A-275-86
Mackintosh Computers Ltd., Compagnie d'Élec-
tronique Repco Ltée/Repco Electronics Ltd.,
Maison des Semiconducteurs Ltée/House of
Semiconductors Ltd., Chico Levy et Nat Levy
(appelants) (défendeurs)
c.
Apple Computer, Inc. et Apple Canada Inc. (inti-
mées) (demanderesses)
A-276-86
115778 Canada Inc., faisant affaire sous la déno-
mination sociale de Microcom, James Begg et
131375 Canada Inc. (appelants) (défendeurs)
c.
Apple Computer, Inc. et Apple Canada Inc. (inti-
mées) (demanderesses)
RÉPERTORIÉ: APPLE COMPUTER, INC. c. MACKINTOSH COM
PUTERS LTD.
Cour d'appel, juges Mahoney, Hugessen et Mac-
Guigan—Ottawa, 28, 29, 30 septembre et 1 e et 13
Dctobre 1987.
Droit d'auteur — Contrefaçon — La reproduction d'une
microplaquette d'ordinateur viole le droit d'auteur sur le
vrogramme informatique s'y trouvant inscrit — La conversion
i'u programme du langage d'assemblage au langage machine
n'est pas une .traduction» au sens de l'art. 3(1)a) de la Loi —
L'inscription du programme sur une microplaquette est une
reproduction d'une oeuvre sous une forme matérielle et est
visée par le droit d'auteur — Pour les fins du droit d'auteur,
!a microplaquette programmée doit être appréciée à l'état
statique.
Les appelants ont copié deux programmes machine (Auto -
;tart ROM et Applesoft) utilisés par les intimées dans leur
)rdinateur Apple II. Les appelants n'ont pas copié les program
mes écrits en code d'assemblage. Au lieu de cela, ils ont
-eproduit, apparemment par des moyens mécaniques, la micro-
plaquette de silicium dans laquelle les programmes se trouvent
nscrits.
Les appels en l'espèce sont formés à l'encontre de la conclu-
;ion du juge de première instance selon laquelle le droit d'au-
teur dans les programmes machine en question a été violé.
Arrêt: les appels devraient être rejetés mais le jugement de la
Division de première instance devrait être modifié de manière à
imiter à Apple Computer, Inc. le redressement accordé.
Le juge Mahoney: L'argument selon lequel les programmes
m langage machine constituaient simplement des instructipns
• elatives à la fabrication des microplaquettes est entièrement
Iénué de pertinence. Le droit d'auteur dans la version en
langage machine des programmes n'est pas visé en l'espèce. De
plus, les microplaquettes n'étaient pas fabriquées suivant des
spécifications contenues dans la version en langage machine des
programmes.
Le juge de première instance s'est trompé en concluant que
la conversion des programmes du langage d'assemblage initial
en langage machine hexadécimal constituait une traduction au
sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi. Il s'agit plutôt d'une reproduc
tion de l'original, protégée, comme ce dernier, par le droit
d'auteur.
Les programmes inscrits sur les microplaquettes sont des
reproductions des programmes en cause. Le juge de première
instance a eu raison de se fonder sur la prémisse voulant que la
reproduction à l'égard de laquelle un droit d'auteur était
réclamé et une violation alléguée était constituée de l'ensemble
des circuits statiques des microplaquettes, non de la suite
dynamique des impulsions électriques dictées ou permises par
cet ensemble de circuits. Le début de l'article 3 de la Loi, par
lequel le titulaire du droit d'auteur se voit accorder «le droit
exclusif ... de reproduire une oeuvre ... sous une forme
matérielle quelconque», est rédigé de façon assez générale pour
comprendre l'inscription des programmes des intimées sur une
microplaquette. Rien dans la Loi n'exigeait qu'une reproduc
tion prenne une forme lisible par l'homme pour être protégée
par un droit d'auteur ou pour porter atteinte à un droit
d'auteur. Aussi, lorsque les appelants ont copié les programmes
inscrits sur les microplaquettes, ils ont porté atteinte au droit
d'auteur des intimées protégeant ces programmes.
Il n'est pas nécessaire de trancher la question de savoir si les
microplaquettes sont des organes au moyen desquels l'oauvre
peut être débitée au sens de l'alinéa 3(1)d) de la Loi.
Le juge Hugessen: Le caractère anthropomorphique de pres-
que tout ce qui est dit ou écrit au sujet des ordinateurs—des
mots ayant une connotation cognitive tels «langage», «mémoire»,
«lire»—crée une difficulté réelle. Ainsi, même si les program
mes en question ont été transposés d'un langage en un autre
langage, ils ne constituent pas une «traduction» au sens de la
Loi—la transposition dans une langue d'une chose énoncée
dans une autre langue. Les microplaquettes des appelants ne
constituaient pas non plus des organes au sens de l'alinéa
3(1)d). Les programmes en cause ne sont pas des oeuvres
susceptibles d'être «exécutées» ou «représentées» ou «débitées»
mécaniquement.
Toutefois, le juge de première instance a eu raison de con-
clure que les microplaquettes sur lesquelles étaient inscrits les
programmes étaient des reproductions des programmes de code
d'assemblage protégés par le droit d'auteur des intimées. Pour
les fins de la Loi, le résultat de l'activité consistant à produire
ou à reproduire une oeuvre littéraire est nécessairement une
oeuvre littéraire (un ouvrage imprimé ou écrit). En l'espèce,
comme les microplaquettes ne comportent rien qui soit imprimé
ou écrit, leur reproduction, à première vue, ne porterait pas
atteinte au droit d'auteur. Toutefois, «le droit exclusif de pro-
duire ou de reproduire sous une forme matérielle quelconque»
comprend par déduction nécessaire le droit exclusif de produire
le support sur lequel l'oeuvre visée sera reproduite. Les articles
10 et 21 de la Loi, qui traitent de la propriété des moyens de
reproduction des oeuvres protégées par le droit d'auteur, renfor-
cent cette interprétation. Et même si le moyen de reproduction
ne constitue pas lui-même une reproduction au sens du para-
graphe 3(1), l'autorisation implicite visant la reproduction—
présente en l'espèce puisque les microplaquettes utilisées dans
l'ordinateur des appelants pouvaient servir à reproduire les
programmes des intimées dans leur version écrite en code
hexadécimal—porte atteinte au droit d'auteur.
Le juge MacGuigan: Dans l'affaire Computer Edge, qui était
identique à l'espèce, la High Court of Australia a décidé
qu'aucune atteinte n'avait été portée au droit d'auteur. Toute-
fois, la loi australienne interprétant cette affaire était fondée
sur une loi anglaise différente de celle sur laquelle est fondée la
loi canadienne. De plus, le point de vue sur lequel cette décision
est fondée, selon lequel le programme était en réalité une série
d'impulsions électriques emmagasinées dans les microplaquet-
tes, n'est pas compatible avec les conclusions du juge de
première instance, qui n'ont pas été contestées avec succès. Et
la United States Court of Appeals, dans l'arrêt Apple Compu
ter, Inc. v. Franklin Computer Corporation, a décidé qu'il
n'existait aucune raison pour laquelle un programme du sys-
tème d'exploitation, comme le programme en l'espèce, devrait
être moins protégé qu'un programme d'application.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Copyright Act, 1911, 1 & 2 Geo. V, chap. 46 (R.-U.).
Copyright Act, 1956, 4 & 5 Eliz. II, chap. 74 (R.-U.).
Copyright Act, 1968 (Cth), n° 63 (Austr.).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 52b)(i).
Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 2,
3, 4, 10, 17(2)b), 21.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Computer Edge Pty Ltd v Apple Computer Inc (1986),
65 ALR 33 (H.C.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres,
[1980] 1 R.C.S. 357; Moreau. Alfred v. St. Vincent,
Roland, [1950] R.C.E 198; Thrustcode Ltd. v. W.W.
Computing Ltd., [1983] F.S.R. 502 (Ch.D.); University
of London Press v. University Tutorial Press, [1916] 2
Ch. 601; Apple Computer, Inc. v. Franklin Computer
Corp., 714 F.2d 1240 (3rd Cir. 1983).
DÉCISIONS CITÉES:
Cuisenaire v. South West Imports Limited, [1969]
R.C.S. 208; Boosey v. Whight, [1899] 1 Ch. 836, confir-
mée par [1900] 1 Ch. 122 (C.A.); Ladbroke (Football)
Ltd. v. William Hill (Football) Ltd., [1964] 1 W.L.R.
273 (H.L.).
AVOCATS:
Robert H. C. MacFarlane pour les appelants.
Alfred S. Schorr, Ivor M. Hughes et Joseph
I. Etigson pour les intimées.
PROCUREURS:
Fitzsimmons, MacFarlane, Toronto, pour les
appelants.
Ivor M. Hughes, Concord (Ontario), pour les
intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: J'ai eu l'avantage de lire, à
l'état de projet, les motifs de mon collègue le juge
MacGuigan. Si j'en arrive au même résultat que
celui-ci, je le fais sur le fondement de motifs
sensiblement plus restreints.
Les appels en l'espèce sont interjetés de juge-
ments [[19871 1 C.F. 173; 10 C.P.R. (3d) 1
Ore inst.)] prononcés dans deux actions qui ont été
instruites ensemble et ont donné lieu à une preuve
qui, pour les fins de toutes les questions qu'on nous
a demandé de trancher, était une preuve com
mune. L'appelant James Begg s'est désisté de l'ap-
pel particulier qu'il avait formé à l'encontre de la
conclusion de responsabilité personnelle qui avait
été tirée contre lui. Les autres appelants particu-
liers n'ont pas soulevé un tel motif d'appel. Les
intimées ont renoncé à leur allégation que la fabri
cation de copies des objets en trois dimensions
confectionnées selon des plans ou des instructions
protégés par un droit d'auteur suffisait à elle seule
à porter atteinte à leur droit. Il a été reconnu que
l'intimée Apple Computer, Inc. était la seule
demanderesse ayant droit aux redressements
accordés, et que, quel que soit le sort des appels,
les jugements de la Division de première instance
devraient être modifiés en conséquence.
Pour paraphraser les termes utilisés par le juge
Estey dans l'arrêt Compo Company Ltd. c. Blue
Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357:
même s'il résulte d'une série de faits assez compli-
qués, cet appel soulève uniquement la question de
savoir si la personne qui reproduit une micropla-
quette d'ordinateur viole de ce fait les droits exclu-
sifs accordés en vertu de l'article 3 de la Loi sur le
droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, au titu-
laire d'un droit d'auteur sur le programme
machine inscrit sur cette microplaquette. Deux
programmes sont en cause en l'espèce. Les motifs
des jugements à l'encontre desquels le présent
appel est formé ont été rapportés intégralement
dans le recueil 10 C.P.R. (3d) 1, auquel je renver-
rai le lecteur. Le recueil [1987] 1 C.F. 173 en
rapporte une version abrégée, qui omet de nom-
breuses conclusions de fait essentielles.
Les dispositions de la Loi sur lesquelles porte
principalement le litige sont les alinéas 3(1)a) et
d).
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur»
désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une
œuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme
matérielle quelconque, d'exécuter ou de représenter ou, s'il
s'agit d'une conférence, de débiter, en public, et si l'eeuvre n'est
pas publiée, de publier l'ceuvre ou une partie importante de
celle-ci; ce droit comprend, en outre, le droit exclusif
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une tra-
duction de l'eeuvre;
d) s'il s'agit d'une œuvre littéraire, dramatique ou musicale,
de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film
cinématographique ou autres organes quelconques, à l'aide
desquels l'eeuvre pourra être exécutée ou représentée ou
débitée mécaniquement;
Les appelants admettent que les programmes
machines originaux, écrits en langage d'assem-
blage, constituaient des œuvres littéraires au sens
de la Loi et se trouvaient protégés par un droit
d'auteur appartenant à l'intimée Apple Computer,
Inc. Ils reconnaissent également que les program
mes inscrits sur les microplaquettes, s'ils faisaient
l'objet d'un droit d'auteur, ont été copiés en très
grande partie et, en conséquence, violés.
La question du sens que le Parlement a eu
l'intention de donner au mot «traduction» dans le
contexte de l'alinéa 3(1)a) de la Loi est très liti-
gieuse; aussi, dans l'exposé des faits, qui suivra,
j'éviterai d'utiliser ce terme et emploierai le mot
[TRADUCTION] «conversion», que j'entendrai
comme entièrement neutre.
LES FAITS
Le juge de première instance a conclu à la
page 7 C.P.R.:
Un langage informatique, et il en existe un grand nombre, est
un code servant à écrire un programme. On parle de langage
«évolué» ou de langage «de bas de gamme» selon que celui-ci est
facile ou difficile à lire. Un langage évolué comporte des
symboles et des règles qui correspondent d'assez près aux
symboles mathématiques ordinaires et à la langue anglaise (ou
à toute autre langue commune) de sorte qu'il peut être lu et
compris avec une facilité relative. Citons notamment, à titre
d'exemple, le BASIC, le COBOL, le PASCAL et le
FORTRAN.
Un deuxième niveau de langage, qui peut être désigné
comme niveau intermédiaire, comporte des éléments mnémo-
techniques qui correspondent plus explicitement aux opérations
que l'ordinateur doit accomplir. Ainsi, dans l'extrait susmen-
tionné, LDY signifie «load index Y with memory» (charger le
registre d'index Y avec la mémoire), et STA signifie «store
accumulator in memory» (mémorisation de l'accumulateur).
Ce niveau intermédiaire est décrit comme un langage
d'assemblage.
