A-648-85
Flora MacDonald, John Crosbie et Simon Pérusse
(appelants)
c.
Joseph John Kindler (intimé)
RÉPERTORIÉ: KINDLER C. MACDONALD
Cour d'appel, juges Hugessen, MacGuigan et
Lacombe—Montréal, 15 mai; Ottawa, 3 juin
1987.
Immigration — Expulsion — Les décisions fondées sur les
art. 27 et 28 de la Loi qui porte qu'une enquête sera tenue ne
sont pas assujetties à une obligation d'accorder une audience
non orale ou au droit de faire des représentations écrites —
Ces décisions sont de nature administrative — Pourvu qu'elles
aient été prises de bonne foi, elles ne portent pas atteinte à
l'équité — L'audition prévue devant l'arbitre n'enfreint pas
l'art. 7 de la Charte — La Cour ne devrait pas prendre en
considération les conséquences possibles de l'expulsion —
L'appel formé à l'encontre de la décision cassant la directive
délivrée conformément à l'art. 27 de la Loi est accueilli — Loi
sur l'immigration de 1976, S.C. 1976, chap. 52, art. 27(3),(4),
28, 30(1), 32(6), 54 — Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34
— Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10,
art. 18 — Sentencing Code, 42 Pa.C.S.A. § 9711(g).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Les décisions fondées sur les art. 27 et 28 de la Loi
sur l'immigration de 1976 de tenir une enquête n'ont pas privé
l'intimé des droits que lui confère la Charte — L'enquête
satisfait aux exigences procédurales relatives à la justice
fondamentale prévues à l'art. 7 — Lors de l'audition tenue
devant l'arbitre, l'intimé a la possibilité de présenter sa cause
et de se défendre avec l'aide d'un avocat — L'expulsion n'est
pas fondamentalement injuste — Elle rétablit la situation qui
existait avant l'entrée illégale — Charte canadienne des droits
et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle
de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 7, 12 — Déclaration canadienne des droits,
Appendice III, art. 2e) — Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, chap. 52, art. 27, 28.
L'intimé, un citoyen américain, a été condamné à mort par
une cour américaine et s'est évadé au Canada avant le prononcé
formel de sa sentence. Une directive prescrivant la tenue d'une
enquête conformément au paragraphe 27(3) et à l'article 28 de
la Loi sur l'immigration de 1976 a été délivrée. Avant la date
fixée pour l'enquête, l'intimé a présenté une requête sollicitant,
entre autres, un bref de certiorari cassant la directive du
sous-ministre portant qu'une enquête soit tenue devant un
arbitre. Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre de la décision
accueillant cette requête. Le juge de première instance a conclu
que le sous-ministre, avant d'adresser une directive sur le
fondement du paragraphe 27(3), était obligé d'accorder à
l'intimé une audience non orale ou le droit de faire des repré-
sentations écrites. Il a également décidé que les procédures
relatives aux enquêtes tenues en vertu de l'article 28 ne satisfai-
saient pas aux exigences de l'article 7 de la Charte puisqu'elles
ne confèrent pas à un arbitre le pouvoir discrétionnaire de
décider qu'une ordonnance d'expulsion ne devrait pas être
prononcée eu égard à toutes les circonstances.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
La décision du sous-ministre d'adresser une directive pré-
voyant la tenue d'une enquête conformément au paragraphe
27(3), la décision subséquente prise par un agent d'immigration
supérieur conformément au paragraphe 27(4) de faire tenir
cette enquête ou la décision parallèle prise par un tel agent
conformément à l'article 28 de faire tenir une enquête ont un
caractère purement administratif. L'agent d'immigration supé-
rieur est simplement l'intermédiaire qui, selon la Loi, déclenche
la tenue de l'enquête. Le sous-ministre a seulement à décider
que la tenue d'une enquête s'impose, ce qu'il peut faire sur le
fondement d'une preuve prima facie. Il serait ridicule d'exiger
même la possibilité de présenter des arguments par écrit con-
cernant la décision d'accorder une audition. Pourvu que les
décisions officielles aient été prises de bonne foi, elles ne
peuvent porter atteinte à l'équité. De plus, les décisions visées
aux articles 27 et 28 de la Loi ne privent pas l'intimé de sa vie,
de sa liberté et de sa sécurité. En conséquence, elles ne sont pas
visées par le principe énoncé dans l'arrêt Cardinal selon lequel
une obligation de respecter l'équité dans la procédure incombe
à tout organisme public qui rend des décisions administratives
qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits,
privilèges ou biens d'une personne.
