A-33-86
Graham Bruce Cramm (requérant)
c.
Le Commissaire de la Gendarmerie royale du
Canada (intimé)
RÉPERTORIÉ: CRAMM c. CANADA (COMMISSAIRE DE IA GEN-
DARMERIE ROYALE DU CANADA)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Marceau—
Vancouver, 9 octobre; Ottawa, 23 octobre 1987.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Principes de
justice naturelle — Le montant de l'indemnité payable par un
caporal de la GRC pour dommages causés à un véhicule de la
gendarmerie a été recommandé par une commission d'enquête,
confirmé par le Commissaire et maintenu par une commission
de révision — Le refus de permettre au requérant de se faire
représenter par un avocat constitue une erreur — L'équité
implique le droit d'une personne de se faire représenter par un
avocat lorsque les procédures engagées touchent à sa réputa-
tion, son gagne-pain et ses possibilités d'avancement — Une
audition équitable implique le droit du requérant à la présen-
tation de tous les éléments de preuve avant la reprise de
l'audition et à la production de toute la documentation en la
possession des commissions pour permettre au requérant de se
défendre.
GRC — Conseil non disciplinaire — Les principes applica-
bles aux conseils disciplinaires s'appliquent 1) lorsqu'une pro-
cédure semblable est invoquée 2) lorsque des droits semblables
sont visés — La décision par laquelle le sous-commissaire a
fixé l'indemnité payable par le caporal pour les dommages
causés à un véhicule de la gendarmerie était soumise à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire — Le refus de permet-
tre au requérant de se faire assister d'un avocat, de citer des
témoins et de prendre connaissance de tous les éléments de
preuve soumis à la commission constitue une violation des
principes de justice naturelle — La décision du sous-commis-
saire est entachée des erreurs de la commission car il n'y a pas
eu une audition de novo.
Compétence de la Cour fédérale — Division d'appel —
Demande d'annulation de la décision qui fixait l'indemnité que
devait payer un caporal de la GRC pour dommages causés à
un véhicule de la gendarmerie — L'indemnité avait été recom-
mandée par une commission d'enquête et approuvée par le
Commissaire, puis maintenue par une commission de révision,
et enfin réduite par le sous-commissaire — La décision est
soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire et elle est
susceptible d'examen en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour
fédérale.
Il s'agit d'une demande d'examen et d'annulation de la
décision du sous-commissaire relativement à l'indemnité que
devrait payer un caporal de la GRC à l'égard de dommages
causés à un véhicule automobile de la gendarmerie au cours
d'un accident impliquant une automobile appartenant à un
civil. La décision du sous-commissaire a réduit la responsabilité
du requérant à l'égard des dommages causés au véhicule de
police sans changer son entière responsabilité relative aux
dommages à tierce personne. Cette décision, prise à l'insu du
requérant, modifiait les recommandations de la commission
d'enquête qui avaient été approuvées par le Commissaire et
confirmées par une commission de révision. La demande du
requérant de se faire représenter par un avocat devant la
commission d'enquête a été rejetée à plusieurs reprises. Certai-
nes parties du rapport d'enquête transmis aux deux commis
sions et au Commissaire avaient été raturées ou retirées du
rapport avant qu'il ne soit remis au requérant. La commission
d'enquête a conclu que le requérant a) n'avait pas été autorisé à
utiliser la voiture de police le soir en question, b) qu'il n'agissait
pas dans le cadre de ses attributions, c) qu'il conduisait le
véhicule de façon négligente, peut-être en raison de la consom-
mation de boissons alcooliques, et d) qu'il était le seul responsa-
ble de l'accident. Les questions en l'espèce consistent à savoir si
la décision du Commissaire était soumise à un processus judi-
ciaire ou quasi judiciaire, comme l'exige l'article 28 de la Loi
sur la Cour fédérale, et si le déni du droit du requérant de se
faire représenter par un avocat, de citer des témoins et d'obte-
nir la pleine communication des documents soumis à la com
mission constitue une violation des principes de justice
naturelle.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Selon les quatre critères exposés dans l'arrêt Ministre du
Revenu national c. Coopers and Lybrand, la décision du Com-
missaire était soumise à un processus judiciaire ou quasi judi-
ciaire. Lorsqu'on lit de concert le Règlement, les ordres perma
nents (ayant valeur de règlements) et les directives, il est clair
qu'une audition est envisagée avant qu'une décision soit prise.
Le paragraphe 125(2) du Règlement envisage une enquête
revêtue d'un caractère assez formel, et l'article 126 parle d'aune
enquête entreprise à la demande du Commissaire». C'était
certainement l'opinion des autorités policières, puisqu'elles ont
invité le requérant à comparaître, à se faire entendre et à
présenter des observations écrites et orales. De plus, le président
de la commission d'enquête s'est réservé le droit de citer des
témoins, et il a exercé ce droit. La sanction pécuniaire considé-
rable qui a été imposée prouvait que la décision portait atteinte
directement ou indirectement aux droits et obligations de quel-
qu'un. La procédure est au moins en partie contradictoire. Le
rôle de la commission revêt certaines des caractéristiques d'une
procédure de type accusatoire, car la commission peut citer des
témoins et la personne dont la conduite est examinée peut non
seulement témoigner mais aussi faire des observations écrites et
orales. Il existe une obligation d'appliquer les règles de fond. Le
Règlement, les ordres permanents et les directives sont des
règles de fond applicables à la procédure d'enquête interne de
la Gendarmerie. Des principes juridiques de fond ayant trait à
la conduite d'un véhicule automobile sur la voie publique, et à
l'étendue des attributions du requérant ont aussi été appliqués.
Le fait que la commission d'enquête a commis les violations
alléguées des principes de justice naturelle alors que la décision
litigieuse était celle du sous-commissaire n'a pas eu d'incidence
sur la question de compétence. Bien qu'il s'agissait-là d'une
affaire non disciplinaire, le raisonnement suivi dans les affaires
disciplinaires s'appliquait parce que les procédures invoquées
étaient les mêmes. La décision du Commissaire était entachée
des erreurs de la commission puisqu'il n'a pas tenu une audition
de novo.
