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A-648-85
Flora MacDonald, John Crosbie et Simon Pérusse (appelants)
c.
Joseph John Kindler (intimé)
RÉPERTORIÉ: KINDLER C. MACDONALD
Cour d'appel, juges Hugessen, MacGuigan et Lacombe—Montréal, 15 mai; Ottawa, 3 juin 1987.
Immigration Expulsion Les décisions fondées sur les art. 27 et 28 de la Loi qui porte qu'une enquête sera tenue ne sont pas assujetties à une obligation d'accorder une audience non orale ou au droit de faire des représentations écrites Ces décisions sont de nature administrative Pourvu qu'elles aient été prises de bonne foi, elles ne portent pas atteinte à l'équité L'audition prévue devant l'arbitre n'enfreint pas l'art. 7 de la Charte La Cour ne devrait pas prendre en considération les conséquences possibles de l'expulsion L'appel formé à l'encontre de la décision cassant la directive délivrée conformément à l'art. 27 de la Loi est accueilli Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976, chap. 52, art. 27(3),(4), 28, 30(1), 32(6), 54 Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 18 Sentencing Code, 42 Pa.C.S.A. § 9711(g).
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Les décisions fondées sur les art. 27 et 28 de la Loi sur l'immigration de 1976 de tenir une enquête n'ont pas privé l'intimé des droits que lui confère la Charte L'enquête satisfait aux exigences procédurales relatives à la justice fondamentale prévues à l'art. 7 Lors de l'audition tenue devant l'arbitre, l'intimé a la possibilité de présenter sa cause et de se défendre avec l'aide d'un avocat L'expulsion n'est pas fondamentalement injuste Elle rétablit la situation qui existait avant l'entrée illégale Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 12 Déclaration canadienne des droits, Appendice III, art. 2e) Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 27, 28.
L'intimé, un citoyen américain, a été condamné à mort par une cour américaine et s'est évadé au Canada avant le prononcé formel de sa sentence. Une directive prescrivant la tenue d'une enquête conformément au paragraphe 27(3) et à l'article 28 de la Loi sur l'immigration de 1976 a été délivrée. Avant la date fixée pour l'enquête, l'intimé a présenté une requête sollicitant, entre autres, un bref de certiorari cassant la directive du sous-ministre portant qu'une enquête soit tenue devant un arbitre. Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre de la décision accueillant cette requête. Le juge de première instance a conclu que le sous-ministre, avant d'adresser une directive sur le fondement du paragraphe 27(3), était obligé d'accorder à l'intimé une audience non orale ou le droit de faire des repré- sentations écrites. Il a également décidé que les procédures relatives aux enquêtes tenues en vertu de l'article 28 ne satisfai- saient pas aux exigences de l'article 7 de la Charte puisqu'elles
ne confèrent pas à un arbitre le pouvoir discrétionnaire de décider qu'une ordonnance d'expulsion ne devrait pas être prononcée eu égard à toutes les circonstances.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
La décision du sous-ministre d'adresser une directive pré- voyant la tenue d'une enquête conformément au paragraphe 27(3), la décision subséquente prise par un agent d'immigration supérieur conformément au paragraphe 27(4) de faire tenir cette enquête ou la décision parallèle prise par un tel agent conformément à l'article 28 de faire tenir une enquête ont un caractère purement administratif. L'agent d'immigration supé- rieur est simplement l'intermédiaire qui, selon la Loi, déclenche la tenue de l'enquête. Le sous-ministre a seulement à décider que la tenue d'une enquête s'impose, ce qu'il peut faire sur le fondement d'une preuve prima facie. Il serait ridicule d'exiger même la possibilité de présenter des arguments par écrit con- cernant la décision d'accorder une audition. Pourvu que les décisions officielles aient été prises de bonne foi, elles ne peuvent porter atteinte à l'équité. De plus, les décisions visées aux articles 27 et 28 de la Loi ne privent pas l'intimé de sa vie, de sa liberté et de sa sécurité. En conséquence, elles ne sont pas visées par le principe énoncé dans l'arrêt Cardinal selon lequel une obligation de respecter l'équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne.
