A-327-86
Marc-André Bélanger (appelant)
c.
Ministre du Revenu national (intimé)
et
Jean-Hugues Bélanger (intervenant)
RÉPERTORIÉ: BÉLANGER C. M.R.N.
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Huges-
sen—Québec, 18 mars; Ottawa, 26 mars 1987.
Assurance-chômage — Emploi assurable — Sens de l'ex-
pression «emplois exclus» figurant à l'art. 3(2)b) de la Loi —
Demande d'annulation d'une décision de la Cour de l'impôt
concluant que l'emploi de la requérante était un emploi exclu
par application de l'art. 3(2)b) — Le requérant, un fermier, a
été périodiquement employé comme bûcheron par son frère
agronome — Demande accueillie — La Cour de l'impôt s'est
trompée lorsqu'elle a conclu que l'emploi visé était un «emploi
occasionnel» en faisant référence à l'emploi de l'employeur —
L'emploi doit satisfaire aux deux conditions énoncées à l'art.
3(2)b) — La nature de l'emploi ne devra point se déterminer
par rapport à l'employeur ou à l'employé mais en fonction du
sens que les deux parties contractantes attribuent à leur rela
tion contractuelle — Il est nécessaire de prendre en considéra-
tion l'ensemble des circonstances de l'espèce — Loi de 1971
sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, art. 2,
3(2)b) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2" Supp.),
chap. 10, art. 28.
Il s'agit d'une demande d'annulation d'une décision de la
Cour canadienne de l'impôt qui a conclu que l'emploi du
requérant était exclu des emplois assurables par application de
l'alinéa 3(2)b) de la Loi. Le requérant, un fermier, est égale-
ment un bûcheron d'expérience. Son frère, qui est agronome,
est propriétaire d'un boisé qu'il a acquis pour le revendre
éventuellement. Le requérant a été employé par son frère deux
années de suite, du mois de mars au mois d'octobre et du mois
d'août au mois d'octobre, pour nettoyer et couper du bois. La
Cour de l'impôt a conclu que l'expression «emploi occasionnel»
faisait référence au travail de l'employeur et non à celui de
l'employé. Comme l'employeur était un agronome de profes
sion, il a été conclu que l'emploi du requérant était un emploi
occasionnel à des fins autres que celles de l'activité profession-
nelle de l'employeur.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
L'alinéa 3(2)b) se décompose en deux parties. Pour être
exclu, l'emploi doit être «occasionnel» et être «à des fins autres
que celles de l'activité professionnelle ou de l'entreprise de
l'employeur». L'exclusion est énoncée la première, suivie de la
réserve dont elle se trouve assortie. C'est l'emploi qui doit
satisfaire aux deux conditions exprimées. La définition du
terme emploi ne mentionne point l'occupation ou le métier ou
l'objet du travail. L'emploi occasionnel, au sens de l'alinéa
3(2)b), ne peut être que celui qui n'a aucun caractère de
continuité, de régularité ou de retour périodique, et un tel
emploi pourra être occasionnel même si les services rendus sont
liés au métier de l'employé (ce n'est pas de l'occupation dont il
est question) comme il pourra ne pas être occasionnel même s'il
ne se rattache pas à l'activité professionnelle ou à l'entreprise
de l'employeur (les deux conditions sont autonomes l'une par
rapport à l'autre).
Il est question de l'emploi et un emploi résulte d'une relation
contractuelle entre deux parties. La nature de l'emploi ne devra
pas se déterminer par rapport à l'une des deux parties seule-
ment mais en fonction du sens que les deux contractants
attribuent à leur relation contractuelle. L'ensemble des circons-
tances qui ont entouré l'établissement, la continuation et la
terminaison de la relation contractuelle doit être considéré. En
cas de malentendu, c'est l'impression de l'employé qui doit
prévaloir, pourvu qu'elle soit fondée sur des éléments objectifs.
L'élément objectif le plus révélateur se trouvera du côté de
l'employeur et de ses besoins actuels et futurs; car c'est lui qui a
fait naître l'emploi et lui seul qui pouvait le définir.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Aspirot et al. c. Ministre du Revenu national, U.I. 25
A-H (NR 324) (C.A.P.); Ministre du Revenu national c.
