Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-245-87
College of Physicians and Surgeons of British Columbia (appelant) (défendeur)
c.
Dr. Kenneth D. Varnam (intimé) (demandeur) et
Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, directeur du Bureau des drogues dangereu- ses du ministère de la Santé nationale et du Bien- être social (intimés) (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: VARNAM C. CANADA (MINISTRE DE L4 SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL)
Cour d'appel, juges Mahoney, Hugessen et Desjar- dins—Vancouver, 8 février; Ottawa, 22 février 1988.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Appel contre le jugement par lequel la Division de première instance refusait de radier la déclaration en ce qui concerne le College of Physicians and Surgeons L'appel est accueilli L'interprétation donnée à l'art. 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale dans l'arrêt Marshall c. La Reine est rejetée Le principe du «lien» entre les causes d'action est un critère trop vague pour y fonder la compétence exclusive de la Cour fédérale Un «lien» ne peut conférer compétence en l'absence de dispositions expresses de la loi Les redressements de toute sorte relèvent de la compétence de la Cour en vertu de l'art. 17(1) pourvu qu'ils visent la Couronne fédérale.
Justice criminelle Stupéfiants Appel contre le juge- ment par lequel la Division de première instance statuait que l'art. 58 du Règlement sur les stupéfiants, qui exige que le ministre n'agisse qu'«après consultation avec» le College of Physicians and Surgeons, suffit à donner compétence à la Cour relativement au Collège L'exigence de consultation est insuffisante pour donner compétence à la Cour Les autori- tés provinciales chargées de délivrer les permis jouent-elles un rôle décisif dans l'action du ministre? L'appel est accueilli.
Il s'agit d'un appel contre la conclusion du juge de première instance voulant que l'action contre le College of Physicians and Surgeons soit du ressort de la Cour fédérale parce que ladite action est «liée» à celle qui vise la Couronne. Le deman- deur cherchait à obtenir un jugement déclaratoire portant que le ministre de la Santé et du Bien-être social avait agi illégale- ment en révoquant l'autorisation qui lui avait été donnée de prescrire de la méthadone, et/ou un bref de prérogative pour annuler la révocation de son autorisation. Il allègue que le ministre a agi sur la foi d'observations empreintes de négligence et erronées émanant du Collège et que ce dernier a conspiré avec le ministre pour délibérément faire obstacle à sa capacité d'exercer sa profession. Le juge de première instance a statué que l'obligation faite au ministre, à l'article 58 du Règlement sur les stupéfiants, de n'agir qu'«après consultation avec» le Collège suffisait à donner à l'action du demandeur contre le Collège un appui suffisant dans la loi fédérale.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
La Cour n'avait pas compétence pour juger l'action du demandeur contre le Collège. Une simple consultation comme celle qu'exige l'article 58 ne semble pas constituer une assise suffisante à la compétence de la Cour. Toutefois, le juge de première instance n'a pas eu tort de refuser de rejeter l'action pour ce motif à un stade aussi peu avancé parce que, étant donné les articles 61 et 62 du Règlement, qui semblent donner aux autorités provinciales chargées de délivrer les permis une voix décisive quant aux circonstances dans lesquelles il y a lieu de révoqùer l'avis visé par l'article 58, il est possible que le Collège ait joué un rôle décisif dans la mesure prise par le ministre.
Le juge de première instance s'est appuyé sur sa propre interprétation du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale dans l'arrêt Marshall c. La Reine, dans lequel elle a statué que le paragraphe 17(1) donne compétence à la Cour de façon à permettre à un demandeur de poursuivre en même temps la Couronne et l'un de ses sujets devant ladite Cour lorsque les causes d'action sont étroitement liées. Cette inter- prétation était erronée. Le concept du «lien» est une norme trop vague et trop élastique pour servir de fondement à la compé- tence exclusive de la Cour fédérale. Il n'est pas dans l'intérêt public que la compétence exclusive de la Cour fédérale fasse l'objet de conjectures. Aucun lien ne saurait être assez étroit pour conférer une compétence que la loi ne prévoit pas, tout comme aucun lien ne saurait être suffisamment ténu pour retirer une compétence que donne la loi.
