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T-1440-86
Régis Tremblay, un détenu présentement incar- céré à l'Unité spéciale de détention du Centre régional de réception (requérant)
c.
Président du Tribunal disciplinaire de l'Établisse- ment Laval,
et
Marc-André Lafleur, ès qualité de directeur de l'Établissement Laval,
et
Comité de réduction de peine méritée de l'Établis- sement Laval,
et
Rhéa! Leblanc, Commissaire au Service correc- tionnel (intimés) *
RÉPERTORIÉ: TREMBLAY c. CANADA (TRIBUNAL DISCIPLI- NAIRE DE L'ÉTABLISSEMENT LAVAL)
Division de première instance, juge Rouleau— Montréal, 3 février; Ottawa, 9 avril 1987.
Pénitenciers Infractions à la discipline Détenu accusé d'être en possession de contrebande relativement à un acte d'agression armée contre un autre détenu Droit d'être représenté par avocat devant le tribunal disciplinaire Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 38 (mod. par DORS/85-640), 39i) (mod. idem) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.), art. 7.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Liberté Droit à la représentation par avocat Un détenu, accusé d'avoir de la contrebande en sa possession relativement à un acte d'agression armée contre un autre détenu, s'est vu refuser le droit d'être représenté par avocat devant le Tribunal disciplinaire Application des critères adoptés dans l'affaire Howard et de la jurisprudence ulté- rieure: la gravité de l'accusation et de la peine; la probabilité que soient soulevés des points de droit; l'aptitude du détenu à exposer lui-même sa cause Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.), art. 7 Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 38 (mod. par DORS/85-640), 39i) (mod. idem).
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Détenu accusé d'être en possession de contrebande relativement à un acte d'agression armée contre un autre détenu Rejet du
* Note de l'arrêtiste: voir également [1987] 3 C.F. 91
droit à la représentation par avocat devant le Tribunal disciplinaire.
Voir la note de l'arrêtiste infra pour ce qui est du résumé des faits de l'espèce et de l'énoncé du redressement sollicité.
Jugement: La demande visant à obtenir un bref de certiorari qui annulerait la décision par laquelle le président du Tribunal disciplinaire a condamné le requérant à trente jours d'isolement cellulaire punitif devrait être accueillie.
La question se pose principalement de savoir si le rejet par le président de la demande de représentation par avocat présentée par le requérant violait son droit à la liberté que garantit la constitution. La règle applicable est énoncée dans l'affaire Howard c. Établissement de Stony Mountain. Il découle d'un examen de la jurisprudence appliquant et commentant l'arrêt Howard que les trois critères les plus concluants dégagés dans celui-ci devaient s'appliquer, compte tenu des faits de l'espèce. 1) La gravité de l'accusation et de la peine susceptible d'être imposée: un homme a été gravement blessé et il s'est trouvé que le requérant figurait parmi ceux qui en étaient responsables. La gravité de l'accusation est manifeste. Et le requérant risque de ne pas se voir octroyer des jours de réduction de peine par le Comité de réduction de peine méritée en raison de l'accusation portée contre lui. Il s'agit encore d'un fait grave. 2) La possibilité que soient soulevés des points de droit: une personne ayant une formation juridique aurait peut-être voulu soulever a) la question du délai entre la date de l'incident et la date d'audition devant le Tribunal disciplinaire; b) la question de la multiplicité des accusations résultant d'un même événement et c) la défense d'autrefois acquit. 3) L'aptitude d'un détenu à exposer lui-même sa cause. Ce volet recoupe le point précédent. Sans douter de l'intelligence du requérant, il aurait eu du mal à exposer sa pensée sur les questions de droit susmentionnées.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.); Bailey c. Tribunal disciplinaire de l'établissement de Mission (président) (1987), 6 F.T.R. 69.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Savard c. Tribunal disciplinaire de l'établissement d'Ed- monton (Président) et autre (1986), 3 F.T.R. 1; Walker c. Comité de discipline du pénitencier de Kingston (1986), 3 F.T.R. 109; Mitchell c. Crozier, [1986] 1 C.F. 255; (1986), 1 F.T.R. 138.
DÉCISIONS CITÉES:
Reg. v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Tarrant, [1984] 2 W.L.R. 613 (Q.B.D. Angl.); Lasalle c. Tribunaux disciplinaires de l'établissement Leclerc (1983), 5 Admin. L.R. 23 (C.F. inst.); Cardi nal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; La Reine c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613.
AVOCATS:
Lucie Lemonde pour le requérant.
David Lucas pour les intimés. PROCUREURS:
Daignault & Lemonde, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le directeur général a choisi de publier le pré- sent jugement parce qu'il expose bien l'état de la jurisprudence depuis la décision de cette Cour dans Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642 (C.A.) sur la question du droit d'un détenu d'être représenté par un avocat devant un tribunal disciplinaire. Il a cependant été décidé de publier sous une forme abrégée ce jugement de 37 pages et de présenter le résumé suivant des faits.
Le requérant purge une peine d'emprisonne- ment de six ans pour vol qualifié à l'établissement de Laval, un pénitencier à sécurité maximale. Le 29 novembre 1985, le requérant et trois autres détenus, armés de pics de fabrication artisanale et d'un couteau, font irruption dans la cellule d'un autre détenu. Ce dernier est grièvement blessé. Le requérant est placé en ségrégation et subsé- quemment transféré en unité spéciale de déten- tion. Le 3 février 1986, le requérant est déclaré coupable par le président du tribunal disciplinaire de possession de contrebande (arme offensive) contrairement à l'alinéa 39i) du Règlement sur le service des pénitenciers. L'infraction, initialement qualifiée de «majeure» par l'agent chargé de la rédaction du Rapport de l'infraction, a par la suite été réduite à une infraction de catégorie «intermé- diaire» par les autorités du pénitencier.