Un troisième niveau de langage, le bas de gamme, est parfois
appelé langage machine ou code machine. Il existe deux ver
sions du langage machine qui sont pertinentes en l'espèce: un
système de notation hexadécimale et un système de notation
binaire. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de décrire les deux
systèmes en détail; qu'il me suffise de dire que le système de
notation hexadécimale est fondé sur un système numérique
utilisant seize symboles de base, tandis que le système de
notation binaire est fondé sur un système numérique ayant
deux symboles de base. Le système de notation hexadécimale
n'est qu'une façon plus courte d'écrire le code binaire. Il est
utilisé parce qu'il emploie moins de caractères et qu'il est par
conséquent moins encombrant que le système binaire.
La notation binaire n'utilise que les symboles «1»
et «O». La notation hexadécimale utilise les dix
chiffres «0» à «9» ainsi que les six premières lettres
de l'alphabet, «A» à «F».
Les programmes en cause ont initialement été
écrits en langage d'assemblage. En voici un extrait,
cité par le juge de première instance à la page 6
C.P.R.:
LDY #$2F
BNE CLRSC2
LDY #$27
STY V2
LDY #$27
LDA #$00
STA COLOUR
JSR VLINE
Le programme a alors été converti en langage
machine. En l'espèce, on a choisi la notation hexa-
décimale. La forme hexadécimale de l'extrait pré-
cité est la suivante [à la page 8 C.P.R.]:
AO 2F
DO 02
AO 27
84 2D
A9 00
85 30
20 28
Le juge de première instance, à la page 9
C.P.R., a conclu:
En fait, c'est la forme binaire du langage machine que
l'ordinateur «comprend». La suite de 1 et de 0 peut être
représentée dans l'ordinateur comme deux états: «électrique-
ment allumé» et «électriquement éteint» (ou correspondant à des
niveaux de voltage élevé et bas).
À titre d'exemple, elle a mentionné [aux pages 8 et
9 C.P.R.] que:
... l'instruction LDY en code d'assemblage susmentionnée, qui
s'exprimait sous les signes AO en notation hexadécimale,
deviendrait en notation binaire 1010 0000.
Pour qu'un programme puisse être utilisé par un ordinateur,
il faut donc qu'il soit converti en une série d'états «électrique-
ment allumé» et «électriquement éteint», soit un code électrique
correspondant à la notation binaire du programme. Cela peut
se faire de plusieurs façons puisque, une fois écrit, un pro
gramme peut être inscrit sur plusieurs supports matériels. Il
suffit que le support matériel puisse refléter deux états distincts
capables de correspondre aux I et aux 0 du code binaire.
Le juge de première instance a alors discuté de
plusieurs modes de conversion à un code électri-
que, par exemple, l'utilisation de bandes ou de
cartes perforées dans lesquelles un trou représente
le chiffre un et l'absence d'un trou un zéro, ou vice
versa; l'emploi de bandes ou de disques magnéti-
ques sur lesquels la présence d'une charge magné-
tique désigne le chiffre un et son absence un zéro,
ou vice versa. Tous ces signes peuvent être lus par
la machine, qui est munie de détecteurs captant la
présence ou l'absence de lumière ou d'une charge
magnétique. Elle a poursuivi, à la page 10 C.P.R.:
La preuve a montré qu'on pouvait considérer la mémoire
interne de l'ordinateur comme une série de boîtes aux lettres
(casiers) disposées en formation rectangulaire, dans lesquelles
l'information est emmagasinée sous la forme d'octets (huit uns
et zéros par casier). Au niveau de la structure électrique, la
mémoire de l'ordinateur est un circuit intégré capable de
retenir, grâce à ses circuits, une combinaison d'états électriques
de haut et de bas voltage. Ce code électrique correspond en tous
points au programme écrit en notation binaire:
[TRADUCTION] Vous pouvez vous représenter huit transis
tors, disposés en rangée, et ces transistors pourraient en
quelque sorte être utilisés dans la construction du dispositif
pour représenter l'information qui doit être emmagasinée ...
(Transcription des notes sténographiques, vol. I, p. 49).
Il existe deux types de mémoire interne de l'ordinateur, soit
la mémoire vive (RAM) et la mémoire morte (ROM). La
mémoire vive ou mémoire à accès sélectif est volatile. Lorsque
le courant est coupé, tout ce qui a été placé en mémoire vive est
effacé. Ainsi, un programme chargé, à partir d'une disquette
souple, dans la mémoire vive interne d'un ordinateur afin de
préparer une déclaration d'impôt disparaîtrait de la mémoire
interne de l'ordinateur si l'on coupait le courant; il en serait de
même des montants de revenus ou des calculs d'impôt qu'on
aurait pu obtenir en utilisant le programme. La mémoire morte
(ROM), d'autre part, est de nature permanente, et tout ce qui
est emmagasiné dans celle-ci n'est pas effacé lorsque le courant
est coupé. La différence entre les deux types de mémoire
s'explique ainsi: alors que les huit transistors de la mémoire vive
peuvent basculer en position allumée ou éteinte (c'est-à-dire
représenter soit un un ou un zéro, selon les instructions du
programme ou les données qui y sont emmagasinées), les
transistors des cellules mémoire des microplaquettes de
mémoire morte (ROM) ont été «brûlés» et donc structurés de
façon permanente de façon à ne transmettre qu'un seul ensem
ble d'instructions. Voilà pourquoi la mémoire morte peut seule-
ment être «lue»; il est impossible d'écrire d'autres informations
sur celle-ci, contrairement au cas de la mémoire vive.
Les microplaquettes dont il est question en l'espèce
sont des microplaquettes ROM. Le juge de pre-
mière instance a poursuivi, aux pages 11 et 12
C.P.R.:
Lorsqu'un programmeur ou un fabricant d'ordinateurs désire
que le programme soit inscrit sur une mémoire morte (ROM),
il expédie une copie du programme en langage machine (hexa-
décimal ou binaire) à un fabricant de mémoires mortes
(ROM). Le fabricant de mémoires mortes (ROM) Apple II a
aussi exigé que le programme soit fourni sur au moins deux
supports différents (soit un ruban de papier perforé et une
disquette souple) pour en faciliter la vérification. Une combi-
naison est alors inscrite dans les cellules de mémoire de la
microplaquette par un processus photolithographique qu'il n'est
pas nécessaire de décrire en détail aux fins des présents motifs.
La combinaison créée dans la microplaquette de la mémoire
morte (ROM) correspond à la combinaison binaire du pro
gramme écrit. Ainsi, la microplaquette est structurée de telle
sorte qu'elle puisse reproduire le programme ou une partie de
celui-ci dans sa forme de code électrique comme cela est
nécessaire, chaque fois qu'un courant électrique passe [à la
boîte aux lettres] appropriée de la mémoire morte (ROM).
Après avoir traité des autres composantes de
l'ordinateur et rejeté l'argument que les program
mes en cause n'étaient que de simples spécifica-
tions pour les pièces d'une machine, le juge de
première instance a conclu, à la page 16 C.P.R.:
... le programme ... garde encore ce caractère à l'intérieur de
l'ordinateur. Il peut être «extrait» de la mémoire morte ou lu
chaque fois que cela est nécessaire. Un programme «désassem-
bleur» est souvent utilisé à cette fin. Ainsi, la version en code
hexadécimal des programmes Autostart ROM et Applesoft
peut facilement être affichée à l'écran de contrôle ou reproduite
sur papier s'il y a «lecture» directe de celle-ci à partir des
microplaquettes respectives. De plus, cette forme hexadécimale
du programme peut subséquemment être convertie en sa ver
sion en langage d'assemblage du code source original sans
grande difficulté.
Finalement, il vaut la peine de noter, en ce qui a
trait aux faits, que les programmes n'ont pas été
copiés sous leur forme écrite, bien que l'on ait
admis les avoir copiés en très grande partie; ils ont
plutôt été copiés directement à partir des micropla-
guettes au moyen d'un procédé permettant la pro
duction de microplaquettes en grande partie iden-
tiques aux microplaquettes originales.
LES QUESTIONS EN LITIGE
Les appelants fondent leur opposition au juge-
ment porté en appel sur les motifs suivants:
1. Le rejet de la prétention que les programmes en
langage machine constituaient simplement des ins
tructions relatives à la fabrication des micropla-
guettes était incompatible avec toute la preuve
ainsi qu'avec une conclusion de fait précédemment
tirée par le juge de première instance.
2. Le juge de première instance a commis une
erreur de droit en concluant que le langage
machine, qu'il soit binaire ou hexadécimal, consti-
tue une «traduction» du langage d'assemblage au
sens de l'alinéa 3(1)a).
3. Le juge de première instance a commis une
erreur de droit en concluant que les programmes
inscrits sur les microplaquettes constituent au sens
du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d'auteur
des reproductions des programmes machines dans
leur version écrite et, en particulier, en concluant
que le paragraphe 3(1) n'exige pas d'une reproduc
tion qu'elle se présente sous une forme lisible par
l'homme.
4. Le juge de première instance a commis une
erreur de droit en concluant que les microplaquet-
tes des appelants constituaient des organes portant
atteinte à un droit d'auteur au sens de l'alinéa
3(1)d).
1. LE CODE MACHINE NE CONSTITUE QU'UNE
SÉRIE DE SPÉCIFICATIONS RELATIVES À LA
FABRICATION D'UNE MICROPLAQUETTE
Cette objection ne m'apparaît réellement pas
aider la cause des appelants. En fait, il ne m'appa-
raît pas que la prétention visée ait été rejetée.
La conclusion contraire précédente sur laquelle
on s'appuie est la conclusion précitée tirée de la
page 11 du recueil publiant le jugement, qui décrit
la manière dont la copie en langage machine d'un
programme est utilisée dans la fabrication d'une
microplaquette ROM. J'ai été incapable de trou-
ver dans le jugement de première instance une
conclusion selon laquelle la version en langage
machine d'un programme machine sert à autre
chose qu'à faciliter l'inscription matérielle du pro
gramme sur une microplaquette, un disque, une
bande ou un autre support. Cette étape est essen-
tielle à l'utilisation du programme par un ordina-
teur, et, à ce que j'ai appris, la rédaction initiale du
programme avait pour seul objet une telle
utilisation.
La question en jeu, telle que l'énonce avec préci-
sion et, à mon avis, de manière exacte, le juge de
première instance aux pages 180 C.F.; 19 C.P.R.:
... se résume à la question suivante: un programme informati-
que qui provient d'un texte écrit, dans le sens normal et
habituel de ces termes, mais qui a une dimension (comme cela
ressort des faits susmentionnés) qui n'est pas traditionnellement
liée à ces textes, continue-t-il d'être protégé par le droit d'au-
teur lorsqu'il ... est inscrit dans un dispositif conçu pour
fournir une réplique de ce code.
Je ne puis voir comment une telle objection est
pertinente à la question prémentionnée. Il n'est pas
allégué que le droit d'auteur dans la version en
langage machine des programmes ait été violé. Les
appelants n'ont pas fabriqué leurs microplaquettes
en se fondant sur les instructions du langage
machine. Aucune analogie ne peut être établie
entre la situation en l'espèce et celle mettant en jeu
la recette de tourte au lapin de Mme Beaton.
2. LE LA NGAGE MACHINE N'EST PAS UNE
TRADUCTION
Le juge de première instance, avec raison, a
écarté comme non pertinent le fait que la conver
sion d'un programme d'un langage ou d'un code
machine à un autre est appelée [TRADUCTION]
«traduction» dans le jargon de la programmation
informatique. Elle a, toutefois, conclu que la con
version des programmes en cause du langage d'as-
semblage dans lequel ils avaient été initialement
écrits en langage machine hexadécimal constituait
une traduction au sens de l'alinéa 3(1)a).
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur»
désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une
œuvre, ou - une partie importante de celle-ci, sous une forme
matérielle quelconque ... ; ce droit comprend, en outre, le droit
exclusif
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une tra-
duction de l'œuvre;
En tirant une telle conclusion, elle a été influencée
par l'analogie existant entre la conversion d'un
texte en code morse ou en langage sténographique
et la définition du terme anglais «translation»
(«traduction»). Concernant cette dernière question,
elle a dit aux pages 181 C.F.; 20 C.P.R.:
... je constate que le terme anglais «translation» est défini
comme suit dans The Concise Oxford Dictionary (6° éd., 1976):
[TRADUCTION] Exprime le sens (d'un mot, d'une phrase,
d'un discours, d'un livre, d'un poème, ...) dans une autre
langue, ou dans une autre forme de représentation... [C'est
moi qui souligne.]
La conversion d'un code à un autre est manifestement visée par
cette définition.
Il est axiomatique que le droit d'auteur protège
l'expression d'une idée mais non l'idée exprimée.
Ce principe a été énoncé par le président Thorson
dans la décision rendue dans l'affaire Moreau,
Alfred v. St. Vincent, Roland, [1950] R.C.E. 198,
à la page 203.
[TRADUCTION] Je crois qu'un principe élémentaire du droit
relatif aux droits d'auteur veut qu'il n'existe aucun droit d'au-
teur sur les idées mais seulement sur la présentation qu'on en
donne. Juridiquement, l'auteur ne jouit d'aucun monopole ni
droit de propriété sur l'usage des idées dont il se sert, même si
elles sont originales. Son droit d'auteur se limite à l'oeuvre
littéraire qui est l'expression de ses idées. Celles-ci sont du
domaine public, mais l'ceuvre littéraire lui appartient person-
nellement. N'importe qui peut adopter et utiliser à volonté ses
idées mais nul ne peut plagier son œuvre sans son
consentement.
