T-1250-80
Aerlinte Eireann Teoranta (faisant affaire sous la
dénomination sociale de «Aer Lingus»)
et
Alitalia Linee Aeree Italiane S.p.A (faisant affaire
sous la dénomination sociale de «Alitalia»)
et
British Airways (faisant affaire sous la dénomina-
tion sociale de «British Airways»)
et
Canadian Pacific Air Lines, Limited (faisant
affaire sous la dénomination sociale de «CP Air»)
et
Compagnie Nationale Air France (faisant affaire
sous la dénomination sociale de «Air France»)
et
El Al Israel Airlines Limited (faisant affaire sous
la dénomination sociale de «El Al»)
et
Iberia, Lineas Aereas de Espana, S.A. (faisant
affaire sous la dénomination sociale de «Iberia»)
et
Koninklijke Luchtvaart Maatschappij N.V. (fai-
sant affaire sous la dénomination sociale de
«KLM Royal Dutch Airlines»)
et
Christopher Morris, liquidateur de Laker Airways
Limited (en dissolution)
et
Deutsche Lufthansa AG (faisant affaire sous la
dénomination sociale de «Lufthansa»)
et
Société Anonyme Belge d'Exploitation de la Navi
gation Aérienne (faisant affaire sous la dénomina-
tion sociale de «Sabena»)
et
Scandinavian Airlines of North America Inc. (fai-
sant affaire sous la dénomination sociale de
«Scandinavian Airlines System» ou «SAS»)
et
Swiss Air Transport Co., Ltd. (faisant affaire sous
la dénomination sociale de «Swissair»)
et
Wardair Canada Inc. (faisant affaire sous la déno-
mination sociale de «Wardair») (demandeurs)
c.
La Reine du chef du Canada et ministre des
Transports du Canada (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: AERLINTE EIREANN TEORANTA C. CANADA
Division de première instance, juge Muldoon—
Ottawa, 20 janvier au 27 février 1986 et 20 février
1987.
Droit aérien — Taxes des services aéronautiques — Validité
du règlement fixant des taxes d'atterrissage pour les vols
transocéaniques — Le règlement outrepasse-t-il les pouvoirs
du gouverneur en conseil ou du ministre? — Est-il discrimina-
toire et illégal? — Règlement sur les taxes des services aéro-
nautiques, C.R.C., chap. 5 — Loi sur l'aéronautique, S.R.C.
1970, chap. A-3, art. 5 — Décret autorisant l'établissement de
règlements ministériels, C.R.C., chap. 126 — Loi sur l'admi-
nistration financière, S.C. 1951 (2e session), chap. 12, art. 18
— Loi modifiant la Loi sur l'aéronautique, S.C. 1966-67,
chap. 10, art. 1 — Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970,
chap. O-2, art. 8(2)a),d) — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 15 — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663, Règles 338(2), 487 — Convention relative à l'aviation
civile internationale, 7 déc. 1944, [1944] R.T. Can. n° 36, art.
15 — Accord relatif aux transports aériens entre le gouverne-
ment du Canada et le gouvernement du Royaume des Pays-
Bas, 17 juin 1974, [19751 R.T. Can. n° 19.
Restitution — Taxes d'atterrissage qui seraient discrimina-
toires et illégales — Aucune possibilité de recouvrement si les
paiements ont été effectués en vertu d'une erreur de droit —
Recouvrement possible lorsqu'il y a contrainte ou lorsqu'il
s'agit d'une opération illégale — Au Québec, c'est le Code civil
qui s'applique — Code civil du Bas-Canada, art. 1047, 1140.
Le Règlement sur les taxes des services aéronautiques qui
était en vigueur jusqu'en septembre 1985 prescrivait, pour les
vols transocéaniques, une taxe d'atterrissage dont le taux était
supérieur à celui de la taxe exigée pour les vols internationaux
et les vols intérieurs. Les demandeurs s'adressent à la Cour afin
d'obtenir qu'elle déclare que le Règlement outrepassait les
pouvoirs du gouverneur en conseil ou du ministre, ou qu'il était
nul et inopérant parce qu'il était discriminatoire. Ils demandent
également la restitution de la taxe versée en trop.
Jugement: l'action doit être rejetée.
Le Règlement était valide. Le pouvoir relatif aux taxes
d'atterrissage conféré au gouverneur en conseil par la Loi sur
l'aéronautique et subsidiairement au ministre des Transports
par le Décret autorisant l'établissement de règlements ministé-
riels est général, étendu et pratiquement absolu. Même si la
taxe se rapportait aux frais engagés par le ministre pour fournir
des installations et des services, il n'était pas nécessaire qu'il
existe un tel lien.
Bien que les deux versions officielles de l'article 5 de la Loi
sur l'aéronautique puissent sembler différentes, elles ne le sont
pas en réalité si on les considère en regard de la Loi sur les
langues officielles. L'article indéfini «un» (ou «une») peut être
utilisé en français pour traduire le mot anglais «any». Ainsi,
l'expression «à un aéroport» qui figure à l'article 5 signifie
notamment «à chaque aéroport sans exception ou à n'importe
quel aéroport» où le ministre fournit «tous et chacun ou n'im-
porte quels» services et installations.
Même si les taxes d'atterrissage pour les vols transocéaniques
étaient effectivement discriminatoires parce qu'elles étaient
plus élevées que celles exigées pour les vols internationaux et
pour les vols intérieurs, elles n'étaient pas nulles et inopérantes.
Le pouvoir d'établir des règlements prescrivant une taxe pour
l'utilisation d'installations et de services sans autres entraves
comporte le pouvoir de créer des catégories d'usagers. Lorsque
l'établissement de telles catégories crée entre les divers usagers
une discrimination fondée sur l'origine et la destination des
vols, cette discrimination n'enlève rien à la validité du règle-
ment. La preuve ne laisse voir aucune trace de malveillance ou
de mauvaise foi et le critère choisi pour effectuer la classifica
tion n'était pas déraisonnable et ne comportait pas de considé-
rations illogiques, illégales ou non pertinentes. En outre, les
demandeurs ne peuvent invoquer à cet égard ni la Charte ni la
Déclaration des droits car leurs dispositions concernant l'égalité
et la non-discrimination constituent des droits de l'homme qui
s'appliquent aux individus mais non aux sociétés.
Les tribunaux canadiens n'ont pas compétence pour faire
appliquer des traités qui ne sont pas incorporés au droit interne
par le pouvoir législatif. De toute manière, les taxes d'atterris-
sage pour les vols transocéaniques ne violaient pas les obliga
tions du Canada découlant de son adhésion à la Convention de
Chicago ni ne déshonoraient le Canada en sa qualité de
membre de l'OACI car il n'y a pas eu de discrimination fondée
sur la nationalité. Qui plus est, les taxes d'atterrissage prescri-
tes par le ministre relativement aux vols transocéaniques déro-
geaient très peu aux principes de tarification suggérés par
l'OACI. La méthode de tarification, qui consiste à utiliser une
taxe «globale» ou «résiduelle», est celle qui est employée dans la
plupart des aéroports étrangers. Et suivant la preuve, aucun des
demandeurs n'a été surtaxé lorsqu'il a payé les taxes
d'atterrissage.
Toutefois, si la Cour se trompe et s'il devait par la suite être
jugé que le règlement était ultra vires pour le motif qu'on
n'aurait pas dû faire payer aux demandeurs le coût d'utilisation
des aéroports où ils se rendent rarement ou jamais, chaque
demandeur aurait alors droit à une réduction proportionnelle
des taxes d'atterrissage effectivement payées depuis 1974 en ce
qui a trait aux atterrissages effectués dans les provinces de
common law et depuis 1975 pour ceux effectués au Québec.
Les demandeurs devraient cependant payer la taxe la moins
élevée suivante, celle pour les vols intérieurs ou celle pour les
vols internationaux.
Il n'y a aucune distinction à faire au Québec entre les
sommes versées en vertu d'une erreur commune de droit ou
d'une erreur de fait. Ce sont les articles 1047 et 1140 du Code
civil qui s'appliqueraient à la restitution. Pour ce qui est des
provinces de common law, on doit considérer que les deman-
deurs ont payé la taxe sous réserve de leurs droits à compter du
début de l'action ou plus tôt, à condition qu'il soit possible de
prouver qu'ils ont protesté énergiquement. Les paiements effec-
tués à la suite d'une erreur de droit ne peuvent être recouvrés
sauf lorsqu'il y a contrainte ou qu'il s'agit d'une opération
illégale.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Pan American World Airways Inc. c. La Reine et autre,
[1981] 2 R.C.S. 565, confirmant (1981), 120 D.L.R. (3d)
574 (C.A.F.) et [1979] 2 C.F. 34 (1s inst.); Gravel c.
Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660; Procureur
Général du Canada v. La Compagnie de Publication La
Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60; Cardinal et autre c.
Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643;
(1986), 63 N.R. 353; Hydro-Electric Commission of
Nepean c. Ontario Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Alaska Trainship Corporation c. Administration de pilo-
tage du Pacifique, [1978] 1 C.F. 411 (lie inst.); Kruse v.
Johnson, [1898] 2 Q.B. 91 (Div. Ct.).
DÉCISIONS CITÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; Roncarelli v.
Duplessis, [1959] R.C.S. 121; Kiriri Cotton Co. Ltd. v.
Dewani, [1960] A.C. 192 (H.L.); Eadie v. Township of
Brantford, [1967] R.C.S. 573.
AVOCATS:
Raymond D. LeMoyne et Peter Richardson
pour les demandeurs.
W. Ian C. Binnie, c.r. et David T. Sgayias
pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Doheny, MacKenzie, Montréal, pour les
demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON: Les demandeurs aux pré-
sentes peuvent être désignés à juste titre par les
noms bien connus des compagnies aériennes qu'ils
exploitent: Aer Lingus, Alitalia, British Airways,
CP Air, Air France, El Al, Iberia, KLM, le liqui-
dateur de Laker Airways, Lufthansa, Sabena,
SAS, Swissair et Wardair. Dans leur déclaration
modifiée une nouvelle fois et déposée le 13 février
1984, les demandeurs prétendent faire l'objet de
discrimination et être surtaxés illégalement en ce
qui concerne les taxes d'atterrissage pour chaque
vol transocéanique que les défendeurs définissent,
en se fondant sur le Règlement sur les taxes des
services aéronautiques [C.R.C., chap. 5], comme
un vol qui franchit une ligne imaginaire (approxi-
mative) passant au-dessus ou près du cap Spear, à
Terre-Neuve, et traversant, au sud, l'équateur au
45e méridien ouest.
Les demandeurs allèguent que le texte régle-
mentaire est ultra vires, nul et inopérant ab initio
en ce qui concerne les taxes d'atterrissage. Chaque
compagnie aérienne demanderesse réclame un
remboursement dont les sommes vont de plus de
$800,000 et les intérêts dans le cas d'Aer Lingus à
plus de 12 millions et les intérêts dans le cas de
British Airways.
Une conférence préalable à l'instruction a été
tenue à Ottawa le 18 septembre 1985. Les avocats
respectifs des parties ont déposé un exposé conjoint
des faits le 4 octobre 1985. Ils ont également
préparé ensemble neuf recueils de pièces dont les
parties reconnaissent l'admissibilité en preuve ainsi
que l'exactitude. Chaque partie a en outre préparé
un «dixième» recueil de pièces dont chacune recon-
naît l'admissibilité, mais se réserve le droit de
contester l'exactitude, la valeur et l'interprétation
des documents présentés par la partie adverse.