Compte tenu de la gravité objective de l'accu- sation de possession d'une arme offensive, le requérant a été condamné à 30 jours d'isolement cellulaire.
Le président du tribunal disciplinaire a rejeté la demande du requérant en vue d'être représenté par avocat à l'audition aux motifs que l'accusation comportait des questions de fait et non de droit; que le requérant était en mesure de se défendre et que, puisqu'il s'agissait d'une infraction inter-
médiaire, il n'était pas question de perte de réduction de peine méritée.
Le requérant sollicite un bref de certiorari pour faire annuler la décision du président du tribunal disciplinaire le condamnant à l'isolement cellu- laire; celle du Comité du réduction de peine méri- tée de ne pas lui attribuer 10 jours de remise de peine méritée et celle de le transférer à l'unité spéciale de détention. Le requérant fait valoir que ces décisions vont à l'encontre de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE ROULEAU: Lors de l'audition de la présente requête, l'argumentation de l'avocate du requérant comportait trois volets. D'abord, elle a fait valoir ses arguments à l'encontre de la décision du 3 février 1986 du président du Tribunal disci- plinaire, ensuite, relativement à la perte de «bon temps» [réduction de peine méritée] et enfin, au sujet du transfert en U.S.D. [unité spéciale de détention] .
On se rappellera que le 3 février 1986, le prési- dent du Tribunal disciplinaire avait trouvé le requérant coupable de possession de contrebande et l'avait condamné à 30 jours d'isolement cellu- laire punitif. Le requérant et son procureur repro- chent au président son refus, sans justification, de permettre audit requérant d'être accompagné et d'être assisté d'un avocat lors de l'audition du 3 février 1986, ce qui contrevient à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui cons- titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), qui se lit comme suit:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Bref, on allègue que le refus opposé par le prési- dent constituait une atteinte à la liberté du requérant.
J'ouvre une parenthèse pour dire qu'il est faux de prétendre, comme l'a fait le requérant, que le président a refusé la demande du requérant sans justification. Il appert du paragraphe 16 (reproduit
plus haut)* de l'affidavit du président du Tribunal que tel n'est pas le cas. Il semble de toute évidence que le requérant et son procureur s'inscrivent plutôt en faux contre les motifs avancés par le président et non contre l'absence de raison. Tou- jours est-il qu'il m'échet maintenant de décider si le refus opposé par le président à la demande de représentation par avocat du requérant viole le droit constitutionnellement reconnu dudit requé- rant à la liberté.
Le droit applicable semble avoir été clairement établi dans l'affaire Howard c. Établissement Stony Mountain', [1984] 2 C.F. 642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.), le juge en chef de la Cour fédérale a conclu, aux pages 663 C.F.; 292 N.R., que:
... la question de savoir si oui ou non une personne a le droit d'être représentée par avocat dépendra des circonstances de l'espèce, de sa nature, de sa gravité, de sa complexité, de l'aptitude du détenu lui-même à comprendre la cause et à présenter sa défense. Cette liste n'est pas exhaustive.
Dans la même affaire, le juge MacGuigan a repris également à son compte les six critères énoncés par le juge Webster dans l'arrêt Reg. v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Tar- rant, [1984] 2 W.L.R. 613 (Q.B.D. Angl.). Voici ces six critères dont il faut tenir compte relative- ment au droit à la représentation par avocat:
1) la gravité de l'accusation et de la peine susceptible d'être imposée;
2) la probabilité que soient soulevés des points de droit;
3) l'aptitude du détenu à exposer lui-même sa cause;
4) les difficultés en matière de procédure;
5) la nécessité d'obtenir une décision dans un délai raisonna- blement court; et
6) le besoin d'équité entre les prisonniers et entre ceux-ci et les fonctionnaires de la prison.
Il ne fait aucun doute que le président du Tribunal disciplinaire a lu et appliqué l'arrêt Howard,
* Note de l'arrêtiste: Voici le texte de ce paragraphe:
16. Je lui ai dit que je refusais sa demande d'être représenté
par un avocat et je lui ai donné mes motifs, soit:
a) qu'il était parfaitement au courant de la nature de l'accusation;
b) qu'il s'agissait d'une infraction intermédiaire pour laquelle je ne pouvais pas lui faire perdre la réduction méritée de peine;
c) qu'il était intelligent et avait la capacité de se défendre;
d) que l'accusation en était une de faits et non pas de
droit;
' Présentement devant la Cour suprême du Canada.
comme en témoigne les motifs invoqués au soutien de son refus (paragraphe 16 de son affidavit).
Il serait utile je pense, à ce stade-ci, de rappeler les faits qui ont donné lieu à la décision Howard. Ils sont tirés du sommaire et se lisent comme suit la page 643 C.F.]:
L'appelant [Howard], détenu de l'établissement de Stony Mountain, a été accusé d'infractions disciplinaires en vertu de l'article 39 du Règlement sur le service des pénitenciers. Toutes ces accusations étaient qualifiées de «graves ou flagrantes» suivant la Directive du Commissaire 213. L'appelant a obtenu les services d'un avocat de l'aide juridique et a demandé à être représenté par avocat à l'audience disciplinaire. Cette requête fut rejetée par le président du tribunal disciplinaire des détenus qui a déclaré que l'article 7 de la Charte n'avait pas créé un «nouvel ensemble de droits» et que les circonstances de l'espèce n'empêchaient pas la tenue d'une audition équitable en l'absence d'un avocat. La Division de première instance a rejeté la demande de l'appelant en vue d'obtenir un bref de prohibi tion aux motifs qu'il n'existait pas en vertu de la common law de droit à la représentation par avocat et que l'article 7 n'avait conféré à l'appelant aucun droit nouveau à une telle représentation.