Cette déclaration a été approuvée expressément
par la Cour suprême du Canada dans l'affaire
Cuisenaire v. South West Imports Limited, [1969]
R.C.S. 208, aux pages 211 et suivantes.
Le sens d'un mot, d'une phrase, d'un discours,
d'un livre ou d'un poème, pour employer les exem-
ples figurant dans la définition de dictionnaire qui
précède, est l'idée qu'il ou qu'elle exprime. Il s'en-
suit que, pour les fins de la Loi sur le droit
d'auteur, le terme anglais «translation» («traduc-
tion») ne peut constituer l'expression d'un tel sens
sous «une autre forme de représentation».
En ce qui a trait aux analogies, le juge de
première instance a poursuivi aux pages 182 C.F.;
20 et 21 C.P.R.:
On peut tirer une analogie de la conversion d'un texte en
code morse. Si une personne se met à convertir un texte en une
série de points et de traits selon le code morse, il serait possible
d'alléguer que la notation qui en résulte consiste en réalité en
des instructions adressées au télégraphiste sur la façon de
transmettre le message. Mais, à mon avis, le message écrit en
code morse conserve toujours le caractère de l'oeuvre originale.
Il ne s'agit pas d'une œuvre littéraire différente. De même, on
pourrait décrire un texte écrit en sténographie comme une
description des sons du texte si celui-ci était lu à haute voix
(puisque la sténographie est fondée sur la phonétique); mais
cela n'en ferait pas une œuvre littéraire différente de la version
manuscrite.
Je suis d'accord avec le juge de première instance
pour dire que la conversion d'un texte en code
morse ou en sténographie ne produit pas une
oeuvre littéraire distincte et que. le texte ainsi
converti conserve le caractère de l'eeuvre originale.
Une telle conclusion n'implique toutefois pas que
la conversion ainsi faite soit une traduction pour
les fins de la Loi. Une personne connaissant le
code morse ou le système sténographique utilisé
qui lirait à voix haute la version résultant de la
conversion réciterait le texte original mot à mot.
J'estime qu'une telle conversion ne constitue pas
une traduction au sens de la Loi sur le droit
d'auteur. Il s'agit plutôt d'une reproduction de
l'original, et le droit à l'établissement d'une telle
reproduction appartenait, lui aussi, en exclusivité
au titulaire du droit d'auteur protégeant l'original.
Le succès de cette opposition des appelants
n'aide cependant pas leur cause.
3. LES MICROPLAQUETTES NE CONSTITUENT
PAS DES REPRODUCTIONS
L'argument en l'espèce veut que les programmes
inscrits sur les microplaquettes d'ordinateur ne
soient aucunement des reproductions d'une oeuvre
littéraire dans laquelle subsisterait le droit d'au-
teur des intimées et que, subsidiairement, même si
ceux-ci constituaient des reproductions au sens
ordinaire, ils ne constitueraient pas des reproduc
tions selon le contexte de la Loi sur le droit
d'auteur puisqu'ils ne se présentent pas sous une
forme lisible par l'homme. L'argument fondamen-
tal qui nous est soumis semble s'appuyer en grande
partie sur les jugements rendus par la majorité de
la High Court of Australia dans l'affaire Compu
ter Edge Pty Ltd y Apple Computer Inc (1986),
65 ALR 33, une décision qui a été publiée une fois
rendu le jugement porté en appel. Mon collègue le
juge MacGuigan, dans ses motifs de jugement en
l'espèce, a distingué les faits en cause dans cet
arrêt de ceux de la présente affaire et je souscris
entièrement à l'opinion qu'il a émise sur ce point.
Bien que je ne sois pas d'accord pour dire que les
programmes inscrits sur les microplaquettes ROM
peuvent être considérés comme des traductions au
sens de la Loi sur le droit d'auteur, ils peuvent
être considérés comme des reproductions des pro
grammes originaux et, s'ils le sont, le résultat est le
même: le droit exclusif de reproduire ces program
mes, comme le droit de les traduire, appartenait
aux intimées.
Il est clair que le juge de première instance s'est
fondée en l'espèce sur la prémisse voulant que la
reproduction à l'égard de laquelle un droit d'au-
teur était réclamé et une violation alléguée était
constituée de l'ensemble des circuits statiques des
microplaquettes, non de la suite dynamique des
impulsions électriques dictées ou permises par cet
ensemble de circuits. Cette manière d'aborder la
question me semble trouver un appui logique dans
les motifs prononcés en l'espèce par mon collègue
le juge MacGuigan, qui souligne, relativement à
un contexte différent il est vrai, que les program
mes originaux qui avaient fait l'objet d'un droit
d'auteur étaient, «si l'on peut dire, des oeuvres à
l'état statique, non des programmes en exploita
tion» et que «l'activité se déroulant dans un ordina-
teur en exploitation part de 1'[unité centrale de
traitement], non des microplaquettes de mémoire,
et [qu']on ne peut percevoir le fonctionnement de
1'UCT en examinant ces dernières». Je crois que le
juge de première instance a eu raison d'aborder
cette question comme elle l'a fait et, avec défé-
rence, je suis d'avis que la distinction ainsi établie
a des conséquences juridiques. Bien que n'ayant
pas à analyser cette question plus avant, j'observe-
rais que, eût-il été conclu que l'objet du droit
d'auteur allégué s'étendait à la série dynamique
d'impulsions électriques, la question de savoir si le
droit d'auteur n'était réclamé qu'à l'égard de la
«recette» ou visait la «tourte au lapin» elle-même
pourrait se poser très concrètement.
L'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur
accorde au titulaire du droit d'auteur « ... le droit
exclusif ... de reproduire une œuvre ... sous une
forme matérielle quelconque». Le juge de première
instance a examiné la jurisprudence pertinente
ainsi que l'historique de telles dispositions législati-
ves aux pages 190 et suivantes C.F.; 27 et suivan-
tes C.P.R. de ses motifs. Il ne m'apparaît pas utile
de le faire à mon tour. Qu'il me suffise de dire
qu'elle a discuté de la décision rendue dans l'af-
faire Boosey v. Whight, [1899] 1 Ch. 836, confir-
mée par [1900] 1 Ch. 122 (C.A.), qui a conclu que
les rouleaux perforés pour pianos ne pouvaient être
considérés comme des copies contrefaites des feuil-
les de musique dont ils étaient tirés selon la loi
impériale sur le droit d'auteur en vigueur à l'épo-
que et les modifications apportées par la Loi impé-
riale de 1911 [Copyright Act, 1911, 1 & 2 Geo. V,
chap. 46 (R.-U.)], dont le libellé, à toutes fins
pratiques, est reproduit tel quel aux articles 3 et 4
de la Loi canadienne actuelle. Je souscris entière-
ment à sa conclusion tirée aux pages 193 C.F.; 29
C.P.R. selon laquelle:
...les premiers mots du paragraphe 1(2), devenu l'article 3 de
la Loi, ont été rédigés intentionnellement de façon assez géné-
rale pour comprendre les technologies nouvelles qui n'avaient
pas encore été conçues au moment de l'adoption de la Loi.
et à sa conclusion tirée aux pages 194 C.F.; 30
C.P.R. selon laquelle:
... le programme des demanderesses, inscrit sur une micropla-
quette ROM, est nettement visé par les premiers mots de
l'article 3 de la Loi. Il s'agit véritablement de la production ou
de la reproduction de l'ceuvre sous une forme matérielle ...
Rien dans la Loi n'exige expressément qu'une
reproduction prenne une forme lisible par l'homme
pour être protégée par un droit d'auteur ou pour
porter atteinte à un droit d'auteur. La question,
dans la mesure où elle a été soulevée dans la
jurisprudence postérieure à l'entrée en vigueur de
la loi impériale de 1911, semble avoir été tranchée
dans un contexte relatif à la preuve. Comme le
juge de première instance, je suis très impressionné
par l'observation faite par le vice-chancelier
Megarry dans l'affaire Thrustcode Ltd. v. W.W.
Computing Ltd., [1983] F.S.R. 502 (Ch.D.), à la
page 505:
[TRADUCTION] Dans le cas des ordinateurs, comme pour bien
d'autres choses, il faut comparer la chose apparemment copiée
et celle qui est censée avoir été contrefaite. Si ces deux choses
sont invisibles, elles doivent normalement être reproduites sous
une forme visible ou perceptible de quelque façon, avant que
l'on puisse déterminer si l'une d'elles est contrefaite.
En résumé, j'estime que les programmes
machine Autostart ROM et Applesoft des intimées
qui se trouvaient inscrits sur leurs microplaquettes
ROM constituaient des reproductions des pro
grammes machine écrits en langage d'assemblage
dans lesquels il est reconnu que leur droit d'auteur
a subsisté. Les appelants ont copié ces reproduc
tions et ainsi porté atteinte au droit d'auteur des
intimées protégeant les programmes en cause.
4. LES MICROPLAQUETTES, DES ORGANES
PORTANT ATTEINTE AU DROIT D'AUTEUR
Le juge de première instance a conclu aux pages
198 C.F.; 34 C.P.R.:
En outre, j'accorde un certain fondement à l'argument selon
lequel, peu importe l'interprétation donnée aux premiers mots
de l'article 3, la microplaquette ROM est visée par l'alinéa
3(1)d), en tant qu'organe au moyen duquel l'oeuvre peut être
débitée. Comme nous l'avons déjà affirmé, le programme peut
être exécuté sur l'écran du moniteur ou sur une impression
destinée aux êtres humains. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire
de déterminer si le fait de «débiter» le programme à I'UCT
répond aux exigences de l'alinéa 3(1)d).
Avec déférence, il m'est impossible de voir dans
l'extrait qui précède la conclusion qu'il n'était pas
nécessaire de trancher la question de savoir si les
microplaquettes ROM étaient visées par l'alinéa
3(1)d). J'y vois plutôt la conclusion que ces micro-
plaquettes étaient bel et bien visées par cet alinéa,
puisque les programmes inscrits sur celles-ci peu-
vent êtres débités au moyen d'une impression ou
par affichage; la seule question non encore réglée
serait celle de savoir si le fait que l'ceuvre soit
débitée à l'UCT suffisait à les faire entrer dans le
champ de cet alinéa. Ceci étant dit, considérant la
décision que je propose relativement au troisième
motif de contestation, je suis d'accord avec mon
collègue MacGuigan pour dire qu'il n'est pas
nécessaire de trancher cette question.
CONCLUSION
Conformément au sous-alinéa 52b)(1) de la Loi
sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10], je modifierais les jugements prononcés
par la Division de première instance en limitant à
Apple Computer, Inc. les redressements accordés
et je rejetterais par ailleurs les appels avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Les appelants ont, pour
employer une expression du langage courant,
piraté deux programmes machines utilisés par les
intimées dans leur ordinateur Apple II+. Il est
avéré que les programmes en question, lorsque
écrits, comme ils l'étaient à l'origine, à l'aide de
lettres, de symboles et de chiffres connus sous le
nom de code d'assemblage 6502, étaient des
oeuvres littéraires originales protégées par le droit
d'auteur, et il est avéré que le droit d'auteur dans
ces oeuvres appartient à l'intimée Apple Computer,
Inc. Les appelants n'ont cependant pas copié les
programmes écrits en code d'assemblage. Ils n'ont
copié aucun écrit. Ce qu'ils ont fait, c'est repro-
duire, apparemment par des moyens mécaniques,
l'ensemble des circuits électriques d'une micropla-
guette de silicium dans laquelle, par la magie de
l'ordinatique, les programmes se trouvent inscrits.
La question en litige est celle de savoir si les
appelants ont violé le droit d'auteur des intimées
sur les programmes du code d'assemblage.
Le juge Reed, de la Division de première ins
tance, a répondu à cette question par l'affirmative.
Ses motifs de jugement étudient cette question de
façon à la fois complète et approfondie. Je souscris
de façon générale aux conclusions du juge de
première instance, mais tout en reconnaissant
l'érudition dont ses motifs font montre, j'arrive à
de telles conclusions au terme d'un cheminement
quelque peu différent du sien.
La difficulté principale que j'ai rencontrée en
l'espèce procède du caractère anthropomorphique
de presque tout ce qui est pensé, dit ou écrit au
sujet des ordinateurs. Des mots tels «langage»,
«mémoire», «comprendre», «instruction», «lire»,
«écrire», «directive» et bien d'autres comme ceux-ci
sont constamment utilisés. Ce sont des mots qui,
selon leur sens premier, s'appliquent à des êtres
cognitifs. Les ordinateurs ne sont point cognitifs.
Les métaphores et analogies que nous utilisons
pour décrire leurs différentes fonctions ne demeu-
rent que des métaphores et des analogies.
Un ordinateur est un système hautement com-
plexe de circuits électriques miniaturisés et inter
connectés. Le génie particulier de cette invention
tient au fait qu'un circuit électrique ne pouvant
être qu'«allumé» ou «éteint», et une correspondance
pouvant être établie entre ces deux états et les
chiffres 0 et 1 de la notation binaire, toute fonction
mathématique et tout code susceptibles d'être
énoncés suivant un mode binaire peuvent être exé-
cutés ou appliqués et mis en mémoire. La seule
limite rencontrée, celle du nombre des circuits
distincts qui peuvent être connectés les uns aux
autres et logés à l'intérieur de la machine, est
physique.
