A-245-87
College of Physicians and Surgeons of British
Columbia (appelant) (défendeur)
c.
Dr. Kenneth D. Varnam (intimé) (demandeur)
et
Ministre de la Santé nationale et du Bien-être
social, directeur du Bureau des drogues dangereu-
ses du ministère de la Santé nationale et du Bien-
être social (intimés) (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: VARNAM C. CANADA (MINISTRE DE L4 SANTÉ
NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL)
Cour d'appel, juges Mahoney, Hugessen et Desjar-
dins—Vancouver, 8 février; Ottawa, 22 février
1988.
Compétence de la Cour fédérale — Division de première
instance — Appel contre le jugement par lequel la Division de
première instance refusait de radier la déclaration en ce qui
concerne le College of Physicians and Surgeons — L'appel est
accueilli — L'interprétation donnée à l'art. 17(1) de la Loi sur
la Cour fédérale dans l'arrêt Marshall c. La Reine est rejetée
— Le principe du «lien» entre les causes d'action est un critère
trop vague pour y fonder la compétence exclusive de la Cour
fédérale — Un «lien» ne peut conférer compétence en l'absence
de dispositions expresses de la loi — Les redressements de
toute sorte relèvent de la compétence de la Cour en vertu de
l'art. 17(1) pourvu qu'ils visent la Couronne fédérale.
Justice criminelle — Stupéfiants — Appel contre le juge-
ment par lequel la Division de première instance statuait que
l'art. 58 du Règlement sur les stupéfiants, qui exige que le
ministre n'agisse qu'«après consultation avec» le College of
Physicians and Surgeons, suffit à donner compétence à la Cour
relativement au Collège — L'exigence de consultation est
insuffisante pour donner compétence à la Cour — Les autori-
tés provinciales chargées de délivrer les permis jouent-elles un
rôle décisif dans l'action du ministre? — L'appel est accueilli.
Il s'agit d'un appel contre la conclusion du juge de première
instance voulant que l'action contre le College of Physicians
and Surgeons soit du ressort de la Cour fédérale parce que
ladite action est «liée» à celle qui vise la Couronne. Le deman-
deur cherchait à obtenir un jugement déclaratoire portant que
le ministre de la Santé et du Bien-être social avait agi illégale-
ment en révoquant l'autorisation qui lui avait été donnée de
prescrire de la méthadone, et/ou un bref de prérogative pour
annuler la révocation de son autorisation. Il allègue que le
ministre a agi sur la foi d'observations empreintes de négligence
et erronées émanant du Collège et que ce dernier a conspiré
avec le ministre pour délibérément faire obstacle à sa capacité
d'exercer sa profession. Le juge de première instance a statué
que l'obligation faite au ministre, à l'article 58 du Règlement
sur les stupéfiants, de n'agir qu'«après consultation avec» le
Collège suffisait à donner à l'action du demandeur contre le
Collège un appui suffisant dans la loi fédérale.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
La Cour n'avait pas compétence pour juger l'action du
demandeur contre le Collège. Une simple consultation comme
celle qu'exige l'article 58 ne semble pas constituer une assise
suffisante à la compétence de la Cour. Toutefois, le juge de
première instance n'a pas eu tort de refuser de rejeter l'action
pour ce motif à un stade aussi peu avancé parce que, étant
donné les articles 61 et 62 du Règlement, qui semblent donner
aux autorités provinciales chargées de délivrer les permis une
voix décisive quant aux circonstances dans lesquelles il y a lieu
de révoqùer l'avis visé par l'article 58, il est possible que le
Collège ait joué un rôle décisif dans la mesure prise par le
ministre.
