T-2457-84
Lyndon Tadich (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: TADICH C. CANADA
Division de première instance, juge Joyal—
Toronto, 23 juin; Ottawa, 7 juillet 1987.
Justice criminelle et pénale — Stupéfiants — Argent saisi
au cours d'une descente pour chercher des stupéfiants —
Demanderesse acquittée de l'accusation de possession de
cocaïne — Requête en restitution en vertu de l'art. 10(5) de la
Loi sur les stupéfiants rejetée par un juge de la Cour provin-
ciale — Fardeau de réfuter la «viciation» — Action civile
intentée devant la Cour fédérale en vue d'obtenir la restitution
— La question n'est pas chose jugée — Portée purement
procédurale de l'art. 10(5) — N'entraînant pas la déchéance du
droit de propriété — Pas de confiscation en vertu de l'art.
10(8) sans déclaration de culpabilité — Présomption d'inno-
cence — Droit à la possession devant être prouvé selon la
prépondérance des probabilités — Règle de la «viciation»
applicable seulement lorsque l'existence de la turpitude a été
démontrée selon la procédure criminelle normale — Possibilité
de prouver le «lien créant la viciation» selon la norme du doute
raisonnable.
Au cours d'une descente effectuée à l'appartement de la
demanderesse afin d'y chercher des stupéfiants, la police a saisi
une forte somme d'argent. Après avoir été acquittée des accusa
tions de possession de cocaïne, la demanderesse a demandé à la
Cour provinciale, en vertu du paragraphe 10(5) de la Loi sur
les stupéfiants, la restitution de l'argent saisi. Sa demande
ayant été rejetée, la demanderesse a alors intenté devant la
Cour fédérale une poursuite civile visant à obtenir l'émission
d'une ordonnance de restitution.
Jugement: l'action devrait être accueillie.
Dans l'arrêt Aimonetti, la Cour d'appel fédérale avait statué
que le refus par un juge de la Cour provinciale d'accorder une
ordonnance de restitution tranchait de façon concluante la
question du droit à la possession d'une chose saisie légalement
en vertu de l'alinéa 10(1)c) et que le requérant était par
conséquent irrecevable à entamer une procédure en restitution
devant la Cour fédérale. Cependant, dans l'arrêt Fleming (suc-
cession Gombosh) c. La Reine rendu récemment par la Cour
suprême du Canada, le juge Wilson a écarté la jurisprudence
fondée sur la doctrine ex turpi causa non oritur actio à cause
de son incompatibilité avec le principe de la présomption
d'innocence, tant en vertu de la common law que de la Décla-
ration canadienne des droits. Le juge Wilson a établi les
nouvelles règles suivantes: en premier lieu, il suffit à celui qui
réclame la possession de prouver son droit selon la prépondé-
rance des probabilités. En second lieu, la règle fondée sur
l'ordre public relativement à la «viciation» ne devrait s'appli-
quer que s'il y a turpitude ou infraction criminelle dont l'exis-
tence doit être démontrée conformément à la procédure crimi-
nelle normale. Il ne convient pas que, lors de l'audition d'une
demande de restitution, la poursuite n'ait qu'à satisfaire à une
norme civile de preuve pour établir la «viciation». La culpabilité
du propriétaire du bien saisi doit avoir été prouvée au cours
d'une procédure criminelle antérieure. En l'absence de conclu
sion précise quant au «lien créant la viciation» au procès, la
poursuite peut combler cette lacune en prouvant la viciation
selon la norme du doute raisonnable à l'audition de la demande
de restitution. En l'espèce, le juge de la Cour provinciale n'a
pas appliqué cette norme.
La demanderesse a le droit d'obtenir l'émission d'une ordon-
nance de restitution. En l'absence de déclaration de culpabilité,
la Couronne n'a plus droit aux sommes saisies par application
de l'article 10 de la Loi. Le fait que la Cour provinciale a déjà
rejeté la demande de restitution ne constitue pas davantage une
fin de non-recevoir à la présente procédure.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2» Supp.), chap.