En conséquence, un programme machine, quelle
que soit sa forme originale et quel que soit son
objet, doit en dernière analyse pouvoir être réduit à
un code capable d'être énoncé suivant une notation
binaire. En termes simples, la personne assise
devant le clavier d'un ordinateur qui appuie sur la
lettre «a» ne déclenche pas mécaniquement (avec
ou sans l'aide de l'électricité) le mouvement d'une
tige à caractère; cette personne relie plutôt entre
eux une série de circuits électriques dont l'état
correspond au chiffre de la notation binaire auquel
a été attribuée arbitrairement la lettre «a» lesquels
circuits, à leur tour, produiront ultimement l'affi-
chage de la lettre «a» sur l'écran de contrôle ou
l'impression de cette lettre.
Les programmes dont il est question en l'espèce,
respectivement appelés Autostart ROM et Apple-
soft, sont désignés sous le nom de programmes du
système d'exploitation. Leur rôle consiste en
grande partie à contrôler et à gérer les opérations
internes de l'ordinateur lui-même. Ceci explique
l'intérêt des appelants à les copier précisément. Il
existe un nombre virtuellement illimité de maniè-
res dont les ordinateurs des appelants comme ceux
des intimées peuvent être programmés pour exécu-
ter les fonctions faisant l'objet des programmes
dont il est question en l'espèce. L'acheteur des
ordinateurs des appelants ne sera cependant en
mesure d'employer la plupart des nombreux logi-
ciels disponibles qui ont été spécifiquement conçus
pour être utilisés avec les machines des intimées
que si les programmes du système d'exploitation de
l'ordinateur acheté sont identiques en substance à
ceux des appelants.
Ainsi que je l'ai déjà indiqué, les deux program
mes ont initialement été écrits en code d'assem-
blage. Normalement, un tel code, parce qu'il uti
lise des éléments mnémotechniques, entretient des
liens perceptibles avec le langage ordinaire. Pour
prendre un exemple donné par le juge de première
instance, l'indication LDY du code d'assemblage
signifie «load index y with memory» (charger le
registre d'index y avec la mémoire). Les program
mes écrits en code d'assemblage ont alors été
transposés en code machine. Ce dernier étant un
code que la machine peut «lire», il doit, comme
nous l'avons déjà expliqué, être exprimé en nota
tion binaire.
La conversion de la description en langage ordi-
naire de la fonction en langage de code d'assem-
blage et la conversion effectuée à partir de ce
dernier langage en code machine constituent des
fonctions purement arbitraires, tenant beaucoup
de la conversion de l'alphabet en code morse: une
clé de code est appliquée à la source pour produire
une version codée.
Par contre une conversion supplémentaire est
souvent effectuée pour des fins de commodité: le
code machine écrit selon la notation binaire est
transposé en notation hexadécimale (fondée sur le
chiffre 16). Cette conversion d'un système de nota
tion à un autre est purement arithmétique. Elle est
seulement effectuée parce qu'il est plus facile et
moins fastidieux aux humains de lire et d'écrire en
notation hexadécimale. C'est toutefois sous leur
forme binaire que les programmes ont été et se
trouvent transformés en une série de circuits élec-
triques allumés et éteints inscrits sur une micropla-
quette de silicium. La question peut donc être
reformulée comme étant celle de savoir si les appe-
lants, en copiant les microplaquettes de l'intimée,
ont violé le droit d'auteur protégeant les deux
programmes visés.
Le droit d'auteur est un droit accordé par une
loi. Il existe seulement en vertu de la Loi sur le
droit d'auteur'. Comme l'a déclaré le juge Estey
au nom de la Cour dans l'arrêt Compo Company
Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1
R.C.S. 357, aux pages 372 et 373:
... le droit d'auteur n'est pas régi par les principes de la
responsabilité délictuelle ni par le droit de propriété mais par
un texte législatif. Il ne va pas à l'encontre des droits existants
en matière de propriété et de conduite et il ne relève pas des
droits et obligations existant autrefois en common law. La loi
concernant le droit d'auteur crée simplement des droits et
obligations selon certaines conditions et circonstances établies
dans le texte législatif.
Les droits du titulaire d'un droit d'auteur se
trouvent exposés de façon succincte au paragraphe
3(1) de la Loi sur le droit d'auteur.
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur»
désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une
oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme
matérielle quelconque, d'exécuter ou de représenter ou, s'il
s'agit d'une conférence, de débiter, en public, et si ('oeuvre n'est
pas publiée, de publier l'ceuvre ou une partie importante de
celle-ci; ce droit comprend, en outre, le droit exclusif
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une tra-
duction de l'ceuvre;
b) s'il s'agit d'une oeuvre dramatique, de la transformer en
un roman ou en une autre oeuvre non dramatique;
c) s'il s'agit d'un roman ou d'une autre oeuvre non dramati-
que, ou d'une oeuvre artistique, de transformer cette oeuvre
en une oeuvre dramatique, par voie de représentation publi-
que ou autrement;
d) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique ou musicale,
de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film
' S.R.C. 1970, chap. C-30.
cinématographique ou autres organes quelconques, à l'aide
desquels l'oeuvre pourra être exécutée ou représentée ou
débitée mécaniquement;
e) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou
artistique, de reproduire, d'adapter et de présenter publique-
ment l'ouvrage par cinématographie, si l'auteur a donné un
caractère original à son ouvrage. Si ce caractère original fait
défaut, la production cinématographique jouit de la protec
tion accordée aux oeuvres photographiques;
J) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou
artistique, de transmettre cette oeuvre au moyen de la
radiophonie;
le droit d'auteur comprend aussi le droit exclusif d'autoriser les
actes mentionnés ci-dessus.
Le juge de première instance a découvert dans le
texte qui précède différentes voies subsidiaires con-
duisant à sa conclusion que les microplaquettes des
appelants portaient atteinte au droit d'auteur des
intimées sur les programmes du code d'assem-
blage. Toutes ces voies me posent, à des degrés
différents, des difficultés.
En premier lieu, je ne puis accepter, comme
semble l'avoir fait le juge de première instance,
que les microplaquettes des appelants constituaient
une «traduction» des programmes des intimées, et
contrevenaient à l'alinéa 3(1)a). Selon moi, le
terme «traduction» y est utilisé dans son sens pre
mier, qui est celui de la transposition dans une
langue de quelque chose énoncé dans une autre
langue. Accorder à ce mot sa signification plus
étendue de l'expression de quelque chose à l'aide
d'un support ou au moyen d'un mode de représen-
tation différents me semble contredire le principe
fondamental que le droit d'auteur protège non pas
l'idée exprimée mais la forme de son expression.
Ce principe trouve à son tour une application dans
la règle bien connue qu'une traduction constitue
elle-même une oeuvre littéraire originale protégée
par le droit d'auteur et ce, peu importe que l'oeuvre
traduite soit, pour sa part, protégée ou non par le
droit d'auteur. La transposition d'une oeuvre litté-
raire dans un code, par exemple le morse ou le
braille, doit, à mon avis, être qualifiée de repro
duction, non de traduction, de l'oeuvre transposée.
En fait, les programmes des intimées se trouvant
exprimés selon un code à l'origine, je ne vois pas ce
qui nous justifierait de quelque manière de parler
de traduction en ce qui les concerne. Le fait que le
code machine et le code d'assemblage soient tous
deux appelés «langages» ne constitue qu'une illus
tration de plus de l'anthropomorphisme dont j'ai
fait état au début des présents motifs.
En second lieu, le juge de première instance
semble favorable à l'argument voulant que les
microplaquettes des appelants constituent des
organes à l'aide desquels l'ceuvre pourra être exé-
cutée ou représentée ou débitée mécaniquement au
sens de l'alinéa 3(1)d). Là encore, je ne puis
souscrire à sa façon de voir. L'ceuvre protégée par
le droit d'auteur, la version en code d'assemblage
des programmes, est une oeuvre littéraire. Les
termes «représentation» ou «exécution>» ou «audi-
tion» se trouvent définis à l'article 2 de la Loi
comme désignant:
2....
«représentation» ou «exécution» ou «audition» désigne toute
reproduction sonore d'une oeuvre, ou toute représentation
visuelle de l'action dramatique qui est tracée dans une oeuvre,
y compris la représentation à l'aide de quelque instrument
mécanique ou par transmission radiophonique.
Rien n'indique que les programmes en cause puis-
sent faire l'objet d'une reproduction sonore ou
contiennent une action dramatique; en fait, le con-
traire semble presque aller de soi. Concernant la
possibilité que les microplaquettes puissent être
dites capables de «débit» des programmes, le juge
de première instance, avec raison, ne s'est pas
considérée obligée de conclure en se fondant sur la
définition non exclusive du terme «débit» figurant à
l'article 2 2 que seule une conférence pouvait faire
l'objet d'un «débit». Dans le contexte de l'alinéa
3(1)d), toutefois, comme dans celui de la défini-
tion du terme «débit», je ne puis que conclure que
le terme «débitée» vise uniquement une communi
cation établie par des moyens faisant appel à
l'ouïe. Donner au terme «delivery» («débit») de la
version anglaise son sens plus courant, celui d'une
remise, conduirait à la conclusion quelque peu
étonnante que le chariot (un «organe») à l'aide
duquel me sont remis les livres de la bibliothèque
ne pourrait être fabriqué que par le titulaire du
droit d'auteur protégeant ces livres.
Finalement, et il est juste de dire que tel était le
principal fondement de sa décision, le juge de
première instance a conclu que les microplaquettes
sur lesquelles étaient inscrits les programmes
étaient des reproductions des programmes de code
d'assemblage protégés par le droit d'auteur des
intimées. Cette partie de son jugement, selon mon
interprétation, me semble reposer principalement
2 «débit», se rapportant à une conférence, comprend le débit à
l'aide d'un instrument mécanique quelconque.
sur l'interprétation des termes «sous une forme
matérielle quelconque» figurant au début du para-
graphe 3(1). Je suis d'accord pour dire que les
microplaquettes des appelants constituent de telles
reproductions mais je considère nécessaire d'expli-
quer quelque peu le cheminement selon lequel j'en
arrive à cette conclusion.
Il semblerait de prime abord évident que l'acti-
vité consistant à produire ou à reproduire une
oeuvre a nécessairement pour résultat une autre
oeuvre. Selon l'article 4 de la Loi, le droit d'auteur
ne peut exister que sur des oeuvres littéraires,
dramatiques, musicales ou artistiques. Les pro
grammes des intimées en code d'assemblage ne
pourraient appartenir qu'à la catégorie des oeuvres
littéraires, et il est effectivement avéré que ceux-ci
constituent de telles oeuvres.
La seule caractéristique distinctive de l'ceuvre
littéraire n'est pas sa qualité littéraire ou artistique
mais simplement le fait qu'elle est écrite ou impri-
mée. Dès 1916, moins de cinq ans après l'adoption
de la Copyright Act, 1911 du Royaume-Uni, sur
laquelle notre propre loi a été calquée, il a été dit
dans l'affaire University of London Press v. Uni
versity Tutorial Press, [ 1916] 2 Ch. 601:
[TRADUCTION] Quoique la loi ne définisse pas ce qu'est une
oeuvre littéraire, l'art. 35 [au Canada, l'art. 2] dit ce que cela
inclut; la définition n'est pas tout à fait exhaustive mais l'article
a été conçu pour montrer ce qui, entre autres choses, doit être
inclus dans la description d'une «oeuvre littéraire»: «les cartes,
diagrammes, plans, tables et compilations sont assimilées à des
`oeuvres littéraires'». Il peut être difficile de définir ce qu'est
une «oeuvre littéraire» aux termes de cette loi, mais il semble
clair que cela ne se limite pas à une «oeuvre littéraire» dans le
sens où l'on entend, par exemple, les romans de Meredith ou les
écrits de Robert Louis Stevenson. Lorsqu'on dit de ces écrits
que ce sont des oeuvres littéraires, on pense à leur qualité, à leur
style et au poli littéraire qui en ressort. La loi de 1842, qui
protégeait les «livres», protégeait par un droit d'auteur plusieurs
écrits qui n'avaient aucune prétention littéraire, ainsi: une liste
de contrats de vente enregistrés, une nomenclature de chiens
courants et des saisons de chasse, des catalogues commerciaux;
et je ne vois aucune raison de conclure qu'ont ait voulu, dans la
présente loi, restreindre les droits des auteurs. À mon avis,
l'expression «oeuvre littéraire» s'entend d'ouvrages écrits ou
imprimés, indépendamment de leur qualité ou de leur style. Le
terme «littéraire» semble être utilisé un peu comme le terme
«littérature», lorsqu'on parle de littérature politique ou électo-
rale en parlant d'un écrit ou d'un imprimé. Les copies d'examen
sont, à mon avis, des «oeuvres littéraires» aux termes de la
présente loi. (Le juge Peterson, à la page 608.) Cette déclara-
tion a été approuvée par la Chambre des lords dans l'arrêt
Ladbroke (Football) Ltd. v. William Hill (Football) Ltd.,
[1964] 1 W.L.R. 273.
Il me semble découler des propos qui précèdent
que le résultat de l'activité consistant à produire ou
à reproduire une oeuvre littéraire est nécessaire-
ment une oeuvre littéraire, c'est-à-dire un ouvrage
imprimé ou écrit.
Le problème soulevé par ce point en l'espèce est
évident. Le droit d'auteur des intimées porte sur la
version en code d'assemblage des programmes. Il
est clair que cette version est un ouvrage imprimé
ou écrit. Lorsque le programme se trouve reproduit
en notation binaire ou hexadécimale, cette version
constituée de chiffres et de lettres est également
imprimée ou écrite et, en conséquence, est une
oeuvre littéraire. Toutefois, lorsque la version en
code binaire est transposée dans les circuits électri-
ques ouverts et fermés d'une microplaquette de
silicium, cette dernière ne peut être considérée
comme une oeuvre littéraire puisqu'elle ne com-
porte rien qui soit imprimé ou écrit.