La Cour d'appel a accueilli l'appel du détenu Howard. Le juge en chef et le juge Pratte sont d'avis que la page 644 C.F.]:
En l'espèce, la requête de l'appelant ne pouvait, à bon droit, être refusée. Le fait qu'il risquait de perdre ses 267 jours de réduction de peine méritée, l'absence de détails quant aux infractions disciplinaires et le fait que l'une des trois accusa tions, soit celle d'avoir agi de manière à nuire à la discipline et au bon ordre, constitue un chef d'accusation notoirement vague et difficile à contester, témoignent de la nécessité de la repré- sentation par avocat. En outre, dans une société qui reconnaît le droit de tout individu d'être représenté par un avocat devant toutes les cours de justice ordinaires afin de se défendre contre toute accusation, il semble absurde de refuser ce droit à une personne qui, bien que ne souffrant d'aucun handicap physique ou mental l'empêchant de se défendre, fait néanmoins face à des accusations emportant d'aussi graves conséquences.
Pour sa part, le juge MacGuigan a émis, dans des motifs concordants la page 645 C.F.], l'opinion que:
L'article 7 exige qu'on accorde à un détenu le droit d'être représenté par avocat lorsque le fait de refuser sa requête en ce sens violerait son droit à la justice fondamentale. L'existence de ce droit dépend des faits. Le pouvoir dont dispose le président du tribunal n'empêche pas une cour exerçant son pouvoir de contrôle de substituer sa propre décision à celle de ce dernier si elle est convaincu que le pouvoir discrétionnaire du président a été exercé de façon erronée. En l'espèce, le président du tribu nal a mal saisi les effets de la Charte lorsqu'il s'est dit d'avis que l'article 7 «ne crée pas un nouvel ensemble de droits et n'élève pas à un plus haut degré la responsabilité d'un tribunal administratif comme le comité de discipline». La Charte a bel
et bien modifié l'interprétation antérieure du droit et ce faisant, elle influe même sur les procédures de nature purement admi nistrative. L'appelant a donc manifestement été privé de la protection d'un principe de justice fondamentale en contraven tion de l'article 7.
Depuis l'arrêt Howard (précité), la Division de première instance de la Cour fédérale a eu l'occa- sion à quatre reprises de se pencher sur ce problè- me du droit à la représentation par avocat devant un tribunal disciplinaire de détenus. Ces décisions sont: Savard c. Tribunal disciplinaire de l'établis- sement d'Edmonton (Président) et autre (1986), 3 F.T.R. 1; Walker c. Comité de discipline du péni- tencier de Kingston (1986), 3 F.T.R. 109; Mitchell c. Crozier, [1986] 1 C.F. 255; (1986), 1 F.T.R. 138 et enfin Bailey c. Tribunal disciplinaire de l'établissement de Mission (président) (1987), 6 F.T.R. 69. Il faudrait faire remarquer aussi que le Règlement sur le service des pénitenciers [C.R.C., chap. 1251], et plus particulièrement son article 38, a été modifié pour ajouter aux catégories d'in- conduite légère et d'inconduite flagrante ou grave une nouvelle catégorie d'infraction soit celle d'in- conduite intermédiaire'. D'aucuns ont prétendu que l'ajout de la catégorie d'inconduite intermé- diaire avait essentiellement pour but de contrecar- rer les effets de l'arrêt Howard (précité) 3 .
Dans Savard c. Tribunal disciplinaire de l'éta- blissement d'Edmonton (Président) et autre (pré- citée), l'infraction reprochée au détenu a été quali- fiée de flagrante ou grave par l'autorité compétente de l'institution. En plus d'encourir les mêmes sanctions qu'une inconduite intermédiaire, un détenu reconnu coupable d'inconduite flagrante ou grave est également passible de la déchéance de son droit à la réduction statutaire de peine ou de la déchéance de son droit à la réduction de peine méritée, acquis après le Zef juillet 1978 (voir l'ali- néa 38(9)f) du Règlement.
Les faits de cette cause sont très simples et se résument à ceci la page 1):
Un détenu a été accusé, en vertu de l'alinéa 39h) du Règle- ment sur le service des pénitenciers, d'avoir désobéi à un règlement régissant la conduite des détenus. Précisément, il aurait été, vers 22 h, absent au «dénombrement». Le détenu a conclu à un bref de prohibition visant à empêcher le tribunal disciplinaire de l'établissement d'Edmonton et le directeur de
2 DORS/85-640, 5 juillet 1985.
3 Jackson, Michael «The Right to Counsel in Prison Discipli nary Hearings» (1986), 20 U.B.C. L. Rev. 221, à la p. 278.
l'établissement de donner suite à l'accusation à moins qu'il ne soit autorisé à être représenté par avocat.
La question en litige était ainsi formulée par le savant juge Reed (aux pages 2 et 3):
Par conséquent, la seule question à trancher est l'application de la décision de la Cour d'appel dans Howard c. Président du tribunal disciplinaire des détenus de l'établissement de Stony Mountain (1985), 57 N.R. 280; 45 C.R. (3d) 242. Dans ce jugement, il a été décidé que le droit d'un détenu à être représenté par un avocat devant un tribunal disciplinaire d'un pénitencier dépendait des circonstances de chaque espèce. Le critère à appliquer a été énoncé à la page 263 C.R.: s'agit-il d'un cas où, «pour donner au détenu la possibilité d'exposer adéquatement sa cause, il faut lui permettre d'être représenté par un avocat»? Le juge a indiqué qu'il fallait tenir compte des facteurs suivants pour prendre une telle décision: (1) la gravité de l'accusation; (2) la complexité de l'accusation et la probabi- lité que soient soulevés des points de droit; (3) l'aptitude de l'individu à se défendre lui-même; (4) l'existence de difficultés en matière de procédure; (5) la nécessité d'obtenir une décision en matière de discipline dans un délai court; (6) le besoin d'équité entre les prisonniers et entre ceux-ci et les fonctionnai- res de la prison. Le juge a précisé que cette liste n'était pas exhaustive.
