T-326-87
Conseil de la Nation Huronne-Wendat (deman-
deur)
c.
Michel Laveau et Bruno Gros-Louis (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: NATION HURONNE-WENDAT (CONSEIL) C.
LAVEAU
Division de première instance, juge Dubé—
Québec, 22 avril; Ottawa, 30 avril 1987.
Peuples autochtones — Les démissions du chef et du con-
seiller présentées verbalement à une assemblée du conseil sont
valides au sens de l'art. 78(2)a)(ii) de la Loi sur les Indiens —
La Loi et la jurisprudence sont muettes quant à savoir si une
telle démission doit être présentée par écrit — Si le législateur
avait voulu imposer des modalités, il l'aurait dit — Les
défendeurs n'ont pas prouvé l'existence de la prétendue cou-
tume voulant que les démissions se fassent par écrit — Selon
la common law, lorsque la loi ne prévoit pas de modalités, une
telle démission doit simplement être présentée d'une manière
convenable — Les démissions ont été présentées d'une manière
convenable et elles ont été acceptées en bonne et due forme par
le conseil — Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, art.
78(2)a)(ii) — Code de procédure civile, art. 223 à 233.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — L'action en jugement déclaratoire relative-
ment à la validité des démissions orales des chefs indiens était
justifiée puisqu'elle a permis le dépôt des plaidoiries et l'audi-
tion des témoins — La requête en quo warranto se serait
limitée à la production d'affidavits — Le demandeur recher-
chait une déclaration de principe et non pas simplement la
dépossession d'une charge publique — Loi sur la Cour fédé-
rale, S.R.C. 1970 (2r Supp.), chap. 10, art. 18.
Interprétation des lois — La Loi sur les Indiens est muette
quant à savoir si les démissions du chef et des conseillers
doivent être présentées par écrit — Certaines lois régissant des
organismes dont les membres sont élus prévoient des modalités
de démission — Si le législateur avait voulu imposer des
modalités particulières, il l'aurait dit — Loi sur les Indiens,
S.R.C. 1970, chap. I-6, art. 78(2)a)(ii) — Loi sur la Chambre
des communes, S.R.C. 1970, chap. H-9, art. 6 — Loi des cités
et villes, L.R.Q. 1977, chap. C-19, art. 58, 59 — Code munici
pal du Québec, L.R.Q. 1977, chap. C-27.1, art. 271.
La présente action vise l'émission d'un jugement déclaratoire
relativement aux démissions des défendeurs prononcées verba-
lement à une assemblée du conseil. Par la suite, ils ont informé
le conseil de leur intention de demeurer en poste. Le conseil a
refusé aux défendeurs la possibilité de réintégrer leurs fonctions
et a adopté une résolution reconnaissant les démissions comme
définitives et irrévocables. Il s'agit de savoir si les démissions
présentées verbalement sont valides au sens du sous-alinéa
78(2)a)(ii) de la Loi sur les Indiens.
Jugement: l'action est accueillie et les démissions sont consi-
dérées comme valides.
La Loi et la jurisprudence sont muettes quant à la question
de savoir si une telle démission doit être présentée par écrit
pour être valide. D'autres lois (la Loi sur la Chambre des
communes, la Loi des cités et villes de la province de Québec et
le Code municipal du Québec) prévoient certaines modalités de
démission. Si le législateur avait voulu imposer des modalités,
par exemple exiger que la démission soit présentée par écrit, il
l'aurait dit.
Les défendeurs n'ont pas prouvé l'allégation selon laquelle,
dans la Nation Huronne-Wendat, la coutume veut que la
démission visée à l'article 78 se fasse par écrit. Pour établir une
telle coutume, il aurait fallu présenter des témoignages pro-
bants de la part d'historiens ou de patriarches de la Nation.
Dans l'affaire de The County of Pontiac, la Cour supérieure
s'est repliée sur la common law, selon laquelle une telle démis-
sion doit simplement être présentée d'une manière convenable
lorsque le Code ne prévoit pas de modalités de démission. Les
deux défendeurs ont présenté leurs démissions d'une manière
convenable, elles ont été acceptées en bonne et due forme par le
conseil, et les procès-verbaux des assemblées pertinentes attes-
tent lesdites démissions.
Le quo warranto vise directement une personne qui occupe
sans droit une charge publique dans le but de la déposséder de
son poste. L'action en jugement déclaratoire était pleinement
justifiée puisqu'elle a permis le dépôt des plaidoiries et l'audi-
tion des témoins, alors qu'une simple requête en quo warranto
se serait limitée à la production d'affidavits. De plus, le deman-
deur recherchait une déclaration de principe et non pas simple-
ment la dépossession d'une charge publique.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
The County of Pontiac v. Ross (1890), 17 R.C.S. 406,
qui confirme Corp. of County of Pontiac v. Pontiac
Pacifie. Junction Railway Co. (1888), 11 L.N. 370 (C.S.