Le tribunal a eu tort de refuser au requérant le droit à
l'assistance d'un avocat. Encore une fois, les mêmes principes
qui s'appliquent aux audiences visant la discipline s'appliquent
aux procédures non disciplinaires qui revêtent quelques-unes
des caractéristiques judiciaires des conseils disciplinaires. La
question qui se pose est de savoir si la commission a agi
équitablement à l'égard du requérant. Les décisions mention-
nées dans l'arrêt Joplin, où il s'agissait d'une affaire discipli-
naire, portaient sur l'équité à laquelle a droit un prévenu
relativement à des accusations susceptibles d'avoir des consé-
quences sur sa réputation, son gagne-pain et ses possibilités
d'avancement. Les mêmes considérations s'appliquaient dans
des procédures relatives à un accident relié à l'alcool et concer-
nant des civils, nonobstant leur nature non disciplinaire. Les
chances d'avancement du requérant et sa réputation risquaient
d'être atteintes et la possibilité que les dommages puissent
s'élever à des centaines de milliers de dollars nuisait à son
gagne-pain. Quant au chaos administratif susceptible de régner
si des avocats pouvaient comparaître dans des affaires de cette
nature, leur présence pourrait fort bien faciliter les choses et
faire en sorte que justice soit faite. Le droit à l'assistance d'un
avocat n'est pas une question de discrétion lorsque les circons-
tances sont telles que la possibilité d'exposer adéquatement la
cause du détenu exige la représentation d'un avocat.
Il se peut que la réplique arrogante du président de la
commission, qui a affirmé «Je déciderai qui va comparaître
comme témoin», n'ait pas lésé le requérant, ce dernier ayant
déclaré son intention de ne pas citer de témoins. Néanmoins,
pour jouir d'une audition équitable et pour faire en sorte que les
éléments de preuve seront tous produits, le requérant doit avoir
la faculté de produire des éléments de preuve à la reprise des
auditions, que cette preuve soit testimoniale ou documentaire.
Le défaut de fournir au requérant tous les éléments de preuve
dont disposaient les commissions et le Commissaire l'ont privé
d'une audition équitable. Le requérant ne peut se défendre sans
ces éléments de preuve.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap.
10, art. 28.
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970,
chap. R-9, art. 5, 21(1),(2).
Police Act, R.S.B.C. 1979, chap. 331.
Police (Discipline) Regulations, O.C. 1402/75, Reg.
330/75.
Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, C.R.C.,
chap. 1391, art. 125, 126.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand,
[1979] 1 R.C.S. 495; (1978), 92 D.L.R. (3d) 1; Willette
c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada,
[1985] 1 C.F. 423; (1985), 56 N.R. 161 (C.A.); Lutes c.
Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada,
[1985] 2 C.F. 326 (C.A.); Joplin v. Chief Constable of
Vancouver Police Dept., [1983] 2 W.W.R. 52
(C.S.C: B.); confirmée par (1985), 10 Admin.L.R. 204
(C.A.C.-B.); Howard c. Établissement Stony Mountain,
[1984] 2 C.F. 642; (1985), 45 C.R. (3d) 242 (C.A.);
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de
Matsqui (No. 2), [1980] 1 R.C.S. 602.
DÉCISION EXAMINÉE:
Husted (In re) et in re la Loi sur la Gendarmerie royale
du Canada, [1981] 2 C.F. 719 (1`e inst.).
DÉCISION CITÉE:
Re Bachinsky et al. and Sawyer (1973), 43 D.L.R. (3d)
96 (C.S. Alb.).
AVOCATS:
James W. Williams pour le requérant.
Alan D. Louie pour l'intimé.
PROCUREURS:
Doust & Smith, Vancouver, pour le requé-
rant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Par sa demande fondée sur
l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2 e Supp.), chap. 10], modifiée par ordonnance de
la Cour lors de l'audition de la demande le 13
octobre 1987, le requérant sollicite l'examen et
l'annulation de la décision par laquelle l'intimé
réclamait au requérant la somme de 1 012,50 $, à
être versée à la Couronne, pour des dommages
causés à un véhicule automobile de la Couronne au
cours d'un accident de la circulation survenu le 10
septembre 1982, ou vers cette date.
Voici un bref exposé des faits. Le requérant, qui
a le grade de caporal dans la Gendarmerie Royale
du Canada («GRC») conduisait une voiture de la
GRC à la date susmentionnée lorsque celle-ci s'est
trouvée impliquée dans une collision avec une
autre voiture automobile à Nelson (Colombie-Bri-
tannique), où était cantonné le requérant. Une
commission d'enquête convoquée conformément au
Manuel d'administration de la Gendarmerie a pro-
cédé à une enquête interne et a fait des recomman-
dations au Commissaire intimé. Après avoir conclu
que le caporal Cramm a) n'avait pas été autorisé à
utiliser la voiture de police le soir en question, b)
qu'il n'était pas de service et n'agissait pas dans le
cadre de ses attributions au moment de l'accident,
c) qu'il conduisait le véhicule en question de façon
négligente en ce sens qu'il circulait à la gauche de
la ligne médiane de la route, peut-être en raison de
boissons alcooliques consommées plus tôt, de sorte
que son véhicule est entré en collision avec un
véhicule qui se dirigeait vers lui, conduit par un
civil accompagné de son épouse, et qu'il a causé
des dommages aux deux véhicules d) qu'il était de
ce fait le seul responsable des dommages causés
aux deux véhicules, la commission d'enquête a
recommandé que le requérant soit sommé de payer
la somme de 4 150,00 $ pour les dommages causés
à la voiture de police, et une somme de 3 616,73 $
pour les dommages causés à l'autre véhicule.
Le Commissaire a approuvé ces recommanda-
tions le 18 juillet 1984. Le requérant a alors
interjeté appel auprès d'une commission de révi-
sion uniquement en ce qui concerne la somme
afférente au véhicule de la Couronne. Le Règle-
ment de la GRC ne prévoit aucun appel à l'égard
de la mise en demeure relative aux dommages
causés à un tiers. La commission a confirmé la
décision du Commissaire. Le 21 mars 1985, l'offi-
cier commandant de la Division «E» à Nelson a
avisé l'intimé de la recommandation de la commis
sion d'enquête, qu'il a appuyée. La personne dési-
gnée par le Commissaire, le commissaire adjoint
N. D. Inkster, en accusant réception de l'avis
susmentionné le 9 juillet 1985, a confirmé la déci-
sion du Commissaire en date du 18 juillet 1984 et
il a ordonné que des versements bimensuels de 75 $
soient recouvrés du requérant.
