suis pas convaincu.
Pour en arriver à une telle conclusion, il a distin-
gué l'arrêt Howard (précité) du cas devant lui.
Voici comment il s'y est pris (aux pages 111 et
112):
En premier lieu, il semble que dans l'affaire Howard, plu-
sieurs accusations aient été portées, dont certaines étaient très
générales et n'avaient apparemment pas été expliquées en
détail, alors qu'en l'espèce, une seule accusation a été portée à
la suite du bref incident survenu le 25 avril 1985. Le requérant
confirme qu'il a reçu, le 2 mai 1985, un compte rendu d'infrac-
tion et un avis d'accusation. Ce document comprend une des
cription de l'infraction, soit le compte rendu de l'agent correc-
tionnel concernant les événements ayant donné lieu à
l'accusation. Il désigne également l'accusation elle-même, de
sorte que le détenu ne pouvait pas vraiment se tromper au sujet
de l'accusation et de la preuve qu'il devait réfuter. L'affaire
devait être entendue par le tribunal disciplinaire le 9 mai 1985,
mais le requérant a alors demandé et obtenu un ajournement de
façon à pouvoir demander des conseils juridiques. Il a commu-
niqué avec les membres du Correctionnal Law Project de
l'université Queens et a obtenu un autre ajournement le 23 mai,
de façon à pouvoir obtenir l'assistance d'un avocat au moment
de l'audience. Entre-temps, le requérant a apparemment parlé à
un membre dudit projet et un expert a préparé pour lui un
exposé écrit des raisons pour lesquelles il devrait avoir droit aux
services d'un avocat. Il a déposé l'exposé en question devant le
tribunal disciplinaire à la date fixée, soit le 6 juin, et a alors
demandé l'autorisation de se faire représenter par un avocat et
ce, même si aucun avocat n'était alors présent. Sa demande a
été rejetée. L'affaire a de nouveau été ajournée jusqu'au 18
juin, soit le jour où il a été jugé et reconnu coupable. A toutes
fins utiles, la nature ou le libellé de l'accusation ne sont pas, à
mon avis, si ambigus et complexes qu'on peut raisonnablement
considérer que le détenu n'était pas en mesure: , de comprendre
de quoi il en ressortait. De toute évidence, la question de la
manière dont l'agent correctionnel avait «touché» le détenu, du
point jusqu'auquel il y avait eu contact ou quelque autre
provocation par l'agent et de la teneur exacte des remarques
que le détenu avait faites à l'agent étaient des points litigieux.
Mais il s'agit là d'une question de preuve et non d'une question
de droit. Le détenu a disposé de quelque six ou sept semaines
pour préparer sa défense, de sorte qu'on ne peut pas dire non
plus que le temps lui a manqué.
En outre, il est à noter que dans l'intervalle le requérant a de
toute évidence pu obtenir des conseils juridiques et aurait pu
demander de l'aide quant à la manière de se défendre plutôt
que quant à la manière d'exiger la présence d'un avocat.
Une autre considération très importante est qu'en l'espèce,
les seules peines pouvant être infligées à la suite d'un verdict de
culpabilité étaient l'isolement pour une période d'au plus trente
jours et la perte de privilèges, alors que dans l'affaire Howard,
la peine pouvait comporter la perte de jours de réduction
méritée de peine et ce, pour un maximum de deux cent
soixante-sept jours. Dans l'arrêt Howard, tous les juges, qu'ils
fassent partie de la majorité ou qu'ils soient dissidents, ont
reconnu que la gravité de l'infraction était une considération
pertinente aux fins de la décision que la cour exerçant son
pouvoir de contrôle était appelée à prendre. [C'est moi qui
souligne.]
Il appert donc de l'extrait cité plus haut que pour
le juge Strayer la gravité de l'accusation et de la
peine susceptible d'être imposée revêtent une
importance presque déterminante.