L'instruction en audience publique de la présente
action a commencé le 20 janvier 1986 et a pris fin
le 27 février 1986, mais les derniers arguments
écrits n'ont été reçus que le 14 juillet 1986.
L'exposé conjoint des faits déposé par les parties
est libellé comme suit:
[TRADUCTION] Les parties conviennent de ce qui suit:
Les parties
1. Chacun des demandeurs assure ou a assuré des services
aériens entre divers pays, y compris le Canada.
2. La Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3, confie
au défendeur, le ministre des Transports, diverses fonctions
dont la construction et l'administration de tous les aérodromes
ainsi que des stations ou postes d'aéronautique de l'État.
3. A l'époque en cause pour les fins de l'espèce, les demandeurs
ont utilisé et utilisent les aéroports administrés par le ministre
pour assurer leurs services aériens.
Loi sur l'aéronautique
4. Conformément à l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique,
S.R.C. 1970, chap. A-3, le gouverneur en conseil ou le ministre,
avec l'autorisation de ce dernier, peut établir des règlements
prescrivant la taxe relative à l'utilisation:
a) d'une installation ou d'un service fournis par le ministre
ou en son nom, pour un aéronef ou relativement à un
aéronef;
b) d'une installation ou d'un service qui ne sont pas visés
par l'alinéa a) et qui sont fournis, à un aéroport, par le
ministre ou en son nom.
5. Le gouverneur en conseil a autorisé le ministre à établir des
règlements prescrivant une telle taxe par le Décret autorisant
l'établissement de règlements ministériels, DORS/70-409, au-
jourd'hui C.R.C. 1978, chap. 126.
Règlement sur les taxes des services aéronautiques
6. Se fondant sur l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique et sur
le Décret autorisant l'établissement de règlements ministériels,
le ministre a établi le Règlement sur les taxes des services
aéronautiques qu'il a modifié à l'occasion:
DORS/70-410, entré en vigueur le 9 septembre 1970
DORS/72-487, entré en vigueur le 22 novembre 1972
C.R.C. 1978, chap. 5, entré en vigueur le 1»» janvier 1980
DORS/82-469, entré en vigueur le 30 avril 1982.
7. Les taxes prescrites par le Règlement sur les taxes incluent
notamment diverses taxes d'atterrissage, les taxes générales
d'aérogare, les taxes de préparation des passagers, les taxes
d'utilisation des passerelles d'embarquement, les taxes de trans
port des passagers, les taxes pour les services de sécurité relatifs
aux passagers, les taxes d'utilisation des services de télécommu-
nications, les taxes d'utilisation des installations et services en
route, les taxes de stationnement des aéronefs, les taxes d'abri
sous hangar, et les taxes d'entreposage de marchandises.
8. Jusqu'au 1 »' septembre 1985, le Règlement sur les taxes
prescrivait notamment une taxe d'atterrissage pour les vols
intérieurs, une taxe d'atterrissage pour les vols internationaux
et une taxe d'atterrissage pour les vols transocéaniques:
a) «vol intérieur»: vol effectué entre des endroits situés au
Canada;
b) «vol international»: vol effectué entre un endroit situé au
Canada et un autre situé hors du Canada, qui n'est pas
un vol transocéanique;
c) «vol transocéanique»: vol qui est effectué entre un
endroit situé au Canada et un endroit situé hors du
Canada et qui comporte le survol de l'océan Atlantique,
sauf s'il s'agit d'un vol effectué entre un endroit situé au
Canada et un endroit situé hors du Canada, à l'ouest
d'une ligne joignant le point situé le plus à l'est du
Canada au point d'intersection du 45» méridien ouest et
de l'équateur.
9. Jusqu'au 30 avril 1981, le Règlement sur les taxes des
services aéronautiques prévoyait que la taxe d'atterrissage pour
les vols internationaux était payable pour l'atterrissage d'un
aéronef à un aéroport canadien lorsque ledit aéroport était:
a) soit le dernier point d'atterrissage avant un vol
transocéanique,
b) soit le premier point d'atterrissage après un vol
transocéanique;
et du 1°' mai 1981 au 31 août 1985, le Règlement portait que la
taxe d'atterrissage transocéanique était payable pour l'atterris-
sage d'un aéronef qui terminait un vol transocéanique.
10. Pendant l'époque en cause, le taux de la taxe d'atterrissage
pour les vols transocéaniques était supérieur à celui de la taxe
pour les vols internationaux, et les taux des taxes d'atterrissage
pour les vols transocéaniques et pour les vols internationaux
étaient supérieurs à celui de la taxe d'atterrissage pour les vols
intérieurs.
Accords internationaux
11. Le Canada a signé la Convention relative à l'aviation civile
internationale, conclue à Chicago le 7 décembre 1944 et appe-
lée couramment Convention de Chicago.
12. Le Canada a signé des accords bilatéraux relatifs aux
services aériens avec l'Irlande, Israel, l'Italie, le Royaume-Uni,
la France, les Pays-Bas, la République Fédérale d'Allemagne,
la Belgique, le Danemark, la Norvège, la Suède et la Suisse,
soit les pays de résidence respectifs des demandeurs.
Taxes payées
13. Chaque demandeur a effectué, aux époques pertinentes,
des vols transocéaniques au sens du Règlement, et a payé la
taxe d'atterrissage applicable.
14. Les demandeurs ont versé à la défenderesse sa Majesté la
Reine les sommes indiquées à l'annexe A des présentes à titre
de taxes d'atterrissage pour les vols transocéaniques.
Passagers payants, vols intérieurs
15. Aucun des demandeurs ayant son domicile à l'étranger n'a
eu le droit pendant la période en cause d'embarquer pour un vol
intérieur des passagers payants à un aéroport canadien et de les
débarquer à un autre aéroport canadien.
Installations et services
16. Aux aéroports utilisés par les demandeurs pendant la
période en cause, les vols cargo n'utilisent pas et n'ont pas
utilisé les aérogares, et leur fréquence n'a eu et n'a aucune
influence sur les services fournis par le ministre auxdites
aérogares.
17. Aux aérogares des aéroports utilisés par les demandeurs
pendant la période en cause, il n'existait pas et il n'existe pas de
zones ou d'installations distinctes réservées exclusivement aux
personnes accompagnant une catégorie particulière de voya-
geurs partant par des vols internationaux ni aux personnes
accueillant une catégorie particulière de voyageurs arrivant par
des vols internationaux.
18. L'expression «aéroports utilisés par les demandeurs» qui
figure dans les admissions de faits aux paragraphes 16 et 17
vise les aéroports de Gander, d'Halifax, de Dorval (Montréal),
de Mirabel (Montréal), de Toronto, d'Ottawa, de Winnipeg, de
Calgary, d'Edmonton et de Vancouver; mais elle ne signifie pas
que tous les demandeurs ont utilisé tous ces aéroports pendant
la période en cause.
La présente action a été intentée le 10 mars
1980 et chaque déclaration modifiée indique les
montants des taxes pour les vols transocéaniques
que chacun des demandeurs a versés depuis 1974
et qu'ils réclament en l'espèce; ces sommes sont
maintenant énumérées à l'annexe A de l'exposé
conjoint des faits susmentionné. Quelle que soit la
conclusion à laquelle j'arriverai concernant les
obligations des parties, celles-ci se sont mises d'ac-
cord sur les chiffres figurant à l'annexe A. Les
demandeurs ont formulé leurs réclamations dans le
dossier officiel renfermant les plaidoiries qui a été
préparé suivant la Règle 487 [ Règles de la Cour
fédérale, C.R.C., chap. 663] et déposé le 4 mars
1985. Ils prient la Cour:
[TRADUCTION] DE RÉSERVER leurs droits en ce qui concerne
les taxes d'atterrissage payées depuis les dates indiquées ci-
après ou qui doivent être payées pendant la durée de l'instance.
DE DÉCLARER que le Règlement sur les taxes des services
aéronautiques est ultra vires, nul et inopérant ab initio en ce
qui a trait aux taxes d'atterrissage.
D'ORDONNER à la première défenderesse de verser à chacun
d'eux respectivement la somme suivante:
[Cette annexe fait maintenant partie de l'annexe A de l'ex-
posé conjoint des faits présenté par les parties.]
D'ORDONNER le paiement d'un intérêt au taux légal sur les
sommes susmentionnées, conformément à la loi.
D'ACCORDER tout autre redressement qui ... peut sembler
juste.
LE TOUT avec dépens.
L'action des demandeurs soulève divers points
qui doivent être examinés séparément et l'un à la
suite de l'autre. Elle sera en fin de compte rejetée
pour les motifs qui suivent, les défendeurs ayant
droit aux frais entre parties.
VALIDITÉ DU RÈGLEMENT
Les demandeurs invoquent deux motifs pour
contester le Règlement en vertu duquel les taxes
d'atterrissage contestées ont été imposées. Ils pré-
tendent que ce Règlement outrepassait les pouvoirs
délégués par le Parlement au gouverneur en con-
seil ou au ministre avec l'autorisation de ce der-
nier; ils soutiennent en outre que, même s'il était
en théorie valide, ce Règlement était néanmoins
nul et inopérant parce qu'il était discriminatoire.
On parle au passé du Règlement contesté parce
que la taxe d'atterrissage pour les vols transocéani-
ques a été révoquée le ler septembre 1985 par un
nouveau Règlement promulgué dans DORS/
85-861. Elle a alors été remplacée par une nouvelle
taxe d'atterrissage pour les vols internationaux en
conformité avec la nouvelle définition de l'expres-
sion «vol international».
Le Règlement contesté est-il nul et inopérant parce
qu'il est ultra vires?
La réponse à cette question préliminaire est
négative. Le règlement est valide.
Les dispositions pertinentes de l'article 5 de la
Loi sur l'aéronautique [S.R.C. 1970, chap. A-3]
sont reprises au paragraphe 4 de l'exposé des faits
déposé par les parties. Exerçant le pouvoir qui lui
est conféré par cet article, le gouverneur en conseil
a autorisé le ministre à établir des règlements
conformément au Décret autorisant l'établisse-
ment de règlements ministériels, C.R.C., chap.
126. Il s'agit d'un décret très court qui, dans les
mêmes termes que l'on trouve à l'article 5 de la
Loi, en particulier, aux alinéas Sa) et b), autorise
directement le ministre à établir des règlements.
L'article 5 de la Loi sur l'aéronautique et les
règlements établis en vertu de celui-ci ont déjà été
admis de plein droit dans l'arrêt Pan American
World Airways Inc. c. La Reine et autre, [1981] 2
R.C.S. 565. Dans cette affaire, les compagnies
aériennes appelantes, qui avaient leur base aux
E.-U., ont contesté la légalité des droits que le
ministre des Transports leur réclamait pour des
services de télécommunication et de navigation en
route fournis à leur demande par des installations
situées au Canada. Aucun des aéronefs ne s'était
posé au Canada même si, dans certains cas, ils
avaient survolé le territoire canadien. On n'a nulle-
ment laissé entendre dans l'arrêt Pan American
qu'il s'agissait de taxes discriminatoires et à cet
égard, cet arrêt diffère donc de l'espèce. Par
contre, confirmant la conclusion du juge Mahoney
qui siégeait alors à la Division de première ins
tance de la Cour fédérale, la Cour suprême du
Canada a statué que l'expression de l'article 5 de
la Loi permettant de «prescrire» des taxes signifie
non seulement la fixation de la taxe mais aussi
l'imposition de l'obligation de la payer.