Gagné, U.I. 35 F (NR 356) (C.A.P.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ministre du Revenu national c. Poirier et al., U.I. 27-29
(NR 352) (C.A.P.); Gauthier c. Ministre du Revenu
national, U.I. 31 (NR 378) (C.A.P.); Minister of Natio
nal Revenue c. Sater et al., U.I. 39-40 (NR 462)
(C.A.P.); Ministre du Revenu national c. Ouellet, U.I.
45C (NR 496) (C.A.P.).
AVOCATS:
Louis Robillard pour l'appelant.
Pierre Cossette pour l'intimé.
PROCUREURS:
Lebel, Pelletier, Rioux, Bossé & Associés,
Rivière-du-Loup, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada, pour
l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU: La décision attaquée par
cette demande d'annulation portée en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C.
1970 (2e Supp.), chap. 10] émane d'un juge sup
pléant de la Cour canadienne de l'impôt agissant
sous l'autorité de la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage [S.C. 1970-71-72, chap. 48]. Par cette
décision, qui confirmait un avis préalable du minis-
tre-intimé, le juge déclarait que l'emploi occupé un
certain temps par le requérant était un emploi
exclu des emplois assurables par application de
l'alinéa 3(2)b) de la Loi qui se lit comme suit:
3....
(2) Les emplois exclus sont les suivants:
b) tout emploi occasionnel à des fins autres que celles de
l'activité professionnelle ou de l'entreprise de l'employeur;
On se rend tout de suite compte en consultant
les recueils de jurisprudence en matière d'assu-
rance-chômage que cette disposition de l'alinéa
3(2)b) de la Loi a été et est encore mise en cause
dans nombre de décisions non seulement de juges-
arbitres mais aussi de la Commission d'appel des
pensions, le tribunal qui jusqu'à récemment exer-
çait la dernière juridiction d'appel dans les litiges
portant sur la détermination de l'assurabilité des
emplois: Il n'y a pas lieu de s'étonner outre mesure
qu'il en soit ainsi, l'exclusion édictée par la disposi
tion ne pouvant manquer d'être d'application cou-
rante. Mais qu'après tant de tentatives de clarifi
cation à l'occasion de son application à toutes
sortes de cas pratiques, la règle soit restée souvent
mal perçue et parfois nettement mal interprétée est
un peu plus difficile à comprendre. La lecture des
décisions et des principaux arrêts ne satisfait certes
pas pleinement quant au sens à attribuer au mot
«occasionnel» et surtout elle laisse l'impression
d'une opposition et d'un vacillement entre l'idée
que le caractère occasionnel d'un emploi doit se
vérifier par rapport à l'employeur et à son activité
professionnelle (voir: Ministre du Revenu national
c. Poirier et al., U.I. 27-29 [NR 352] (C.A.P.);
Ministre du Revenu national c. Gagné, U.I. 35F
[NR 356] (C.A.P.); Gauthier c. Ministre du
Revenu National, U.I. 31 [NR 378] (C.A.P.);
Aspirot et al. c. Ministre du Revenu national, U.I.
25 A-H [NR 324] (C.A.P.); Minister of National
Revenue c. Sater et al., U.I. 39-40 [NR 462]
(C.A.P.)) et l'idée qu'il doit vérifier au contraire
par rapport à l'employé et à son métier ou son
occupation habituelle (l'arrêt majeur en ce sens est
celui de la Commission d'appel des pensions en
1982 dans Ministre du Revenu national c. Ouellet,
U.I. 45C [NR 496] (C.A.P.)). C'est la première
fois que cette Cour, qui est devenue tribunal d'ap-
pel en cette matière depuis 1983 seulement, est
appelée à prendre parti sur le sens et la portée de
l'exclusion que la disposition édicte et peut-être
convient-il qu'elle tente de dissiper à cet égard les
quelques équivoques que l'on discerne à la base de
la plupart des litiges. Je veux essayer, en tout cas,
pour ma part d'exposer le plus clairement possible
ma façon de voir.
Comme toujours en matière d'interprétation,
tout doit reposer sur une analyse soignée du texte
lui-même sur le plan logique et grammatical. De
cette analyse, trois constatations se dégagent. On
se rend compte d'abord que même si la proposition
qui définit l'exclusion s'exprime en un seul trait,
elle se décompose en deux parties, chacune impli-
quant une condition: l'emploi, pour être exclu,
doit, d'une part, être «occasionnel» et, d'autre part,
être «à des fins autres que celles de l'activité
professionnelle ou de l'entreprise de l'employeur».