Pour résoudre cette question, elle a donc appliqué les critères énoncés dans Howard au cas devant elle. Voici son analyse (aux pages 3 et 4):
Dans le cas présent, il est difficile de déterminer la gravité de l'accusation. Comme nous l'avons précisé ci-dessus, l'infraction a été considérée comme grave dans la formule remise au détenu. L'avocat des intimés a déclaré que les sanctions possi bles de ce type d'infraction sont précisées au paragraphe 38(9) du Règlement sur le service des pénitenciers (précité). Malgré tout, en raison des circonstances particulières de ce détenu et de l'infraction dont il a été accusé, il ne peut effectivement perdre son droit à la réduction de peine ni se voir imposer une amende de 500 $. Compte tenu des peines imposées dans des cas analogues, il est plus probable que le détenu fasse l'objet d'une peine d'un certain nombre de jours d'isolement avec sursis.
D'après mon interprétation de l'affaire Howard, il faut tenir compte des circonstances particulières de la personne ainsi que des conséquences théoriques qui pourraient résulter de façon générale des accusations du type en question. Vue sous cet angle, l'infraction en cause ne me paraît pas grave au point où, pour cette seule raison, le détenu doit avoir droit à un avocat afin d'assurer le respect des principes de justice fondamentale. Qu'en est-il des autres éléments à prendre en considération?
L'infraction n'est pas complexe; elle porte surtout sur des questions de fait: y a-t-il eu dénombrement le soir en cause et le requérant avait-il une excuse valable pour ne pas être présent? L'avocat du requérant a fait remaquer que le moyen de défense de la nécessité, en common law, est une question de droit et de fait complexe. Il s'est reporté à l'arrêt Perka et al. v. R., (1984), 55 N.R.1; 42 C.R. (3d) 113.
L'affaire Perka est un jugement très long dans lequel sont étudiés en détail les fondements philosophiques de la prétendue défense de nécessité ainsi que la façon dont celle-ci devrait être
considérée aux fins du droit pénal. Je ne pense pas que le point essentiel de la décision que le tribunal disciplinaire doit rendre est aussi complexe. Je reprendrais les paroles du juge en chef la page 131):
... Au cœur de ce moyen de défense, il y a le sentiment d'injustice que soulève la punition pour une violation de la loi commise dans des circonstances la personne n'avait pas d'autre choix viable ou raisonnable; l'acte était mauvais, mais il est excusé parce qu'il était vraiment inévitable.
En fait, je soupçonne que le requérant désire que le tribunal disciplinaire aille au-delà de l'appréciation stricte de la défense de nécessité qui, selon le juge en chef, exige la preuve d'une «réaction involontaire face à un danger immédiat et incontrôla- ble» et considère tous les facteurs entourant l'infraction allé- guée afin d'apprécier son «excuse» ainsi que les conséquences qui en résulteraient. C'est la fonction du tribunal discipli- naire, mais sans que celui-ci soit lié par les règles de forme s'appliquant aux procédures criminelles. Je ne peux qualifier sa décision de complexe.
En l'espèce, rien n'indique que le détenu n'a pas la capacité ni l'aptitude de présenter sa propre défense, bien au contraire. Rien n'indique qu'il existe des difficultés en matière de procé- dure. Toutefois, rien n'indique non plus qu'il soit nécessaire de régler l'affaire sans délai, en fait le détenu n'a été informé de l'accusation que deux semaines après l'incident en cause. Rien n'indique non plus que le besoin d'équité entre les prisonniers ou entre ceux-ci et les fonctionnaires de la prison exige que le détenu soit représenté par un avocat.
Après cette analyse poussée, le docte juge a conclu la page 4) que:
À la lumière de toutes ces circonstances, je ne peux conclure qu'en l'espèce, le refus opposé au détenu d'être représenté par un avocat équivaut à une atteinte aux principes de justice fondamentale, contrairement à l'article 7 de la Charte cana- dienne des droits et libertés.
Il faut donc retenir de cette affaire que, bien que l'infraction ait été au départ qualifiée de flagrante ou grave, toutes les circonstances entourant cette cause ont fait en sorte que la représentation par avocat n'était pas nécessaire. Le juge Reed étant d'avis que le fait que le détenu ne pouvait en l'espèce encourir une déchéance de son droit à la réduction de peine ou d'une amende pesait lourd dans la balance. L'autre facteur primordial semble avoir été l'absence de point de droit susceptible d'être soulevé puisque l'infraction en était une exclusivement de fait, c'est-à-dire qu'il s'agissait pour le président du Tribunal de juger si l'excuse offerte par le détenu pour son absence lors de l'appel nominal était légitime.
Dans Walker c. Comité de discipline du péni- tencier de Kingston (précitée), le détenu Walker était accusé de s'être comporté de manière indé-
cente, irrespectueuse ou menaçante envers une autre personne, en l'occurrence un agent du service correctionnel. L'infraction a été qualifée d'incon- duite flagrante ou grave, ce qui n'a toutefois pas empêché le président du Tribunal disciplinaire de refuser la représentation par avocat qu'exigeait le détenu.