Aylmer (dist. d'Ottawa)).
AVOCATS:
Jean Petit pour le demandeur.
Richard Binet pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Corriveau, Bouchard, Corriveau & Associés,
Québec, pour le demandeur.
Croteau, Binet et Gosselin, Québec, pour les
défendeurs.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DUBÉ: La présente action vise l'émis-
sion d'un jugement déclaratoire relativement aux
démissions du chef («Grand Chef») Michel Laveau
et du conseiller («Chef délégué») Bruno Gros-
Louis prononcées verbalement lors d'une assem
blée du conseil de la Nation Huronne-Wendat
tenue le 7 octobre 1986.
Les deux défendeurs ont été élus à leurs postes
respectifs le 5 septembre 1986. Le procès-verbal de
l'assemblée précitée rapporte lesdites démissions
en ces termes:
En concluant, le Grand Chef Laveau annonce à 10:35 hres
que c'est la dernière assemblée qu'il préside à titre de Grand
Chef de la Nation Huronne Wendat et qu'il remet sa démission
officiellement. Il continue néanmoins de présider la réunion
jusqu'à la fin. Il ajoute que pour lui, la politique, c'est bel et
bien terminé et qu'il est important que sa démission soit
interprétée dans des termes positifs. Il conclut en affirmant que
sa décision est irrévocable.
MOT DU GRAND CHEF
Après avoir remis sa démission officielle à titre de Grand Chef
de la Nation Huronne Wendat, monsieur Michel Laveau
remercie tous les chefs délégués pour les trois (3) réunions qu'il
a présidées dans l'ordre et le respect. Il dit qu'il est satisfait
dans l'ensemble des dossiers réglés.
Le Grand Chef dit au Vice Grand-Chef que les raisons de sa
démission lui sont personnelles mais qu'il est important pour lui
de se retirer dans l'esprit qu'il ne désire plus jamais faire de la
politique locale et de se consacrer dorénavant à sa famille.
Le Chef Bruno Gros-Louis remet également sa démission offi-
cielle à titre de Chef délégué au Conseil de la Nation Huronne
Wendat en affirmant qu'il a deux gros projets en tête à mettre
sur pied et il termine en souhaitant la meilleure des chances à
tous les Chefs délégués du Conseil de la Nation Huronne
Wendat.
Les six (6) Chefs délégués restants, bien que déçus de la prise
de position irrévocable de la part du Grand Chef de la Nation
Huronne Wendat, monsieur Michel Laveau et du Chef délégué
au Conseil de la Nation Huronne Wendat, monsieur Bruno
Gros-Louis, ont accepté les deux (2) démissions et ont remercié
sincèrement les deux chefs démissionnaires, tout en leur souhai-
tant la meilleure des chances possibles dans l'avenir.
Par la suite, les deux défendeurs ont changé
d'idée et ont communiqué par lettres au conseil en
date des 16 et 17 octobre leurs intentions de
demeurer en poste. Les deux premiers paragraphes
de la lettre du défendeur Laveau reflètent ses
intentions:
Tel qu'entendu lors des discussions de l'assemblée du 7 octobre
1986, il était convenu de vous faire parvenir ma lettre de
démission en bonne et dû [sic] forme.
Après réflexion, soyez avisé que contrairement à ce qui vous
avait été annoncé verbalement je vous confirme que je conti-
nuerai à siéger comme Grand Chef au sein du Conseil de la
Nation Huronne Wendat.
Néanmoins, à son assemblée du 20 octobre 1986
le conseil refusa aux défendeurs «la possibilité de
réintégrer» leurs fonctions. Et le 31 octobre 1986 le
conseil adopta la résolution 1423 reconnaissant
comme «définitive et irrévocable» la démission des
deux défendeurs.
À l'audition de cette affaire, la secrétaire du
conseil a témoigné que son procès-verbal rapporte
fidèlement les événements qui se sont déroulés à
l'assemblée du 7 octobre et aux assemblées subsé-
quentes. D'ailleurs les défendeurs n'ont pas con
testé les procès-verbaux par voie d'inscription de
faux en vertu des articles 223 233 du Code de
procédure civile.
De leur côté, les deux défendeurs ont allégué
qu'ils avaient démissionné à cause du manque de
respect des autres membres du conseil à l'endroit
du Grand Chef. Ce dernier s'est senti pousser à
bout par l'attitude malveillante des autres mem-
bres. Selon son expression, il a «perdu les pédales»
et a démissionné. Il s'est ressaisi au cours des jours
suivants et a cru devoir reprendre son poste.