Le juge de première instance s'est appuyé sur sa propre
interprétation du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour
fédérale dans l'arrêt Marshall c. La Reine, dans lequel elle a
statué que le paragraphe 17(1) donne compétence à la Cour de
façon à permettre à un demandeur de poursuivre en même
temps la Couronne et l'un de ses sujets devant ladite Cour
lorsque les causes d'action sont étroitement liées. Cette inter-
prétation était erronée. Le concept du «lien» est une norme trop
vague et trop élastique pour servir de fondement à la compé-
tence exclusive de la Cour fédérale. Il n'est pas dans l'intérêt
public que la compétence exclusive de la Cour fédérale fasse
l'objet de conjectures. Aucun lien ne saurait être assez étroit
pour conférer une compétence que la loi ne prévoit pas, tout
comme aucun lien ne saurait être suffisamment ténu pour
retirer une compétence que donne la loi.
L'interprétation dans l'arrêt Marshall se base sur l'emploi du
mot «cases» (cas) au paragraphe 17(1), auquel on a donné le
sens d'«actions» ou d'«affaires». L'emploi du mot «cas» dans le
texte français n'appuie pas une telle interprétation. Le paragra-
phe 17(1) met l'accent sur le mot «relief» (ou «redressement»)
qui, selon sa définition, comprend toute espèce de redressement.
Donc, les redressements de toutes sortes réclamés contre la
Couronne fédérale relèvent de la compétence exclusive de la
Cour fédérale, mais les redressements réclamés contre d'autres
personnes que la Couronne fédérale ne sont pas envisagés par le
texte en question. Cette interprétation est aussi en accord avec
le reste de la Loi, qui énonce spécifiquement la compétence de
la Cour sur des personnes autres que la Couronne. Finalement,
l'interprétation donnée au paragraphe 17(1) dans l'arrêt Mar-
shall est contraire à la façon constante dont les juges de la
Cour fédérale ont envisagé la question depuis la création de
cette Cour. Bien qu'il soit regrettable que le plaideur ait à
engager des poursuites devant deux tribunaux, la Cour ne doit
pas, pour de simples raisons de convenance, donner à sa compé-
tence une extension plus grande que celle que prévoit la loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2» Supp.), chap.
10, art. 2, 17(1), 20, 22, 23, 25.
Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C.
1970, chap. P-2.
Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6.
Règlement sur les stupéfiants, C.R.C., chap. 1041, art.
53, 58, 59, 61, 62.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Roberts c. Canada, [1987] 2 C.F. 535 (C.A.); Rasmus-
sen c. Breau, [1986] 2 C.F. 500 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Oagc. Canada, [1987] 2 C.F. 511 (C.A.).
DÉCISION INFIRMÉE:
Varnam c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du
Bien-être social), [1987] 3 C.F. 185 (1« inst.).
DÉCISION REJETÉE:
Marshall c. La Reine, [1986] 1 C.F. 437 We inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida
Electronics et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; Pacific Wes
tern Airlines Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 476 (1'e inst.);
confirmé [1980] 1 C.F. 86 (C.A.); La bande indienne de
Lubicon Lake c. R., [1981] 2 C.F. 317 (1« inst.); con
firmé (1981), 13 D.L.R. (4th) 159 (C.A.F.); Anglophoto
Ltd. v. Le «Ikaros», [1973] C.F. 483; 39 D.L.R. (3d) 446
(1te inst.); Desbiens c. La Reine, [1974] 2 C.F. 20 (1
inst.); Sunday c. L'Administration de la voie maritime
du Saint-Laurent, [1977] 2 C.F. 3; (1976), 72 D.L.R.
(3d) 104 (1fe inst.).
AVOCATS:
David Martin et Douglas H. Clarke pour
l'appelant (défendeur) College of Physicians
and Surgeons of British Columbia.
Daniel J. Barker pour l'intimé (demandeur)
Dr. Kenneth D. Varnam.
PROCUREURS:
Douglas, Symes & Brissenden, Vancouver,
pour l'appelant (défendeur) College of Physi
cians and Surgeons of British Columbia.