Le docte juge Strayer a ainsi résumé les consé- quences possibles pour le détenu d'un verdict de culpabilité la page 110):
Le requérant a été condamné à perpétuité pour meurtre au second degré. Il cherche à obtenir un certiorari relativement à la décision que Thomas W. Thoughton a rendue le 18 juin 1985, en sa qualité de président indépendant du comité de discipline du pénitencier de Kingston, et dans laquelle il a reconnu le requérant coupable d'avoir commis l'infraction disci- plinaire prévue à l'alinéa 39g) du Règlement sur le service des pénitenciers alors en vigueur, soit
(de s'être comporté), par ses actions, propos ou écrits, d'une façon indécente, irrespectueuse ou menaçante envers qui que ce soit;
Aux termes du paragraphe 38(4) dudit Règlement, quiconque commet pareille infraction est passible, si celle-ci est considérée comme flagrante ou grave (ce qui était ici le cas), de l'une des deux peines suivantes ou des deux peines à la fois: (i) l'isole- ment pour une période de trente jours au plus, et (ii) la perte de privilèges. Dans ce cas-ci, le requérant a été condamné à cinq jours d'isolement disciplinaire, et à quatorze jours de perte de privilèges, ceux-ci ayant par ailleurs été suspendus pour quatre- vingt-dix jours. Mais il n'a en fait perdu aucun privilège et il y a longtemps qu'il a purgé les cinq jours d'isolement disciplinaire en question.
Après avoir fait état de la jurisprudence applicable en l'espèce, le juge Strayer s'est attardé plus lon- guement à l'affaire Howard (précitée) pour con- clure, non sans avoir préalablement appliqué les critères dégagés par la Cour d'appel sur le droit à la représentation par avocat, que le détenu Walker n'avait pas besoin d'une telle représentation par avocat la page 111):
Par conséquent, il ressort de l'arrêt Howard, semble-t-il, qu'en l'espèce, grâce au pouvoir de contrôle qui m'est conféré, je peux tenir compte de toutes les circonstances et déterminer si elles sont telles que pour être en mesure d'exposer son point de vue d'une manière adéquate, le requérant devait être représenté par un avocat, ce dont je ne suis pas convaincu.
Pour en arriver à une telle conclusion, il a distin- gué l'arrêt Howard (précité) du cas devant lui. Voici comment il s'y est pris (aux pages 111 et 112):
En premier lieu, il semble que dans l'affaire Howard, plu- sieurs accusations aient été portées, dont certaines étaient très générales et n'avaient apparemment pas été expliquées en détail, alors qu'en l'espèce, une seule accusation a été portée à
la suite du bref incident survenu le 25 avril 1985. Le requérant confirme qu'il a reçu, le 2 mai 1985, un compte rendu d'infrac- tion et un avis d'accusation. Ce document comprend une des cription de l'infraction, soit le compte rendu de l'agent correc- tionnel concernant les événements ayant donné lieu à l'accusation. Il désigne également l'accusation elle-même, de sorte que le détenu ne pouvait pas vraiment se tromper au sujet de l'accusation et de la preuve qu'il devait réfuter. L'affaire devait être entendue par le tribunal disciplinaire le 9 mai 1985, mais le requérant a alors demandé et obtenu un ajournement de façon à pouvoir demander des conseils juridiques. Il a commu- niqué avec les membres du Correctionnal Law Project de l'université Queens et a obtenu un autre ajournement le 23 mai, de façon à pouvoir obtenir l'assistance d'un avocat au moment de l'audience. Entre-temps, le requérant a apparemment parlé à un membre dudit projet et un expert a préparé pour lui un exposé écrit des raisons pour lesquelles il devrait avoir droit aux services d'un avocat. Il a déposé l'exposé en question devant le tribunal disciplinaire à la date fixée, soit le 6 juin, et a alors demandé l'autorisation de se faire représenter par un avocat et ce, même si aucun avocat n'était alors présent. Sa demande a été rejetée. L'affaire a de nouveau été ajournée jusqu'au 18 juin, soit le jour il a été jugé et reconnu coupable. A toutes fins utiles, la nature ou le libellé de l'accusation ne sont pas, à mon avis, si ambigus et complexes qu'on peut raisonnablement considérer que le détenu n'était pas en mesure: , de comprendre de quoi il en ressortait. De toute évidence, la question de la manière dont l'agent correctionnel avait «touché» le détenu, du point jusqu'auquel il y avait eu contact ou quelque autre provocation par l'agent et de la teneur exacte des remarques que le détenu avait faites à l'agent étaient des points litigieux. Mais il s'agit d'une question de preuve et non d'une question de droit. Le détenu a disposé de quelque six ou sept semaines pour préparer sa défense, de sorte qu'on ne peut pas dire non plus que le temps lui a manqué.
En outre, il est à noter que dans l'intervalle le requérant a de toute évidence pu obtenir des conseils juridiques et aurait pu demander de l'aide quant à la manière de se défendre plutôt que quant à la manière d'exiger la présence d'un avocat.
Une autre considération très importante est qu'en l'espèce, les seules peines pouvant être infligées à la suite d'un verdict de culpabilité étaient l'isolement pour une période d'au plus trente jours et la perte de privilèges, alors que dans l'affaire Howard, la peine pouvait comporter la perte de jours de réduction méritée de peine et ce, pour un maximum de deux cent soixante-sept jours. Dans l'arrêt Howard, tous les juges, qu'ils fassent partie de la majorité ou qu'ils soient dissidents, ont reconnu que la gravité de l'infraction était une considération pertinente aux fins de la décision que la cour exerçant son pouvoir de contrôle était appelée à prendre. [C'est moi qui souligne.]