10, art 35, 40.
Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 10
(mod. par S.C. 1985, chap. 19, art. 200).
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Fleming (succession Gombosh) c. La Reine, [1986] 1
R.C.S. 415; 51 C.R. (3d) 337; infirmant R. c. Aimonetti,
[1985] 2 C.F. 370 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Smith c. La Reine, [1976] 1 C.F. 196; (1975), 27 C.C.C.
(2d) 252 (1" inst.); R. v. Aimonetti (1981), 8 Man. R.
(2d) 271; [1981] 3 W.W.R. 42 (C.A. Man.); Aimonetti c.
La Reine, [1983] 2 C.F. 282; [1983] 1 W.W.R. 492 (1f 0
inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Re R. and Senechal (1980), 18 C.R. (3d) 93; 52 C.C.C.
(2d) 313 (H.C. Ont.); Regina v. Hicks, [1977] 3 W.W.R.
644 (C.A. Man.); Re Collins and The Queen (1983), 7
C.C.C. (3d) 377 (C.A. Qué.).
AVOCATS:
Paul D. Copeland pour la demanderesse.
Marlene I. Thomas pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Copeland, Liss, Toronto, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE JOYAU Le 23 octobre 1983, la police
de London (Ontario) a effectué une descente à
l'appartement de la demanderesse afin d'y cher-
cher des stupéfiants. Au cours de la perquisition, la
police a saisi une forte somme d'argent en devises
canadiennes et américaines qui avait été cachée
sous le matelas dans la chambre à coucher.
Comme le révèle l'exposé conjoint des faits, la
somme s'élève à 1 108 $ en billets américains et
14 800 $ en billets canadiens.
Accusée de possession de cocaïne, la demande-
resse a subi son procès le 11 avril 1984 et a été
acquittée.
La demanderesse a alors présenté une demande
en vue d'obtenir la restitution de l'argent saisi, en
vertu du paragraphe 10(5) de la Loi sur les stupé-
fiants, S.R.C. 1970, chap. N-1. Le juge J. L.
Menzies de la Cour provinciale, qui a entendu la
demande le 26 juin 1984, a refusé dans son juge-
ment en date du 14 août 1984 de rendre l'ordon-
nance demandée. Selon toute apparence, il s'est
attaché au fardeau reposant sur la demanderesse
de réfuter la «viciation» en ce qui a trait à la
provenance de l'argent saisi. Écartant complète-
ment la version de la demanderesse à ce sujet, il en
a conclu, selon la prépondérance des probabilités,
qu'elle n'avait pas droit à la restitution.
Par la suite, la demanderesse a intenté une
poursuite civile devant cette Cour en vue d'obtenir
une ordonnance de restitution. D'intéressantes
questions sont soulevées en l'espèce, quant aux
diverses interprétations qu'ont données les tribu-
naux aux saisies d'argent pratiquées en vertu de
l'article 10 de la Loi sur les stupéfiants [mod. par
S.C. 1985, chap. 19, art. 200], et plus particulière-
ment à tout ce qui touche la restitution de cet
argent ou sa confiscation définitive par la Cou-
ronne. Ensuite, la poursuite soulève la question de
savoir s'il y a en l'espèce chose jugée, étant donné
le jugement déjà rendu par le juge Menzies de la
Cour provinciale.
L'article 10 de la Loi sur les stupéfiants se lit
comme suit:
10. (1) Un agent de la paix peut, à toute époque,
a) sans mandat, entrer et perquisitionner dans tout endroit
autre que dans une maison d'habitation, et, sous l'autorité
d'un mandat décerné aux termes du présent article, entrer et
perquisitionner dans toute maison d'habitation où il croit, en
se fondant sur des motifs raisonnables, qu'il se trouve un
stupéfiant au moyen ou à l'égard duquel une infraction à la
présente loi a été commise;
b) fouiller toute personne trouvée dans un semblable endroit;
et
c) saisir et enlever tout stupéfiant découvert dans un tel
endroit, toute chose qui s'y trouve et dans laquelle il soup-
çonne en se fondant sur des motifs raisonnables qu'un stupé-
fiant est contenu ou caché, ou toute autre chose au moyen ou
à l'égard de laquelle il croit en se fondant sur des motifs
raisonnables qu'une infraction à la présente loi a été com-
mise, ou qui peut constituer une preuve établissant qu'une
semblable infraction a été commise.