L'interprétation dans l'arrêt Marshall se base sur l'emploi du mot «cases» (cas) au paragraphe 17(1), auquel on a donné le sens d'«actions» ou d'«affaires». L'emploi du mot «cas» dans le texte français n'appuie pas une telle interprétation. Le paragra- phe 17(1) met l'accent sur le mot «relief» (ou «redressement») qui, selon sa définition, comprend toute espèce de redressement. Donc, les redressements de toutes sortes réclamés contre la Couronne fédérale relèvent de la compétence exclusive de la Cour fédérale, mais les redressements réclamés contre d'autres personnes que la Couronne fédérale ne sont pas envisagés par le texte en question. Cette interprétation est aussi en accord avec le reste de la Loi, qui énonce spécifiquement la compétence de la Cour sur des personnes autres que la Couronne. Finalement, l'interprétation donnée au paragraphe 17(1) dans l'arrêt Mar- shall est contraire à la façon constante dont les juges de la Cour fédérale ont envisagé la question depuis la création de cette Cour. Bien qu'il soit regrettable que le plaideur ait à engager des poursuites devant deux tribunaux, la Cour ne doit pas, pour de simples raisons de convenance, donner à sa compé- tence une extension plus grande que celle que prévoit la loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2» Supp.), chap. 10, art. 2, 17(1), 20, 22, 23, 25.
Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2.
Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6. Règlement sur les stupéfiants, C.R.C., chap. 1041, art. 53, 58, 59, 61, 62.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Roberts c. Canada, [1987] 2 C.F. 535 (C.A.); Rasmus- sen c. Breau, [1986] 2 C.F. 500 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Oagc. Canada, [1987] 2 C.F. 511 (C.A.).
DÉCISION INFIRMÉE:
Varnam c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1987] 3 C.F. 185 (1« inst.).
DÉCISION REJETÉE:
Marshall c. La Reine, [1986] 1 C.F. 437 We inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; Pacific Wes tern Airlines Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 476 (1'e inst.); confirmé [1980] 1 C.F. 86 (C.A.); La bande indienne de Lubicon Lake c. R., [1981] 2 C.F. 317 (1« inst.); con firmé (1981), 13 D.L.R. (4th) 159 (C.A.F.); Anglophoto Ltd. v. Le «Ikaros», [1973] C.F. 483; 39 D.L.R. (3d) 446 (1te inst.); Desbiens c. La Reine, [1974] 2 C.F. 20 (1 inst.); Sunday c. L'Administration de la voie maritime du Saint-Laurent, [1977] 2 C.F. 3; (1976), 72 D.L.R. (3d) 104 (1fe inst.).
AVOCATS:
David Martin et Douglas H. Clarke pour l'appelant (défendeur) College of Physicians and Surgeons of British Columbia.
Daniel J. Barker pour l'intimé (demandeur) Dr. Kenneth D. Varnam.
PROCUREURS:
Douglas, Symes & Brissenden, Vancouver, pour l'appelant (défendeur) College of Physi cians and Surgeons of British Columbia. Kopelow & Barker, Vancouver, pour l'intimé (demandeur) Dr. Kenneth D. Varnam.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés (défendeurs) le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, Direc- teur du Bureau des drogues dangereuses du ministère de la Santé nationale et du Bien- être social.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Le demandeur est un médecin diplômé et il est membre du Collège défendeur. Il pratique à Vancouver. Il allègue qu'en septembre 1986 le ministre défendeur a pré- tendu publier un avis conformément aux articles 53, 58 et 59 du Règlement sur les stupéfiants'. Le demandeur affirme qu'en conséquence de cet avis, le ministre lui a retiré l'autorisation de prescrire la drogue méthadone.
Dans l'action qu'il a intentée contre le ministre et le Collège, le demandeur allègue que le ministre a agi illégalement et que les articles pertinents du Règlement sur les stupéfiants sont anticonstitu- tionnels. Subsidiairement, il soutient que le minis- tre a violé les principes de justice naturelle et manqué à l'obligation qui lui est faite d'être équi- table, qu'il s'est montré partial et qu'il a agi de façon abusive. Il allègue en outre que le ministre a agi sur la foi d'observations empreintes de négli- gence et erronées émanant du Collège, et que ce dernier a agi de mauvaise foi et avec l'intention de lui nuire. Le demandeur prétend que le Collège et le ministre ont conspiré pour délibérément faire obstacle à son droit et à sa capacité d'exercer la profession qu'il a choisie.