On peut voir ensuite que si ces deux conditions
doivent être concomitantes, elles doivent néan-
moins être vérifiées l'une après l'autre et dans une
certaine mesure indépendamment l'une de l'autre,
contrairement à ce qu'il faudrait comprendre d'un
texte qui dirait, par exemple, «occasionnelle parce
que pour des fins autres que celles de l'activité
professionnelle de l'employeur»; ici, ce qui est
d'abord exprimé, c'est une exclusion: l'emploi
occasionnel, et ensuite une réserve à l'exclusion:
l'emploi occasionnel pour les fins de l'activité pro-
fessionnelle de l'employeur. Il faut bien noter enfin
que c'est l'emploi qui doit satisfaire aux deux
conditions exprimées, un terme qui, selon la défini-
tion de l'article 2 de la Loi, «désigne le fait d'em-
ployer ou l'état d'employé»; il n'est pas question de
l'occupation ou du métier ou de l'objet du travail.
Si l'on tient compte de ces constatations de base
tirées d'une simple analyse du texte et qu'on garde
présent à l'esprit le but des exclusions du paragra-
phe 3(2) de la Loi, qui est manifestement d'empê-
cher que l'on fausse le système en le détournant de
sa préoccupation qui est la protection de l'employé
contre la perte de son gagne-pain, on n'a aucune
peine à conclure que l'emploi occasionnel, au sens
de la disposition, ne peut être que celui qui n'a
aucune peine à conclure que l'emploi occasionnel,
au sens de la disposition, ne peut être que celui qui
n'a aucun caractère de continuité, ou de régularité
ou de retour périodique, et qu'un emploi pourra
être occasionnel même si les services rendus sont
liés au métier de l'employé (ce n'est pas de l'occu-
pation dont il est question) comme il pourra ne pas
être occasionnel même s'il ne se rattache pas à
l'activité professionnelle ou de l'entreprise de l'em-
ployeur (les deux conditions sont autonomes l'une
par rapport à l'autre).
C'est sans doute parce qu'au contact des cas
pratiques on s'est éloigné de l'analyse de base du
texte que les équivoques dont j'ai fait état ont
toujours persisté. Mais en fait, il faut bien le noter,
ces équivoques ont leur source dans les toutes
premières décisions de la Commission d'appel des
pensions, deux décisions rendues le même jour
auxquelles il est constamment fait référence, celles
de Aspirot et al. et de Gagné ci-haut citées. Dans
les deux cas, il s'agissait de menuisiers qui avaient
travaillé à la construction de maisons unifamiliales
pour le compte de différents particuliers aux pro
fessions diverses et alors que l'un des deux juges-
arbitres saisis d'un premier groupe de dossiers
avait considéré les emplois comme étant occasion-
nels, l'autre, saisi des autres dossiers, avait pensé
que, pour des menuisiers de métier, il ne pouvait
en être ainsi. La Commission confirma la position
du premier juge, mais, en rejetant celle du
deuxième, elle fit valoir que ce n'était pas l'em-
ployé qu'il fallait considérer mais l'employeur avec
son occupation et sa profession. Et l'idée que le
caractère occasionnel devait se vérifier par rapport
à l'un ou à l'autre de l'employeur ou de l'employé
persista, probablement parce qu'elle semblait four-
nir un critère facile d'application. Mais l'idée, on
l'a vu, fausse le texte.
Il est question de l'emploi et un emploi résulte
d'une relation contractuelle entre deux parties:
rien n'autorise à penser que la nature d'un emploi
devra se déterminer par rapport à l'une des deux
parties seulement, l'employeur ou l'employé. C'est
le sens que les deux contractants attribuent à leur
relation contractuelle qui fera de l'emploi quelque
chose de stable, susceptible de demeurer ou à tout
le moins de se répéter à intervalles réguliers et sur
quoi l'employé peut compter, ou au contraire quel-
que chose d'éphémère, de passager, d'occasionnel
seulement. Or, ce ne peut être qu'en considérant
l'ensemble des circonstances qui ont entouré l'éta-
blissement, la continuation et la terminaison de la
relation contractuelle qu'on pourra juger du sens
que les parties attribuaient à leur relation. Des
constantes existent peut-être. Je pense ainsi qu'en
cas de malentendu entre les parties au sujet du
caractère de leur relation, c'est l'impression de
l'employé qui doit prévaloir, pourvu qu'elle soit
fondée sur des éléments objectifs, car alors il
comptait vraiment sur l'emploi et mérite, en ce
sens, la protection que le système veut assurer. Il
est certain aussi que l'élément objectif le plus
révélateur se trouvera du côté de l'employeur et de
ses besoins actuels et futurs; car c'est lui qui a fait
naître l'emploi et lui seul qui pouvait le définir.