Kopelow & Barker, Vancouver, pour l'intimé
(demandeur) Dr. Kenneth D. Varnam.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés (défendeurs) le ministre de la
Santé nationale et du Bien-être social, Direc-
teur du Bureau des drogues dangereuses du
ministère de la Santé nationale et du Bien-
être social.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Le demandeur est un
médecin diplômé et il est membre du Collège
défendeur. Il pratique à Vancouver. Il allègue
qu'en septembre 1986 le ministre défendeur a pré-
tendu publier un avis conformément aux articles
53, 58 et 59 du Règlement sur les stupéfiants'. Le
demandeur affirme qu'en conséquence de cet avis,
le ministre lui a retiré l'autorisation de prescrire la
drogue méthadone.
Dans l'action qu'il a intentée contre le ministre
et le Collège, le demandeur allègue que le ministre
a agi illégalement et que les articles pertinents du
Règlement sur les stupéfiants sont anticonstitu-
tionnels. Subsidiairement, il soutient que le minis-
tre a violé les principes de justice naturelle et
manqué à l'obligation qui lui est faite d'être équi-
table, qu'il s'est montré partial et qu'il a agi de
façon abusive. Il allègue en outre que le ministre a
agi sur la foi d'observations empreintes de négli-
gence et erronées émanant du Collège, et que ce
dernier a agi de mauvaise foi et avec l'intention de
lui nuire. Le demandeur prétend que le Collège et
le ministre ont conspiré pour délibérément faire
obstacle à son droit et à sa capacité d'exercer la
profession qu'il a choisie.
En se fondant sur ces allégations, le demandeur
sollicite comme redressement un jugement décla-
ratoire ou un bref de prérogative, ou les deux, pour
annuler l'avis publié par le ministre. Contre le
Collège, il recherche des ordonnances enjoignant à
celui-ci de «divulguer» et d'«expliquer par écrit» les
motifs de ses actions. Finalement, il réclame des
dommages-intérêts généraux et spéciaux contre
tous les défendeurs.
En Division de première instance, le Collège a
demandé le rejet de l'action dont il fait l'objet en
alléguant l'absence de compétence. C'est le juge
Reed qui a entendu la requête [[1987] 3 C.F.
185]; en s'appuyant sur la décision qu'elle a rendue
antérieurement dans l'affaire Marshall c. La
Reine, [1986] 1 C.F. 437 (1te inst.), elle a statué
que l'action, telle qu'elle est rédigée, relevait de la
compétence de la Cour. Selon le juge Reed, l'ac-
tion intentée contre le Collège était «étroitement
liée» à l'action engagée contre la Couronne de
C.R.C., chap. 1041.
sorte que lui était applicable la règle qu'elle a
énoncée dans l'arrêt Marshall. Selon le libellé de
l'article 58 du Règlement sur les stupéfiants, le
ministre ne pouvait agir qu'«après consultation
avec» le Collège. D'après le juge Reed, cela suffi-
sait pour que l'action du demandeur contre le
Collège trouve un appui suffisant dans la loi fédé-
rale; elle a dit ce qui suit [aux pages 196 et 197]:
L'obligation que le Règlement sur les stupéfiants (numéro 58)
fait au ministre de consulter les autorités provinciales chargées
de délivrer les permis avant de refuser d'autoriser un praticien à
prescrire des stupéfiants ou de la méthadone constitue le fonde-
ment de l'action intentée contre le College of Physicians and
Surgeons of British Columbia. L'action intentée contre le Col-
lège défendeur n'est pas formée simplement parce que la Cou-
ronne est déjà partie à une action de nature contractuelle ou
délictuelle fondée sur le seul droit provincial. L'action du
demandeur se fonde essentiellement sur le conseil donné par le
Collège au ministre conformément à l'article 58. Le ministre
doit consulter l'organisme provincial chargé de délivrer les
permis avant de donner l'avis prévu à l'article 58. Le conseil
qu'il reçoit est manifestement un moteur important et peut-être
déterminant de la décision, quelle qu'elle soit, que prendra
ultimement le ministre. En conséquence, l'action intentée
contre le Collège trouve dans la Loi sur les stupéfiants un abri
législatif, ou un rapport de partie intégrante, ou un rapport
étroit existant en pratique.
