A-210-86
F. K. Clayton Group Limited et Frederick Keith
Clayton (appelants) (requérants)
c.
Ministre du Revenu national du Canada et James
Bagnall, Directeur—Impôt du Bureau du district
de London du ministère du Revenu national,
Impôt (au 17 avril 1984), et R. O. Bailey, enquê-
teur spécial nommé en vertu de la Loi de l'impôt
sur le revenu et Procureur général du Canada
(intimés) (intimés)
RÉPERTORIÉ: F. K. CLAYTON GROUP LTD. c. M.R.N.
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Huges-
sen—Toronto, 24 février; Ottawa, 3 mars 1988.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Saisies — L'art. 231(1)d) et 231(2) de
la Loi de l'impôt sur le revenu est inopérant parce qu'il va à
l'encontre de l'art. 8 de la Charte — Une saisie effectuée sans
mandat est à première vue abusive — Absence dans la Loi
d'une norme objective permettant de vérifier la validité de la
saisie — La simple apparence d'une violation ne suffit pas à
justifier la saisie — La saisie de registres qui «peuvent» être
requis comme preuves de l'infraction à «toute» disposition de
la Loi est d'une portée trop générale — Omission de limiter la
saisie à des cas urgents où autrement il y aurait perte d'élé-
ments de preuve Aucune possibilité de contester la saisie
avant qu'elle ne soit effectuée.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative Certiorari —
Un juge de la Cour de comté a, en vertu de l'art. 231(2) de la
Loi de l'impôt sur le revenu, ordonné la retenue des documents
saisis — Le juge de première instance a commis une erreur en
annulant la demande de retenue — Aucune compétence pour
annuler les procédures engagées devant le juge de la Cour de
comté qui agaissait dans les limites de sa compétence. —
L'ordonnance était mal à propos puisque la demande était
caduque au moment où le juge de première instance a voulu
l'annuler.
Impôt sur le revenu — Saisies — Le juge de première
instance a commis une erreur en concluant que la saisie était
raisonnable malgré que la disposition législative l'autorisant
était invalide — De même, la saisie était abusive puisque la
confrontation à la suite de laquelle on a prétendu qu'il y avait
urgence avait été provoquée par un fonctionnaire ministériel et
on a saisi des documents plus nombreux que nécessaires à la
preuve d'infractions. Lorsque la saisie est annulée parce qu'elle
est abusive, la restitution des pièces saisies est normalement
ordonnée.
Compétence de la Cour fédérale — Division d'appel Un
juge de la Cour de comté a rendu une ordonnance portant
retenue de documents jusqu'à leur production «en cour» —
L'ordonnance de la Cour d'appel portant restitution des docu
ments ne contredit ni ne modifie une telle ordonnance.
Il s'agit d'un appel formé contre l'ordonnance par laquelle le
juge de première instance a statué qu'une saisie effectuée en
vertu de l'alinéa 231(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu
était raisonnable quoique illégale et qu'il n'était pas nécessaire
de retourner les documents saisis en attendant leur production
en cour. Dans son appel incident, le ministre a contesté les
parties de l'ordonnance déclarant nuls l'alinéa 231(1)d) et le
paragraphe 231(2) parce qu'ils allaient à l'encontre de l'article
8 de la Charte, et annulant la demande de retenue formulée par
le ministre.
Au cours d'une vérification fiscale, l'enquêteur spécial a
soupçonné qu'il se trouvait devant un cas de violations de
l'article 239, savoir une serie de déclarations inexactes faites
sciemment. Mis en face des écritures suspectes, le contribuable
a avoué que certaines dépenses étaient des dépenses personnel-
les, et qu'au moins une facture avait faussement été rédigée
pour représenter une dépense d'exploitation. Les livres de la
société ont été saisis et un juge de la Cour de comté a
ultérieurement ordonné la retenue de ces livres.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli avec dépens et l'appel
incident (concernant la question de l'annulation de la demande
de retenue) devrait être accueilli sans dépens.