(2) Un juge de paix convaincu, d'après une dénonciation
faite sous serment, qu'il existe des motifs raisonnables de croire
qu'un stupéfiant au moyen ou à l'égard duquel une infraction à
la présente loi a été commise se trouve dans une maison
d'habitation quelconque, peut délivrer un mandat portant sa
signature et autorisant un agent de la paix y nommé à entrer à
toute heure dans la maison d'habitation pour découvrir des
stupéfiants.
(4) Aux fins d'exercer son autorité en vertu du présent
article, un agent de la paix peut, avec l'assistance qu'il estime
nécessaire, forcer toute porte, fenêtre, serrure, targette, enfon-
cer tout parquet, mur, plafond, compartiment, briser toute
tuyauterie, boîte, tout contenant ou toute autre chose.
(5) Lorsqu'un stupéfiant ou une autre chose a été saisi en
vertu du paragraphe (1), toute personne peut, dans un délai de
deux mois à compter de la date d'une telle saisie, moyennant
avis préalable donné à la Couronne de la manière prescrite par
les règlements, demander à un magistrat ayant juridiction dans
le territoire où la saisie a été faite de rendre une ordonnance de
restitution prévue au paragraphe (6).
(6) Sous réserve des paragraphes (8) et (9), lorsque, après
audition de la demande faite selon le paragraphe (5), le magis-
trat est convaincu
a) que le requérant a droit à la possession du stupéfiant ou
autre chose saisie, et
b) que la chose ainsi saisie n'est pas, ou ne sera pas, requise
à titre de preuve dans des poursuites relatives à une infrac
tion à la présente loi,
il doit ordonner que la chose ainsi saisie soit restituée immédia-
tement au requérant, et lorsque le magistrat est convaincu que
le requérant a droit à la possession de la chose ainsi saisie, mais
ne l'est pas, quant à la question mentionnée à l'alinéa b), il doit
ordonner que la chose ainsi saisie soit restituée au requérant
c) à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la
date de cette saisie, si aucune poursuite relative à une
infraction à la présente loi n'a été entamée avant l'expiration
dudit délai, ou
d) dans tout autre cas, lorsqu'il a été définitivement statué
sur ces poursuites.
(7) Lorsqu'il n'a été fait aucune demande concernant la
remise de tout stupéfiant ou autre chose saisie conformément
au paragraphe (1) dans un délai de deux mois à compter de la
date de cette saisie, ou qu'une demande à cet égard a été faite
mais, qu'après audition de la demande, aucune ordonnance de
restitution n'a été rendue, la chose ainsi saisie doit être livrée au
Ministre qui peut en disposer de la façon qu'il juge opportune.
(8) Lorsqu'une personne a été déclarée coupable d'une
infraction à l'article 3, 4 ou 5, tout stupéfiant saisi en confor-
mité du paragraphe (1), au moyen ou à l'égard duquel l'infrac-
tion a été commise, tout argent ainsi saisi qui a été utilisé pour
l'achat de ce stupéfiant ainsi que toute aiguille ou seringue
hypodermique, toute machine pour la mise en capsules ou autre
appareil ainsi saisis qui ont été utilisés de quelque façon en
rapport avec l'infraction sont confisqués au profit de Sa
Majesté et il doit en être disposé ainsi qu'en ordonne le
Ministre.