Dans Mitchell c. Crozier (précitée), les faits
étaient les suivants (à la page 138 F.T.R.):
Un détenu dans un établissement à sécurité de niveau S2 a
été accusé de trois violations au Règlement sur le service des
pénitenciers. Le détenu a été transféré à un établissement de
plus haut niveau de sécurité, et sa classification a en fin de
compte été remplacée par celle de S-5. Le tribunal disciplinaire
l'a reconnu coupable des trois accusations, et lui a imposé des
peines en conséquence. Le Comité régional des transfèrements
a revu et confirmé le transfèrement du détenu et son reclasse-
ment. Le détenu s'est fondé sur l'art. 18 de la Loi sur la Cour
fédérale pour conclure à un bref de certiorari annulant les
condamnations, les peines, le transfèrement et le reclassement,
prétendant que le fait qu'on ne l'a pas autorisé à se faire
représenter par avocat aux procédures disciplinaires l'a privé de
son droit à la liberté qu'il tient de l'article 7 de la Charte des
droits et libertés, et que le Comité régional des transfèrements
ne s'est pas acquitté de son obligation d'agir équitablement en
fondant sa décision sur la preuve qui n'a pas été révélée au
détenu antérieurement à l'audition.
Après avoir traité des autres questions en litige,
mon savant collègue, le juge McNair s'est finale-
ment attaqué au point qui nous intéresse plus
particulièrement, soit celui du droit à la représen-
tation par avocat devant un tribunal disciplinaire.
Voici comment il s'est posé la question [aux pages
269 et 270 C.F.; 147 F.T.R.]:
Cela m'amène au dernier point, c'est-à-dire la question de
savoir si le refus de permettre la représentation par avocat à
l'audience qui s'est déroulée devant le tribunal disciplinaire
relativement aux deux premières accusations a porté atteinte au
droit du requérant à la liberté garanti par l'article 7 de la
Charte, qui est entré en vigueur le 17 avril 1982 et qui porte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en
conformité avec les principes de justice fondamentale.
J'en arrive maintenant à la ratio decidendi de son
jugement. Elle se lit comme suit [aux pages 272 et
273 C.F.; 148 et 149 F.T.R.]:
Il semblerait donc, suivant le principe général établi dans
l'arrêt Howard, que le requérant avait le droit d'être représenté
par avocat à l'audience tenue devant le tribunal disciplinaire
puisqu'il était possible qu'il y ait déchéance de sa réduction de
peine méritée. Toutefois, il faut décider du droit à la représen-
tation par avocat en tenant compte des circonstances particuliè-
res du cas. Rien dans la preuve n'indique que Mitchell était
déficient mental ou qu'il avait une intelligence ou une capacité
de compréhension réduites. En fait, tout indique le contraire.
Le tribunal disciplinaire a qualifié de graves les trois accusa
tions et rien dans le dossier ne laisse entendre qu'il a établi une
quelconque distinction, calculée ou non, en ce qui concerne les
deux prétendues accusations mineures. Dans son affidavit, Mit-
chell admet:
[TRADUCTION] ... je croyais que ces deux accusations
étaient «mineures» et que je ne pouvais pas perdre ma
réduction de peine, et je n'ai pas demandé l'assistance d'un
avocat. Si je m'étais rendu compte qu'il s'agissait d'accusa-
tions «graves», j'aurais demandé l'assistance d'un avocat.
C'est son propre comportement et rien d'autre qui est à
l'origine de ce malentendu. A deux reprises, le requérant a
refusé de lire les accusations et il a pris sur lui de les qualifier
de mineures. Le tribunal disciplinaire n'a rien fait ou dit qui
incitait à les considérer autrement que comme des accusations
graves. Le requérant était parfaitement au courant, ou il aurait
dû l'être, qu'il avait le droit de demander à être représenté par
avocat en ce qui concerne les deux accusations dont il se plaint,
mais il a choisi de ne pas le faire. Compte tenu des circons-
tances, en quoi a-t-on porté atteinte à un droit garanti par la
constitution? En d'autres termes, peut-on considérer après coup
que l'omission d'un détenu accusé d'une infraction d'exercer
son droit de demander l'assistance d'un avocat à l'occasion de
procédures disciplinaires, droit dont il était au courant ou
aurait dû l'être n'eût été de sa conduite, constitue une atteinte à
son droit à la liberté au sens de l'article 7 de la Charte? Je ne le
crois pas.
C'est cette affaire qui ressemble le moins au cas
qui nous occupe. N'empêche que le juge McNair a
conclu que l'aptitude du détenu à exposer lui-
même sa cause était telle qu'il ne voyait pas l'uti-
lité pour le détenu d'être représenté par un avocat.