C'est cette décision qui a fait l'objet de la
demande originale fondée sur l'article 28. Toute-
fois, avant l'audition de la demande, le requérant a
été avisé de l'existence d'une autre décision prise à
son insu et sans demande de sa part, selon laquelle
le 14 janvier 1987, le sous-commissaire Jensen
réduisait sa responsabilité à l'égard des dommages
causés au véhicule de police dans une proportion
de 75 %, pour lui réclamer désormais 1 012,50 $.
Les dommages à tierce personne restaient son
entière responsabilité.
Sur demande du requérant, à l'audition de la
demande fondée sur l'article 28, l'autorisation a
été accordée de modifier l'avis introductif d'ins-
tance de façon à demander à la Cour d'examiner
et d'annuler la décision la plus récente, dont il a
été ordonné de verser des copies au dossier.
L'avocat du requérant a fondé sa contestation de
la décision incriminée uniquement sur ce qui serait
des violations des principes de justice naturelle à
trois égards:
(1) il n'a pas été permis au requérant de se faire
représenter par un avocat de son choix auprès de
la commission d'enquête et du Commissaire;
(2) il n'a pas été permis au requérant de citer
des témoins;
(3) les éléments de preuve soumis à l'apprécia-
tion du tribunal n'ont pas tous été révélés au
requérant.
Tous ces griefs se fondent sur la proposition
voulant que la décision du Commissaire, lequel est
sans aucun doute une commission ou un tribunal
au sens de l'article 28, était légalement soumise à
un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Nous
examinerons tou t d'abord la première question que
soulève cette proposition.
Le juge Dickson [alors juge puîné], de la Cour
suprême du Canada, a dit ce qui suit aux pages
503 R.C.S.; 6 D.L.R. de l'arrêt Ministre du
Revenu national c. Coopers and Lybrand':
La question de savoir si une décision ou ordonnance de
nature administrative est légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire dépend dans une large mesure de
l'intention du législateur. Si le Parlement énonce clairement
que la personne ou l'organisme est tenu d'agir judiciairement,
c'est-à-dire de fournir une occasion d'être entendu, les tribu-
naux doivent donner effet à cette intention. Mais le silence sur
ce point n'est pas concluant.
Le juge Dickson a ensuite formulé plusieurs
critères [aux pages 504 R.C.S.; 7 D.L.R.] pour
déterminer si une décision ou ordonnance est léga-
lement soumise à un processus judiciaire ou quasi
judiciaire. Il a pris soin de préciser que la liste qui
suit n'est pas exhaustive.
(1) Les termes utilisés pour conférer la fonction ou le con-
texte général dans lequel cette fonction est exercée donnent-ils
à entendre que l'on envisage la tenue d'une audience avant
qu'une décision soit prise?
' [1979] 1 R.C.S. 495; (1978), 92 D.L.R. (3d) 1.
(2) La décision ou l'ordonnance porte-t-elle directement ou
indirectement atteinte aux droits et obligations de quelqu'un?
(3) S'agit-il d'une procédure contradictoire?
(4) S'agit-il d'une obligation d'appliquer les règles de fond à
plusieurs cas individuels plutôt que, par exemple, de l'obligation
d'appliquer une politique sociale et économique au sens large?
Dans les circonstances de l'espèce, je crois que
l'on peut dire sans risque d'erreur que chacune des
quatre questions recevrait une réponse affirmative.
Je vais les examiner brièvement, l'une après
l'autre.
1. En vertu de l'article 5 de la Loi sur la Gendar-
merie royale du Canada, S.R.C. 1970, chap. R-9
et ses modifications («la Loi»), le Commissaire,
nommé par le gouverneur en conseil et relevant du
solliciteur général, est investi de l'autorité sur la
Gendarmerie et de la gestion de cette dernière. Le
paragraphe 21(1) autorise le gouverneur en conseil
à édicter des règlements. En vertu du paragraphe
21(2), le Commissaire peut édicter des règles,
appelées «ordres permanents», visant «l'organisa-
tion, l'entraînement, la discipline, l'efficacité, l'ad-
ministration et le bon gouvernement de la
Gendarmerie».
Voici le libellé des articles 125 et 126 du Règle-
ment de la Gendarmerie royale du Canada
[C.R.C., chap. 1391], édicté en vertu du paragra-
phe 21(1) de la Loi:
125. (1) Tout membre est responsable des biens publics ou
privés qui lui sont confiés.
(2) Toute perte ou dommage aux biens décrits au paragra-
phe (1) doit faire l'objet d'une enquête sujette aux instructions
du Commissaire.
126. Lorsqu'une enquête entreprise à la demande du Com-
missaire au sujet de quelque perte ou dommage aux biens
publics ou privés démontre que la perte ou le dommage n'est
pas attribuable à l'utilisation normale des biens ou à un acci
dent inévitable, le membre responsable peut être tenu de payer
la part des frais de remplacement ou de réparation qui corres
pondent, selon le Commissaire ou son représentant, à sa négli-
gence, et le montant ainsi fixé peut être prélevé sur la solde du
membre comme l'indique le Commissaire ou son représentant.
Parmi les ordres permanents qui émanent du
Commissaire et font partie du Manuel d'adminis-
tration de la Gendarmerie, se trouvent les paragra-
phes suivants au chapitre VIII.2:
C.1. Le membre responsable de la perte, du vol ou de l'en-
dommagement de biens publics en sa possession ou
confiés à ses soins peut être tenu de rembourser, en tout
ou en partie, les frais de réparation ou de remplacement
de ces biens, conformément à l'art. 126 du Règlement de
la GRC.