L'erreur fondamentale commise par le juge de première
instance procède de sa conception erronée de l'enquête en
matière d'immigration. Le juge de première instance croyait
que l'intimé devait avoir la faculté d'exposer sa cause devant
l'arbitre comme il l'aurait fait dans le cadre d'une audition en
matière d'extradition. Si les allégations de fait présentées
contre l'intimé sont vraies, l'arbitre n'a d'autre choix que
d'ordonner l'expulsion puisque le paragraphe 32(6) l'empêche
de prendre en considération des circonstances spéciales lorsqu'il
décide d'une affaire comme celle en l'espèce.
L'audition que la Loi sur l'immigration de 1976 prévoit
relativement à une enquête respecte les exigences procédurales
visant la justice fondamentale prévues par l'article 7 de la
Charte: l'intimé se voit accorder la possibilité d'exposer sa
version des faits et de contester les faits présentés par l'autre
partie en étant assisté d'un avocat. De plus, on ne peut conclure
à l'injustice fondamentale d'une disposition législative exigeant
l'expulsion d'une personne dont il a été conclu qu'elle se
trouvait illégalement au pays. L'expulsion était une sanction
parfaitement adaptée au comportement illégal en cause puis-
qu'elle rétablissait la situation qui existait avant l'entrée illégale
au pays.
La Cour, dans une affaire comme celle en l'espèce, ne devrait
pas prendre en considération les autres conséquences possibles
de l'expulsion, telles la possibilité que l'intimé subisse la peine
capitale. L'imposition de la peine capitale relève du domaine
des conjectures plutôt que du domaine des faits. Ainsi que l'a
déclaré le juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'arrêt
Operation Dismantle, "L'article 7 de la Charte ne saurait
raisonnablement être interprété comme imposant ... l'obliga-
tion de ne pas accomplir des actes qui pourraient avoir pour
conséquence de porter atteinte ... à la vie des individus et à la
sécurité de leur personne.»
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent,
[1985] 2 R.C.S. 643; États-Unis c. Allard, [1987] 1
R.C.S. 564.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de
Matsqui, [ 1980] 1 R.C.S. 602; Smythe c. La Reine,
[1971] R.C.S. 680; Doyle c. Commission sur les prati-
ques restrictives du commerce, [1983] 2 C.F. 867 (C.A.);
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S.
486; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et
autres, [1985] I R.C.S. 441; Singh et autres c. Ministre
de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177;
(1985), 58 N.R. 1.
DÉCISIONS CITÉES:
Moore v. Minister of Manpower and Immigration,
[1968] R.C.S. 839; 69 D.L.R. (2d) 273; Ministre du
Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1
R.C.S. 495.
AVOCATS:
Suzanne Marcoux-Paquette pour les appe-
lants.
Julius H. Grey pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants.
Grey, Casgrain, Montréal, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Le présent appel sou-
lève la question de savoir si une personne alléguée
se trouver au Canada sans l'autorisation requise
par la loi a droit à une audition sur la question de
savoir si elle devrait se voir accorder une audition
devant un arbitre de l'immigration.
L'intimé est un citoyen américain qui a été
trouvé coupable de meurtre au premier degré,
d'enlèvement et de complot criminel en Pennsylva-
nie en 1983. Le jury a recommandé la peine de
mort mais, avant le prononcé formel de sa sen
tence, l'intimé s'est évadé de sa prison américaine
et est entré au Canada, à ce qui est allégué,
illégalement. Ayant été repéré à Ste-Adèle, au
Québec, par la GRC avec l'aide du FBI, il a été
arrêté et accusé d'infractions prévues à la Loi sur
l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52]
(«la Loi») et au Code criminel [S.R.C. 1970, chap.