Le pouvoir discrétionnaire conféré au gouver-
neur en conseil et, subsidiairement, au ministre des
Transports, est général, étendu et pratiquement
absolu. Ce pouvoir discrétionnaire de prescrire une
taxe pour l'utilisation de toute installation ou de
tout service fourni par le ministre ou en son nom, à
tout aéroport et relativement à tout aéronef, com-
porte celui de taxer ou non l'utilisation de toute
installation ou de tout service, ou encore de taxer
certains services et non d'autres.
Comme on le verra, la taxe se rapportait aux
frais engagés par le ministre pour fournir des
installations et des services. Il n'est pas nécessaire
qu'il existe un tel lien, mais c'est le cas en l'espèce.
Les coûts de chaque installation et service fournis
à chaque aéroport ainsi que les revenus qui en
découlent ne sont pas indiqués séparément. Au
contraire, on utilise pour fixer la taxe ou les droits
la méthode «globale» qui réunit tous les frais enga-
gés par le «réseau» d'aéroports internationaux de
ce pays (énumérés au paragraphe 18 de l'exposé
des faits des parties, ci-dessus) et en établit la
moyenne. On calcule ensuite un coût moyen par
rapport au poids de chaque appareil ou au nombre
de passagers. Idéalement, la taxe d'atterrissage
serait fixée à un taux suffisant pour recouvrer tous
les frais y afférents. La question de savoir si les
taxes imposées pour les vols transocéaniques per-
mettent de recouvrer le montant total des frais
engagés dans ce secteur ou de récupérer un mon-
tant supérieur à celui-ci est une question de fait
qui sera examinée plus loin.
Les demandeurs soulignent qu'ils n'ont pas
besoin d'utiliser directement les installations et les
services de chaque aéroport canadien pour leurs
vols transocéaniques, mais ils paient les taxes
imposées en vertu de la méthode «globale». C'est
pourquoi, à leur avis, ce mode de taxation outre-
passe les pouvoirs conférés par la Loi. Les deman-
deurs insistent sur le mot souligné dans l'expres-
sion «la taxe relative à l'utilisation d'une
installation ou d'un service fournis», tirée de l'arti-
cle 5. Ils prétendent qu'ils ont été taxés pour des
installations ou des services aéroportuaires qu'ils
n'ont pas utilisés. Ils allèguent qu'à moins qu'un
aéronef n'ait effectivement atterri à un aéroport et
n'ait eu recours à une installation ou à un service
particuliers, la fixation de toute taxe relative au
coût de cette installation ou de ce service outre-
passe sans aucun doute le pouvoir conféré par la
loi. Selon les demandeurs, l'utilisation de fait est le
seul critère légal qui permet de prescrire une taxe;
tout autre critère rend la taxation nulle.
Les demandeurs font en outre valoir que la
fixation de taxes différentielles outrepasse le pou-
voir habilitant conféré par la Loi. Ils soutiennent
qu'étant donné qu'il ne semble pas exister de pou-
voir permettant expressément de prescrire des
taxes pour les vols transocéaniques ou pour quel-
que autre catégorie différente de vols, une telle
taxation contrevient au pouvoir conféré par le
Parlement.
Les défendeurs prétendent que le choix, la
méthode ou la manière suivie pour prescrire des
taxes, notamment les taxes d'atterrissage pour les
vols transocéaniques, fait partie depuis toujours
des pouvoirs conférés au gouverneur en conseil ou
au ministre par le Parlement à l'article 5 de la Loi
sur l'aéronautique. Les parties s'entendent pour
dire que le seul critère permettant d'imposer une
taxe est «l'utilisation d'une installation ou d'un
service fournis par le Ministre . .. relativement à
un aéronef; et ... à un aéroport». Les défendeurs
allèguent que le ministre peut exercer son pouvoir
discrétionnaire presque universel relativement à
l'utilisation des installations et des services de
quelque partie que ce soit du réseau d'aéroports
internationaux du Canada; et, par conséquent, la
fixation d'une taxe ne serait ultra vires que si les
défendeurs avaient l'intention d'imposer celle-ci à
quelques-uns ou à l'ensemble des demandeurs (ou
à d'autres compagnies aériennes) qui n'ont utilisé
aucun des services ni aucune des installations à
aucun des aéroports du réseau.
Dans cette nouvelle ère où la constitution décrit
le Canada d'une manière plus précise que jamais
en faisant clairement de la «primauté du droit» l'un
des principes fondamentaux ou l'une des principa-
les assises du Canada, les tribunaux ne doivent pas
se montrer aussi serviles qu'auparavant dans leur
respect des dispositions législatives principales ou
accessoires. Évidemment, cela ne signifie pas et ne
devrait jamais signifier que les magistrats peuvent
faire preuve de désinvolture ou d'insouciance lors-
qu'il s'agit d'annuler des règlements, même quand
ils sont priés de le faire par des avocats aussi
éloquents, compétents et perspicaces que ceux qui
représentent les demandeurs en l'espèce. La Cour
est tenue de trouver et de donner aux dispositions
législatives une interprétation qui, sans forcer ou
déformer le sens de celles-ci, raffermit le règle-
ment attaqué. Si ledit règlement ne peut être sauvé
grâce au sens ou même grâce à un des sens ordi-
naires du libellé de la loi, qu'il en soit ainsi.
L'article 8 de la Loi sur les langues officielles,
S.R.C. 1970, chap. O-2, prévoit que, dans l'inter-
prétation d'un texte législatif, les versions des deux
langues officielles font pareillement autorité. Le
paragraphe 8(2) prescrit les moyens d'éviter le
chaos lorsque les rédacteurs parlementaires, les
traducteurs ainsi que les parlementaires eux-
mêmes créent une incompatibilité entre ces
versions qui sont supposées faire pareillement
autorité. Les alinéas 8(2)b) et c) revêtent un grand
intérêt dans le cadre d'un État fédéral bilingue où
existe un dualisme juridique, mais ils ne s'appli-
quent pas aux points litigieux en l'espèce. Les deux
autres alinéas sont cependant pertinents:
s.(2)...
a) lorsqu'on allègue ou lorsqu'il apparaît que les deux ver
sions du texte législatif n'ont pas le même sens, on tiendra
compte de ses deux versions afin de donner, sous toutes
réserves prévues par l'alinéa c), le même effet au texte
législatif en tout lieu du Canada où l'on veut qu'il s'applique,
à moins qu'une intention contraire ne soit explicitement ou
implicitement évidente;
d) s'il y a, entre les deux versions du texte législatif, une
différence autre que celle mentionnée à l'alinéa c), on don-
nera la préférence à la version qui, selon l'esprit, l'intention
et le sens véritables du texte, assure le mieux la réalisation de
ses objets.
Il est bon de mettre côte à côte les deux versions
de la disposition pertinente de la Loi sur l'aéro-
nautique afin de déterminer si le règlement pres-
crivant une taxe d'atterissage pour les vols transo-
céaniques peut être invoqué en vertu de l'une ou
l'autre de ces versions, ou des deux, contre les
demandeurs qui utilisent parfois certains des aéro-
ports du réseau pour lesquels le ministre prescrit
une taxe d'atterrissage.
5. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements, ou,
en conformité des modalités qu'il peut spécifier, autoriser le
Ministre à établir des règlements prescrivant la taxe relative à
l'utilisation
a) d'une installation ou d'un service fournis par le Ministre
ou en son nom, pour un aéronef ou relativement à un aéronef;
et
b) d'une installation ou d'un service qui ne sont pas visés par
l'alinéa a) et qui sont fournis, à un aéroport, par le Ministre
ou en son nom.
Les deux versions ne sont pas tout à fait identi-
ques, car si elles l'étaient, le texte anglais devrait
plutôt dire, pour être plus fidèle au texte français:
«a facility or service .. . an aircraft; and ... an
airport». Ou bien pour suivre plus fidèlement le
texte anglais, le texte français porterait: «toute
installation ... tout service» ou peut-être «un aéro-
nef quelconque un aéroport quelconque», ou
l'une ou l'autre de ces formulations. Bien qu'elles
ne soient pas identiques, les deux versions officièl-
les sont-elles différentes pour l'essentiel? Pas
nécessairement, et en fait pas du tout si on les
considère en regard de la Loi sur les langues
officielles.
L'article indéfini un (ou une) peut être utilisé en
français pour traduire le mot anglais any. Dans
l'arrêt Pan American, précité, la Cour a dit (à la
page 570): «L'article 5, dans son al. a) emploie les
mots "un aéronef" au sens large». Il est évident
que l'objet de l'article 5 de la Loi sur l'aéronauti-
que est de conférer un pouvoir discrétionnaire
presque absolu et universel d'établir des règle-
ments prescrivant des taxes pour l'utilisation des
installations ou des services à un aéroport. Il faut
donner au mot souligné son sens ordinaire qui,
dans les deux versions de la Loi, est général.
Le dictionnaire The Shorter Oxford English
Dictionary (3 e édition, 1983) définit comme suit
le mot «any»: [TRADUCTION] 1. gén. Au
sing. = un—n'importe quel ou n'importe quoi. Au
plur. = certains—n'importe quel, quelqu'en soit
le genre ou le nombre ... c. Dans des phrases
affirm.: = (par interprétation) tous ceux de la
catégorie mentionnée quiconque appelé ME. 2.
Quantitatif: = un nombre ou une quantité, quels
qu'ils soient 1526. 3. Qualitatif: de n'importe
quelle sorte; .. .
Voici les principales significations attribuées au
mot «any» par le Black's Law Dictionary, 5 e éd.,
1979: [TRADUCTION] «Certains, un parmi plu-
sieurs; un nombre indéterminé. Un au hasard, peu
importe le genre ou la quantité ... Le mot "any" a
diverses significations et il peut être employé pour
indiquer "tout" ou "chaque" aussi bien que "cer-
tains" ou "un"; son sens dans un texte législatif
dépend du contexte et de l'objet de la loi.»
Voici la définition du mot «any» qu'on trouve
dans le Dictionnaire Juridique/Legal Dictionary—
Nouveau Dictionnaire Th. A. Quemner, 1977—
Éditions de Navarre, Paris: «un quelconque, qui-
conque, tout ... [Eg.] any twelve jurors—douze
jurés quelconques».
Les ouvrages étrangers précités confirment (si
une telle confirmation était nécessaire) l'interpré-
tation entièrement canadienne faite par la Cour du
mot «any» figurant à l'article 5 de la Loi sur
l'aéronautique, suivant laquelle outre les sens déjà
examinés, ce terme signifie également «tout»,
«chacun sans exception» ou «quelconque». Ainsi,
l'expression «à un aéroport» qui figure à l'article 5
signifie notamment [ TRADUCTION] «à chaque
aéroport sans exception ou à n'importe quel aéro-
port» où le ministre fournit tous et chacun ou
n'importe quels services et installations.
Si les rédacteurs des lois et les législateurs qui
les adoptent étaient clairvoyants, ils pourraient
prévoir les problèmes précis découlant de litiges
éventuels et ils pourraient prendre les dispositions
pour y faire face ou les rejeter sommairement. Ils
ne l'ont pas fait dans les circonstances, ce qui
nécessite donc une interprétation judiciaire de leur
travail. La portée générale accordée au pouvoir de
prescrire des taxes pour les vols transocéaniques
résulte d'une interprétation judiciaire faite à la
lumière des décisions rendues en première instance
et en dernière instance dans l'affaire Pan Ameri-
can. Les motifs du jugement prononcés en pre-
mière instance par le juge Mahoney (qui siège
maintenant à la Division d'appel de cette Cour)
([1979] 2 C.F. 34 (i re inst.)) ont été adoptés à
l'unanimité par la Cour d'appel fédérale ((1981),
120 D.L.R. (3d) 574) et cités et approuvés par la
Cour suprême du Canada. Feu le juge en chef
Laskin a rédigé la décision unanime de la Cour
suprême où l'on trouve le passage suivant (à la
page 572):
Après avoir fait mention des sens du terme «prescribe» (pres-
crire) que donnent les dictionnaires, le juge Mahoney a conclu
que l'art. 5 donne le pouvoir non seulement de fixer la taxe,
mais aussi d'imposer une obligation légale de la payer. Je ne
vois aucun motif de ne pas souscrire à son opinion et je suis par
conséquent d'avis de rejeter l'argument que dans sa rédaction,
l'art. 5 n'impose pas aux appelantes une obligation de paiement.
