T-2853-84
C.E. Jamieson & Co. (Dominion) Ltd. (demande-
resse)
c.
Procureur général du Canada, le directeur et sous-
ministre adjoint de la Direction générale de la
protection de la santé du ministère de la Santé
nationale et du Bien-être social (défendeurs)
T-2968-84
C.E. Jamieson & Co. (Dominion) Ltd., Pharme-
tics Ltd. et Swiss Herbal Remedies Ltd.
(demanderesses)
c.
Procureur général du Canada, le directeur et sous-
ministre adjoint de la Direction générale de la
protection de la santé du ministère de la Santé
nationale et du Bien-être social (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: C.E. JAMIESON & CO. (DOMINION) C. CANADA
(PROCUREUR GÉNÉRAL)
Division de première instance, juge Muldoon—
Montréal, 16, 17, 18 décembre 1986; Ottawa, 17
septembre 1987.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Loi des
aliments et drogues et Règlement — Drogues nouvelles et DIN
— Pouvoir en matière d'échanges et de commerce — Pouvoir
en matière de droit criminel y compris celui de mettre sur pied
un système national supervisé par un organisme de réglemen-
tation — Paix, ordre et bon gouvernement — La réglementa-
tion de la distribution de produits pharmaceutiques n'apparaît
pas dans le partage des compétences législatives — Matière
d'intérêt national — Ne peut être résolue par coopération
provinciale par droit uniforme — L'art. 121 de la Loi consti-
tutionnelle de 1867 prévoit le libre échange entre les provinces.
Droit constitutionnel Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Perquisition ou saisie abusive —
Saisie d'acides aminés isolés et d'autres produits des locaux
du fabricant en vertu de la Loi des aliments et drogues — Les
défendeurs ne savent pas pourquoi les autres produits ont été
saisis — Distinction entre une enquête criminelle et une ins
pection réglementaire — La Loi prévoit qu'une violation du
Règlement sera poursuivie par voie d'acte d'accusation —
Perquisition et saisie au cours d'une enquête criminelle —
Commode d'obtenir un mandat — Contravention à l'art. 8 de
la Charte — Saisie annulée parce que inconstitutionnelle.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — Règlement pris sous la Loi des aliments et
drogues — Le gouverneur en conseil a-t-il outrepassé le
mandat qui lui a été conféré? — Le Règlement ne constitue pas
un système d'autorisation — Distinction entre les règlements
pris par le gouverneur en conseil et les règlements municipaux
— Les assemblées municipales sont de la nature du régime
présidentiel, non parlementaire — Le Règlement n'est pas trop
imprécis car il s'adresse aux fabricants et non à l'homme de la
rue — Pas de sous-délégation illégale des pouvoirs de la part
du gouverneur en conseil — Présomption que le pouvoir
discrétionnaire confié à un ministre sera exercé par les fonc-
tionnaires du ministère — Pouvoirs du directeur limités.
Aliments et drogues — Loi et Règlement — Drogues nou-
velles et DIN - Les dispositions législatives et réglementaires
sont-elles ultra vires du Parlement ou du gouverneur général
en conseil? — S'agit-il d'un système d'autorisation non auto-
risé? — Règlement concernant la distribution des drogues et
déclarations s'y rapportant — Pas trop imprécis dans le
contexte — Aucune sous-délégation illégale par le gouverneur
en conseil — Présomption que les décisions prises par un
ministre dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire le
seront par les fonctionnaires responsables du ministère —
Perquisition et saisie abusive, contrevenant à l'art. 8 de la
Charte — Enquête de nature criminelle — Commode d'obte-
nir un mandat — L'art. 22(1)d) de la Loi inopérant.
Il s'agit d'une action visant à obtenir un jugement déclarant
que le sous-alinéa 25(1)o)(ii) de la Loi des aliments et drogues
est ultra vires du Parlement et que les articles C.01.014 à
C.01.014.4 et C.08.001 à C.08.011 inclusivement du Règlement
sur les aliments et drogues sont ultra vires. Le sous-alinéa
25(1)o)(ii) prévoit que le gouverneur en conseil peut établir des
règlements pour l'exécution et l'application effective des dispo
sitions de la Loi. C.E. Jamieson & Co. (Dominion) Ltd.
soutient également que la perquisition effectuée dans ses locaux
ainsi que la saisie effectuée par le personnel du directeur étaient
illégales parce que contraires à l'article 8 de la Charte. Enfin,
Jamieson sollicite une ordonnance de la nature d'un mandamus
enjoignant au directeur de délivrer une identification numéri-
que de la drogue (DIN) pour son produit «Stress Ease with
Vitamins and Minerals» pour le motif que le Règlement a été
appliqué de façon injuste au point de constituer une injustice
flagrante.
Pour l'exposé des questions en litige, voir la note de
l'arrêtiste.
Jugement: Le sous-alinéa 25(1)o)(ii) et le Règlement attaqué
relèvent de la compétence du Parlement. La saisie sans mandat
était illégale et contrevenait à l'article 8 de la Charte. L'alinéa
22(1)d) de la Loi est inopérant. Jamieson n'a toutefois pas le
droit de recevoir un DIN pour son produit.
La portée apparemment large du pouvoir relatif aux échan-
ges et au commerce a été restreinte par la jurisprudence. En
l'absence d'urgence, le Parlement n'a pas la compétence, en
vertu de la rubrique 2 de l'article 91 de la Loi constitutionnelle
de 1867, de réglementer le commerce de l'industrie pharmaceu-
tique au Canada. La délégation législative et les règlements pris
en conséquence ne visent pas directement les échanges et le
commerce mais sont orientés vers la réglementation d'une
industrie unique. Ils tombent en dehors de la réglementation
des échanges s'appliquant à tout le pays.
La compétence législative se retrouve toutefois dans le pou-
voir fédéral d'édicter des lois portant sur le droit criminel. La
rubrique 27 de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867
confère au Parlement le pouvoir d'édicter des lois portant sur le
droit criminel y compris la procédure criminelle. La loi visait la
distribution de substances nuisibles à la santé et le fait de
tromper ou décevoir le public quant à la valeur ou la sûreté des
drogues. Des conséquences pénales sont prévues pour les viola
tions de la Loi. L'argument des demanderesses que ces disposi
tions ne prohibent pas des comportements mais réglementent
un commerce est rejeté. La constitutionnalité des dispositions
de la Loi des aliments et drogues, qui découle des pouvoirs du
Parlement en matière de droit criminel, a été affirmée dans
plusieurs décisions publiées. La seule exception est l'arrêt Bras-
series Labatt dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu
que le règlement définissant la «bière légère» n'avait pas une
finalité de droit criminel puisque le produit n'était pas censé
constituer un risque pour la santé et que le règlement ne visait
pas non plus la prévention du mensonge réalisé par un faux
étiquetage.
Alors que le Parlement peut édicter qu'un comportement est
criminel, il peut aussi décréter expressément ou par implication
nécessaire qu'un autre comportement connexe n'est pas crimi-
nel. A titre d'exemple de ce dernier comportement, on cite un
avortement pratiqué à la suite d'un certificat d'un comité
d'avortement thérapeutique. Dans le cas du Règlement sur les
aliments et drogues, le Parlement a mis en place sa propre
institution pour administrer une loi de droit criminel. Le Parle-
ment a la compétence de mettre sur pied un système national
de réglementation supervisé par un organisme de réglementa-
tion. Les décisions de la Cour suprême du Canada rejettent
l'idée que l'entreprise de législation en droit criminel ne peut
dépasser la simple prohibition pour entrer dans la réglementa-
tion. La portée du droit criminel ne peut être interprétée aussi
étroitement.
Il n'existe pas de liste immuable de ce qui constitue la paix,
l'ordre et le bon gouvernement du Canada. La réglementation
de ce qui se trouve juste à l'extérieur du profil du droit criminel
en ce qui regarde la distribution des produits pharmaceutiques
ne peut apparaître ni dans les débats sur la Confédération ni
dans le partage précis des compétences législatives. Le sous-ali-
néa 25(1)o)(ii) de la Loi des aliments et drogues ainsi que les
règlements sur le DIN et les drogues nouvelles pris sous son
empire, relèvent de la compétence du Parlement, en tant que
matières d'intérêt national, en vertu de son pouvoir de faire des
lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada. Le
problème ne pouvait être résolu par la coopération provinciale
même si des lois uniformes étaient adoptées. Le droit uniforme
n'entraîne pas nécessairement des organismes uniformes de
réglementation. Pour faire échouer les tentatives provinciales de
protection du public contre les drogues potentiellement dange-
reuses ou étiquetées de façon mensongère, il suffirait qu'une
seule province se refuse à coopérer. Selon l'article 121 de la Loi
constitutionnelle de 1867, tous les articles fabriqués dans une
province seront admis en franchise dans chacune des autres
provinces.
Après avoir conclu que la Loi et le Règlement relèvent de la
compétence du Parlement, la question suivante est de détermi-
ner si le gouverneur en conseil a outrepassé le pouvoir qui lui a
été conféré. Le Règlement ne crée pas un système d'autorisa-
tion non autorisé. L'arrêt Re Imperial Oil Limited and The
City of Kingston, [1955] O.W.N. 767 invoqué par les deman-
deresses concernait le droit municipal et établissait que lors-
qu'un règlement exige l'autorisation d'un fonctionnaire désigné,
la corporation ne peut ensuite exiger l'autorisation supplémen-
taire d'un autre fonctionnaire, ni même celle du conseil munici
pal. Même si le Règlement en l'espèce devait être conforme au
principe énoncé dans l'arrêt ci-dessus, il respecte la décision
citée. Le Règlement ne constitue pas un système d'autorisation;
il vise à réglementer la mise en circulation de drogues ainsi que
les déclarations qui les concernent plutôt que de contrôler par
l'émission de permis l'existence ou l'organisation commerciale
des fabricants et vendeurs de drogues, leur personnel de vente
ou la structure de leur prix.
Même s'il est clair qu'un règlement municipal puisse être
déclaré invalide parce qu'il est trop vague, il n'est pas certain
que les mêmes principes s'appliquent aux règlements adoptés
par le gouverneur en conseil. Les tribunaux établissent une
distinction entre les règlements d'application d'une loi et les
règlements municipaux. Ces derniers règlements sont adoptés
par des organismes créés par une assemblée législative, qui ne
sont pas directement responsables devant cette assemblée alors
que les règlements d'application d'une loi sont adoptés par
l'exécutif qui doit en répondre devant l'assemblée législative. Si
l'exécutif des législatures fédérale ou provinciales, de nature
parlementaire, perd la confiance des représentants élus, il doit
démissionner. Mais un conseil municipal est de la nature du
régime présidentiel. L'exécutif est élu pour un terme fixe même
s'il perd la confiance des élus du peuple. Quant à l'allégation
d'imprécision, il faut garder à l'esprit que ce Règlement ne
visait pas l'homme de la rue mais les fabricants et vendeurs de
drogues qui doivent savoir ce qu'ils font. La Cour ne peut
annuler ce Règlement parce qu'on le prétend imprécis vu le
contexte de la Loi, du Règlement et du secteur d'activité. Il
paraît tout à fait impossible de préciser dans une loi ou un
règlement toutes les découvertes possibles et toutes les questions
et interrogations que peut se poser légitimement le directeur.
Les règlements sur le DIN et les drogues nouvelles sont suffi-
samment clairs et précis pour indiquer au demandeur qu'il doit
communiquer tous les renseignements demandés, après quoi le
directeur doit décider si la demande respecte les critères fixés
par voie législative.
Les règlements attaqués ne constituent pas non plus une
sous-délégation illégale de pouvoir par le gouverneur en conseil.
La maxime delegatus non potest delegare est un principe qui a
l'effet d'une présomption en matière d'interprétation législative
et ne constitue pas un principe juridique; elle s'applique en
l'absence d'intention contraire de la part du législateur. Les
tribunaux ont été réceptifs à constater une telle intention. On a
jugé que lorsque l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire est
confié à un ministre, on peut supposer que les mesures nécessai-
res seront prises par les fonctionnaires responsables du minis-
tère, puisqu'il serait exagéré de s'attendre à ce que le ministre
les remplisse personnellement. Les pouvoirs discrétionnaires du
ministre et du directeur ne sont pas vastes mais ils sont plutôt
fort limités.
Les défendeurs ont admis qu'a. l'exception des acides aminés
... le Bureau des médicaments en vente libre ne sait pas
pourquoi les autres produits ... ont été saisis». Il a donc été
concédé qu'il n'y avait pas de croyance raisonnable de violation
concernant les produits saisis subséquemment libérés. Les
demanderesses Jamieson et Swiss Herbal ont été victimes d'une
saisie abusive. Quant à la question de savoir s'il y a eu
contravention à l'article 8 de la Charte, les tribunaux ont
distingué entre le contexte de l'enquête criminelle et celui des
enquêtes en matière réglementaire. Une perquisition ou saisie
sans mandat risque plus d'être considérée abusive dans le
premier cas. Ceux qui décident de s'adonner à une activité
commerciale réglementée par le gouvernement ne doivent pas
avoir des expectatives de vie privée trop élevées. Ce qui est
raisonnable à l'inspection des locaux industriels ou commer-
ciaux différera de ce qui est raisonnable dans le cas de la
fouille, la perquisition et la saisie de documents pris dans une
maison d'habitation. La perquisition et la saisie en l'espèce ont
été effectuées dans le contexte d'une enquête criminelle. Le
défendeur ne peut prétendre le contraire après avoir plaidé que
la législation relevait de la compétence du Parlement en
matière de droit criminel. La Loi prévoit qu'une violation du
Règlement constitue une infraction poursuivable par voie d'acte
d'accusation. Il n'était pas peu commode d'obtenir un mandat.
Il n'y avait pas urgence. L'application efficace de la loi n'aurait
pas été entravée si le défendeur avait obtenu une autorisation
préalable pour la perquisition et la saisie. La demanderesse a
agi en toute ouverture; il n'y avait pas de risque que les
«drogues nouvelles» soient dissimulées ou détruites. Il y a eu
contravention à l'article 8 de la Charte. L'alinéa 22(1)d) de la
Loi est inopérant. La saisie est annulée parce que inconstitu-
tionnelle. La victoire des demanderesses ne constitue qu'une
victoire morale car les produits qui sont composés d'acides
aminés continuent à être soumis aux règlements concernant les
drogues nouvelles.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 8.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 251(4),
443.1 (ajouté par S.C. 1985, chap. 19, art. 70).
Employment Standards Act, R.S.O. 1980, chap. 137, art.
45.
Farm Products Marketing Act, R.S.O. 1980, chap. 158.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982 sur le
Canada, n° 1), art. 91(2),(27), 92(7),(13), 121.
Loi des aliments et drogues, S.R.C. 1970, chap. F-27,
art. 2 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 19),
3, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 22 (mod. par S.C. 1985,
chap. 26, art. 12), 25(1)b) (mod. par S.C. 1976-77,
chap. 28, art. 16), e),m),o)(ii), 26, 27, 28, 29, 32,
annexes A, B, C, D, E, F.
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970,
chap. C-23, art. 32(1)c) (mod. par S.C. 1974-75-76,
chap. 76, art. 14(1)).
Loi sur la quarantaine des plantes, S.R.C. 1970, chap.
P-13, art. 6(1)a).
Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 12.
Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., chap.
870, art. C.01.014 (mod. par DORS/81-248, art. 2),
C.01.014.1 (mod., idem), C.01.014.2 (mod., idem),
C.01.014.3 (mod., idem), C.01.014.4 (mod., idem),
C.08.001, C.08.002, C.08.003, C.08.004, C.08.005
(mod. par DORS/79-236, art. 5), C.08.006, C.08.007,
C.08.008, C.08.009, C.08.010, C.08.011.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Standard Sausage Co. v. Lee, Proctor v. Standard Sau
sage Co., [1933] 4 D.L.R. 501 (C.A.C.-B.); Brasseries
Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du Canada,
[1980] 1 R.C.S. 914; infirmant [1980] 1 C.F. 241 (C.A.);
infirmant (1978), 84 D.L.R. (3d) 61 (C.F. 1" inst.); R. c.
Wetmore et autres, [1983] - 2 R.C.S. 284; Renvoi: Loi
anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373; Carlton Ltd. v.
Works Comrs., [1943] 2 All E.R. 560 (C.A.); R. c.
Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238; Hunter et autres c.
Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. v. Rao (1984), 12
C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.) (permission d'en appeler à la
Cour suprême du Canada refusée, [1984] 2 R.C.S. ix);
Re Belgoma Transportation Ltd. and Director of
Employment Standards (1985), 51 O.R. (2d) 509
(C.A.); R. v. Quesnel (1985), 24 C.C.C. (3d) 78 (C.A.
Ont.) (permission d'en appeler à la Cour suprême du
Canada refusée, [1986] 1 R.C.S. xiii); Bertram S. Miller
Ltd. c. R., [1986] 3 C.F. 291 (C.A.) (permission d'en
appeler à la Cour suprême du Canada refusée, [1986] 2
R.C.S. v); R. v. Bichel (1986), 4 B.C.L.R. (2d) 132
(C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re Imperial Oil Limited and The City of Kingston,
[1955] O.W.N. 767 (H.C.); Brant Dairy Co. Ltd. et
autre c. Milk Commission of Ontario et autre, [1973]
R.C.S. 131; Voyageur Inc. c. Commission des transports
du Québec, [1986] R.J.Q. 2577 (C.S.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Citizens Insurance Company of Canada v. Parsons
(1881-82), 7 A.C. 96 (P.C.); Procureur général du
Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée et
autre, [1983] 2 R.C.S. 206; Canadian Federation of
Agriculture v. Attorney -General for Quebec (Renvoi
relatif h la margarine), [1951] A.C. 179 (P.C.); Berry-
land Canning Company Ltd. c. La Reine, [1974] C.F. 91
(l ee inst.); R. v. Kripps Pharmacy Ltd. and Kripps
(1980), 114 D.L.R. (3d) 457 (C. cté C.-B.); Canadian
Indemnity Co. et autres c. P.G. de la Colombie-Britanni-
que, [1977] 2 R.C.S. 504; R. c. Hauser, [1979] 1 R.C.S.
984; R. c. Aziz, [1981] 1 R.C.S. 188; Schneider c. La
Reine du chef de la Colombie-Britannique, [1982] 2
R.C.S. 112.
DÉCISIONS CITÉES:
In re .Insurance Act, 19104, (1913), 48 R.C.S. 260; In re
Board of Commerce Act, 1919, and Combines and Fair
Prices Act, 1919, [1922] 1 A.C. 191 (P.C.); MacDonald
et autre c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134;
Procureur général du Canada. c. Québec Ready Mix Inc.,
[1985] 2 C.F. 40 (C.A.); Proprietary Articles Trade
Association v. Attorney -General for Canada, [1931]
A.C. 310 (P.C.); Combines Investigation Act Reference
re Validity of The, [1929] R.C.S. 409; [1929] 2 D.L.R.
802; Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616;
Asbjorn Horgard AIS c. Gibbs/Nortac Industries Ltd.,
[1987] 3 C.F. 544 (C.A.); James Richardson and Sons
Limited c. Ministre du Revenu national, [1983] 1 C.F. 3
(1" inst.); Attorney-General of British Columbia v.
Attorney-General of Canada (affaire Johnny Walker),
[1924] A.C. 222 (P.C.); Renvoi relatif à la taxe sur le
gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004; Johannesson
v. Municipality of West St. Paul, [1952] 1 R.C.S. 292;
Munro v. National Capital Commission, [1966] R.C.S.
663; Comité d'administration du régime de rentes c. La
Régie des rentes, 500-05-024078-782, 6 novembre 1979,
C.S. Qué., non publiée; Cie Miron Ltée c. R., [ 1979]
C.A. 36; R. v. Sandler (1971), 21 D.L.R. (3d) 286 (C.A.
Ont.); Montreal Gazette Ltd. c. Ville de Montréal,
[1975] C.S. 686 (appel rejeté, non rapporté, 500-09-
00910-752 C.A.M., 27 février 1981); Corporation muni-
cipale du village de Rimouski Est c. Corporation muni-
cipale de la cité de Rimouski et P.G. du Québec, [1976]
C.S. 485; Re Campeau Corporation and City of Ottawa
(1978), 22 O.R. (2d) 40 (C. div.); City of Dartmouth v.
S. S. Kresge Co. Ltd. (1966), 58 D.L.R. (2d) 229
(C.S.N.-E.); Kruse v. Johnson, [1898] 2 Q.B. 91 (C.
div.); Aerlinte Eireann Teoranta c. Canada, [1987] 3
C.F. 383 (1t» inst.); Bacon v. Ont. Flue-Cured Tobacco
Growers Marketing Bd., [1959] O.W.N. 256 (H.C.);
Remis v. Fontaine, [1951] 2 D.L.R. 461 (C.A. Man.);
Sparks v. Edward Ash, Ld., [1943] K.B. 223 (C.A.);
Taylor v. Brighton Borough Council, [1947] K.B. 736
(C.A.).
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terworths, 1984.
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Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed.
Toronto: Butterworths, 1983.
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1985.
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(1976), 7 Man. L.J. 15.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed.
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Pigeon, Louis-Philippe. Rédaction et Interprétation des
Lois, Québec: Éditeur officiel du Québec, 1965.
AVOCATS:
P. Wilbrod Gauthier, c.r. et Christine Carron
pour les demanderesses.
J. M. Mabbut et Jean-Marc Aubry, pour les
défendeurs.
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour les demande-
resses.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le directeur général a décidé de publier, en
version abrégée, les 134 pages des motifs du
jugement de l'honorable juge. Les questions en
litige en l'espèce étaient: (1) le sous-alinéa
25(1)o)(ii) de la Loi des aliments et drogues est-il
ultra vires du Parlement? (2) Les règlements sur
le DIN et les règlements sur les drogues nouvelles
sont-ils ultra vires du gouverneur général en con-
seil? Et (5) la perquisition et la saisie effectuées
aux termes de l'article 22 de la Loi des aliments
et drogues violent-elles le droit des demanderes-
ses garanti par l'article 8 de la Charte? La déci-
sion rendue sur ces questions est publiée en
entier. Nous avons omis de la publication les
motifs du jugement quant aux questions trois et
quatre. Ces questions étaient: (3) Les acides
aminés isolés et les produits à base d'acide
aminé constituent-ils de véritables «drogues nou-
velles» au sens de la Loi? Et (4) les règlements en
matière de drogues nouvelles ont-ils été appli-
qués de façon injuste, déraisonnable et discrimi-
natoire? Les conclusions sur les questions qui ônt
été omises sont traitées dans une note de
l'arrêtiste.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON: Dans ces actions, les
demanderesses soutiennent que le sous-alinéa
25(1)o)(ii) de la Loi des aliments et drogues,
S.R.C. 1970, chap. F-27, n'est pas de la compé-
tence du Parlement et que les règlements C.01.014
à C.01.014.4 [Règlement sur les aliments et dro-
gues], C.R.C., chap. 870, tels qu'ajoutés par
DORS/81-248, art. 2, et les règlements C.08.001 à
C.08.011, tels que modifiés par DORS/79-236, art.
5, sont également ultra vires sinon du Parlement
du moins du gouverneur général en conseil. Les
demanderesses soutiennent par conséquent que les
règlements mentionnés plus haut sont nuls pour les
raisons suivantes:
a) ils créent un système d'autorisation qui n'entre pas dans les
pouvoirs réglementaires prévus à l'article 25 de la Loi des
aliments et drogues (ci-après, la Loi);
b) ils ne constituent pas des règlements parce qu'ils ne contien-
nent aucune norme objective précisant les critères à utiliser
pour (i) la définition de drogue nouvelle, (ii) la délivrance d'un
avis de conformité par le Ministre, (iii) la délivrance d'une
«identification numérique de drogue» (ci-après, DIN);
c) ils constituent une délégation de pouvoirs illégale; [ou en
sont la manifestation];
d) ils constituent une délégation de pouvoirs illégale au direc-
teur [le sous-ministre adjoint de la Santé nationale et du
Bien-être social], pouvoirs qui ont été exercés de façon arbi-
traire et discriminatoire par ses employés (ou ses subordonnés);
et
e) ils ont pour effet de conférer des pouvoirs juridictionnels au
directeur en tentant de lui attribuer le pouvoir de déterminer ce
qui constitue une violation de la Loi ou des règlements.
Les demanderesses demandent un jugement décla-
ratoire sur ces questions.
La demanderesse, C.E. Jamieson & Co. (Domi-
nion) Ltd., ci-après Jamieson, soutient également
que la perquisition effectuée dans ses locaux ainsi
que la saisie de tous les acides aminés isolés et
produits à base d'acides aminés figurant dans son
inventaire, effectuées le 17 décembre 1984 par le
personnel du directeur étaient illégales, en particu-
lier parce qu'elles étaient abusives et contraires à
l'article 8 de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Les demanderes-
ses soutiennent en outre que ces acides aminés
isolés et produits à base d'acides aminés ne sont
pas des «drogues nouvelles» au sens de la Loi et du
Règlement.
Enfin, les demanderesses soutiennent à titre sub-
sidiaire que, même si les règlements mentionnés
ci-dessus ne sont pas ultra vires, la façon dont ils
ont été appliqués aux demanderesses est injuste,
déraisonnable et discriminatoire, constituant ainsi
une injustice flagrante et qu'en particulier, Jamie-
son a le droit d'obtenir un DIN pour son produit.
Sur ce dernier point, Jamieson demande en réa-
lité au tribunal de prononcer une ordonnance de la
nature d'un mandamus enjoignant au directeur de
délivrer un DIN pour son produit «Stress Ease with
Vitamins and Minerais». En fait, les parties recon-
naissent maintenant que le directeur et son person-
nel ont retiré leur opposition au nom commercial
«Stress -Ease», proposé par Jamieson, depuis l'in-
troduction de la présente instance. Le directeur
maintient son opposition à l'ajout de tryptopha-
ne-L mais il a autorisé la délivrance d'un DIN pour
un produit ne contenant pas de tryptophane, com-
mercialisé sous le nom de «Stress -Ease».
Ces deux affaires ont été entendues ensemble les
16, 17 et 18 décembre 1986 Montréal (Québec).
Les pièces sont volumineuses, la plupart ayant été
produites dans chacune des actions, et les exposés
conjoints des faits présentés par les parties dans
chacune des actions sont complexes. Enfin, les
parties ont déposé des actes de procédure défini-
tifs, des documents certifiés conformes ont été
modifiés en vertu d'une ordonnance à effet
rétroactif, avec le consentement des procureurs des
parties, à l'ouverture de ces audiences conjointes,
et le formulaire modifié de défense dans l'action n°
T-2853-84 a été produit en janvier 1987. Les
parties ont déposé également des observations écri-
tes au cours de ce mois. Le tribunal a aussi pris
connaissance de la transcription des débats.