Même si le droit à la vie privée protégé par l'article 8 de la
Charte s'était trouvé quelque peu diminué parce que la vérifica-
tion, dont la validité n'a pas été contestée, avait déjà eu lieu, un
citoyen qui a fait l'objet d'une vérification fiscale tient toujours
à ce que le caractère confidentiel des résultats de la vérification
soit protégé. Les appelants avaient également un droit impor
tant sur leurs livres, droit également protégé par l'article 8. La
Cour devrait prendre connaissance d'office de la difficulté
d'exploiter l'entreprise sans ces livres.
Le juge de première instance a eu raison de conclure que
l'alinéa 231(1)d) et le paragraphe 231(2) allaient à l'encontre
de la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les
saisies abusives prévue à l'article 8 de la Charte et ce pour les
motifs suivants: I) une saisie effectuée sans mandat est à
première vue abusive; 2) la Loi n'établit aucune norme objec
tive permettant de vérifier la validité de la saisie; 3) l'exigence
d'une simple apparence de violation ne suffit pas à justifier la
saisie; 4) la saisie de registres qui «peuvent» être requis comme
preuves de l'infraction à «toute» disposition de la Loi est d'une
portée trop générale; 5) la Loi ne limite pas la saisie à des cas
urgents où l'omission de saisir pourrait entraîner la perte ou la
destruction d'importants éléments de preuve. Les faits n'ap-
puyaient pas la prétention qu'il y avait urgence puisque l'enquê-
teur spécial avait provoqué la prétendue confrontation dont son
affidavit a fait état. L'administration ne saurait créer ses
propres urgences puis s'en servir pour justifier une saisie. Étant
donné que le contribuable a admis toutes les allégations faites
contre lui et que l'enquêteur est venu avec des boites pour
emporter les documents saisis, on est en droit de se demander
quel genre de réponses le contribuable aurait pu donner pour
écarter la «situation d'urgence»; 6) puisque la Loi ne prévoit pas
la possibilité de contester la saisie avant qu'elle ne soit effec-
tuée, la jurisprudence portant sur les subpoenas duces tecum
n'a été d'aucune utilité aux intimées.
Le juge de première instance a toutefois commis une erreur
en annulant la demande de retenue. Au moment où il a rendu
son ordonnance, la demande était caduque, et l'ordonnance
sans effet parce qu'un juge de la Cour de comté avait déjà
tranché la demande et accordé une ordonnance de retenue. Le
juge de première instance n'avait pas compétence pour annuler
les procédures engagées devant un juge de la Cour de comté qui
tenait sa compétence de la Loi. La conclusion que le paragra-
phe 231(1) était inopérant a entraîné la nullité de l'ordonnance
du juge de la Cour de comté, mais la forme de l'ordonnance du
juge de première instance était mal à propos.
La saisie doit avoir été abusive parce que la disposition
législative l'autorisant a été déclarée abusive. Le fait que le
fonctionnaire qui a opéré la saisie a agi de bonne foi et
conformément à la loi telle qu'elle était selon lui ne rendait pas
la saisie raisonnable. De plus, l'enquêteur spécial a agi dérai-
sonnablement parce qu'il a provoqué la confrontation, et que
des documents plus nombreux que nécessaires à la preuve des
infractions présumées ont été saisis. La décision du juge de
première instance de ne pas ordonner la restitution des docu
ments a été rendue antérieurement à l'arrêt récent de la Cour
d'appel Lagiorgia selon lequel une ordonnance portant annula-
tion d'une saisie parce qu'elle est abusive est normalement
assortie d'une ordonnance portant restitution des pièces saisies.
La Cour d'appel avait compétence pour ordonner la restitu
tion des documents puisqu'une telle ordonnance ne contredisait
ni ne modifiait l'ordonnance du juge de la Cour de comté, qui
autorisait le ministre à retenir les documents jusqu'à leur
production «en cour».
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 8
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. I1 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° I ), art.
96.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 231(1)d),(2), 241.
Loi sur la quarantaine des plantes, S.R.C. 1970, chap.
P-13, art. 9(4).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
United States v. Bisceglia, 420 U.S. 141 (6 1 h Cir. 1975);
Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2
C.F. 535 (C.A.); Lagiorgia c. Canada, [1987] 3 C.F. 28
(C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
Bertram S. Miller Ltd. c. R., [1986] 3 C.F. 291 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ziegler c. Hunter, [1984] 2 C.F. 608 (C.A.); Thomson
Newspapers Ltd. et al. v. Director of Investigation and
Research et al. (1986), 17 O.A.C. 330.