(9) Lorsqu'une personne a été déclarée coupable d'une
infraction à l'article 4 ou 5, la cour peut, à la demande du
procureur de la Couronne, ordonner que tout moyen de trans
port saisi en vertu du paragraphe (1), dont l'utilisation de
quelque manière que ce soit en rapport avec l'infraction a été
prouvée, soit confisqué, et, dès qu'une semblable ordonnance est
rendue, le moyen de transport est confisqué au profit de Sa
Majesté et, sauf ce que prévoit l'article 11, il doit à l'expiration
de trente jours à compter de la date de tete confiscation en être
disposé ainsi qu'en ordonne le Ministre.
Dans une affaire de 1975 semblable au cas qui
nous occupe, Smith c. La Reine, [1976] 1 C.F.
196; 27 C.C.C. (2d) 252 (1" inst.), le juge Addy
s'est penché sur une demande de restitution pré-
sentée en Cour fédérale par un accusé qui ne
s'était pas prévalu de la procédure prévue au para-
graphe 10(5) de la Loi sur les stupéfiants.
Le juge Addy souligne dans son jugement la
portée purement procédurale et conservatoire des
paragraphes 10(5) et (7), lesquels prévoient, dit-il,
un mécanisme expéditif pour la remise de toute
chose saisie de même que pour la garde de cette
chose en cas de rejet de la demande de restitution
ou encore à défaut d'une telle demande. D'après
lui, l'application de ces dispositions ne peut entraî-
ner, ni explicitement, ni implicitement, la
déchéance d'aucun droit de propriété. Même si tel
était le cas, poursuit-il, les deux paragraphes
seraient ultra vires car ils empièteraient sur la
compétence des provinces en matière de propriété
et de droit civil.
Dans l'arrêt R. v. Aimonetti (1981), 8 Man. R.
(2d) 271; [1981] 3 W.W.R. 42, la Cour d'appel du
Manitoba a également examiné l'article 10 de la
Loi sur les stupéfiants. Il s'agissait en l'espèce
d'une somme de 24 000 $, saisie au cours d'une
descente pour découvrir de la drogue. Déclaré
coupable de possession d'un stupéfiant en vue d'en
faire le trafic, le possesseur de l'argent avait pré-
senté devant un juge de la Cour provinciale une
demande de restitution qui lui fut refusée.
Dans son jugement, le tribunil d'appel se réfère
à l'arrêt Re R. and Senechal (1980), 18 C.R. (3d)
93; 52 C.C.C. (2d) 313 (H.C. Ont.) dont il cite le
passage suivant, aux pages 95 C.R.; 315 C.C.C.:
[TRADUCTION] Dans des affaires semblables, il a été statué
qu'il appartient au requérant de prouver, selon la prépondé-
rance des probabilités, qu'il a droit à la possession de la chose
saisie.
La Cour d'appel fait en outre remarquer que
selon le régime de la Loi, la possession est refusée
à toute personne accusée puis déclarée coupable
d'avoir participé à un commerce illégal (toujours
sous réserve de son droit de faire valoir son titre de
propriété dans une poursuite civile). Elle décrète
également qu'une Cour provinciale a compétence
pour rejeter une demande de restitution, même si
la preuve ne permet pas de relier directement
l'argent en question à une transaction relative à un
stupéfiant saisi sur les lieux. Dans la mesure où
une cour peut raisonnablement se fonder sur des
éléments de preuve pour conclure que l'argent
provient du commerce illégal des stupéfiants, elle a
tout lieu de considérer cet argent comme un bien
«à l'égard duquel ... une infraction ... a été
commise», pour reprendre les termes de l'alinéa
10(1)c).
L'appelant Aimonetti s'est, par la suite, adressé
à la Division de première instance de la Cour
fédérale ([1983] 2 C.F. 282; [1983] 1 W.W.R.
492) pour obtenir la remise de l'argent auquel il
prétendait avoir légitimement droit. Contestant la
compétence de la Cour fédérale à ce sujet, la
Couronne a, subsidiairement, opposé une fin de
non-recevoir à l'action en plaidant chose jugée.
