T-66-86
Walter Patrick Twinn agissant en son propre nom
et au nom de tous les autres membres de la bande
de Sawridge, John Daniel McLean agissant en son
propre nom et au nom de tous les autres membres
de la bande Sturgeon Lake, Wayne Roan agissant
en son propre nom et au nom de tous les autres
membres de la bande d'Ermineskin, Raymond
Cardinal agissant en son propre nom et au nom de
tous les autres membres de la bande d'Enoch,
Bruce Starlight agissant en son propre nom et au
nom de tous les autres membres de la bande de
Sarcee, et Andrew Bear Robe agissant en son
propre nom et au nom de tous les autres membres
de la bande des Pieds-Noirs (demandeurs)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: TWINN c. CANADA
Division de première instance, juge Strayer—
Ottawa, 6 et 20 mai 1987.
Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation — De la
déclaration ou paragraphes de celle-ci parce qu'ils ne révèlent
aucune cause d'action — La Cour est dessaisie de l'affaire, car
elle a déjà rejeté une requête en radiation — Ni les modifica
tions apportées ni les détails fournis par la suite ne changent la
conclusion antérieure de la Cour — Les modifications appor-
tées et les détails fournis n'ont pas conféré un caractère
théorique à l'appel, car les modifications ne concernent que des
questions ne faisant pas l'objet de l'appel — Règles de la Cour
fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419.
Pratique — Jugements et ordonnances — Annulation ou
modification — Ordonnance rejetant une requête en radiation
de la déclaration — Nouvelle requête visant à obtenir le même
redressement pour le motif que les circonstances ont changé
On a fait valoir qu'un arrêt récent de la Cour suprême du
Canada portant sur la liberté d'association est incompatible
avec la décision rendue antérieurement en l'espèce — Aucune
cour n'est habilitée à réexaminer sa décision lorsqu'une cour
supérieure rend ultérieurement un jugement incompatible avec
ladite décision.
Pratique — Jugements et ordonnances — Suspension d'exé-
cution — Demande visant à obtenir la suspension d'exécution
d'une ordonnance antérieure exigeant le dépôt d'une défense
dans les trente jours suivant la signification à la défenderesse
des modifications apportées à la déclaration — Demande
rejetée — La défenderesse ne s'est pas libérée de l'obligation
de prouver que le critère du plus grand préjudice permettait
clairement d'accorder une suspension d'instance pendant l'ap-
pel formé contre l'ordonnance interlocutoire — La défende-
resse n'a pas prouvé qu'un préjudice spécial lui sera causé,
mais la Cour a admis d'office les éléments de preuve soumis
par les demandeurs selon lesquels les modifications apportées
à la Loi sur les Indiens sont appliquées pendant que l'audience
se poursuit — Examen des possibilités que l'appel soit
accueilli — Application du principe suivant lequel le fardeau
incombant à la personne demandant une suspension est plus
lourd lorsque l'ordonnance ne fait pas l'objet de procédures
d'exécution Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,
Règles 402, 1909 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2' Supp.), chap. 10, art. 50 — Loi sur les Indiens, S.R.C.
1970, chap. 1-6.
Il s'agit en l'espèce d'une demande visant à faire radier
l'ensemble de la déclaration pour le motif qu'elle ne révèle
aucune cause d'action ou les paragraphes 9 et ll de celle-ci
pour le même motif, et à obtenir une ordonnance suspendant
une ordonnance antérieure enjoignant à la défenderesse de
déposer une défense dans les trente jours suivant la signification
des modifications apportées à la déclaration, ou une ordonnance
prorogeant le délai accordé à la défenderesse pour déposer sa
défense.
Jugement: la demande est rejetée et la défenderesse-requé-
rante est condamnée aux dépens peu importe le résultat de
l'action. La défenderesse doit déposer sa défense dans les
quatorze jours suivant le dépôt de l'ordonnance formelle.