AVOCATS:
James A. Giffen pour les appelants (requé-
rants).
S. Patricia Lee pour les intimés (intimés).
PROCUREURS:
Giffen & Partners, London (Ontario) pour les
appelants (requérants).
Le sous procureur général du Canada pour
les intimés (intimés).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Il s'agit d'un appel et d'un
appel incident interjetés d'une décision rendue par
le juge Walsh'. Dans celle-ci, le juge de première
instance a conclu que l'alinéa 231(1)d) et le para-
graphe 231(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu
[S.C. 1970-71-72, chap. 63], dans leur version à
l'époque, étaient inopérants parce qu'ils allaient à
l'encontre de l'article 8 de la Charte [Charte cana-
dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.)]. Il a annulé une demande de retenue
formulée par le ministre en vertu du paragraphe
231(2), mais il a déclaré que cette annulation ne
devait pas être interprétée comme étant une déci-
sion indirecte contre une ordonnance de retenue
qu'un juge de la Cour de comté a rendue par suite
d'une telle demande. Il a conclu que la saisie,
quoique illégale, n'était pas abusive, et il a statué
que, jusqu'à leur production en cour, il n'était pas
nécessaire de retourner les documents saisis.
Les contribuables appelants interjettent appel de
ces parties de l'ordonnance du juge de première
instance qui portent sur le caractère abusif de la
saisie et sur la restitution des documents saisis.
Dans son appel incident, le ministre conteste les
parties de l'ordonnance relatives à la légitimité des
dispositions applicables de la Loi de l'impôt sur le
revenu compte tenu de la Charte, et à l'annulation
de la demande fondée sur le paragraphe 231(2). Il
est logique de statuer tout d'abord sur les questions
soulevées par l'appel incident, et de ne trancher
celles suscitées par l'appel que par la suite, si on le
juge nécessaire. C'est sur cette base que le débat
sur l'affaire a eu lieu devant nous.
Motifs publiés dans [1986] 2 C.F. 105 (I« inst.).
Les faits sont simples. Au cours d'une vérifica-
tion des livres de l'appelante F. K. Clayton Group
Limited pour les années 1978 1982, les vérifica-
teurs du ministre ont soupçonné que certaines
dépenses imputées à la société avaient, en fait, été
engagées au profit de l'actionnaire majoritaire,
l'appelant F. K. Clayton. Conformément à une
pratique ministérielle apparemment courante, l'af-
faire a été confiée à un «enquêteur spécial», M.
R. O. Bailey. Ce dernier, après avoir examiné à
fond les feuilles de travail du vérificateur et fait
d'autres examens, a conclu qu'il y avait effective-
ment lieu à une autre enquête. Il a pris des disposi
tions pour rencontrer M. Clayton aux bureaux de
la société Clayton le 21 décembre 1983. Au cours
de cette journée, il a mis M. Clayton en face d'un
certain nombre d'écritures suspectes, et il a obtenu
de ce dernier non seulement l'aveu que les dépen-
ses en question étaient des dépenses personnelles
plutôt que des dépenses d'exploitation de la
société, mais aussi qu'au moins une facture avait
été rédigée par lui de manière à représenter fausse-
ment comme une dépense d'exploitation la somme
de 10 000 $ qui avait, en fait, été affectée à l'achat
d'un bateau pour son usage personnel. Le jour
suivant, soit le 22 décembre, les deux hommes se
sont rencontrés de nouveau, et M. Bailey a obtenu
de M. Clayton d'autres aveux concernant d'autres
dépenses imputées au compte de la société qui
avaient, en fait, été engagées pour son avantage
personnel. Il a semblé à M. Bailey qu'il se trouvait
devant un cas de violations de l'article 239 de la
Loi de l'impôt sur le revenu, et que le contribuable
avait sciemment contrevenu à la Loi en faussant le
montant de l'impôt à payer. M. Bailey a décidé de
saisir, en vertu de l'alinéa 231(1)d), les livres et
registres de la société. Dans son affidavit déposé à
la Division de première instance, il justifie son acte
en ces termes:
[TRADUCTION] 22. J'ai estimé que, le contribuable ayant été
confronté à la preuve des dépenses irrégulièrement déclarées et
déduites, il y avait lieu de protéger les registres, livres et autres
documents qui servaient ou pouvaient servir de preuve et qui
n'auraient pas été en sécurité entre les mains des contribuables.