En se fondant sur ces allégations, le demandeur sollicite comme redressement un jugement décla- ratoire ou un bref de prérogative, ou les deux, pour annuler l'avis publié par le ministre. Contre le Collège, il recherche des ordonnances enjoignant à celui-ci de «divulguer» et d'«expliquer par écrit» les motifs de ses actions. Finalement, il réclame des dommages-intérêts généraux et spéciaux contre tous les défendeurs.
En Division de première instance, le Collège a demandé le rejet de l'action dont il fait l'objet en alléguant l'absence de compétence. C'est le juge Reed qui a entendu la requête [[1987] 3 C.F. 185]; en s'appuyant sur la décision qu'elle a rendue antérieurement dans l'affaire Marshall c. La Reine, [1986] 1 C.F. 437 (1te inst.), elle a statué que l'action, telle qu'elle est rédigée, relevait de la compétence de la Cour. Selon le juge Reed, l'ac- tion intentée contre le Collège était «étroitement liée» à l'action engagée contre la Couronne de
C.R.C., chap. 1041.
sorte que lui était applicable la règle qu'elle a énoncée dans l'arrêt Marshall. Selon le libellé de l'article 58 du Règlement sur les stupéfiants, le ministre ne pouvait agir qu'«après consultation avec» le Collège. D'après le juge Reed, cela suffi- sait pour que l'action du demandeur contre le Collège trouve un appui suffisant dans la loi fédé- rale; elle a dit ce qui suit [aux pages 196 et 197]:
L'obligation que le Règlement sur les stupéfiants (numéro 58) fait au ministre de consulter les autorités provinciales chargées de délivrer les permis avant de refuser d'autoriser un praticien à prescrire des stupéfiants ou de la méthadone constitue le fonde- ment de l'action intentée contre le College of Physicians and Surgeons of British Columbia. L'action intentée contre le Col- lège défendeur n'est pas formée simplement parce que la Cou- ronne est déjà partie à une action de nature contractuelle ou délictuelle fondée sur le seul droit provincial. L'action du demandeur se fonde essentiellement sur le conseil donné par le Collège au ministre conformément à l'article 58. Le ministre doit consulter l'organisme provincial chargé de délivrer les permis avant de donner l'avis prévu à l'article 58. Le conseil qu'il reçoit est manifestement un moteur important et peut-être déterminant de la décision, quelle qu'elle soit, que prendra ultimement le ministre. En conséquence, l'action intentée contre le Collège trouve dans la Loi sur les stupéfiants un abri législatif, ou un rapport de partie intégrante, ou un rapport étroit existant en pratique.
Je doute fortement que ce passage énonce cor- rectement le droit applicable. Je doute que le simple fait qu'une loi fédérale exige qu'il y ait consultation suffise à asseoir la compétence de la Cour fédérale à l'égard de la personne consultée au motif qu'elle aurait agi de façon négligente ou frauduleuse. Plusieurs lois fédérales exigent un acte particulier et individuel comme condition préalable à l'intervention de l'État. Ainsi, en guise d'exemple évident, mentionnons que le Code cri- minel [S.R.C. 1970, chap. C-34] exige une dénon- ciation faite sous serment comme condition préala- ble à la délivrance d'un mandat, d'une assignation ou d'un mandat de perquisition. À mon sens, il n'est cependant pas exact de dire qu'une action civile postérieure contre celui qui aurait agi irrégu- lièrement (par exemple dans le cas d'un emprison- nement illégal) se fonde dans une mesure considé- rable sur la loi fédérale. Les faits en cause dans l'arrêt Oag c. Canada, [1987] 2 C.F. 511 (C.A.), sur lequel s'est appuyé le juge de première ins tance, se distinguent clairement de ceux de l'es- pèce: Oag soutenait que les fonctionnaires de la Couronne défendeurs avaient agi illégalement et contrairement à une loi fédérale (la Loi sur la libération conditionnelle de détenus [S.R.C. 1970,
chap. P-2]) de façon à le priver d'une liberté à laquelle il avait droit uniquement par l'application d'une autre loi fédérale (la Loi sur les pénitenciers [S.R.C. 1970, chap. P-6]). Ainsi, non seulement le préjudice subi par Oag consistait-il uniquement en la privation d'un droit qui trouvait sa seule source dans une loi fédérale, mais cette privation elle- même découlait entièrement de l'abus qu'auraient fait les fonctionnaires fédéraux des pouvoirs que leur conférait une autre loi fédérale. Une simple consultation comme celle qu'exige l'article 58 du Règlement sur les stupéfiants ne me semble pas constituer une assise suffisante à la compétence de cette Cour.