C.2. Aux fins de l'article 126 du Règlement de la GRC, les
personnes suivantes sont autorisées à percevoir ces frais
dans les limites financières prescrites et selon le degré de
négligence du membre pour la perte, le vol ou l'endom-
magement de biens publics.
a. Direction générale
Commissaire Plein montant
Sous-commissaire (A.G.) 3 500 $
Directeur de l'Org. et du Pers. 2 000 $
Sous-directeur principal
chargé du personnel 2 000 $
S.-d. c. des affaires internes 1 000 $
b. Divisions (exceptions: dommages aux véhicules auto
mobiles de police, aux aéronefs et aux navires.)
Commandant divisionnaire 500 $
Officier de l'administration
et du personnel 500 $
C.3. Les personnes autorisées à percevoir ces paiements peu-
vent, après avoir établi le degré de négligence (responsa-
bilité) du membre, réduire le montant du rembourse-
ment si des circonstances atténuantes existent.
Au même chapitre, mais n'ayant apparemment
pas qualité d'ordres permanents, figurent les direc
tives suivantes au paragraphe J:
J. RÉCLAMATION CONTRE UN MEMBRE (Art. 126 du Règle-
ment de la GRC)
J. 1. Généralités
J. 1. a. Les critères qui servent à déterminer si une réclama-
tion doit être faite en vertu de l'art. 126 du Règlement
de la G.R.C. sont les suivants:
1. si le bien était un véhicule automobile de police, un
aéronef ou un navire loué ou appartenant à la
GRC, la négligence du membre, alors qu'il n'agis-
sait pas dans le cadre de ses attributions, doit avoir
contribué directement à l'accident. La Direction
générale établira alors la catégorie d'accident et
fixera le montant à réclamer au membre;
2. dans tous les autres cas de perte, de vol ou d'en-
dommagement de biens publics ou de biens loués
par la Gendarmerie ou confiés à ses soins, le
membre doit avoir fait preuve d'une négligence telle
que ses actes irréfléchis justifient une réclamation.
J. 2. a. Cdt div. ou agent A.P.
1. Voyez l'Ann. VIII-2-2 pour les conditions et les
modalités de réclamation.
2. Si les conditions données au s.-al. J.1.a.1. s'appli-
quent, avisez le membre que l'on pourra lui récla-
mer le remboursement de la perte proportionnelle-
ment à la négligence dont il a fait preuve et, s'il
s'agit d'un accident de véhicule automobile de
police, informez-le de la catégorie d'accident dont il
s'agit, selon l'Ann. VIII-1-1. Le barème de récla-
mation retrouvé à l'Ann. VIII-2-1 ne s'applique pas
dans ces cas.
3. Si les dispositions du s.-al. J.1.a.2. s'appliquent et
que le membre agissait dans le cadre de ses attribu
tions, avisez-le que l'on pourra lui réclamer un
remboursement proportionnel à son degré de négli-
gence. Dans ces cas, le barème de l'Ann. VIII-2-1
s'applique.
4. Si les dispositions du s.-al. J.1.a.2 s'appliquent et
que le membre n'agissait pas dans le cadre de ses
attributions, avisez-le que l'on pourra lui réclamer
le remboursement de la perte proportionnellement à
son degré de négligence. Ici, le barème de l'Ann.
VIII-2-1 ne s'applique pas.
5. Demandez au membre de signifier par écrit s'il
exige une commission d'enquête. Permettez-lui de
lire tous les documents pertinents.
6. Si le membre ou le commandant div. ou l'agent
A.P. désire la réunion d'une commission, suivez les
démarches du chapitre VIII.3., «Commissions
d'enquête».
7. S'il s'agit d'une réclamation contre la Couronne et
que les dispositions de l'al. F.1.c. ne s'appliquent
pas, transmettez une copie de tous les documents
relatifs à l'enquête au ministère de la Justice. Si
une demande peut être faite contre le membre,
suivez les modalités données en VIII.2.L.
8. Étudiez les résultats et les recommandations de la
Commission d'enquête.
9. S'il s'agit d'un accident impliquant un véhicule
automobile de police, un aéronef ou un navire loué
ou appartenant à la GRC, et que le membre qui a
manifesté de la négligence n'agissait pas dans le
cadre de ses attributions, transmettez toutes les
données à la D.G., à l'att. du s.-d. c. des affaires
internes.
1. Donnez le degré de responsabilité du membre à
l'égard de la perte ou de l'endommagement.
2. Expliquez les circonstances atténuantes qui doi-
vent être étudiées.
3. Recommandez le montant de la réclamation.
4. Recommandez la catégorie d'accident de voitu-
res de police.
Le chapitre VIII.3 traite de façon assez détaillée
de la nomination et des responsabilités des com
missions d'enquête.
Je me reporte maintenant à la première question
posée par le juge Dickson [alors juge puîné] et je
me demande si tous les règlements, ordres perma
nents (ayant valeur de règlements) et directives
susmentionnés donnent à entendre que l'on envi
sage la tenue d'une audience avant qu'une décision
soit prise, bien que la question en litige soit claire-
ment administrative. Je crois que la réponse est un
«oui» non équivoque, et cela se comprend aisément.
Le paragraphe 125(2) du Règlement, lorsqu'il
dit que toute perte ou tout dommage aux biens
publics «doit faire l'objet d'une enquête sujette aux
instructions du Commisaire», envisage une enquête
revêtue d'un caractère assez formel. L'article 126
appuie ce point de vue, car il parle d'aune enquête
entreprise à la demande du Commissaire» dont on
s'attend qu'elle démontre si «la perte ou le dom-
mage n'est pas attribuable à l'utilisation normale
des biens ou à un accident inévitable ...» de sorte
que «le membre responsable [puisse] être tenu de
payer la part des frais ... de réparation qui corres
pondent ... à sa négligence ...»
Lorsqu'on lit ces dispositions de concert avec les
ordres permanents du Commissaire et les directi
ves (qu'elles aient valeur ou non d'ordres perma
nents) cités plus haut, il me semble évident qu'une
audience est envisagée. C'était certainement l'opi-
nion de la Gendarmerie, puisqu'elle a invité le
requérant à comparaître, à se faire entendre et, s'il
le souhaitait, à présenter des observations écrites et
orales. De plus, le président de la commission
d'enquête s'est réservé le droit de citer des témoins,
et a exercé ce droit.