(Dossier d'appel, à la page 52).
Les documents saisis remplissaient deux boîtes. Ils
semblent comprendre la plupart des registres et
livres comptables et des relevés bancaires de la
société pour la période allant de 1978 1981
inclusivement, bien que certains documents remon-
tent aussi loin qu'à juillet 1973, et que d'autres
soient de date aussi récente que novembre 1982.
Par suite d'une demande ultérieure, fondée sur
le paragraphe 231(2), un juge de la Cour de comté
a rendu une ordonnance portant
[TRADUCTION] ... QUE les documents, registres, livres, pièces
ou choses mentionnées dans ladite demande faite pour le
compte du ministre du Revenu national soient retenus par ce
dernier jusqu'à leur production en cour.
Les parties applicables de la Loi de l'impôt sur
le revenu ont depuis été modifiées. À l'époque des
événements litigieux en l'espèce, toutefois, elles
étaient ainsi rédigées:
231. (1) Toute personne qui y est autorisée par le Ministre,
pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de la
présente loi, peut, en tout temps raisonnable, pénétrer dans tous
lieux ou endroits dans lesquels l'entreprise est exploitée ou des
biens sont gardés, ou dans lesquels il se fait quelque chose se
rapportant à des affaires quelconques, ou dans lesquels sont ou
devraient être tenus des livres ou registres, et
a) vérifier ou examiner les livres et registres, et tout compte,
pièce justificative, lettre, télégramme ou autre document qui
se rapporte ou qui peut se rapporter aux renseignements qui
se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou regis-
tres, ou le montant de l'impôt exigible en vertu de la présente
loi,
b) examiner les biens décrits dans un inventaire ou tous
biens, procédés ou matière dont l'examen peut, à son avis, lui
aider à déterminer l'exactitude d'un inventaire ou à contrôler
les renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver
dans les livres ou registres, ou le montant de tout impôt
exigible en vertu de la présente loi,
c) obliger le propriétaire ou le gérant des biens ou de l'entre-
prise et toute autre personne présente sur les lieux de lui
prêter toute aide raisonnable dans sa vérification ou son
examen et de répondre à toutes questions appropriées se
rapportant à la vérification ou à l'examen, soit oralement,
soit, si cette personne l'exige, par écrit, sous serment ou par
déclaration exigée par la loi et, à cette fin, obliger le proprié-
taire ou le gérant de l'accompagner sur les lieux, et
d) si, au cours d'une vérification ou d'un examen, il lui
semble qu'une infraction à la présente loi ou à un règlement
a été commise, cette personne autorisée peut saisir et empor-
ter tous documents, registres, livres, pièces ou choses qui
peuvent être requis comme preuves de l'infraction à toute
disposition de la présente loi ou d'un règlement.
(2) Le Ministre doit retourner les documents, livres, regis-
tres, pièces ou choses à la personne sur qui ils ont été saisis
a) dans les 120 jours de la date de la saisie de tous docu
ments, registres, livres, pièces ou choses conformément à
l'alinéa (1)d), ou
b) si pendant ce délai une demande est faite en vertu de ce
paragraphe et est rejetée après l'expiration du délai, immé-
diatement après le rejet de la demande,
à moins qu'un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de
comté, sur demande faite par ou pour le Ministre avec preuve
fournie sous serment établissant que le Ministre a des motifs
raisonnables pour croire qu'il y a eu infraction à la présente loi
ou à un règlement et que les documents, registres, livres, pièces
ou choses saisis sont ou peuvent être requis comme preuves à
cet égard, n'ordonne qu'ils soient retenus par le Ministre jus-
qu'à leur production en cour, ordonnance que le juge peut
rendre sur demande ex parte.