Cela signifie-t-il que la reproduction de la
microplaquette dans laquelle sont inscrits des pro
grammes ne porte pas atteinte au droit d'auteur?
Je ne le crois pas. Nous avons déjà vu que la loi
définit le droit d'auteur comme désignant, entre
autres, le droit exclusif de produire ou de repro-
duire une oeuvre sous une forme matérielle quel-
conque. J'estime qu'il est possible d'interpréter ces
termes de manière à leur faire comprendre par
déduction nécessaire le droit exclusif de produire le
support sur lequel cette oeuvre sera reproduite ou,
pour exprimer les choses autrement, le droit exclu-
sif de produire tout ce qui peut être utilisé ou être
destiné à être utilisé dans la reproduction de l'oeu-
vre visée. J'estime qu'une telle interprétation non
seulement est possible mais s'impose lorsque les
termes introductifs du paragraphe 3(1) se trouvent
replacés dans le contexte de l'ensemble de ce para-
graphe et des autres articles de la Loi sur le droit
d'auteur.
L'article 21 de la Loi m'apparaît particulière-
ment révélateur à cet égard:
21. Tous les exemplaires contrefaits d'une œuvre protégée, ou
d'une partie importante de celle-ci, de même que toutes les
planches qui ont servi ou sont destinées à servir à la confection
d'exemplaires contrefaits, sont considérés comme étant la pro-
priété du titulaire du droit d'auteur; en conséquence, celui-ci
peut engager toute procédure en recouvrement de possession ou
concernant l'usurpation du droit de propriété.
Ainsi le titulaire du droit d'auteur n'est-il pas
seulement considéré comme le propriétaire de tous
les exemplaires portant atteinte à ce droit mais
encore de toutes les planches ayant servi ou étant
destinées à servir à leur confection. À titre de
propriétaire, il se voit conférer le droit d'engager
des procédures en recouvrement de leur possession
ou de présenter une demande relativement à leur
usurpation de son droit de propriété. La seule
justification théorique possible de cette disposition
doit être que la fabrication de telles planches,
comme la confection des exemplaires contrefaits
eux-mêmes, est une activité ne pouvant être exer-
cée que par le titulaire du droit d'auteur.
La définition du terme «planche» figurant à
l'article 2 est également utile:
2....
«planche» comprend toute planche stéréotypée ou autre, pierre,
moule, matrice, cliché, transposition ou épreuve négative
servant ou destinée à servir à l'impression ou à la reproduc
tion d'exemplaires d'une oeuvre, ainsi que toute matrice ou
autre pièce à l'aide de laquelle des empreintes, rouleaux
perforés ou autres organes utilisés pour la reproduction
sonore de l'oeuvre sont confectionnés ou destinés à l'être.
Le juge de première instance a conclu sur les
faits que la microplaquette des appelants pouvait
servir à produire une version hexadécimale des
programmes des intimées sur l'écran ou dans l'im-
primante d'un ordinateur. Que les microplaquettes
soient visées ou non par la définition très étendue
du terme «planche», cette définition elle-même ren-
force l'argument voulant que le droit exclusif de
produire ou de reproduire une oeuvre comprenne le
droit exclusif de produire le support de cette
reproduction.
Référence peut également être faite à l'article
10 de la Loi:
10. À l'égard des empreintes, rouleaux perforés et autres
organes au moyen desquels des sons peuvent être reproduits
mécaniquement, le droit d'auteur dure cinquante ans à compter
de la confection de la planche originale dont l'organe est tiré
directement ou indirectement; la personne qui était le proprié-
taire de cette planche originale au moment où cette dernière a
été faite est réputée l'auteur de cet organe et lorsque le
propriétaire est une corporation constituée, celle-ci est censée,
pour les fins de la présente loi, résider dans les royaumes et
territoires de Sa Majesté, si elle y a fondé un établissement
commercial.
Ainsi la durée de validité d'un droit d'auteur
protégeant un organe court-elle à compter de la
confection de la «planche originale» et l'auteur
d'une telle planche est-il réputé l'auteur de l'or-
gane protégé par le droit d'auteur. Ici encore, la
seule justification théorique de cette disposition est
que la confection de la planche originale (qui,
peut-on noter, est distinguée de l'organe lui-même)
est une activité que seul peut exercer le titulaire du
droit d'auteur, si un tel droit existe, dans l'oeuvre
qui peut être représentée, exécutée, jouée et débi-
tée mécaniquement par l'organe en cause. Ce point
a été établi clairement dans l'arrêt Compo Com
pany Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres,
précité, où l'appelante Compo avait confectionné
des disques en utilisant une matrice fournie par
Canusa et que cette dernière avait, elle-même, fait
confectionner sans autorisation du titulaire du
droit d'auteur sur l'ceuvre musicale en question. Le
juge Estey a dit, à la page 374:
Ainsi, en fabriquant ou en faisant fabriquer par un autre la
matrice à l'aide de laquelle le moule puis le disque ont été faits,
Canusa aurait pu, si elle avait été autorisée par le titulaire du
droit d'auteur sur ]'oeuvre musicale, devenir titulaire du droit
d'auteur sur le disque. Mais elle a procédé à l'enregistrement de
l'ceuvre musicale sans autorisation. Que le titulaire du droit
d'auteur sur l'oeuvre musicale ait ou non accordé une licence
autorisant l'enregistrement de ]'oeuvre, il est évident que ce
n'est pas parce qu'elle a effectivement produit les disques, par
pressage de la matrice en acétate (qui, en l'espèce, correspond à
la planche ou matrice décrite aux art. 10 et 2 de la Loi) que
Compo a juridiquement acquis un droit d'auteur sur le disque.
Dans un tel cas, si l'enregistrement avait été autorisé, c'est le
propriétaire de la matrice au moment où elle a été faite, en
l'occurrence Canusa, qui serait titulaire du droit d'auteur sur le
disque. [Les soulignements sont ajoutés.]
Le texte de l'alinéa 17(2)6) de la Loi m'est
également de quelque utilité:
17....
(2) Ne constituent aucune violation du droit d'auteur;
b) l'utilisation, par l'auteur d'une oeuvre artistique, lequel ne
possède pas le droit d'auteur sur cette œuvre, des moules,
moulages, esquisses, plans, modèles ou études qu'il a faits en
vue de la création de cette oeuvre, à la condition de ne pas en
répéter ou imiter par là les grandes lignes.
Cet alinéa, comme tant d'autres dispositions de
cette Loi, semble être un texte ad hoc conçu pour
régler un problème particulier perçu par le législa-
teur. Cette disposition ne peut cependant se justi-
fier que si l'on adopte le point de vue que, sauf
dans les situations visées par les termes établissant
l'exception, les moyens de reproduction d'une
oeuvre appartiennent exclusivement au titulaire du
droit d'auteur sur cette oeuvre et ne peuvent être
utilisés que par celui-ci.
Finalement, je fais référence à cet égard aux
derniers mots du paragraphe 3(1) à la suite de
l'énumération figurant dans les alinéas a) à f). Il
ressort clairement de ces mots que seul le titulaire
d'un droit d'auteur peut autoriser les actes énumé-
rés dans ce paragraphe. Quiconque fabrique ou
vend au public une chose conçue pour reproduire
une oeuvre protégée par un droit d'auteur ou desti
née à cette fin autorise implicitement l'acheteur à
effectuer une telle reproduction. En l'espèce,
comme l'a conclu le juge de première instance, les
microplaquettes ROM utilisées dans l'ordinateur
des appelants pouvaient servir à reproduire les
programmes des intimées dans leur version écrite
en code hexadécimal; dans ces circonstances,
même si, contrairement à ce que j'ai suggéré, le
moyen utilisé pour la reproduction ne constitue pas
par lui-même une reproduction au sens du para-
graphe 3(1), l'autorisation implicite visant la
reproduction porte atteinte au droit d'auteur.
Je déciderais de l'appel ainsi que le propose M.
le juge Mahoney.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Les présentes affaires,
qui ont été débattues ensemble, concernent le droit
d'auteur sur des programmes machine inscrits sur
des microplaquettes de silicium.
Il est avéré que les intimées sont titulaires d'un
droit d'auteur enregistré sur deux programmes,
Autostart ROM (enregistrement n° 319465) et
Applesoft (enregistrement n° 319468), qui ont été
enregistrés le 8 octobre 1982, et que ces program
mes, tels qu'ils se trouvent enregistrés, constituent
des oeuvres littéraires susceptibles d'être protégées
par le droit d'auteur. Il est également avéré que les
appelants ont copié les deux programmes en cause.
L'on soutient toutefois que de tels programmes,
lorsqu'ils se trouvent inscrits sur des microplaquet-
tes de silicium, ne peuvent faire l'objet d'un droit
d'auteur. La question en litige est donc celle de
savoir s'il existe un droit d'auteur sur des program
mes machine se présentant d'une telle manière.
* * *
Un ordinateur est un système complexe de circuits
électriques intégrés et interconnectés. Il se com-
pose d'une plaquette dans laquelle ont été insérés
ou soudés un certain nombre de composants élec-
troniques communiquant entre eux au moyen de
traces (appelées [TRADUCTION] «bus» Ou [TRA-
DUCTION] «fils») gravées dans la plaquette. Les
principaux composants électroniques du système
sont les unités d'entrée/sortie, le microprocesseur
ou unité centrale de traitement (UCT) et la
mémoire.
La mémoire d'un ordinateur a aujourd'hui habi-
tuellement pour support les microplaquettes de
mémoire, des petites plaquettes de silicium d'envi-
ron un quart de pouce carré chacune. La mémoire
de type ROM («read only memory», [TRADUC-
TION] «mémoire morte»), dont il est question dans
les présentes affaires, ayant été gravée de façon
permanente au moyen de circuits électriques, est
structurée en permanence pour appliquer un pro
gramme particulier, qui peut ensuite être lu (par
opposition à la RAM ou mémoire vive, qui est
effacée lorsque le courant est coupé). Les circuits
de la mémoire morte sont constitués de transistors
interconnectés qui ont été construits à même le
silicium et incorporés à celui-ci. L'oeil humain ne
peut en discerner la forme qu'avec l'aide d'un
microscope électronique. Comme l'électricité ne
connaît que deux états, [TRADUCTION] «allumé» et
[TRADUCTION] «éteint», les transistors sont utilisés
comme interrupteurs relativement à ces deux états.
(Tous les circuits d'ordinateur remplissent en fait
des fonctions arithmétiques et logiques fondées
uniquement sur l'arithmétique binaire et l'algèbre
booléenne.)
L'ensemble des circuits des ordinateurs se trou-
vant ainsi limité, les programmes, pour pouvoir
être utilisés par les ordinateurs, doivent être écrits
sous la forme de la notation binaire (en utilisant
les deux chiffres «1» et «0»), ou sous quelque forme
dérivée de cette notation, telle la notation hexadé-
cimale (qui utilise les chiffres «0 à 9» ainsi que les
lettres «A à F»).
Les programmes dont il est question dans les
présentes affaires ont été écrits en langage d'as-
semblage pour être inscrits sur des microplaquettes
destinées à être intégrées à l'ordinateur Apple II+
des intimées comme instructions d'exploitation.
Ces codes d'assemblage ont été enregistrés pour les
fins du droit d'auteur par référence à leurs titres le
8 octobre 1982.
Les codes d'assemblage peuvent être qualifiés de
langage de niveau intermédiaire. Un langage plus
évolué aurait correspondu aux mathématiques ou à
l'anglais ordinaire. Pour pouvoir être inscrit sur
une microplaquette, toutefois, le langage d'assem-
blage devait être transposé dans un langage de
niveau encore moins élevé, le langage machine ou
code machine (en l'espèce, la notation hexadéci-
male).
Les programmes, tels qu'ils ont été enregistrés
pour les fins du droit d'auteur, étaient particuliers
à la machine, c'est-à-dire étaient écrits en langage
d'assemblage 6502 pour être utilisés sur une UCT
6502, qui est constituée également d'une micropla-
quette de silicium. (Chacun des types d'UCT
offerts commercialement, et il y en a une douzaine
ou plus, comporte un ensemble de circuits diffé-
rents, ce qui fait que les codes auxquels réagissent
ces différents types d'UCT sont tous distincts.) Les
programmes Autostart ROM et Applesoft sont
tous deux des programmes du système d'exploita-
tion, le premier consistant en des procédures de
lancement et le second en des procédures permet-
tant à l'utilisateur de communiquer avec l'ordina-
teur dans un langage évolué ou facile à lire.
* * *
La Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap.
30 («la Loi») prévoit à son paragraphe 4(1) que
«Sous réserve de la présente loi, le droit d'auteur
existe au Canada ... sur toute oeuvre originale
littéraire, dramatique, musicale ou artistique ...»
Les dispositions de la Loi qui se trouvent principa-
lement visées sont celles du paragraphe 3(1), qui
est ainsi libellé:
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le adroit d'auteur»
désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une
oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme
matérielle quelconque, d'exécuter ou de représenter ou, s'il
s'agit d'une conférence, de débiter, en public, et si l'oeuvre n'est
pas publiée, de publier l'oeuvre ou une partie importante de
celle-ci; ce droit comprend, en outre, le droit exclusif
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une tra-
duction de ]'oeuvre;
d) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique ou musicale,
de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film
cinématographique ou autres organes quelconques, à l'aide
desquels l'oeuvre pourra être exécutée ou représentée ou
débitée mécaniquement;
Dans une décision admirablement bien cons-
truite rapportée à [1987] 1 C.F. 173; 10 C.P.R.