Je doute fortement que ce passage énonce cor-
rectement le droit applicable. Je doute que le
simple fait qu'une loi fédérale exige qu'il y ait
consultation suffise à asseoir la compétence de la
Cour fédérale à l'égard de la personne consultée au
motif qu'elle aurait agi de façon négligente ou
frauduleuse. Plusieurs lois fédérales exigent un
acte particulier et individuel comme condition
préalable à l'intervention de l'État. Ainsi, en guise
d'exemple évident, mentionnons que le Code cri-
minel [S.R.C. 1970, chap. C-34] exige une dénon-
ciation faite sous serment comme condition préala-
ble à la délivrance d'un mandat, d'une assignation
ou d'un mandat de perquisition. À mon sens, il
n'est cependant pas exact de dire qu'une action
civile postérieure contre celui qui aurait agi irrégu-
lièrement (par exemple dans le cas d'un emprison-
nement illégal) se fonde dans une mesure considé-
rable sur la loi fédérale. Les faits en cause dans
l'arrêt Oag c. Canada, [1987] 2 C.F. 511 (C.A.),
sur lequel s'est appuyé le juge de première ins
tance, se distinguent clairement de ceux de l'es-
pèce: Oag soutenait que les fonctionnaires de la
Couronne défendeurs avaient agi illégalement et
contrairement à une loi fédérale (la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus [S.R.C. 1970,
chap. P-2]) de façon à le priver d'une liberté à
laquelle il avait droit uniquement par l'application
d'une autre loi fédérale (la Loi sur les pénitenciers
[S.R.C. 1970, chap. P-6]). Ainsi, non seulement le
préjudice subi par Oag consistait-il uniquement en
la privation d'un droit qui trouvait sa seule source
dans une loi fédérale, mais cette privation elle-
même découlait entièrement de l'abus qu'auraient
fait les fonctionnaires fédéraux des pouvoirs que
leur conférait une autre loi fédérale. Une simple
consultation comme celle qu'exige l'article 58 du
Règlement sur les stupéfiants ne me semble pas
constituer une assise suffisante à la compétence de
cette Cour.
Il est toutefois concevable que le rôle du Collège
défendeur dans la mesure prise par le ministre soit
plus décisif que ne le laisse paraître à première vue
la simple exigence de l'article 58 du Règlement
relativement à la consultation des autorités compé-
tentes. Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'intimé a
fait mention particulièrement des articles 61 et 62
du règlement susmentionné, qui semblent donner
aux autorités provinciales chargées de délivrer les
permis une voix décisive quant aux circonstances
dans lesquelles il y a lieu de révoquer l'avis visé par
l'article 58. Cela étant, il est possible que la preuve
soumise au procès établirait que l'application pra-
tique de l'article 58 donne également au Collège
un rôle décisif dans la décision du ministre. Dans
de telles circonstances, je ne puis dire que le juge
de première instance a eu tort en l'espèce de
refuser de rejeter l'action contre le Collège au
motif qu'elle ne serait pas fondée sur la loi fédé-
rale. Elle était saisie d'une requête préliminaire et
il est concevable, bien que peu probable, que les
faits nécessaires pour appuyer cet aspect de la
compétence de la Cour allaient se manifester au
procès.
Ceci me conduit à l'autre condition qui doit être
respectée lorsqu'il y a assertion de la compétence
de la Cour fédérale, c'est-à-dire qu'il doit y avoir
attribution de compétence par une loi fédérale 2 .
2 C'est là la première des «conditions essentielles« énumérées
par le juge McIntyre dans l'arrêt ITO—International Terminal
Operators Ltd. c. Miida Electronics et autre, [1986] 1 R.C.S.
752, la p. 766.