Au début, il faut se rappeler que la contestation
de l'appelante fondée sur la Charte était et est
limitée au pouvoir de saisie conféré par l'alinéa
231(1)d) et au pouvoir concomitant de retenue
accordé par le paragraphe 231(2). Les appelants
n'ont contesté ni en première instance ni en appel
les pouvoirs de vérification et d'examen prévus aux
alinéas 231(1)a), b) et c). Ces pouvoirs s'apparen-
tent intimement au pouvoir de perquisition. Ils
représentent indubitablement une intrusion impor-
tante dans la vie privée du sujet que protège
l'article 8 de la Charte. Pour évaluer leur validité,
il faut examiner le caractère abusif prima facie
d'une perquisition sans mandat par rapport à la
nécessité d'une vérification obligatoire faite au
hasard dans un régime de déclaration volontaire et
d'autocotisation. Bien que l'espèce présente n'exige
pas que nous fassions la part des choses, je trouve
particulièrement pertinents les propos tenus par le
juge en chef Burger dans l'affaire United States v.
Bisceglia, 420 U.S. 141 (6`h Cir. 1975), aux pages
145 et 146:
[TRADUCTION] Nous entamons l'examen de ces articles en
tenant compte du fait connu que nos structures fiscales reposent
sur un système de déclaration volontaire. Bien sûr, la loi oblige
les contribuables à faire de telles déclarations, mais le gouver-
nement compte sur la bonne foi et l'intégrité de chaque contri-
buable potentiel pour qu'il divulgue honnêtement tous les ren-
seignements pertinents à l'impôt qu'il doit payer. Il serait
néanmoins naïf de ne pas tenir compte du fait que certaines
personnes essaient de déjouer le système et que les fraudeurs
fiscaux ne sont pas faciles à identifier. C'est pourquoi l'art.
7601 donne au Service du revenu intérieur [Internal Revenue
Service] un mandat général pour faire enquête et vérifier les
déclarations des »personnes qui peuvent être assujetties» à
l'impôt et en outre, l'art. 7602 lui confère le pouvoir »d'exami-
ner tous les livres, documents, registres ou toutes les autres
données qui peuvent être utiles ... [et d'assigner] toute per-
sonne ayant en sa possession ... des livres de comptabilité ...
pertinents ou importants pour une telle enquête.» Par la force
des choses, le pouvoir d'enquête ainsi conféré ne se limite pas
aux situations où il existe une cause probable, au sens tradition-
nel, de croire qu'il y a violation des lois fiscales. United States
v. Powell, 379 U.S. 48 (1964). Le but des lois n'est pas
d'accuser mais de faire enquête. Même si de telles enquêtes
entraînent indiscutablement une certaine atteinte à la vie
privée, elles sont essentielles pour l'existence de notre système
de déclaration volontaire et les solutions de rechange possibles
pourraient très bien comporter des intrusions beaucoup moins
agréables dans les résidences, les entreprises et les registres.
Lorsque, comme en l'espèce, la vérification (per-
quisition) a déjà eu lieu, et que sa validité n'est pas
contestée, le droit à la vie privée protégé par
l'article 8 se trouve, à l'évidence, quelque peu
diminué. En conséquence, bien que l'arrêt de la
Cour suprême Hunter et autres c. Southam Inc.,
[1984] 2 R.C.S. 145, doive rester la décision qui
fait jurisprudence sur les limites de ce que la
Charte autorise dans les fouilles, perquisitions et
saisies, certaines distinctions s'imposent. À cer-
tains égards, la situation est analogue à celle sur
laquelle cette Cour a statué dans son arrêt Ber-
tram S. Miller Ltd. c. R., [ 1986] 3 C.F. 291.
Dans l'affaire Southam, la protection de la vie
privée était déterminante: le mandat contesté auto-
risait la fouille générale de livres et de registres
qui, autrement, étaient entièrement inaccessibles
aux fonctionnaires et dont Southam était fondé à
s'attendre à ce qu'ils soient protégés. Dans l'affaire
Miller, il n'y avait à protéger aucun droit à la vie
privée: une fouille consensuelle (inspection) avait
révélé l'existence de dangereux parasites dans les
plants d'une pépinière, et il y avait à déterminer si
des fonctionnaires pouvaient sans mandat, procé-
der à la destruction de ces plants pour empêcher
les insectes nuisibles de se propager. En l'espèce,
ainsi que je l'ai dit, le droit des appelants à la
protection de leurs livres et registres comptables se
trouve diminué par le fait que des fonctionnaires
du ministère du Revenu les ont déjà examinés en
détail. Cela ne veut toutefois pas dire que le droit à
la vie privée a complètement disparu comme dans
l'affaire Miller: la Loi de l'impôt sur le revenu
exige une divulgation considérable de la part des
contribuables, et elle autorise les fonctionnaires du
Ministère à mener une enquête approfondie, mais
elle leur impose également la lourde et stricte
obligation de garder le secret. Ce qui figure dans
une déclaration d'impôt ou ce que révèle une véri-
fication fiscale ne peut être divulgué que confor-
mément à une disposition expresse de la loi. L'arti-
cle 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit
un code détaillé pour assurer le secret et les peines
sanctionnant sa violation.