(3d) 1, madame le juge Reed a conclu lors du
procès que les programmes machines codés des
intimées étaient protégés par le droit d'auteur. Elle
a énoncé le point en litige de la manière suivante
aux pages 180 C.F.; 19 et 20 C.P.R.:
Le point en litige se résume à la question suivante: un
programme informatique qui provient d'un texte écrit, dans le
sens normal et habituel de ces termes, mais qui a une dimension
qui n'est pas traditionnellement liée à ces textes, continue-t-il
d'être protégé par le droit d'auteur lorsqu'il est converti en sa
version code électrique ou, de façon plus précise en l'espèce,
lorsqu'il est inscrit dans un dispositif conçu pour fournir une
réplique de ce code.
L'argument des défendeurs selon lequel la protection du droit
d'auteur ne s'étend pas à cette forme comporte plusieurs facet-
tes: (1) la version du programme en code hexadécimal n'est pas
une traduction de la version en code source; (2) puisqu'il y a
une relation univoque entre le programme en code source et son
inscription dans la microplaquette, il y a fusion de l'idée et de
l'expression de l'idée, fusion que le droit d'auteur ne couvre pas;
(3) le libellé de la Loi sur le droit d'auteur [S.R.C. 1970, chap.
C-30] ne couvre pas les programmes informatiques sous leur
forme gravée sur microplaquettes; (4) il existe des principes
impérieux de politique appuyant le refus d'étendre la protection
du droit d'auteur en l'espèce, notamment en raison des restric
tions possibles au commerce et d'un chevauchement possible
avec la loi sur les brevets.
Elle s'est alors appliquée à traiter à la suite de
chacun des arguments des défendeurs (appelants).
Elle a conclu, en ce qui concerne l'argument relatif
à la traduction, aux pages 181 et 182 C.F.; 20 et
21 C.P.R.:
Cet argument ne me convainc pas. En premier lieu, je
constate que le terme anglais «translation» est défini comme
suit dans The Concise Oxford Dictionary (6» éd., 1976):
[TRADUCTION] Exprime le sens (d'un mot, d'une phrase,
d'un discours, d'un livre, d'un poème, ...) dans une autre
langue, ou dans une autre forme de représentation ... [C'est
moi qui souligne.]
La conversion d'un code à un autre est manifestement visée par
cette définition.
On peut tirer une analogie de la conversion d'un texte en
code morse. Si une personne se met à convertir un texte en une
série de points et de traits selon le code morse, il serait possible
d'alléguer que la notation qui en résulte consiste en réalité en
des instructions adressées au télégraphiste sur la façon de
transmettre le message. Mais, à mon avis, le message écrit en
code morse conserve toujours le caractère de l'oeuvre originale.
Il ne s'agit pas d'une oeuvre littéraire différente. De même, on
pourrait décrire un texte écrit en sténographie comme une
description des sons du texte si celui-ci était lu à haute voix
(puisque la sténographie est fondée sur la phonétique); mais
cela n'en ferait pas une œuvre littéraire différente de la version
manuscrite.
À mon avis, la conversion d'une oeuvre en code, ou la
conversion en un autre code d'une oeuvre écrite à l'origine dans
un premier code constitue une traduction pour les fins de la
Loi. De plus, comme nous l'avons souligné plus haut, le pro-
grammeur qui crée un programme ne pense pas aux spécifica-
tions de la microplaquette de mémoire morte (ROM) lorsqu'il
écrit la version en code d'assemblage, ni au moment où la
notation en code hexadécimal est préparée. Le programmeur ne
se préoccupe aucunement du support qui sera choisi pour
contenir le programme. Par conséquent, il m'est difficile d'ac-
cepter l'argument de l'avocat des défendeurs selon lequel la
forme hexadécimale du programme constitue une oeuvre litté-
raire différente et non une traduction de l'original.
Quand à l'argument selon lequel le droit d'au-
teur ne s'étendrait pas aux programmes machine
parce que celui-ci protège l'expression d'une idée
plutôt que l'idée elle-même, et un programme
machine inscrit sur une plaquette ROM serait la
fusion de ces deux choses, elle a conclu aux pages
185 190 C.F; 23 à 27 C.P.R.:
Le programme, tel qu'il a été écrit originalement, peut être
protégé par le droit d'auteur. En fait, il y a eu copie—le code
qu'on peut lire à partir des microplaquettes des défendeurs est
le même que celui qu'on peut lire sur les microplaquettes des
demanderesses ... Le programme informatique, une fois écrit,
est nettement une oeuvre littéraire. De plus, son inscription sur
une microplaquette de silicium conserve la forme d'expression
de l'oeuvre originale. Le programme, dans sa version code
source, peut être extrait (lu) par un processus de traduction(s)
à partir de la microplaquette ROM.
L'avocat prétend qu'en reproduisant ROM, les défendeurs ne
font pas plus que suivre la recette prescrite dans le programme,
c'est-à-dire qu'ils ont simplement fait la tourte au lapin de
Mme Beeton. À mon avis, il serait plus exact de dire qu'ils ont
copié le livre de recettes.
Que dire donc de l'argument de l'avocat selon lequel un
programme informatique présente une fusion de l'idée et de
l'expression de cette idée et par conséquent ne peut être protégé
par le droit d'auteur? Il m'est très difficile d'accepter cet
argument pour plusieurs raisons. Premièrement, si cet argu
ment est valable, il est difficile de comprendre pourquoi il a été
admis que la version code d'assemblage du programme peut
être protégée par le droit d'auteur. S'il y a fusion de l'idée et de
l'expression, alors elle doit sûrement exister non seulement dans
la version code machine du programme mais également dans la
version écrite du code d'assemblage. Deuxièmement, la portée
précise du principe (s'il existe) selon lequel en cas de fusion de
l'idée et de son expression, la protection du droit d'auteur ne
s'applique pas, n'est pas du tout claire. Troisièmement, la
preuve qu'il existe une multitude de formes d'expression pour
écrire un programme donné me semble démontrer qu'il n'y a
pas de fusion de l'idée et de l'expression de cette idée en ce qui
concerne les programmes en cause.
Les exemples donnés à l'appui de l'application du principe de
fusion sont des formules telles que E = mc 2 , le théorème de
Pythagore, ou diverses preuves algébriques. Il se peut que ces
exemples démontrent simplement que l'idée particulière qui est
exprimée est en vérité un renseignement sur le monde extérieur
(en reconnaissant que E = mc 2 est en effet une hypothèse) et
que les renseignements basés sur des faits sont quelque chose
que le droit d'auteur ne protège pas. À mon avis, il y a analogie,
par exemple, entre une déclaration comme «le premier ministre
du Canada a rencontré le président des États-Unis le 17 mars»
et «le carré de l'hypoténuse dans un triangle rectangle est égal à
la somme des carrés des deux autres côtés». Aucune de ces
phrases en tant que telle, extraites d'un texte où elles peuvent
figurer, ne pourrait être protégée par le droit d'auteur. L'exem-
ple des preuves algébriques conduit, il me semble, à une
discussion quasi philosophique sur la nature de la pensée intel-
lectuelle. C'est une discussion qu'une cour, d'instance supé-
rieure à la présente, peut juger nécessaire mais que je trouve
suffisante en elle-même en constatant qu'un programme infor-
matique n'est semblable à aucun des exemples cités. Il ne s'agit
pas d'une déclaration qui rend compte d'un fait. Ce n'est pas
comparable à une preuve algébrique. C'est une création au
même titre qu'un manuel. Bien que le droit d'auteur n'empêche
pas une personne de faire la tourte au lapin de M"'° Beeton (en
fait, c'est pour inviter les gens à la faire que le livre intitulé
Mrs. Beeton's Book of Household Management a été publié), il
empêche la personne de copier le livre lui-même. L'ordre dans
lequel les recettes sont données, la forme et l'expression de ces
dernières sont à proprement parler l'objet du droit d'auteur.
Cet ordre, cette forme, ce modèle d'expression du programme
des demanderesses se trouvent dans ROM et ils sont copiés
lorsque les défendeurs copient ROM.
Une autre application du principe de fusion a prévalu aux
États-Unis et il convient de l'examiner. Cette application
semble avoir pris son origine dans l'affaire Baker v. Selden, 101
U.S. 99 (1879), citée dans plusieurs décisions rendues au
»commonwealth» mais sans cependant retenir la portée globale
de l'affaire Baker v. Selden. Celle-ci portait sur le droit d'au-
teur revendiqué à l'égard d'un livre qui décrivait un nouveau
système de comptabilité et en particulier de nouvelles formules
de comptabilité (consistant en certaines lignes et titres souli-
gnés). La Cour a statué que l'emploi du livre par le défendeur
et la mise au point de formules propres à lui ne portaient pas
atteinte au droit d'auteur du demandeur, c'est-à-dire qu'il n'y
avait pas de plagiat substantiel. Mais la Cour est allée plus loin
en faisant une distinction entre les œuvres de science ou
d'instruction et les autres types d'oeuvres. Elle a affirmé ce qui
suit: lorsque la technique utile ne peut être employée qu'en
utilisant les formules ou les schémas qui ont servi à l'expliquer,
ces derniers ne sont pas protégés par le droit d'auteur.
La Cour a donc établi un principe bien plus large que ne
l'imposait le contexte; elle a affirmé que les formules dans le
livre n'étaient pas protégées par le droit d'auteur.
Il me semble que cette évolution de la loi sur le droit d'auteur
n'a pas été suivie au Canada. En effet, le rejet de cette
évolution semble implicite dans la décision rendue par la Cour
d'appel dans l'affaire Bulman Group (The) Ltd. c. Alpha
One -Write Systems B.C. Ltd. et autre (1981), 54 C.P.R. (2d)
179, et dans la décision subséquente de la Division de première
instance Bulman Group Ltd. (The) c. «One Write» Accounting
Systems Ltd., [1982] 2 C.F. 327; 62 C.P.R. (2d) 149. Dans ces
deux affaires, il était question de la possibilité de protéger des
formules comptables par le droit d'auteur. La revendication du
droit d'auteur pour de telles formules avait été rejetée par la
Division de première instance à la suite d'une demande d'in-
jonction interlocutoire. La Cour d'appel a infirmé cette décision
en indiquant que l'affaire était très contestable. À la suite de
l'instruction, il a été statué qu'il y avait droit d'auteur (il n'y
eut pas d'appel à la suite de cette décision).
En tout état de cause, je ne suis pas convaincu qu'il existe
une fusion de l'idée et de l'expression de cette idée dans un
programme informatique. Le fait qu'un programme peut être
écrit sous une variété de formes, que le même programmeur
n'écrirait pas le programme de la même façon deux fois de
suite, que le support pour inscrire ce programme n'est pas d'une
grande importance pour le programmeur, tout cela indique que
pour les programmes informatiques, on ne peut faire exception
à la protection du droit d'auteur en invoquant le principe de
fusion (s'il existe).
Au sujet de l'argument fondé sur la loi, elle a
conclu aux pages 194 198 C.F.; 30 34 C.P.R.:
À mon avis, le programme des demanderesses, inscrit sur une
microplaquette ROM, est nettement visé par les premiers mots
de l'article 3 de la Loi. Il s'agit véritablement de la production
ou de la reproduction de l'ceeuvre sous une forme matérielle,
tout comme un disque ou une cassette est la production ou la
reproduction d'une ouvre sous une forme matérielle. (Je n'ou-
blie pas qu'un article distinct de la Loi porte sur le droit
d'auteur protégeant les disques.)
J'estime que le critère de la «lisibilité» ou de la «perception
visuelle» relevé dans la jurisprudence signifie simplement qu'il
doit y avoir une façon de comparer visuellement l'oeuvre appa-
remment protégée par le droit d'auteur et l'ouvre qui est censée
la contrefaire, afin de déterminer s'il y a eu plagiat. Puisque les
programmes peuvent être «lus» à partir de la microplaquette
ROM et ensuite comparés aux autres, ce critère est donc
présent en l'espèce. Je partage à cet égard l'opinion exprimée
par le juge Megarry dans Thrustcode Ltd. v. W.W. Computing
Ltd., [1983] F.S.R. 502 (Ch.D.), à la page 505:
[TRADUCTION] Dans le cas des ordinateurs, comme pour
bien d'autres choses, il faut comparer la chose apparemment
copiée et celle qui est censée avoir été contrefaite. Si ces deux
choses sont invisibles, elles doivent normalement être repro-
duites sous une forme visible ou perceptible de quelque façon,
avant que l'on puisse déterminer si l'une d'elles est
contrefaite.
Normalement ... il faudra avoir recours à des impressions ou
à une autre preuve documentaire du programme apparem-
ment copié et du programme qui est censé avoir été contre-
fait, ou de parties suffisantes de chacun.
Si je comprends bien les arguments des défendeurs, leur
avocat prétend que même s'il n'est pas nécessaire que la
reproduction elle-même puisse être lue par un être humain,
l'objet ultime de la reproduction doit être de communiquer
l'oeuvre au public. Le disque ou la cassette produit, à l'aide
d'une machine, des sons destinés à l'oreille humaine, tandis que
la principale fonction de la microplaquette ROM n'est pas la
communication de données aux humains. Comme nous l'avons
déjà affirmé, elle peut être utilisée à cette fin et dans certains
cas, elle l'est effectivement, mais ce n'est pas le principal but
visé.