Les défendeurs rétorquent aux demandeurs qui
prétendent que la méthode globale consistant à
établir la moyenne des coûts est, sinon illégale, du
moins inadéquate, qu'une telle critique n'est pas
pertinente quant à la question de la validité du
règlement imposant la taxe. Soulignant que l'arti-
cle 5 de la Loi n'énonce pas un but ou un objet
ultérieur, comme par exemple celui de [TRADUC-
TION] «recouvrer les frais engagés pour fournir des
installations ou des services à l'aéroport», ils sou-
tiennent que le ministre possède un pouvoir discré-
tionnaire quasi absolu de prescrire une taxe en se
fondant sur à peu près n'importe quel motif raison-
nable, sans faire preuve de malveillance ou de
despotisme. En fait, si on interprète correctement
l'article 5, le ministre n'est pas obligé d'essayer de
recouvrer les frais engagés ni de fixer un prix de
base. Au contraire, l'article 5 lui confère unique-
ment un pouvoir de prescrire une taxe. Il s'agit
d'une disposition concernant la fixation d'un prix
et non le recouvrement de frais. Par conséquent, la
critique relative au prix de base non déraisonnable
choisi par le ministre comme moyen de fixer la
taxe n'a aucune importance dans les prémisses.
Les défendeurs ont tracé en détail l'historique
législatif des pouvoirs qui ont finalement été con-
centrés et formulés à l'article 5 de la Loi sur
l'aéronautique. Ils soutiennent que cet historique
étaye leur interprétation. Avant 1966, les règle-
ments sur les taxes des services aéronautiques
étaient adoptés conformément à la Loi sur l'admi-
nistration financière, S.C. 1951 (2 e session), chap.
12, qui prévoyait:
18. Lorsque Sa Majesté fournit un service à une personne et
que le gouverneur en conseil estime que la totalité ou une partie
du coût de ce service devrait être supportée par celui qui en est
destinataire, le gouverneur en conseil peut, sous réserve des
dispositions de toute loi concernant ledit service, prescrire par
règlement le droit susceptible d'être imposé en l'occurrence.
[Non souligné dans le texte original.]
L'objectif qui ressort de la première expression
soulignée dans la disposition législative précitée,
c'est-à-dire le recouvrement des frais engagés,
limite la portée des textes réglementaires établis en
vertu de celle-ci. Un droit ne pouvait être prescrit
que s'il était destiné à recouvrer la totalité ou une
partie des frais engagés pour fournir le service et,
par conséquent, le gouverneur en conseil aurait dû
logiquement fixer le prix de base.
En 1966, le Parlement a décidé que le pouvoir
d'établir des règlements sur les taxes des services
aéronautiques et, par conséquent, de prescrire une
taxe, ne serait plus conféré par la Loi sur l'admi-
nistration financière mais par la Loi sur l'aéro-
nautique. Ce faisant, il a tout simplement laissé
tomber l'expression «la totalité ou une partie du
coût» (S.C. 1966-67, chap. 10, art. 1). Une fois
disparue cette allusion directe au recouvrement des
frais, le seul critère permettant de prescrire une
taxe est devenu l'utilisation d'une installation ou
d'un service à un aéroport. Le gouverneur, ou le
ministre, n'était alors pas tenu d'examiner quelque
autre élément que ce soit. (Depuis 1966, deux
nouvelles modifications ont été apportées, mais
elles n'ont aucune incidence sur le litige.) Ainsi,
comme les défendeurs le soutiennent à juste titre,
le Parlement a clairement manifesté dans la loi son
intention d'accorder un pouvoir discrétionnaire de
tarification qui n'a aucun rapport avec les frais
engagés pour fournir des installations et des
services.
Cette interprétation permet d'écarter le sens
étroit attribué par les demandeurs à l'article 5 de
la Loi. Se prononçant en son nom et au nom de
trois autres juges de la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978]
1 R.C.S. 660, le juge Pigeon a souligné à la page
667 que l'historique législatif d'un texte peut servir
à l'interpréter:
L'historique d'une législation peut servir à l'interpréter parce
que les textes antérieurs sont de nature à jeter de la lumière sur
l'intention qu'avait le législateur en les abrogeant, les modi-
fiant, les remplaçant ou y ajoutant.
(Cet extrait est cité à titre d'exemple par Driedger
dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes,
2 e éd., 1983, page 160.)
En ne reproduisant pas dans la Loi sur l'aéro-
nautique la disposition concernant le recouvrement
des frais, le législateur a indiqué son intention
d'enlever toute limite au pouvoir délégué de pres-
crire une taxe pour l'utilisation des services et des
installations à un aéroport. En outre, le fait que
pendant toute la période en cause on a considéré
les aéroports internationaux du Canada comme un
réseau, indique que l'utilisation entraînant l'impo-
sition d'une taxe peut concerner une partie seule-
ment du réseau d'aéroports et non pas nécessaire-
ment l'ensemble des installations et des services du
réseau d'aéroports, mais juste ceux d'un aéroport.
La Cour conclut par conséquent que le Règle-
ment contesté, en vertu duquel le ministre a pres-
crit des taxes d'atterrissage pour les vols transo-
céaniques, n'outrepassait, ni en fait ni en droit, les
pouvoirs délégués par le Parlement en vertu de
l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique.
Les taxes d'atterrissage contestées quant aux vols
transocéaniques sont-elles nulles et inopérantes
parce qu'elles sont discriminatoires?
La réponse à cette question subsidiaire est néga-
tive. Les taxes d'atterrissage pour les vols transo-
céaniques prescrites conformément au Règlement
sur les taxes des services aéronautiques ne sont
pas nulles et inopérantes parce que discriminatoi-
res.
Bien sûr, il est vrai que les taxes d'atterrissage
pour les vols transocéaniques prescrites dans le
Règlement sur les taxes des services aéronauti-
ques, sous les diverses formes qu'il a revêtues
jusqu'au P r septembre 1985, sont effectivement
discriminatoires. Elles le sont parce que ces textes
réglementaires établissent une distinction entre les
vols intérieurs, les vols internationaux et les vols
transocéaniques, l'échelle des taxes prescrites pour
chaque catégorie de vols étant croissante. Ce fait
est illustré aux paragraphes 8, 9 et 10 de l'exposé
conjoint des faits produit par les parties et cité plus
haut.
Se fondant sur ce même principe, les deman-
deurs affirment qu'étant donné qu'ils ont dû payer
les taxes d'atterrissage les plus discriminatoires
prescrites par le Règlement, celui-ci est nul ab
initio et ultra vires dans la mesure où il prescrit
des taxes supérieures aux taxes d'atterrissage ordi-
naires pour les vols internationaux. Ils demandent
à la Cour, dans leur déclaration, de conclure à la
nullité dudit Règlement [TRADUCTION] «en ce qui
a trait aux taxes d'atterrissage». Compte tenu de
ma conclusion antérieure quant à la validité des
Règlements prescrivant des taxes d'atterrissage en
regard de l'article 5 de la Loi, la fixation de taxes
d'atterrissage ne peut en elle-même être [TRADUC-
TION] «ultra vires et inopérante ab initio». Les
demandeurs ne peuvent donc se plaindre que de
l'écart existant entre la taxe d'atterrissage plus
élevée pour les vols transocéaniques et la taxe
d'atterrissage moins élevée pour les vols internatio-
naux et la taxe d'atterrissage encore moins élevée
pour les vols intérieurs.
Il n'est pas nécessaire de se pencher sur la
question de l'adoption de lois ayant une incidence
extraterritoriale, même si l'une des deux coordon-
nées de la ligne imaginaire décrite dans le Règle-
ment est l'intersection du 45e méridien ouest et de
l'équateur. Malgré le fait que cette dernière coor-
donnée se trouve à l'extérieur du Canada et de ses
eaux territoriales, le point saillant est la fixation de
taxes pour l'atterrissage à tout aéroport au
Canada. L'arrêt Pan American, précité, confirme
largement le pouvoir de prescrire une taxe relative-
ment à l'utilisation d'installations et de services
par les avions qui traversent l'océan Atlantique.
Le Règlement contesté, le Règlement sur les
taxes des services aéronautiques, fait partie du
droit interne du Canada. Les parties ont invoqué
aux paragraphes 11 et 12 de leur exposé conjoint
des faits, précité, la Convention de Chicago [Con-
vention sur l'aviation civile internationale, 7 déc.
1944, [1944] R.T. Can. n° 36] du 7 décembre
1944 ainsi que les accords bilatéraux conclus avec
les pays où se trouvent les sièges sociaux de la
plupart des demandeurs. La pertinence des prati-
ques et du droit international sera examinée plus
loin. Étant donné toutefois que le Canada ne
reconnaît pas un traité qui n'est pas incorporé dans
son droit interne par des dispositions législatives
adéquates, la question des taxes discriminatoires
soulevée par les demandeurs doit être examinée
dans le cadre des lois du Canada. Il reste à déter-
miner s'il faut interpréter ces lois de manière, si
possible, à respecter le traité ou les déclarations de
l'OACI (pièces 19a), b) et c) présentées conjointe-
ment).
À l'appui de leur prétention, les demandeurs
citent un bon nombre de jugements dont presque
tous se rapportaient à des questions de droit muni
cipal. Il est possible que les quelques jugements qui
ne reposent pas sur l'interprétation de règlements
administratifs adoptés par des municipalités soient
fondés, mais les demandeurs les ont mal interpré-
tés. Par exemple, un extrait du sommaire de la
décision Alaska Trainship Corporation c. Admi
nistration de pilotage du Pacifique, [1978] 1 C.F.
411 (lre inst.), illustre son inapplicabilité [à la
page 412]:
Arrêt: dans les deux actions, il est jugé que l'insertion des
expressions «immatriculés au Canada» ou «immatriculés aux
États-Unis», dans les articles 9 et 10 du Règlement, est ultra
vires du pouvoir de l'Administration de pilotage du Pacifique,
tel que ce pouvoir lui a été délégué par l'article 14 de la Loi sur
le pilotage. Le jugement peut aussi être rendu, dans les deux
actions, pour d'autres déclarations attestant: (1) que les pilotes
membres de l'Administration de pilotage du Pacifique étaient
en situation de conflit d'intérêts, au sens d'équité du terme,
lorsqu'ils ont participé à la rédaction et à l'adoption du Règle-
ment, et ne se sont disculpés de ce conflit d'intérêts à aucun
moment pertinent; (2) que l'Administration, en insérant dans
les articles 9 et 10 les termes prévoyant le pavillon du navire,
n'a pas été motivée par l'objet public de sécurité au sens de
l'article 12 de la Loi sur le pilotage, mais plutôt par le désir de
procurer un bénéfice matériel aux pilotes, ses adhérents; (3)
que le S.S. Alaska, dans les parcours où il voyageait sans pilote
de l'Administration à son bord, n'a constitué aucune menace
pour la sécurité au sens de l'article 12 de la Loi sur le pilotage;
(4) que l'Administration, en incluant lesdites expressions dans
le règlement, a transgressé les intentions du Parlement voulant
que certains navires, qui ne présentent aucune menace pour la
sécurité de la navigation au sens de l'article 12, soient exemptés
du pilotage obligatoire, par les méthodes de l'exemption ou de
la dispense prescrites dans la Loi sur le pilotage. [Non souligné
dans le texte original.]