Il appert donc de l'extrait cité plus haut que pour le juge Strayer la gravité de l'accusation et de la peine susceptible d'être imposée revêtent une importance presque déterminante.
Dans Mitchell c. Crozier (précitée), les faits étaient les suivants la page 138 F.T.R.):
Un détenu dans un établissement à sécurité de niveau S2 a été accusé de trois violations au Règlement sur le service des pénitenciers. Le détenu a été transféré à un établissement de plus haut niveau de sécurité, et sa classification a en fin de compte été remplacée par celle de S-5. Le tribunal disciplinaire l'a reconnu coupable des trois accusations, et lui a imposé des peines en conséquence. Le Comité régional des transfèrements a revu et confirmé le transfèrement du détenu et son reclasse- ment. Le détenu s'est fondé sur l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale pour conclure à un bref de certiorari annulant les condamnations, les peines, le transfèrement et le reclassement, prétendant que le fait qu'on ne l'a pas autorisé à se faire représenter par avocat aux procédures disciplinaires l'a privé de son droit à la liberté qu'il tient de l'article 7 de la Charte des droits et libertés, et que le Comité régional des transfèrements ne s'est pas acquitté de son obligation d'agir équitablement en fondant sa décision sur la preuve qui n'a pas été révélée au détenu antérieurement à l'audition.
Après avoir traité des autres questions en litige, mon savant collègue, le juge McNair s'est finale- ment attaqué au point qui nous intéresse plus particulièrement, soit celui du droit à la représen- tation par avocat devant un tribunal disciplinaire. Voici comment il s'est posé la question [aux pages 269 et 270 C.F.; 147 F.T.R.]:
Cela m'amène au dernier point, c'est-à-dire la question de savoir si le refus de permettre la représentation par avocat à l'audience qui s'est déroulée devant le tribunal disciplinaire relativement aux deux premières accusations a porté atteinte au droit du requérant à la liberté garanti par l'article 7 de la Charte, qui est entré en vigueur le 17 avril 1982 et qui porte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
J'en arrive maintenant à la ratio decidendi de son jugement. Elle se lit comme suit [aux pages 272 et 273 C.F.; 148 et 149 F.T.R.]:
Il semblerait donc, suivant le principe général établi dans l'arrêt Howard, que le requérant avait le droit d'être représenté par avocat à l'audience tenue devant le tribunal disciplinaire puisqu'il était possible qu'il y ait déchéance de sa réduction de peine méritée. Toutefois, il faut décider du droit à la représen- tation par avocat en tenant compte des circonstances particuliè- res du cas. Rien dans la preuve n'indique que Mitchell était déficient mental ou qu'il avait une intelligence ou une capacité de compréhension réduites. En fait, tout indique le contraire. Le tribunal disciplinaire a qualifié de graves les trois accusa tions et rien dans le dossier ne laisse entendre qu'il a établi une quelconque distinction, calculée ou non, en ce qui concerne les deux prétendues accusations mineures. Dans son affidavit, Mit- chell admet:
[TRADUCTION] ... je croyais que ces deux accusations étaient «mineures» et que je ne pouvais pas perdre ma réduction de peine, et je n'ai pas demandé l'assistance d'un avocat. Si je m'étais rendu compte qu'il s'agissait d'accusa- tions «graves», j'aurais demandé l'assistance d'un avocat.
C'est son propre comportement et rien d'autre qui est à l'origine de ce malentendu. A deux reprises, le requérant a refusé de lire les accusations et il a pris sur lui de les qualifier de mineures. Le tribunal disciplinaire n'a rien fait ou dit qui incitait à les considérer autrement que comme des accusations graves. Le requérant était parfaitement au courant, ou il aurait l'être, qu'il avait le droit de demander à être représenté par avocat en ce qui concerne les deux accusations dont il se plaint, mais il a choisi de ne pas le faire. Compte tenu des circons- tances, en quoi a-t-on porté atteinte à un droit garanti par la constitution? En d'autres termes, peut-on considérer après coup que l'omission d'un détenu accusé d'une infraction d'exercer son droit de demander l'assistance d'un avocat à l'occasion de procédures disciplinaires, droit dont il était au courant ou aurait l'être n'eût été de sa conduite, constitue une atteinte à son droit à la liberté au sens de l'article 7 de la Charte? Je ne le crois pas.
C'est cette affaire qui ressemble le moins au cas qui nous occupe. N'empêche que le juge McNair a conclu que l'aptitude du détenu à exposer lui- même sa cause était telle qu'il ne voyait pas l'uti- lité pour le détenu d'être représenté par un avocat.
Finalement dans Bailey c. Tribunal discipli- naire de l'établissement de Mission (président) (précitée), la Cour a donné raison au détenu et cassé la décision du président du Tribunal discipli- naire. Pour ce faire le docte juge Teitelbaum a appliqué, comme les autres juges d'ailleurs, les critères énoncés dans Howard (précitée) et a conclu que la gravité de l'accusation et la peine susceptible d'être imposée justifiaient le détenu de demander la présence d'un avocat. Les faits de cette affaire sont très, très similaires au cas devant moi. Voici comment le juge Teitelbaum les résume (aux pages 70 et 71):
Bailey est actuellement incarcéré à l'établissement à sécurité moyenne de Mission il purge une peine de sept ans imposée en 1983.
Le 10 février 1986, Bailey a été accusé, en vertu de l'art. 39i) du Règlement sur le service des pénitenciers, de possession d'objet interdit et, par conséquent, un Rapport de l'infraction d'un détenu et Avis de l'accusation (Pièce B jointe à l'affidavit de Dinsley) a été signifié.