À mon avis, l'article 3 lui-même répond aux arguments de
l'avocat fondés sur les circonstances entourant l'adoption de la
Loi et sur le texte précis des articles en question. L'article 3
prévoit que «"le droit d'auteur" désigne le droit exclusif de
produire ou de reproduire une oeuvre ... sous une forme
matérielle quelconque». J'estime que cela vise expressément le
programme inscrit sur la microplaquette ROM. Il n'y a rien
dans l'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur qui permette de
tirer une conclusion différente.
Je trouve l'argument basé sur l'alinéa 3(1)d) peu convain-
cant. C'est une lame à double tranchant. On peut tout aussi
bien se demander pourquoi les premiers mots de l'article 3 ont
été rédigés de façon aussi générale si le Parlement avait l'inten-
tion de ne viser que les enregistrements ou les organes produi-
sant des sons ou permettant la communication aux êtres
humains. Les renvois aux définitions ne sont pas convaincants.
Ces dernières ne servent qu'à définir un aspect particulier de la
façon dont les conférences sont débitées; il n'y a aucune défini-
tion globale de ce dernier mot. La définition de «représentation»
n'est pas pertinente puisque personne n'a suggéré qu'elle s'ap-
pliquait en l'espèce. De plus, j'ai de la difficulté à comprendre
la distinction que fait l'avocat entre les programmes produisant
quelque chose qui apparaît à l'écran et les autres (notamment
ROM). Lorsque «quelque chose» apparaît à l'écran, il ne s'agit
pas du programme (c'est-à-dire que ce n'est pas l'original ou
une version hexadécimale de celui-ci). Le programme demeure
invisible à moins d'être décomposé par un procédé de traduc-
tion semblable à celui utilisé pour «lire» ROM.
Concernant le quatrième argument, elle a
conclu qu'aucun motif de politique ne l'obligeait à
refuser d'étendre la protection du droit d'auteur à
l'espèce, aux pages 200 et 201 C.F.; 35 et 36
C.P.R.:
Quant au premier argument, la Loi sur le droit d'auteur a
toujours eu pour but de créer un certain monopole. Elle ne
contient aucune distinction relative à l'objectif visé par ]'oeuvre
créée, que ce soit le divertissement, l'enseignement ou autre. À
mon avis, la Loi avait deux buts: encourager la publication
d'oeuvres, pour «l'avancement de la science», et protéger et
récompenser les efforts intellectuels des auteurs, pendant un
certain temps. Un livre est un article offert sur le marché, tout
comme le sont une carte ou un tableau. L'interprétation faite
par les défendeurs, selon laquelle la Loi ne visait pas à influen-
cer les pratiques commerciales, est inexacte et donne à la Loi
un sens différent de celui qui ressort de son libellé.
Pour ce qui est du second argument, après lecture de la
doctrine et de la jurisprudence citées par l'avocat je conclus que
les programmes informatiques ne sont pas brevetables en soi
mais qu'un appareil ou un procédé qui répond aux normes de
nouveauté et de non-évidence prévues par la Loi sur les brevets,
S.R.C. 1970, chap. P-4, ne sera pas exclu de la protection des
brevets du simple fait qu'un ordinateur est employé pour
l'exploitation de l'appareil ou l'application du procédé. De plus,
je ne pense pas que le chevauchement de différentes lois soit si
inhatibuel (voir le domaine de la responsabilité délictuelle et
contractuelle). Je ne crois pas non plus que les tribunaux soient
tenus de rendre des décisions qui permettent d'éviter de tels
chevauchements. En outre, je remarque qu'en l'espèce, il ne
s'agit pas d'un programme à des fins spécifiques mais bien de
l'exploitation d'un ordinateur à des fins générales. Je dois
toutefois avouer que pour l'instant, je ne vois pas le besoin de
faire la distinction entre les deux. Je souligne que dans l'affaire
Thrustcode (précitée, à la page 194), le juge Megarry n'a pas
jugé bon de faire pareille distinction.
Finalement, elle s'est référée à la fois à la
tendance jurisprudentielle étrangère et à la ten-
dance canadienne à étendre la protection du droit
d'auteur dans de tels cas, aux pages 203 C.F.; 38
C.P.R.:
Dans plusieurs ressorts où les règles du droit d'auteur ne
diffèrent pas tellement des nôtres, un nombre croissant de
décisions tendent à affirmer que les programmes informatiques,
sous forme de code machine, sont protégés par le droit d'auteur
applicable dans ce ressort (Sega Enterprises Limited v.
Richards and Another, [1983] F.S.R. 73 (Ch.D.); Thrustcode
Ltd. v. W.W. Computing Ltd., précitée, aux p. 194 C.F.; 41
C.P.R.; Northern Office Microcomputers (Pty) Ltd. v. Rosens-
tein, [1982] F.S.R. 124 (S.C. Afr. du Sud); Apple Computer
Inc v Computer Edge Pty Ltd. [(1984), 53 A.L.R. 225
(C.F.)].). Cette nouvelle tendance est non seulement populaire
à l'étranger mais aussi au pays (Apple Computer Inc. v.
Computermat Inc. (1983), 1 C.I.P.R. 1 (H.C. Ont.); Apple
Computer Inc. c. Minitronics of Canada Ltd. et autres (1985),
7 C.P.R. (3d) 104 (C.F. i" inst.), confirmée à (1985), 8 C.P.R.
(3d) 431 (C.A.F.); Société (La) d'Informatique R.D.G. Inc. c.
Dynabec Ltée et al. (1984), 6 C.P.R. (3d) 299 (C.S. Qué.); F &
I Retail Systems Ltd. v. Thermo Guard Automotive Products
Canada Ltd. et al. (décision non publiée de la Cour suprême de
l'Ontario, rendue le 26 juin 1984); Logo Computer Systems
Inc. c. 115778 Canada Inc. et al. (décision non publiée rendue
par la Cour supérieure du Québec, le 25 octobre 1983); Nin-
tendo of America, Inc. c. Coinex Video Games Inc., [1983] 2
C.F. 189 (C.A.), qui traite de la question de façon accessoire;
Spacefile Ltd. v. Smart Computing Systems Ltd. et al. (1983),
75 C.P.R. (2d) 281 (H.C. Ont.).)
Le juge de première instance a très justement
analysé la tendance ayant prévalu jusque-là en
jurisprudence et, n'eût été de la décision de la
High Court of Australia dans l'affaire Computer
Edge Pty Ltd y Apple Computer Inc (1986), 65
ALR 33, qui a été publiée au cours de la semaine
qui a suivi la décision du juge de première ins
tance, il n'aurait peut-être pas été nécessaire pour
cette Cour d'ajouter quoi que ce soit à ses motifs
de jugement. Toutefois, dans l'arrêt Computer
Edge, la Cour australienne a, dans une affaire
identique, conclu à trois contre deux qu'aucune
atteinte n'avait été portée au droit d'auteur. Les
appelants, dans la plaidoirie qu'ils ont présentée
devant cette Cour, se sont appuyés fortement sur
les trois jugements rendus par les juges de la
majorité dans cette affaire, en particulier sur les
motifs prononcés par le juge Deane.
* * *
Chacun des quatre juges de la High Court austra-
lienne qui a jugé cette question a conclu que les
programmes sources ou programmes d'assemblage
pouvaient bénéficier de la protection du droit d'au-
teur. Ce point est reconnu par les appelants dans
les présentes affaires.
Le juge en chef Gibbs et le juge Brennan de la
majorité ont tous deux conclu que, selon la Copy
right Act, 1968 (Cth), n° 63 australienne, les
programmes objets inscrits dans les ROM, comme
les programmes sources, devaient être des oeuvres
littéraires et que, n'étant pas [TRADUCTION] «pré-
sentés par écrit», ils ne remplissaient pas cette
condition. Le juge Deane s'est dit d'accord avec ce
point de vue relativement aux programmes objets.
Les juges Mason et Wilson, dans leurs opinions
dissidentes, ont été d'accord pour dire que les
programmes objets devaient eux-mêmes être des
oeuvres littéraires mais se sont dit en désaccord
avec l'opinion voulant que ces programmes doivent
être présentés par écrit.
Cette Cour doit certainement considérer comme
définitive l'interprétation de la Loi australienne de
1968, qui suit la Loi anglaise de 1956 [Copyright
Act, 1956, 4 & 5 Eliz. II, chap. 74 (R.-U.)], par la
plus haute Cour de ce pays; cela ne veut cependant
pas dire que la Loi canadienne, qui, elle, s'inspire
plutôt de la Loi anglaise de 1911, devrait être
interprétée de la même manière. La Loi austra-
lienne diffère de la nôtre en établissant un ensem
ble fragmenté de droits reliés au droit d'auteur
plutôt qu'en procédant au moyen d'une déclaration
unique et complète.
Toutefois, j'estime que le principal élément dis-
tinguant les affaires en l'espèce de l'affaire Com
puter Edge est exprimé dans l'observation suivante
des juges Mason et Wilson, à la page 45:
[TRADUCTION] La question de savoir si le programme objet
est véritablement constitué de la série d'impulsions électriques
emmagasinées dans les ROM ou plutôt de la description écrite
en notation binaire ou hexadécimale n'est pas très claire.
Toutefois, la présente affaire a été instruite en tenant pour
établie la première de ces hypothèses plutôt que la seconde
. Nous avons l'intention de trancher la présente affaire sur ce
fondement puisque, devant cette Cour, aucun point n'a été
soulevé à cet égard. [Les soulignements sont ajoutés.]
Il est vrai que le juge en chef Gibbs applique sa
conclusion que les programmes objets n'étaient pas
des oeuvres littéraires à la fois à la série dynamique
d'impulsions électriques et au réseau statique des
circuits. Le juge Brennan semble cependant abor-
der cette question uniquement en fonction d'un
ordinateur en exploitation. Il dit, par exemple, aux
pages 54 et 55:
[TRADUCTION] Les charges électriques constitutives des pro
grammes objets ne peuvent être vues ou touchées ou entendues
ou, si elles le peuvent, elles ne communiquent point les lettres
de l'oeuvre littéraire originale, les programmes sources. Ces
charges électriques, d'ailleurs, ne communiquent pas non plus
les lettres ou les chiffres par lesquels un programme objet peut
être représenté ... Le langage d'assemblage 6502 n'est pas un
langage mais un code. Même si ce code était considéré comme
pouvant faire l'objet d'une «traduction» dans un autre langage,
il n'a pas été ainsi traduit: il est clair que les charges électriques
constituant les programmes objets ne forment point un langage.
Qualifier de telles charges électriques—sans doute assez utile-
ment, dans le contexte de l'ordinatique—de «langage lisible par
une machine» équivaut à confondre métaphore et réalité. La
machine ne saisit aucunement la pensée, que le langage a pour
objet essentiel de transmettre; et le fait qu'un microprocesseur
soit activé par une séquence de charges électriques de façon
prévisible n'implique pas qu'il ait compris ou exécuté un ordre
quelconque.
Le point de vue du juge Deane est encore plus
radical. Il a dit, à la page 60:
[TRADUCTION] La programmation d'une mémoire morte
(ROM) s'effectue électriquement. Cette programmation ayant
un caractère fonctionnel et n'étant point perceptible à l'oeil nu,
c'est par l'étude du fonctionnement électrique effectif et non
par l'observation visuelle que l'on pourra vérifier la program-
mation d'une ROM.
Il a ajouté, à la page 63:
[TRADUCTION] Le réarrangement des électrons dans une ROM
programmée n'est pas visible à l'oeil nu. La ROM programmée
peut, dans un ordinateur en exploitation, servir de commutateur
permettant la confection d'une sortie imprimée ou l'affichage
visuel de ce qu'il serait préférable de qualifier d'oceuvre litté-
raire» pour les fins de l'espèce. Toutefois, considéré isolément,
indépendamment de l'ampleur de la portée donnée à cette
expression, l'arrangement (ou la série) des électrons ou des
charges électriques dans la microplaquette de silicium ne cons-
titue pas une «oeuvre littéraire». Il ne se présente pas par écrit.
Il ne prend pas la forme d'un langage compréhensible. Il ne
peut être lu. Il ne peut être vu. Il n'est pas non plus conçu ou
produit pour être lu ou pour être vu. Il s'agit—et tel est l'objet
pour lequel il a été conçu et produit—d'un attribut d'une pièce
en fonctionnement d'une machine en exploitation.
C'est relativement à l'affichage visuel ou à l'im-
primé que les réseaux de circuits statiques conte-
nus dans les microplaquettes peuvent produire que
les juges Brennan et Deane sont venus le plus près
de considérer ces réseaux comme un langage. Le
juge Deane a qualifié d'[TRADucTION] «inversion
au plan logique» (à la page 63) la prétention selon
laquelle un tel produit pouvait être une traduction
ou une reproduction bénéficiant de la protection
du droit d'auteur.
Le point de vue adopté par le juge Deane me
semble plus radical parce qu'il refuse de considérer
les microplaquettes programmées comme autre
chose qu' [TRADUCTION] «un attribut d'une pièce
en fonctionnement d'une machine en exploitation».
Pour lui, [TRADUCTION] «c'est par l'étude du fonc-
tionnement électrique effectif ... que l'on pourra
vérifier la programmation d'une ROM». Il n'est
donc point possible d'examiner un tel objet à l'état
statique: seul son aspect dynamique, celui d'une
machine en exploitation, peut être considéré.