L'erreur fondamentale commise par le juge de première instance procède de sa conception erronée de l'enquête en matière d'immigration. Le juge de première instance croyait que l'intimé devait avoir la faculté d'exposer sa cause devant l'arbitre comme il l'aurait fait dans le cadre d'une audition en matière d'extradition. Si les allégations de fait présentées contre l'intimé sont vraies, l'arbitre n'a d'autre choix que d'ordonner l'expulsion puisque le paragraphe 32(6) l'empêche de prendre en considération des circonstances spéciales lorsqu'il décide d'une affaire comme celle en l'espèce.
L'audition que la Loi sur l'immigration de 1976 prévoit relativement à une enquête respecte les exigences procédurales visant la justice fondamentale prévues par l'article 7 de la Charte: l'intimé se voit accorder la possibilité d'exposer sa version des faits et de contester les faits présentés par l'autre partie en étant assisté d'un avocat. De plus, on ne peut conclure à l'injustice fondamentale d'une disposition législative exigeant l'expulsion d'une personne dont il a été conclu qu'elle se trouvait illégalement au pays. L'expulsion était une sanction parfaitement adaptée au comportement illégal en cause puis- qu'elle rétablissait la situation qui existait avant l'entrée illégale au pays.
La Cour, dans une affaire comme celle en l'espèce, ne devrait pas prendre en considération les autres conséquences possibles de l'expulsion, telles la possibilité que l'intimé subisse la peine capitale. L'imposition de la peine capitale relève du domaine des conjectures plutôt que du domaine des faits. Ainsi que l'a déclaré le juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'arrêt Operation Dismantle, "L'article 7 de la Charte ne saurait raisonnablement être interprété comme imposant ... l'obliga- tion de ne pas accomplir des actes qui pourraient avoir pour conséquence de porter atteinte ... à la vie des individus et à la sécurité de leur personne.»
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; États-Unis c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [ 1980] 1 R.C.S. 602; Smythe c. La Reine, [1971] R.C.S. 680; Doyle c. Commission sur les prati- ques restrictives du commerce, [1983] 2 C.F. 867 (C.A.); Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] I R.C.S. 441; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 58 N.R. 1.
DÉCISIONS CITÉES:
Moore v. Minister of Manpower and Immigration, [1968] R.C.S. 839; 69 D.L.R. (2d) 273; Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495.
AVOCATS:
Suzanne Marcoux-Paquette pour les appe-
lants.
Julius H. Grey pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants.
Grey, Casgrain, Montréal, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Le présent appel sou- lève la question de savoir si une personne alléguée se trouver au Canada sans l'autorisation requise par la loi a droit à une audition sur la question de savoir si elle devrait se voir accorder une audition devant un arbitre de l'immigration.
L'intimé est un citoyen américain qui a été trouvé coupable de meurtre au premier degré, d'enlèvement et de complot criminel en Pennsylva- nie en 1983. Le jury a recommandé la peine de mort mais, avant le prononcé formel de sa sen tence, l'intimé s'est évadé de sa prison américaine
et est entré au Canada, à ce qui est allégué, illégalement. Ayant été repéré à Ste-Adèle, au Québec, par la GRC avec l'aide du FBI, il a été arrêté et accusé d'infractions prévues à la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] («la Loi») et au Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34]. Il s'est vu signifier des avis relatifs à la fois à l'enquête prévue au paragraphe 27(3) et à l'en- quête prévue à l'article 28 de la Loi, celles-ci devant se tenir conjointement le 15 mai 1985.