En réponse à la première question, je n'hésite
donc aucunement à conclure que l'on envisageait
la tenue d'une enquête avant qu'une décision soit
prise.
2. La décision ou ordonnance porte-t-elle directe-
ment ou indirectement atteinte aux droits et obli
gations de quelqu'un? La réponse est évidemment
un «oui» sans équivoque. La somme considérable
que le requérant est tenu de payer démontre la
validité de cette conclusion.
3. S'agit-il d'une procédure contradictoire? La
réponse à cette question ne peut être aussi nette
que les réponses aux deux premières questions.
Toutefois, je puis difficilement concevoir comment
une procédure pourrait être considérée comme
totalement dénuée de tout caractère contradictoire
lorsque le membre de la Gendarmerie en cause a
nié être tenu aux dommages-intérêts réclamés, a
demandé la permission de citer des témoins à
l'appui de sa dénégation, a demandé et obtenu une
commission d'enquête pour enquêter sur l'accident,
vraisemblablement dans l'intention d'étayer sa
défense, et a demandé d'être représenté par un
avocat à l'enquête, ce qui lui a été refusé. S'il
n'avait pas réclamé une commission d'enquête, le
Commissaire ou une personne par lui désignée
aurait pu déterminer la responsabilité du requé-
rant, établir l'étendue de sa faute et fixer les
dommages-intérêts de façon unilatérale. Mais le
requérant a réclamé une commission d'enquête, et
les ordres permanents et les directives ont révélé
que bien que le rôle de la commission soit large-
ment inquisitorial, il n'en revêt pas moins certaines
des caractéristiques d'une procédure de type accu-
satoire, car la commission peut citer des témoins et
la personne dont la conduite est examinée peut non
seulement témoigner mais aussi faire des observa
tions orales et écrites. Tout bien pesé, je considère
donc la procédure en cause comme étant au moins
partiellement accusatoire. Je réponds par consé-
quent à la question par un «oui» assorti d'une
réserve.
4. S'agit-il d'une obligation d'appliquer les règles
de fond? Selon moi, les règlements, les ordres
permanents et les directives sont des règles de fond
applicables à la procédure investigatrice interne de
la Gendarmerie. En outre, la conclusion à laquelle
mène la procédure suivie implique l'application de
principes juridiques de fond ayant trait à la direc
tion et à la maîtrise d'un véhicule automobile sur
la voie publique, à l'étendue des attributions du
policier en question et à l'interprétation des règles
internes de la Gendarmerie sur l'usage des véhicu-
les de police, par exemple. La réponse à cette
question doit donc elle aussi être affirmative.
Toutefois, cela ne règle pas définitivement cet
aspect de la question. La décision litigieuse est
celle du sous-commissaire Jensen. Il n'a pas été
contesté qu'il était le mandataire légitime du Com-
missaire de l'époque. Toute violation alléguée des
principes de justice naturelle dans l'élaboration de
la décision se serait produite au niveau de la
commission d'enquête. Ce fait a-t-il une incidence
sur la question primordiale? À mon avis, ce n'est
pas le cas.
La procédure invoquée dans cette affaire non
disciplinaire ressemble de près à celle qui est pres-
crite pour les enquêtes disciplinaires. Dans les
arrêts Willette 2 et Lutes 3 , et peut-être dans d'au-
tres décisions, il a été statué que ces enquêtes
étaient quasi judiciaires et par conséquent suscep-
tibles de l'examen visé à l'article 28, en dépit du
fait que, comme en l'espèce, les commissions d'en-
quête et les commissions de révision n'étaient habi-
litées qu'à faire des recommandations au Commis-
saire, auquel incombe l'entière responsabilité de
rendre la décision disciplinaire ou non disciplinaire
qui s'impose. Dans les deux affaires susmention-
nées, les erreurs de droit étaient imputables à l'une
ou l'autre des commissions, ou aux deux. Le juge
Stone, qui s'exprimait au nom de la Cour unanime
dans l'arrêt Willette, a traité avec clarté de cet
aspect de la question juridictionnelle dans le pas
sage suivant de ses motifs aux pages 428 C.F.; 170
N.R.:
Le Commissaire n'a pas lui-même présidé l'audition tenue
devant la Commission. Comme ce fut le cas devant la Commis
sion de révision, l'appel dont il a été saisi reposait sur le dossier
produit par la commission de licenciement et de rétrogradation.
Il n'a pas tenu une audition de novo. Il a cependant pu conclure
que [TRADUCTION] aces procédures ont été conduites de la
manière appropriée tout au long de l'enquête et à tous les
niveaux de l'action administrative interne». Si, par conséquent,
la commission de licenciement et de rétrogradation a commis
une erreur de droit en privant le requérant de l'exercice d'un
droit enchâssé dans la Charte, dans la Déclaration canadienne
des droits ou prévu par la common law en ce qui concerne un
des aspects de l'audition, il est évident que la décision du
Commissaire est entachée par cette erreur et qu'elle est suscep
tible d'examen et d'annulation par cette Cour. [C'est moi qui
souligne.]
À mon sens, ce raisonnement s'applique égale-
ment à l'espèce, bien qu'il s'agisse d'une question
non disciplinaire. En conséquence, j'estime que la
présente demande vise une décision de nature
administrative légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire, et qu'elle est donc
susceptible d'examen conformément à l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale.
J'en arrive maintenant aux trois moyens d'appel.
1. Le tribunal a commis une erreur en refusant à
l'appelant le droit de se faire représenter par un
avocat.
2 Willette c. Commissaire de la Gendarmerie royale du
Canada, [1985] 1 C.F. 423; (1985), 56 N.R. 161 (C.A.).
3 Lutes c. Commissaire de la Gendarmerie royale du
Canada, [1985] 2 C.F. 326 (C.A.).
De prime abord, j'ai douté du bien-fondé de ce
moyen. Toutefois, après avoir lu attentivement la
jurisprudence à laquelle l'avocat du requérant a
fait référence, et après avoir étudié davantage la
question, je suis d'avis que compte tenu des faits de
l'espèce, le refus de permettre au requérant de se
faire représenter par un avocat constitue une
erreur.