Il ne fait aucun doute que les parties dans ces
deux actions connaissent fort bien et en détail les
exposés modifiés des faits admis qu'elles ont pré-
sentés, ainsi que les admissions supplémentaires
faites, y compris les documents incorporés par
référence dans ces admissions. Il n'est donc pas
utile de les reprendre ici. Inutile d'insister sur le
fait que, dans un procès civil de type contradictoire
comme c'est le cas ici, même s'il soulève des
questions importantes de droit public, la Cour
accepte habituellement les faits sur lesquels s'en-
tendent les parties.
Outre les faits présentés conjointement par écrit,
les demanderesses ont assigné cinq témoins: M.
Eric Margolis, président-directeur général de la
demanderesse, Jamieson; M. James Allan
Maranda, président de la demanderesse Swiss
Herbal Remedies; M. Barrie Carlson, président de
Ouest Vitamin Supplies Limited; M. Errol
Abramson, propriétaire de BEA par l'intermédiaire
de Capita Corporation, société qui s'occupe de
l'empaquetage et de la vente au détail de vitamines
et qui exerce ses activités à partir de la Colombie-
Britannique; et M. Hyman Busgang, président et
propriétaire de la demanderesse, Pharmetics. Le
procureur des défendeurs n'a contre-interrogé que
M. Margolis et il n'a pas assigné de témoins au
procès pour la défense.
Le procureur des défendeurs a produit pour la
défense, à titre de pièce 2 dans les deux actions,
l'affidavit de M. Simon N. Young, Ph.D., un
expert qui, avec le consentement des deux parties,
n'a pas été convoqué pour témoigner au procès. La
transcription du contre-interrogatoire de M.
Young par le procureur des demanderesses effec-
tué le 11 décembre 1986 a été produit dans les
deux actions à titre de pièce 3. Diverses substances
contenues dans des comprimés, des sachets et des
capsules ont été identifiées au cours de cet interro-
gatoire et présentées dans ces deux actions à titre
de pièces 3 (SY1 à SY8). La pièce 4 contient des
passages de la transcription de l'interrogatoire
préalable des représentants des défendeurs, MM.
Denys Cook et Robert Ferrier, auquel a procédé le
procureur des demanderesses.
En tout, vingt pièces principales ont été produi-
tes en l'instance, trois en liasse et un bon nombre
d'entre elles étant constituées de documents ayant
jusqu'à six pages. La preuve documentaire présen-
tée est volumineuse, fort détaillée et de nature
assez technique.
De leur côté, les défendeurs s'appuient sur l'ex-
posé des faits admis et les documents supplémen-
taires produits sous la pièce 1, l'affidavit du profes-
seur Simon N. Young (pièce 2) et la transcription
du contre-interrogatoire qu'il a subi sur son affida
vit (pièce 3) et la pièce 10 (en liasse), l'avis de
conformité daté du 6 octobre 1986 et la description
du produit de ICN Canada Ltd. du 2 septembre
1986. (Transcription 1, page 137.)
QUESTIONS EN LITIGE
Les faits et les arguments présentés soulèvent un
certain nombre de questions de droit administratif
et de droit constitutionnel. Ces questions seront
examinées par ordre d'importance décroissante, en
commençant par celle de la compétence du Parle-
ment de légiférer et de déléguer des pouvoirs légis-
latifs dans le domaine des aliments et drogues.
Voici donc les questions en litige:
I. COMPÉTENCE LÉGISLATIVE: Le sous-alinéa 25(1)o)(ii)
de la Loi des aliments et drogues et ses règlements sur
les drogues nouvelles sont-ils ultra vires du Parlement?
II. COMPÉTENCE RÉGLEMENTAIRE: Les règlements sur le
DIN et les règlements sur les drogues nouvelles sont-ils
ultra vires du gouverneur général en conseil pour une
des raisons suivantes:
A. Ils créent un système d'autorisation que n'autorise
pas l'article 25 de la Loi des aliments et drogues;
B. Ils n'établissent aucune norme objective et sont trop
vagues;
C. Ils constituent une sous-délégation de pouvoirs illé-
gale ou en sont la manifestation;
III. Les acides aminés isolés et les produits à base d'acide
aminé constituent-ils de véritables «drogues nouvelles»
au sens de la Loi et du Règlement?
IV. Les règlements en matière de drogues nouvelles ont-ils
été appliqués de façon injuste, déraisonnable et
discriminatoire?
V. APPLICATION DE LA CHARTE: La perquisition et la
saisie effectuées aux termes de l'article 22 de la Loi des
aliments et drogues violent-elles le droit des demande-
resses garanti par l'article 8 de la Charte canadienne des
droits et libertés et cet article 22 est-il lui-même con-
traire à cette disposition?
Le règlement de ces questions déterminera l'issue
de ces litiges.
I. COMPÉTENCE LÉGISLATIVE DU PARLEMENT:
Le sous-alinéa 25(1)o)(ii) de la Loi des ali-
ments et drogues et ses règlements concernant
les drogues nouvelles sont-ils ultra vires ou intra
vires du Parlement?
Cette question porte sur le partage constitution-
nel des compétences législatives et constitue une
question préalable dans cette affaire. Il est en effet
évident que si la disposition législative en vertu de
laquelle ces règlements ont été adoptés n'est pas de
la compétence législative du Parlement, ces règle-
ments n'ont aucune validité pour défaut de base
légale et les demanderesses pourront—et auront
pu—exercer leurs activités sans être réglementées
par le Parlement ou le gouvernement du Canada.
Par contre, si la disposition législative est valide, il
faut malgré tout déterminer si les règlements
adoptés constituent un exercice autorisé des pou-
voirs conférés au gouverneur en conseil et, dans ce
cas, si les fonctionnaires de l'État les ont appliqués
et fait respecter de façon légale. Si nous concluons
que les règlements n'ont pas été validement formu-
lés et promulgués, cette conclusion mettra fin au
débat.
Les demanderesses prétendent que la disposition
législative attaquée, le sous-alinéa 25(1)o)(ii) de la
Loi, ne peut découler du pouvoir exclusif du Parle-
ment d'adopter des lois dans toutes les matières
tombant dans les sujets suivants «les échanges et le
commerce» ou «le droit criminel», ni du pouvoir
général d'adopter des lois pour la paix, l'ordre et le
bon gouvernement du Canada. Le premier chef de
compétence figure au paragraphe 2 de l'article 91
de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5]
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution-
nelle de 1982, n° 1)], le deuxième figure au para-
graphe 27 de l'article 91 et le pouvoir général,
mentionné en dernier, trouve son origine dans l'at-
tribution générale de pouvoir législatif au Parle-
ment qui découle de la clause introductive de
l'article 91 de la Constitution.
Outre cette prétention globale à l'absence de
compétence, les demanderesses soutiennent égale-
ment que cette disposition fait partie de la compé-
tence provinciale, puisqu'elle empiète sur celle-ci,
de légiférer exclusivement relativement aux matiè-
res entrant dans la catégorie de sujet, «la propriété
et les droits civils dans la province», cette dernière
étant libre d'adopter des lois dans ce domaine ou
de ne pas le faire. Cette compétence provinciale
figure au paragraphe 13 de l'article 92 de la Loi
constitutionnelle de 1867. Dans cette affaire, les
demanderesses doivent s'acquitter seules du far-
deau de persuasion, sans l'appui d'un procureur
général d'une province, aucun d'entre eux ne
s'étant fait représenter dans cette instance.
En réponse, les défendeurs soutiennent que la
disposition attaquée de la Loi des aliments et
drogues, combinée aux autres dispositions de cette
Loi, a été adoptée validement par le Parlement en
vertu des pouvoirs que lui confère l'article 91 de la
Loi constitutionnelle de 1867, en particulier, le
pouvoir de légiférer en matière de droit criminel ou
le pouvoir de légiférer pour la paix, l'ordre et le
bon gouvernement.
En théorie, l'examen de la validité d'une disposi
tion législative dans le contexte du partage des
pouvoirs s'effectue en deux temps: le premier con-
siste à déterminer le caractère véritable (c'est-à-
dire, le sujet principal) de la disposition législative;
et le second, l'affectation de ce sujet à un des chefs
de compétence (c'est-à-dire, à une catégorie de
sujet) énumérés aux articles 91 et 92 (notamment)
de la loi constitutionnelle. Il arrive bien souvent
que ces deux étapes se chevauchent quelque peu
parce que la détermination de la véritable nature
de la disposition est souvent formulée en termes de
chefs de compétence législative.
Il ne conviendrait pas de limiter la question de
la compétence législative au seul sous-alinéa
25 (1)o) (ii) de la disposition principale. Il convient
également d'examiner la forme et l'objet ou l'éco-
nomie générale de la Loi et de son Règlement. La
Loi telle que formulée ne contient pas de préam-
bule qui exprimerait l'intention du législateur; il
faut donc la déduire des autres dispositions de la
loi. Il paraît utile de mentionner ici certaines
définitions de nature interprétative [article 2
(mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 19)]:
2....
«ministère» signifie le ministère de la Santé nationale et du
Bien-être social; [et «ministre» se rapporte bien entendu au
même ministère];
«drogue» comprend toute substance ou mélange de substances
manufacturé, vendu ou représenté comme pouvant être
employé
a) au diagnostic, au traitement, à l'atténuation ou à la
prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physi
que anormal, ou de leurs symptômes, chez l'homme ou les
animaux, ou
b) en vue de restaurer, corriger ou modifier les fonctions
organiques chez l'homme ou les animaux, ou
e) en vue de désinfecter des locaux où des aliments sont
fabriqués, préparés ou gardés;
«inspecteur» s'entend de la personne désignée à titre d'inspec-
teur, aux termes de l'article 21.1 ou conformément à la Loi
sur le ministère de la Consommation et des Corporations, en
vue de l'application de la présente loi;
«étiquette» comprend toute inscription, tout mot ou marque
accompagnant un aliment, une drogue, un cosmétique, ins
trument ou colis, y attaché, y inclus ou y appartenant;
«colis» ou «paquet» comprend toute chose en laquelle un ali-
ment, une drogue, un cosmétique ou un instrument est
contenu, placé ou empaqueté, en tout ou en partie;
«prescrit» signifie prescrit par les règlements;
«vendre» comprend vendre, offrir en vente, exposer en vente,
avoir en possession pour la vente et distribuer.
La Partie I de la Loi des aliments et drogues
s'intitule ALIMENTS, DROGUES, COSMÉTIQUES ET
INSTRUMENTS. La première disposition de cette
Partie est de nature générale:
Généralités
3. (1) Nul ne doit annoncer au public quelque aliment,
drogue, cosmétique ou instrument comme étant un traitement,
un préventif de quelque maladie, désordre ou condition physi
que anormale, mentionnés à l'annexe A, ou comme devant les
guérir.
(2) Nul ne doit vendre quelque aliment, drogue, cosmétique
ou instrument
a) qui est présenté par étiquette, ou
b) qui est annoncé au public
comme étant un traitement, un préventif de quelque maladie,
désordre ou condition physique anormale, mentionnés à l'an-
nexe A, ou comme devant les guérir.
(3) Sauf autorisation prévue par les règlements, nul ne doit
annoncer au grand public un produit anticonceptionnel quel-
conque ou une drogue fabriquée ou vendue pour servir à
prévenir la conception, ou représentée comme pouvant servir à
prévenir la conception.
Le titre suivant Aliments comprend quatre autres
articles qui, à l'instar de l'article 3, créent par le
biais de l'article 26, Peines, les infractions de vente
de substances toxiques ou délétères, d'aliments
impropres à la consommation humaine, d'aliments
pourris, décomposés ou falsifiés. L'étiquetage,
l'empaquetage, la vente ou la publicité concernant
un aliment effectué de manière fausse, trompeuse
ou mensongère ou qui peut créer une fausse
impression quant à la nature, la valeur ou quant
aux avantages ou à la sûreté de l'aliment sont
interdits. La préparation ou le conditionnement
d'aliments dans des conditions non hygiéniques est
également interdit.
La section de la Partie I intitulée Drogues est
plus détaillée que la section précédente, même si
elle s'inspire largement des infractions et des inter-
dictions figurant dans le titre Aliments. Dans les
circonstances présentes, il convient de la citer en
détail:
Drogues
8. Nul ne doit vendre quelque drogue
a) qui a été fabriquée, préparée, conservée, empaquetée ou
emmagasinée dans des conditions non hygiéniques; ou
b) qui est falsifiée.
9. (1) Nul ne doit étiqueter, empaqueter, traiter, préparer,
vendre ou annoncer quelque drogue de manière fausse, trom-
peuse ou mensongère, ou qui peut créer une fausse impression
quant à la nature, valeur, quantité, composition, ou quant aux
avantages ou à la sûreté de la drogue.
(2) Une drogue qui n'est pas étiquetée ou empaquetée tel
que les règlements le requièrent, ou qui est étiquetée ou empa-
quetée contrairement aux règlements, est censée étiquetée ou
empaquetée contrairement au paragraphe (1).
10. (1) Lorsqu'une norme a été prescrite pour une drogue,
nul ne doit étiqueter, empaqueter, vendre ou annoncer une
substance de telle manière qu'elle puisse être confondue avec
cette drogue, à moins que cette substance ne soit conforme à la
norme prescrite.
(2) Lorsqu'une norme n'a pas été prescrite pour une drogue,
mais qu'une norme pour cette drogue est contenue dans quelque
publication mentionnée à l'annexe B, nul ne doit étiqueter,
empaqueter, vendre ou annoncer quelque substance de telle
manière qu'elle puisse être confondue avec cette drogue, à
moins que la substance ne soit conforme à ladite norme.
(3) Lorsque la norme d'une drogue n'a pas été prescrite et
qu'aucune norme de cette drogue ne paraît dans une publica
tion mentionnée à l'annexe B, nul ne doit vendre cette drogue, à
moins
a) qu'elle ne soit conforme à la norme reconnue sous laquelle
elle est vendue, et
b) qu'elle ne ressemble pas, d'une manière qui puisse trom-
per, à quelque drogue pour laquelle une norme a été prescrite
ou qui est contenue dans une publication mentionnée à
l'annexe B.
11. Nul ne doit fabriquer, préparer, conserver, empaqueter
ou emmagasiner pour vente quelque drogue dans des conditions
non hygiéniques.
12. Nul ne doit vendre quelque drogue mentionnée à l'an-
nexe C ou D à moins que le Ministre n'ait, dans la forme et de
la manière prescrites, attesté que les locaux où la drogue a été
fabriquée, ainsi que le procédé et les conditions de fabrication
dans ces locaux, sont propres à garantir que la drogue ne sera
pas d'un usage dangereux.
13. Nul ne doit vendre quelque drogue mentionnée à l'an-
nexe E, à moins que le Ministre n'ait, dans la forme et de la
manière prescrites, indiqué que le lot d'où a été tirée la drogue
n'était pas d'un usage dangereux.
14. (1) Nul ne doit distribuer ou faire distribuer quelque
drogue comme échantillon.
(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à la distribution,
dans des conditions prescrites, d'échantillons de drogues à des
médecins, dentistes, vétérinaires ou pharmaciens.
15. Nul ne doit vendre quelque drogue mentionnée à l'an-
nexe F. [Annexe abrogée le 18 juillet 1984 (DORS/84-566, art.
1).]
La Partie II de la Loi, intitulée ADMINISTRA
TION ET MISE EN APPLICATION traite des inspec-
teurs, des pouvoirs de perquisition, de saisie et de
confiscation, de l'analyse des articles et des sub
stances, des règlements (y compris la disposition
attaquée), des peines et des règles de preuve.
S'agissant de préciser la compétence législative du
Parlement par rapport à l'adoption de la Loi des
aliments et drogues dans le cadre des échanges et
du commerce international, la Partie II se termine
par un article fort intéressant. Il porte le titre
Exportations et se lit ainsi:
32. La présente loi ne s'applique à un aliment, une drogue,
(ou autre qu'une drogue ou autre substance qui est une drogue
contrôlée selon la définition de la Partie III ou une drogue
d'usage restreint selon la définition de la Partie IV), un cosmé-
tique ou un instrument, empaqueté, qui n'est pas fabriqué pour
la consommation au Canada et qui n'est pas vendu pour la
consommation au Canada, si le paquet porte distinctement
imprimé le mot «Exportation» et si un certificat, selon lequel le
paquet et son contenu ne contreviennent à aucune disposition
connue de la loi du pays auquel le paquet est expédié, ou est sur
le point d'être expédié, a été émis à son égard en la forme et de
la manière prescrites.
L'annexe A énumère une bonne quarantaine de
maladies et d'états anormaux, tant mentaux que
physiques, classés par ordre alphabétique et qui
vont de l'alcoolisme, à l'anxiété, la dépression,
l'obésité et la pleurésie, à la vaginite et aux mala
dies vénériennes. L'annexe B contient une liste de
sept publications fort connues parmi les pharmaco-
pées. L'annexe C traite des produits pharmaceuti-
ques radioactifs et l'annexe D contient une liste de
substances et secrétions naturelles et organiques.
L'annexe E ne contient aucun élément et l'annexe
F a été abrogée en juillet 1984.
Aux termes de l'article 32, cité plus haut, la Loi
des aliments et drogues s'applique uniquement au
Canada, à l'exception d'une disposition prévoyant
l'étiquetage des drogues manufacturées pour la
consommation à l'extérieur du Canada. Cette dis
position d'exception n'est pas en litige en l'espèce.
C'est donc dans le cadre d'une loi adoptée et
promulguée par le Parlement uniquement en vue
de son application au Canada que les demanderes-
ses contestent la validité du sous-alinéa suivant:
25. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
pour l'exécution des objets et l'application effective des disposi
tions de la présente loi. En particulier, mais sans restreindre la
généralité de ce qui précède, il peut établir des règlements
o) concernant
(ii) la vente ou les conditions de vente de toute drogue
nouvelle,
et définissant aux fins de la présente loi l'expression «drogue
nouvelle»; ...
L'alinéa 25(1)o) a été adopté dans le contexte
de cet article de la Loi qui précise au moins un
aspect de l'intention du législateur et qui définit un
objectif qui entretient des liens étroits avec la
disposition attaquée. Une autre disposition se rap-
portant également à la disposition attaquée est
l'alinéa 25(1)b) [mod. par S.C. 1976-77, chap. 28,
art. 16], entre autres. Ainsi donc, le sous-alinéa
attaqué fait partie d'un ensemble législatif qui se
lit, en partie du moins, comme ceci:
25. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
pour l'exécution des objets et l'application effective des disposi
tions de la présente loi. En particulier, mais sans restreindre la
généralité de ce qui précède, il peut établir des règlements
b) concernant
(i) l'étiquetage et l'empaquetage et la présentation, l'expo-
sition et l'annonce en vente d'aliments, de drogues, de
cosmétiques et d'instruments,
(ii) le volume, les dimensions, le remplissage et autres
spécifications des paquets d'aliments, de drogues, de cos-
métiques et d'instruments,
(iii) la vente ou les conditions de vente, de tout article,
drogue, cosmétique ou instrument, et
(iv) l'emploi de toute substance comme ingrédient entrant
dans la fabrication d'un aliment, d'une drogue, d'un cos-
métique ou d'un instrument,
afin d'empêcher que le consommateur ou l'acheteur d'un
article ne soit déçu ou trompé sur sa conception, sa fabrica
tion, son efficacité, l'usage auquel il est destiné, sa quantité,
sa nature, sa valeur, sa composition, ses avantages ou sa
sûreté, ou de prévenir quelque dommage à la santé du
consommateur ou acheteur;
e) concernant la méthode de préparation, de fabrication, de
conservation, d'empaquetage, d'emmagasinage et d'essayage
de tout aliment, drogue, cosmétique ou instrument, dans
l'intérêt de la santé du consommateur ou acheteur ou pour
prévenir tout dommage à sa santé;
m) ajoutant quoi que ce soit à l'une des annexes, dans
l'intérêt de la santé du consommateur ou acheteur, ou pour
prévenir tout dommage à sa santé, ou retranchant quoi que
ce soit de ces annexes;
o) concernant
(i) les méthodes de préparation, de fabrication, de conser
vation, d'empaquetage, d'étiquetage, d'emmagasinage et
d'épreuve de toute drogue nouvelle, et
(ii) la vente ou les conditions de vente de toute drogue
nouvelle,
et définissant aux fins de la présente loi l'expression «drogue
nouvelle»; ... [Non souligné dans le texte original.]
Pour saisir le caractère véritable du sous-alinéa
attaqué 25(1)o)(ii), il faut déterminer l'intention
et l'objectif législatifs de la disposition dans son
contexte. Cette disposition qui confère au gouver-
neur en conseil le pouvoir d'adopter des règlements
pour l'exécution des objets de la Loi et pour son
application effective reflète une intention législa-
tive qui s'exprime aux articles 8, 9(1), 10(1) et (2),
11, 12, 13, 26, 27, 28, 29 et dans les sous-alinéas
25(1)b), e) et m). L'existence du pouvoir d'adopter
des règlements concernant les drogues de façon
générale et les drogues nouvelles en particulier doit
donc s'apprécier uniquement dans ce contexte
constitutionnel et législatif.
Au début du Règlement se trouvent les disposi
tions relatives au DIN que contestent les demande-
resses et qu'elles cherchent à faire déclarer ultra
vires du Parlement et du gouverneur en conseil
parce que non autorisées par la Loi des aliments et
drogues. Il s'agit des articles C.01.014 à
C.01.014.4 du Règlement qu'il convient de citer ou
de reformuler ainsi:
C.01.014. (1) I1 est interdit à un fabricant de vendre, sous
forme posologique, une drogue qui n'a pas fait l'objet d'une
identification numérique, ou dont l'identification a été annulée
selon l'article C.01.014.6.
(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux médicaments
radioactifs, aux disques de sensibilité et aux comprimés de
sensibilité.
C.01.014.1. Le fabricant ou l'importateur d'une drogue peut
présenter au directeur par écrit une demande d'identification
numérique qui doit comprendre les renseignements énumérés
aux alinéas a) à n), notamment: la forme pharmaceutique sous
laquelle la drogue doit être vendue; la voie d'administration
recommandée; une liste quantitative des ingrédients médicinaux
désignés par leur nom propre ou, à défaut, par leur nom usuel;
une indication précisant qu'il s'agit d'une drogue à usage
humain, à usage vétérinaire ou devant servir à désinfecter des
locaux; le nom et la quantité de chaque colorant de nature non
médicinale: l'usage ou les fins pour lesquels la drogue est
recommandée; la posologie recommandée; le nom et l'adresse
du fabricant ou de l'importateur; le libellé des étiquettes et des
dépliants et de toute autre documentation supplémentaire dis-
ponible sur demande. Dans le cas d'une drogue nouvelle, une
présentation déposée conformément à l'article C.08.002, et
dans le cas d'un médicament breveté, une demande présentée
conformément à l'article C.10.003 est réputée être une
demande d'identification numérique.
C.01.014.2. Sur réception de tous les renseignements exigés
à l'égard d'une drogue, le directeur émet un «document» portant
l'identification numérique de la drogue et les renseignements
visés aux alinéas C.01.014.1(2)a) à f), mais le directeur peut
refuser de remettre le «document» s'il a de bonnes raisons de
croire que le produit n'est pas une drogue, ou est une drogue
dont la vente [sic] [la consommation, plutôt] nuirait à la santé
du consommateur ou de l'acheteur ou enfreindrait la Loi ou le
Règlement. Dans ce cas, le requérant peut fournir des rensei-
gnements supplémentaires et demander au directeur de reconsi-
dérer sa décision, ce qu'il est tenu de faire.
C.01.014.3. Le requérant ou la personne autorisée par lui
doit, dans les 30 jours suivant la mise en marché de la drogue,
dater et signer le document qui lui est remis selon l'article
C.01.014.2 et le renvoyer
a) avec une confirmation de l'exactitude des renseignements
qu'il contient;
b) avec l'indication de la date de la mise en marché de la
drogue au Canada; et
e) avec des échantillons ou des facsimilés des étiquettes et
des dépliants d'accompagnement, ainsi que les renseigne-
ments supplémentaires sur l'emploi du produit fournis sur
demande.
C.01.014.4. Lorsqu'une demande relative à une drogue est
présentée conformément à l'article C.01.014.1 et que les rensei-
gnements qu'elle renferme ne sont plus exacts
a) en raison d'une modification aux renseignements visés
aux alinéas C.01.014.1(2)a) à e)
(i) qui se produit avant la mise en marché de la drogue,
une nouvelle demande doit être présentée, ou
(ii) qui se produit après la mise en marché de la drogue, la
vente doit être discontinuée jusqu'à ce qu'une nouvelle
demande d'identification numérique soit présentée et qu'un
numéro soit attribué; et
b) en raison d'une modification aux renseignements visés
aux alinéas C.01.014.1(2)j) à k)
(i) qui se produit avant la mise en marché de la drogue,
tous les détails de la modification doivent être présentés en
même temps que le document visé à l'article C.01.014.3,
ou
(ii) qui se produit après la mise en marché de la drogue, la
personne à qui l'identification numérique de la drogue a
été attribuée doit en informer le Directeur dans les 30
jours suivant la modification.
Les demanderesses contestent principalement la
validité de l'article C.01.014.2 reformulé ci-dessus,
en raison de son caractère prétendument vague.
Les règlements sur les «drogues nouvelles» que
contestent les demanderesses forment le titre 8 du
Règlement. Cette disposition commence par une
définition de Drogues nouvelles, que voici:
C.08.001. Aux fins de la Loi et du présent titre, «drogue
nouvelle» désigne
a) une drogue qui est constituée d'une substance ou ren-
ferme une substance, sous forme d'ingrédient actif ou inerte,
de véhicule, d'enrobage, d'excipient, de solvant ou de tout
autre constituant, laquelle substance n'a pas été vendue
comme drogue au Canada pendant assez longtemps et en
quantité suffisante pour établir, au Canada, l'innocuité et
l'efficacité de ladite substance employée comme drogue,
b) une drogue qui entre dans une association de deux dro-
gues ou plus, avec ou sans autre ingrédient, qui n'a pas été
vendue dans cette association particulière, ou dans les pro
portions de ladite association pour ces drogues particulières,
pendant assez longtemps et en quantité suffisante pour éta-
blir, au Canada, l'innocuité et l'efficacité de cette association
ou ses proportions employées comme drogue; ou
e) une drogue pour laquelle le fabricant prescrit, recom-
mande, propose ou déclare un usage comme drogue ou un
mode d'emploi comme drogue, y compris la posologie, la voie
d'administration et la durée d'action, et qui n'a pas été
vendue pour cet usage ou selon ce mode d'emploi au Canada
pendant assez longtemps et en quantité suffisante pour éta-
blir, au Canada, l'innocuité et l'efficacité de cet usage ou de
ce mode d'emploi pour ladite drogue.