J'estime que le citoyen qui fait l'objet d'une
vérification fiscale tient à ce que le caractère
confidentiel des résultats de cette vérification, tout
comme celui de ses déclarations d'impôt sur le
revenu elles-mêmes, soit protégé. Jusqu'à ce que
des procédures judiciaires soient engagées, le con-
tribuable est en droit de s'attendre à ce que ses
affaires financières personnelles demeurent confi-
dentielles. Ainsi donc, son droit à la vie privée,
bien qu'il ne soit peut-être pas aussi important que
celui reconnu dans l'affaire Southam, est certes
encore très considérable.
Le droit à la vie privée n'est pourtant pas le seul
droit protégé par l'article 8. Ainsi qu'il ressort des
motifs de jugement prononcés dans l'affaire Sou-
tham, la règle voulant que la perquisition soit
préalablement autorisée par un mandat découle de
la nécessité de protéger les droits de propriété. En
l'espèce, les appelants ont un droit de propriété
important sur les choses saisies qui sont, par défi-
nition, les livres et registres de l'entreprise qu'ils
exploitent. J'estime que la Cour devrait prendre
connaissance d'office du fait que la saisie de ces
livres et registres et leur retrait des locaux com-
merciaux de la société doivent avoir la plus
sérieuse incidence sur la capacité de cette dernière
d'exploiter son entreprise.
Tout bien considéré, j'estime que le juge de
première instance a eu raison de conclure que
l'alinéa 231(1)d) et le paragraphe 231(2) étaient
incompatibles avec la protection contre les fouilles,
les perquisitions ou les saisies abusives prévue à
l'article 8.
En premier lieu, la saisie, effectuée sans
mandat, est à première vue abusive; elle n'a pas la
sanction préalable d'un arbitre impartial «en
mesure d'agir de façon judiciaire» 2 .
En deuxième lieu, la législation n'établit aucune
norme objective permettant de vérifier la validité
de la saisie. Selon le libellé de l'alinéa 231(1)d), le
fonctionnaire peut apprécier de façon totalement
subjective la nécessité de saisir:
231.(1)...
d) si ... il lui semble ...
En troisième lieu, la norme établie par la Loi est
beaucoup trop basse, exigeant seulement l'appa-
rence d'une violation pour justifier la saisie. Ainsi
qu'il a été dit dans l'arrêt Southam [aux pages
167-168]:
2 Voir l'arrêt Southam, susmentionné, aux pp. 161 et 162.
Le droit de l'État de déceler et de prévenir le crime commence
à l'emporter sur le droit du particulier de ne pas être importuné
lorsque les soupçons font place à la probabilité fondée sur la
crédibilité.
À cet égard, l'alinéa 231(1)d) se compare défavo-
rablement au paragraphe 9(4) de la Loi sur la
quarantaine des plantes', sur lequel cette Cour
s'est penchée dans l'affaire Miller et qui exigeait
comme condition de la saisie l'existence de motifs
raisonnables de croire que la matière à saisir cons-
tituait un danger.
En quatrième lieu, j'estime que la saisie autori-
sée par l'alinéa 231(1)d) est d'une portée trop
générale. Selon l'interprétation du ministre, dès
lors qu'une violation de la Loi ou du Règlement a
eu lieu, cet alinéa autorise la saisie de registres
«qui peuvent être requis comme preuves de l'in-
fraction à toute disposition de la Loi».