La compétence de l'Administration de pilotage du
Pacifique pour adopter le règlement, la conclusion
quant à l'existence d'un conflit d'intérêts de la part
de ses membres et le non-respect de la volonté du
Parlement sont autant d'éléments qui distinguent
nettement le jugement susmentionné du juge
Gibson de l'espèce.
Cela ne signifie pas que l'exercice de pouvoirs
légaux délégués au gouverneur en conseil,, ou à un
ministre, ne peut pas faire l'objet d'Un contrôle
judiciaire. Comme l'a déclaré unanimement la
Cour suprême du Canada par l'intermédiaire du
juge Estey dans l'arrêt rendu avant l'adoption de la
Charte, Procureur général du Canada c. Inuit
Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S.
735, la page 748:
11 faut dire tout de suite que la simple attribution par la loi
d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son
exercice échappe à toute révision. Si ce corps constitué n'a pas
respecté une condition préalable à l'exercice de ce pouvoir, la
cour peut déclarer ce prétendu exercice nul.
Puisqu'il en est ainsi dans le cas du gouverneur en
conseil, c'est a fortiori la même chose pour un
ministre, et ce avant le l er septembre 1981. L'omis-
sion de respecter une condition préalable à l'exer-
cice d'un pouvoir quasi judiciaire est cependant
loin des circonstances de l'affaire Alaska Train -
ship qui est tout simplement inapplicable en l'es-
pèce, même si le pouvoir délégué était de nature
législative, comme c'est le cas aux présentes.
On admet généralement depuis le jugement de
lord Russell of Killowen dans Kruse v. Johnson,
[1898] 2 Q.B. 91 (Div. Ct.), sinon avant, qu'il est
possible de contester la validité d'un règlement
administratif adopté par un conseil scolaire ou un
autre organisme local en invoquant la discrimina
tion. De nombreux arrêts indiquent toutefois que
ce principe ne s'applique qu'aux «règlements admi-
nistratifs», c'est-à-dire aux dispositions législatives
accessoires adoptées par des organismes créés par
la loi (par exemple, des municipalités, des universi-
tés et d'autres organismes du même genre). Il ne
s'applique pas à certains «règlements» qui consti
tuent des dispositions législatives accessoires adop-
tées par l'exécutif du gouvernement (par exemple,
le gouverneur en conseil, le lieutenant-gouverneur,
un ministre de la Couronne) en vertu d'une déléga-
tion de pouvoirs prévue par la loi. Comme l'a fait
remarquer le professeur Elmer A. Driedger dans
«Subordinate Legislation» (1960), 38 R.B.C. 1, ni
la discrimination ni même le caractère déraisonna-
ble des règlements pris par l'exécutif ne consti
tuent des motifs de les annuler. Ainsi que la Cour
l'a souligné dans l'arrêt Inuit Tapirisat, il est en
fait possible de réviser des procédures inéquitables
lorsque l'exécutif lui-même constitue le tribunal de
révision, mais non une tarification ou des taxes
différentielles comme c'est le cas en l'espèce. Le
pouvoir d'établir des règlements prescrivant une
taxe pour l'utilisation d'installations et de services
sans autres entraves comporte le pouvoir de créer
des catégories d'usagers. Lorsque, comme c'est le
cas en l'espèce, l'établissement de telles catégories
crée entre les divers usagers une discrimination
fondée sur l'origine et la destination des vols, cette
discrimination n'enlève rien à la validité du
règlement.
Le juge Abbott a rédigé le jugement de la
majorité dans l'arrêt Procureur Général du
Canada v. La Compagnie de Publication La
Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60. Dans cette affaire,
après avoir acquitté les droits de sa licence de
radiodiffusion pour la période du l er avril 1960 au
31 mars 1961, la demanderesse a fait l'objet d'un
décret qui augmentait ses droits pour l'année cou-
rante. La demanderesse a payé sous réserve de ses
droits et, dans sa pétition de droit, elle a soutenu
que le décret était nul et ultra vires pour diverses
raisons dont celle-ci [à la page 73]:
[TRADUCTION] 2. Il est injuste et discriminatoire parce qu'il
établit une distinction entre [la demanderesse, La Presse] et
d'autres stations commerciales privées de radiodiffusion et éga-
lement entre un groupe de stations commerciales privées de
radiodiffusion, la Société Radio-Canada et d'autres catégories
de stations de radiodiffusion.
Les propos pertinents du juge Abbott figurent à
la page 75 du recueil:
[TRADUCTION] Quant au caractère prétendu discriminatoire
du règlement, je ne suis pas convaincu qu'il soit en fait discri-
minatoire. De toute façon, l'art. 3 de la Loi ne restreint
nullement les pouvoirs du gouverneur en conseil de prescrire
des droits de licence. Le fait que ces droits puissent être
discriminatoires n'est pas, à mon avis, un moyen suffisant pour
contester la validité du décret.
Le jugement unanime de la Cour suprême du
Canada rédigé par le juge Le Dain dans l'arrêt
Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement
Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, la page 653; (1986),
63 N.R. 353, la page 358, mentionne d'autres
cas où il peut y avoir discrimination en toute
impunité:
Cette Cour a confirmé que, à titre de principe général de
common law, une obligation de respecter l'équité dans la
procédure incombe à tout organisme public qui rend des déci-
sions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui
touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne: ... [Non
souligné dans le texte original.]
Cette notion d'examen de la validité des déci-
sions administratives qui ne revêtent pas un carac-
tère législatif est importante pour l'intégrité du
pouvoir législatif existant en vertu de la Constitu
tion du Canada. Tout comme les assemblées légis-
latives provinciales, le Parlement est d'une espèce
particulière et on ne peut entraver sa réglementa-
tion constitutionnelle des entreprises en matière
d'échanges, de commerce et d'aéronautique. La
discrimination entre des catégories d'entreprises
est essentielle pour l'exercice de tels pouvoirs cons-
titutionnels de réglementation législative, d'octroi
de licences et de tarification pour l'utilisation
d'installations.
Une telle réglementation ne doit évidemment
pas contrevenir à la primauté du droit, en particu-
lier depuis la promulgation de la Charte cana-
dienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)]. En l'espèce, la discrimination entre
des catégories de vols ainsi qu'une application
égale de la taxe prescrite à l'intérieur de chaque
catégorie accordent aux demandeurs toute liberté,
sinon en pratique du moins en principe, pour faire
affaire ou non au Canada et payer la taxe ou non.
Dans un tel cas, la loi est claire: ce genre de
discrimination ne constitue pas en lui-même un
motif pour annuler le règlement. La preuve ne
laisse voir aucune trace de malveillance ou de
mauvaise foi flagrante. On peut soutenir que de
tels éléments rendraient le règlement nul et inopé-
rant. L'arrêt Roncarelli v. Duplessis, [1959]
R.C.S. 121, a illustré, bien longtemps avant
l'adoption de la Charte, l'abus de pouvoir fondé
sur des considérations non pertinentes.
Ce qui, en l'espèce, constitue bel et bien de la
discrimination entre les catégories de vols n'a rien
de péjoratif. Il est également possible d'affirmer
qu'il s'agit d'une simple classification des entrepri-
ses aux fins de prescrire des taxes d'atterrissage.
La présence de sociétés canadiennes parmi les
demandeurs et le fait admis qu'Air Canada, bien
qu'elle ne soit pas partie demanderesse, a été
pendant toute la période en cause elle aussi assu-
jettie à la taxe d'atterrissage pour les vols transo-
céaniques comme l'ont été les demandeurs mon-
trent que le règlement a été appliqué de manière
égale et non discriminatoire. Comme on le remar-
quera, le critère choisi pour effectuer la classifica
tion n'était pas déraisonnable et ne comportait pas
de considérations illogiques, illégales ou non
pertinentes.
Il semble tout à fait probable que le genre de
classification des vols dont il est question dans le
Règlement contesté pourrait résister à une
demande d'annulation, même si ladite classifica
tion faisait partie d'un règlement municipal. Elle
n'est ni déraisonnable ni discriminatoire en ce sens
qu'elle ne fait pas échec aux droits véritables à
l'égalité. Étant donné que la législation habilitante
n'avait d'autre objectif que de prescrire des taxes
pour l'utilisation d'installations et de services, le
ministre n'était pas tenu par la loi d'établir les
écarts de prix en se fondant sur autre chose que
ladite utilisation. Il n'était pas non plus obligé
(comme l'indiquent clairement les décisions de
plus en plus nombreuses relatives à la discrimina
tion individuelle et fondées sur l'article 15 de la
Charte) d'ajuster ces écarts avec une précision
mathématique. On peut souligner que les disposi
tions de la Déclaration canadienne des droits,
S.R.C. 1970, Appendice III, et de la Charte con-
cernant l'égalité et la non-discrimination consti
tuent des droits de l'homme qui s'appliquent aux
individus mais non aux sociétés. Le pouvoir législa-
tif de réglementation des sociétés conféré par la
Constitution au Parlement et aux assemblées légis-
latives des provinces dans leur champ de compé-
tence respectif est absolu et presque sans limites,
sous réserve des exceptions déjà examinées. De
toute manière, les événements en cause se sont
produits avant l'adoption de la Charte.
La Cour statue par conséquent que les taxes
d'atterrissage contestées quant aux vols transocéa-
niques n'étaient et ne sont pas nulles en raison de
leur caractère discriminatoire. De toute façon,
elles ne sont pas discriminatoires au sens péjoratif
où elles opprimeraient les demandeurs ou équivau-
draient à confisquer leur profit. Si les demandeurs
considèrent que les taxes d'atterrissage pour les
vols transocéaniques leur imposent une obligation
trop lourde pour les fins de leurs opérations com-
merciales au Canada ou qu'elles indiquent que le
ministre n'a pas le sens des affaires, ce qui dans les
deux cas n'est pas objectivement prouvé, ils doi-
vent accepter le fait que ces griefs ne sont pas de la
compétence des tribunaux.
PERTINENCE DES ACCORDS INTERNATIONAUX
Dans leur ouvrage intitulé Droit constitutionnel,
Presses de l'Université de Montréal, 1982, les
auteurs Chevrette et Marx déclarent aux pages
1196 et 1197:
Droit international et droit interne .. .
un traité ne fait partie du droit interne que s'il y est incorporé
par un texte de loi. Le droit international coutumier obéit à cet
égard à des règles différentes, le juge national le recevant après
s'être assuré que la coutume existe et que le Canada y adhère.
Mais dans l'ordre interne la règle de droit international, même
si dans certains cas elle n'a pas été formellement incorporée,
opère comme un principe général d'interprétation, en tel sens
qu'une loi nationale contraire pourra l'écarter à condition de le
faire bien clairement, à défaut de quoi on interprétera la loi
comme lui étant conforme ou l'on tentera à tout le moins de
rendre les deux normes, nationale et internationale, concilia-
bles.
Dans son ouvrage intitulé Constitutional Law of
Canada, 2e éd., Carswell, Toronto, 1985, Hogg
affirme aux pages 245 et 246:
[TRADUCTION] Le droit constitutionnel canadien, qui est
dérivé à cet égard de celui du Royaume-Uni, ne reconnaît pas
qu'un traité fait partie du droit interne du Canada. Par consé-
quent, un traité qui nécessite une modification du droit interne
du Canada ne peut être mis en application que par l'adoption
d'une disposition législative apportant la modification requise.