Les autres dispositions attaquées du titre 8 sont
fort nombreuses et il paraît préférable d'en donner
un bref résumé suffisant pour nous permettre
de caractériser ces dispositions—008.002 à
C.08.011—aux fins d'en examiner la constitution-
nalité.
C.08.002—interdit la vente d'une drogue nouvelle à moins
que le fabricant n'ait déposé auprès du ministre une présenta-
tion de drogue nouvelle et ait obtenu un avis de conformité;
énumère les renseignements devant figurer dans une présenta-
tion de drogue nouvelle.
C.08.003—interdit la vente d'une drogue nouvelle si les
renseignements contenus dans la présentation de la drogue
nouvelle diffèrent des modalités réelles de la vente de cette
nouvelle drogue, à moins que le fabricant ne dépose auprès du
ministre un supplément à sa présentation de drogue nouvelle
contenant les renseignements et le matériel que le directeur
pourra exiger.
C.08.004—oblige le ministre à délivrer un avis de conformité
dans les 120 jours du dépôt de la présentation de drogue
nouvelle, pourvu qu'elle respecte l'exigence de C.08.002 ou de
C.08.003.
C.08.005—énumère les cas dans lesquels le fabricant peut
vendre une drogue nouvelle à des «chercheurs compétents» à
seule fin d'effectuer des épreuves cliniques en vue d'obtenir des
preuves relatives à l'innocuité, la posologie et l'efficacité de la
drogue nouvelle, nonobstant l'article C.08.002 ou C.08.003.
C.08.006—autorise le ministre à suspendre un avis de confor-
mité lorsqu'il pense que cette mesure est nécessaire dans l'inté-
rêt de la santé publique, lorsque l'efficacité de la nouvelle
drogue est remise en question ou lorsqu'il trouve que la présen-
tation de nouvelle drogue se fonde sur une fausse déclaration
touchant un fait matériel.
C.08.007—oblige le fabricant qui a reçu un avis de confor-
mité à établir et maintenir des registres suffisants contenant des
renseignements sur les recherches scientifiques en cours sur la
drogue nouvelle et sur les pratiques de vente et de consomma-
tion actuelles de la nouvelle drogue.
C.08.008—interdit à un fabricant de vendre une drogue
nouvelle à moins qu'il ne respecte les dispositions de C.08.007.
C.08.009—fixe la procédure que doit suivre le ministre pour
suspendre un avis de conformité.
C.08.010—prévoit la vente d'une drogue nouvelle, avec l'au-
torisation du directeur, à un praticien pour un traitement
d'urgence.
C.08.011—permet à un fabricant d'effectuer un type de
vente prévu à C.08.010 et écartant l'application de la Loi et du
Règlement à cette vente.
I (1): ÉCHANGES ET COMMERCE
Le procureur des défendeurs, avec raison, n'a
guère insisté sur ce chef de compétence du Parle-
s ment. On peut en traiter assez brièvement.
Selon la rubrique 2 de l'article 91 de la Loi
constitutionnelle de 1867, le Parlement a l'autorité
exclusive de faire des lois relatives à la catégorie
6 de sujets désignée comme la réglementation des
échanges et du commerce. La portée apparemment
large de ce pouvoir a été restreinte par la jurispru
dence. La décision du Comité judiciaire du Conseil
privé, dans l'affaire Citizens Insurance Company
of Canada v. Parsons (1881-82), 7 A.C. 96, recon-
naît que le pouvoir du Parlement de réglementer
les échanges et le commerce inclut les arrange
ments politiques concernant les échanges qui
requièrent la sanction du Parlement, la réglemen-
i tation des échanges interprovinciaux et, peut-être,
la réglementation des échanges s'appliquant à tout
le pays, mais qu'il ne comprend pas la réglementa-
tion par voie législative des contrats relatifs aux
échanges ou à un commerce en particulier dans
' une seule province. En l'espèce, le Parlement
entend réglementer le commerce de l'industrie
pharmaceutique au Canada. Toutefois, il est inad
missible qu'il puisse le faire légalement, en l'ab-
sence d'urgence, même si l'industrie, ainsi que la
législation, opèrent dans tout le pays. Cette conclu
sion, quant au pouvoir du Parlement en matière
d'échanges et de commerce, peut être tirée, entre
autres, d'une sélection des décisions rendues par la
Cour suprême du Canada et le Comité judiciaire
du Conseil privé sur un nombre respectable d'an-
nées: In re «Insurance Act, 1910» (1913), 48
R.C.S. 260; In re Board of Commerce Act, 1919,
and Combines and Fair Prices Act, 1919, [1922] 1
A.C. 191 (P.C.); et MacDonald et autre c. Vapor
Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134.
Concédant que la Loi des aliments et drogues
constitué de la législation réglementaire
(transcription 3, pages 91 et 92), le procureur des
défendeurs a simplement affirmé qu'elle s'appuie
en partie sur le pouvoir en matière d'échanges et
de commerce, étant [TRADUCTION] «justifiable
comme réglementation, comme matière générale
d'échanges concernant le Dominion» (transcription
3, page 123). Il n'a rien proposé d'autre au sujet de
ce pouvoir, en tant que fondement de cette loi.
L'invocation du pouvoir en matière d'échanges
et de commerce peut trouver quelque appui dans
les jugements rendus par la minorité dans l'affaire
Procureur général du Canada c. Transports Na-
tionaux du Canada, Ltée et autre, [1983] 2 R.C.S.
206. Les juges Beetz et Lamer s'y sont déclarés
d'accord pour l'essentiel (page 282) avec le juge
Dickson (aujourd'hui juge en chef), selon qui l'ali-
néa 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-23 (mod. par
S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 14(1))] avait été
validement adopté par le Parlement en vertu du
pouvoir de légiférer en matière d'échanges et de
commerce que lui confère la rubrique 2 de l'article
91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Aux pages
267 et 268, sont rapportées les observations suivan-
tes du juge Dickson, qui peuvent avoir quelque
rapport avec les circonstances présentes.
Lorsqu'on aborde ce problème difficile de caractérisation, il
est utile de noter les observations qu'a faites le Juge en chef
dans l'arrêt MacDonald c. Vapor Canada Ltd., précité, à la p.
165, où il mentionne comme indices possibles d'un exercice
valide de la compétence générale en matière d'échanges et de
commerce l'existence d'un système de réglementation nationale,
la surveillance exercée par un organisme de réglementation et
le fait de viser le commerce en général plutôt qu'un seul aspect
d'une entreprise particulière. A cette liste j'ajouterais ce qui, à
mon avis, constituerait des indices encore plus sûrs d'une
réglementation générale valide des échanges et du commerce
savoir: (i) que la Constitution n'habilite pas les provinces,
conjointement ou séparément, à adopter une telle loi et (ii) que
l'omission d'inclure une seule ou plusieurs provinces compro-
mettrait l'application de ladite loi dans d'autres parties du pays.
Ce qui précède ne se veut pas une énumération exhaustive; de
plus, la présence de l'un ou l'autre ou de la totalité de ces
indices n'est pas nécessairement concluante. La bonne façon
d'aborder la caractérisation est encore celle proposée dans
l'arrêt Parsons, c'est à-dire qu'on doit procéder à une apprécia-
tion méticuleuse de chaque cas qui se présente. Néanmoins, la
présence de tels facteurs rend tout au moins beaucoup plus
probable que ce que vise la loi fédérale en cause est vraiment
une question économique d'intérêt national plutôt que simple-
ment une série de questions d'intérêt local. [Non souligné dans
le texte original.]
Ces considérations ne visent évidemment pas les
circonstances exactes de la présente espèce, mais
elles ne réduisent pas à néant la concession des
défendeurs, quant au caractère réglementaire de la
Loi des aliments et drogues. Intéressants à cet
égard sont les motifs substantiels du juge MacGui-
gan dans l'arrêt Procureur général du Canada c.
Québec Ready Mix Inc., [1985] 2 C.F. 40 (C.A.),
auxquels ses collègues ont souscrit.
Bien qu'ils puissent avoir un effet accessoire sur
les échanges et le commerce internationaux et
interprovinciaux, la délégation législative et les
règlements pris en conséquence ne les visent pas
directement. Ils ne peuvent donc s'appuyer sur cet
aspect de ce chef de compétence. En outre, puisque
la Loi et le Règlement ont été orientés par le
Parlement vers la réglementation d'une industrie
unique, quoique diverse, celle des produits phar-
maceutiques, ils tombent en dehors de la réglemen-
tation des échanges, au sens large, s'appliquant à
tous les pays. La Cour conclut donc que la déléga-
tion de pouvoir réglementaire que prévoit le sous-
alinéa 25(1)o)(ii) et les dispositions qui l'accompa-
gnent, ainsi que les règlements attaqués présumé-
ment pris en vertu de cette délégation, ne peuvent
se fonder sur l'autorité du Parlement de faire des
lois relatives à la réglementation des échanges et
du commerce au sens de la rubrique 2 de l'article
91 de la Loi constitutionnelle de 1867.
I (2): DROIT CRIMINEL
La rubrique 27 de l'article 91 de la Loi consti-
tutionnelle de 1867 confère au Parlement le pou-
voir d'édicter des lois portant sur «le droit criminel
. y compris la procédure en matière [de droit]
criminelle».
L'essence du droit criminel, telle que la conce-
vait la Commission de réforme du droit du Canada
en 1976, dans son troisième rapport intitulé Notre
droit pénal, a été ainsi décrite [à la page 51:
Le droit pénal a donc trait principalement aux valeurs. Rien
de plus normal puisque le crime se définit comme un comporte-
ment qui constitue une atteinte grave aux valeurs auxquelles
nous croyons. Les crimes sont non seulement des actions que
punit la loi, mais aussi des actions qui méritent qu'on les
punisse. Comme le disaitle juge Fitzjames Stephen, le citoyen
ordinaire perçoit le crime comme un comportement qui est
«prohibé par la loi et qui répugne aux sentiments moraux de la
société». Commettre un crime n'est pas seulement poser un acte
prohibé, c'est aussi faire le mal.
La jurisprudence fournit au moins cette descrip
tion générale du droit criminel:
La prohibition par la loi de comportements définis avec des
conséquences pénales, prohibition qui protège l'intérêt public
par l'exclusion de substances nuisibles à la santé, la condamna-
tion de la fraude, du mensonge et d'autres exploitations dom-
mageables et la promotion de la paix, de l'ordre et de la
sécurité.
Cette définition inventée, toute générale qu'elle
soit, est tirée des motifs de diverses décisions parmi
lesquelles, et non les moindres, se trouvent les
arrêts Proprietary Articles Trade Association v.
Attorney -General for Canada, [1931] A.C. 310
(P.C.), à la page 324 et Canadian Federation of
Agriculture v. Attorney -General for Quebec
(Renvoi relatif à la margarine), [1951] A.C. 179
(P.C.), aux pages 196 et 197. Dans ce dernier
arrêt, il a même été précisément déclaré que l'ar-
gument selon lequel l'interdiction de la margarine
par le Parlement était une disposition de droit
criminel [TRADUCTION] «aurait eu plus de poids
s'il avait été possible de prétendre que l'objet de la
prohibition était d'exclure du Canada les sub
stances nuisibles à la santé». (Non souligné dans le
texte original.) Voir également le jugement du
juge Duff, dans l'arrêt de la Cour suprême du
Canada Combines Investigation Act Reference re
Validity of the, [1929] S.C.R. 409, la page 413;
[1929] 2 D.L.R. 802, la page 805, d'après lequel
le droit criminel vise le contrôle des comporte-
ments humains.
Les passages pertinents de la Loi des aliments et
drogues, précités, montrent que les actes prohibés
qu'ils visent sont la dissémination de substances
nuisibles à la santé et le fait de tromper ou déce-
voir le public quant à la nature, la valeur, la
quantité, la composition, les avantages ou la sûreté
des drogues en particulier. Les conséquences péna-
les de ces actes sont prévues à l'article 26 de la
Loi.
Les défendeurs prétendent que l'exclusion et la
prohibition de substances nocives, ainsi que l'éta-
blissement de normes pour les substances permises,
servent les buts du droit criminel, afin de protéger
la santé publique et de prévenir les dangers qu'il y
a à tromper ou égarer le public quant aux risques
potentiels que présentent même les substances per-
mises. Tout effet sur la propriété et les droits civils
est purement accessoire, disent les défendeurs. Les
demanderesses ne sont pas d'accord. Elles soutien-
nent que, dans leur essence, ces dispositions ne
prohibent pas des comportements mais réglemen-
tent plutôt un commerce. Elles font valoir qu'en
conséquence, il s'agit d'une législation déguisée qui
porte en réalité sur la propriété et les droits civils
dans une province, si ce n'est dans toutes, et non
sur le droit criminel.
La constitutionnalité de diverses dispositions de
la Loi des aliments et drogues a déjà été contestée
devant les tribunaux en au moins quatre occasions.
Dans l'affaire Standard Sausage Co. v. Lee,
Proctor v. Standard Sausage Co., [1933] 4 D.L.R.
501 (C.A.C.-B.), avec un savant addenda du juge
d'appel Martin, publié à [1934] 1 D.L.R. 706, on
contestait la validité de dispositions prohibant la
falsification d'aliments au moyen de certains
agents conservateurs. La Cour a unanimement
jugé que le sujet relève carrément de la compé-
tence législative du Parlement en matière de droit
criminel. Le jugement porté en appel était du juge
Macdonald. Le juge d'appel Macdonald s'est
exprimé ainsi, en son nom et en celui du juge en
chef Macdonald de la Colombie-Britannique [à la
page 506]:
[TRADUCTION] Ainsi ... si le Parlement fédéral, pour proté-
ger la santé publique contre un danger réel ou appréhendé,
apporte des restrictions aux agents conservateurs qui peuvent
être utilisés et en limite le nombre, il peut le faire en vertu du
par. 91(27) de l'A.A.N.B. Ce n'est pas par essence une intru
sion dans la propriété et les droits civils. Cela peut en découler
accessoirement mais le vrai but (qui n'est pas déguisé, ni
seulement un appui à ce qui est en substance un empiètement)
est de prévenir un dommage réel ou appréhendé ou la probabi-
lité d'un dommage de la plus grande gravité pour tous les
habitants du Dominion.
Selon le recueil, à la page 507, le juge d'appel
Macdonald a poursuivi en concluant que:
[TRADUCTION] L'objet premier de cette loi est la sécurité du
public, en protégeant celui-ci contre un dommage appréhendé.
Si c'est là son but principal—et non un simple prétexte pour
s'ingérer dans le domaine des droits civils—sa validité n'est pas
amoindrie par le fait qu'elle puisse encourir le reproche, auquel
peu de lois échappent, que son but serait aussi bien servi en
suivant l'opinion d'autres personnes, à savoir que le bioxyde de
soufre pourrait être ajouté sans danger à la liste des conserva-
teurs utilisables. L'altération des aliments par l'introduction de
substances étrangères, quelque bonnes que soient les intentions,
doit être considérée à juste titre comme un mal public et on
peut à juste titre considérer qu'il est fort dangereux d'abaisser
les obstacles ou de lever les restrictions qu'à tort ou à raison, le
Parlement a jugé bon dans sa sagesse d'imposer.
L'énoncé qui précède a conservé toute sa force
depuis plus d'un demi-siècle. Il étaye certainement
la position des défendeurs sur les questions que
soulèvent les normes, les considérations de danger
et la «nouveauté» prescrites à l'égard des sub
stances des demanderesses. Il indique également
que ces facteurs n'influent pas défavorablement
sur la question de la constitutionnalité.
Outre la question de la sécurité du public, le
juge d'appel Macdonald a décidé que la validité de
la Loi pouvait se justifier pour un autre motif, la
répression de la fraude dans la distribution des
produits alimentaires, s'agissant en l'espèce d'un
marchand qui avait mensongèrement présenté
comme «fraîches» des saucisses falsifiées. Il est
évident que les drogues et autres substances ne
peuvent échapper à la force d'un tel raisonnement.
Le raisonnement et les conclusions de l'arrêt
Standard Sausage ont été adoptées et appliquées
par le juge Heald, alors qu'il siégait à la Division
de première instance de cette Cour, dans l'affaire
Berryland Canning Company Ltd. c. La Reine,
[1974] C.F. 91. Le juge Heald a décidé que l'ali-
néa 4d) de la Loi, en vertu duquel l'utilisation des
cyclamates dans les aliments en conserve devait
être éliminée progressivement et interdite, était de
la compétence du Parlement. Il s'exprime ainsi, à
la page 95 du recueil:
Il ressort clairement d'une comparaison de la Loi de 1927 et de
la présente loi que, si certaines dispositions ont été ajoutées et
d'autres modifiées, les buts principaux de la Loi n'ont pas
changé au cours des années. Ainsi le raisonnement adopté dans
l'arrêt Standard Sausage (précité) s'applique aussi à la pré-
sente affaire.
Dans le Renvoi sur la validité de l'article 5a) de la Loi de
l'industrie laitière [1949] R.C.S. 1 à la p. 50, le juge Rand
donne une bonne description du pouvoir qu'a le Parlement du
Canada de légiférer en matière de droit criminel:
[TRADUCTION] L'interdiction est-elle alors décrétée dans
un but d'intérêt public ce qui peut la justifier comme étant en
rapport avec le droit criminel? La paix publique, l'ordre, la
sécurité, la santé, la moralité; voilà les buts ordinaires, mais
non exclusifs, de ce droit ... (Les italiques sont de moi.)
Plus récemment, la Cour suprême du Canada a
examiné deux fois la constitutionnalité de certaines
dispositions de la Loi des aliments et drogues, les
déclarant invalides dans un cas et valides dans
l'autre. Les deux décisions sont soigneusement
motivées, bien qu'aucune ne soit unanime.
Dans l'affaire Brasseries Labatt du Canada
Ltée c. Procureur général du Canada, [1980] 1
R.C.S. 914, la Cour a examiné la validité contestée
d'un règlement qui, pris en vertu de la Loi, prescri-
vait les normes de composition de la «bière» et de
la «bière légère». L'appelante avait mis sur le
marché une nouvelle marque de bière étiquetée
«Labbat's Special Lite», qui avait une teneur en
alcool de 4 pour cent. Le règlement en question
exigeait que la «bière légère» ne renfermât pas plus
de 2,5 pour cent d'alcool, tandis que la «bière»
ordinaire devait avoir seulement entre 2,6 pour
cent et 5,5 pour cent d'alcool par volume. L'appel
de la brasserie a été accueilli par une majorité de
six juges sur neuf. De cette majorité, cinq juges
s'exprimant par la plume du juge Estey ont infirmé
le jugement de la Cour d'appel [[1980] 1 C.F.
241 ] et l'ordonnance de la Division de première
instance [(1978), 84 D.L.R. (3d) 61] et déclaré [à
la page 947]:
.., que les articles B.02.130 à B.02.135 inclusivement du
Règlement sur les aliments et drogues sont invalides et que
l'art. 6 et l'al. 25(1)c) de la Loi des aliments et drogues sont
ultra vires du Parlement en tant qu'ils se rapportent aux
liqueurs de malt.
Le juge Pratte, sixième juge de la majorité, a
également accueilli l'appel de la brasserie, mais
aurait simplement rétabli le jugement du juge de
première instance.
Dans cette affaire Brasseries Labatt, le juge
Estey a conclu que le règlement n'avait pas une
finalité de droit criminel. Son but ne pouvait être
la protection de la santé puisque, selon les préten-
tions de l'appelante, adoptées par le juge Estey (à
la page 934), «tout breuvage de ce genre, nonob-
stant son nom, qui a une teneur en alcool d'au
moins 1.2 pour cent et d'au plus 8.5 pour cent [sic]
par volume et qui est, d'autre part, brassé confor-
mément au procédé commun à toutes les "liqueurs
de malt", n'est pas censé constituer un risque pour
la santé». Le règlement ne visait pas non plus la
prévention du mensonge réalisé par un faux étique-
tage parce que, dans le contexte de la bière et de la
bière «légère», il ne pouvait y avoir de tel étique-
tage qu'une fois la catégorie «bière légère» créée et
définie par règlement. C'est dire que, n'eut été du
règlement lui-même, l'étiquette n'aurait pas été
litigieuse puisque le produit avait en fait une
teneur en alcool inférieure au maximum prescrit
pour la bière ordinaire.
En ce qui concerne la compétence législative du
Parlement en vertu de l'article 91 de la Loi consti-
tutionnelle de 1867, le juge Estey, au nom de la
majorité dans l'affaire Brasseries Labatt, a
exprimé, à la page 934 du recueil, les considéra-
tions suivantes:
De même, la compétence du Parlement sur les matières se
rapportant à la santé n'est pas pertinente en l'espèce. Le
Parlement peut faire des lois relatives à la santé en vue
d'assurer la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada :
on peut penser, à titre d'exemple, aux lois en matière de
quarantaine. Le Conseil privé a laissé entendre dans Toronto
Electric Commissioners v. Snider ([1925] A.C. 396) qu'une loi
adoptée par le Parlement relativement à une «épidémie de
peste» serait valide. Mais ce n'est pas ce qui est en jeu en
l'espèce. Lorsque la santé est un aspect du droit criminel,
comme dans le cas des dispositions législatives portant sur la
falsification, la réponse est claire, mais en l'espèce, elle n'est
d'aucun secours.
Quelques années plus tard, la Cour suprême a
déclaré valides d'autres dispositions de la Loi des
aliments et drogues. Il convient de noter ici que
ces dispositions sont les articles 8 et 9, dont la
violation entraîne les peines prévues à l'article 26.
Dans cette affaire, R. c. Wetmore et autres [ci-
après l'affaire Kripps Pharmacy], [1983] 2 R.C.S.
284, la majorité (le juge Dickson, aujourd'hui juge
en chef, étant dissident) a suivi la décision rendue
juste avant par la Cour dans l'affaire Procureur
général du Canada c. Transports Nationaux du
Canada, Ltée et autre, [1983] 2 R.C.S. 206. Dans
l'affaire Kripps Pharmacy, il s'agissait d'un appel
de la Couronne du chef du Canada à l'encontre
d'un jugement de la Cour d'appel de la Colombie-
Britannique qui avait rejeté l'appel d'un jugement
du juge Berger, celui-ci ayant lui-même rejeté une
demande de mandamus enjoignant au juge Wet-
more de la Cour de comté de procéder à l'instruc-
tion des accusations portées en vertu de l'article 26
de la Loi.
La première question posée à la Cour suprême
dans cette affaire Kripps Pharmacy était: «La
constitutionnalité des articles 8a), 9(1) et 26 de la
Loi des aliments et drogues dépend-elle du par.
91(27) de la [Loi constitutionnelle de 1867]?»
L'article 26 de la Loi prévoit que la violation des
dispositions de celle-ci constitue une infraction qui
peut être instruite par voie sommaire ou de mise en
accusation, mais ni le droit criminel comme tel, ni
même le Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34]
n'y sont mentionnés. Selon le recueil, aux pages
288 et 289, feu le juge en chef Laskin, s'exprimant
également pour les juges Ritchie, Estey et McIn-
tyre, a jugé que les articles 8 et 9, si ce n'est la Loi
entière, pouvaient se justifier par la compétence en
matière de droit criminel. De même, il a conjec-
turé que des dispositions comme l'article 9 rele-
vaient également des compétences du Parlement
en matière d'échanges et de commerce, encore
qu'il se soit gardé de se prononcer définitivement
en ce sens. Le juge en chef a alors ajouté [aux
pages 288-289]:
Toutefois, il n'est pas nécessaire d'examiner davantage cette
question, car il est bien établi depuis fort longtemps que la
protection des aliments et d'autres produits contre la falsifica
tion et l'application des normes de pureté ressortissent légitime-
ment au droit criminel. Ces principes ont été appliqués il y a
bien des années dans la décision Standard Sausage Co. v. Lee,
[1933] 4 D.L.R. 501, confirmée par [1934] 1 D.L.R. 706.
Il a été jugé, encore une fois, que les articles 8 et 9,
ainsi que les dispositions pénales de l'article 26,
relevaient du pouvoir du Parlement de légiférer sur
le droit criminel, de même que d'en assurer l'appli-
cation dans les circonstances.
Lorsqu'ils affirment que la Loi et le Règlement
en question ne constituent qu'un système d'autori-
sation, les demanderesses reprennent les mots et le
raisonnement du juge Wetmore de la Cour de
comté [R. v. Kripps Pharmacy Ltd. and Kripps],
rapportés à (1980), 114 D.L.R. (3d) 457 (C. cté
C.-B.), aux pages 468 et 469. Celui-ci a affirmé,
comme le font les demanderesses, que ce que visent
les règlements contestés [TRADUCTION] «ne relève
pas du droit criminel. En réalité, c'est un système
d'autorisation pour les drogues nouvelles qui, en
tant que tel, viole les par. 92(13) et (16) de l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique (1867). En
conséquence, le Règlement contesté ne constitue
pas un exercice valide du pouvoir fédéral en
matière de droit criminel.» Il est évident que cette
façon de voir ne tient plus depuis la décision de la
Cour suprême dans l'affaire Kripps Pharmacy.
Il semble clair, autant qu'une notion puisse
l'être, qu'étant donné l'autorité que lui confère la
Constitution d'identifier et de condamner un com-
portement par l'adoption d'une loi pénale, le Parle-
ment peut soustraire expressément un autre com-
portement connexe à l'emprise du droit criminel,
en le déclarant non criminel. Il peut le faire
expressément, bien sûr, ou par implication néces-
saire. En termes évocateurs, on peut dire que,
puisque le Parlement peut modeler un crime, il
peut également y découper une exception ou y
faire une échancrure, de sorte qu'il ne couvre pas
un comportement défini ou implicitement visé au
départ ou antérieurement couvert. Pour recourir
encore à une notion familière, quoique l'expression
soit fabriquée, le Parlement peut légitimement
édicter une «infraction conditionnelle», en vertu de
laquelle l'accomplissement intentionnel d'un acte
constitue une infraction, à moins que son auteur,
préalablement, simultanément ou même subsé-
quemment, ne satisfasse à une condition prescrite
par la loi. L'avortement a été longtemps un crime
et le demeure, mais il existe maintenant une condi
tion justificative: l'obtention d'un certificat d'un
comité de l'avortement thérapeutique d'un hôpital
accrédité ou approuvé conformément au paragra-
phe 251(4) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap.