C-34]. Il s'est vu signifier des avis relatifs à la fois
à l'enquête prévue au paragraphe 27(3) et à l'en-
quête prévue à l'article 28 de la Loi, celles-ci
devant se tenir conjointement le 15 mai 1985.
Avant la date fixée pour l'enquête, il a présenté
une requête fondée sur l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10]
pour, le 23 juillet 1985, obtenir de la Division de
première instance: un bref de certiorari cassant la
directive délivrée par le sous-ministre conformé-
ment au paragraphe 27(3) de la Loi, un bref de
prohibition interdisant la tenue d'une enquête aussi
longtemps que le pouvoir discrétionnaire du sous-
ministre ne sera pas exercé conformément aux
principes reconnus d'équité dans la procédure,
ainsi qu'un jugement déclaratoire portant que les
mots «personne non visée aux alinéas 19(1)c),d),
e),f) ou g) ou 27(2)c),h) ou i)» figurant au para-
graphe 36(6) de la Loi sont inopérants dans le cas
d'une enquête tenue en vertu de l'article 28 de la
Loi [[1985] 1 C.F. 676].
L'intimé s'est évadé du Canada en octobre 1986
et ne s'est aucunement manifesté depuis. Néan-
moins, l'avocat agissant pour son compte relative-
ment au présent dossier a comparu en son nom
dans le cadre de cet appel.
Une question importante soulevée lors du procès
était celle de savoir si les procédures d'enquête
fondées sur la Loi constituent une extradition
déguisée. Le juge de première instance a correcte-
ment exposé le droit conformément à la décision
rendue par la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt Moore v. Minister of Manpower and Immi
gration, [1968] R.C.S. 839; 69 D.L.R. (2d) 273, et
a tranché cette question en tirant la conclusion de
fait suivante, à la page 689:
Les procédures engagées en vertu de la Loi sur l'immigration
de 1976 sont valides a priori et je ne crois pas que la preuve soit
suffisante pour décharger le requérant de la lourde obligation
qui lui incombe quand il conteste ces procédures sous le pré-
texte qu'elles constituent un subterfuge destiné à atteindre un
but illégal. Les autorités de l'immigration avaient des motifs
raisonnables de conclure que la présence permanente du requé-
rant au Canada n'était pas dans l'intérêt public. La G.R.C. a
ignoré la présence illégale du requérant au Canada jusqu'à ce
que le F.B.I. l'en ait avertie, les deux forces ont collaboré pour
le retrouver et l'arrestation a été effectuée par des membres de
la Section des enquêtes générales plutôt que par ceux de la
Section de l'immigration, mais ces faits ne suffisent pas à
prouver que le Ministre n'a pas véritablement considéré qu'il
était dans l'intérêt public d'ordonner l'expulsion du requérant.
Cette contestation de la validité des procédures d'expulsion doit
être rejetée.
La seule question soulevée dans le cadre du
présent appel est donc celle de la légalité et de la
constitutionnalité des décisions fondées respective-
ment sur les articles 27 et 28 de la Loi de tenir des
enquêtes en matière d'immigration concernant
l'intimé.
Au sujet de cette question, le juge de première
instance a conclu que le sous-ministre, avant
d'adresser une directive sur le fondement du para-
graphe 27(3) de la Loi, était obligé d'accorder à
l'intimé une audience non orale ou le droit de faire
des représentations écrites (à la page 698):
J'en arrive donc à la conclusion que, compte tenu des incon-
vénients administratifs que cela pourrait poser, une audition,
genre procès (trial-type hearing), à ce stade-ci des procédures
serait difficilement justifiable. Le requérant ne conteste pas de
toute évidence les plaintes formulées contre lui, il cherche
plutôt à éviter l'expulsion vers les États-Unis. J'estime que les
fins de la justice seraient alors bien servies si le requérant
pouvait au moins faire des représentations écrites (paper hea
ring) au sous-ministre au sujet de la menace sérieuse que
pourrait constituer pour son "droit à la vie» l'expulsion vers les
Etats-Unis.