Il est toutefois concevable que le rôle du Collège défendeur dans la mesure prise par le ministre soit plus décisif que ne le laisse paraître à première vue la simple exigence de l'article 58 du Règlement relativement à la consultation des autorités compé- tentes. Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'intimé a fait mention particulièrement des articles 61 et 62 du règlement susmentionné, qui semblent donner aux autorités provinciales chargées de délivrer les permis une voix décisive quant aux circonstances dans lesquelles il y a lieu de révoquer l'avis visé par l'article 58. Cela étant, il est possible que la preuve soumise au procès établirait que l'application pra- tique de l'article 58 donne également au Collège un rôle décisif dans la décision du ministre. Dans de telles circonstances, je ne puis dire que le juge de première instance a eu tort en l'espèce de refuser de rejeter l'action contre le Collège au motif qu'elle ne serait pas fondée sur la loi fédé- rale. Elle était saisie d'une requête préliminaire et il est concevable, bien que peu probable, que les faits nécessaires pour appuyer cet aspect de la compétence de la Cour allaient se manifester au procès.
Ceci me conduit à l'autre condition qui doit être respectée lorsqu'il y a assertion de la compétence de la Cour fédérale, c'est-à-dire qu'il doit y avoir attribution de compétence par une loi fédérale 2 .
2 C'est la première des «conditions essentielles« énumérées par le juge McIntyre dans l'arrêt ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, la p. 766.
Comme je l'ai dit, le juge de première instance s'est fondé sur la décision qu'elle a rendue aupara- vant dans l'affaire Marshall. Dans l'arrêt Roberts c. Canada, [1987] 2 C.F. 535 (C.A.), j'ai exprimé certains doutes sur l'arrêt Marshall, mais il ne nous était pas nécessaire de donner sur la question une opinion définitive.
Dans l'affaire Marshall comme en l'espèce, la seule source législative possible de la compétence de la Cour se trouve au paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale 3 :
17. (I) La Division de première instance a compétence en première instance dans tous les cas l'on demande contre la Couronne un redressement et, sauf disposition contraire, cette compétence est exclusive.
Voici comment le juge de première instance a interprété ce texte dans l'arrêt Marshall [aux pages 447 et 448]:
Ce paragraphe confère une compétence générale à la Cour. Les paragraphes suivants de l'article 17 décrivent soit les restrictions apportées à la compétence générale conférée au paragraphe 17(1) soit ses aspects particuliers.
Il s'agit donc de déterminer si, en raison de la compétence conférée à la Cour fédérale par le paragraphe 17(1), un deman- deur peut poursuivre en même temps la Couronne et l'un de ses sujets devant ladite Cour lorsque les causes d'action contre chacun d'eux sont aussi étroitement liées qu'en l'espèce (par exemple, en ce qui concerne la prétendue collusion). Il semble, à la simple lecture de cet article, qu'on ait voulu conférer une telle compétence puisqu'elle porte sur les «cas l'on demande contre la Couronne un redressement». Cette compétence ne vise pas seulement les «réclamations contre la Couronne» comme semble l'exiger une interprétation plus étroite.
Que le Parlement ait eu l'intention de donner cette portée plus large à l'article est une conclusion qui non seulement semble ressortir de son libellé mais peut en outre être raisonna- blement tirée du fait que certaines actions contre la Couronne fédérale doivent être intentées devant la Cour fédérale exclusi- vement. Il semble peu probable que le Parlement ait eu l'inten- tion de désavantager les personnes qui se trouvent dans la situation de la demanderesse en les contraignant à diviser une cause d'action unique et à en faire valoir une partie devant la Cour fédérale et l'autre devant les tribunaux supérieurs des provinces. Si telle était l'intention du Parlement, cela aurait pour conséquence d'exposer un demandeur, se trouvant dans une situation semblable à celle de la demanderesse en l'espèce, à des conclusions différentes, et même contradictoires, devant des tribunaux différents et de créer des embûches juridiction- nelles et financières à l'endroit de ces personnes si elles déci- daient de poursuivre la Couronne fédérale. Je ne crois pas que c'était l'intention du Parlement. Bien qu'il ne fasse aucun doute que la compétence des tribunaux statutaires est interpré- tée strictement en ce qu'ils ne sont pas des tribunaux possédant une compétence inhérente, il est bon de se rappeler que l'article
S.R.C. 1970 (2» Supp.), chap. 10.