La Cour n'est pas habilitée à radier l'ensemble de la déclara-
tion, car elle est dessaisie de l'affaire étant donné qu'elle a déjà
refusé de radier la déclaration quand une requête à cet effet lui
a été présentée. Ni les modifications apportées à la déclaration
ni les détails fournis depuis l'ordonnance antérieure ne chan-
gent la conclusion suivant laquelle la déclaration ne devrait pas
être radiée. La Cour a conclu que la déclaration contenait des
arguments défendables. Les demandeurs ont depuis lors fourni
des détails relativement à certains paragraphes de la déclara-
tion. Même s'il est possible que des détails suffisants n'aient pas
été fournis relativement aux faits, cela n'a aucune incidence sur
la validité de l'ensemble de la déclaration.
La Cour n'est pas non plus habilitée à réexaminer sa décision
pour le motif que depuis le prononcé de celle-ci, une cour
supérieure a rendu un jugement incompatible avec ladite déci-
sion. De toute manière, il ne serait pas approprié, sur présenta-
tion d'une requête en radiation, de conclure sur le fondement de
l'arrêt Renvoi relatif à la Public Service Employee Regula
tions Act, [1987] 1 R.C.S. 313, que dans la situation particu-
lière des demandeurs rien ne permettrait de prétendre qu'il y a
eu atteinte à la liberté d'association. Les points en litige sont
très différents lorsqu'il s'agit de bandes indiennes et de
syndicats.
Les modifications apportées et les détails fournis ne confèrent
pas un caractère théorique à l'appel formé contre la décision
antérieure de la Cour, car ces questions ne font pas l'objet de
l'appel. Ce dernier ne porte que sur le refus de radier l'ensem-
ble de la déclaration.
ll n'existe aucun droit automatique ou présumé à la suspen
sion d'exécution d'une ordonnance interlocutoire en attendant
qu'une décision soit rendue sur l'appel formé contre ladite
ordonnance. La défenderesse ne s'est pas libérée de l'obligation
de prouver que le critère du plus grand préjudice permettait
clairement d'accorder une suspension d'instance. Elle n'a pas
prouvé qu'un préjudice spécial lui sera causé ou sera causé à
tous ceux qui bénéficient des modifications contestées apportées
à la Loi sur les Indiens si les préparatifs de l'instruction se
poursuivent. Le seul inconvénient serait l'obligation de payer
certains frais d'avocat occasionnés par le dépôt d'une défense,
la communication de documents et l'interrogatoire préalable.
La Cour a cependant pris acte des éléments de preuve indi-
quant que les modifications apportées à la Loi sur les Indiens
influent sur la composition des bandes indiennes dont les
demandeurs sont membres. II y a peu de chances que l'appel
soit accueilli parce qu'il est formé contre l'exercice d'un pouvoir
discrétionnaire. La Cour a également appliqué le principe
suivant lequel le fardeau incombant à la personne demandant
une suspension est plus lourd lorsque l'ordonnance dont elle
demande la suspension ne fait pas l'objet de procédures d'exé-
cution. L'ordonnance en cause étant le rejet d'une demande de
radiation d'une déclaration ne fait pas l'objet de procédures
d'exécution.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations
Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; R. c. Baird, [1982] 2
C.F. 539 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores
Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110.
DÉCISIONS CITÉES:
Cercast Inc. et autre c. Shellcast Foundries Inc. et autre
(n° 4) (1973), 10 C.P.R. (2d) 83 (C.F. 1" inst.); Les
Travailleurs en communication du Canada c. Bell
Canada, [1976] 1 C.F. 282 (1" inst.); La Société Radio-
Canada c. L'Association des réalisateurs, [1982] 2 C.F.
337 (1" inst.); Baxter Travenol Laboratories of Canada
Ltd. et autres c. Cutter (Canada), Ltd. (1981), 54 C.P.R.