Le juge suppléant Nitikman s'exprime ainsi, aux
pages 298 et 299 C.F.; 510 et 511 W.W.R.:
En rejetant la demande de restitution de la somme d'argent
saisie, le juge de la Cour provinciale a uniquement tenu compte
du fait que la somme d'argent en question était reliée au trafic
de la drogue auquel se livrait le requérant. En rejetant la
réclamation du demandeur présentée en vertu du paragraphe
10(5), le juge ne prétendait pas trancher la question de la
propriété de ladite somme d'argent, question dont il n'était
d'ailleurs pas saisi. La décision qui a rejeté la demande de
restitution a eu pour seul effet de conférer au Ministre et non
au demandeur le droit à la possession de la somme d'argent.
Cette décision ne statuait d'aucune façon sur la question de la
propriété.
La Cour a donc rejeté les prétentions de la
Couronne.
Appel de ce jugement a été interjeté auprès de la
Cour d'appel fédérale. Au nom de la Cour, le juge
Mahoney fait observer ce qui suit ([1985] 2 C.F.
370; 19 C.C.C. (3d) 481), aux pages 374 et 375
C.F.; 484 C.C.C.:
Il ne s'agit pas ... de statuer sur des questions de fait, mais
plutôt ... sur des points se rapportant exclusivement au redres-
sement demandé qui n'est pas, précisons-le, un jugement décla-
ratoire. Si le redressement que sollicite l'intimé ne lui est pas
ouvert en droit, ce dernier n'a alors pas droit d'être entendu
simplement pour faire trancher des questions de fait litigieuses.
Je tiens pour acquis qu'une personne qui n'a pas légalement
droit à la possession d'une somme d'argent lui appartenant ne
peut, en droit, obtenir un jugement intimant à la personne
légalement en possession de cette somme l'ordre de la lui
remettre.
Et le juge Mahoney de conclure, aux pages 376
et 377 C.F.; 486 C.C.C.:
Quoi qu'il en soit, nous sommes manifestement en présence
d'un cas d'issue estoppel. À mon avis, le refus d'accorder une
ordonnance de restitution ... aux termes du paragraphe 10(7)
... semble trancher de façon concluante la question du droit de
possession d'une chose saisie légalement en vertu de l'alinéa
10(1)c).
Tel était l'état de la question jusqu'à ce que la
Cour suprême du Canada rende son récent arrêt
dans l'affaire Fleming (succession Gombosh) c. La
Reine, [1986] 1 R.C.S. 415; 51 C.R. (3d) 337. En
octobre 1979, de l'argent avait été saisi chez l'ac-
cusé Gombosh au cours d'une descente pour
découvrir de la drogue. Gombosh fut accusé par la
suite d'infractions à la Loi sur les stupéfiants. Le
17 décembre 1979, il présentait une demande de
restitution, mais l'audition fut reportée et l'accusé
mourut finalement le 28 février 1980 avant d'avoir
été poursuivi; c'est l'administrateur de sa succes
sion, Fleming, qui a repris l'instance en restitution.
Au nom de la Cour, madame le juge Wilson
examine la question du «droit à la possession» des
choses saisies en posant trois questions: que signifie
cette expression que l'on retrouve à l'article 10, à
qui incombe le fardeau à charge ou à décharge et
quelle est la norme de preuve? Elle souligne que la
«dépossession» ou confiscation est obligatoire lors-
que sont réalisées les conditions strictes du para-
graphe 10(8), c'est-à-dire lorsque l'argent saisi a
servi à l'achat d'un stupéfiant à l'égard duquel une
infraction relative aux stupéfiants a été commise.
Elle passe également en revue les différentes inter-
prétations des cours sur cette question. À son avis,
l'interprétation du juge Addy dans l'arrêt Smith c.
La Reine, précité, de même que celle de la Cour
d'appel du Manitoba dans l'affaire Regina v.
Hicks, [1977] 3 W.W.R. 644, relève d'une appro-
che restrictive du régime juridique établi par l'arti-
cle 10. D'après cette interprétation, il faudrait un
texte clair pour pouvoir appliquer une mesure
aussi extraordinaire que celle de priver quelqu'un
de son bien de façon permanente ou temporaire.