Le dossier révèle que le 25 février 1983, le
requérant a avisé son officier commandant qu'il
réclamait la tenue d'une commission d'enquête en
vertu du chaptire VIII.2 J.2.a.5 et du chapitre
VIII.3 E (susmentionnés) du Manuel d'adminis-
tration. En même temps, il demandait à se faire
représenter par un avocat devant la commission.
Cette demande du requérant a été rejetée à plu-
sieurs reprises, tout comme les demandes ultérieu-
res de son avocat de comparaître pour lui. Le
requérant a demandé par la suite à se faire repré-
senter par un membre de la Gendarmerie,
demande qui a aussi été rejetée.
La constitution d'avocat s'offrait-elle au requé-
rant dans cette procédure non disciplinaire? Son
avocat a affirmé devant nous que même si l'on
dépeint l'affaire comme étant administrative et
interne, elle était sérieuse, ses dimensions étaient
formelles et ses conséquences, considérables. Cela
étant, le requérant avait droit de retenir les servi
ces d'un avocat. À l'appui de cet argument, quatre
arrêts ont été invoqués: Husted (In re) et in re la
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada'; Re
Bachinsky et al. and Sawyers; Joplin v. Chief
Constable of Vancouver Police Dept. 6 (en pre-
mière instance et en appel); et Howard c. Etablis-
sement Stony Mountain'.
Toutes ces affaires portent sur le droit d'être
représenté par un avocat devant les conseils de
discipline carcérale ou de police.
Les plus récentes de ces décisions sont les arrêts
rendus dans l'affaire Joplin, de sorte que je ne
ferai référence principalement qu'à eux. Cette
affaire visait le droit des agents de police de se
faire représenter par un avocat devant des conseils
disciplinaires convoqués conformément à la Police
° [1981] 2 C.F. 791 (1te inst.).
(1973), 43 D.L.R. (3d) 96 (C.S. de l'Alb.).
6 [1983] 2 W.W.R. 52 (C.S.C.-B.); confirmé par (1985), 10
Admin.L.R. 204 (C.A.C.-B.).
7 [1984] 2 C.F. 642; (1985), 45 C.R. (3d) 242 (C.A.).
Act [R.S.B.C. 1979, chap. 331] de la Colombie-
Britannique et à son règlement d'application
[Police (Discipline) Regulations, O.C. 1402/75,
Reg. 330/75]. Le paragraphe 18(2) du règlement
prétendait apparemment interdire aux agents qui
faisaient l'objet d'une accusation le droit d'être
représentés par un avocat devant un conseil disci-
plinaire lorsque la peine maximale imposable
n'était ni le renvoi, ni la démission ni la rétrogra-
dation. Il a été allégué que ce règlement dépassait
les pouvoirs du lieutenant gouverneur en conseil
parce qu'il était contraire aux principes de justice.
Le juge en chef McEachern, dans une prudente
analyse de la jurisprudence pertinente, a souligné
que les distinctions entre l'obligation d'agir selon
les règles de justice et d'équité ont été (autrement
qu'en vertu de l'article 28) passablement réglées
par la décision de la Cour suprême du Canada
dans l'affaire Martineau c. Comité de discipline
de l'Institution de Matsqui (No. 2) 8 , lorsque le
juge Dickson (aujourd'hui juge en chef) a dit [à la
page 6311: -
... En conclusion, la simple question à laquelle il faut répondre
est celle-ci: compte tenu des faits de ce cas particulier, le
tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se
prétend lésée?
Le juge en chef McEachern a ensuite étudié les
motifs fondamentaux de plusieurs jugements
anglais et canadiens et finalement, ceux de la
Division de première instance de cette Cour dans
l'affaire Husted, décision rendue par le juge Addy.
Dans cette affaire, deux agents de la Gendarmerie
royale étaient accusés d'ainfractions majeures res-
sortissant au service» sous le régime de la Loi sur
la GRC, et ils avaient été traduits devant un
surintendant qui leur avait refusé la permission de
se faire représenter par un avocat. Le juge en chef
McEachern a cité en l'approuvant le passage sui-
vant de l'arrêt Husted aux pages 65 et 66:
[TRADUCTION] Le juge Addy rationalise de la façon suivante
aux pages 159 et 160 les nombreux points de vue exprimés sur
cette importante question:
«La common law ne reconnaît nullement le droit absolu de se
faire représenter par un avocat à la personne susceptible de
quelque sanction. Les tribunaux ont toujours refusé d'intervenir
dans les affaires de discipline interne où la représentation par
conseil est refusée, lorsque, en raison de son objet ou de la
nature de l'infraction reprochée, l'audition relève de l'adminis-
tration interne et porte sur une question de discipline au sein
d'un corps spécial comme une arme des forces armées ou une
8 [1980] 1 R.C.S. 602.
force de police. Dans ces cas, les pouvoirs de l'officier qui juge
l'infraction sont généralement très limités et susceptibles de
contrôle administratif par une autorité supérieure. En pareils
cas, la faute disciplinaire reprochée est d'ordinaire instruite
sans formalités, sans la présence d'un sténographe judiciaire
pour la transcription des procès-verbaux, sans qu'interviennent
des règles de preuve strictes et, comme un juge l'a dit, [TRA-
DUCTION] «d'homme à homme» entre l'officier supérieur et le
présumé contrevenant. Dans la plupart de ces cas, la coutume
bien établie veut que les questions de discipline se règlent au
sein du corps ou de l'organisme, sans formalités et sans inter
vention extérieure. Dans d'autres cas, la loi interdit expressé-
ment de recourir à des représentants ou avocats de l'extérieur.
Le service exige une telle absence de formalités sans laquelle le
fonctionnement quotidien du corps considéré et le maintien de
la discipline interne seraient si lourds et prendraient tellement
de temps que l'efficacité du service en souffrirait. En revanche,
la common law reconnaît que lorsque la liberté d'une personne
ou ses moyens d'existence sont en jeu dans un procès, celle-ci
devrait avoir droit aux services d'un avocat compétent de son
choix, à moins que le recours aux services d'un avocat donné ne
retarde ou n'entrave indûment l'administration de la justice.
C'est là un corollaire du principe qu'un accusé a droit à une
défense pleine et juste.»