Puisque la personne en autorité, c'est-à-dire le sous-ministre,
n'a pas respecté les principes d'équité procédurale en exerçant
sa discrétion, la directive qui a été adressée à un agent d'immi-
gration supérieur suivant le paragraphe 27(3) est nulle et non
avenue.
J'estime donc qu'il est convenable et juste en l'espèce d'émet-
tre un bref de certiorari pour annuler la directive du sous-
ministre et un bref de prohibition pour empêcher l'arbitre de
tenir une enquête tant que la discrétion du sous-ministre n'aura
pas été exercée en conformité avec les principes reconnus
d'équité procédurale.
Il a également conclu que les procédures prévues
dans la Loi relativement aux enquêtes tenues en
vertu de l'article 28 ne satisfont pas aux exigences
de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] puisqu'elles ne
confèrent pas à un arbitre le pouvoir discrétion-
naire de décider qu'une ordonnance d'expulsion ne
devrait pas être prononcée eu égard à toutes les
circonstances.
Il est de droit bien établi au Canada, à tout le
moins depuis l'arrêt Martineau c. Comité de disci
pline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S.
602, aux pages 626 à 629, que, sauf en ce qui a
trait aux décisions purement législatives, il existe,
selon les termes du juge Dickson (c'était alors son
titre), une «obligation générale d'agir avec équité
qui incombe à toutes les instances décisionnelles
publiques», mais qu'il y a «un élément d'équité
dans la procédure dont l'intensité variera suivant
sa situation dans le spectre administratif». Avant
la Charte canadienne des droits et libertés, à
l'extrémité la plus purement administrative de ce
spectre, l'objet de l'obligation d'équité se trouvait
donc réduit au minimum.
La décision visée en l'espèce me semble apparte-
nir précisément à cette catégorie. Selon moi, que
l'on considère la décision du sous-ministre d'adres-
ser une directive prévoyant la tenue d'une enquête
à un agent d'immigration supérieur conformément
au paragraphe 27(3), ou la décision subséquente
prise par un agent d'immigration supérieur confor-
mément au paragraphe 27(4) de faire tenir cette
enquête, ou la décision parallèle prise par un tel
agent conformément à l'article 28 de faire tenir
une enquête, la décision examinée a un caractère
purement administratif. L'agent d'immigration
supérieur n'a même pas à réfléchir au sujet de la
question en jeu; il est simplement l'intermédiaire
qui, selon la Loi, déclenche la tenue de l'enquête.
Le sous-ministre a seulement à décider que la
tenue d'une enquête s'impose, ce qu'il peut faire
sur le fondement d'une preuve prima fade. Sa
décision est analogue à celle d'un procureur de la
poursuite concluant qu'il poursuivra une accusa
tion devant les tribunaux.
L'intimé a soutenu que l'analogie établie avec la
situation du poursuivant n'est pas valable parce
que la décision de poursuivre ne constitue aucune-
ment une décision administrative mais un acte fait
dans l'exercice de la prérogative du pouvoir exécu-
tif, qui est assujetti à des règles différentes. Toute-
fois, il ne s'agit pas là du principal fondement sur
lequel les tribunaux se sont appuyés pour décider
que le pouvoir de poursuite d'un procureur général
n'est aucunement soumis au contrôle judiciaire.
Dans l'arrêt Smythe c. La Reine, [1971] R.C.S.
680, aux pages 685 et 686, le juge en chef Fau-
teux, parlant au nom de la Cour suprême, a dit
que les dispositions de la Loi de l'impôt sur le
revenu «confèrent . .. au Procureur général du
Canada le pouvoir de décider, selon son propre
jugement et dans tous les cas, le mode de poursuite
des infractions», et il a qualifié un tel pouvoir de
«pouvoir discrétionnaire», non de pouvoir découlant
d'une prérogative. La décision rendue par cette
Cour dans l'affaire Doyle c. Commission sur les
pratiques restrictives du commerce, [1983] 2 C.F.
867, la page 877, que l'intimé a citée, tend plutôt
à appuyer le point de vue des appelants, puisque la
Cour y a décidé que le législateur n'entendait pas
que les principes de justice naturelle et d'équité
s'appliquent à l'enquête tenue par un inspecteur
agissant en vertu de la Loi sur les corporations
canadiennes, «qui joue, dans cette enquête, un rôle
qui ressemble à celui d'un procureur de la Cou-
ronne dans une affaire criminelle».