C-34. Cette disposition a été jugée valide ([1976]
1 R.C.S. 616 [Morgentaler c. La Reine]), même si
l'exception qu'elle édicte requiert la coopération
d'institutions et de professionnels dont les activités
relèvent entièrement de la compétence provinciale
(par exemple, rubrique 7 de l'article 92).
Dans le cas présent, où le Règlement sur les
aliments et drogues ne mentionne pas le Code
criminel, ni n'y est mentionné, le Parlement a mis
en place sa propre institution et engagé ses propres
professionnels pour administrer cette loi particu-
lière de droit criminel. Il n'y a rien, dans la
compétence du Parlement, qui l'empêche, en
même temps qu'il légifère en droit criminel, de
mettre sur pied un système national de réglemen-
tation supervisé par un organisme de réglementa-
tion de la nature de ceux mentionnés non seule-
ment dans l'arrêt Transports Nationaux du
Canada, mais aussi plus récemment, le 16 mars
1987, par le juge MacGuigan pour la Division
d'appel de cette Cour, dans l'affaire Asbjorn Hor-
gard AIS c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987]
3 C.F. 544. Les organismes de réglementation sont
ici les directeurs, les directions et bureaux divers
des aliments et des drogues de la Direction géné-
rale de la protection de la santé du ministère de la
Santé nationale et du Bien-être social mentionnés
aux paragraphes 7 à 13 de l'«exposé conjoint modi-
fié des faits admis» par les parties. Un autre
organisme de réglementation associé à ce système
national de réglementation est le ministère fédéral
de la Consommation et des Corporations men-
tionné au paragraphe 14 de l'exposé conjoint. Les
parties ont convenu que ce ministère assume cer-
taines responsabilités en vertu de la Loi en ques
tion. En particulier, des inspecteurs de ce ministère
exercent les fonctions déléguées à des inspecteurs
en vertu de la Loi des aliments et drogues.
Ceci étant, les demanderesses soutiennent que, si
l'entreprise de législation en droit criminel dépasse
la simple prohibition avec des conséquences péna-
les pour entrer dans la réglementation, cela excède
les pouvoirs du Parlement. Une telle prétention ne
peut résister à la force du raisonnement suivi dans
les décisions Standard Sausage et Kripps Phar
macy, toutes deux soigneusement examinées par la
Cour suprême du Canada. Les défendeurs soutien-
nent qu'il n'est pas nécessaire que le droit criminel
soit interprété, et qu'il n'a pas été interprété, aussi
étroitement que les demanderesses le préconisent.
La Cour souscrit à la thèse des défendeurs (trans-
cription 3, page 128) selon laquelle, lorsque le but
«légitime»—c'est-à-dire «le caractère véritable»—
de la législation est la protection de la santé et de
la sécurité publiques, à quoi s'ajoute la répression
du mensonge et de la fraude, et non une tentative
de protéger ou d'éliminer un échange ou commerce
particulier, le Parlement peut légiférer en se fon
dant sur le droit criminel.
Il convient de noter également que le Parlement
ne tente pas à cet égard de réglementer le prix de
marchandises ou leur quantité. La législation,
règlements compris, ne vise pas un secteur ou
marché pour en favoriser ou désavantager un ou
plusieurs autres. En outre, les normes réglementai-
res des produits ne s'imposent qu'autant que la
santé et la sécurité du public sont en jeu. Dans son
ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada, 2e
éd. Toronto: Carswell, 1985, la page 417, le
professeur Peter W. Hogg donne quatre exemples,
dans le Code criminel, où le rattachement d'un
organisme administratif ou de réglementation à un
pouvoir de dispense n'entame ni ne met en ques
tion la nature ou la portée des dispositions corres-
pondantes de droit criminel qui y sont édictées. Au
vrai, il n'existe aucune bonne raison pour laquelle
le Parlement ne devrait pas ajouter aux prohibi
tions et à leurs conséquences pénales des systèmes
nationaux de réglementation destinés à en assurer
l'efficacité. L'«infraction suprême», le meurtre,
requiert que les enfants d'hier aient reçu une édu-
cation familiale, morale et humaine, favorisant le
respect actuel de la prohibition, mais ce n'est pas
là la mission de l'État, même si cette éducation est
parfois un échec. Toutefois, quand il s'agit de
fabrication, d'étiquetage ou de mise en marché,
dans tout le Canada, des substances qui, pouvant
être ingérées, sont susceptibles, selon les doses,
d'être toxiques, d'altérer l'humeur ou d'être tout
simplement mortelles, on ne saurait soutenir que la
réglementation de la Direction générale de la pro
tection de la santé (D.G.P.S.), visant à protéger la
santé et la sécurité publiques en informant notam-
ment le consommateur sur les substances qu'il
achète et ingère, est trop vaste pour pouvoir s'ap-
puyer utilement sur le droit criminel. Voir James
Richardson and Sons Limited c. Ministre du
Revenu national, [1983] 1 C.F. 3 (1fe inst.), aux
pages 20 et 21, en ce qui regarde la compétence
législative.
La Cour conclut que la Loi des aliments et
drogues, en ce qui concerne précisément la déléga-
tion de pouvoir réglementaire de l'alinéa 25(1)o),
ainsi que la teneur générale des articles contestés,
C.01.014 à C.01.014.4 et C.08.001 à C.08.011 du
Règlement, peuvent se justifier en vertu de la
rubrique 27 de l'article 91 de la Loi constitution-
nelle de 1867, en tant que droit criminel et législa-
tion nécessairement accessoire à celui-ci. Il demeu-
rera encore à apprécier ces dispositions
réglementaires dans leur relation avec le but de la
Loi, mais leur teneur générale peut se justifier
pour ce qui est du système de réglementation
destiné à assurer l'observation de cette expression
particulière de droit criminel valide.
I (3) PAIX, ORDRE ET BON GOUVERNEMENT
Le début de l'article 91 de la Loi constitution-
nelle de 1867 exprime en ces termes l'attribution
générale de compétence législative:
91. Il sera loisible à La Reine, sur l'avis et avec le consente-
ment du Sénat et de la Chambre des communes, de faire des
lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada,
relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les
catégories de sujets exclusivement assignés aux législatures des
provinces par la présente loi ...
et, sans restreindre la généralité de ce qui précède
mais pour plus de certitude, suit la liste de la
plupart des catégories de sujets relevant de l'auto-
rité législative du Parlement, y compris évidem-
ment le droit criminel, dont il a déjà été discuté.
On peut se demander pourquoi la Cour devrait
se donner la peine d'examiner la question soumise
dans l'optique de la paix, de l'ordre et du bon
gouvernement, dès lors qu'elle a conclu que la Loi
et le Règlement reposent sur l'autorité législative
du Parlement de faire des lois tombant dans une
catégorie de sujets expressément énumérés comme
«le droit criminel ... y compris la procédure en
matière [de droit] criminelle». Ordinairement,
quand une action législative peut être ainsi classée,
l'investigation s'arrête là. Toutefois, il n'y a rien de
déraisonnable à se demander si cette loi ne peut se
justifier par quelque autre autorité législative con-
férée à la législature qui en est l'auteur. D'habi-
tude, évidemment, une telle investigation n'est
guère, si ce n'est pas du tout, pertinente, puisque la
qualification première de la matière de la loi
résoud la question du partage des compétences
législatives.
En l'espèce, la Cour qualifie de droit criminel
l'aspect prohibition-peine de la Loi des aliments et
drogues; de droit criminel également, les règle-
ments contestés, mais parce que ceux-ci sont
nécessairement accessoires au régime de prohibi
tion et de peine établi par le Parlement pour
protéger la santé et la sécurité publiques et décou-
rager ou punir la fraude et le mensonge. Il est
toutefois concevable que les règlements nécessaire-
ment accessoires puissent se justifier en lonction
d'un chef de compétence fédérale autonome, pour
laquelle les prohibitions et leurs conséquences
pénales pourraient jouer le rôle d'accessoire
nécessaire.
La démarche proposée n'est pas, après tout,
impensable. Dans l'affaire Canadian Indemnity
Co. et autres c. P.G. de la Colombie-Britannique,
[1977] 2 R.C.S. 504, l'appelante a monté deux
attaques contre la législation provinciale, en invo-
quant deux sujets distincts relevant de l'autorité
législative du Parlement: les échanges et le com
merce, et les compagnies à charte fédérale. Les
deux attaques ont échoué mais ont trouvé quelque
appui en cour d'appel provinciale. Plus significatifs
quant aux doubles attributions de compétence
législative sont toutefois les arrêts Attorney -Gene
ral of British Columbia v. Attorney -General of
Canada (affaire Johnny Walker), [1924] A.C. 222
(P.C.); Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel
exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004, la page 1074, et
Procureur général du Canada c. Transports Na-
tionaux du Canada, Ltée et autre, précité, aux
pages 279 et 280 [R.C.S.]. Le procureur des
demanderesses a admis la légitimité de cette
démarche (transcription 3, pages 16 19).
On peut présumer à coup sûr que ni les acides
aminés en général (les «unités de base» des protéi-
nes d'après la Lettre de renseignements de la
D.G.P.S., pièce 1(E-10), page 1) ni les acides
aminés essentiels, par exemple, et le tryptophane
en particulier (pièce 1(E-10), page 2) n'étaient la
préoccupation première des Pères de la Confédéra-
tion au moment où ils réfléchissaient au partage
des pouvoirs. Auraient-ils entrepris de définir le
terme «drogue» qu'ils auraient fort bien pu formu-
ler une définition très proche de celle de l'article 2
de la Loi des aliments et drogues. Mais ce n'était
pas ce qui les intéressait. Ce qu'ils ont conçu, c'est
l'idée de légiférer, non sur des substances ou des
choses, mais plutôt relativement à des catégories
de sujets, accompagnés d'exemples logiques pour
plus de certitude ou, dans certains cas, d'attribu-
tions pragmatiques traduisant ce qu'ils attendaient
ou toléraient d'un État fédéral. Il ne devait pas y
avoir de «failles», ni de lacunes législatives dans les
pouvoirs de ce qui devait être un État fédéral
virtuellement souverain, qui l'est devenu complète-
ment par la suite.
La clause relative à la paix, à l'ordre et au bon
gouvernement a, au premier abord, dans l'article
91 une portée large qui a été quelque peu réduite
au fil des ans et également définie avec plus de
précision. Dans le Renvoi: Loi anti-inflation,
[1976] 2 R.C.S. 373, le juge Beetz, quoique dissi
dent, a exprimé une manière de concevoir la paix,
l'ordre et le bon gouvernement, qui a apparem-
ment été acceptée par la majorité. Il a été d'avis
que l'autorité du Parlement de faire des lois pour
la paix, l'ordre et le bon gouvernement se confine à
deux types de législation: (i) les mesures temporai-
res visant à faire face à une situation d'urgence
nationale; (ii) la législation portant sur des «sujets
distincts qui ne se rattachent à aucun des paragra-
phes de l'art. 92 et qui, de par leur nature, sont
d'intérêt national» (page 457). Dans l'arrêt Bras-
series Labatt, précité, aux pages 944 et 945, le
juge Estey a perçu deux groupements dans cette
seconde branche: a) les domaines qui relèvent de la
compétence fédérale parce que la matière n'exis-
tait pas au moment de la Confédération et ne peut
pas être placée dans la catégorie des sujets de
nature purement locale ou privée; b) les domaines
où la matière «dépasse les préoccupations ou les
intérêts locaux ou provinciaux et doit par sa nature
même constituer une préoccupation pour le Domi
nion dans son ensemble». En fait, on peut parler de
trois branches.
La première branche—législation temporaire
visant à faire face à une situation d'urgence natio-
nale—est sans application ici. Prises ensemble, les
dispositions réglementaires sur les «drogues nou-
velles» et les règlements sur les drogues n'ont
certainement pas vocation à être temporaires et il
n'est pas prouvé qu'il y ait une situation d'urgence
concernant les «drogues nouvelles».
Les défendeurs soutiennent que la deuxième ou
la troisième branche de la clause relative à la paix,
à l'ordre et au bon gouvernement, ou les deux à la
fois, peuvent justifier la législation contestée,
règlements pertinents compris.
Pour la fonder sur la seconde branche, il fau-
drait considérer que la matière de la législation
n'existait pas au moment de la Confédération et
qu'elle n'est pas de nature purement locale et
privée. Toutefois, le sous-alinéa 25(1)o)(ii) de la
Loi et les dispositions réglementaires sur les dro-
gues nouvelles ne satisfont pas précisément au
premier critère. Il est néanmoins vrai que tout
produit pharmaceutique nouveau, né du processus
continu de recherche, d'analyse et de développe-
ment scientifiques et chimiques, doit bien avoir été
«nouveau» à un moment donné. Il est certain que la
plupart de ceux qui existent aujourd'hui sont appa-
rus après le Zef juillet 1867. Par ailleurs, on n'a
présenté aucune preuve indiquant qu'il y ait de nos
jours un problème de sûreté, d'efficacité et d'éti-
quetage adéquat des drogues nouvelles qui n'exis-
tait pas au moment de la Confédération, bien
qu'on pourrait probablement conjecturer que ce
soit le cas.
Les dispositions réglementaires sur les drogues
nouvelles ont pour objet la protection des gens
contre la distribution de drogues qui, ingérées par
eux-mêmes ou leurs animaux, ou employées à
quelque autre usage ou consommation, sont poten-
tiellement délétères ou d'une autre façon dange-
reuses, et contre le mensonge dans la distribution à
ces fins de substances faussement ou erronément
annoncées comme possédant les propriétés d'une
drogue ou d'autres drogues. Or il est évident qu'il
n'existe pas de liste immuable des drogues et pro-
duits chimiques qui en interdise l'analyse scientifi-
que, la découverte de nouvelles possibilités, la
modification des substances ou les nouvelles com-
binaisons. La recherche et le développement,
comme les dispositions réglementaires elles-mêmes
le montrent clairement, sont un aspect essentiel
d'une industrie pharmaceutique vivante ou, si ce
n'est pas le cas, le Parlement est tout au moins
disposé, pour défendre l'intérêt public, à en écarter
les périls potentiels au moyen d'une réglementa-
tion.
Tout comme il n'existe pas de liste immuable
des infractions criminelles, il n'existe pas de liste
immuable de ce qui constitue la paix, l'ordre et le
bon gouvernement du Canada car, dans cet État
fédéral, la Constitution distribue l'ensemble des
compétences législatives inhérentes à la notion
d'État souverain. Il faut ajouter qu'il n'existe pas
de liste immuable de «toutes les matières d'une
nature purement locale ou privée dans la pro
vince». La législature est toujours capable de faire
face aux exigences de l'ingéniosité humaine, ce qui
comprend la criminalité et la création de périls.
Lorsque, sur le marché libre qu'est le Canada, de
tels maux peuvent être disséminés dans deux ou
plusieurs provinces et que la compétence législative
n'a pas été précisément et exclusivement attribuée
aux législatures provinciales, il y a une matière
d'intérêt national qui relève de la clause relative à
la paix, l'ordre et le bon gouvernement, parce que
cette matière ne semblait pas exister au moment
de la Confédération.
Le droit criminel existait certainement à cette
époque. Mais la nécessaire réglementation complé-
mentaire de ce qui se trouve juste «à l'extérieur» du
profil du droit criminel en ce qui regarde la distri
bution de produits pharmaceutiques ne peut évi-
demment apparaître ni dans les débats sur la
Confédération, ni dans la distribution précise des
chefs exclusifs de compétence législative.
À ce point, il faut mentionner l'affaire R. c.
Hauser, [ 1979] 1 R.C.S. 984. La Cour suprême y
a décidé que ce n'est pas sur le droit criminel, mais
plutôt sur la paix, l'ordre et le bon gouvernement
que repose la validité de la Loi sur les stupéfiants,
[S.R.C. 1970, chap. N-1]. Au nom de la majorité,
le juge Pigeon a jugé que la Loi sur les stupéfiants
a été adoptée pour faire face à un problème récent,
l'abus de stupéfiants, qui n'existait pas à l'époque
de la Confédération. Le jugement a été très criti-
qué. Il semble maintenant généralement admis
que, dans l'arrêt Hauser, où étaient en cause les
poursuites intentées en vertu des dispositions pro-
hibitives et pénales de cette Loi sur les stupéfiants,
la majorité, au nom de laquelle s'est exprimé le
juge Pigeon, a erré en jugeant que ces dispositions
mêmes étaient fondées sur la clause relative à la
paix, à l'ordre et au bon gouvernement.
Il n'y a rien de vraiment nouveau dans des
prohibitions auxquelles sont attachées des consé-
quences pénales car, à moins d'être invoquées pour
déguiser des fins inappropriées, elles constituent du
droit criminel valide. Mais il y a plus que cela dans
le contrôle légal des stupéfiants. Il y a, notable-
ment, l'article 12 de cette Loi, qui se lit ainsi:
12. Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements
a) prévoyant la délivrance de permis
(i) d'importation, d'exportation, de vente, de fabrication,
de production ou de distribution de stupéfiants, et
b) prescrivant la forme, la durée et les modalités de [ces]
permis ... les droits exigibles â [leur] égard, et prévoyant
[leur] annulation et [leur] suspension ...
c) autorisant la vente, la possession ou une autre forme de
négoce de stupéfiants, et prescrivant les circonstances et les
conditions dans lesquelles, ainsi que les personnes par qui,
des stupéfiants peuvent être vendus ou détenus en possession,
ou faire l'objet d'une autre forme de négoce;
d) enjoignant aux médecins, dentistes, vétérinaires, pharma-
ciens et autres personnes qui font le négoce des stupéfiants,
selon que l'autorisent la présente loi ou les règlements, de
tenir des registres et de faire des déclarations;
e) autorisant la communication de tout renseignement
obtenu sous le régime de la présente loi ou des règlements
aux autorités provinciales officiellement chargées de la déli-
vrance des permis;
J) prescrivant l'imposition d'une amende ... ou d'un empri-
sonnement ... ou à la fois des deux peines susdites ... pour
violation de tout règlement; et
g) de façon générale, en vue de la réalisation des objets de la
présente loi et de l'application de ses dispositions.
La Loi sur les stupéfiants semble bien à la vérité
être une manifestation du pouvoir du Parlement en
matière de droit criminel, mais son article 12 et les
règlements nécessairement accessoires semblent
bien, comme l'a dit le juge Pigeon, se fonder sur la
clause relative à la paix, à l'ordre et au bon
gouvernement. On pourrait bien sûr essayer de
soutenir qu'ils constituent un système d'autorisa-
tion ou qu'ils tendent à réglementer les professions
médicales, dentaires, vétérinaires et pharmaceuti-
ques dans chaque province, ou quelque autre argu
ment de ce genre, mais de tels arguments ne
pourraient manifestement pas tenir. Évidemment,
sous le régime de la Loi sur les stupéfiants, les
prohibitions et la réglementation sont beaucoup
plus simples et moins subtiles qu'elles ne le sont
sous le régime de la - Loi des aliments et drogues,
parce que dans la première toutes les drogues et
substances sont considérées par le Parlement
comme très puissantes et extrêmement dangereu-
ses. Comme ce n'est pas toujours le cas, sous ces
deux aspects, dans la Loi des aliments et drogues,
la réglementation à la limite du profil de crimina-
lité y est plus complexe, parce que le Parlement y
adoucit les normes fermes et sévères invoquées
dans la législation sur les stupéfiants.
Dans les deux cas, il est évident que la régle-
mentation des drogues qui ne sont pas absolument
prohibées, qui peuvent être utilisées à des condi
tions réglementaires destinées à diminuer ou pré-
venir le danger pour la santé publique et à prévenir
la fraude et le mensonge, est une matière qui ne
relève pas précisément du droit criminel profilé,
mais plutôt de la paix, de l'ordre et du bon gouver-
nement. Dans cette mesure, il est certain que
l'opinion exprimée par le juge Pigeon au nom de la
majorité dans l'arrêt Hauser doit être admise
comme faisant autorité en droit constitutionnel, en
ce qui concerne la portée de l'expression la paix,
l'ordre et le bon gouvernement. D'ailleurs, dans
l'arrêt R. c. Aziz, [1981] 1 R.C.S. 188, le juge
Martland, en rendant le jugement de la Cour
suprême du Canada, a déclaré, à la page 197,
qu'«il n'y a aucun motif valable de juger le con-
traire [du jugement de la Cour dans l'affaire
Hauser] aujourd'hui». Cet arrêt Aziz, selon le juge
en chef Laskin, «a approuvé avec circonspection
l'arrêt Hauser en ce qu'il fonde la Loi sur les
stupéfiants entièrement sur la clause relative à la
paix, à l'ordre et au bon gouvernement». Il a fait
cette déclaration dans l'arrêt Schneider c. La
Reine du chef de la Colombie-Britannique, [1982]
2 R.C.S. 112, à la page 115, où, souscrivant dans
une opinion individuelle à celle de la majorité, il a
dit qu'il «[aurait] souscrit aux motifs du juge
Spence qui, dans cette affaire [Hauser], a consi-
déré que la Loi sur les stupéfiants relève à la fois
de la compétence en matière de droit criminel et
de la compétence en matière d'échanges et de
commerce; voir [1979] 1 R.C.S. 984, aux pp. 1003
et 1004».
Dans son ouvrage Constitutional Law of
Canada (précité), le professeur Hogg conclut de
façon catégorique [à la page 383] [TRADUCTION]
«que l'arrêt Hauser est mal fondé et devrait être
renversé par la Cour» et il poursuit en disant que la
Loi sur les stupéfiants [TRADUCTION] «est à qua
lifier proprement de droit criminel. Elle ne peut
être placée dans la branche intérêt national de la
clause relative à la paix, à l'ordre et au bon
gouvernement.» On ne peut guère être en désac-
cord avec le professeur Hogg si l'on s'en tient
seulement aux prohibitions et peines édictées par
cette Loi. Cependant sa position ne semble pas
sensible à l'autre aspect de cette Loi que révèlent
l'article 12 et le Règlement qui, mis à part les
prohibitions principales et les conséquences péna-
les qui s'y rattachent, peuvent certainement être
édictés par le Parlement en vertu de la clause
relative à la paix, à l'ordre et au bon gouverne-
ment. Étant donné la nature nocive des stupéfiants
réglementés, le Parlement pouvait légitimement
prendre la voie de la prohibition de droit criminel
ou celle du pouvoir résiduel de réglementation, ou
les deux à la fois dans la même loi, comme il l'a
effectivement fait.
Il en est ainsi pour la réglementation de l'identi-
fication et de l'étiquetage des drogues et des dro-
gues nouvelles dans le Règlement sur les aliments
et drogues. Dans la Loi et les règlements, le Parle-
ment a adopté les deux aspects. Il ne s'agit pas de
matières d'une nature purement locale et privée;
elles intéressent plutôt l'ensemble de la nation.
Quand la matière de cette sorte de réglementa-
tion devient-elle d'intérêt national? Le professeur
Hogg, dans son ouvrage précité à la page 379,
affirme que, pour peu qu'il y en ait une, la réponse
peut être glanée dans les motifs des arrêts Johan-
nesson v. Municipality of West St. Paul, [1952] 1
R.C.S. 292 et Munro v. National Capital Com
mission, [1966] R.C.S. 663. C'est «le sentiment de
la dimension nationale de l'importance de la
matière d'une législation» qui «détermine si elle
présente ou non l'intérêt national requis». Cepen-
dant, note aussitôt l'auteur, ce critère est trop
subjectif pour être juridiquement fonctionnel.
Ajouter l'étendue géographique et la notion d'uni-
formité est d'un certain secours, mais cela ne
parfait pas encore le caractère juridiquement fonc-
tionnel du critère.
Un critère approprié de l'intérêt national, auquel
souscrit le professeur Hogg, est celui qu'énonce le
professeur R. Dale Gibson dans (1967), 7 Man.
L.J., deux fois cité à la page 379 de l'ouvrage de
M. Hogg. C'est le critère de l'«incapacité provin-
ciale» selon lequel, si un problème de grande
importance pour le Canada ne peut être résolu de
façon réaliste par la coopération provinciale, parce
que les provinces ne sont pas en pouvoir d'y faire
face, la matière tombe dans le champ «intérêt
national» de la clause relative à la paix, à l'ordre et
au bon gouvernement. On peut noter que, dans sa
dissidence, le juge Dickson a justement appliqué
un tel critère pour déterminer la teneur de la
compétence en matière d'échanges et de commerce
qu'il a étudiée dans l'arrêt Procureur général du
Canada c. Transports Nationaux du Canada,
Ltée, précité.
Si l'on applique ici le critère de l'incapacité
provinciale, il est manifeste que la distribution en
vue de la consommation à travers le Canada de
drogues potentiellement nocives et de drogues nou-
velles échappe réellement au contrôle des provin
ces, même au royaume du droit uniforme. Le droit
uniforme n'entraîne pas nécessairement des orga-
nismes uniformes de réglementation. C'est dire
que, pour faire échouer les tentatives provinciales
de protection du public contre les drogues et les
drogues nouvelles potentiellement dangereuses et
étiquetées de façon mensongère, il suffirait qu'une
seule province se refuse à légiférer ou à créer des
organismes de réglementation bien motivés. Selon
l'article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867,
«Tous articles ... en provenance d'une province...
qui y sont ... fabriqués, seront ... admis en
franchise dans chacune des autres provinces.» Les
habitants de toutes les provinces pourraient ainsi
faire venir de telles drogues de la ou des provinces
rétives ou les y acheter.