C'est précisément ce type de disposition que cette
Cour a déjà trouvé incompatible avec l'article 8°:
Cependant, je ne peux admettre la proposition générale voulant
que le simple fait qu'un contribuable ait, à un certain moment,
commis une infraction à la Loi de l'impôt sur le revenu ou aux
règlements, si peu importante que soit cette infraction, consti-
tue une justification suffisante du pouvoir général de perquisi-
tion et de saisie conféré par le paragraphe 231(4). À mon avis,
ce paragraphe contrevient à l'article 8 de la Loi constitution-
nelle de 1982 en ce qu'il viole le droit du contribuable «à la
protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies
abusives.»
En cinquième lieu, rien dans la Loi n'exige de
limiter la saisie à des cas urgents où l'omission de
saisir pourrait entraîner la perte ou la destruction
d'importants éléments de preuve. Les faits de l'es-
pèce n'appuient pas non plus la prétention de
l'avocat selon laquelle il y avait réellement une
telle urgence. Il faut se rappeler que dans son
affidavit (précité), M. Bailey affirme que le contri-
buable ayant été mis en face des faits, la saisie des
documents était devenue nécessaire. Mais M.
Bailey avait lui-même provoqué cette situation. Je
ne saurais accepter que l'administration puisse
créer ses propres cas urgents, puis s'en serve pour
justifier une saisie de biens. Il faut se rappeler
également que, au cours de la prétendue confron
tation, M. Clayton avait pratiquement admis toute
S.R.C. 1970, chap. P-13.
° Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F.
535, le juge Pratte, à la p. 549.
allégation faite à son encontre. Puisque la preuve
montre que M. Bailey, lorsqu'il est venu à la
réunion, avait déjà dans sa voiture les boîtes néces-
saires pour emporter les documents saisis, on se
demande quel genre de réponses M. Clayton aurait
pu donner aux questions de M. Bailey pour écarter
la «situation d'urgence».
En dernier lieu, pour ce qui est de cet aspect de
l'affaire, je ferais remarquer qu'il ne s'agit pas
d'un cas où la loi prévoit la possibilité de contester
la saisie avant qu'elle ne soit effectuée, comme ce
fut le cas devant la Cour suprême des États-Unis
dans l'affaire Bisceglia précitée. Même le paragra-
phe 231(2), qui autorise la retenue des documents
après leur saisie, prévoit expressément que l'autori-
sation judiciaire peut être obtenue ex parte. La
jurisprudence du pays qui porte sur les subpoenas
duces tecum 5 n'est donc d'aucune utilité aux
intimés.
Dans l'appel incident formé par la Couronne, il
reste seulement à trancher la question relative à la
partie de l'ordonnance du juge de première ins
tance qui annulait la demande de retenue fondée
sur le paragraphe 231(2). Sauf le respect que je lui
dois, le juge de première instance a commis une
erreur en l'espèce. En premier lieu, au moment où
il a rendu son ordonnance, il avait déjà été donné
suite à la demande, et une ordonnance avait été
rendue en conséquence. La demande était donc
caduque, et l'ordonnance l'annulant était sans
effet. Il y a plus important encore, la demande a
été présentée à un juge nommé en vertu de l'article
96 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31
Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II,
n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, n° 1)] et qui tient sa compétence
de la Loi. Le juge de première instance n'avait pas
compétence pour annuler les procédures engagées
devant un tel juge. Bien entendu, il est vrai que la
conclusion que le paragraphe 231(2) est inopérant
entraîne la nullité de l'ordonnance du juge de la
Cour de comté, mais la forme de l'ordonnance
choisie par le juge de première instance était fort
mal à propos.
J'aborde maintenant l'appel principal, relative-
ment à la disposition des documents saisis. Il faut
5 Voir Ziegler c. Hunter, [1984] 2 C.F. 608 (C.A.), et
Thomson Newspapers Ltd. et al. v. Director of Investigation
and Research et al. (1986), 17 O.A.C. 330.
se rappeler que le juge de première instance a
conclu que la saisie n'était pas abusive; partant, il
a décidé qu'il n'y avait pas à restituer les docu
ments. J'estime que tant cette conclusion que cette
décision étaient entachées d'une erreur manifeste.