(2d) 218 (C.F. 1`° inst.); Orient Leasing Company Ltd. c.
Navire ««Kosei Maruu (1978), 22 N.R. 182 (C.A.F.);
Baxter Travenol Laboratories of Canada, Ltd. et autres
c. Cutter (Canada), Ltd. (1984), 2 C.P.R. (3d) 142 (C.F.
1" inst.).
AVOCATS:
Maurice C. Cullity, c.r., Catherine Twinn et
June M. Ross pour les demandeurs.
Dogan D. Akman pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Davies, Ward & Beck, Toronto, pour les
demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Il s'agit en l'espèce d'une
demande par laquelle la défenderesse cherche à
obtenir une ou plusieurs des ordonnances suivan-
tes:
(1) soit une ordonnance radiant l'ensemble de la
déclaration, tel que modifiée le 17 novembre
1986 et au sujet de laquelle des détails ont été
fournis le 13 mars 1987, pour le motif qu'elle
ne révèle aucune cause d'action;
(2) soit une ordonnance radiant, si je comprends
bien la demande, les paragraphes 9 et 11 de la
déclaration au sujet desquels les demandeurs
ont fourni d'autres détails le 13 mars 1987,
pour le motif qu'ils ne révèlent aucune cause
raisonnable d'action; et
(3) soit une ordonnance suspendant l'exécution de
son ordonnance antérieure du 31 octobre 1986
enjoignant à la défenderesse de déposer une
défense dans un délai de trente jours suivant
la signification des détails et des modifications
apportées à la déclaration;
(4) soit une ordonnance prorogeant le délai
accordé à la défenderesse pour déposer sa
défense.
Les paragraphes 3 et 4 envisagent un ajournement
jusqu'à ce que la défenderesse ait «épuisé» ses voies
d'appel en ce qui concerne mon ordonnance du 31
octobre 1986 [[1987] 2 C.F. 450 (1'° inst.)].
Mon ordonnance du 31 octobre 1986 portait sur
une demande présentée par la défenderesse sous
forme d'avis de requête daté du 4 juillet 1986. J'ai
alors rejeté les deux premières requêtes de l'avis
qui visaient à faire radier la déclaration et les
modifications qui y avaient été apportées pour le
motif qu'elle ne révélait aucune cause d'action ou
qu'elle était futile et vexatoire, ou encore que les
demandeurs n'avaient pas qualité pour agir. Pour
ce qui est de la troisième requête figurant dans
l'avis, j'ai radié la deuxième phrase du paragraphe
5 de la déclaration modifiée et j'ai accordé aux
demandeurs un délai de trente jours pour modifier
la déclaration, si tel était leur désir, pour qu'ils
puissent alléguer que la Couronne avait reconnu
leurs bandes antérieurement à la conclusion des
traités 6, 7 et 8. En ce qui concerne la quatrième
requête contenue dans l'avis, j'ai ordonné aux
demandeurs, s'ils modifiaient le paragraphe 5, de
fournir des détails sur la nature, la forme et les
dates approximatives de cette reconnaissance; j'ai
également ordonné que s'ils désiraient fournir la
preuve de l'existence des droits ancestraux allégués
aux paragraphes 9 et 11 de la déclaration modi-
fiée, ils devraient fournir des détails «sur les droits,
les règles et les institutions coutumières des bandes
(dont ils prétendent être les successeurs) qui sont
censés faire partie de ces droits ancestraux».
La défenderesse a, depuis lors, interjeté appel de
cette décision, mais elle n'a apparemment pas pris
les mesures nécessaires pour que ledit appel soit
entendu. En attendant, elle a déposé la présente
demande dans laquelle figurent les quatre nouvel-
les requêtes exposées plus haut.