L'infraction et l'accusation sont décrites de la façon suivante à la pièce «B»:
[TRADUCTION] A un objet interdit en sa possession (stylo- bille dont le tube renferme des résidus de marijuana).
Selon la même pièce «B», il s'agit d'une infraction de catégo- rie «intermédiaire» et Bailey est renvoyé devant le tribunal disciplinaire sous l'accusation d'avoir eu la possession d'un objet interdit.
S'il était reconnu coupable, Bailey pouvait être condamné à une amende ou à une période d'isolement pouvant aller jusqu'à 30 jours, ou aux deux peines.
Le 13 février 1986, Bailey a comparu devant l'intimé, Dins- ley, et a demandé un ajournement, qui lui a été accordé, jusqu'au 20 février 1986.
Le 20 février 1986, Bailey a comparu devant Dinsley et a demandé d'être représenté par un avocat. La requête lui a été refusée et l'audience s'est poursuivie. À l'audience, Bailey n'a pas demandé d'ajournement pour obtenir les services d'un avocat.
Dinsley a trouvé Bailey coupable de possession d'un objet interdit (stylo-bille dont le tube contenait des résidus de mari juana) conformément à l'accusation énoncée à la pièce «B» et l'a condamné à quinze jours d'isolement disciplinaire, à la perte de tous ses privilèges sauf le droit de fumer, la correspondance et les visites avec un sursis de soixante jours sous réserve de bonne conduite et à une amende de 20 $.
Après avoir cité le passage pertinent de la décision du juge Reed dans Savard (précitée), le juge Teitelbaum s'est attardé ensuite tout particulière- ment à la question de la gravité de l'accusation et de la peine susceptible d'être imposée. Il en fait, si je ne m'abuse, l'unique critère d'appréciation avant de conclure en faveur du détenu Bailey. Voici sa conclusion (aux pages 72 et 73):
À mon avis, la gravité de l'accusation n'est pas trop difficile à déterminer en l'espèce.
Comme je l'ai déjà mentionné, à la pièce «B», le Rapport de l'infraction d'un détenu, l'infraction est classée comme étant de la catégorie intermédiaire.
À l'époque de l'affaire Howard, il n'y avait que deux catégo- ries d'infractions, soit grave et légère. Par la suite, une troi- sième catégorie a été ajoutée, soit intermédiaire.
Comme on peut le constater à la pièce «B», la catégorie «intermédiaire» a être écrite à la main car je suppose que les nouveaux formulaires n'avaient pas encore été imprimés ou que les autorités de l'établissement de Mission n'en n'avaient pas en leur possession.
L'art. 38(8) du Règlement sur le service des pénitenciers prévoit les sanctions dont sont passibles les personnes reconnues coupables d'une infraction intermédiaire:
38(8) Le détenu reconnu coupable d'une infraction à la discipline qui consiste en une inconduite intermédiaire, telle que déterminée conformément aux directives, est passible de l'une ou plusieurs des sanctions suivantes:
a) un avertissement ou une réprimande;
b) la perte de privilèges;
c) une amende d'au plus 50 $ recouvrée conformément au paragraphe (12);
d) le remboursement à Sa Majesté, de la manière prévue aux directives, d'un montant n'excédant pas 500 $ au titre des dommages causés délibérément ou par négligence
i) soit à la propriété de Sa Majesté,
ii) soit à la propriété d'une autre personne à qui Sa Majesté a déjà remboursé les dommages;
e) sous réserve du paragraphe (10), l'interdiction de se joindre aux autres détenus pendant une période maxi- male de 30 jours consécutifs.
La seule sanction dont Bailey n'était pas passible était le remboursement à Sa Majesté d'une somme de 500 $ puisqu'il n'avait pas délibérément causé de dommages.
En outre, Bailey pouvait se voir privé, et c'est ce qui s'est produit, de la possibilité de se mériter la réduction de peine qu'il aurait pu se mériter s'il n'avait pas été reconnu coupable.
La pièce «A» jointe à l'affidavit de Bailey indique notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] Une réduction de peine méritée de dix jours
ne vous a pas été accordée pour les motifs suivants:
Rapport d'infraction intermédiaire en vertu du par. 39(1) du
R.S.P. en date du 7 février 1986
Privation de cinq jours
Rapport d'infraction intermédiaire en vertu du par. 39(1) du
R.S.P. en date du 11 février 1986
Privation de cinq jours.
L'accusation de possession d'un objet interdit (stylo-bille
dont le tube contient des résidus de marijuana) est datée du 7
février 1986 (pièce «B» de l'affidavit de Dinsley).
Nous constatons donc que Bailey a perdu cinq jours de réduction de peine qu'il aurait pu se mériter si Dinsley ne l'avait pas reconnu coupable.
Mm` le juge Reed a déclaré ce qui suit dans l'affaire Savard: D'après mon interprétation de l'affaire Howard, il faut tenir compte des circonstances particulières de la personne ainsi que des conséquences théoriques qui pourraient résulter de façon générale des accusations du type en question.
Je suis convaincu qu'en tenant compte de toutes les circons- tances en l'espèce ayant trait au genre d'infraction et à la sanction possible, et tout particulièrement de la condamnation à l'isolement et de l'impossibilité de mériter une réduction de peine, le refus de permettre l'assistance par avocat équivaut à un déni de justice fondamentale garantie par l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés:
7...Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Comme dans l'affaire Bailey (précitée), le requérant en l'espèce a entre autres perdu, suite à sa condamnation, 10 jours de «bon temps» (réduc- tion de peine méritée) comme en témoigne l'Avis mensuel de réduction de peine envoyé au requérant et annexé comme pièce H à son affidavit. Ces 10 jours de réduction de peine ne lui ont pas été octroyés à cause d'un rapport d'infraction intermé- diaire et de 25 jours de détention punitive durant le mois de janvier 1986.