En premier lieu, au point de vue juridique, je ne
pense pas qu'on puisse dire qu'une saisie dont la
seule justification en droit consiste dans une dispo
sition déclarée abusive peut en soi être considérée
raisonnable. Le fonctionnaire qui a opéré la saisie
peut avoir agi de bonne foi et conformément à la
loi telle qu'elle était selon lui, mais cela ne rend
pas la saisie elle-même raisonnable. Point n'est
besoin d'ajouter que la saisie n'est justifiée ni en
common law ni par une autre source, si ce n'est en
vertu du texte exprès de l'alinéa 231(1)d).
De plus, et malgré la conclusion du juge de
première instance, il n'est pas, à mon avis, logique
de qualifier de raisonnable l'acte de M. Bailey
dans les circonstances actuelles. Il était, bien
entendu, de bonne foi, et croyait que la loi l'autori-
sait à agir comme il l'a fait, mais il ressort de son
propre affidavit qu'il a justifié la saisie au moyen
d'une confrontation qu'il avait lui-même provo-
quée. De même, comme je l'ai indiqué, M. Bailey a
saisi, sans doute toujours de bonne foi, des docu
ments beaucoup plus nombreux que nécessaires
pour faire la preuve des infractions dont il avait
lieu de croire, à l'époque, qu'elles avaient été
commises.
Pour ce qui est du refus du juge de première
instance d'ordonner la restitution des documents,
soulignons que sa décision a été rendue antérieure-
ment à l'arrêt de cette Cour dans Lagiorgia c.
Canada, [1987] 3 C.F. 28. À cet égard, cette cause
est déterminante malgré l'allégation contraire de
l'avocat: une ordonnance portant annulation d'une
saisie parce qu'elle est abusive selon l'article 8 de
la Charte est normalement assortie, à tout le
moins, d'une ordonnance portant restitution des
pièces saisies. L'avocat de l'intimé nous a demandé
de différer, au moins, de rendre une telle ordon-
nance jusqu'à dix jours après l'inscription du juge-
ment; je ne vois aucune raison de le faire. Si la
Couronne a le droit de saisir les documents autre-
ment qu'en vertu de l'alinéa 231(1)d), il lui est
loisible de tenter de l'exercer. Dans la négative, les
documents devraient être restitués sur-le-champ.
J'ajouterais seulement qu'une ordonnance por-
tant restitution des documents saisis ne contredit
ni ne modifie la teneur de l'ordonnance rendue par
le juge de la Cour de comté. Cette dernière ordon-
nance, précitée, autorise simplement le ministre à
retenir les documents «jusqu'à leur production en
cour». À l'évidence, la mention de procédures judi-
ciaires n'est pas limitée aux procédures engagées
devant le juge de la Cour de comté qui a signé
l'ordonnance. Je ne pense même pas qu'elle soit
limitée à des procédures judiciaires dans la même
province puisqu'il est bien possible qu'une saisie
fondée sur l'alinéa 231(1)d) ait lieu dans une
province et que les documents saisis soient utilisés
dans des procédures devant les tribunaux d'une
autre province, là où un défendeur a son siège
social ou sa place d'affaires principale. Il ne fait
pas de doute que notre Cour a compétence dans les
présentes procédures et qu'elle a du même coup le
pouvoir d'ordonner la production et la restitution
des documents.
En dernier lieu, le juge de première instance n'a
pas adjugé de dépens parce que les parties adverses
avaient eu partiellement gain de cause. Tel n'est
plus le cas, et ce sont les appelants qui ont presque
entièrement gain de cause tant dans l'appel que
dans l'appel incident, la Couronne ne l'ayant
emporté, dans son appel incident, que sur la ques
tion technique de l'annulation de la demande
fondée sur le paragraphe 232(2).
En conséquence, j'accueillerais l'appel avec
dépens et l'appel incident sans dépens. J'annulerais
toute la partie de l'ordonnance du juge de première
instance qui suit le paragraphe (1) et je la rempla-
cerais par une ordonnance portant que les docu
ments saisis et emportés le 22 décembre 1983 par
l'intimé R. O. Bailey, ainsi que leurs copies et
extraits, soient restitués aux appelants sur-le-
champ. J'ordonnerais en outre que les appelants
recouvrent leurs frais des procédures devant la
Division de première instance.
LE JUGE HEALD: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
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