De plus, l'intimé ne trouve aucun appui dans la
décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire
Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S.
561. Ce tribunal ayant conclu que le pouvoir
exercé dans cette affaire était de nature quasi
judiciaire, la décision de la majorité de la Cour
n'appuie pas l'argument de l'intimé selon lequel
une audition cesse d'être nécessaire dans le cadre
de procédures administratives uniquement lors-
qu'est tenue subséquemment une autre audition au
cours de laquelle pourront être discutées toutes les
questions qui auraient pu être soulevées lors de la
première audition. En l'espèce, la décision du sous-
ministre ne satisfait pas aux critères applicables
aux décisions de nature judiciaire ou quasi judi-
ciaire: Ministre du Revenu national c. Coopers
and Lybrand, [ 1979] 1 R.C.S. 495.
À cet égard, il m'apparaît des plus importants
que les décisions visées constituent simplement des
décisions prises au sujet de (with respect to) l'in-
timé, et non contre celui-ci. En fait, on pourrait
dire que de telles décisions favorisent ce dernier,
puisque celui-ci non seulement a droit à une audi
tion mais, en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi,
peut être représenté par un avocat. En d'autres
termes, il ne s'agit pas d'une décision privant
l'intimé de sa vie, de sa liberté, de la sécurité de sa
personne ou même de ses biens, de sorte qu'elle
n'est pas visée par le principe selon lequel «une
obligation de respecter l'équité dans la procédure
incombe à tout organisme public qui rend des
décisions administratives qui ne sont pas de nature
législative et qui touchent les droits, privilèges ou
biens d'une personne», dont l'application était con-
firmée par la Cour suprême dans l'arrêt Cardinal
et autre c. Directeur de l'établissement Kent,
[1985] 2 R.C.S. 643, la page 653 (les souligne-
ments sont ajoutés).
En fait, j'estime qu'il serait ridicule d'exiger
même que, dans de telles circonstances, il soit
permis à l'intimé de présenter des arguments par
écrit concernant la décision d'accorder une audi
tion. Si telle était la loi, pourquoi une audition
antérieure ne serait-elle pas tenue relativement à
cette décision de tenir une audition, et ainsi de
suite, en reculant à l'infini? Pourvu que les déci-
sions officielles aient été prises de bonne foi, je ne
vois pas comment elles pourraient porter atteinte à
l'équité, et le juge de première instance a conclu
que la preuve ne révèle aucune mauvaise foi.
Ce qui me semble être l'erreur fondamentale
commise par le juge de première instance procède
de sa conception erronée de l'enquête en matière
d'immigration. Il dit, aux pages 703 et 704:
Les procédures prévues à la Loi donnent-elles à la personne
qui fait l'objet d'une enquête l'occasion d'exposer adéquatement
sa cause et de connaître les éléments de preuve qu'elle devra
réfuter? Je ne crois pas. Comme j'ai déjà souligné plus haut
lors de l'examen des dispositions législatives concernant la
procédure d'enquête, lorsque l'agent d'immigration supérieur
agissant conformément à l'article 28 de la Loi est avisé qu'une
personne est détenue en vertu de l'alinéa 23(3)a) ou de l'article
104, il «doit immédiatement faire tenir une enquête au sujet de
[cette] personne». Étant donné que le requérant est visé par
l'exception prévue au paragraphe 32(6), la seule question en
litige à l'enquête tenue devant l'arbitre sera de déterminer si le
requérant fait partie des personnes décrites 4u paragraphe
27(2). Une fois qu'il a répondu à cette question par l'affirma-
tive, l'arbitre doit rendre une ordonnance d'expulsion contre
cette personne; il ne jouit pas de la discrétion qu'il posséderait
normalement en vertu de l'alinéa 32(6)a) pour décider qu'une
ordonnance d'expulsion ne devrait pas être rendue eu égard aux
circonstances de l'espèce. Ainsi, le requérant n'aura le droit à
aucune étape de cette procédure d'exposer les circonstances
particulières de son cas à une personne habilitée à considérer
que lesdites circonstances sont pertinentes pour décider si une
ordonnance d'expulsion devrait être rendue contre lui. La pro-
cédure d'enquête étant ce qu'elle est à l'heure actuelle, j'estime
que le requérant est privé de l'occasion d'exposer adéquatement
sa cause et que, par conséquent, on lui refuse le droit à la
justice fondamentale pour déterminer s'il devrait être expulsé.