Pour ce qui est de la première requête visant à
faire radier toute la déclaration, je suis convaincu
que je ne suis pas habilité à accorder une telle
ordonnance à moins que les modifications qui y ont
été apportées depuis le prononcé de ma dernière
ordonnance n'aient invalidé d'une manière ou
d'une autre l'ensemble de la déclaration. Aucun
des avocats n'a cité de précédents ou de textes de
doctrine indiquant précisément dans quelle mesure
une cour ayant refusé de radier une déclaration
peut ultérieurement connaître d'une requête en
radiation de la déclaration modifiée. Il me semble
en principe que je me suis acquitté de mes fonc-
tions en l'espèce à moins que les modifications,
accompagnées ou non de détails, n'aient rendu
l'ensemble de la déclaration invalide. Ce n'est
manifestement pas le cas en l'espèce. Aux paragra-
phes (1) et (2) de mon ordonnance du 31 octobre
1986, j'ai rejeté sans condition les requêtes présen-
tées par la défenderesse en vue de faire radier
toute la déclaration. En d'autres termes, j'ai jugé
que la déclaration contenait des arguments défen-
dables et qu'elle ne pouvait pas faire l'objet d'une
ordonnance prévue à la Règle 419 [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]. Aux termes des
paragraphes (3) et (4) de mon ordonnance du 31
octobre 1986, portant sur ce qui constituait alors
les troisième et quatrième requêtes de la défende-
resse, j'ai ordonné la radiation d'une phrase du
paragraphe 5 de la déclaration et j'ai autorisé
ladite défenderesse à modifier ce paragraphe à
condition qu'elle fournisse des détails; j'ai en outre
ordonné conditionnellement que d'autres détails
soient fournis au sujet des paragraphes 9 et 11 de
la déclaration si les demandeurs avaient l'intention
de présenter des preuves pour établir leurs droits
ancestraux au lieu de simplement invoquer un
principe général de droit pour en établir l'exis-
tence. Les demandeurs ont profité de l'occasion
que je leur ai donné de modifier le paragraphe 5 et
j'estime qu'ils ont fourni les détails appropriés
relativement à la modification apportée. Pour ce
qui est de la condition que je leur ai imposée
relativement aux paragraphes 9 et 11, ils n'ont pas,
à mon avis, fourni des détails suffisants sur les
faits qu'ils se proposent d'invoquer (c'est-à-dire des
faits établissant les coutumes, pratiques ou autres
formes de reconnaissance des droits ancestraux
qu'ils revendiquent). Mais cela n'invalide nulle-
ment lesdits paragraphes 9 et 11 de la déclaration.
J'estime qu'on peut maintenant considérer que ces
deux paragraphes ne font qu'énoncer l'état du
droit et qu'ils ne constituent pas des allégations de
fait, mais cette question devra évidemment être
tranchée à l'instruction par le juge de première
instance. Le manquement des demandeurs à l'obli-
gation de donner des détails adéquats sur les faits
n'a cependant aucune incidence sur la validité de
l'ensemble de la déclaration. Il est possible qu'ils
soient incapables d'étayer leur prétention suivant
laquelle l'existence de ces droits était fondée sur un
principe de droit général, sans invoquer l'exercice
coutumier de leurs droits ancestraux, mais il ne
s'agit pas d'une question qui peut ou devrait être
tranchée à ce stade des procédures.
Par conséquent, ni les modifications apportées à
la déclaration ni les détails fournis depuis mon
ordonnance du 31 octobre, qui peuvent être inadé-
quats à certains égards, ne changent de quelque
façon que ce soit ma conclusion suivant laquelle la
déclaration ne peut faire l'objet d'une ordonnance
de radiation.
Selon l'avocat de la défenderesse, le seul change-
ment qui est survenu est un jugement prononcé le
9 avril 1987 Renvoi relatif à la Public Service
Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S.