Il ne m'appartient pas de décider si les démis-
sions des défendeurs étaient justifiées. Mon rôle se
limite à juger si ces démissions orales consignées
aux procès-verbaux de l'assemblée constituent des
démissions valides au sens de l'alinéa 78(2)a)(ii)
de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1970, chap. I-6]:
78....
(2) Le poste de chef ou de conseiller devient vacant lorsque
(a) le titulaire
(ii) meurt ou démissionne, ou
Les défendeurs allèguent qu'une telle démission,
pour être valide, doit être présentée par écrit. La
Loi précitée et la jurisprudence s'y rapportant sont
muettes à ce sujet.
Par contre, d'autres lois prévoient certaines
modalités de démission. À titre d'exemple, la Loi
sur la Chambre des communes [S.R.C. 1970,
chap. H-9] stipule à l'article 6 que tout député
peut résigner son mandat, soit en donnant un avis
oral de son intention, de son siège à la Chambre
(auquel cas l'avis est enregistré par le greffier dans
les journaux de la Chambre), soit en adressant son
avis par écrit à l'Orateur.
La Loi des cités et villes de la province de
Québec [L.R.Q. 1977, chap. C-19] prescrit, aux
articles 58 et 59, une démission signée par le
démissionnaire (maire ou conseiller). Le Code
municipal du Québec [L.R.Q. 1977, chap. C-27.11
de cette province prévoit à l'article 271 que le
maire ou tout conseiller peut se démettre de ses
fonctions en transmettant sa démission signée par
lui au secrétaire-trésorier de la municipalité.
Dans sa plaidoirie en défense, le procureur des
défendeurs allègue que la coutume de la Nation
Huronne-Wendat veut que la démission prévue à
l'article 78 de la Loi soit une démission écrite. Par
contre, il n'a pas convoqué de témoins pour prou-
ver une telle coutume, à part les deux défendeurs.
Certains extraits des procès-verbaux d'assem-
blées précédentes du conseil et quelques lettres en
provenance des dossiers du conseil montrent que le
Petit Chef Roch Sioui a démissionné par lettre en
date du 25 mai 1982, le Petit Chef Benoit Picard a
démissionné par lettre en date du 9 janvier 1985, le
Chef délégué Marie-Paule Gros-Louis a démis-
sionné par lettre en date du 22 avril 1985, le
défendeur Michel Laveau a lui-même démissionné
par lettre en date du 6 mai 1985 (sa deuxième de
trois démissions).
Par ailleurs, il appert au procès-verbal du 6
octobre 1969 que le défendeur Laveau «donne sa
démission pour raison de travail> (sa première
démission). Il n'y a pas de lettre de démission de sa
part au dossier du conseil. Bien honnêtement,
monsieur Laveau a admis qu'il ne se souvenait pas
s'il avait démissionné par écrit à cette occasion.
Je ne peux considérer ces seuls éléments de
preuve comme établissant une coutume. À mon
sens, il aurait fallu remonter beaucoup plus loin et
présenter des témoignages probants de la part
d'historiens ou de patriarches de la Nation.
La Cour suprême du Canada dans un jugement
datant de 1889, The County of Pontiac v. Ross' a
déjà traité de la validité d'une démission orale de
la part du prévôt du comté de Pontiac (un poste
électif, contrairement aux dires des procureurs) 2
lors d'une assemblée spéciale du conseil, démission
' (1890), 17 R.C.S. 406.
2 Ibid., à la p. 410 et Code municipal [S. du Q. 1870, 34
Vict., chap. 68], art. 248.
dûment inscrite au procès-verbal de ladite assem
blée. Ce poste, tout comme celui de maire, était
régi par le Code municipal en vigueur à l'époque.
L'article 342 stipulait que le siège du maire deve-
nait vacant «lorsque la démission du maire est
acceptée par le conseil», sans autres modalités. Par
analogie, la Cour supérieure a appliqué cette règle
au prévôt de comté.
La Cour suprême a décidé que la démission était
valide et que l'élection de son successeur l'était
également.
Tel que mentionné plus haut, la Loi sur les
Indiens ne prévoit pas de modalités relativement à
la démission d'un chef ou d'un conseiller. Si le
législateur avait voulu imposer des modalités, par
exemple exiger que la démission soit présentée par
écrit, il l'aurait dit.