Après cet autre long détour, j'en viens mainte- nant à la question de décider si en l'espèce le requérant, qui a fait l'objet de procédures discipli- naires, avait droit d'être représenté par avocat lors
de ces procédures. Pour ce faire, j'applique les critères dégagés par l'arrêt Howard (précité), du moins ceux qui me semblent les plus déterminants compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire en titre.
1) La gravité de l'accusation et de la peine susceptible d'être imposée
Ici la gravité ne fait aucun doute. Un homme a été grièvement blessé lors des incidents du 29 novembre 1986 pour lesquels d'ailleurs le requé- rant a été tenu pour être l'un des responsables par les autorités du pénitencier. Sinon comment quali fier le fait qu'il ait été d'abord accusé de possession de contrebande (arme offensive) et plus tard de voies de fait graves. Le fait que ces deux accusa tions aient été par la suite abandonnées et qu'une troisième plainte ait été formulée plus tard (2 mois après l'événement) ne tempère pas la gravité de l'accusation. De même, le fait que l'accusation (au départ il y avait deux accusations qui ont été abandonnées et une troisième a été formulée plus tard) ait été qualifiée d'inconduite de catégorie intermédiaire par les autorités du pénitencier ne modifie pas non plus son caractère grave. Si l'on compare l'accusation avec celle de la décision Savard (précitée), on ne peut qu'en constater la gravité.
Pour ce qui est de la peine susceptible d'être imposée, il est vrai que le président du Tribunal disciplinaire ne pouvait pas, suivant le paragraphe 38(8) du Règlement, condamner le requérant à la déchéance de son droit à la réduction de peine statutaire ou méritée puisqu'il s'agissait d'une inconduite de catégorie intermédiaire. Toutefois le requérant, comme tout autre détenu, risque par ailleurs de ne pas se voir octroyer des jours de réduction de peine par le Comité de réduction de peine méritée en raison de l'accusation portée contre lui. À ce propos, je livre aux parties les commentaires suivants du professeur Jackson qui écrit, dans son article fort bien documenté, «The Right to Counsel in Prison Disciplinary Hearings 4 , aux pages 279 et 280, que:
[TRADUCTION] ... Bien que, à l'audition, le tribunal discipli- naire ne puisse condamner un détenu à la déchéance de son droit à la réduction de peine pour cause d'infraction de catégo- rie intermédiaire, le droit à la liberté de ce dernier ne sera pas moins affecté du fait que selon le régime de réduction de peine
4 Loc. cit., note 3.
méritée, il se sera vu refuser une réduction de peine par suite de l'infraction commise. Ainsi que je l'ai expliqué, pour chaque isolement disciplinaire de trois jours, le détenu aura perdu un jour de réduction de peine et, selon la gravité de l'infraction, le Comité des réductions méritées de peines peut lui refuser une réduction de peine jusqu'au maximum de quinze jours pour ce mois. [C'est moi qui souligne.]
... Pour ces détenus et en fait pour tous les détenus qui perdent systématiquement le bénéfice de la réduction de peine à la suite d'une condamnation pour une infraction intermédiaire, l'impos- sibilité de se faire assister par avocat du fait que, à l'audition du tribunal disciplinaire, le président de l'extérieur ne saurait les condamner à la déchéance de leur droit à la réduction de peine ne fera qu'ajouter à leur incrédulité face à l'affirmation du Service correctionnel selon laquelle la justice règne maintenant derrière les murs des prisons.
On peut donc conclure sur ce point que la peine susceptible d'être imposée ne dépend pas unique- ment du président du Tribunal disciplinaire. D'ail- leurs, comme l'a si justement signalé le juge Reed dans Savard (précitée), il faut également tenir compte des soi-disant «theoretical consequences».
2) La possibilité que soient soulevés des points de droit
À ce chapitre, il est probable qu'une personne instruite en droit aurait peut-être voulu soulever la question du délai (plus de 2 mois) entre la date de l'incident, qui a débouché sur trois rapports d'in- fraction, et la date d'audition de la cause devant le Tribunal disciplinaire. Cette même personne aurait peut-être pu également soulever la question de la multiplicité des accusations résultant d'un même événement (voir à ce sujet l'affaire Lasalle c. Tribunaux disciplinaires de l'établissement Leclerc (1983), 5 Admin. L.R. 23 (C.F. 1" inst.)). Enfin, elle aurait peut-être pu faire valoir la défense d'autrefois acquit.
3) L'aptitude du détenu à exposer lui-même sa cause
Ce volet recoupe un peu le dernier point. Qu'il me suffise de dire sans être condescendant ni douter de l'intelligence du requérant que ce dernier aurait eu du mal à exposer sa pensée sur les questions de droit soulevées plus haut. Il n'est pas juriste et, du fait de sa détention, ses moyens de communication et d'information sont plutôt réduits.
L'analyse de ces circonstances m'amène somme toute à conclure que le refus opposé par le prési- dent du Tribunal disciplinaire à la demande de représentation par avocat du requérant viole le droit constitutionnellement reconnu dudit requé- rant à la liberté et, qu'en conséquence, il y a lieu d'émettre un bref de certiorari et de casser la décision du président du Tribunal disciplinaire en date du 3 février 1986.
Ayant donc donné raison au procureur du re- quérant sur le premier volet de son argumentation, je ne crois pas qu'il me faille aller plus loin et de traiter des deux autres volets, soit la perte de «bon temps» et le transfert en U.S.D.
La requête en vue d'obtenir un bref de certiorari est accueillie avec dépens.
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