313, où la Cour suprême du Canada a statué que
la «liberté d'association» garantie par l'alinéa 2d)
de la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] protège des droits d'association
individuels et non les droits du groupe lui-même. Il
soutient, par conséquent, que je devrais réexaminer
ma décision antérieure de ne pas radier la
demande visant à obtenir un jugement déclarant
que les modifications apportées à la Loi sur les
Indiens [S.R.C. 1970, chap. I-6] portent atteinte à
la liberté d'association des demandeurs. Du point
de vue de la procédure, j'estime que cette idée est
surprenante: je ne crois pas qu'aucune cour soit
habilitée à réexaminer sa décision pour le motif
que depuis le prononcé de celle-ci, une cour supé-
rieure a rendu un jugement incompatible avec
ladite décision. Même si cela était légitime tant sur
le plan de la procédure que sur celui de la compé-
tence, il ne me serait certainement pas loisible de
conclure en me fondant sur la décision de la Cour
suprême que dans la situation particulière des
demandeurs, rien ne permettait de prétendre qu'il
y avait eu atteinte à la liberté d'association. Les
points en litige sont très différents lorsqu'il s'agit
de bandes indiennes et de syndicats. Il est possible
que la liberté pour un individu de s'associer avec
qui il désire revête plus d'importance en ce qui
concerne le contrôle de l'adhésion à une bande
indienne que ce n'est le cas pour une action inten-
tée par des syndicats relativement à un conflit de
travail. J'estime que je ne peux ni ne dois trancher
cette question en statuant sur une requête en
radiation.
L'avocat de la défenderesse a prétendu à plu-
sieurs reprises que les questions qui précèdent
devaient être soulevées dans une demande de ce
genre et que je devais me prononcer sur celles-ci
avant que l'appel soit entendu de façon que le
dossier remis à la Cour d'appel soit complet. J'ai
eu certaines difficultés à comprendre cette préten-
tion et la seule conclusion que je peux en tirer est
qu'il est possible, par suite des modifications
apportées à la déclaration et des détails fournis
depuis mon ordonnance du 31 octobre 1986, que
l'appel de ladite ordonnance ait pris un caractère
théorique et pourrait être rejeté pour ce motif
comme ce fut le cas, par exemple, dans l'arrêt R. c.
Baird'. Je suis incapable de voir comment les
modifications et les détails en cause pourraient
avoir cet effet. Aux paragraphes (1) et (2) de mon
ordonnance du 31 octobre 1986, j'ai rejeté les
requêtes de la défenderesse portant que la déclara-
tion tout entière devrait être radiée. Le paragraphe
(3) de ladite ordonnance ne faisait que radier une
phrase, ce qui laissait la possibilité aux deman-
deurs d'y apporter une modification à leur discré-
' [1982] 2 C.F. 539 (C.A.).
tion, et le paragraphe (4) ne concernait que les
détails à fournir. Dans son avis d'appel daté du 10
novembre 1986, la défenderesse n'interjette appel
que de la partie de mon ordonnance [TRADUC-
TION] «rejetant la demande présentée par l'appe-
lante en vue d'obtenir, conformément à la Règle
419 ... une ordonnance portant que la déclaration
amendée est radiée». Elle n'interjette pas appel des
paragraphes (3) et (4) de ladite ordonnance et ce
n'est que pour les fins de l'application de ces
paragraphes que la modification apportée et les
détails fournis sont pertinents. Ces questions ne
font pas l'objet de l'appel et, je le répète, la
modification qui a été apportée et les détails qui
ont été fournis n'ont aucune incidence sur ma
décision de refuser de radier la déclaration. Je
considère, par conséquent, que la demande présen-
tée par la défenderesse est, à cet égard, futile et
inutile.