Comme je l'ai dit, le juge de première instance
s'est fondé sur la décision qu'elle a rendue aupara-
vant dans l'affaire Marshall. Dans l'arrêt Roberts
c. Canada, [1987] 2 C.F. 535 (C.A.), j'ai exprimé
certains doutes sur l'arrêt Marshall, mais il ne
nous était pas nécessaire de donner sur la question
une opinion définitive.
Dans l'affaire Marshall comme en l'espèce, la
seule source législative possible de la compétence
de la Cour se trouve au paragraphe 17(1) de la Loi
sur la Cour fédérale 3 :
17. (I) La Division de première instance a compétence en
première instance dans tous les cas où l'on demande contre la
Couronne un redressement et, sauf disposition contraire, cette
compétence est exclusive.
Voici comment le juge de première instance a
interprété ce texte dans l'arrêt Marshall [aux
pages 447 et 448]:
Ce paragraphe confère une compétence générale à la Cour.
Les paragraphes suivants de l'article 17 décrivent soit les
restrictions apportées à la compétence générale conférée au
paragraphe 17(1) soit ses aspects particuliers.
Il s'agit donc de déterminer si, en raison de la compétence
conférée à la Cour fédérale par le paragraphe 17(1), un deman-
deur peut poursuivre en même temps la Couronne et l'un de ses
sujets devant ladite Cour lorsque les causes d'action contre
chacun d'eux sont aussi étroitement liées qu'en l'espèce (par
exemple, en ce qui concerne la prétendue collusion). Il semble,
à la simple lecture de cet article, qu'on ait voulu conférer une
telle compétence puisqu'elle porte sur les «cas où l'on demande
contre la Couronne un redressement». Cette compétence ne vise
pas seulement les «réclamations contre la Couronne» comme
semble l'exiger une interprétation plus étroite.
Que le Parlement ait eu l'intention de donner cette portée
plus large à l'article est une conclusion qui non seulement
semble ressortir de son libellé mais peut en outre être raisonna-
blement tirée du fait que certaines actions contre la Couronne
fédérale doivent être intentées devant la Cour fédérale exclusi-
vement. Il semble peu probable que le Parlement ait eu l'inten-
tion de désavantager les personnes qui se trouvent dans la
situation de la demanderesse en les contraignant à diviser une
cause d'action unique et à en faire valoir une partie devant la
Cour fédérale et l'autre devant les tribunaux supérieurs des
provinces. Si telle était l'intention du Parlement, cela aurait
pour conséquence d'exposer un demandeur, se trouvant dans
une situation semblable à celle de la demanderesse en l'espèce,
à des conclusions différentes, et même contradictoires, devant
des tribunaux différents et de créer des embûches juridiction-
nelles et financières à l'endroit de ces personnes si elles déci-
daient de poursuivre la Couronne fédérale. Je ne crois pas que
c'était là l'intention du Parlement. Bien qu'il ne fasse aucun
doute que la compétence des tribunaux statutaires est interpré-
tée strictement en ce qu'ils ne sont pas des tribunaux possédant
une compétence inhérente, il est bon de se rappeler que l'article
S.R.C. 1970 (2» Supp.), chap. 10.
11 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, exige
que l'on interprète les lois fédérales de la manière la plus propre
à assurer la réalisation de leurs objets. En conséquence, il
semblerait que l'on doive considérer que le paragraphe 17(1)
confère à la Cour fédérale compétence sur l'ensemble de l'af-
faire dans un cas où, comme en l'espèce, l'action de la deman-
deresse vise à la fois l'employeur (la Couronne) et le syndicat
(l'A.F.P.).
Je voudrais en outre souligner que suivant la portée qu'a, à
mon avis, le paragraphe 17(1), il n'accorde pas à la Cour
fédérale quelque compétence que ce soit sur des affaires entre
sujets pour la seule raison qu'une action pourrait éventuelle-
ment être intentée à l'encontre du fédéral mais ne l'a pas été.