Finalement dans Bailey c. Tribunal discipli-
naire de l'établissement de Mission (président)
(précitée), la Cour a donné raison au détenu et
cassé la décision du président du Tribunal discipli-
naire. Pour ce faire le docte juge Teitelbaum a
appliqué, comme les autres juges d'ailleurs, les
critères énoncés dans Howard (précitée) et a
conclu que la gravité de l'accusation et la peine
susceptible d'être imposée justifiaient le détenu de
demander la présence d'un avocat. Les faits de
cette affaire sont très, très similaires au cas devant
moi. Voici comment le juge Teitelbaum les résume
(aux pages 70 et 71):
Bailey est actuellement incarcéré à l'établissement à sécurité
moyenne de Mission où il purge une peine de sept ans imposée
en 1983.
Le 10 février 1986, Bailey a été accusé, en vertu de l'art. 39i)
du Règlement sur le service des pénitenciers, de possession
d'objet interdit et, par conséquent, un Rapport de l'infraction
d'un détenu et Avis de l'accusation (Pièce B jointe à l'affidavit
de Dinsley) a été signifié.
L'infraction et l'accusation sont décrites de la façon suivante
à la pièce «B»:
[TRADUCTION] A un objet interdit en sa possession (stylo-
bille dont le tube renferme des résidus de marijuana).
Selon la même pièce «B», il s'agit d'une infraction de catégo-
rie «intermédiaire» et Bailey est renvoyé devant le tribunal
disciplinaire sous l'accusation d'avoir eu la possession d'un
objet interdit.
S'il était reconnu coupable, Bailey pouvait être condamné à
une amende ou à une période d'isolement pouvant aller jusqu'à
30 jours, ou aux deux peines.
Le 13 février 1986, Bailey a comparu devant l'intimé, Dins-
ley, et a demandé un ajournement, qui lui a été accordé,
jusqu'au 20 février 1986.
Le 20 février 1986, Bailey a comparu devant Dinsley et a
demandé d'être représenté par un avocat. La requête lui a été
refusée et l'audience s'est poursuivie. À l'audience, Bailey n'a
pas demandé d'ajournement pour obtenir les services d'un
avocat.
Dinsley a trouvé Bailey coupable de possession d'un objet
interdit (stylo-bille dont le tube contenait des résidus de mari
juana) conformément à l'accusation énoncée à la pièce «B» et
l'a condamné à quinze jours d'isolement disciplinaire, à la perte
de tous ses privilèges sauf le droit de fumer, la correspondance
et les visites avec un sursis de soixante jours sous réserve de
bonne conduite et à une amende de 20 $.
Après avoir cité le passage pertinent de la décision
du juge Reed dans Savard (précitée), le juge
Teitelbaum s'est attardé ensuite tout particulière-
ment à la question de la gravité de l'accusation et
de la peine susceptible d'être imposée. Il en fait, si
je ne m'abuse, l'unique critère d'appréciation
avant de conclure en faveur du détenu Bailey.
Voici sa conclusion (aux pages 72 et 73):
À mon avis, la gravité de l'accusation n'est pas trop difficile à
déterminer en l'espèce.
Comme je l'ai déjà mentionné, à la pièce «B», le Rapport de
l'infraction d'un détenu, l'infraction est classée comme étant de
la catégorie intermédiaire.
À l'époque de l'affaire Howard, il n'y avait que deux catégo-
ries d'infractions, soit grave et légère. Par la suite, une troi-
sième catégorie a été ajoutée, soit intermédiaire.
Comme on peut le constater à la pièce «B», la catégorie
«intermédiaire» a dû être écrite à la main car je suppose que les
nouveaux formulaires n'avaient pas encore été imprimés ou que
les autorités de l'établissement de Mission n'en n'avaient pas en
leur possession.
L'art. 38(8) du Règlement sur le service des pénitenciers
prévoit les sanctions dont sont passibles les personnes reconnues
coupables d'une infraction intermédiaire:
38(8) Le détenu reconnu coupable d'une infraction à la
discipline qui consiste en une inconduite intermédiaire, telle
que déterminée conformément aux directives, est passible de
l'une ou plusieurs des sanctions suivantes:
a) un avertissement ou une réprimande;
b) la perte de privilèges;
c) une amende d'au plus 50 $ recouvrée conformément
au paragraphe (12);
d) le remboursement à Sa Majesté, de la manière prévue
aux directives, d'un montant n'excédant pas 500 $ au
titre des dommages causés délibérément ou par
négligence
i) soit à la propriété de Sa Majesté,
ii) soit à la propriété d'une autre personne à qui Sa
Majesté a déjà remboursé les dommages;
e) sous réserve du paragraphe (10), l'interdiction de se
joindre aux autres détenus pendant une période maxi-
male de 30 jours consécutifs.