Comme je l'ai déjà dit, la défenderesse cherche
également à obtenir, sur le fondement de la Règle
1909 ou de la Règle 402, une ordonnance repor-
tant le dépôt de la défense jusqu'à ce qu'un délai
de trente jours se soit écoulé après qu'elle aura
épuisé ses voies d'appel contre mon ordonnance du
31 octobre 1986. Dans cette dernière ordonnance,
j'avais accordé à la défenderesse un délai de trente
jours suivant la réception des modifications appor-
tées et des détails fournis par les demandeurs. Le
15 avril 1987, j'ai prorogé ce délai, avec le consen-
tement des demandeurs, jusqu'à ce que je me sois
prononcé sur la présente demande. La défende-
resse n'a produit aucun élément de preuve pour
justifier la suspension d'exécution demandée en
l'espèce, son avocat alléguant que ce besoin ressort
manifestement du dossier. Les demandeurs ont
déposé quelques éléments de preuve pour indiquer
que les modifications apportées à la Loi sur les
Indiens, et contestées en l'espèce, sont appliquées
pendant que la présente affaire suit son cours.
La jurisprudence indique clairement qu'il n'exis-
te aucun droit automatique ou présumé à la sus
pension d'exécution d'une ordonnance interlocu-
toire (telle que mon ordonnance du 31 octobre
1986) en attendant qu'une décision soit rendue sur
l'appel formé contre ladite ordonnance. Il me
semble que le même principe est applicable aux
demandes de suspension d'exécution présentées en
vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] et de la Règle
1909 ou à une demande de prorogation du délai
pour déposer une défense, présentée conformément
à la Règle 402. Mais la nature de ce principe est
moins claire. On a parfois laissé entendre que le
critère applicable devait être celui du plus grand
préjudice: voir l'affaire Cercast Inc. et autre c.
Shellcast Foundries Inc. et autre (n" 4) 2 , confir-
mée sans mention précise de ce point dans [1973]
C.F. 640 (C.A.). Dans d'autres décisions, la Cour
a jugé que le critère approprié était celui habituel-
lement associé à l'article 50 de la Loi sur la Cour
fédérale, c'est-à-dire qu'il incombe à la partie qui
cherche à obtenir la suspension de l'exécution
d'une ordonnance ou d'un jugement de prouver
que le refus d'une telle suspension lui causerait un
préjudice et que l'octroi de ladite suspension ne
causerait pas d'injustice à l'autre partie: voir l'af-
faire Les Travailleurs en communication du
Canada c. Bell Canada'. Cette Cour a déclaré
dans un autre jugement qu'une suspension pendant
l'appel ne devrait pas être accordée si une telle
suspension entraîne un «préjudice irréparable»:
Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. et
autres c. Cutter (Canada), Ltd. 4 . Plus récemment,
la Cour suprême du Canada a statué dans l'arrêt
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan
Stores Ltd. 5 que les critères applicables à la sus
pension d'exécution d'une ordonnance pendant un
appel lorsque la constitutionnalité de cette ordon-
nance est en cause sont les mêmes que pour l'octroi
d'une injonction interlocutoire visant à empêcher
l'exécution d'une ordonnance ou l'application
d'une loi dont la constitutionnalité est contestée.
La Cour a considéré que le critère approprié à
cette fin était celui du plus grand préjudice. Elle a
souligné que, dans les affaires d'ordre constitution-
nel, on ne devrait pas établir le plus grand préju-
dice en tenant compte seulement de l'intérêt des
particuliers contestant la validité d'une loi ou
d'une ordonnance et des intérêts du fonctionnaire
ou de l'organisme public directement concernés. Il
faudrait également tenir compte des intérêts du
public ou de cette partie du public qui seront servis
2 (1973), 10 C.P.R. (2d) 83 (C.F. l« inst.).
[1976] 1 C.F. 282 (1" inst.); voir également La Société
Radio Canada c. L'Association des réalisateurs, [1982] 2 C.F.
337 (1" inst.).
(1981), 54 C.P.R. (2d) 218 (C.F. 1" inst.), à la p. 219.
5 [1987] 1 R.C.S. 110, aux p. 334à 363.
par les actes de l'organisme public ou du fonction-
naire appliquant la loi ou l'ordonnance contestée.