Le paragraphe 17(1) ne peut servir de fondement à la compé-
tence exclusive ou concurrente de la Cour fédérale sans qu'une
action soit intentée directement contre la Couronne. Toutefois,
lorsqu'une telle action est formée contre la Couronne fédérale,
j'estime que le libellé du paragraphe 17(1) est suffisamment
large pour permettre qu'un codéfendeur, dans un cas comme
celui qui nous intéresse, soit poursuivi en même temps que la
Couronne.
En toute déférence et non sans regret, je ne crois
pas correcte cette interprétation du paragraphe
17(1).
Tout d'abord, et comme je l'ai souligné dans
l'arrêt Roberts, susmentionné, j'estime que le con
cept du «lien», qui ne trouve sa source nulle part
dans le libellé de la loi, est une norme trop vague
et trop élastique pour servir de fondement à la
compétence exclusive de la Cour fédérale. Bien
que la jurisprudence puisse sans doute établir petit
à petit le point auquel doivent être liées les deman-
des pour donner compétence à cette Cour, l'élabo-
ration des règles applicables serait un lent proces-
sus au cours duquel les plaideurs resteraient
toujours incertains quant à la cour compétente. Il
n'est pas dans l'intérêt public que la compétence
exclusive de la Cour fédérale fasse l'objet de con
jectures. Qui plus est, il me semble qu'aucun lien
ne saurait être assez étroit pour conférer à cette
Cour une compétence que ne prévoit pas la loi,
tout comme aucun lien ne saurait être suffisam-
ment ténu pour retirer à la Cour la compétence
que lui donne la loi. Pour illustrer le premier volet
de cette proposition, citons l'arrêt Rasmussen c.
Breau, [ 1986] 2 C.F. 500 (C.A.) (l'affaire dite du
poisson salé). Dans cette affaire, la Cour a déclaré
ne pas être compétente pour juger une action
contre une société mandataire de la Couronne bien
que la réclamation contre la Couronne elle-même
ait été fondée en partie sur les actes de cette
société qui engageaient la responsabilité de la Cou-
ronne à l'égard du fait d'autrui. Il est difficile
d'imaginer deux demandes plus étroitement liées
que celles contre le commettant et son préposé,
dont les actes engagent sa responsabilité.
En second lieu, je ne crois pas qu'une juste
interprétation du paragraphe 17(1) appuie le sens
que lui donne l'arrêt Marshall. Cette interpréta-
tion, comme on l'a vu par le passage précité, se
base sur l'emploi du mot «cases» (cas) dans le texte
anglais. Le juge de première instance dans l'affaire
Marshall donne à ce mot le sens d'«actions» ou
d'«affaires». Je note que le texte français emploie le
mot «cas», qui n'appuie pas aisément une telle
interprétation. En effet, il me semble que le para-
graphe 17(1) ne met pas tant l'accent sur les
«cases» («cas») que sur le «relief» (ou «redresse-
ment»). C'est là un mot défini à l'article 2:
2....
«redressement» comprend toute espèce de redressement judi-
ciaire, qu'il soit sous forme de dommages-intérêts, de paie-
ment d'argent, d'injonction, de déclaration, de restitution
d'un droit incorporel, de restitution d'un bien mobilier ou
immobilier, ou sous une autre forme;
La très grande portée de cette définition indi-
que, à mon sens, la bonne interprétation du para-
graphe 17(1): les redressements de toutes sortes et
de toute nature réclamés contre la Couronne fédé-
rale relèvent de la compétence exclusive de la Cour
fédérale dans tous les cas. Les redressements récla-
més contre d'autres personnes que la Couronne
fédérale ne sont tout simplement pas envisagés par
le texte en question.