Il est vrai que la seule question en litige devant
l'arbitre de l'immigration lors de l'enquête serait
celle de savoir si les allégations de fait présentées
contre l'intimé sont vraies. Dans l'affirmative, l'ex-
pulsion doit s'ensuivre, puisque le paragraphe
32(6) de la Loi empêche l'arbitre de prendre en
considération des circonstances spéciales lorsqu'il
décide s'il prononcera une ordonnance d'expulsion
dans une affaire comme celle-ci. Cependant, à cet
égard, l'arbitre ne se trouve pas dans une situation
différente de celle de tout autre juge des faits,
comme le juge instruisant une affaire de meurtre,
par exemple, qui n'a d'autre choix que d'imposer
l'emprisonnement à vie si les faits sont établis.
L'obligation de l'arbitre consiste à respecter scru-
puleusement le principe de l'équité en prenant sa
décision fondée sur les faits.
Il me semble que le juge de première instance a
abordé la question comme il l'a fait parce qu'il
croyait que l'intimé devait avoir la faculté d'expo-
ser sa cause devant l'arbitre comme il l'aurait fait
dans le cadre d'une audition en matière d'extradi-
tion. Le juge de première instance a cependant
déjà conclu que les procédures engagées en
matière d'immigration étaient engagées de bonne
foi. Ceci étant, l'intimé doit être jugé selon la Loi
sur l'immigration de 1976 et ne doit pas se voir
accorder, sous le régime de la Loi sur l'extradition
[S.R.C. 1970, chap. E-21], une audition à laquelle
il n'aurait normalement pas droit.
L'audition que la Loi sur l'immigration de 1976
prévoit relativement à une enquête respecte égale-
ment, à mon avis, les exigences procédurales visant
la justice fondamentale prévues par l'article 7 de la
Charte: en effet, l'intimé, assisté d'un avocat,
aurait l'entière possibilité d'exposer sa version des
faits et de contester les faits présentés par l'autre
partie. S'il était conclu que l'intimé est susceptible
d'expulsion, le caractère équitable de l'audition ne
serait aucunement affaibli par la prescription
visant la peine.
De plus, lorsque j'accorde à l'article 7 une
portée plus large que celle qui le limiterait à
l'aspect de la procédure, ainsi que le prescrit la
décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire
du Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985]
2 R.C.S. 486, la page 512 (le juge Lamer),
lorsqu'elle dit que «des principes de justice fonda-
mentale se trouvent dans les préceptes fondamen-
taux non seulement de notre processus judiciaire,
mais aussi des autres composantes de notre sys-
tème juridique», je suis incapable de conclure à
l'injustice fondamentale d'une disposition législa-
tive exigeant l'expulsion d'une personne dont il a
été conclu qu'elle se trouvait illégalement au pays.
Une telle décision a de fait toujours été considérée
comme une sanction parfaitement adaptée à ce
comportement illégal: l'expulsion rétablit la situa
tion qui existait avant l'entrée illégale au pays.