11 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, exige que l'on interprète les lois fédérales de la manière la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets. En conséquence, il semblerait que l'on doive considérer que le paragraphe 17(1) confère à la Cour fédérale compétence sur l'ensemble de l'af- faire dans un cas où, comme en l'espèce, l'action de la deman- deresse vise à la fois l'employeur (la Couronne) et le syndicat (l'A.F.P.).
Je voudrais en outre souligner que suivant la portée qu'a, à mon avis, le paragraphe 17(1), il n'accorde pas à la Cour fédérale quelque compétence que ce soit sur des affaires entre sujets pour la seule raison qu'une action pourrait éventuelle- ment être intentée à l'encontre du fédéral mais ne l'a pas été. Le paragraphe 17(1) ne peut servir de fondement à la compé- tence exclusive ou concurrente de la Cour fédérale sans qu'une action soit intentée directement contre la Couronne. Toutefois, lorsqu'une telle action est formée contre la Couronne fédérale, j'estime que le libellé du paragraphe 17(1) est suffisamment large pour permettre qu'un codéfendeur, dans un cas comme celui qui nous intéresse, soit poursuivi en même temps que la Couronne.
En toute déférence et non sans regret, je ne crois pas correcte cette interprétation du paragraphe 17(1).
Tout d'abord, et comme je l'ai souligné dans l'arrêt Roberts, susmentionné, j'estime que le con cept du «lien», qui ne trouve sa source nulle part dans le libellé de la loi, est une norme trop vague et trop élastique pour servir de fondement à la compétence exclusive de la Cour fédérale. Bien que la jurisprudence puisse sans doute établir petit à petit le point auquel doivent être liées les deman- des pour donner compétence à cette Cour, l'élabo- ration des règles applicables serait un lent proces- sus au cours duquel les plaideurs resteraient toujours incertains quant à la cour compétente. Il n'est pas dans l'intérêt public que la compétence exclusive de la Cour fédérale fasse l'objet de con jectures. Qui plus est, il me semble qu'aucun lien ne saurait être assez étroit pour conférer à cette Cour une compétence que ne prévoit pas la loi, tout comme aucun lien ne saurait être suffisam- ment ténu pour retirer à la Cour la compétence que lui donne la loi. Pour illustrer le premier volet de cette proposition, citons l'arrêt Rasmussen c. Breau, [ 1986] 2 C.F. 500 (C.A.) (l'affaire dite du poisson salé). Dans cette affaire, la Cour a déclaré ne pas être compétente pour juger une action contre une société mandataire de la Couronne bien que la réclamation contre la Couronne elle-même ait été fondée en partie sur les actes de cette société qui engageaient la responsabilité de la Cou- ronne à l'égard du fait d'autrui. Il est difficile
d'imaginer deux demandes plus étroitement liées que celles contre le commettant et son préposé, dont les actes engagent sa responsabilité.
En second lieu, je ne crois pas qu'une juste interprétation du paragraphe 17(1) appuie le sens que lui donne l'arrêt Marshall. Cette interpréta- tion, comme on l'a vu par le passage précité, se base sur l'emploi du mot «cases» (cas) dans le texte anglais. Le juge de première instance dans l'affaire Marshall donne à ce mot le sens d'«actions» ou d'«affaires». Je note que le texte français emploie le mot «cas», qui n'appuie pas aisément une telle interprétation. En effet, il me semble que le para- graphe 17(1) ne met pas tant l'accent sur les «cases» («cas») que sur le «relief» (ou «redresse- ment»). C'est un mot défini à l'article 2:
2....