Cette interprétation, me semble-t-il, est aussi en
accord avec le reste de la Loi sur la Cour fédérale,
et plus particulièrement avec les dispositions des
articles 17 26, qui traitent de la compétence de la
Division de première instance. Le rédacteur de la
Loi était très conscient de la nécessité d'énoncer
clairement chaque octroi de compétence à l'égard
de personnes autres que la Couronne. Il suffit
d'étudier le libellé des articles 20, 22, 23 et 25 pour
se rendre compte du soin avec lequel la Loi a
précisé la compétence de la Cour entre sujets. Je
renverrais particulièrement au libellé de l'article
23, qui accorde compétence à la Cour entre sujets
dans les cas où la demande de redressement est
faite en vertu d'une loi en matière de lettres de
change «lorsque la Couronne est partie aux procé-
dures». Lorsque la compétence de la Cour à l'égard
d'un sujet ne peut exister que si la Couronne est
poursuivie, la Loi le dit très nettement. La compa-
raison avec le paragraphe 17(1) est significative.
Finalement, et le juge Reed l'a fort correcte-
ment reconnu dans l'arrêt Marshall, son interpré-
tation est contraire à celle qui avait auparavant été
donnée à la loi. Il est particulièrement fait réfé-
rence aux arrêts Pacific Western Airlines Ltd. c.
R., [1979] 2 C.F. 476 (i ie inst.); confirmé par
[1980] 1 C.F. 86 (C.A.); La bande indienne de
Lubicon Lake c. R., [1981] 2 C.F. 317 (lie inst.);
confirmé par (1981), 13 D.L.R. (4th) 159
(C.A.F.); Anglophoto Ltd. v. Le «Ikaros», [1973]
C.F. 483; 39 D.L.R. (3d) 446 (lie inst.); Desbiens
c. La Reine, [1974] 2 C.F. 20 (lie inst.); Sunday c.
L'Administration de la voie maritime du Saint-
Laurent, [1977] 2 C.F. 3; (1976), 72 D.L.R. (3d)
104 (i re inst.). Il y en a d'autres. Bien que le juge
Reed puisse ne pas avoir été strictement liée par
quelques unes de ces décisions et qu'elles puissent
se distinguer des faits en cause dans l'affaire Mar-
shall, elles n'en expriment pas moins la façon
constante dont les juges de cette Cour ont envisagé
la question depuis la création de notre tribunal.
Elles représentent aussi, à mon sens, une saine
politique judiciaire: en notre qualité de membres
d'un tribunal créé par la loi, nous ne devons pas
hésiter à exercer la compétence qui nous a été
conférée, mais nous ne devons pas chercher à lui
donner une extension plus grande que celle que
prévoit clairement le libellé de la loi.
J'ai souligné plus haut que c'est à regret que j'ai
conclu que la décision dans l'affaire Marshall était
erronée. Ce regret ne procède d'aucun souhait
d'étendre la compétence de cette Cour. Il trouve
plutôt sa source dans le souci que me cause la
situation peu enviable du plaideur qui peut, dans
certaines circonstances, se voir contraint d'engager
des poursuites devant deux tribunaux. Le juge
Reed a bien exprimé ce souci dans l'arrêt Mar-
shall, et le juge Collier en a été l'éloquent inter-
prète dans l'arrêt Pacific Western Airlines, sus-
mentionné, dans lequel il a qualifié la situation [à
la page 490] de «lamentable». Pour ma part,
cependant, tout en partageant ces vues, je ne puis
que répéter les paroles du juge en chef dans l'arrêt
sur le poisson salé, susmentionné [à la page 513]:
... l'avantage qui pourrait être obtenu, le cas échéant, ne
constitue pas un motif suffisant pour étendre la compétence de
la Cour au-delà des limites prévues par la loi.
Je conclus que la Cour n'a pas compétence pour
juger de l'action du demandeur contre le Collège.
J'accueillerais l'appel, j'annulerais le jugement
contesté et je rejetterais l'action du demandeur
contre le Collège défendeur. Le défendeur devrait
avoir droit à ses dépens aussi bien en appel qu'en
première instance.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE DESJARDINS: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.