Selon moi, nos tribunaux ne devraient pas, dans
une affaire comme celle en l'espèce, prendre en
considération les autres conséquences possibles de
l'expulsion, telles la possibilité que l'intimé subisse
la peine capitale. Une question similaire vient
d'être tranchée par la Cour suprême dans l'arrêt
États-Unis c. Allard, rendue le 14 mai 1987
[[1987] 1 R.C.S. 564], dans lequel la Cour a
conclu que l'article 7 de la Charte n'empêchait pas
l'extradition d'une personne aux États-Unis. Le
juge La Forest a écrit au nom de la majorité de la
Cour (à la page 572):
La seule question qui se pose vraiment en l'espèce est celle de
savoir si les intimés se trouveront aux États-Unis dans une
situation telle que le seul fait que le gouvernement canadien
livre les intimés aux autorités américaines pour qu'ils y subis-
sent leur procès constitue en soi une atteinte à la justice
fondamentale. Comme je l'ai expliqué dans les arrêts Schmidt
et Mellino, précités, le seul fait d'extrader, en vertu d'un traité,
une personne accusée d'avoir commis un crime dans un autre
pays pour qu'elle y soit jugée selon la procédure ordinaire
applicable dans ce pays n'est pas, en soi, une atteinte à la
justice fondamentale, en particulier quand on a établi devant un
tribunal canadien que les faits en cause constitueraient un
crime au Canada s'ils avaient eu lieu ici. Pour en arriver à la
conclusion que l'extradition des intimés porterait atteinte aux
principes de justice fondamentale, il faudrait démontrer que les
intimés feraient face à une situation qui est simplement
inacceptable.
La situation à laquelle nous faisons face en l'es-
pèce est loin d'être «simplement inacceptable». Il
est vrai que, en vertu de l'article 54 de la Loi, c'est
vers les Etats-Unis qu'aura lieu, le cas échéant,
l'expulsion de l'intimé. Il est également vrai que
celui-ci a été déclaré coupable de meurtre au
premier degré, d'enlèvement et de complot crimi-
nel, qu'un jury a recommandé que lui soit imposée
la peine de mort pour meurtre, et que la Cour de la
Pennsylvanie n'est apparemment pas investie du
pouvoir discrétionnaire d'infirmer la décision d'un
jury recommandant la peine de mort (42
Pa.C.S.A. § 9711(g)). Néanmoins, l'intimé a le
droit d'interjeter appel de cette condamnation
devant la plus haute cour de la Pennsylvanie. Dans
l'hypothèse où la sentence de mort serait mainte-
nue par cette Cour, il aurait le droit de solliciter la
clémence du pouvoir exécutif. La véritable imposi
tion de la peine capitale est donc une question
relevant du domaine des conjectures plutôt que du
domaine des faits, et, ainsi que l'a écrit le juge
Dickson (tel était alors son titre) au nom de la
majorité de la Cour suprême dans l'arrêt Opera
tion Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres,
[1985] 1 R.C.S. 441, aux pages 455 et 456:
L'article 7 de la Charte ne saurait raisonnablement être inter-
prété comme imposant au gouvernement l'obligation de ne pas
accomplir des actes qui pourraient avoir pour conséquence de
porter atteinte ou de menacer de porter atteinte à la vie des
individus et à la sécurité de leur personne.
La décision rendue par la Cour suprême dans
l'affaire Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 58
N.R. 1, n'aide pas la cause de l'intimé parce que
trois juges y ont conclu que l'article 7 était appli
cable au processus de décision concernant le statut
de réfugié sur le fondement du droit conféré à un
réfugié au sens de la Convention par l'article 55 de
la Loi de ne pas être renvoyé du Canada dans un
pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées. Les
trois juges qui ont invoqué l'alinéa 2e) de la Décla-
ration canadienne des droits ont également fondé
sur ce même article de la Loi leur opinion que
l'affaire était d'une importance vitale pour les
personnes revendiquant le statut de réfugié. En
conséquence, la conclusion de chacun de ces six
juges s'appuyait sur le droit à un processus de
décision établi par le Parlement à l'égard des
personnes revendiquant le statut de réfugié.
* * *
Je ne considère pas qu'il soit nécessaire d'exami-
ner les objections fondées sur la procédure qui ont
été soulevées par les appelants relativement au
redressement accordé. Quant à l'argument de l'in-
timé fondé sur l'article 12 de la Charte, le juge de
première instance l'a apprécié de façon adéquate.
En conséquence, j'accueillerais l'appel, j'annule-
rais l'ordonnance du juge de première instance et
je rejetterais la demande de l'intimé fondée sur
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. J'adju-
gerais aux appelants les dépens relatifs aux instan
ces ayant eu lieu devant cette Cour et devant la
Division de première instance.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE LACOMBE: Je souscris à ces motifs.
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