L'article C.01.014.2 du Règlement, qui déplaît
tant aux demanderesses, illustre ce point. Si le
requérant satisfait aux exigences, un DIN est déli-
vré qui sert à identifier le produit et ses ingrédients
dans tout le Canada. Si, se fondant sur la requête
et ses propres connaissances, le directeur a de
bonnes raisons de croire que le produit n'est pas
une drogue ou est une drogue nuisible ou dange-
reuse, il peut légitimement refuser de délivrer le
document portant un nouveau DIN. Ces raisons
commandent que le refus soit motivé et communi-
qué. Dans de telles circonstances, le règlement
invite le requérant à fournir des renseignements
supplémentaires de sorte que le directeur puisse
reconsidérer sa première décision. De cette façon,
la santé des personnes peut être protégée partout
au Canada ou ne pas l'être, il faut l'admettre, si le
directeur se montre négligent. En outre, de cette
façon, les demandes de DIN émanant de tout le
canada peuvent être vérifiées et approuvées ou
rejetées selon des critères normalisés. Ce n'est pas
du droit criminel. Cependant, les prohibitions de
droit criminel doivent être complétées par les
mécanismes plus sensibles et plus raffinés des
règlements qui, après tout, évitent aux fabricants
de se heurter au droit criminel quand ils produi-
sent, pour le vendre et le faire ingérer par des
humains, un nouveau produit qui, bien qu'il ne soit
pas absolument prohibé, demeure potentiellement
dangereux. C'est le danger, ou le danger potentiel,
que présentent l'ingestion de substances délétères
ou le fait d'être trompé quant aux quantités et aux
compositions qui fait de cette matière une matière
d'intérêt national. Même parfaitement uniforme,
une législation provinciale accompagnée de règle-
ments n'atteindrait pas son but, à moins que les
législatures provinciales ne s'entendent unanime-
ment sur un organisme administratif unique de
réglementation financé par toutes. Cette unifor-
mité complète et instantanée est réalisée par une
législation émanant du Parlement. Les deux
aspects de «but fédéral» de la présente législation
fédérale sont nécessairement et réciproquement
accessoires l'un à l'autre.
Pour toutes les raisons pertinentes qui précè-
dent, la Cour décide que le sous-alinéa 25(1)o)(ii)
de la Loi des aliments et drogues, ainsi que les
règlements sur le DIN et les drogues nouvelles pris
sous son empire, relèvent de la compétence du
Parlement en vertu de son pouvoir de faire des lois
pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du
Canada. Il s'agit là en effet de matières d'intérêt
national.
II. COMPÉTENCE RÉGLEMENTAIRE: Les règle-
ments relatifs au DIN et les règlements sur les
drogues nouvelles sont-ils ultra vires du gou-
verneur en conseil pour une des raisons
suivantes:
Pour examiner cette question, et les arguments
qui l'accompagnent, que nous allons aborder plus
loin, il faut prendre pour acquis, compte tenu des
conclusions tirées antérieurement, que la Loi des
aliments et drogues, avec les règlements cités et
étudiés plus haut, relève bien de la compétence du
Parlement. La question à trancher est donc
celle-ci: le Parlement a-t-il conféré au gouverneur
général en conseil le pouvoir d'adopter ces règle-
ments ou celui-ci a-t-il outrepassé son mandat? Si
le gouverneur en conseil a vraiment outrepassé son
mandat, soit par rapport aux pouvoirs conférés par
la Loi, soit par rapport aux propres pouvoirs du
Parlement, il faudra donc en conclure que les
règlements attaqués sont, dans cette mesure, ultra
vires du gouverneur en conseil.
Le procureur des demanderesses a sans doute
raison lorsqu'il déclare (transcription 2, pages 2 à
4) que les questions formulées aux paragraphes II
A., II C. et IV ne sont que des variantes de la
question II B., c'est-à-dire, que les dispositions
réglementaires attaquées sont vagues et ne con-
tiennent aucune norme objective. Toutes ces ques
tions ont néanmoins été vivement débattues par les
parties. Nous allons examiner un à un tous les
motifs invoqués par les demanderesses pour con-
tester la validité de ces règlements.
II A.: Ces règlements créent-ils un système d'au-
torisation que n'autorise pas l'article 25 de
la Loi des aliments et drogues?
La demanderesse Jamieson conteste les règle-
ments relatifs au DIN et les règlements sur les
drogues nouvelles, tandis que les demanderesses
Pharmetics et Swiss Herbal contestent uniquement
ces derniers règlements. Les règlements relatifs au
DIN ont été apparemment promulgués aux termes
des sous-alinéas 25 (1)b) (i), (iii) et (iv) de la Loi
des aliments et drogues; les règlements sur les
drogues nouvelles ont été apparemment promul-
gués en vertu des sous-alinéas 25(1)o)(i) et (ii).
Les règlements adoptés en vertu du sous-alinéa (i)
ne sont pas visés ici, comme l'indique la transcrip
tion 2, aux pages 11 à 13. Nous avons cité plus
haut ces dispositions législatives ainsi que les règle-
ments attaqués. Ces textes sont trop longs pour
qu'on les reprenne ici. Il convient néanmoins de
mentionner à nouveau que les pouvoirs conférés au
gouverneur en conseil en matière de règlements
aux termes de l'article 25 doivent être exercés
«pour l'exécution des objets et l'application effec
tive des dispositions de la présente loi». En outre,
l'alinéa 25(1)b) délègue le pouvoir particulier
d'établir à l'égard d'aliments, de drogues, de cos-
métiques et d'instruments des règlements du genre
précisé dans cette disposition de façon à empêcher
que le consommateur ne soit trompé et à prévenir
tout dommage à sa santé.
Le procureur des demanderesses reconnaît que
si les règlements relatifs au DIN se limitaient aux
dispositions des articles C.01.014 et C.01.014.1, et
en particulier au paragraphe C.01.014.1(2): [TRA-
DUCTION] «je ne pense pas que nous serions ici
aujourd'hui.» (Transcription 2, page 15.) Les
demanderesses ne critiquent pas non plus le para-
graphe C.01.014.2(1).
Par contre, les demanderesses s'opposent forte-
ment au paragraphe C.01.014.2(2), qui autorise le
directeur de la D.G.P.S. à «refuser de remettre le
document [le DIN] visé au [paragraphe]
C.01.014.2(1)]» s'il a de bonnes raisons» de le
faire. Cette disposition attaquée, le paragraphe
C.01.014.2(2), semble entrer en application lors-
que le directeur croit pour des motifs énumérés
que le produit pour lequel on demande un DIN
C.01.014.2. (2) ...
a) n'est pas une drogue; ou
b) est une drogue dont la vente nuirait à la santé du consom-
mateur ou de l'acheteur ou enfreindrait la Loi ou le présent
règlement.
L'alinéa b) est mal rédigé. La vente seule pourrait
constituer une violation de la loi, mais il est évi-
dent que seule la consommation (ou le fait de se
trouver à proximité du produit, si celui-ci est vola
tile ou radioactif) pourrait nuire à la santé du
consommateur (ou de l'acheteur). Cependant, la
Cour ne pourrait déclarer que cet alinéa n'est pas
valide pour ce motif, parce qu'il serait difficile
d'affirmer que le sens de la disposition ou l'inten-
tion du législateur ne sont pas clairs. Les demande-
resses soutiennent que l'alinéa C.01.014.2(2)b) est
vague et imprécis parce que, d'après elles, il ne
prescrit aucune norme permettant de déterminer
ce qui constitue un préjudice à la santé du consom-
mateur. (Transcription 2, page 18.) Elles soutien-
nent qu'un produit aussi inoffensif que l'aspirine
pourrait bien être visé par cet alinéa. (Pièce 3,
contre-interrogatoire de Simon Young, page 31.)
Il est possible que l'aspirine (acide acétylsalicyli-
que ou ASA) devrait être réglementée davantage
mais cette question n'est pas en litige ici.
Pour ce qui est des règlements sur les drogues
nouvelles, les définitions contenues aux alinéas
C.08.001a), b) et c) comportent toutes la restric
tion selon laquelle la drogue ou l'association de
drogues
... n'a pas été vendue comme drogue au Canada pendant assez
longtemps et en quantité suffisante pour établir, au Canada,
l'innocuité et l'efficacité de ladite substance [association, pro
portion ou mode d'emploi] employée comme drogue,
Le procureur des demanderesses soutient à propos
de cette restriction générale que [TRADUCTION]
«ce règlement ne contient aucun élément sur lequel
un citoyen ordinaire pourrait se guider pour déter-
miner ce qu'est une période et une quantité suffi-
santes pour une drogue donnée». (Transcription 2,
page 23.)
Les demanderesses critiquent également l'alinéa
C.08.002(1)a) parce qu'il exige le dépôt d'une
présentation de drogue nouvelle «sous une forme,
d'une manière et dans une teneur jugées satisfai-
santes par le Ministre». En outre, le paragraphe
C.08.002(2) exige que cette présentation contienne
«tous les renseignements et tout matériel que le
Directeur jugera nécessaires et, sans limiter la
généralité de ce qui précède, elle doit contenir» les
renseignements et le matériel énumérés aux ali-
néas a) à n). Le procureur des demanderesses a
spécialement fait état de deux alinéas qui revêtent
une importance particulière pour l'issue de cette
affaire. Les voici:
C.08.002. (2) ...
g) les rapports détaillés des épreuves effectuées en vue d'éta-
blir l'innocuité de la drogue nouvelle, aux fins et selon le
mode d'emploi recommandés [par le fabricant];
h) des preuves substantielles de l'efficacité clinique de la
drogue nouvelle aux fins et selon le mode d'emploi recom-
mandés [là encore, par le fabricant];
Il convient de noter à ce sujet l'exception prévue
au paragraphe C.08.005(1) qui permet à un fabri-
cant de vendre une drogue nouvelle à des «cher-
cheurs compétents», à seule fin d'effectuer des
épreuves cliniques en vue d'obtenir des preuves
relativement à l'innocuité, à la posologie ou à
l'efficacité de la drogue nouvelle», si certaines
conditions raisonnables énumérées dans cette dis
position sont remplies. Cependant, le paragraphe
C.08.005(3) autorise le ministre à interdire ce type
de vente s'il estime que «cette mesure est dans
l'intérêt de la santé publique». Les demanderesses
reconnaissent que, si cette Loi a été validement
adoptée par le Parlement, comme c'est le cas, tel
que déjà décidé ici: [TRADUCTION] «le Parlement
aurait pu de façon fort légitime rédiger cette dis
position en ces termes mais ce n'est pas ce qu'il a
choisi de faire». (Transcription 2, pages 28 et 29.)
Les demanderesses critiquent le fait que ce type
de règlement revient à dire que le ministre et le
directeur doivent être convaincus de l'innocuité et
de l'efficacité de la drogue ou de la substance. Ils
soutiennent que: [TRADUCTION] «pour que les
règlements soient valides, il faut qu'ils soient suffi-
samment précis pour qu'un citoyen ordinaire sache
à l'avance, à la simple lecture du règlement, ce qui
est requis de lui, quels sont les critères qu'il doit
satisfaire pour obtenir un DIN ou, dans le cas d'une
drogue nouvelle, un avis de conformité».
Ces règlements constituent-ils un système d'au-
torisation que n'autorise pas l'article 25 de la Loi
des aliments et drogues? Ils ne le constituent pas.
Les procureurs des demanderesses ont cité, à
l'appui de leurs arguments, une quantité impres-
sionnante de doctrine et de jurisprudence. Il con-
vient de noter que cette doctrine et cette jurispru
dence concernent presque uniquement les
règlements municipaux. Nous les examinerons à
l'occasion de la question en litige suivante, la
question II B. qui porte sur l'absence de normes
objectives et le caractère trop imprécis de ces
règlements.
Les demanderesses affirment que ces règlements
constituent un système d'autorisation illégal
(transcription 2, pages 118 121 et suivantes)
parce que le ministre et le directeur ont le pouvoir
de refuser un DIN ou un avis de conformité pour
une drogue nouvelle, s'ils estiment que les présen-
tations enfreignent la Loi ou le Règlement et parce
qu'ils ont le pouvoir d'exiger un supplément de
renseignements ou de matériel.
Les demanderesses invoquent principalement la
décision de la Haute Cour de l'Ontario prononcée
dans l'affaire Re Imperial Oil Limited and The
City of Kingston, [1955] O.W.N. 767 (H.C.),
dans laquelle affirment-elles: [TRADUCTION] «la
question est formulée de façon fort succincte».
(Transcription 2, page 119.) Le texte de cette
décision est très court. (Recueil des autorités des
demanderesses, Partie III, section 1.) Y figure un
renvoi au sujet [TRADUCTION] «Corporations
municipales—Pouvoirs réglementaires» de l'index,
et l'extrait retenu se lit ainsi:
[TRADUCTION] Les décisions qui ont été citées par l'avocat
du requérant dans ses arguments établissent que si la loi
ontarienne The Municipal Act, R.S.O. 1950, chap. 234,
accorde aux municipalités le pouvoir de réglementer et d'inter-
dire les sujets énumérés dans la clause 16 de l'art. 388, ce
pouvoir n'emporte pas celui d'ajouter au règlement une disposi
tion exigeant une autre autorisation. Les arrêts mentionnés
étaient City of Toronto v. Mandelbaum, [1932] O.R. 552,
[1932] 3 D.L.R. 604, et Donald v. The Town of Whitby,
[1949] O.R. 44, [1949] 1 D.L.R. 361. La raison d'être de cette
règle parait évidente et salutaire à la fois, parce que, si une
municipalité pouvait adopter un règlement et exiger ensuite
d'un requérant qu'il obtienne une autorisation supplémentaire,
cela ouvrirait la porte à la discrimination.
Cet extrait ne contient pas la ratio complète de la
décision. Il ressort des paragraphes suivants que la
ville a invoqué à tort une certaine clause pour
refuser la permission d'entreposer une substance,
de l'essence, qui était en fait visée par une autre
clause. Le texte parle bien [TRADUCTION] de
«l'émission d'un permis» mais ne parle pas d'un
système d'autorisation.
L'arrêt Imperial Oil and Kingston établit en
fait, dans le contexte du droit municipal, que,
lorsqu'un règlement exige l'autorisation d'un fonc-
tionnaire désigné (voire de plusieurs), la corpora
tion ne peut ensuite exiger, sans autre justification,
l'autorisation supplémentaire d'un autre fonction-
naire, ni même celle du conseil municipal. Cette
décision n'affecte aucunement la validité du
Règlement sur les aliments et drogues. Ce Règle-
ment exige dans certains cas précis l'autorisation
du ministre ou du directeur qui sont des représen-
tants désignés par le Règlement. À l'exception des
fonctionnaires qui ont pour tâche de les aider, et
qui agissent, il convient de le noter, sous leur
direction et leur responsabilité, il n'est aucunement
besoin de demander un DIN ou un avis de confor-
mité à un autre représentant, un autre organisme
ou conseil. Le Règlement sur les aliments et dro-
gues respecte pleinement la décision citée.
En outre, ces règlements visent à réglementer la
mise en circulation de drogues, substances ou pro-
duits ainsi que les déclarations concernant leurs
propriétés et modes d'emploi. Les règlements ne
visent pas à contrôler par l'émission de permis
l'existence ou l'organisation commerciales des
fabricants et des vendeurs de drogues, ni leur
personnel de vente, ni la structure de leur prix. Ces
règlements n'ont rien à voir avec l'autorisation
d'exercer ce genre d'activité. Il ne constitue abso-
lument pas un système d'autorisation. Sur ce point,
ils ne font que découler du pouvoir réglementaire
conféré au gouverneur en conseil par la loi habili-
tante du Parlement, la Loi des aliments et
drogues.
II B.: Les règlements ne fixent-ils aucune norme
objective et sont-ils trop imprécis?
C'est là le principal motif de contestation du
Règlement par les demanderesses. Elles affirment
que les règlements sur le DIN et les règlements sur
les drogues nouvelles sont ultra vires parce qu'ils
sont trop vagues. Elles citent sur ce point l'ouvrage
de feu l'honorable Louis-Philippe Pigeon, Rédac-
tion et Interprétation des Lois. Cet auteur éminent
a écrit un chapitre pénétrant intitulé DELEGATUS
NON POTEST DELEGARE, dont voici les passages
essentiels que l'on trouvera aux pages 25 et 26:
On peut bien charger un fonctionnaire de vérifier l'observance
des normes, mais on ne peut pas lui déléguer le pouvoir de les
faire.
La décision capitale sur ce point est ...: Vic Restaurant c.
Montréal, (1959 R.C.S., 58). Il s'agissait du règlement pour les
permis de restaurants ... Le permis avait été refusé parce que
le chef de police avait refusé de donner la recommandation.
Qu'est-ce que la Cour suprême a dit? Eh bien elle a fait tout
simplement observer que le règlement n'établissait pas de
normes. On a dit ceci: «no standard, rule or condition is
prescribed» ... C'est lui [le chef de police] qui va faire le
règlement, puisqu'on dit «le permis ne sera pas accordé si vous
n'accordez pas votre recommandation et votre recommandation
vous l'accorderez ou la refuserez selon votre bon plaisir.» ...
Les municipalités ont le pouvoir de réglementer toutes sortes de
choses en cette matière, mais il faut que les normes soient
énoncées dans le document décrété par le conseil municipal ou
dans une annexe qui en fait partie ... Ce qui n'est pas permis,
c'est de ne pas établir les normes et par conséquent de charger
un fonctionnaire de les établir à la place du conseil en lui
déléguant le pouvoir d'accorder le permis ou de le refuser à sa
discrétion. Pour qu'il n'y ait pas de délégation de pouvoir, il
faut que le fonctionnaire soit chargé de vérifier l'observance de
normes prescrites et non pas l'observance de directives inexis-
tantes ou encore de directives imprécises. Évidemment personne
ne peut dire à priori à quel point la directive est tellement
imprécise qu'elle équivaut à une délégation de pouvoir; le
critère, c'est savoir si une personne raisonnable peut, en fonc-
tion du texte, décider si oui ou non on s'est conformé au
règlement.
Les extraits que nous venons de citer figurent dans
le recueil des autorités des demanderesses, Partie
II, section 1.
Il convient de noter que cet auteur parle de
règlement adopté par un conseil municipal et ce,
dans l'ensemble du chapitre dont sont extraits les
passages cités plus haut. Les principes juridiques
applicables sur ce point ne sont pas très clairs et
sont bien souvent mal compris. Les demanderesses
ont cité un certain nombre de décisions judiciaires
pour appuyer leur argument selon lequel un règle-
ment doit définir de façon précise les conditions
exigées pour son observation sans quoi le règle-
ment peut être déclaré invalide parce qu'il est trop
imprécis. Voici une liste partielle de ces décisions:
Comité d'administration du régime de rentes c. La
Régie des rentes, non publiée, 500-05-024078-782,
6 novembre 1979 (C.S. Qué.); Cie Miron Liée c.
R., [1979] C.A. 36; R. v. Sandler (1971), 21
D.L.R. (3d) 286 (C.A. Ont.); Montreal Gazette
Ltd. c. Ville de Montréal, [1975] C.S. 686 (appel
rejeté, non publié, 500-09-00910-752 C.A.M., 27
février 1981); Corporation municipale du village
de Rimouski Est c. Corporation municipale de la
cité de Rimouski et P. G. du Québec, [1976] C.S.
485; Re Campeau Corporation and City of Ottawa
(1978), 22 O.R. (2d) 40 (C. div.); et City of
Dartmouth v. S. S. Kresge Co. Ltd. (1966), 58
D.L.R. (2d) 229 (C.S.N.-E.). Notons que toutes
ces affaires portaient sur des règlements munici-
paux. Il est effectivement possible qu'un règlement
municipal puisse être déclaré invalide parce qu'il
est trop vague et imprécis; c'est bien là le principe
qui était posé dans l'affaire Kruse v. Johnson,
[1898] 2 Q.B. 91 (C. div.). Par contre, il n'est pas
du tout certain que les mêmes principes s'appli-
quent aux règlements adoptés par le gouverneur en
conseil.
Dans la section 2 de la Partie II de leur recueil
des autorités les demanderesses ont reproduit les
pages 319 et 320 de l'ouvrage de M. Patrice
Garant intitulé Droit administratif; 2 e éd., Mont-
réal: Éditions Yvon Biais Inc., 1985. À la page
319, cet auteur écrit:
Certes, il faut prendre garde au fait que cette cause de nullité a
traditionnellement été considérée comme étant «propre aux
règlements adoptés par des autorités non centrales telles des
corporations municipales et professionnelles».' 46 Toutefois, il est
arrivé que certains arrêts, dans la jurisprudence relative au
contrôle de la rationalité, aient bien laissé entendre qu'on
pourrait contrôler tout règlement pour cause d'imprécision,
même celui émanant de l'autorité gouvernementale. 147 Puis le
principe a été graduellement appliqué par la Cour supérieure.' 46
*146 COTÉ et LORD, op. cit., note 145, p. 30; DE SMITH, Judicial
Review of Administrative Action, 3e éd., London, Stevens
and Sons, 1973, p. 312.
*147 McEldowney c. Forde, [1971] A.C. 632; P. G. du Québec
c. Raymond Godbout, C.S. Québec, n° 200-05-004182-759,
13 juin 1977.
*148 Rimouski Est c. Cité de Rimouski, [1976] C.S. 485,
Fontainehead Fun Centre c. Ville de Montréal, J.E.
78-393; Fontainehead Fun Center c. Ville St-Laurent,
[1979] C.S. 132.
Les décisions citées figurant à la note 148 sont
également des affaires de droit municipal.
À la note 146, le professeur Garant cite la
troisième édition de l'ouvrage de De Smith. Le
raisonnement auquel l'auteur fait allusion figure
également dans la quatrième édition: S. A. De
Smith, Judicial Review of Administrative Action,
4» éd. par J. M. Evans, London: Stevens & Sons,
1980, aux pages 354 et 355 :
[TRADUCTION] On prend souvent pour acquis que la validité
des textes réglementaires adoptés par les ministres ou Sa
Majesté en conseil ne dépend pas de leur caractère raisonnable.
Lorsqu'un tribunal pense qu'un texte réglementaire ou un
règlement ministériel est scandaleux, il peut le déclarer ultra
vires mais il est probable que sa nullité ne sera pas attribuée à
son seul caractère déraisonnable. Il n'existe cependant aucune
raison de principe pour laquelle un texte réglementaire mani-
festement déraisonnable ne devrait pas être déclaré ultra vires
pour cette seule raison, pourvu que le secteur d'activité visé par
cette délégation de pouvoir ne fasse pas directement, appel à des
considérations «d'intérêt général», ce qui pourrait rendre inop
portune l'application d'une telle norme.
Il est évident qu'un texte réglementaire adopté par
le gouverneur en conseil risque d'être déclaré illé-
gal s'il n'entretient aucun rapport discernable avec
le sujet de la loi ou l'objet pour lequel le pouvoir
réglementaire est conféré par elle; ou s'il est con-
traire à la Constitution; ou s'il conseille ou exige la
perpétration d'une infraction; ou s'il est tout sim-
plement incompréhensible ou d'application trop
incertaine.
Un règlement adopté par le pouvoir exécutif en
vertu d'une loi valide, qu'elle soit fédérale ou
provinciale, est cependant mieux protégé contre
l'annulation par les tribunaux que ne le serait le
règlement d'une corporation municipale. Cet argu
ment a été avancé dans l'affaire Aerlinte Eireann
Teoranta c. Canada, [1987] 3 C.F. 383 (1" inst.).
Notre droit public faisant partie de la common
law, il convient de noter que les tribunaux de
common law établissent traditionnellement une
distinction entre les règlements d'application d'une
loi et les règlements municipaux. M. le professeur
Driedger fait état de cette distinction: ces derniers
règlements sont adoptés par des assemblées exer-
çant un pouvoir législatif délégué ou par d'autres
organismes comme les universités ou les corpora
tions professionnelles qui ont été créées par une
assemblée législative mais qui ne sont pas directe-
ment responsables devant cette assemblée ou le
gouvernement, alors que de leur côté les règle-
ments sont adoptés par l'exécutif qui doit en
répondre devant l'assemblée législative. («Subordi-
nate Legislation» par Elmer A. Driedger (1960),
38 R. du B. Can. 1, à la page 2.)
Dans son traité intitulé Statutory Interpreta
tion, London: Butterworths 1984, à la page 144,
F.A.R. Bennion qualifie cette distinction d'«illogi-
que» mais il l'explique malgré tout. MM. René
Dussault et Louis Borgeat abordent à la page 422
de leur ouvrage Administrative Law: A Treatise,
traduction de M. Rankin, Toronto: Carswell, 1985,
la question de l'imprécision. Ils mentionnent l'exis-
tence d'un principe qui exigerait [TRADUCTION]
«une certaine précision et des détails» et poursui-
vent en disant que: [TRADUCTION] «A l'heure
actuelle, les tribunaux appliquent ce principe de
façon tout à fait rigoureuse, en particulier mais
non pas exclusivement dans les affaires municipa-
les.» Les exemples donnés concernant l'application
de ce principe concernent tous des affaires mettant
en cause soit des municipalités, soit des corpora
tions professionnelles. Quoi qu'il en soit, ces insti
tutions ont un caractère provincial et local et il ne
convient peut-être pas de comparer et d'opposer les
règles qu'elles peuvent adopter aux textes régle-
mentaires qui relèvent du Parlement.
Il convient de noter qu'on n'a pas cité ici les
affaires dans lesquelles les tribunaux ont déclaré
que les règlements et les autres formes de législa-
tion subordonnée émanant de l'exécutif ne pou-
vaient être contestés pour des motifs d'imprécision
ou en raison de leur caractère déraisonnable.
(Bacon v. Ont. Flue- Cured Tobacco Growers
Marketing Bd., [1959] O.W.N. 256 (H.C.);
Remis v. Fontaine, [1951] 2 D.L.R. 461 (C.A.
Man.); Sparks v. Edward Ash, Ld., [1943] K.B.
223 (C.A); Taylor v. Brighton Borough Council,
[1947] K.B. 736 (C.A).)
Cependant, si cette distinction bien que recon-
nue en droit, est, comme l'affirme Bennion, illogi-
que, elle n'est pourtant pas complètement injusti-
fiée ou absurde. Les «assemblées» municipales
s'inspirent plutôt du régime présidentiel puisque
leur exécutif est élu pour un terme fixe, même s'il
perd la confiance des élus du peuple. Les assem
blées provinciales et fédérales sont par contre de
nature parlementaire puisque l'exécutif est respon-
sable devant elles et doit conserver la confiance des
représentants élus ou démissionner. M. Bennion
affirme à la page 204, op. cit.:
[TRADUCTION] [Pour ce qui est de la nullité pour imprécision]
l'autorité qui interprète ce texte ne peut le déclarer nul pour
imprécision pour le seul fait qu'il contient un terme dont le sens
est trop large ou une expression ambiguë. C'est à cette autorité
de résoudre l'imprécision ... Une règle parallèle s'applique à
l'imprécision constatée dans les textes réglementaires et la
plupart des législations déléguées ... Il en va différemment
cependant des règlements municipaux. Un règlement municipal
peut toujours être annulé s'il est rédigé de façon imprécise.
Ce passage formule de façon satisfaisante les prin-
cipes applicables, à l'exception, bien entendu, des
lacunes majeures que nous avons signalées plus
haut.