Aux fins de l'espèce, j'estime qu'il suffira d'exa-
miner le plus grand préjudice. Je ne crois pas que
la défenderesse se soit libérée de l'obligation de
prouver que ce critère permettait clairement d'ac-
corder une suspension d'instance pendant l'appel
formé par ladite défenderesse contre une ordon-
nance interlocutoire. Elle n'a pas prouvé qu'un
préjudice spécial lui sera causé ou sera causé à
tous ceux qui bénéficient des modifications contes-
tées apportées à la Loi sur les Indiens si les
préparatifs de l'instruction se poursuivent. Autant
que je sache, le seul inconvénient serait l'obligation
de payer certains frais d'avocat occasionnés par le
dépôt d'une défense, la communication de docu
ments et l'interrogatoire préalable. Je peux en
même temps prendre acte des éléments de preuve
soumis par les demandeurs indiquant que les modi
fications apportées à la Loi sur les Indiens ont
influé et influent sur la composition de leurs
bandes indiennes. Je crois pouvoir présumer que
ces effets sont importants et qu'ils deviendront plus
inquiétants au fur et à mesure que le temps passe.
J'ai également tenu compte du fait qu'étant
donné que l'appel en cause est formé contre l'exer-
cice de mon pouvoir discrétionnaire de refuser de
radier la déclaration, il y a peu de chances qu'il
soit accueilli'. J'ai en outre appliqué le principe
suivant lequel le fardeau incombant à la personne
demandant une suspension est plus lourd lorsque
l'ordonnance dont elle demande la suspension ne
fait pas l'objet de procédures d'exécution'. L'or-
donnance dont il est interjeté appel en l'espèce, soit
le rejet d'une demande de radiation d'une déclara-
tion, ne fait pas l'objet de procédures d'exécution.
En arrivant à cette conclusion, j'ai également tenu
compte de l'engagement de l'avocate des deman-
deurs à collaborer avec l'avocat de la défenderesse
pour que l'appel soit entendu dans les meilleurs
délais.
Par conséquent, je refuse la suspension deman-
dée et j'ordonne à la défenderesse de produire une
Orient Leasing Company Ltd. c. Navire ,,Kosei Maru'
(1978), 22 N.R. 182 (C.A.F.), à la p. 184.
' Baxter Travenol Laboratories of Canada, Ltd. et autres c.
Cutter (Canada), Ltd. (1984), 2 C.P.R. (3d) 142 (C.F. 1"
inst.).
défense dans un délai de quatorze jours suivant le
dépôt de l'ordonnance formelle en l'espèce.
Ayant conclu que la présente demande n'était
pas justifiée, je condamne la défenderesse-requé-
rante aux dépens peu importe le résultat de l'ac-
tion. L'avocate des demandeurs-intimés a indiqué
à la fin des plaidoiries que, si je devais rejeter la
demande avec dépens, elle souhaiterait faire valoir
d'autres arguments écrits suivant lesquels ces
dépens devraient comprendre les frais extrajudi-
ciaires. J'ai accepté qu'une telle procédure soit
suivie, tout en permettant évidemment à la défen-
deresse de réfuter les arguments présentés. Par
conséquent, je n'inscris pas d'ordonnance formelle
pour le moment, mais je laisse plutôt l'occasion à
l'avocate des demandeurs-intimés de présenter une
demande fondée sur la Règle 324 afin d'obtenir
l'inscription de l'ordonnance, ce qui lui permettra
de soumettre tous les arguments écrits qu'elle
désire au sujet des frais et des dépens. L'avocat de
la défenderesse dispose d'un délai de quatorze
jours à compter de la réception des arguments
écrits pour y répondre par écrit et l'avocate des
demandeurs-intimés bénéficie d'un délai de sept
jours à compter de la réception des arguments de
l'avocat de la défenderesse-requérante pour y
répondre.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.