Un arrêt plus récent de la Cour d'appel du
Québec, Re. Collins and The Queen (1983), 7
C.C.C. (3d) 377, indique également qu'une décla-
ration de culpabilité est une condition préalable à
l'application de l'article 10 et que le requérant n'a
pas l'obligation de réfuter la viciation de façon à
établir son droit à la possession.
Une autre jurisprudence, plus exigeante, a
adopté la maxime ex turpi causa non oritur actio
fondée sur l'ordre public et en vertu de laquelle un
accusé ne doit pas pouvoir tirer profit de gains
illégaux. Selon cette interprétation, l'expression
«droit à la possession» signifierait «droit légitime à
la possession», ce qui obligerait le requérant, pour
les fins des autres dispositions de l'article 10 de la
Loi sur les stupéfiants, à «convaincre» la cour que
l'argent saisi a été légitimement gagné.
Le juge Wilson fait ensuite remarquer qu'une
telle interprétation lui paraît difficile à concilier
avec ce qu'elle appelle [aux pages 440 R.C.S.; 356
C.R.] «les règles de fond et les règles constitution-
nelles d'interprétation législative, et en particulier
avec la présomption d'innocence telle qu'elle a
évolué en common law et en vertu de la Déclara-
tion canadienne des droits».
À la fin de son jugement, le juge Wilson répond
donc ainsi aux questions qu'elle avait précédem-
ment formulées: premièrement, la seule preuve du
droit à la possession est suffisante, selon la norme
de la prépondérance des probabilités; deuxième-
ment, la règle fondée sur l'ordre public relative-
ment à la viciation ne devrait s'appliquer, à son
avis, que s'il y a turpitude—en l'occurrence une
infraction criminelle—dont l'existence doit être
démontrée selon la procédure criminelle normale.
Elle en conclut qu'il serait tout à fait injustifié que,
lors de l'audition d'une demande de restitution, la
poursuite n'ait qu'à satisfaire à une norme civile de
preuve pour établir la «viciation». La culpabilité du
propriétaire du bien saisi doit avoir été prouvée au
cours d'une procédure criminelle antérieure.
Le juge Wilson souligne enfin qu'en l'absence de
conclusion précise de «viciation» au procès, la pour-
suite peut combler cette lacune en prouvant la
viciation selon la norme du doute raisonnable à
l'audition de la demande de restitution. C'est cette
norme, pourrais-je ajouter, que le juge Menzies de
la Cour provinciale n'a pas appliquée en refusant
d'accorder à la demanderesse à l'instance sa
demande de restitution.
Le raisonnement de la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt Fleming m'amène à conclure que la
demanderesse a droit à la remise de l'argent en
raison de son droit de possession et à défaut de
preuve d'un meilleur titre. En l'absence de déclara-
tion de culpabilité, la Couronne ne peut plus avoir
droit à cet argent par application de l'article 10 de
la Loi sur les stupéfiants. Le fait que la Cour
provinciale ait déjà rejeté la demande de restitu
tion ne constitue pas davantage une fin de non-
recevoir à la présente procédure. Bien que je sois
conscient que cette position semble aller à l'encon-
tre de celle de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt
Aimonetti, il m'apparaît néanmoins que cet arrêt
n'est plus pertinent en l'espèce depuis l'arrêt
Fleming.
C'est en tant que «choses» que l'argent a été saisi
par la police sous un matelas dans l'appartement
de la demanderesse. Ces choses, qui consistent en
billets américains (1 108 $) et canadiens
(14 800 $), doivent lui être remises.
À mon avis, il ne peut être servi d'intérêt sur des
choses, et de toute façon l'article 35 de la Loi sur
la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap.
10] s'applique en pareil cas aux intérêts pouvant
courir contre la Couronne avant jugement. Pour ce
qui est des intérêts courus depuis le jugement,
régis par l'article 40 de la Loi, je les accorderais au
taux moyen de la Banque du Canada à compter de
la date du jugement et jusqu'à la date du
paiement.
La demanderesse a également droit aux dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.