Les appelants ont accepté ce point de vue et
l'ont développé. Il est avéré que les programmes
machine peuvent être catégorisés selon leur fonc-
tion comme étant soit des programmes d'applica-
tion soit des programmes du système d'exploita-
tion. Les programmes d'application sont conçus
pour exécuter une tâche particulière au profit de
l'utilisateur, par exemple effectuer le traitement de
texte, balancer les livres ou jouer un jeu, tandis
que les programmes du système d'exploitation ont
pour objet de gérer l'exécution des fonctions inter
nes de l'ordinateur ou de faciliter l'emploi des
programmes d'application. Il est également avéré
que les deux programmes machine visés dans les
affaires en l'espèce sont des programmes du sys-
tème d'exploitation.
La prétention ultime des appelants voulait qu'in-
dépendamment du droit régissant les programmes
d'application, les programmes des systèmes d'ex-
ploitation, constituant entièrement une procédure
ou une méthode d'exploitation, ne puissent être
protégés par un droit d'auteur.
* * *
J'estime qu'il n'est point nécessaire pour cette
Cour de décider si, considérées sous un aspect
dynamique ou selon la procédure dont elles assu-
rent l'application, les microplaquettes ROM sont
protégées par le droit d'auteur. Pour les fins des
affaires en l'espèce, il est uniquement nécessaire de
noter que le point de vue qui précède est incompa
tible avec les conclusions du juge de première
instance, qui n'ont pas été contestées avec succès.
Les témoignages des témoins des intimées, qui
ont été acceptés par le juge de première instance,
voulaient que les programmes en question soient,
en permanence, inscrits sur des microplaquettes,
qui constituent des organes de stockage permanent
intégrés à l'ordinateur Apple II+. Le doyen J. W.
Graham s'est exprimé de la manière suivante à ce
sujet dans son affidavit, Dossier d'appel, appen-
dice commune I, pages 171 et 172:
[TRADUCTION] (a) Je connais bien l'ordinateur Apple I1+,
pour l'avoir utilisé et étudié depuis des années. Les programmes
APPLESOFT et AUTOSTART ROM sont contenus dans six
microplaquettes ROM entrant dans des bornes femelles situées
dans le «fond de panier» (plaquette à circuit imprimé) de
l'ordinateur Apple II+. Les microplaquettes ROM sont des
appareils de stockage permanents conçus pour être branchés sur
les plaquettes à circuits imprimés qui se trouvent à l'intérieur
des ordinateurs. Ces appareils sont génériques au sens où ils se
trouvent «à l'état brut» au terme de leur fabrication. À l'état
brut, la microplaquette comporte un ensemble de circuits
connus sous le nom de décodeurs, circuits qui ont été conçus
pour localiser les zones de mémoire qui s'y trouvent situées et
livrer leur contenu au microprocesseur. Le fabricant de la
ROM inscrit les programmes machines de son client dans la
zone mémoire des ROM. Il n'est pas nécessaire, pour les fins du
présent affidavit, :de traiter de la technologie utilisée dans la
fabrication des ROM. À ce point-ci, il est seulement important
de dire que les ROM, comme leur nom l'indique (mémoires
mortes), sont des microplaquettes spécialisées, qui ont été
conçues pour servir de supports de stockage pour des program
mes ou des données. Elles sont permanentes au sens où tous les
programmes et toutes les données s'y trouvant inscrits y demeu-
rent que le courant soit allumé ou éteint. Les programmes et les
données qui s'y trouvent inscrits peuvent être lus par les ordina-
teurs et leur contenu peut être affiché ou imprimé dans diffé-
rentes langues et dans différents langages par l'ordinateur. Ils
peuvent également être lus à l'aide d'un microscope. Il existe de
nombreux autres dispositifs permanents de stockage servant
souvent de supports à des programmes machines. Certains de
ceux-ci sont conçus de manière à être placés dans l'ordinateur
lui-même (où ils se trouvent branchés sur la plaquette à circuit
imprimé) tandis que d'autres sont conçus pour être placés sur
un support externe pouvant être mis en mémoire par l'ordina-
teur. Dans l'ordinateur Apple II+, ces programmes, toutefois,
sont inscrits dans six microplaquettes ROM branchées dans le
fond de panier.
Le juge de première instance a observé que la
preuve d'experts des appelants portait sur le fonc-
tionnement d'un ordinateur sous l'angle du maté
riel et a rejeté un tel point de vue aux pages 14 à
17 C.P.R.:
Dans le cadre de cet accent sur l'ordinateur conçu comme
une machine électrique, l'avocat des défendeurs m'a invité à
définir un programme comme de simples spécifications pour les
pièces d'une machine. Je n'accepte pas cette définition. Il est
clair que lorsqu'un programmeur écrit un programme, il songe
aux instructions à donner à l'ordinateur en termes de déplace-
ment de l'information entre certains registres et d'accomplisse-
ment de certaines opérations sur cette information. En ce sens,
ce n'est pas se montrer insouciant que de concevoir un pro
gramme comme un manuel d'instructions, mais adressé à
l'UCT de l'ordinateur plutôt qu'à un autre être humain. Le
programmeur qui écrit un programme, comme ceux qui sont en
cause, ne pense pas aux niveaux de voltage, aux portes logiques,
à la mise en condition des circuits de I'UCT, ou à la nécessité
de fournir des spécifications au fabricant de microplaquettes de
mémoire morte pour la construction des microplaquettes. En
fait, le support sur lequel le programme se retrouvera à la fin
(cartes perforées, bandes magnétiques ou microplaquettes de
silicium) ne le préoccupe pas. Il pense que l'ordinateur com-
porte un certain nombre de registres, qu'il peut accomplir un
certain nombre d'opérations limitées, et qu'il peut déplacer
l'information entre les emplacements.
Non seulement le programme écrit est-il une sorte de manuel
d'instructions, mais il garde encore ce caractère à l'intérieur de
l'ordinateur. Il peut être «extrait» de la mémoire morte ou lu
chaque fois que cela est nécessaire. Un programme «désassem-
bleur» est souvent utilisé à cette fin. Ainsi, la version en code
hexadécimal des programmes Autostart ROM et Applesoft
peut facilement être affichée à l'écran de contrôle ou reproduite
sur papier s'il y a «lecture» directe de celle-ci à partir des
microplaquettes respectives. De plus, cette forme hexadécimale
du programme peut subséquemment être convertie en sa ver
sion en langage d'assemblage du code source original sans
grande difficulté. En fait, c'est cette possibilité d'extraire de la
mémoire morte (ROM) les programmes qui y figurent qui
permet de comparer les programmes gravés dans les mémoires
mortes du Microcom, du Mackintosh et de l'Apple II+ en
l'espèce—afin de déterminer s'il y a eu copie. (Il faut dire que
les microplaquettes des ordinateurs Microcom et Mackintosh
ne sont pas techniquement des mémoires mortes (ROM), mais
des mémoires mortes programmables et effaçables (EPROM);
ce fait n'a cependant aucune pertinence en l'espèce.)
Même si les programmes peuvent être «extraits» de la
mémoire morte (ROM), et c'est ce qui arrive occasionnelle-
ment lorsque des personnes en font ainsi la lecture afin de
diagnostiquer le mauvais fonctionnement d'un ordinateur, il ne
s'agit pas là de leur fonction première. Comme cela ressort de
ce qui a été dit plus haut, les programmes informatiques sont
conçus d'abord pour les fins de «communication» avec des
ordinateurs. Qui plus est, ils sont utilisés pour porter l'ordina-
teur (l'UCT) à accomplir certaines opérations (effectuer des
calculs; créer et exploiter une banque de données; faciliter le
traitement de textes). Aucune autre forme d'écriture ne se
manifeste de cette façon, et il faut effectivement reconnaître
que ce pouvoir de déclencher des opérations nous fait sortir des
catégories conceptuelles normalement associées à la nature d'un
texte écrit.
Dans ses conclusions, citées plus haut, le juge de
première instance a adopté le point de vue voulant
que la gravure permanente des programmes dans
les microplaquettes d'ordinateur constituait une
véritable traduction de ces programmes.
Les appelants n'ont pas réussi devant nous à
susciter un doute sur le point de vue du juge de
première instance qui a mis l'accent sur le logiciel.
En effet, le point de vue selon lequel les micropla-
guettes programmées ne constituent que des attri-
buts d'une pièce en fonctionnement d'une machine
en exploitation semble contraire au sens commun.
Les programmes originaux qui ont fait l'objet de
l'enregistrement étaient, si l'on peut dire, des
oeuvres à l'état statique, non des programmes en
exploitation. Lorsqu'une comparaison est faite afin
d'établir si les microplaquettes de mémoire sont
soit des reproductions soit des traductions des
oeuvres originales, il n'est que raisonnable que
celles-ci soient, elles aussi, considérées dans leur
état statique. De plus, l'activité se déroulant dans
un ordinateur en exploitation part de l'UCT, non
des microplaquettes de mémoire, et on ne peut
percevoir le fonctionnement de l'UCT en exami-
nant ces dernières. On peut toutefois, à l'aide d'un
microscope électronique, découvrir la configura
tion des circuits électriques et, ainsi, lire le code,
qui se révélera être, bien que sous une forme
matérielle différente, une réplique exacte du code
d'assemblage.
Mon point de vue se trouve étayé par le fait que
les programmes des appelants qui ont donné lieu
aux allégations de violation du droit d'auteur sont
eux-mêmes produits et vendus à l'état statique;
aussi, est-ce dans cet état qu'ils devraient être mis
en comparaison.
Demeure l'argument constituant une variante de
l'approche axée sur le procédé utilisé, argument
qui a été présenté par les appelants à l'égard des
programmes des systèmes d'exploitation. Cette
manière d'aborder la question a été examinée par
la U.S. Court of Appeals, Third Circuit dans
l'arrêt Apple Computer, Inc. v. Franklin Compu
ter Corp., 714 F.2d 1240 (1983), une décision
récente qui n'a apparemment pas été portée à
l'attention du juge de première instance. Certaines
des opinions de la Cour ont spécifiquement trait à
la loi américaine, mais je crois que la déclaration
suivante faite par le juge de circuit Sloviter au
nom de la Cour constitue une réponse générale-
ment valide à un tel argument (à la page 1251):
[TRADUCTION] Comme seules les instructions sont protégées, il
n'y a pas davantage «procédé» parce que les instructions conte-
nues dans un programme du système d'exploitation peuvent
être utilisées pour déclencher le fonctionnement de l'ordinateur
que ce ne serait le cas si les instructions visées étaient écrites en
anglais ordinaire dans un manuel décrivant les étapes nécessai-
res à la mise en fonctionnement d'une machine compliquée.
Rien ne justifie donc que la protection conférée par le droit
d'auteur aux instructions d'un programme du système d'exploi-
tation soit inférieure à celle qui est conférée aux instructions
d'un programme d'application.
L'argument de Franklin selon lequel un programme du sys-
tème d'exploitation fait partie d'une machine, qui a été accueilli
par la Cour de district, met erronément l'accent sur les caracté-
ristiques physiques des instructions. Le médium n'est cependant
pas le message. Nous avons déjà examiné et rejeté certains
aspects de cette prétention dans l'analyse relative au code
machine et à la ROM. Le seul fait que le programme du
système d'exploitation se trouve gravé sur une ROM ne fait de
ce programme ni une machine, ni une pièce de machine ou son
équivalent. De plus, comme l'a déclaré un des témoins de
Franklin dans son témoignage, un système d'exploitation n'a
pas besoin de se trouver en permanence dans la ROM de la
machine, mais peut figurer sur un autre support, tel une
disquette ou un ruban magnétique, d'où il pourrait être facile-
ment transféré dans l'espace de la mémoire intermédiaire de
l'ordinateur.
En dernière analyse, il n'existe aucun motif pour
lequel les microplaquettes programmées de quel-
que catégorie que ce soit devraient être examinées
pour les fins du droit d'auteur autrement que dans
leur état matériel statique. Ainsi considérées, ces
microplaquettes bénéficient toutes de la protection
du droit d'auteur soit en qualité de traduction soit
en qualité de reproduction exacte du langage
d'assemblage.
Les appelants ont soutenu que les microplaquet-
tes de mémoire ne peuvent être des traductions
parce qu'au sens propre une traduction est tou-
jours une interprétation plutôt qu'une copie de
chacun des éléments alors que, selon la théorie
présentée par les intimées à leur sujet, les ROM
constituaient des répliques exactes. (En fait, selon
les termes utilisés devant nous par l'avocat des
intimées, il s'agissait de versions [TRADUCTION]
«code morse écrit en braille» des originaux.)
Il est certainement vrai que, compte tenu de
l'ambiguïté normale du langage, les traductions ne
sont ordinairement rien de plus que des interpréta-
tions des textes originaux. En ce sens, la traduction
peut être considérée comme un art plutôt que
comme une science. Je suis cependant loin d'être
convaincu qu'une version correspondant en tout
point à l'original est à un moindre degré une
traduction pour autant. Toutefois, je ne crois pas
qu'il soit nécessaire pour cette Cour de se pronon-
cer de façon définitive sur ce point, les micropla-
guettes ROM constituant soit des traductions soit
des reproductions et remplissant les conditions du
paragraphe 3(1) dans un cas comme dans l'autre.
A tous autres égards, les motifs de décision du juge
de première instance devraient être confirmés.
Je ne crois pas que nous devions davantage que
ne l'a fait le juge de première instance (à la page
198) nous prononcer sur l'argument des intimées
que les microplaquettes ROM sont visées par l'ali-
néa 3(1)d) de la Loi en ce qu'elles constituent des
organes à l'aide desquels les œuvres peuvent être
débitées.
En conséquence, je déciderais de l'appel ainsi
que le propose mon collègue le juge Mahoney.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.