Dans l'affaire précitée du Corp. of County of
Pontiac v. Pontiac Pacific Junction Railway Co.'
la Cour supérieure s'est penchée en première ins
tance sur le fait que le code ne prévoyait pas de
modalités de démission. En conséquence, elle s'est
repliée sur la common law, laquelle veut qu'une
telle démission doive simplement être présentée
d'une manière convenable (aux pages 372 et 373):
[TRADUCTION] Le Code ne prévoit pas de modalités en ce qui
concerne la démission du maire ou d'un membre du conseil.
Nous devons donc nous en remettre à la common law; suivant
les dispositions de celle-ci, une démission doit simplement être
présentée d'une manière convenable, à moins que des modalités
spéciales ne soient indiquées. Dans son ouvrage sur les conseils
municipaux, Dillon mentionne au n° 224 du vol. 1: «Si la charte
prescrit des modalités de démission, il faut naturellement s'y
conformer ... Si aucune modalité particulière n'est prévue à
cet effet, il n'est pas nécessaire de présenter une démission ni
d'attester son acceptation par écrit.» Angell et Ames déclarent
au n° 433: «Lorsque ni la charte ni les règlements ne prescrivent
de modalités particulières suivant lesquelles les membres peu-
vent démissionner du conseil et leur démission peut être accep-
tée, lesdites démission et acceptation peuvent se déduire des
actes posés par les parties ... Pour qu'une démission soit com-
plète, il faut que le conseil manifeste son acceptation de l'offre
de démission, laquelle acceptation peut se faire par une inscrip
tion dans les registres publics.» 11 n'est pas nécessaire non plus
que le Code prévoie qu'un membre du conseil a le droit de
démissionner et que le conseil peut accepter sa démission, car le
droit de nommer un membre implique toujours le droit d'accep-
ter sa démission et de nommer son successeur. Selon l'ouvrage
précité de Dillon, «[I]e droit d'accepter une démission constitue
un pouvoir accessoire de tout conseil ... Le droit d'accepter la
démission d'un de ses membres est accessoire au droit de le
3 (1888), I 1 L.N. 370 (C.S. Aylmer (dist. d'Ottawa)).
nommer.» Angell et Ames ajoutent au n° 433: «Le droit d'ac-
cepter une démission suit de façon accessoire le droit de
nommer une personne.» En l'espèce, la démission de M. Pou-
pore a été présentée verbalement, et le conseil de comté a, à sa
réunion suivante, ordonné qu'il soit fait mention de sa démis-
sion au procès-verbal, ce qui fut fait en bonne et due forme.
Quant à la forme sous laquelle la démission du maire ou d'un
membre du conseil peut être présentée, aucune règle, il est vrai,
ne figure au Code; mais certaines règles figurent dans nos lois
en ce qui concerne la démission d'un membre de l'Assemblée
législative. Celui-ci peut démissionner soit par écrit, soit par
avis oral présenté de son siège à la Chambre, et, dans ce dernier
cas, le greffier fait mention de sa démission dans les journaux
de la Chambre. C'est exactement ce qui s'est produit en
l'espèce; et en l'absence de toute disposition relative aux moda-
lités de démission d'un membre du conseil, les modalités suivies
dans le présent cas doivent sûrement être considérées comme
suffisantes par analogie.
En l'espèce, les deux défendeurs ont présenté
leurs démissions d'une manière convenable, les
démissions ont été acceptées en bonne et due forme
par le conseil et les procès-verbaux des assemblées
pertinentes attestent desdites démissions.
Finalement, le procureur des défendeurs allègue
que le demandeur a invoqué le mauvais recours en
vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10]: il aurait dû
procéder par voie d'un bref de quo warranto et non
d'un jugement déclaratoire. Il est vrai qu'un quo
warranto vise directement une personne qui occupe
sans droit une charge publique dans le but de la
déposséder de son poste. Cependant, en l'espèce,
une action en jugement déclaratoire était pleine-
ment justifiée puisqu'elle a permis le dépôt des
plaidoiries et l'audition des témoins, alors qu'une
simple requête en quo warranto se serait limitée à
la production d'affidavits. De plus, le demandeur
recherchait une déclaration de principe et non pas
simplement la dépossession d'une charge publique.
À tout événement, je n'aurais pas hésité à permet-
tre les amendements nécessaires pour accorder le
recours que justifiaient les circonstances.
En conséquence, l'action est accueillie. Les
démissions des deux défendeurs à titre de chef
(«Grand Chef») et de conseiller («Chef délégué»)
sont déclarées valides, et il est déclaré que la
démission des postes de chef ou de conseiller
prévue au sous-alinéa 78(2)a)(ii) de la Loi sur les
Indiens peut être effectuée oralement à une assem
blée du conseil.
Jugement en faveur du demandeur avec frais et
dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.