Bien des traités n'exigent pas que le droit interne des États qui
y adhèrent soit modifié. Tel est le cas des traités qui n'empiè-
tent pas sur les droits individuels, ni ne contreviennent aux lois
déjà existantes ou encore qui n'exigent pas une mesure outre-
passant les pouvoirs exécutifs du gouvernement qui a conclu le
traité. Par exemple, il est possible de mettre en application les
traités conclus par le Canada et d'autres États relativement à la
défense, l'aide étrangère, la haute mer, l'espace aérien, la
recherche, les stations météorologiques, les relations diplomati-
ques et de nombreuses autres questions, par une simple mesure
exécutive du gouvernement canadien qui a conclu le traité. De
nombreux traités ne peuvent cependant être mis en application
sans que le droit interne du Canada soit modifié. Ainsi, il n'est
souvent possible d'exécuter les traités conclus par le Canada et
d'autres Etats relativement aux brevets, aux droits d'auteur, à
l'imposition des ressortissants étrangers, à l'extradition et à de
nombreuses autres questions qu'en adoptant des dispositions
législatives modifiant le droit interne du Canada.
Mais au Canada, où la constitution n'exige pas que le Parle-
ment donne son approbation avant qu'un traité soit conclu, cela
contreviendrait au principe fondamental de la suprématie du
Parlement si l'exécutif pouvait modifier le droit du pays en
concluant tout simplement un traité.
L'exactitude des deux règles précitées est confir-
mée par la jurisprudence, notamment l'arrêt de la
Cour suprême du Canada, Pan American, déjà
cité. Dans cette affaire, que l'on trouve dans le
recueil à [1981] 2 R.C.S. 565, le juge en chef
Laskin a repris l'argument des compagnies aérien-
nes qui alléguaient que ce qu'on appelle le droit
international coutumier ne les obligeait pas à
reconnaître l'exercice par le Canada de sa souve-
raineté sur l'espace aérien au-dessus de la haute
mer. Il a statué comme suit sur cet argument aux
pages 567 et 568:
Il n'y a pas lieu en l'espèce d'appliquer un principe d'interpréta-
tion favorisant la compatibilité du droit interne avec le droit
international. Les seules contestations que les appelantes peu-
vent soulever, c'est que le droit international invoqué en l'espèce
s'applique parce qu'il est incorporé de façon expresse au droit
canadien, ou que les redevances ne sont, en aucune façon,
autorisées en vertu du droit canadien.
Ainsi, le droit international, qu'il soit coutumier
ou qu'il découle d'un traité, est tout aussi applica
ble et exécutoire que le droit canadien lorsqu'il est
formellement incorporé au droit interne. Autre-
ment dit, les «redevances» doivent être versées
lorsqu'elles sont permises par le droit canadien,
comme c'est le cas des taxes d'atterrissage pour les
vols transocéaniques. Si l'exécutif ne cherche pas à
obtenir l'incorporation législative de traités concer-
nant la compétence législative conférée au Parle-
ment par la Constitution, le Canada pourrait se
faire une piètre réputation auprès des autres
nations. Tout grief de ce genre ne relève pas de la
compétence des tribunaux canadiens, car le pou-
voir judiciaire ne peut à lui seul faire appliquer des
traités qui ne sont pas incorporés au droit par le
pouvoir législatif. On n'a cependant présenté
aucune preuve convaincante qui, suivant la prépon-
dérance des probabilités, montre que la fixation
des taxes d'atterrissage contestées relativement
aux vols transocéaniques a violé les obligations du
Canada découlant de son adhésion à la Convention
de Chicago ou a déshonoré le Canada en sa qualité
de membre de l'OACl/ICAO.
Voici le texte des dispositions pertinentes de
l'Article 15 de la Convention de Chicago (pièce 1):
ARTICLE 15
Tout aéroport d'un État Contractant qui est ouvert .à l'usage
public des aéronefs nationaux sera, sous réserve des dispositions
de l'Article 68, ouvert dans les mêmes conditions aux aéronefs
ressortissant à tous les autres États Contractants. Des condi
tions également uniformes seront appliquées pour l'utilisation
par les aéronefs de chacun des États Contractants de toutes
installations de navigation aérienne, y compris les services de
radiocommunications et de météorologie, mises à la disposition
du public pour faciliter la navigation aérienne et contribuer à sa
sécurité.
Les droits perçus ou autorisés par un État Contractant,
relativement à l'utilisation desdits aéroports et installations par
les aéronefs de tout autre État Contractant, ne devront pas
excéder,
b) pour les aéronefs affectés à des services aériens interna-
tionaux réguliers, les droits acquittés par ses aéronefs
nationaux affectés à des services internationaux analogues.
L'Article 15 prévoit essentiellement qu'il ne doit
pas y avoir de discrimination fondée sur la natio-
nalité des aéronefs étrangers par rapport aux aéro-
nefs nationaux de l'État contractant. On n'a fourni
aucun élément de preuve montrant la moindre
trace de discrimination entre les demandeurs et
Air Canada, ou entre les compagnies demanderes-
ses canadiennes et les compagnies demanderesses
étrangères. En adoptant le Règlement sur les taxes
des services aéronautiques qui est contesté en l'es-
pèce, les défendeurs ont agi légalement et en con-
formité avec l'Article 15 de la Convention de
Chicago.
Le Conseil de l'OACI a publié, à l'occasion, des
déclarations sur les redevances d'aéroports et d'ins-
tallations et services de navigation aérienne de
route (pièce 19). En 1974, le Conseil a publié une
telle déclaration (pièce 19(B)) où figuraient les
principes pertinents suivants:
10. Il conviendrait de choisir les systèmes de redevances, aux
aéroports internationaux, conformément aux principes suivants:
iii) Les redevances ne doivent pas établir de discrimina
tion entre les usagers étrangers et les usagers qui ont
la nationalité de l'État dont relève l'aéroport et qui
exploitent des services internationaux similaires, ni
entre deux ou plusieurs usagers étrangers d'un
aéroport.
Compte tenu du passage tiré de la pièce 19(B), les
demandeurs n'ont encore une fois aucun motif
valide de se plaindre des taxes d'atterrissage. L'ex-
pression «services internationaux analogues» qui
figure à l'Article 15 de la Convention ainsi que
l'expression «services internationaux similaires»
laissent très certainement présager l'existence
d'opérations ou de services différents, et ne contre-
disent pas l'écart qui existe au Canada entre les
taxes exigées pour les «vols internationaux» et
celles demandées pour les «vols transocéaniques».
Les accords bilatéraux dont il est question au
paragraphe 12 de l'exposé conjoint des faits déposé
par les parties sont produits sous les pièces 3 à 14
du volume II. La pièce A soumise par les deman-
deurs indique certains renvois à ces accords en ce
qui concerne l'inobservation des lois et règlements
de l'autre partie contractante, et en ce qui a trait à
un traitement préférentiel relativement aux doua-
nes, à l'immigration, à la quarantaine et à l'utilisa-
tion d'installations. Le Canada a convenu avec
d'autres pays de ne pas accorder de préférence
fondée sur la nationalité dans les dispositions
suivantes:
Danemark: article 4(1) — (pièce 4)
France: article 7(1) — (pièce 5)
Allemagne: article 8(1) — (pièce 6)
Israël: article VIII(1) — (pièce 8)
Pays-Bas: article VIII 1. — (pièce 10)
Norvège: article 3(1) — (pièce 11)
Suède: article 3(1) — (pièce 12)
Suisse: article VIII 1. — (pièce 13)
On peut trouver un exemple d'une telle disposi
tion dans le traité qui a été conclu en 1974 avec les
Pays-Bas [Accord relatif aux transports aériens
entre le gouvernement du Canada et le gouverne-
ment du Royaume des Pays-Bas, 17 juin 1974,
[1975] R.T. Can. n° 19], qui est entré définitive-
ment en vigueur le 15 juillet 1975 (pièce 10) et est
clairement rédigé dans les deux langues officielles
du Canada:
ARTICLE VIII
1. Les droits imposés dans le territoire de l'une ou l'autre des
Parties contractantes pour l'utilisation des aéroports et des
autres installations d'aviation par les aéronefs d'une entreprise
de transport aérien désignée de l'autre Partie contractante ne
seront pas plus élevés que ceux qui sont imposés aux aéronefs
d'une entreprise de transport aérien nationale qui assure des
services internationaux analogues.
Il est évident que, en ce qui a trait aux taxes
d'atterrissage contestées, la demanderesse KLM
n'a fourni aucun élément de preuve étayant une
plainte fondée sur l'article VIII 1. de l'entente
susmentionnée conclue entre le Canada et le
Royaume des Pays-Bas, si on présume que cette
Cour est le tribunal approprié, ce qu'elle n'est pas.
Qui plus est, la déclaration de 1974 de l'OACI,
produite conjointement sous la cote 19(B) et invo-
quée fréquemment par les parties, semble tout au
moins tolérer un certain degré de traitement préfé-
rentiel. Parmi les principes énoncés à la section S9,
on trouve le suivant:
vii) Lorsque des tarifs préférentiels de redevances, des
réductions spéciales ou d'autres formes de réductions
sur les redevances normalement imposées pour les
installations et services d'aéroport sont accordés à des
catégories particulières d'usagers, [ce qui n'est pas
répudié en l'espèce] les États doivent garantir, dans la
mesure du possible, qu'aucune part des coûts dûment
imputables aux usagers en cause, qui ne serait pas
recouvrée du fait de l'application de l'arrangement, ne
sera portée à la charge d'autres catégories d'usagers.
Ce principe édifiant mais non contraignant en
vertu duquel des tarifs préférentiels, des réductions
spéciales et d'autres réductions peuvent être
permis, suivant l'OACI, constitue probablement le
fondement de la pléthore de témoignages d'experts
et de témoignages sur les états financiers, la comp-
tabilité, les principes comptables et les observa
tions sur les temps et mouvements qui ont été
soumis en détail à la Cour.
Il faut se rappeler que le pouvoir qui est conféré
par la Loi au ministre de prescrire une taxe pour
l'utilisation de. installations ou services à quelque
aéroport que ce soit, constitue un pouvoir de tarifi-
cation qui n'est pas limité par des considérations
quant au coût. Dans le cas où des principes incom
patibles seraient énoncés d'une part par l'OACI et
la Convention de Chicago et d'autre part dans la
Loi sur l'aéronautique et son règlement d'applica-
tion tout à fait valide, la Cour serait tenue de
respecter la Loi et le règlement étant donné que les
engagements internationaux ne sont pas expressé-
ment incorporés dans le droit canadien. Mais,
même s'il n'est pas obligé d'appliquer servilement
ou avec une précision mathématique, sinon du
tout, les principes de l'organisation de l'aviation
civile, le ministre a trouvé le moyen de s'y confor-
mer rigoureusement.