Le juge en chef a alors tiré les conclusions
suivantes sur l'affaire dont il était saisi [aux pages
67 et 68]:
[TRADUCTION] Je ne crois pas que l'on puisse considérer
autrement que comme sérieuses les procédures disciplinaires
relevant de ce code de discipline (sauf celles qui se déroulent
formellement «d'homme à homme», aucune inscription n'étant
faite au dossier de l'agent). Dans notre société contemporaine,
où les décisions engageant la carrière d'un individu doivent être
prises quand il est jeune, plusieurs de nos citoyens ne jouissant
pas d'une seconde chance, et où tous les policiers sont présumés
être des agents de carrière, où la bonne conduite compte
évidemment pour beaucoup en ce qui concerne l'avancement et
donc les salaires, et où la pension et d'autres avantages dépen-
dent en partie du salaire gagné en fin de carrière, on ne saurait
évidemment prétendre qu'une condamnation portée au dossier
d'un policier pour faute disciplinaire, ne fut-ce que pour l'usage
d'un gros mot, n'est pas une chose sérieuse. Puisqu'un officier
supérieur de ce corps de police estime la plainte suffisamment
grave pour engager cette procédure conduisant à une audition
formelle, avec toute sa panoplie de règles à suivre, c'est alors
que c'est sérieux en soi, et il en est ainsi peu importe la nature
de l'infraction reprochée ou la peine maximale recommandée.
Je crois que toute personne sensée en conviendra.
Il s'ensuit à mon avis qu'il n'est pas nécessaire d'établir une
classification pour déterminer ce qui est sérieux et ce qui ne
l'est pas. Une sorte de classification existait commodément
dans le cas de l'affaire dont était saisi le juge Addy, et il s'en est
tenu aux questions qu'il avait à décider, et qui étaient qualifiées
d'«infractions majeures ressortissant au service». Les paragra-
phes 18(1) et (2) fournissent également une telle classification
en l'espèce, mais j'estime de telles distinctions artificielles, et je
préfère, pour décider ce qui est grave, adopter une optique large
et considérer la nature de la procédure et ses conséquences,
certaines ou virtuelles, plutôt que m'en tenir à la forme du
règlement. [C'est moi qui souligne.]
Je suis respectueusement d'accord avec le juge Addy pour
dire qu'on ne peut s'attendre à ce qu'un profane, même un
policier, en vienne à connaître parfaitement les règles en
matière de preuve et de procédure criminelle pour assurer sa
propre défense. Il est très sage de dire que l'avocat qui agit pour
son propre compte a pour avocat et pour client une personne
insensée.
Lorsque le lieutenant-gouverneur en conseil a établi une
procédure formelle de règlement des litiges, il n'a pu, en toute
justice, laisser de côté la plus importante garantie du processus
judiciaire, c'est-à-dire le droit aux services d'un avocat. Je suis
convaincu que la justice et l'équité ne sauraient tolérer une
procédure selon laquelle un profane serait censé se débrouiller
avec des concepts juridiques qui lui sont étrangers, et en même
temps se conseiller objectivement.
La Cour d'appel a confirmé la décision du juge
en chef et adopté ses motifs. Plus particulièrement,
la Cour a approuvé la directive du juge, par
laquelle il accordait à l'agent de police la faculté
de se faire représenter par un avocat, plutôt que de
reconnaître le droit de constitution d'avocat.
L'affaire Howard touchait aussi aux questions
de discipline, mais elle visait des prisonniers. Bien
qu'elle ait porté sur l'article 7 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)], qui n'a pas été invoqué en
l'espèce, une partie du raisonnement auquel elle a
donné lieu est pertinent en l'espèce. Aux pages 662
et 663 C.F.; 262 et 263 du recueil [C.R.], le juge
en chef Thurlow a dit ce qui suit:
Je suis d'avis que l'adoption de l'article 7 n'a créé aucun droit
absolu d'être représenté par avocat dans toute procédure de ce
genre. Il est sans aucun doute de la plus grande importance que
la personne dont la vie, la liberté ou la sécurité sont en jeu ait
l'occasion d'exposer sa cause aussi pleinement et adéquatement
que possible. Les avantages de l'assistance d'un avocat à cette
fin ne sont pas contestés. Cependant, ce qui est exigé c'est
l'occasion d'exposer la cause adéquatement et je ne crois pas
qu'on puisse affirmer qu'il n'existe pas de cas où une telle
occasion ne peut être fournie sans qu'il faille également accor-
der le droit d'être représenté par avocat à l'audition.
Une fois qu'on a adopté cette position, il me semble que la
question de savoir si oui ou non une personne a le droit d'être
représentée par avocat dépendra des circonstances de l'espèce,
de sa nature, de sa gravité, de sa complexité, de l'aptitude du
détenu lui-même à comprendre la cause et à présenter sa
défense. Cette liste n'est pas exhaustive. Il s'ensuit donc, à mon
avis, que la question de savoir si la requête d'un détenu en vue
d'être représenté par avocat peut être légalement refusée ne
peut être considérée comme une question de discrétion, car il
s'agit d'un droit qui existe lorsque les circonstances sont telles
que la possibilité d'exposer adéquatement la cause du détenu
exige la représentation par avocat. Il se peut que lorsque les
circonstances ne mènent pas à cette conclusion, le fonctionnaire
responsable dispose néanmoins d'un pouvoir résiduaire lui per-
mettant d'autoriser la présence d'un avocat, mais ce point
n'entre pas selon moi dans le champ d'application de l'article 7.
[C'est moi qui souligne.]
Une fois accepté tout ce qui précède sur les
conseils disciplinaires, y a-t-il lieu d'établir une
distinction entre les principes applicables aux
matières visant la discipline et ceux qui concernent
les procédures non disciplinaires revêtant
quelques-unes des caractéristiques judiciaires des
conseils disciplinaires, sans nécessairement les pos-
séder toutes? Je ne le crois pas. Les décisions
mentionnées dans l'arrêt Joplin reposaient sur la
justice manifestée à un prévenu relativement à des
accusations susceptibles d'avoir des conséquences
sur sa réputation, son gagne-pain et ses possibilités
d'avancement. Ces trois conséquences se retrou-
vent dans une affaire comme celle en l'espèce, de
nature non disciplinaire. Bien qu'aucun élément de
preuve direct ne le prouve, je crois qu'on peut
inférer sans risque d'erreur que le dossier du capo-
ral Cramm mentionnera désormais qu'il a été
impliqué dans un accident relié à l'alcool et con-
cernant des civils. Cela est susceptible de nuire à
ses chances d'avancement, et sûrement à sa
réputation.