La seule sanction dont Bailey n'était pas passible était le
remboursement à Sa Majesté d'une somme de 500 $ puisqu'il
n'avait pas délibérément causé de dommages.
En outre, Bailey pouvait se voir privé, et c'est ce qui s'est
produit, de la possibilité de se mériter la réduction de peine
qu'il aurait pu se mériter s'il n'avait pas été reconnu coupable.
La pièce «A» jointe à l'affidavit de Bailey indique notamment
ce qui suit:
[TRADUCTION] Une réduction de peine méritée de dix jours
ne vous a pas été accordée pour les motifs suivants:
Rapport d'infraction intermédiaire en vertu du par. 39(1) du
R.S.P. en date du 7 février 1986
Privation de cinq jours
Rapport d'infraction intermédiaire en vertu du par. 39(1) du
R.S.P. en date du 11 février 1986
Privation de cinq jours.
L'accusation de possession d'un objet interdit (stylo-bille
dont le tube contient des résidus de marijuana) est datée du 7
février 1986 (pièce «B» de l'affidavit de Dinsley).
Nous constatons donc que Bailey a perdu cinq jours de
réduction de peine qu'il aurait pu se mériter si Dinsley ne
l'avait pas reconnu coupable.
Mm` le juge Reed a déclaré ce qui suit dans l'affaire Savard:
D'après mon interprétation de l'affaire Howard, il faut tenir
compte des circonstances particulières de la personne ainsi
que des conséquences théoriques qui pourraient résulter de
façon générale des accusations du type en question.
Je suis convaincu qu'en tenant compte de toutes les circons-
tances en l'espèce ayant trait au genre d'infraction et à la
sanction possible, et tout particulièrement de la condamnation à
l'isolement et de l'impossibilité de mériter une réduction de
peine, le refus de permettre l'assistance par avocat équivaut à
un déni de justice fondamentale garantie par l'art. 7 de la
Charte canadienne des droits et libertés:
7...Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en
conformité avec les principes de justice fondamentale.
Comme dans l'affaire Bailey (précitée), le
requérant en l'espèce a entre autres perdu, suite à
sa condamnation, 10 jours de «bon temps» (réduc-
tion de peine méritée) comme en témoigne l'Avis
mensuel de réduction de peine envoyé au requérant
et annexé comme pièce H à son affidavit. Ces 10
jours de réduction de peine ne lui ont pas été
octroyés à cause d'un rapport d'infraction intermé-
diaire et de 25 jours de détention punitive durant
le mois de janvier 1986.
Après cet autre long détour, j'en viens mainte-
nant à la question de décider si en l'espèce le
requérant, qui a fait l'objet de procédures discipli-
naires, avait droit d'être représenté par avocat lors
de ces procédures. Pour ce faire, j'applique les
critères dégagés par l'arrêt Howard (précité), du
moins ceux qui me semblent les plus déterminants
compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire
en titre.
1) La gravité de l'accusation et de la peine
susceptible d'être imposée
Ici la gravité ne fait aucun doute. Un homme a
été grièvement blessé lors des incidents du 29
novembre 1986 pour lesquels d'ailleurs le requé-
rant a été tenu pour être l'un des responsables par
les autorités du pénitencier. Sinon comment quali
fier le fait qu'il ait été d'abord accusé de possession
de contrebande (arme offensive) et plus tard de
voies de fait graves. Le fait que ces deux accusa
tions aient été par la suite abandonnées et qu'une
troisième plainte ait été formulée plus tard (2 mois
après l'événement) ne tempère pas la gravité de
l'accusation. De même, le fait que l'accusation (au
départ il y avait deux accusations qui ont été
abandonnées et une troisième a été formulée plus
tard) ait été qualifiée d'inconduite de catégorie
intermédiaire par les autorités du pénitencier ne
modifie pas non plus son caractère grave. Si l'on
compare l'accusation avec celle de la décision
Savard (précitée), on ne peut qu'en constater la
gravité.