En fait, les principes énoncés par l'OACI sont si
généraux et limités qu'ils ne peuvent être invoqués
qu'à titre de lignes directrices mais non à titre de
loi. Ces principes portent pour l'essentiel sur les
coûts alors que le Parlement insiste sur la tarifica-
tion exclusivement. Outre le principe vii) énoncé à
la section S9 de la pièce 19(B), les autres principes
(non soulignés dans le texte original) sont les
suivants:
i) Le coût à partager comprend la totalité des dépenses
que représentent, pour la collectivité qui en assume la
charge, l'aéroport et ses services auxiliaires essentiels,
y compris les intérêts sur le capital investi et l'amor-
tissement du capital, ainsi que les frais d'entretien et
d'exploitation, et les frais de gestion et d'administra-
tion, mais compte tenu des recettes aéronautiques et
autres, que l'exploitation de l'aéroport procure à l'or-
ganisme qui assure cette exploitation.
ii) Une imputation de coût devrait être prise en considé-
ration pour l'usage de locaux ou d'installations par les
services publics.
iii) La proportion du coût imputable aux différentes caté-
gories d'usagers, y compris les aéronefs d'État, doit
être déterminée sur une base équitable de façon
qu'aucun usager ne doive supporter la charge de
dépenses qui ne lui sont pas proprement imputables
selon une répartition des dépenses effectuée conformé-
ment à de sains principes de comptabilité.
iv) De manière générale, les exploitants d'aéronefs et les
autres usagers des aéroports ne doivent pas être impo-
sés pour des installations et services qu'ils n'utilisent
pas et qui ne sont pas ceux prévus et mis en oeuvre
dans le cadre du plan régional de l'OACI.
v) Dans des circonstances favorables, les aéroports peu-
vent réaliser des recettes suffisantes pour dépasser
avec une marge raisonnable le montant de tous les
coûts directs ou indirects (y compris ceux qui se
rapportent à l'administration générale, etc.) et per-
mettre ainsi le remboursement des dettes et la consti
tution de réserves pour des immobilisations futures.
vi) La capacité de paiement de l'usager ne doit être prise
en considération qu'une fois les coûts pleinement éva-
lués et répartis sur une base objective. A ce stade, on
devra tenir compte de la capacité contributive des
États et collectivités intéressées, étant entendu que
l'État ou l'autorité responsable en matière de redevan-
ces peut décider de recouvrer un montant inférieur
aux coûts totaux en échange des avantages retirés sur
le plan local, régional ou national.
vii) [déjà cité plus haut]
viii) Bien qu'elles doivent être conformes à l'Article 15 de
la Convention de Chicago, les redevances d'aéroport
imposées à l'aviation générale internationale doivent
être évaluées raisonnablement, eu égard au coût des
installations et services nécessaires et utilisés et au fait
qu'il faut s'efforcer d'encourager l'expansion de l'avia-
tion générale internationale.
Il ressort de la valeur et de la prépondérance de
la preuve crédible que, même si le Parlement a
conféré au ministre un pouvoir général de tarifica-
tion lui permettant de prescrire des taxes pour
l'utilisation d'installations et de services, les taxes
d'atterrissage qu'il a prescrites relativement aux
vols transocéaniques dérogent très peu, sinon aucu-
nement, aux principes suggérés par l'OACI. Ainsi,
même si la Cour avait compétence pour détermi-
ner si les défendeurs ont respecté ou non ces
principes, la preuve indique qu'en prescrivant les
taxes d'atterrissage contestées, le ministre s'est
bien acquitté de sa tâche. Il n'a pas violé ces
principes. Il n'est pas nécessaire de faire preuve
d'une précision mathématique à cet égard, même
si les parties s'emportent en alléguant l'existence
d'une abondance d'expertises comptables contra-
dictoires.
LES DEMANDEURS ONT-ILS ÉTÉ «SURTAXÉS»?
Compte tenu des conclusions initiales suivant
lesquelles le Règlement sur les taxes des services
aéronautiques contesté a été adopté conformément
à l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique et n'est
pas nul et inopérant parce qu'il serait discrimina-
toire, la vérité brutale est que la question de savoir
si les demandeurs ont été «surtaxés» ou non n'a
aucune incidence légale. En prescrivant les taxes,
le ministre risque de chasser les entreprises deman-
deresses et d'entraîner des représailles de la part
des autorités aéroportuaires de leur pays d'origine
s'il impose une taxe trop élevée. Il pourrait causer
la fermeture des compagnies demanderesses cana-
diennes. Étant donné que les demandeurs ont con-
tinué à payer les taxes d'atterrissage, c'est à la
suite de décisions à caractère commercial qu'ils ont
volontairement continué à utiliser les aéroports
canadiens. Ils ont payé sous réserve de leurs droits
à compter environ du moment où ils ont intenté la
présente action. Les ministres qui se sont succédés
étaient responsables devant le Parlement, leurs
collègues du cabinet et le caucus du gouvernement.
Les demandeurs, qui sont toutes des personnes
morales, sont administrés et dirigés par des person-
nes qui sont responsables devant leurs actionnaires
ou l'Etat en tant que propriétaire.
Dans le cours normal des événements, le minis-
tre d'alors, sans doute retenu par ses responsabili-
tés particulières, a tenu compte des coûts lorsqu'il
a prescrit les taxes. Il n'était pas tenu de le faire
par le pouvoir que lui conférait le Parlement à
l'article 5 de la Loi; mais, dans le cours normal des
événements, le ministre a tenu compte du coût.
C'est en fait ce qui ressort visiblement de la preuve
qui indique également dans la pièce 218, soit le
rapport du vérificateur général, que le réseau de
huit aéroports internationaux a perdu beaucoup
d'argent. Il s'agit d'une autre manière de décrire le
non-recouvrement des frais. Quelle que soit «la
totalité des dépenses que représentent, pour la
collectivité qui en assume la charge, l'aéroport et
ses services auxiliaires», il semble évident que l'en-
semble des contribuables canadiens en a supporté
la plus grande partie.
La preuve documentaire présentée par Gordon
Clare Wilson ainsi que son témoignage oral étaient
les plus convaincants et les plus crédibles sur cette
question. Depuis août 1978, M. Wilson est le
conseiller financier de la division de la surveillance
des taux de l'Administration canadienne des trans
ports aériens (ACTA). Après avoir obtenu un
baccalauréat spécialisé en sciences commerciales
de l'Université Carleton en 1973, il s'est joint
pendant une courte période au personnel de la
Commission canadienne des transports où il a
travaillé à titre d'assistant à la recherche dans le
cadre d'un projet sur les coûts d'exploitation d'une
entreprise de transport aérien. En octobre 1973, il
a été embauché par la division des statistiques de
l'aviation de Statistique Canada, où il a acquis une
expérience précieuse pour son emploi actuel et
pour les fins de sa crédibilité en l'espèce. Au
moment de son témoignage, M. Wilson avait parti-
cipé à toutes les activités de la division de la
surveillance des taux qui est responsable du pro
gramme de recouvrement des coûts de l'ACTA. Il
a participé à la préparation de renseignements
financiers utilisés et devant être utilisés dans l'éla-
boration de propositions présentées à l'industrie au
sujet des taxes.
L'enregistrement du témoignage oral de M.
Wilson va de la page 2584 (vol. 13) de la trans
cription des témoignages à la page 2843 (vol. 14).
Ce témoin bien informé a relaté dans des termes
simples l'évolution des taxes d'atterrissage depuis
les années qui ont précédé l'établissement de taxes
d'atterrissage pour les vols internationaux en 1957
jusqu'à leur fusion en 1985 avec les taxes d'atter-
rissage pour les vols transocéaniques, qui a été
suivie de la disparition de ces dernières le ler
septembre de cette même année (Transcription des
témoignages, pages 2610 2621). Cette évolution
est également illustrée dans les pièces 220 223.
La méthode employée par l'ACTA a entraîné
une réduction de la taxe des vols transocéaniques
le ler mai 1982, réduction que M. Wilson explique
ainsi:
[TRADUCTION] R. La méthode que nous avons suivie, consis-
tant à examiner les coûts et les revenus du réseau d'aéroports
internationaux, nous a permis d'obtenir un montant que nous
appelons la «taxe d'atterrissage de rentabilité» et aussi long-
temps qu'on exige de chacun le versement d'une somme infé-
rieure à cette taxe, nous sommes d'avis que personne ne paie
intégralement les frais engagés.
Par suite de certaines modifications des coûts et de change-
ments majeurs touchant l'ensemble des revenus de ces aéroports
mais non les taxes d'atterrissage, la situation était telle que sans
une réduction de la taxe d'atterrissage pour les vols transocéa-
niques, celle-ci aurait été supérieure à la taxe d'atterrissage de
rentabilité. Et pour être conséquents avec la méthode adoptée,
nous avons décidé de réduire cette taxe.
(Transcription, vol. 13, page 2618)
De 1976, au moment où les taxes ont augmenté
de 30 %, à septembre 1985, lorsque les taxes d'at-
terrissage pour les vols transocéaniques sont dispa-
rues, les taxes exigées pour les vols intérieurs et
pour les vols internationaux ont augmenté à un
rythme plus rapide que celui de la taxe pour les
vols transocéaniques. M. Wilson a déclaré dans
son témoignage:
[TRADUCTION] Si je me rappelle les chiffres correctement, au
cours d'une période de dix ans se terminant avec les augmenta
tions de septembre 1985, la taxe des vols intérieurs a augmenté
d'environ 272 %, celle des vols internationaux de 240 % et celle
des vols transocéaniques était de 14 % supérieure à ce qu'elle
était dix ans auparavant.
(Transcription, vol. 13, page 2620)
La méthode suivie consiste à utiliser une taxe
«globale» ou «résiduelle», système qui est employé à
plusieurs sinon à tous les aéroports étrangers dans
le monde. Le témoin des demandeurs Cornelius
Lakeman qui, avant de prendre sa retraite, était
chef du département des affaires internationales,
division des services aériens de KLM, a déclaré ce
qui suit dans son témoignage:
[TRADUCTION] Q. Certains aéroports essaient dans une cer-
taine mesure de séparer le côté piste et le côté ville?
R. Certains aéroports le font.
Q. Beaucoup ne le font pas?
R. Beaucoup ne le font pas.
Q. Très bien. Et vous admettrez avec moi qu'en ce qui a trait
aux méthodes suivies, il existe dans le monde un large éventail
de pratiques permettant d'obtenir ces taxes finales?
R. Oui.
Q. Oui, mais en général, la taxe qui est finalement imposée
une fois les coûts et les revenus équilibrés est la taxe
d'atterrissage?
R. Oui.
(Transcription, vol. 2, pages 288 et 289)
Lors de son contre-interrogatoire, M. Wilson a
répété la technique permettant de calculer la taxe
d'atterrissage de rentabilité et ses explications se
trouvent à la page 2791 de la transcription des
témoignages (vol. 14). Les transporteurs transo-
céaniques et autres profitent des revenus tirés des
concessions et des entreprises de location qui
entrent dans les recettes «globales», ce qui réduit
les frais qui devraient autrement être supportés par
les compagnies aériennes. Cette technique est tout
à fait compatible avec le principe énoncé par
l'OACI au paragraphe S9(i), précité, comme le
révèle la pièce 19(B).
La pièce 223 produite par M. Wilson (transcrip-
tion, vol. 14, pages 2662 et ss.) montre le calcul de
la taxe d'atterrissage de rentabilité dans le réseau
d'aéroports internationaux. Les sommes figurant
dans la première partie de la pièce 223 sont tirées
de l'état des revenus et des dépenses pour l'année
1982-1983, qui paraît à la page 10 de la pièce 185.
La pièce 223 indique qu'afin de recouvrer la tota-
lité des frais engagés dans le réseau des aéroports
internationaux, il aurait fallu exiger pour chaque
catégorie de vols une taxe d'atterrissage de $2.25
par 1 000 livres. En fait, les taxes d'atterrissage en
vigueur pour chaque 1 000 livres le l er mai 1982
étaient de $1.62 pour les vols transocéaniques, de
$1.38 pour les vols internationaux et de $0.91 pour
les vols intérieurs.