Mais par delà ces quelques constantes, tout est
fonction d'appréciation des circonstances et de
conclusions tirées de la preuve. L'exercice peut
être à l'occasion fort embarrassant mais il s'impose
dans tous les cas et je ne connais pas de formule
qui soit de nature à le simplifier. Voilà ma façon
de voir.
C'est naturellement en fonction de ce que m'ap-
paraît être la portée de cette exclusion établie par
l'alinéa 3(2)b) de la Loi que je dois me prononcer
sur la validité de la décision rendue en l'instance.
La situation révélée par la preuve est simple et
typique. Le requérant est un fermier, éleveur
d'animaux de boucherie, mais aussi un bûcheron
d'expérience. Son frère, un agronome, est proprié-
taire d'un boisé qu'il a acquis pour le revendre
éventuellement. Le requérant a été employé par
son frère, deux années de suite, soit du 14 mars au
21 octobre 1983 et du 13 août au 26 octobre 1984,
pour nettoyer et couper dans le boisé le bois atteint
par la tordeuse des bourgeons de l'épinette. Et
voici l'essentiel du jugement du juge:
... L'emploi occasionnel est, selon la décision dans Aspirot
vs M.R.N. et Robert Gagné vs M.R.N. et autres cités par
rapport au travail de l'employeur et non de l'employé ...
... par rapport à Jean-Hugues Bélanger, ce dernier étant un
agronome de profession ... c'est occasionnellement qu'il
exploite ledit boisé et dans de circonstances exceptionnelles,
comme lors d'une épidémie de tordeuse.
Ainsi, il s'agit pour l'appelant d'un emploi occasionnel. Et cela
est à des fins autres que celles de l'activité professionnelle de
Jean-Hugues Bélanger qui est un agronome de profession qui
est un fonctionnaire à l'emploi du gouvernement fédéral; cela
est son activité professionnelle et il ne possède pas d'entreprise.
Cet emploi, qui était d'effectuer l'abattage d'arbres principale-
ment et le nettoyage du terrain, était très différent de la
profession d'agronome qui constituait l'activité professionnelle
de l'employeur ...
Pour toutes ces raisons, l'emploi de l'appelant pour son
employeur Jean-Hugues Bélanger était un emploi exclu de
l'assurabilité puisqu'il s'agissait d'un emploi occasionnel à des
fins autres que celles de l'activité professionnelle de l'em-
ployeur, selon l'article 3(2)(b) de la Loi de 1971 sur
l'Assurance-chômage.
Il est clair que l'approche adoptée par le juge
pour apprécier les faits ne correspond pas aux vues
que j'exposais ci-haut. Elle témoigne d'une com-
préhension, à mon sens, erronnée de ce qu'est un
emploi occasionnel au sens de l'alinéa 3(2)b) de la
Loi. Sans doute est-il fort possible que l'emploi ici
soit effectivement occasionnel au sens propre du
terme, mais il n'appartient pas à cette Cour d'ap-
précier les faits en premier ressort, du moins lors-
qu'une difficulté sur ce plan existe; cela revient au
juge des faits.
Je maintiendrais donc la demande, annulerais la
décision attaquée et retournerais l'affaire à la
Cour canadienne de l'impôt pour qu'elle la décide
de nouveau en examinant si, sur la base de la
preuve au dossier ou toute autre preuve qui pour-
rait être fournie si une réouverture d'enquête est
jugée nécessaire, l'exclusion de l'alinéa 3(2)b) tel
qu'interprété ci-haut doit recevoir application.
LE JUGE PRATTE: Je suis d'accord.
LE JUGE HUGESSEN: J'y souscris.
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