Pour ce qui est du paragraphe C.01.014.2(2),
qui autorise le directeur à «refuser de remettre le
[DIN] ... s'il a de bonnes raisons de croire» que le
produit en question «nuirait à la santé du consom-
mateur» ou que sa vente «enfreindrait la Loi ou le
présent règlement», il m'apparaît que cette disposi
tion est tout à fait raisonnable et conforme aux
objets et à l'intention de la législation. Cette dispo
sition est suffisamment claire pour les demanderes-
ses et les autres fabricants et vendeurs de ce
secteur industriel.
Les procureurs des demanderesses voudraient
faire passer leurs clientes pour des parangons de
candeur et d'innocence. Cette remarque vaut pour
tous les arguments qu'ils ont présentés pour con-
tester ces règlements. Les demanderesses et leurs
consoeurs ne sont pas des personnes ordinaires,
comme voudraient l'établir les procureurs des
demanderesses pour contester la précision et la
clarté des règlements. Le Règlement ne s'adresse
pas à la personne ordinaire, moyenne—ou même
au-dessus de la moyenne—que l'on pourrait ren-
contrer par hasard dans la rue ou ailleurs. La Loi
et le Règlement ont pour objectif de réglementer
les drogues et les autres substances mises en circu
lation par les personnes qui les fabriquent et les
vendent. Le système d'autorisation en place n'est
pas conçu pour interdire à une personne ordinaire
de se mettre à fabriquer ou à vendre des drogues
ou d'exercer ces activités, bien entendu, mais ceux
qui les exercent doivent savoir ce qu'ils font.
De la même façon, les règlements internes d'une
corporation professionnelle qui répriment les
infractions disciplinaires ou réglementent la tenue
des comptes (bien qu'ils fassent véritablement
partie d'un système d'autorisation) ne s'adressent
pas à une personne que l'on rencontrerait au
hasard dans un centre commercial mais ils visent
les personnes qui exercent ces professions libérales.
Ces personnes ne pourraient soutenir de façon
crédible qu'elles ne sont que des personnes ordinai-
res et prétendre ensuite que la notion d'infraction
disciplinaire est, par exemple, bien trop générale,
vague ou imprécise pour qu'une personne ordinaire
comme elles puisse la comprendre. Il est bien
évident qu'il n'est pas question de politique de
quartier, de jalousies locales ou d'excès de zèle
municipal lorsqu'il s'agit de l'exercice de pouvoirs
réglementaires par une autorité fédérale.
La Cour ne peut annuler ce genre de texte
réglementaire parce qu'on le prétend imprécis. Il
paraît légitime de penser que la personne qui
désire commercialiser une drogue ou une drogue
nouvelle doit avoir une certaine connaissance des
propriétés de son produit. Si le requérant n'en sait
pas suffisamment et si le directeur entretient un
doute raisonnable sur les dangers que ce produit
pourrait causer à la santé ou si le directeur pense
que sa mise en marché enfreindrait la Loi ou le
Règlement, il ne risque pas de troubler indûment
le requérant en refusant de lui attribuer un DIN.
En vérité, le requérant ne subit pas un refus défini-
tif, dans un tel cas, puisque les paragraphes
C.01.014.2(3) et (4) invitent le directeur et le
requérant au dialogue. En fait le règlement indi-
que clairement au requérant qu'il doit fournir au
directeur tous les renseignements qu'il est en
mesure de lui communiquer concernant les pro-
priétés de la drogue et du produit. Les exigences de
base en matière d'information sont précisées au
paragraphe C.01.014.1(2), disposition que ne con-
testent pas les demanderesses. Les dispositions du
paragraphe C.01.014.2(2) autorisant le directeur à
refuser le DIN dans le seul cas où il a de bonnes
raisons de le faire, exigent également que le direc-
teur communique au requérant ses motifs. Le mes
sage est clairement transmis, tout comme l'invita-
tion lancée au requérant à rassurer le directeur.
Par conséquent, il n'est pas possible d'affirmer que
le règlement n'est pas clair ou trop imprécis pour
le «requérant» dans le contexte de cette Loi, de ces
règlements et de ce secteur d'activité.
Les demanderesses prétendent également que les
règlements sur les nouvelles drogues ne contien-
nent aucune norme objective et qu'ils sont donc
invalides parce que trop vagues et trop imprécis.
Les définitions de drogues nouvelles qui figurent
aux alinéas C.08.001 a), b) et c) ont en commun
une restriction, savoir le fait de ne pas avoir été
vendues comme drogue au Canada pendant assez
longtemps et en quantité suffisante pour établir au
Canada leur innocuité et leur efficacité. Les preu-
ves présentées ici, sinon les faits ordinairement
connus, indiquent que les fabricants essayent pres-
que constamment de mettre en circulation des
drogues nouvelles, dans le cadre de leurs program
mes de recherche et de développement. L'objectif
parfaitement constitutionnel de cette législation est
de réglementer ces produits et leur mise en circula
tion pour protéger la santé et les attentes médica-
les du public. Il paraît naturel de n'accepter de
nouvelles drogues qu'avec une grande prudence.
C'est sans doute pourquoi la définition des mots
«aliment» et «drogue» procède par énumération
sans tenter de déterminer quelles pourraient être
les substances visées à l'avenir. Cette législation
exige que l'on établisse l'innocuité et l'efficacité de
ces drogues et de leurs associations. Il s'agit là de
questions que le vendeur et le fabricant en particu-
lier doivent connaître. Il s'agit là de questions que
doivent se poser le vendeur et le fabricant pour
ensuite communiquer au directeur ce qu'ils ont
appris.
Ces règlements qui respectent parfaitement les
objets et l'intention de la législation ont pour but
d'empêcher les campagnes éclair de vente et de
publicité lancées sans qu'on ait déterminé les pro-
priétés et les effets des drogues nouvelles que l'on
entend vendre et annoncer. L'essentiel dans ce
cas-ci est l'innocuité et l'efficacité de ces drogues.
C'est à la personne, firme ou société qui dépose
une présentation de drogue nouvelle de décider du
moment opportun pour le faire en fonction de la
durée et de la quantité des ventes de ce produit au
Canada.
Il est possible de déterminer l'innocuité et l'effi-
cacité des drogues nouvelles, et bien sûr de n'im-
porte quelle drogue, en procédant à des tests scien-
tifiques comme le mentionnent les alinéas
C.08.002(2)g) et h). Il est vrai que ces tests scien-
tifiques semblent faire partie d'un domaine de
nature locale et privée et à ce titre, soumis aux
règlements provinciaux et à la réglementation des
professions de la santé. Les règlements attaqués
n'ont pas pour objet de réglementer ces questions
(bien qu'on pourrait éventuellement le justifier en
invoquant la clause relative à la paix, à l'ordre et
au bon gouvernement) mais ils visent plutôt les
résultats de ces tests. Lorsque la D.G.P.S. applique
ce Règlement, elle ne s'occupe pas de la consom-
mation privée de drogues, pourvu qu'elles ne soient
pas interdites ou d'usage restreint. A moins d'être
une Lucrèce Borgia moderne (ce qui relèverait du
droit criminel), un citoyen peut avoir la substance
en question pour son usage personnel. Ainsi le
paragraphe 1 de l'exposé supplémentaire des faits
admis par les parties, versé au dossier, énonce:
[TRADUCTION] 1. La Direction générale de la protection de la
santé ne s'oppose pas à ce que des personnes importent pour
leur usage personnel des quantités raisonnables d'acides
aminés isolés.
Les définitions de «substance alimentaire» ou
«aliment» et de «drogue» qui figurent à l'article 2
de la Loi ne sont pas formulées en termes immua-
bles, elles ne sont même pas mutuellement exclusi
ves. Il est possible d'en déduire que le Parlement
devait être parfaitement au courant du fait que
l'on poursuit activement au Canada et à l'étranger
des recherches sur les aliments et les drogues. Il est
également bien connu que les aliments peuvent
contenir des substance qui, une fois extraites, ont
les propriétés d'une drogue; et on découvre parfois
que des aliments et des drogues auxquels on appli-
que des procédés pharmaceutiques et cliniques
peuvent avoir des effets sur la vie et la santé qu'on
n'avait jamais soupçonnés auparavant. Les preuves
présentées en l'espèce et les déductions que l'on
peut en tirer viennent également confirmer ces
affirmations. La recherche et le développement des
drogues est un domaine changeant où l'on fait
constamment des découvertes.
Il est évident que si le Règlement doit respecter
les objets que poursuit cette loi valide et si le
ministre, le directeur, la D.G.P.S. avec les autres
divisions et bureaux, ainsi que les inspecteurs doi-
vent s'acquitter des fonctions que leur attribue
cette loi, le système de réglementation doit permet-
tre de réagir à de nouvelles découvertes pour s'as-
surer de leur innocuité et être capable de faire en
sorte que le public soit mis au courant des modifi
cations apportées au mode d'emploi d'une drogue
et à son efficacité.
Lors de son interrogatoire préalable par le pro-
cureur des demanderesses (pièce 4), M. Robert
Ferrier, directeur du Bureau des médicaments en
vente libre des défendeurs a donné les réponses
suivantes aux questions qu'on lui posait (10 mai
1985, pages 73, 76, 77, 81 et 82):
[TRADUCTION] 245. Q. Lorsque vous en êtes arrivé à la con
clusion qu'il fallait considérer les produits contenant des acides
aminés isolés comme de nouvelles drogues, sur quelle recom-
mandation vous appuyiez-vous?
R. Et bien, cette conclusion se fondait principalement sur les
recommandations présentées par le D' Armstrong et son
personnel.
[Par. 10 (T-2583-84 et 13 (T-2968-84)—Exposé conjoint modi-
fié des faits admis]—
Pendant les périodes pertinentes à la présente affaire, le D'
Armstrong était le directeur adjoint et chef de la Division de
l'évaluation des médicaments du Bureau des médicaments en
vente libre de la Direction des médicaments et se rapportait à
M. Ferrier.
246. Bon, avait-on rapporté à votre bureau qu'il y avait eu des
incidents dans lesquels des produits contenant des acides
aminés isolés, qu'il s'agisse de ceux de Jamieson ou d'un autre
fabricant, en particulier les produits qui ont été autorisés dans
le cadre d'un traitement d'urgence—vous avait-on rapporté des
cas où ces produits auraient nui aux personnes qui les auraient
consommés?
R. Je ne connais aucun rapport de cette nature.
Il est largement reconnu que le tryptophane-L [un acide
aminé isolé d'après l'acte de procédure et les par. 2 et 6 de
l'exposé conjoint modifié des faits admis] a un certain effet
sédatif. Ce sont là les effets dont font mention les ouvrages de
référence comme Martindales et plusieurs ouvrages canadiens
d'ailleurs. Il est connu que cette substance a cet effet sédatif et
qu'elle a été utilisée dans des établissements psychiatriques
pour traiter certaines psychoses. Ce produit était présenté en
dose pharmaceutique. Y était joint un mode d'emploi et c'est
pourquoi—à cause de ces renseignements—nous avons pensé
qu'il s'agissait d'une drogue et parce que nous n'avions pas de
renseignements suffisants à la Direction générale de la protec
tion de la santé concernant son innocuité et son efficacité, nous
en avons conclu qu'il s'agissait d'une drogue nouvelle.
266. Q. Est-ce que vous et votre bureau considérez que tant
que vous n'avez pas tous les renseignements dont vous avez
besoin concernant une substance, un article ou un produit qui
est mis en marché, il faut déclarer qu'il s'agit d'une drogue
nouvelle ou le placer dans la catégorie des drogues nouvelles?
R. Pas nécessairement. Lorsqu'on nous remet une demande
relative à une nouvelle drogue—demande d'identification
numérique, nous—notre première démarche, à moins que nous
ne disposions des renseignements nécessaires, lorsqu'il s'agit
d'une substance qui nous est inconnue est de demander au
fabricant de nous donner des renseignements supplémentaires
sur cette substance particulière.
267. Q. Mais si, comme dans le cas de la plupart sinon de tous
les produits en cause ici, sauf un peut-être, les demanderesses
n'ont pas demandé d'identification numérique, votre bureau et
vous-même considérez-vous que les produits qu'ils ont commer-
cialisés sont des drogues nouvelles tant que vous n'aurez pas les
renseignements que vous désirez, pour le seul motif qu'ils les
ont mis en vente?
R. En nous fondant sur la façon dont d'autres fabricants,
d'autres requérants ont agi dans le passé, il est probable que
nous considérerions que ces produits sont des drogues parce que
nous connaissons les divers effets que peuvent avoir ces produits
particuliers.
Il ressort de ce témoignage qu'un requérant, un
fabricant ou un vendeur de produits d'aliments
synthétiques ou supplémentaires, et en particulier,
de médicaments, sait exactement ce qu'exige le
Règlement grâce à l'expérience quasi profession-
nelle qu'il a acquise lui-même ou en tant que
fabricant ou vendeur: savoir, communiquer tous les
renseignements concernant le produit, y compris
les épreuves cliniques et les constats d'effets secon-
daires insoupçonnés jusqu'ici. En réalité, le requé-
rant, le fabricant ou le vendeur ne peuvent mettre
un tel produit en circulation sans être disposés à
révéler tous les faits, effets, propriétés, épreuves
cliniques et rapports concernant ce produit. Si l'on
tient compte du fait que le requérant a ou devrait
raisonnablement avoir ces connaissances, il est
impossible d'affirmer que ce requérant (qui n'est
pas monsieur Tout-le-Monde) a à respecter des
règlements imprécis et vagues. Ce genre de requé-
rant informé doit s'attendre à ce que l'on exige de
lui une communication complète de tous les rensei-
gnements qu'il détient.
Compte tenu de ce qui précède et compte tenu
du fait que l'on découvre constamment de nou-
veaux produits ou de nouvelles façons de les utili-
ser à des fins médicales grâce aux efforts de
recherche et de développement, il n'est pas surpre-
nant de noter que le Règlement est administré
conformément au paragraphe 2 de l'exposé supplé-
mentaire des faits admis présenté par les parties:
[TRADUCTION] 2. Que la Direction générale de la protection de
la santé pense que les fabricants sont suffisamment informés
des modifications apportées aux politiques concernant le
caractère acceptable des produits qu'ils fabriquent grâce à
divers mécanismes comme les lettres de renseignements que
fait circuler cette Direction pour annoncer les projets de
modifications des règlements ou les positions du ministère sur
certaines questions.
Un autre mécanisme permettant le dialogue entre la
D.G.P.S. et les fabricants est la procédure de demande d'un
DIN. Il s'agit là d'une première étape visant à vérifier la
conformité. L'importateur doit déterminer l'acceptabilité et
la conformité de la drogue avant de l'importer. Il lui appar-
tient d'adresser toute demande concernant ces produits à la
section de l'inspection des drogues de la D.G.P.S., en premier
lieu.
Compte tenu du genre d'industrie concernée, il
faut en conclure que le Règlement est suffisam-
ment clair et précis. Après tout, on ne peut exiger
la perfection absolue, inaccessible. Il paraît tout à
fait impossible de préciser dans une loi ou un
règlement toutes les découvertes possibles, toutes
les questions et interrogations que peut se poser
légitimement le directeur; même en rédigeant une
encyclopédie, cela ne serait pas possible. Cepen-
dant, les règlements sur le DIN et les drogues
nouvelles sont efficaces. Ils sont suffisamment
clairs et précis pour indiquer au demandeur qu'il
doit communiquer tous les renseignements deman
dés, après quoi le directeur doit décider dans un
délai précis si la demande respecte les critères fixés
par voie législative.
II C.: Les règlements attaqués constituent-ils une
sous-délégation illégale de pouvoir ou en
sont-ils la manifestation?
D'après l'article 2 de la Loi des aliments et
drogues, «Ministre» désigne le ministre de la Santé
nationale et du Bien-être social, qui est membre du
cabinet et dans le gouvernement au pouvoir. Il est
précisé aux paragraphes 8 et 9 de l'exposé conjoint
modifié des faits admis que le directeur au sens du
Règlement est le sous-ministre adjoint du minis-
tère de la Santé nationale et du Bien-être social,
un ministère fédéral qui comprend la D.G.P.S., qui
comprend elle aussi à son tour plusieurs directions.
Le ministre et le directeur sont donc des dépositai-
res tout à fait appropriés des pouvoirs de régle-
mentation limités que leur attribue le règlement.
Compte tenu des exigences imposées par le Règle-
ment à des requérants, fabricants et vendeurs bien
informés et presque des spécialistes, et compte
tenu des mécanismes favorisant le dialogue entre
les intéressés prévus par le Règlement, il n'est pas
possible de reconnaître qu'il y a eu une sous-délé-
gation illégale de ces pouvoirs.
Mais les demanderesses soutiennent que la sous-
délégation au ministre et au directeur des pouvoirs
que le Parlement a conférés au gouverneur en
conseil est illégale. Elles prétendent que, dans la
mesure où le Règlement confère des pouvoirs dis-
crétionnaires à ces deux autorités, ce Règlement
constitue une sous-délégation illégale de la part du
gouverneur en conseil. Les demanderesses affir-
ment que seule la Loi et non pas le Règlement peut
conférer ce genre de pouvoirs discrétionnaires. En
effet, soutiennent les demanderesses, une telle
sous-délégation a pour effet de confier au ministre
et à ses fonctionnaires l'élaboration de normes et
de politique de sorte que ce sont ces personnes et
non le gouverneur en conseil qui adoptent en fait
les règlements.
Les demanderesses invoquent ici la maxime
delegatus non potest delegare. Il s'agit là d'un
principe qui a l'effet d'une présomption en matière
d'interprétation législative et ne constitue pas un
principe juridique; il s'applique en l'absence d'in-
tention contraire de la part du législateur.
Pour ce qui est des fonctions administratives
qu'exercent les gouvernements modernes, il faut
reconnaître que les tribunaux n'ont pas souvent
hésité à constater une telle intention. En fait, ils
ont élaboré un principe particulier leur permettant
de découvrir une intention de sous-déléguer, ainsi
que l'autorité pour ce faire, dans la plupart des
législations conférant des pouvoirs à l'exécutif. La
décision qui fait autorité sur ce point a été pronon-
cée dans l'affaire Carltona Ltd. v. Works Comrs.,
[1943] 2 All E.R. 560 (C.A.). Cette affaire portait
sur un règlement adopté en temps de guerre mais
le tribunal n'a pas déclaré que sa façon de conce-
voir la sous-délégation de pouvoir dépendait de ce
fait-là. Le jugement a été rédigé par lord Greene,
M.R. et contient les passages suivants, aux pages
563 et 564:
[TRADUCTION] Dans le régime de l'administration publique
de ce pays, les fonctions qui sont conférées aux ministres (à bon
droit du point de vue constitutionnel puisque les ministres sont
constitutionnellement responsables) sont si variées qu'aucun
ministre ne pourrait jamais personnellement les remplir . .. Les
tâches imposées aux ministres et les pouvoirs qui leur sont
conférés sont normalement exercés sous leur autorité par les
fonctionnaires responsables du ministère. S'il en était autre-
ment, tout l'appareil de l'État serait paralysé. Constitutionnel-
lement, la décision d'un tel fonctionnaire représente naturelle-
ment la décision du ministre. Le ministre est responsable ...
En l'espèce, c'est au secrétaire adjoint, un haut fonctionnaire
du ministère, qu'on avait confié ... la responsabilité dans ce
domaine et la question à trancher est donc la suivante: ... a-t-il
pris en considération les éléments que le règlement lui deman-
dait de prendre en considération?
Le Parlement qui a autorisé ce règlement a confié à l'exécutif
certains pouvoirs et si ces pouvoirs sont exercés de bonne foi, ils
ne peuvent être contrôlés par les tribunaux.
La Cour suprême du Canada a expressément
adopté le raisonnement utilisé dans Carltona. Par-
lant au nom de la Cour, le juge Dickson (mainte-
nant juge en chef du Canada) s'est exprimé de la
façon suivante aux pages 245 et 246 du jugement
R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238:
Lorsque l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire est confié à un
ministre du gouvernement, on peut alors supposer que les
mesures nécessaires seront prises par les fonctionnaires respon-
sables du ministère et non par le ministre lui-même: Carltona
Ltd. v. Commissioners of Works [1943] 2 All E.R. 560
(C.A.)). De nos jours, les fonctions d'un ministre du gouverne-
ment sont si nombreuses et variées qu'il serait exagéré de
s'attendre à ce qu'il les remplisse personnellement. On doit
présumer que le ministre nommera des sous-ministres et des
fonctionnaires expérimentés et compétents et que ceux-ci, le
ministre étant responsable de leurs actes devant la législature,
s'acquitteront en son nom de fonctions ministérielles dans les
limites des pouvoirs qui leur sont délégués. Toute autre solution
n'aboutirait qu'au chaos administratif et à l'incurie.
Ainsi, lorsque le Parlement confie au gouverneur
en conseil le pouvoir d'adopter des règlements pour
l'exécution des objets et l'application effective des
dispositions de la Loi des aliments et drogues, il
faut présumer que ce Règlement pourra attribuer
certains pouvoirs discrétionnaires et il faut égale-
ment présumer que les décisions seront prises, non
pas par le gouverneur en conseil mais par le minis-
tre responsable, aidé par ses sous-ministres et ses
fonctionnaires expérimentés et compétents, pour
reprendre les termes du juge Dickson.
Il est bien entendu évident que le gouverneur en
conseil n'aurait pu se contenter de confier au
ministre ou au directeur le même pouvoir régle-
mentaire que le Parlement lui avait confié. Il
s'agirait là bien entendu d'une délégation illégale
comme l'a expliqué le juge Laskin (devenu par la
suite juge en chef du Canada) dans l'arrêt Brant
Dairy Co. Ltd. et autre c. Milk Commission of
Ontario et autre, [1973] R.C.S. 131, la page
147. Les faits de cette affaire sont très différents
de ceux de l'espèce présente et elle n'est donc pas
applicable au cas qui nous occupe.
Il convient également d'établir une distinction
avec la décision du juge Larue de la Cour supé-
rieure du Québec dans l'affaire Voyageur Inc. c.
Commission des transports du Québec, [1986]
R.J.Q. 2577 (C.S.), qu'ont citée les demanderesses
conformément à des engagements pris lors du
procès. Dans cette affaire, le règlement attaqué
prévoyait que, pour obtenir un permis de transport
par autobus, le requérant devait établir à la satis
faction de la Commission qu'il était dans l'intérêt
du public de lui délivrer un permis pour le service
qu'il entendait fournir. Il semble que ce règlement
ait confié le soin de régler cette question à la
Commission sans lui demander de tenir compte de
certains éléments permettant de préciser l'intérêt
public, sans faciliter la communication entre les
intéressés en prévoyant le dépôt de renseignements
supplémentaires, comme c'est le cas du Règlement
attaqué ici. Dans la mesure où le règlement con
testé dans l'affaire Voyageur accordait de vastes
pouvoirs discrétionnaires à la Commission, il res-
semble beaucoup au règlement annulé dans l'af-
faire Brant Dairy, mentionnée plus haut. La Cour
n'émet aucune critique à l'égard de l'arrêt Voya-
geur mais constate qu'il n'est pas applicable direc-
tement à la présente espèce.
D'après l'exposé conjoint modifié des faits admis
présenté par les parties, (T-2853-84), l'application
concrète du Règlement se faisait de la façon sui-
vante aux époques en cause:
[TRADUCTION] 15. Le pouvoir de déterminer si un produit
constitue une drogue nouvelle fut délégué au D' Cook par le
sous-ministre adjoint (le «Directeur» aux termes de la Loi des
aliments et drogues), et ce pouvoir a été sous-délégué à M.
Ferrier par le D' Cook.
14. Lorsqu'un produit est placé dans la catégorie des médica-
ments en vente libre, c'est M. Ferrier qui, sur l'avis de son
personnel, estime si le produit constitue une drogue nouvelle.
M. Ferrier décide si un produit constitue une drogue nouvelle.
Il arrive également que des fonctionnaires du ministère lui
demandent de déterminer si un certain produit est une drogue
nouvelle, lorsqu'ils effectuent des enquêtes sur les drogues.
16. Ce sont uniquement les fabricants qui demandent une
identification numérique d'une drogue (DIN) pour un produit
ou les fabricants qui demandent que l'on précise la catégorie à
laquelle appartient un produit donné, à qui l'on fait savoir
habituellement qu'un produit constitue une drogue nouvelle.
17. Le système actuel de DIN est entré en vigueur en juillet
1981 et le Bureau des médicaments en vente libre a été
constitué en 1980.
18. Le ministre n'a jamais reçu de demande de DIN concernant
les produits énumérés dans la déclaration, de la part des
demanderesses.
19. Les défendeurs ont déjà utilisé plusieurs critères pour
déterminer si un produit est une drogue nouvelle au sens de
l'art. C.08.001 du Règlement sur les aliments et drogues.
Certains critères figurent dans les documents suivants, produits
ici à titre de pièces à l'annexe I aux présentes:
a) 1(E-4)
b) 1(E-9)
c) 1(E-10)
Cette liste des critères n'est pas complète. Les défendeurs
exercent une certaine discrétion lorsqu'ils examinent ces
demandes.
20. La politique actuelle des défendeurs est de délivrer un DIN
pour les produits et non pour les substances. [Paragraphes 17 à
23—(T-2968-84)]
Les explications qui figurent dans les pièces citées
plus haut ne font pas penser à une organisation
tentaculaire et despotique mais ces éléments indi-
quent, comme le confirment d'autres preuves, que
cette organisation faisait de son mieux sans réussir
tout à fait à contrôler la montée des nouveaux
produits qui sont constamment fabriqués, étiquetés
et mis en marché au Canada. C'est du moins là
une des conclusions que l'on peut tirer de l'interro-
gatoire préalable de M. Ferrier. Il ressort égale-
ment de cet interrogatoire que la D.G.P.S. souf-
frait d'un manque de direction et de coordination
avant l'arrivée du Dr Armstrong.
Quoi qu'il en soit, le pouvoir d'appréciation
qu'accorde ce Règlement clair et détaillé est fort
limité. Le paragraphe C.01.014.2(1) prévoit que le
directeur accorde un DIN lorsque le requérant
fournit tous les renseignements demandés au para-
graphe C.08.014.1(2) ou aux articles C.08.002 ou
C.10.003. Les seuls motifs de refus, que nous
avons examinés plus haut, doivent être raisonna-
bles et conformes à la Loi et aux autres disposi
tions réglementaires. Aux termes de l'article
C.08.004, le ministre est tenu de délivrer un avis
de conformité ou de faire savoir au fabricant les
raisons pour lesquelles la présentation ou le supplé-
ment n'est pas conforme, et ce, dans un délai de
120 jours. Le ministre est sur ce point soumis au
pouvoir de contrôle des tribunaux qui pourrait
s'exprimer par une ordonnance de mandamus.