C'est pourquoi les défendeurs allèguent que,
même après avoir tiré profit de la taxe de transport
aérien, ils fournissaient une subvention de $0.63
par 1 000 livres pour le secteur transocéanique, de
$0.87 pour le secteur international et de $1.34
pour le secteur intérieur. Ils soutiennent qu'une
subvention de $0.63 par 1 000 livres représente une
subvention de $485 pour chaque atterrissage d'un
Boeing 747 effectuant un vol transocéanique. La
pièce 266 indique une taxe d'atterrissage de renta-
bilité de $2.80 par 1 000 livres en 1978-1979 alors
même que le taux de la taxe d'atterrissage pour les
vols transocéaniques était de $2.06.
Il faut souligner que la taxe de transport aérien
ne constitue pas un revenu de l'aéroport. Elle est
prélevée sur le prix du transport par avion, mais le
tarif payé ne s'applique pas toujours au décollage
effectué à partir d'une piste d'un aéroport. Il pour-
rait s'appliquer au décollage effectué à partir d'un
lac, d'une rivière ou en plein champ. Cette taxe est
prélevée sur le tarif aérien seulement. Il ne s'agit
pas d'une taxe imposée à l'usager d'un aéroport.
Par conséquent, si le gouvernement accorde une
partie de ces recettes fiscales comme subvention
pour les aéroports, ce simple fait n'oblige pas à
justifier l'ensemble des recettes fiscales au même
titre que les revenus provenant de ventes hors
taxes, de taxes générales d'aérogare ou de taxes
d'atterrissage. Bien que les demandeurs puissent
profiter d'une telle subvention tirée des recettes
fiscales, ce procédé ne les concerne pas vraiment.
L'ACTA a calculé la taxe d'atterrissage de ren-
tabilité de la même manière chaque année. En
1981, les prévisions indiquaient que la taxe pour
les vols transocéaniques serait supérieure à la taxe
d'atterrissage de rentabilité et c'est pourquoi la
taxe de ces vols a été sensiblement réduite afin
d'éviter de surtaxer les transporteurs touchés.
C'est ce qui ressort du témoignage de M. Wilson,
aux pages 2805 et 2806 de la transcription (vol.
14).
Montrant les points forts et les faiblesses qui
caractérisent habituellement les membres de leur
profession, les experts ont essayé d'établir que les
demandeurs ont été ou n'ont pas été surtaxés selon
la partie à laquelle ils fournissaient leurs connais-
sances techniques. Après avoir évalué les témoins
en personne et avoir examiné la transcription de
leurs longs témoignages ainsi que les pièces volu-
mineuses, la Cour arrive à certaines conclusions.
La Cour préfère le témoignage de Steven O.
Gunders à celui d'Alan S. Cunningham. Ce der-
nier prétend que les états du fonds renouvelable
des aéroports (FRA) représentent fidèlement les
opérations des aéroports, qui sont à l'occasion
inclus dans le système du FRA. Dans son rapport
(pièce 211), il analyse le recouvrement excéden-
taire ou déficitaire par secteur, à partir du prix de
base non rajusté du FRA. Il s'agit manifestement
d'une erreur qui rend son analyse peu fiable. Le
vérificateur général du Canada a exprimé une
opinion défavorable (pièce 212) au sujet des états
financiers du FRA et ce, pour plusieurs raisons,
notamment (page 27.25) parce qu'on ne tient pas
compte [TRADUCTION] «d'un montant représen-
tant les intérêts débiteurs du gouvernement en ce
qui a trait au capital investi dans le fonds». C'est
ce qu'a affirmé le vérificateur général adjoint,
David Lawrence Meyers, dans son témoignage qui
figure à la page 2468 de la transcription (vol. 13).
Les passages du contre-interrogatoire de M. Cun-
ningham qui figurent aux pages 2175 2177 de la
transcription (vol. 11) constituent des éléments qui
justifient le rejet de son témoignage. Un autre
élément qui crée un doute sérieux quant à l'objec-
tivité de cette personne et de son témoignage est la
«technique» irrégulière qui consiste à attribuer tous
les revenus découlant de la concession de boutiques
hors taxes au secteur international et à présumer
ensuite que toutes les autres sources de revenus
sont réparties en proportion du volume de passa-
gers. Encore une fois, comme on peut le constater
aux pages 2280 et 2281 (vol. 12), M. Cunningham
a bel et bien déclaré dans son témoignage qu'il n'a
pas joué son rôle mais s'est plutôt fié à M. Hart,
un autre témoin, et aux allégations des deman-
deurs [TRADUCTION] «et c'est plus ou moins le
comité qui a décidé que la ventilation des dépenses
et des revenus reposant sur le nombre de passagers
était en fait équitable». Ces exemples de la
manière dont le témoin a abordé les points en litige
font perdre toute confiance en son professionalisme
et son objectivité. Ils sapent notamment sa
crédibilité.
Par contre, M. Keith Boocock s'est distingué par
son expérience, ses connaissances et sa crédibilité.
La Cour préfère son témoignage ainsi que celui de
Philip Beinhaker chaque fois où ils sont en pré-
sence de témoignages contradictoires.
La Cour est tout à fait convaincue, suivant la
prépondérance des probabilités, qu'aucun des
demandeurs n'a été surtaxé lorsqu'il a payé les
taxes d'atterrissage pour les vols transocéaniques.
RESTITUTION
Les demandeurs prétendent qu'ils auraient droit
à une restitution si la conclusion antérieure de la
Cour, selon laquelle le Règlement sur les taxes des
services aéronautiques est valide et infra vires,
était par la suite jugée erronée. Les défendeurs
soutiennent que les demandeurs n'ont pas droit au
remboursement des taxes d'atterrissage pour les
vols transocéaniques versées avant que la présente
action ne soit intentée le 10 mars 1980, parce que,
selon eux, ces taxes ont été payées par suite d'une
erreur de droit commune et non parce qu'ils
avaient contraint les demandeurs à le faire.
Parce qu'elle admet le témoignage de Steven O.
Gunders et celui des autres témoins des défen-
deurs, la Cour conclut que la classification par
catégories des différents vols «intérieurs», «interna-
tionaux» et «transocéaniques» était justifiée et non
déraisonnable en ce qui a trait à la répartition des
coûts engagés pour les aéroports internationaux. Il
s'ensuit que si le Règlement était ultra vires pour
le motif qu'on n'aurait pas dû faire payer aux
demandeurs le coût d'utilisation des aéroports où
ils se rendent rarement ou jamais, chaque deman-
deur aurait alors droit à une réduction proportion-
nelle des taxes d'atterrissage effectivement payées
depuis 1974 en ce qui a trait aux atterrissages
effectués dans les provinces de common law et
depuis 1975 pour ceux effectués au Québec. Il
s'ensuit également que si on se fonde sur l'écart
discriminatoire existant entre les diverses catégo-
ries de vols pour conclure que le Règlement atta-
qué est nul et inopérant en ce qui concerne ce
qu'on appelle les catégorisations discriminatoires,
le Règlement peut alors être dissocié; et comme les
demandeurs se sont plaints spécifiquement de la
taxe pour les vols transocéaniques, ils ne peuvent
échapper au paiement de la taxe moins élevée, que
ce soit la taxe pour les vols intérieurs ou celle pour
les vols internationaux, qui est prescrite à
l'occasion.
Pour ce qui est des taxes payées à la suite
d'atterrissages effectués au Québec, il n'y a aucune
distinction à faire entre les sommes versées en
vertu d'une erreur commune de droit ou de fait. Si
le Règlement était ultra vires et inopérant et
pouvait dans une certaine mesure être dissocié, les
demandeurs n'auraient jamais été redevables à
l'égard des défendeurs. De toute façon, les articles
1047 et 1140 du Code civil du Québec régissent la
question de la restitution.
Pour ce qui est du remboursement des sommes
versées relativement aux atterrissages effectués
dans les provinces de common law, les mêmes
considérations quant à l'effet ou l'absence d'effet
du Règlement s'applique, qu'il soit ultra vires ou
nul et inopérant, mais dissociable.
L'affaire des demandeurs met en cause le même
genre d'erreur que dans les arrêts
Kiriri Cotton Co. Ltd. v. Dewani, [1960] A.C. 192
(H.L.); Eadie v. Township of Brantford, [1967]
R.C.S. 573; et Hydro-Electric Commission of
Nepean c. Ontario Hydro, [ 1982] 1 R.C.S. 347.
Dans l'arrêt Nepean Hydro, précité, le juge
Estey qui a rédigé le jugement de la majorité de la
Cour suprême a souscrit, aux pages 398 et 399, à
la conclusion du juge de première instance qui a
dit:
[TRADUCTION] À mon avis, les paiements ont été effectués
sans réserve, dans le but de préserver des droits. Nepean a
formulé des objections à l'occasion; mais à mon avis ces objec
tions se sont résumées à ce qu'on peut qualifier de rouspétance.
On ne peut déduire des circonstances que les paiements étaient
involontaires au sens de la loi.
En l'espèce, bien que l'action ait été intentée le 10
mars 1980, la déclaration des demandeurs a été
modifiée jusqu'au 9 février 1984 et on doit consi-
dérer qu'ils ont payé sous réserve de leurs droits au
moins à compter du début de l'action jusqu'aux
dates respectives indiquées à l'annexe de leur
exposé conjoint des faits. Si l'un des demandeurs a
fait séparément, avant le début de l'action, des
protestations sérieuses qui peuvent être prouvées,
la rouspétance mise à part, il faut considérer qu'il
n'a pas effectué ces paiements librement à cette
date antérieure, lesdits paiements ayant été effec-
tués sous l'effet de la contrainte. Tous les autres
demandeurs n'ont pas été contraints de payer.
Plus loin dans l'arrêt Nepean Hydro, le juge
Estey résume sa décision (page 411) et l'effet de
son jugement met en lumière les observations qui
précèdent. Il a répété qu'en général, le paiement
effectué à la suite d'une erreur de droit ne peut
être recouvré. Le recouvrement est toutefois
permis dans deux cas, lorsqu'il y a contrainte et
lorsqu'il s'agit d'une opération illégale. Dans le
premier cas, «le recouvrement est permis puisque le
paiement n'est pas volontaire et il n'y a aucune
raison de présumer, simplement parce qu'il y a eu
paiement, que le demandeur a abandonné son droit
de recouvrer les sommes qu'il a payées par suite
d'une contrainte de fait». Dans le deuxième cas
(c.-à-d. lorsque l'opération est illégale), le recou-
vrement est permis lorsque les parties n'ont pas
participé à l'acte illégal. En l'absence de l'un ou de
l'autre de ces éléments, comme c'est le cas en
l'espèce, on ne peut invoquer une erreur de droit
commune pour obtenir un recouvrement fondé sur
la common law.
Dans l'arrêt Nepean Hydro, le juge Dickson,
aujourd'hui juge en chef de la Cour, a exprimé une
forte dissidence à laquelle a souscrit feu le juge en
chef Laskin. Il n'appartient toutefois pas à cette
Cour de préférer l'opinion de la minorité à celle de
la majorité.
Il est évident que s'il doit y avoir restitution, il
sera nécessaire de formuler et d'engager une réfé-
rence suivant les conditions qui précèdent ou celles
prescrites par une cour d'appel.
En fin de compte, l'action des demandeurs est
toutefois rejetée à compter du 24 février 1987,
conformément à la Règle 338(2); les demandeurs
devront payer aux défendeurs les frais entre par
ties une fois qu'ils auront été taxés.
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