Pour ce qui est de son aptitude à gagner sa vie,
le caporal Cramm a été tenu responsable de verser
une somme supérieure à 7 700 $, montant qui
aurait été considérablement plus élevé si, par
exemple, il avait démoli un poids lourd de grande
valeur ou causé des blessures aux passagers du
second véhicule. Dans une telle éventualité, des
dommages-intérêts de centaines de milliers de dol
lars auraient pu entrer en jeu. Le requérant aurait
pu être exposé à ces graves conséquences en raison
des recommandations d'une commission qui n'a
pas été mise au courant du droit en matière de
négligence, que ce soit par son propre avocat, ou
encore à la suite du contre-interrogatoire auquel se
serait livré l'avocat de l'intéressé, ou des observa
tions qu'il aurait faites, en faisant appel à ses
connaissances juridiques. De telles conséquences
ne sont tout simplement pas justes.
Quant au chaos administratif susceptible de
régner si des avocats pouvaient comparaître dans
des affaires de cette nature, tout d'abord, j'imagine
que le nombre de celles-ci est plutôt restreint et, en
outre, la présence d'un avocat compétent pourrait
fort bien faciliter les choses et, plus important
encore, faire en sorte que justice soit faite en
permettant à une personne dans la situation du
requérant d'exposer son affaire avec compétence.
Deuxièmement, je souscris à ce qu'a dit le juge en
chef Thurlow dans l'arrêt Howard [aux pages 663
C.F.; 262-263 C.R.], dans l'extrait de ses motifs
que j'ai déjà cité et que je répète partiellement
pour des raisons de convenance:
Une fois qu'on a adopté cette position, il me semble que la
question de savoir si oui ou non une personne a le droit d'être
représentée par avocat dépendra des circonstances de l'espèce,
de sa nature, de sa gravité, de sa complexité, de l'aptitude du
détenu lui-même à comprendre la cause et à présenter sa
défense. Cette liste n'est pas exhaustive. Il s'ensuit donc, à mon
avis, que la question de savoir si la requête d'un détenu en vue
d'être représenté par avocat peut être légalement refusée ne
peut être considérée comme une question de discrétion, car il
s'agit d'un droit qui existe lorsque les circonstances sont telles
que la possibilité d'exposer adéquatement la cause du détenu
exige la représentation par avocat. [C'est moi qui souligne.]
2. Le tribunal a commis une erreur en refusant au
requérant le droit de citer des témoins.
Le dossier révèle, notamment, que le requérant a
avisé le président de la commission d'enquête qu'il
n'avait pas l'intention de citer des témoins à l'au-
dience de la commission, et que le président a
répliqué, non sans une certaine arrogance [TRA-
DUCTION] «En qualité de président de la commis
sion d'enquête, je déciderai qui va comparaître
comme témoin» (voir l'annexe du dossier d'appel,
aux pages 14 et 15).
Si cette affaire ne devait pas, en tout état de
cause, faire l'objet d'un renvoi pour qu'il en soit
décidé régulièrement, après que le requérant ait eu
la faculté de se faire représenter par un avocat,
j'estimerais que les paroles du président ne pour-
raient être considérées comme préjudiciables au
requérant en raison de leur manque d'équité, puis-
que ce dernier a déclaré ne pas entendre citer des
témoins. Toutefois, dans les circonstances, je suis
d'avis que pour jouir d'une audition équitable et
pour que les éléments de preuve dont la commis
sion a ou pourra avoir connaissance ne soient pas
les seuls présentés, le requérant doit avoir la
faculté de produire des éléments de preuve à la
reprise des auditions, que cette preuve soit testimo-
niale ou documentaire. Le poids à accorder à ces
éléments de preuve est, naturellement, l'entière
responsabilité de la commission et, en fin de
compte, du Commissaire. Seule, cette façon d'agir
pourra conduire à une décision bien informée sur
toutes les circonstances entourant l'incident en
question.
3. Le tribunal n'a pas révélé tous les éléments de
preuve soumis à son appréciation.
Le requérant allègue, et le dossier confirme ses
dires, que certaines parties de la documentation
afférente au rapport d'enquête qui lui a été trans-
mis avaient été raturées ou ne lui avaient pas été
remises du tout. Les deux commissions et le Com-
missaire avaient tous la documentation intégrale, y
compris les versions non épurées. Il me semble que
le requérant, pour être en mesure de se défendre
convenablement, doit essentiellement disposer de
toute la documentation que possède le tribunal. Le
défaut de la lui transmettre le prive d'une audition
équitable.
RÉSUMÉ
En résumé, les trois contestations mettent en
cause le concept de l'équité. L'équité est «une
notion souple et son contenu varie selon la nature
de l'enquête et les conséquences qu'elle peut avoir
pour les individus en cause 9 ». Selon cette opinion,
il est évident, pour les motifs donnés plus haut, que
le requérant devrait obtenir gain de cause à l'égard
de chacun des points sur lesquels il se fonde pour
contester la décision litigieuse du Commissaire.
CONCLUSION
En conséquence, j'accueillerais la demande
fondée sur l'article 28 et j'annulerais la décision
contestée, soit celle du Commissaire intimé, rendue
le 18 juillet 1984, telle qu'elle a été modifiée par la
décision du sous-commissaire Jensen le 14 juillet
1987. L'affaire devrait être renvoyée au Commis-
saire en tenant pour acquis qu'une nouvelle com
mission d'enquête, constituée différemment de la
précédente, devrait être convoquée pour procéder à
l'enquête appropriée conformément aux principes
de justice naturelle et de façon compatible avec les
présents motifs.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MARCEAU: Je souscris à ces motifs.
9 Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives
du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, les motifs du juge Estey, à
la p. 231.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.