Pour ce qui est de la peine susceptible d'être
imposée, il est vrai que le président du Tribunal
disciplinaire ne pouvait pas, suivant le paragraphe
38(8) du Règlement, condamner le requérant à la
déchéance de son droit à la réduction de peine
statutaire ou méritée puisqu'il s'agissait d'une
inconduite de catégorie intermédiaire. Toutefois le
requérant, comme tout autre détenu, risque par
ailleurs de ne pas se voir octroyer des jours de
réduction de peine par le Comité de réduction de
peine méritée en raison de l'accusation portée
contre lui. À ce propos, je livre aux parties les
commentaires suivants du professeur Jackson qui
écrit, dans son article fort bien documenté, «The
Right to Counsel in Prison Disciplinary Hearings 4 ,
aux pages 279 et 280, que:
[TRADUCTION] ... Bien que, à l'audition, le tribunal discipli-
naire ne puisse condamner un détenu à la déchéance de son
droit à la réduction de peine pour cause d'infraction de catégo-
rie intermédiaire, le droit à la liberté de ce dernier ne sera pas
moins affecté du fait que selon le régime de réduction de peine
4 Loc. cit., note 3.
méritée, il se sera vu refuser une réduction de peine par suite de
l'infraction commise. Ainsi que je l'ai expliqué, pour chaque
isolement disciplinaire de trois jours, le détenu aura perdu un
jour de réduction de peine et, selon la gravité de l'infraction, le
Comité des réductions méritées de peines peut lui refuser une
réduction de peine jusqu'au maximum de quinze jours pour ce
mois. [C'est moi qui souligne.]
... Pour ces détenus et en fait pour tous les détenus qui perdent
systématiquement le bénéfice de la réduction de peine à la suite
d'une condamnation pour une infraction intermédiaire, l'impos-
sibilité de se faire assister par avocat du fait que, à l'audition du
tribunal disciplinaire, le président de l'extérieur ne saurait les
condamner à la déchéance de leur droit à la réduction de peine
ne fera qu'ajouter à leur incrédulité face à l'affirmation du
Service correctionnel selon laquelle la justice règne maintenant
derrière les murs des prisons.
On peut donc conclure sur ce point que la peine
susceptible d'être imposée ne dépend pas unique-
ment du président du Tribunal disciplinaire. D'ail-
leurs, comme l'a si justement signalé le juge Reed
dans Savard (précitée), il faut également tenir
compte des soi-disant «theoretical consequences».
2) La possibilité que soient soulevés des points
de droit
À ce chapitre, il est probable qu'une personne
instruite en droit aurait peut-être voulu soulever la
question du délai (plus de 2 mois) entre la date de
l'incident, qui a débouché sur trois rapports d'in-
fraction, et la date d'audition de la cause devant le
Tribunal disciplinaire. Cette même personne
aurait peut-être pu également soulever la question
de la multiplicité des accusations résultant d'un
même événement (voir à ce sujet l'affaire Lasalle
c. Tribunaux disciplinaires de l'établissement
Leclerc (1983), 5 Admin. L.R. 23 (C.F. 1" inst.)).
Enfin, elle aurait peut-être pu faire valoir la
défense d'autrefois acquit.
3) L'aptitude du détenu à exposer lui-même sa
cause
Ce volet recoupe un peu le dernier point. Qu'il
me suffise de dire sans être condescendant ni
douter de l'intelligence du requérant que ce dernier
aurait eu du mal à exposer sa pensée sur les
questions de droit soulevées plus haut. Il n'est pas
juriste et, du fait de sa détention, ses moyens de
communication et d'information sont plutôt
réduits.
L'analyse de ces circonstances m'amène somme
toute à conclure que le refus opposé par le prési-
dent du Tribunal disciplinaire à la demande de
représentation par avocat du requérant viole le
droit constitutionnellement reconnu dudit requé-
rant à la liberté et, qu'en conséquence, il y a lieu
d'émettre un bref de certiorari et de casser la
décision du président du Tribunal disciplinaire en
date du 3 février 1986.
Ayant donc donné raison au procureur du re-
quérant sur le premier volet de son argumentation,
je ne crois pas qu'il me faille aller plus loin et de
traiter des deux autres volets, soit la perte de «bon
temps» et le transfert en U.S.D.
La requête en vue d'obtenir un bref de certiorari
est accueillie avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.