«redressement» comprend toute espèce de redressement judi- ciaire, qu'il soit sous forme de dommages-intérêts, de paie- ment d'argent, d'injonction, de déclaration, de restitution d'un droit incorporel, de restitution d'un bien mobilier ou immobilier, ou sous une autre forme;
La très grande portée de cette définition indi- que, à mon sens, la bonne interprétation du para- graphe 17(1): les redressements de toutes sortes et de toute nature réclamés contre la Couronne fédé- rale relèvent de la compétence exclusive de la Cour fédérale dans tous les cas. Les redressements récla- més contre d'autres personnes que la Couronne fédérale ne sont tout simplement pas envisagés par le texte en question.
Cette interprétation, me semble-t-il, est aussi en accord avec le reste de la Loi sur la Cour fédérale, et plus particulièrement avec les dispositions des articles 17 26, qui traitent de la compétence de la Division de première instance. Le rédacteur de la Loi était très conscient de la nécessité d'énoncer clairement chaque octroi de compétence à l'égard de personnes autres que la Couronne. Il suffit d'étudier le libellé des articles 20, 22, 23 et 25 pour se rendre compte du soin avec lequel la Loi a précisé la compétence de la Cour entre sujets. Je renverrais particulièrement au libellé de l'article 23, qui accorde compétence à la Cour entre sujets dans les cas la demande de redressement est faite en vertu d'une loi en matière de lettres de change «lorsque la Couronne est partie aux procé- dures». Lorsque la compétence de la Cour à l'égard d'un sujet ne peut exister que si la Couronne est
poursuivie, la Loi le dit très nettement. La compa- raison avec le paragraphe 17(1) est significative.
Finalement, et le juge Reed l'a fort correcte- ment reconnu dans l'arrêt Marshall, son interpré- tation est contraire à celle qui avait auparavant été donnée à la loi. Il est particulièrement fait réfé- rence aux arrêts Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 476 (i ie inst.); confirmé par [1980] 1 C.F. 86 (C.A.); La bande indienne de Lubicon Lake c. R., [1981] 2 C.F. 317 (lie inst.); confirmé par (1981), 13 D.L.R. (4th) 159 (C.A.F.); Anglophoto Ltd. v. Le «Ikaros», [1973] C.F. 483; 39 D.L.R. (3d) 446 (lie inst.); Desbiens c. La Reine, [1974] 2 C.F. 20 (lie inst.); Sunday c. L'Administration de la voie maritime du Saint- Laurent, [1977] 2 C.F. 3; (1976), 72 D.L.R. (3d) 104 (i re inst.). Il y en a d'autres. Bien que le juge Reed puisse ne pas avoir été strictement liée par quelques unes de ces décisions et qu'elles puissent se distinguer des faits en cause dans l'affaire Mar- shall, elles n'en expriment pas moins la façon constante dont les juges de cette Cour ont envisagé la question depuis la création de notre tribunal. Elles représentent aussi, à mon sens, une saine politique judiciaire: en notre qualité de membres d'un tribunal créé par la loi, nous ne devons pas hésiter à exercer la compétence qui nous a été conférée, mais nous ne devons pas chercher à lui donner une extension plus grande que celle que prévoit clairement le libellé de la loi.
J'ai souligné plus haut que c'est à regret que j'ai conclu que la décision dans l'affaire Marshall était erronée. Ce regret ne procède d'aucun souhait d'étendre la compétence de cette Cour. Il trouve plutôt sa source dans le souci que me cause la situation peu enviable du plaideur qui peut, dans certaines circonstances, se voir contraint d'engager des poursuites devant deux tribunaux. Le juge Reed a bien exprimé ce souci dans l'arrêt Mar- shall, et le juge Collier en a été l'éloquent inter- prète dans l'arrêt Pacific Western Airlines, sus- mentionné, dans lequel il a qualifié la situation la page 490] de «lamentable». Pour ma part, cependant, tout en partageant ces vues, je ne puis que répéter les paroles du juge en chef dans l'arrêt sur le poisson salé, susmentionné la page 513]:
... l'avantage qui pourrait être obtenu, le cas échéant, ne constitue pas un motif suffisant pour étendre la compétence de la Cour au-delà des limites prévues par la loi.
Je conclus que la Cour n'a pas compétence pour juger de l'action du demandeur contre le Collège. J'accueillerais l'appel, j'annulerais le jugement contesté et je rejetterais l'action du demandeur contre le Collège défendeur. Le défendeur devrait avoir droit à ses dépens aussi bien en appel qu'en première instance.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs. LE JUGE DESJARDINS: Je souscris à ces motifs.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.