Dans les deux cas, le requérant dispose d'un droit
de réponse, ce que nous avons appelé ici «le méca-
nisme de dialogue». Ces pouvoirs délégués n'auto-
risent pas le ministre ou le directeur à faire comme
ils l'entendent: ils ne disposent pas de pouvoirs
discrétionnaires absolus.
La Cour constate qu'il n'y a pas sur ce point de
sous-délégation illégale, comme le prétendent les
demanderesses.
CONCLUSIONS DE LA PARTIE II
La Cour a confirmé la validité de toutes les
dispositions réglementaires attaquées par les
demanderesses; ceci ne veut toutefois pas dire que
ces dispositions soient absolument satisfaisantes à
tous égards. Elles pourraient être améliorées. Pour
détaillées et volumineuses qu'elles soient, elles
pourraient être plus précises sur certains points
mentionnés par les demanderesses. Néanmoins,
après analyse de ces textes et compte tenu des
principes juridiques applicables tels que formulés
par Bennion (précité), de la jurisprudence citée,
notamment des principes formulés dans l'affaire
Brant Dairy (précitée) et dans R. c. Harrison
(précitée), ce Règlement est suffisamment clair et
précis, d'une part, et prévoit des restrictions suffi-
santes aux pouvoirs conférés au ministre et au
directeur, d'autre part, pour que les critiques for-
mulées à son endroit par les demanderesses ne
puissent être retenues.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Les motifs du jugement sur la troisième ques
tion (à savoir si les acides aminés isolés et les
produits à base d'acide aminé constituent des
«drogues nouvelles») occupaient 20 pages du
texte du jugement. Les demanderesses ont pré-
senté des preuves pour établir que ces sub
stances sont des aliments et non des drogues, et
à titre subsidiaire, que si elles sont des drogues,
elles ne constituent pas des «drogues nouvelles».
Le juge a toutefois conclu qu'étant donné l'insuffi-
sance des informations fournies par la demande-
resse, son produit fut considéré, conformément
aux règlements, non seulement comme une
drogue mais aussi comme une «drogue nouvelle».
Les Canadiens ne doivent pas servir de cobayes
pour l'industrie des drogues. Il n'y avait rien d'in-
correct à demander à la demanderesse d'expli-
quer pourquoi elle voulait mettre du tryptophane
dans son produit proposé puisqu'il s'agit d'une
substance pouvant affecter le comportement. Le
fait d'inclure du tryptophane dans le nouveau
produit proposé, capable de lutter contre le stress
disait-on, pouvait fort bien justifier qu'on exige
des renseignements supplémentaires concernant
son innocuité et son efficacité. Le refus d'accor-
der une identification numérique de drogue autori-
sant la mise en vente du produit aux consomma-
teurs était en conséquence amplement justifié et
tout à fait légal. D'après les preuves présentées,
les substances suivantes ont été qualifiées de
«drogues nouvelles»: tryptophane, arginine, phé-
nylalanine, méthionine, ornithine, tyrosine, lysine,
carnitine, histidine. La Cour met en garde de ne
pas considérer cette liste comme constituant une
liste close de «drogues nouvelles».
Quant à la quatrième question, la Cour a conclu
que les règlements concernant les drogues nou-
velles n'ont pas été appliqués de façon injuste. Ils
ont toutefois été appliqués de façon incompé-
tente et ce fait sera pris en considération lors de
l'octroi des dépens. Il aura fallu presque un an
après la première demande de DIN présentée par
Jamieson pour que celle-ci apprenne la véritable
raison du rejet de sa demande. La demanderesse
se voyait appliquer les politiques changeantes de
la Direction générale de la protection de la santé
du ministère de la Santé nationale et du Bien-être
social. On comprend que les demanderesses
aient pensé qu'elles faisaient l'objet d'un traite-
ment arbitraire puisque d'autres fabricants ont
reçu, avant le mois de juillet 1981, des DIN pour
des produits qui contenaient des acides aminés
isolés. Les changements de politiques étaient
autorisés par les règlements. Quoique les défen-
deurs aient admis qu'ils ne savaient pas pourquoi
d'autres produits que les acides aminés avaient
été saisis, ce fait est davantage attribuable à
l'incompétence plutôt qu'à la mauvaise foi et la
saisie était insuffisante pour déclarer que les
règlements avaient été appliqués de façon injuste
et discriminatoire. La conclusion que l'on peut
tirer est que la Direction générale de la protection
de la santé souffrait d'un manque de personnel et
d'un surplus de travail, créant une situation fort
confuse. Toutefois, les demanderesses deman-
dent le contrôle judiciaire de l'exercice de pou-
voirs administratifs de nature discrétionnaire et
les principes juridiques sont clairs. Le décideur ne
doit pas outrepasser les pouvoirs discrétionnaires
qui lui ont été conférés ou en abuser. Ces déci-
deurs ne sont pas liés par leurs décisions ou
politiques antérieures. Un écart inexpliqué par
rapport à une politique antérieure peut néanmois
faire penser qu'il a pu y avoir mauvaise foi. En
l'espèce, qu'on ait demandé aux demanderesses
d'arrêter la vente des produits en question avant
d'autres fabricants peut être fondé sur la plus
grande familiarité qu'avait la Direction générale de
la protection de la santé avec les produits propo-
sés des demanderesses qu'avec ceux des autres
fabricants, en raison de la demande de DIN pré-
sentée à ce moment-là par Jamieson. Il n'est pas
déraisonnable de penser qu'un organisme admi-
nistratif de cette taille oppose une certaine inertie
lorsqu'on lui demande de modifier une réaction
initiale à un changement de politique, pour s'effor-
cer ensuite de faire respecter ces nouvelles politi-
ques par tout un secteur industriel. Un DIN a été
attribué à un produit de la demanderesse (Jamie-
son) ne contenant pas de tryptophane vendu
sous le nom de «Stress -Ease»; la demande visant
à obtenir une ordonnance enjoignant au directeur
d'attribuer un DIN à un produit contenant cette
substance doit être rejetée, le directeur étant
fondé à déclarer qu'un tel produit est une «drogue
nouvelle».
V. APPLICATION DE LA CHARTE: La perquisition
et la saisie effectuées aux termes de l'article 22
de la Loi des aliments et drogues violent-elles
le droit des demanderesses garanti par l'article
8 de la Charte canadienne des droits et libertés
et cet article 22 est-il lui-même contraire à
cette disposition?
L'action T-2968-84 des demanderesses conclut à
une déclaration que la perquisition des locaux de
Jamieson et la saisie de ses produits d'acides
aminés isolés par les inspecteurs des défendeurs
constituent une violation de l'article 8 de la
Charte. Les locaux de Swiss Herbal ont été visités
le jour où les inspecteurs ont saisi les produits de
Jamieson. Les inspecteurs ont signifié à Swiss
Herbal qu'elle devait suspendre la commercialisa
tion de tous les aminoacides isolés et produits
semblables tant que la demanderesse n'aurait pas
satisfait aux exigences des règlements C.08.001 et
suivants, concernant les drogues nouvelles.
(Exposé conjoint modifié des faits, T-2968-84,
paragraphe 31.) Pour les fins du litige, Swiss
Herbal, bien qu'elle ne soit pas un fabricant, est
considérée dans la même position que Jamieson.
Les demanderesses soutiennent que l'article 22
de la Loi des aliments et drogues en vertu duquel
la perquisition et la saisie ont été effectuées, con-
trevenait à l'article 8 de la Charte à l'époque où les
faits donnant lieu au présent litige se sont déroulés.
L'article 22 a par la suite été modifié [S.C. 1985,
chap. 26, art. 12], mais à cette époque il se lisait
comme suit :
PARTIE II
ADMINISTRATION ET MISE
EN APPLICATION
Pouvoirs des inspecteurs
22. (1) Un inspecteur peut, à tout moment raisonnable,
a) pénétrer en tout lieu où il a des motifs raisonnables pour
croire qu'est fabriqué, préparé, conservé, empaqueté ou
emmagasiné un article auquel s'appliquent la présente loi ou
les règlements, examiner cet article et en prendre des échan-
tillons, et examiner toute chose qu'il croit raisonnablement
servir ou de nature à servir à pareille fabrication, prépara-
tion, conservation, empaquetage ou emmagasinage;
b) ouvrir et examiner tout récipient ou colis s'il a des motifs
raisonnables pour croire que ce récipient ou colis contient un
article auquel s'appliquent la présente loi ou les règlements;
c) examiner tout livre, document ou autre registre trouvé en
tout lieu mentionné à l'alinéa a) s'il a des motifs raisonnables
pour croire que ce livre, document ou autre registre contient
quelques indications se rapportant à l'application de la pré-
sente loi à l'égard d'un article que visent la présente loi ou les
règlements, et en prendre des copies ou des extraits; et
d) saisir et détenir, pour la période qui peut être nécessaire,
tout article au moyen duquel ou relativement auquel il croit
raisonnablement qu'une disposition de la présente loi ou des
règlements a été violée.
(2) Aux fins du paragraphe (1) l'expression «article auquel
s'appliquent la présente loi ou les règlements» comprend
a) tout aliment, drogue, cosmétique ou instrument,
b) toute chose utilisée pour la fabrication, la préparation, la
conservation, l'empaquetage ou l'emmagasinage d'un tel arti
cle, et
c) tout matériel d'étiquetage ou d'annonce.
(3) Un inspecteur doit être pourvu d'un certificat officiel le
désignant aux fonctions qu'il occupe et, s'il en est requis en
pénétrant en quelque lieu conformément au paragraphe (1), il
doit produire son certificat à la personne en charge de ce lieu.
(4) Le propriétaire ou la personne en charge d'un lieu où
pénètre un inspecteur conformément au paragraphe (1), ainsi
que toute personne se trouvant en ce lieu, doit prêter à l'inspec-
teur toute l'assistance raisonnable qu'il est en son pouvoir de lui
apporter et lui fournir les renseignements que l'inspecteur peut
raisonnablement exiger.
(5) Nul ne doit entraver un inspecteur dans l'exécution de
ses fonctions en vertu de la présente loi ou des règlements.
(6) Nul ne doit, en connaissance de cause, donner, verbale-
ment ou par écrit, une indication fausse ou trompeuse à un
inspecteur qui exécute ses fonctions en vertu de la présente loi
ou des règlements.
(7) Nul ne doit enlever, changer ou déranger le moindre-
ment un article saisi en vertu de la présente loi, sans l'autorisa-
tion d'un inspecteur.
(8) Tout article saisi en vertu de la présente loi peut, au
choix d'un inspecteur, être gardé ou emmagasiné dans le local
ou lieu où il a été saisi, ou il peut être placé à tout autre endroit
convenable suivant les instructions d'Un inspecteur.
L'article 8 de la Charte prévoit que:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
Les demanderesses mettent en cause la loi. Elles
n'allèguent aucunement que les inspecteurs se sont
mal conduits. Reliant les dispositions de l'article
22 aux règlements concernant les drogues nouvel-
les, les demanderesses soutiennent que toute déci-
sion de perquisitionner et de saisir ou toute perqui-
sition ou saisie serait en soi abusive parce que le
caractère prétendument vague des règlements con-
cernant les drogues nouvelles s'opposerait à ce
qu'un inspecteur puisse jamais avoir «des motifs
raisonnables pour croire» que de nouvelles drogues
sont «fabriqué[es], préparé[es], conservé[es],
empaqueté[es] ou emmagasiné[es]». A part ce pré-
tendu caractère vague, la complexité des règle-
ments pourrait présenter certaines difficultés à ce
sujet. Les demanderesses font de plus observer que
l'article 22 n'exige pas que les inspecteurs se
munissent d'une autorisation préalable de la part
d'une autorité indépendante pour procéder à la
perquisition et à la saisie.
Les défendeurs concèdent que l'article 22
déclare autoriser des perquisitions et saisies sans
mandat mais leur procureur soutient qu'il s'agit là
de situations ou de conditions où une exigence
d'autorisation préalable ne serait elle-même pas
raisonnable. Les défendeurs affirment que l'auto-
rité que confère la loi est elle-même raisonnable et
ne contrevient pas à l'article 8 de la Charte.
Le témoin Eric Margolis, président-directeur
général de la demanderesse Jamieson, a relaté que
[TRADUCTION] «lorsque cette cause a pris nais-
sance et ... de but en blanc un jour les inspecteurs
de la D.G.P.S. sont arrivés dans mon bureau et
nous ont avisés que le tryptophane était une
drogue nouvelle et non un aliment», (transcription
1, page 82). Son témoignage n'a pas porté sur la
perquisition et la saisie contestées dont se plaint
Jamieson. La preuve au sujet de cet incident appa-
raît au paragraphe 30 de l'exposé conjoint modifié
des faits admis dans l'action T-2968-84, qui se lit
comme suit :
[TRADUCTION]
30. Le 17 décembre 1984, les employés du directeur, un des
défendeurs, au nom de la Division de l'inspection des
drogues et de l'hygiène du milieu, ont pénétré dans les
locaux de la demanderesse C.E. Jamieson & Co. (Domi-
nion) Ltd. et ont saisi les produits d'acides aminés énumé-
rés à l'inventaire de saisie annexé aux présentes sous la cote
[1(E-29)].
Les admissions ne font état que des «locaux» de
Jamieson et n'indiquent pas qu'un bureau privé ait
fait l'objet d'une perquisition pour fins de saisie.
La pièce 1(E-29) démontre plutôt que de nom-
breuses caisses (boites d'empaquetage?) et bouteil-
les de produits, valant plusieurs milliers de dollars,
ont été saisies. On peut conclure que de telles
quantités ne se seraient pas trouvées dans le
bureau de M. Margolis ou dans quelque bureau
privé. Cette déduction et l'absence de preuve con-
traire permettent au tribunal de conclure que les
inspecteurs du défendeur n'ont pas perquisitionné
dans un bureau. Cette conclusion s'applique égale-
ment à Swiss Herbal à l'égard de qui on mentionne
seulement les «locaux» et à qui aucun objet n'a été
matériellement enlevé.
L'avocat des demanderesses a répété plusieurs
fois au cours du procès que les demanderesses ne
mettaient absolument pas en cause la conduite des
inspecteurs du défendeur lors de la perquisition, si
perquisition il y a eu, et lors de la saisie des
produits. Se fondant sur ces admissions de l'avo-
cat, le tribunal conclut que les inspecteurs se sont
comportés de façon polie, objective, professionnelle
et qu'ils n'ont offensé personne.
C'est dans la perspective suivante que l'on doit
envisager l'article 22 de la Loi des aliments et
drogues: les inspecteurs avaient-ils des motifs rai-
sonnables de croire que les locaux de Jamieson
étaient un lieu où est fabriqué, préparé, empaqueté
ou emmagasiné un article auquel s'appliquent la
Loi ou le Règlement? Nul doute qu'ils en avaient.
L'alinéa 22(1)a) de la Loi leur confère des pou-
voirs d'inspection. Les inspecteurs croyaient-ils rai-
sonnablement que ce qu'ils ont saisi représentait
un moyen de violer la Loi ou le Règlement ou
constituait le produit d'une telle violation? Il est
possible que les inspecteurs ou ceux qui les ont
envoyés avaient une telle croyance raisonnable,
mais en l'absence d'une dénonciation sous serment
ou de quelque document analogue servant à obte-
nir la délivrance d'un mandat, il n'est pas certain
que leur croyance ait été ou non raisonnable. Cette
dernière question, celle de la violation de la Loi ou
du Règlement, était sûrement une question contes-
tée par les parties parce que , seulement 11 jours
avant la saisie par les inspecteurs, le 6 décembre
1984, Jamieson avait déposé sa déclaration pour
introduire l'action T-2853-84. L'alinéa 22(1)d) de
la Loi confère le pouvoir de saisir sans mandat et
exige la croyance raisonnable que la Loi ou le
Règlement ont fait l'objet d'une violation.
M. Ferrier, alors qu'il subissait un interrogatoire
au préalable, a donné ces réponses concluantes au
nom des défendeurs:
[TRADUCTION]
Q. Et avant de saisir entre les mains de Jamieson les acides
aminés que vous avez saisis, vous n'avez pas tenté de
savoir de Jamieson depuis quand ils en faisaient la vente
et quelle quantité ils vendaient ?
R. Non, cela n'a pas été fait. (16 août 1985, après-midi,
page 29.)
La violation au sujet de laquelle une croyance
raisonnable était requise était d'avoir vendu une
drogue nouvelle sans avoir obtenu du ministre
l'avis de conformité requis par le règlement
0.08.002b). Un des éléments de la définition d'une
«drogue nouvelle» est que la drogue n'a pas été
vendue depuis assez longtemps ou en quantité
suffisante pour en établir l'innocuité et l'efficacité
au Canada. Les inspecteurs, ou ceux qui les ont
délégués, savaient-ils que Jamieson n'avait pas
fourni certains des renseignements qui auraient été
nécessaires pour évaluer le respect des exigences
du règlement C.08.001? «Non» déclarent les
demanderesses. Mais n'est-il pas probable qu'ils
étaient au courant de la lettre, pièce 1(E-28)? M.
Ferrier a déclaré que les défendeurs n'avaient eu
aucune participation â cet aspect de l'affaire.
[TRADUCTION]
Q. Est-ce exact? Il a été décidé de les déclarer [les produits
d'acides aminés en cause] des drogues nouvelles?
R. Nous avons émis l'opinion qu'ils auraient le statut de
drogue nouvelle, c'est exact.
R. Quant à moi, mon autorité en matière de poursuite
réglementaire se confine à formuler des opinions. Je ne
peux, je n'ai pas l'autorité d'aller saisir des produits ou
d'intenter des poursuites, bien que je sois inspecteur
nommé en vertu de la loi, mon supérieur hiérarchique ne
m'autorise pas à intenter des poursuites réglementaires.
Par conséquent, toute poursuite réglementaire doit être
intentée par un inspecteur à qui on a délégué cette
responsabilité et il doit, après mûre délibération, prendre
cette décision au nom du ministère.
Q. Mais je parle de la décision de déclarer les acides aminés
des drogues. Il ne s'agit pas de la décision concernant la
saisie.
R. Ah! mais la décision que prend l'inspecteur se fonde sur le
fait qu'à son avis il s'agit d'une drogue, une drogue
nouvelle qui ne devrait pas être vendue, de sorte .. .
Q. Êtes-vous en train d'affirmer que la décision de déclarer
ce type d'acide aminé isolé une drogue a été prise par
l'inspecteur ..
R. La poursuite intentée par l'inspecteur a dû être intentée
seulement par lui, parce que c'est lui qui l'a intentée.
Vous savez, selon moi, quand un inspecteur intente une
action, il doit être convaincu qu'elle est bien fondée et s'il
a des doutes quant à cette poursuite, il doit les résoudre
avant de l'intenter parce qu'il n'y a pas de fonctionnaire
supérieur qui peut intenter l'action à la place Aie
l'inspecteur.
Q. M. Ferrier, êtes-vous en train d'affirmer que personne,
autre que l'inspecteur, a pris la décision de déclarer ces
acides aminés des drogues nouvelles?
R. Non, je ne dis pas cela, je dis que l'action qui a été
intentée par l'inspecteur a dû être intentée à la suite de
son évaluation quant à la conformité de ces produits en
vertu des lois et règlements existants.
Q. Très bien.
R. Bien, il peut, il aurait pu, il peut prendre conseil auprès
de qui il veut de sorte qu'en l'espèce ...
Q. Alors M. Ferrier cela veut-il dire qu'en fait vous n'ayez
pris aucune décision sur la question de savoir si ces acides
aminés étaient ou non des nouvelles drogues?
R. Nous avons pris la décision en nous fondant sur les
renseignements que nous possédions que ces produits
devraient être des drogues nouvelles, quant à nous, mais
en ce qui concerne toute action subséquente en matière de
conformité, nous n'y avons aucunement participé. (16
août 1985, après-midi, pages 37 39.)
Enfin, les défendeurs ont fait l'aveu suivant dans
l'exposé conjoint modifié des faits admis:
[TRADUCTION] À l'exception des acides aminés énumérés dans
[pièce 1(E-1), (mémoire du Dr Armstrong en date du 7 novem-
bre 1984)] le Bureau des médicaments en vente libre ne sait pas
pourquoi les autres produits énumérés dans la déclaration ...
ont été saisis. (T-2853-84, paragraphe 52; T-2968-84, paragra-
phe 43.)
En toute hypothèse, les défendeurs concèdent
qu'ils n'avaient pas de croyance raisonnable de
violation concernant les produits saisis et par suite
de l'adoucissement de la position des défendeurs,
subséquemment libérés. En ce qui concerne le
maintien de la saisie des sept produits d'acides
aminés énumérés dans la lettre du 7 novembre
1984 du D r Armstrong, il n'y a pas de preuve que
la croyance des inspecteurs ait été ou non raison-
nable. Le fait que les inspecteurs les aient saisis et
le fait que les défendeurs aient affirmé qu'ils
étaient et sont des drogues nouvelles (affirmation
qui a été avérée) ne fondent aucunement une
croyance raisonnable de la part des inspecteurs
qu'il y avait, le 17 décembre 1984, violation de la
Loi. Cependant, on peut déduire des réponses de
M. Ferrier (10 mai 1985, page 19, A. 60; 16 août
1985, avant-midi, page 38) que la croyance des
inspecteurs concernant les sept produits se fondait
sur le mémoire du Dr Armstrong, adressé à un
fonctionnaire de la «Direction des Opérations et
Réglementation». Sept produits, parce que la car-
nitine n'était pas alors comprise. En conclusion, en
ce qui concerne les produits ou substances saisis
qui n'étaient pas mentionnés dans ce mémoire du 7
novembre 1984, faisant partie de la pièce 1(E-1),
et en ce qui concerne également la carnitine, le
tribunal juge que les demanderesses Jamieson et
Swiss Herbal ont été victimes d'une saisie abusive.
Le mot clé de l'article 8 de la Charte est «abusi-
ves». Les perquisitions et les saisies qui ne sont pas
abusives, bien que l'article 8 ne les autorise pas
expressément, sont constitutionnellement valides
dans la mesure où elles sont, par ailleurs, légitimes.
Cela ne règle pas la question en ce qui concerne les
produits énumérés dans le mémoire, pièce 1(E-1).
Même en prenant pour acquis que les inspecteurs
avaient la croyance raisonnable qu'exige l'alinéa
22(1)d) de la Loi, le fait que cette Loi prévoit une
saisie sans mandat contrevient-il à la garantie de
protection contre les saisies abusives édictée par la
Charte?•
L'arrêt qui fait autorité sur cette question est
l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2
R.C.S. 145, qui a été cité par les demanderesses.
Le juge Dickson (nommé depuis juge en chef), au
nom d'une Cour suprême unanime, a déclaré que
la Charte était un document qui visait un but et
que le but de l'article 8 est de garantir les expecta-
tives raisonnables des citoyens en matière de vie
privée. On doit apprécier si ce droit, cependant,
doit céder le pas au droit du gouvernement de
s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin
de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'ap-
plication de la loi. Cela étant affirmé, le juge
Dickson a expliqué que les pouvoirs de perquisition
et de saisie, quels qu'ils puissent être, que conférait
la loi, devaient respecter les trois conditions
suivantes:
(1) l'exigence d'un mandat de perquisition, ou autre autorisa-
tion, que l'on doit obtenir avant la perquisition, c'est-à-dire une
autorisation préalable, afin d'éviter les atteintes par l'État au
secret de la vie privée. Le juge Dickson a déclaré à la page 161
que les perquisitions ou les saisies sans mandat étaient présu-
mées abusives, bien que cette présomption fût réfragable;
(2) l'exigence que le mandat soit accordé par une personne «en
mesure d'agir de façon judiciaire». Il n'est pas nécessaire que
cette personne soit un juge, mais elle ne doit pas avoir un rôle à
jouer dans l'enquête (c'est-à-dire qu'elle doit être neutre et
impartiale);
(3) l'exigence que l'émission du mandat soit sujette à l'applica-
tion d'une norme objective et ne dépende pas de l'appréciation
subjective d'un arbitre. Le but de cette exigence est d'élaborer
une norme générale permettant de déterminer le point où
l'intérêt de l'État l'emporte sur celui du particulier. La simple
«possibilité de trouver une preuve» ne constitue pas une norme
suffisamment exigente. Il faut plutôt «dans des cas comme la
présente affaire [enquête en matière de coalition criminelle]
l'existence de motifs raisonnables et probables, établie sous
serment, de croire qu'une infraction a été commise et que des
éléments de preuve se trouvent à l'endroit de la perquisition,
constitue le critère minimal, compatible avec l'art. 8 de la
Charte, qui s'applique à l'autorisation d'une fouille, d'une
perquisition ou d'une saisie» (p. 168).
Si une perquisition ou une saisie n'est pas auto-
risée par la loi ou si la loi qui l'autorise ne prévoit
pas ces trois conditions, il y a alors abus et contra
vention à l'article 8 de la Charte. Cependant, le
juge Dickson a reconnu qu'il n'était pas toujours
possible d'obtenir une autorisation préalable à la
perquisition et qu'une perquisition sans mandat
pouvait être valide dans la mesure où la partie qui
cherche à la faire maintenir peut réfuter la pré-
somption de caractère abusif qui s'attache à cette
perquisition (page 161). Il n'a pas été nécessaire
pour le juge Dickson de s'attarder sur ce point;
cependant, la jurisprudence subséquente en a pour-
suivi l'étude.
En ce qui concerne les saisies et perquisitions
sans mandat autorisées par des lois, trois cours
d'appel canadiennes ont distingué entre le contexte
de l'enquête criminelle et celui des enquêtes ou des
vérifications en matière réglementaire. (R. v. Rao,
(1984), 12 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.). Permission
d'en appeler à la Cour suprême du Canada refu
sée, [1984] 2 R.C.S. ix; Re Belgoma Transporta
tion Ltd. and Director of Employment Standards
(1985), 51 O.R. (2d) 509 (C.A.); R. v. Quesnel
(1985), 24 C.C.C. (3d) 78 (C.A. Ont.). Permission
d'en appeler à la Cour suprême du Canada refu
sée, [1986] 1 R.C.S. xiii; Bertram S. Miller Ltd. c.
R., [1986] 3 C.F. 291 (C.A.). Permission d'en
appeler à la Cour suprême du Canada refusée,
[1986] 2 R.C.S. v; R. v. Bichel (1986), 4 B.C.L.R.
(2d) 132 (C.A.).) Ces arrêts affirment en général
qu'une perquisition ou saisie sans mandat risque
plus d'être considérée abusive lorsqu'elle se produit
en rapport avec des matières illégales ou des preu-
ves dans le contexte d'une enquête criminelle que
lorsqu'elle est le fait d'inspecteurs du gouverne-
ment au cours d'inspections ayant trait à la santé
et à la sécurité du public, dans les activités com-
merciales régies par une réglementation gouverne-
mentale. Cette distinction semble justifiée par le
fait que, dans une activité commerciale réglemen-
tée par le gouvernement, les expectatives de vie
privée de ceux qui décident de s'y adonner sont (à
bon droit) moins élevées.
Dans l'affaire Rao (où il s'agissait d'une enquête
criminelle) la Cour d'appel de l'Ontario a tenu
compte de cette distinction en déclarant, à l'unani-
mité, inopérante la disposition de l'alinéa 10(1)a)
de la Loi sur les stupéfiants qui autorise un agent
de la paix à perquisitionner sans mandat dans un
bureau où il croit, pour des motifs raisonnables,
que se trouvent des stupéfiants, alors qu'il est
commode d'obtenir un mandat. À la page 123, le
juge Martin a déclaré qu'une perquisition sans
mandat d'un bureau devait être justifiée de façon à
satisfaire au critère constitutionnel concernant le
caractère raisonnable. Il a fait observer qu'une
perquisition sans mandat est justifiée lorsque les
circonstances sont telles qu'il n'est pas commode
d'obtenir un mandat; mais lorsque l'obtention d'un
mandat ne constituerait pas une entrave à l'effica-
cité de l'application de la loi, une perquisition sans
mandat d'un bureau (sauf comme mesure acces-
soire lors d'une arrestation légale) ne peut être
justifiée et ne satisfait pas au critère constitution-
nel concernant le caractère raisonnable tel que
prescrit à l'article 8 de la Charte. Le juge Martin
fait remarquer que la Commission de réforme du
droit du Canada avait recommandé la création
d'un régime de télémandat pour les situations d'ur-
gence ou pour le cas où un juge de paix ne serait
pas disponible. Cette recommandation a, depuis,
été mise en vigueur par l'adoption par le Parle-
ment de l'article 443.1 du Code criminel [ajouté
par S.C. 1985, chap. 19, art. 70].
Dans l'affaire Belgoma, la Cour d'appel de
l'Ontario a maintenu la validité d'une perquisition
et d'une saisie autorisées par l'article 45 de la
Employment Standards Act, R.S.O. 1980, chap.
137. L'article 45 confère à un agent des normes
d'emploi le droit de pénétrer sans mandat dans des
locaux commerciaux et d'exiger que l'on produise
les dossiers de l'entreprise, qui peuvent même être
emportés pour en faire des copies. Après avoir
signalé la distinction qu'il y avait entre les enquê-
tes criminelles et les inspections réglementaires de
caractère administratif, le tribunal a jugé que cette
perquisition ou cette saisie sans mandat n'était pas
abusive parce qu'elle ne visait pas une activité
criminelle mais plutôt le respect des dispositions
réglementaires de la Loi en vue de la protection
des intérêts du public (page 512).
Dans l'affaire Quesnel la Cour d'appel de l'On-
tario a confirmé le pouvoir de conduire une perqui-
sition sans mandat sous le régime de la Farm
Products Marketing Act, R.S.O. 1980, chap. 158.
Le but de cette perquisition avait été, en l'espèce,
de déterminer le nombre de poulets qu'il y avait
dans les locaux de Quesnel. Le tribunal a fait
observer que le «poulet» était un produit régle-
menté et a appliqué les arrêts Rao et Belgoma.
Jugeant que le fonctionnaire ne se livrait qu'à une
enquête réglementaire, le tribunal en a conclu que
la législation était raisonnable au sens de la
Charte.
Dans l'affaire Bichel, la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique a maintenu un règlement
municipal de zonage autorisant un inspecteur des
bâtiments à entrer sans mandat, à des heures
raisonnables, sur toute propriété ou dans tout local
en vue de vérifier si l'on avait respecté le règlement
de zonage. Le tribunal a déclaré que la procédure
du mandat convenait à des perquisitions exécutées
au cours d'une enquête criminelle mais a souscrit à
la règle exprimée dans les arrêts Rao, Belgoma et
Quesnel, selon laquelle d'autres considérations
s'appliquent lorsqu'il s'agit d'enquêtes réglemen-
taires (pages 139 140 et page 143). Le juge
Macfarlane a expliqué cet argument comme suit,
aux pages 143 et 144:
[TRADUCTION] Le critère proposé dans l'arrêt Hunter c.
Southam Inc. exige une autorisation préalable accordée par un
officier de justice sur preuve d'un motif raisonnable et probable
pour justifier l'intrusion. Il est raisonnable que l'on applique un
tel critère dans une enquête criminelle ou dans des perquisitions
du type prévu par la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.
Ce type de perquisition consiste en une intrusion sans avis, que
cela convienne ou non. Elle peut entraîner une violation grave
de l'intimité, par exemple une fouille de la propriété person-
nelle. Elle peut conduire à une privation de la propriété. Une
descente de police entraîne toujours une stigmatisation person-
nelle. La procédure du mandat de perquisition est nécessaire et
convient particulièrement à ce type de situation.
D'autres considérations s'appliquent aux enquêtes adminis-
tratives. ... Une inspection ne constitue qu'une intrusion
minime dans la vie privée d'une personne, dans la mesure où
elle a lieu à une heure raisonnable. Elle n'implique pas une
fouille ou une saisie de biens personnels. Elle se fait par
l'inspection de la construction, de l'installation électrique, de la
plomberie et du chauffage et d'éléments qui peuvent avoir des
répercussions sur la santé ou la sécurité. L'inspection n'entraîne
aucune stigmatisation. Il s'agit de quelque chose à laquelle tous
les membres de la communauté, qui ont intérêt à ce que l'on
fasse observer les normes de santé et de sécurité, peuvent
raisonnablement s'attendre. Dès qu'on a reconnu que de telles
inspections doivent avoir lieu de façon routinière, région par
région, sans qu'on doive faire préalablement preuve d'une
infraction par un des occupants, ce serait alors un geste vain et
futile, selon nous, d'obliger un fonctionnaire indépendant à
entendre les raisons pour lesquelles on veut perquisitionner et
donner une autorisation préalable. Le fait qu'il y ait une
possibilité qu'on découvre une infraction et qu'on impose une
peine, ne me convainc pas de la nécessité de mettre en place
une procédure lourde et peu efficace. Elle ne protégerait pas le
contrevenant particulier contre cette découverte. Il n'est pas
non plus dans l'intérêt du public que ce contrevenant puisse
jouir d'une telle protection.
L'arrêt Hunter c. Southam Inc. établit que l'autorisation préa-
lable est une condition de validité de la perquisition et de la
saisie dans la mesure où il est possible et raisonnable d'exiger
une telle autorisation préalable. À mon avis, il ne serait pas
raisonnable d'exiger une autorisation préalable d'inspections
administratives. Une telle procédure serait une mesure routi-
nière et coûteuse, incapable d'apporter une véritable protection
à l'occupant.
J'en conclus que le règlement n'est pas incompatible avec
l'art. 8 et je confirme le jugement du juge Dohm.
Je rejetterais l'appel. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'affaire Bertram Miller, la Division d'ap-
pel de cette Cour a maintenu une saisie sans
mandat, conformément à l'alinéa 6(1)a) de la Loi
sur la quarantaine des plantes [S.R.C. 1970, chap.
P-13] qui autorisait les inspecteurs à perquisition-
ner et saisir sans mandat dans tout endroit où ils
croyaient raisonnablement que se trouvaient des
parasites nocifs pour les plantes. La demanderesse-
intimée avait importé des Etats-Unis des arbres et
des arbustes qui se sont révélés atteints d'une
infestation de spongieuses. Les inspecteurs avaient
été d'avis qu'il y avait un risque raisonnable que le
chargement entier fût infesté ou pourrait le deve-
nir. Ils ont par conséquent confisqué les arbres et
ont ordonné à la demanderesse de les détruire.
Devant le défaut par la demanderesse d'obtempé-
rer à cet ordre, les inspecteurs ont détruit eux-
mêmes les arbres.
En rédigeant des motifs de jugement distincts
mais concordants, les juges Hugessen et Ryan ont
tous deux jugé que cette saisie sans mandat n'était
pas abusive. Le juge Heald, dans sa dissidence, n'a
pas étudié cette question; il aurait rejeté l'appel en
se fondant sur des motifs autres que des motifs
constitutionnels.
Le juge Hugessen a affirmé d'abord qu'un exer-
cice de contrôle judiciaire en vertu de l'article 8
devait prendre en considération non seulement le
libellé de la disposition législative mais aussi son
contexte. Ainsi, a-t-il déclaré, il faut étudier le but
du mécanisme de la loi qui autorise les perquisi-
tions et les saisies, la nature des biens ou des objets
saisis, le caractère des lieux dans lesquels il est
normalement prévisible que les perquisitions ou les
saisies seront effectuées ainsi que les intérêts non
seulement du public en général mais encore de la
personne soumise à la perquisition ou à la saisie.
Le juge Hugessen, aux pages 341 et 342, a précisé
à ce sujet:
Ce qui est raisonnable en ce qui a trait à l'entrée d'inspecteurs
dans une cuisine de restaurant, une laiterie commerciale, une
manufacture ou une mine et à l'inspection de celles-ci différera
radicalement de ce qui est raisonnable dans le cas de la fouille,
la perquisition et la saisie de documents privés dans une maison
d'habitation. Pareillement, existe-t-il une distinction entre le
mécanisme législatif prévoyant de façon évidente la tenue, à des
moments raisonnables et dans le cours normal des affaires,
d'inspections et de vérifications de routine et le mécanisme
conçu pour permettre, lorsque cela s'avère nécessaire, à des
personnes armées de pénétrer de force dans un endroit à trois
heures du matin. Bref, la perquisition du domicile d'un particu-
lier et le sondage sanitaire de tuyaux de vidange représentent
des inconvénients de natures différentes.
Selon mon opinion, il existe clairement une certaine catégorie
d'inspections reliées à la sécurité et à la santé publiques et
effectuées dans des locaux industriels ou commerciaux pour les
fins desquelles il est non seulement raisonnable mais essentiel à
la protection du public que la fouille, la perquisition et la saisie
puissent se faire sans mandat.
Après avoir noté que la Cour d'appel de l'Onta-
rio dans les affaires Rao et Belgoma avait fait
cette même distinction, le juge Hugessen a appli-
qué son raisonnement à la législation et aux faits
en l'espèce, comme suit (page 343):
L'objet évident de la Loi sur la quarantaine des plantes est
d'empêcher que nos forêts et nos fermes ne soient infestées par
des parasites.
Lorsqu'il ressort d'une fouille ou d'une perquisition qu'une
plante ou autre matière est infestée et constitue un danger,
l'intérêt public exigeant sa saisie et sa destruction immédiate
doit certainement prévaloir sur les droits dont l'article 8 de la
Charte assure la protection.
Tout bien considéré, je suis d'avis que les dispositions préci-
tées de la Loi n'autorisent pas les fouilles, les perquisitions et
les saisies abusives.
Le juge Ryan a également approuvé la distinc
tion faite par le juge Martin dans l'affaire Rao et a
déclaré qu'«il n'est pas souhaitable d'introduire
dans notre système de droit administratif l'exi-
gence relativement peu flexible d'un mandat»
(page 324). La saisie dont il était question, a
déclaré le juge Ryan, ne constituait qu'une étape
s'inscrivant dans un processus administratif et ne
relevait aucunement du droit criminel.
Le juge Ryan a expliqué que l'article 8 protège
au moins deux droits: l'expectative raisonnable
d'une personne qu'on respectera sa vie privée et le
droit que possède toute personne d'être à l'abri des
saisies abusives de biens. Cependant, il a jugé que
les droits étatiques devaient, en l'occurrence, pré-
dominer. D'abord, il existait un droit très impor
tant du public à la protection des forêts du Nou-
veau-Brunswick contre ce qui aurait très bien pu
devenir une infestation dévastatrice. Ensuite, il y
avait une «situation d'urgence». De plus, le critère
exigeant que les inspecteurs dussent croire, pour
des motifs raisonnables, que les plantes présen-
taient un risque constitue, de l'avis du juge Ryan,
un critère raisonnable. Les inspecteurs avaient, de
fait, des motifs raisonnables de croire qu'il existait
un danger d'infestation. Par conséquent, a conclu
le juge Ryan, un mandat ou autre autorisation
préalable de la part d'un arbitre impartial n'était
pas une condition nécessaire. L'urgence créée par
le risque d'infestation est un élément central de la
ratio de l'affaire Bertram S. Miller.
Les arrêts que nous venons d'étudier nous livrent
les directives suivantes pour évaluer les répercus-
sions de l'article 8 sur une perquisition ou saisie
sans mandat autorisée par la loi:
— Les perquisitions ou les saisies sans mandat au cours d'une
enquête criminelle sont plus exposées à être jugées abusives
que les perquisitions ou saisies sans mandat effectuées au
cours d'un processus d'inspection administrative.
— Les tribunaux sont plus susceptibles de confirmer la validité
d'une perquisition ou d'une saisie sans mandat lorsqu'il n'est
pas commode d'obtenir un mandat.
— Pour évaluer si l'obtention d'un mandat est ou non commode,
on tiendra compte de facteurs comme la mesure dans laquelle
l'application efficace de la loi pourrait être entravée, la
mesure dans laquelle la situation est urgente et l'importance
de l'intérêt du public (p. ex., la protection de la santé et de la
sécurité).
Moins l'intrusion dans la vie privée du particulier sera carac-
térisée, plus la perquisition ou la saisie sans mandat sera
susceptible d'être confirmée (p. ex., si elles ont lieu à un
moment raisonnable, si elles n'entraînent aucune stigmatisa-
tion, si elles n'entraînent pas une perquisition ou une saisie de
biens personnels, etc.).
Si l'on applique ces critères en l'espèce, il est
manifeste, tout compte fait, que la saisie des mar-
chandises des demanderesses par les défendeurs a
violé l'article 8 de la Charte.
La perquisition et la saisie qu'autorise
l'article 22 de la Loi des aliments et drogues ne
sont pas conformes au critère de l'arrêt Hunter
parce que l'article 22 ne stipule aucune des trois
conditions qu'exige ce critère. Par conséquent, il se
crée donc une présomption réfragable du caractère
abusif, et partant, de l'invalidité de ces perquisi-
tions et saisies.
Cette présomption n'a pas été renversée.
D'abord, les défendeurs ne peuvent se fonder sur le
critère moins exigeant du caractère raisonnable
que les tribunaux appliquent dans le contexte des
inspections administratives parce que, en l'espèce,
la perquisition et la saisie ont été effectuées dans le
contexte d'une enquête criminelle. L'argument des
demanderesses est irréfutable: les défendeurs ne
peuvent guère prétendre d'une part que la législa-
tion relève de la compétence du Parlement en
matière de droit criminel et d'autre part que les
perquisitions et saisies n'ont pas effectuées au
cours d'une enquête criminelle mais plutôt au
cours de la réglementation de la fabrication, de la
vente et de l'étiquetage des drogues au Canada.
(Transcription 3, pages 147 158.) Les règlements
visant les drogues nouvelles sont assimilés au droit
pénal prohibant la vente de drogues nouvelles au
sujet desquelles aucun avis de conformité n'a été
émis. L'alinéa 26b) de la Loi prévoit qu'une viola
tion du Règlement constitue une infraction pour-
suivable par voie d'acte d'accusation. Ayant appris
que la demanderesse avait l'intention de ne pas
tenir compte de cette prohibition mais cherchait
par l'action T-2853-84, intentée le 6 décembre
1984, à faire déterminer ses droits et obligations,
les défendeurs ont subséquemment effectué la
saisie des matières prohibées et des éléments de
preuve. Cela ressemble plus à une enquête crimi-
nelle qu'à un processus administratif d'inspection
ou de réglementation.
Il est vrai que les alinéas 22(1)a), b) et c) créent
des pouvoirs qui semblent prévoir des inspections
réglementaires, mais l'alinéa 22(1)d) invoqué par
les inspecteurs, prévoit que le fonctionnaire «peut
... saisir et détenir ... tout article au moyen
duquel ou relativement auquel il croit raisonnable-
ment qu'une disposition de la présente loi ou des
règlements a été violée». (C'est moi qui souligne.)
Ce sont là les mots mêmes qu'emploie l'article 26.
L'intention législative de faire de l'alinéa 22(1)d)
un accessoire procédural servant dans la poursuite
des infractions en vertu de l'article 26 est tellement
manifeste qu'il n'est pas nécessaire de s'y attarder
plus longtemps.
De plus, il n'est pas nécessairement impossible
ou peu commode d'obtenir un mandat pour une
saisie sous le régime de l'alinéa 22(1)d) de la Loi,
surtout dans les situations comme en l'instance,
qui semble une situation type où le pouvoir de
saisir est invoqué. En l'espèce, il ne semble pas y
avoir eu urgence, comme l'indique le long délai
entre la détermination par le défendeur que les
produits de la demanderesse étaient des «drogues
nouvelles» et la véritable saisie. Également, l'appli-
cation efficace de la loi n'aurait pas été entravée si
le défendeur avait obtenu une autorisation préala-
ble pour la perquisition et la saisie. L'abondance
des lettres que se sont échangées les deux parties
indique que la demanderesse n'a eu aucune inten
tion de cacher quoi que ce soit; au contraire, la
demanderesse a agi en toute ouverture. Ainsi, un
délai d'au plus un jour de plus pour l'obtention
d'une autorisation préalable n'aurait sans doute
pas eu comme résultat que la demanderesse aurait
vendu ou dissimulé ou détruit ses «drogues nouvel-
les». Compte tenu des circonstances, le fait que
l'on n'a pas saisi les articles d'un bureau est d'im-
portance moindre.
Le Parlement lui-même, par opposition aux
défendeurs chargés de l'administration de la loi,
semble potentiellement d'accord avec les observa
tions qui viennent d'être formulées. Par l'adoption
subséquente des paragraphes 22(1.1), (1.2) et
(1.3) de la Loi, le Parlement a exigé que l'on
devait obtenir un mandat, par une demande ex
parte à un juge de paix, lorsqu'un inspecteur cher-
che à pénétrer dans une «maison d'habitation» pour
perquisitionner et saisir quelque article s'y trou-
vant. Par l'adoption de l'article 443.1 du Code
criminel, le Parlement a prévu que lors d'enquêtes
portant sur des actes criminels s'il était «peu com
mode de se présenter en personne devant un juge
de paix pour ... un mandat», un agent de la paix
(mais pas un inspecteur en vertu de la Loi, à moins
que cet inspecteur ne soit en même temps un agent
de la paix), peut demander un télémandat. Ainsi
les prétentions des défendeurs sur ce point sont, du
moins en puissance, forcloses dans les deux sens.
Ces textes législatifs récents constituent certaine-
ment un critère éloquent pour démontrer que la
prétendue nécessité des saisies sans mandat en
vertu de l'alinéa 22(1)d) est un argument insuffi-
sant vu les exigences de l'article 8 de la Charte, tel
qu'interprété par la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc. et par la
Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Rao.
L'importance d'une autorisation préalable per-
mettant de saisir les biens de quelqu'un est fondée
sur les exigences d'équité à l'endroit de cette per-
sonne. Le processus d'obtention d'un mandat, ou
d'un télémandat, crée un dossier, la dénonciation
sous serment de la personne chargée de l'applica-
tion de la loi, qui peut servir de fondement, le cas
échéant, à une requête en annulation de mandat en
faveur de la personne dont les biens ont été saisis.
Parce que la jurisprudence canadienne a choisi
d'accorder à des «personnes» morales les droits
essentiellement humains que protège la Charte, ce
remède est disponible et pour les particuliers, et
pour les sociétés telles les demanderesses.
Si la présente affaire était considérée comme se
situant sur la limite entre les inspections réglemen-
taires et les enquêtes criminelles, hypothèse que le
tribunal refuse d'admettre, elle représenterait la
fine pointe de la formulation des droits protégés
par la Charte. Les défendeurs ne pourraient guère
invoquer l'article 1 à cet égard. Par conséquent, s'il
demeurait quelque doute en l'espèce, il serait pré-
férable de le faire jouer en faveur des demanderes-
ses et ainsi de rester fidèle à l'impératif constitu-
tionnel du respect de la finalité des droits protégés.
Il est manifeste, donc, qu'il était possible de
recourir à une autorisation préalable. L'autorisa-
tion préalable n'aurait pas entraîné un déséquilibre
en faveur de l'expectative de respect de la vie
privée de la demanderesse et du respect de sa
propriété, au détriment des objectifs étatiques
valables concernant l'application de la loi et la
protection de la sécurité du public. Par conséquent,
la saisie sans mandat était abusive et contrevenait
à l'article 8 de la Charte. Nous déclarons donc,
dans la mesure de cet abus, que l'alinéa 22(1)d) de
la Loi des aliments et drogues est inopérant.
La saisie est annulée parce que abusive. Ce n'est
que la saisie qui est déclarée inconstitutionnelle.
Les dispositions des alinéas 21(1)a), b) et c) envi-
sagent la sorte d'inspection ou de perquisition
administrative ou réglementaire qui, d'après la
jurisprudence rapportée plus haut, ne nécessite
aucune exigence constitutionnelle d'autorisation
préalable dans la mesure où elle n'a pas été effec-
tuée dans une maison d'habitation ou un bureau
privé ou en rapport avec ces lieux. Un bureau qui
n'est pas un bureau privé, une voûte, ou tout autre
endroit où peuvent se trouver les livres, documents
ou autres registres mentionnés à l'alinéa 22(1)c)
ne sont pas visés non plus par l'exigence d'une
autorisation préalable parce que la recherche et
l'inspection de ces documents dans un lieu de
travail sont une perquisition ou inspection adminis
trative ou réglementaire. Les articles de Jamieson
doivent leur être rendus et la «saisie volontaire»
levée en ce qui concerne ceux de Swiss Herbal.
Dans une large mesure, cela ne constitue qu'une
victoire morale pour les demanderesses, car leurs
produits qui sont composés, entièrement ou en
partie, des huit acides aminés énumérés continuent
à être soumis aux règlements incontestablement
valides concernant les drogues nouvelles. Leur vic-
toire morale, toutefois, les dispense de payer les
dépens des défendeurs en l'espèce. La confusion et
le manque d'organisation des défendeurs dans le
traitement des demanderesses, de même que leur
conduite après l'introduction de ces actions, les
disqualifient de réclamer leurs dépens des deman-
deresses.
RÉSUMÉ DES DISPOSITIFS
L'action T-2853-84 de Jamieson est rejetée sans
dépens pour ou contre aucune des parties. Les
règlements DIN contestés, C.01.014 à C.01.014.4
inclusivement, pris sous le régime de la Loi des
aliments et drogues, relèvent des pouvoirs légis-
latifs du Parlement. La façon dont on les a
appliqués à la demanderesse, bien que malhabile,
ne peut être qualifiée d'inéquitable, d'abusive ou
de discriminatoire et elle n'a pas créé d'injustice
flagrante. La demanderesse Jamieson n'a pas le
droit de recevoir un DIN pour le produit «Stress-.
Ease with Vitamins and Minerals» contenant du
tryptophane-L, puisque ce produit constituerait
une drogue nouvelle sous le régime du règlement
C.08.001.
L'action T-2968-84 des trois demanderesses est
réglée comme suit: la demande de déclaration
exprimée aux paragraphes a), b), d) et la demande
de redressement contenue dans la déclaration
remodifiée déposée le 16 décembre 1986 sont reje-
tées; le sous-alinéa 25(1)o)(ii) de la Loi des ali-
ments et drogues et les règlements C.08.001 à
C.08.011 relèvent respectivement de la compétence
législative du Parlement et de la compétence régle-
mentaire du gouverneur général en conseil. Les
huit acides aminés isolés et les produits d'acides
aminés visés par le paragraphe 10 de la déclaration
mais précisés au paragraphe 22 de la défense, sont
des «drogues nouvelles» au sens de la Loi des
aliments et drogues et des règlements pris sous son
régime. La façon dont on les a appliqués aux
demanderesses, bien que malhabile, n'a pas été
inéquitable, abusive ou discriminatoire et n'a pas
créé d'injustice flagrante; la demande des deman-
deresses pour une déclaration, telle qu'exprimée au
paragraphe c) de leur déclaration, est accordée
dans les termes suivants:
... la saisie des articles effectuée le 17 décembre 1984 par le
directeur, défendeur, et les inspecteurs, agents et autres fonc-
tionnaires publics qui étaient alors membres de son personnel
ou qui étaient par ailleurs autorisés à effectuer de telles saisies,
est et était illégale, nulle et de nul effet, en particulier parce
que ladite saisie était abusive et contrevenait à l'article 8 de la
Charte canadienne des droits et libertés.
Il sera prononcé, en conséquence, une ordonnance
selon laquelle les défendeurs, leurs inspecteurs,
agents et fonctionnaires remettront à la demande-
resse Jamieson tous les articles saisis dans ses
locaux le 17 décembre 1984, à moins qu'il n'existe
quelque autre motif légitime de les conserver; ils
devront lever la «saisie volontaire» sur tous les
articles de Swiss Herbal, ainsi saisis depuis le 17
décembre 1984, à moins qu'il n'existe quelque
autre raison légitime de maintenir cette saisie.
Le résultat de l'action T-2968-84 étant partagé, les
défendeurs paieront aux demanderesses, en faveur
de qui le jugement est accordé dans ces termes,
soixante-dix pour cent (70 %) des dépens partie-
partie des demanderesses relevant de la présente
action, après taxation, ou selon entente si les
défendeurs renoncent à la taxation. Les trois
demanderesses ayant retenu les services du même
cabinet d'avocats dans cette action (et l'autre
action solitaire de Jamieson) la totalité des hono-
raires d'avocat sera calculée et taxée comme s'il
s'agissait de deux avocats principaux (c'est-à-dire
double honoraire) mais calculée une fois et non pas
trois fois, 70 % de ce montant, comme signalé plus
haut, étant compris dans les dépens que doivent
payer les défendeurs aux demanderesses.
Les jugements seront rédigés séparément et
incorporés à chaque action et une copie des pré-
sents motifs de jugement sera versée dans chacun
des dossiers.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.