Avant la date fixée pour l'enquête, il a présenté une requête fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] pour, le 23 juillet 1985, obtenir de la Division de première instance: un bref de certiorari cassant la directive délivrée par le sous-ministre conformé- ment au paragraphe 27(3) de la Loi, un bref de prohibition interdisant la tenue d'une enquête aussi longtemps que le pouvoir discrétionnaire du sous- ministre ne sera pas exercé conformément aux principes reconnus d'équité dans la procédure, ainsi qu'un jugement déclaratoire portant que les mots «personne non visée aux alinéas 19(1)c),d), e),f) ou g) ou 27(2)c),h) ou i)» figurant au para- graphe 36(6) de la Loi sont inopérants dans le cas d'une enquête tenue en vertu de l'article 28 de la Loi [[1985] 1 C.F. 676].
L'intimé s'est évadé du Canada en octobre 1986 et ne s'est aucunement manifesté depuis. Néan- moins, l'avocat agissant pour son compte relative- ment au présent dossier a comparu en son nom dans le cadre de cet appel.
Une question importante soulevée lors du procès était celle de savoir si les procédures d'enquête fondées sur la Loi constituent une extradition déguisée. Le juge de première instance a correcte- ment exposé le droit conformément à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Moore v. Minister of Manpower and Immi gration, [1968] R.C.S. 839; 69 D.L.R. (2d) 273, et a tranché cette question en tirant la conclusion de fait suivante, à la page 689:
Les procédures engagées en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 sont valides a priori et je ne crois pas que la preuve soit suffisante pour décharger le requérant de la lourde obligation qui lui incombe quand il conteste ces procédures sous le pré- texte qu'elles constituent un subterfuge destiné à atteindre un but illégal. Les autorités de l'immigration avaient des motifs raisonnables de conclure que la présence permanente du requé- rant au Canada n'était pas dans l'intérêt public. La G.R.C. a
ignoré la présence illégale du requérant au Canada jusqu'à ce que le F.B.I. l'en ait avertie, les deux forces ont collaboré pour le retrouver et l'arrestation a été effectuée par des membres de la Section des enquêtes générales plutôt que par ceux de la Section de l'immigration, mais ces faits ne suffisent pas à prouver que le Ministre n'a pas véritablement considéré qu'il était dans l'intérêt public d'ordonner l'expulsion du requérant. Cette contestation de la validité des procédures d'expulsion doit être rejetée.
La seule question soulevée dans le cadre du présent appel est donc celle de la légalité et de la constitutionnalité des décisions fondées respective- ment sur les articles 27 et 28 de la Loi de tenir des enquêtes en matière d'immigration concernant l'intimé.
Au sujet de cette question, le juge de première instance a conclu que le sous-ministre, avant d'adresser une directive sur le fondement du para- graphe 27(3) de la Loi, était obligé d'accorder à l'intimé une audience non orale ou le droit de faire des représentations écrites la page 698):
J'en arrive donc à la conclusion que, compte tenu des incon- vénients administratifs que cela pourrait poser, une audition, genre procès (trial-type hearing), à ce stade-ci des procédures serait difficilement justifiable. Le requérant ne conteste pas de toute évidence les plaintes formulées contre lui, il cherche plutôt à éviter l'expulsion vers les États-Unis. J'estime que les fins de la justice seraient alors bien servies si le requérant pouvait au moins faire des représentations écrites (paper hea ring) au sous-ministre au sujet de la menace sérieuse que pourrait constituer pour son "droit à la vie» l'expulsion vers les Etats-Unis.
Puisque la personne en autorité, c'est-à-dire le sous-ministre, n'a pas respecté les principes d'équité procédurale en exerçant sa discrétion, la directive qui a été adressée à un agent d'immi- gration supérieur suivant le paragraphe 27(3) est nulle et non avenue.
J'estime donc qu'il est convenable et juste en l'espèce d'émet- tre un bref de certiorari pour annuler la directive du sous- ministre et un bref de prohibition pour empêcher l'arbitre de tenir une enquête tant que la discrétion du sous-ministre n'aura pas été exercée en conformité avec les principes reconnus d'équité procédurale.
Il a également conclu que les procédures prévues dans la Loi relativement aux enquêtes tenues en vertu de l'article 28 ne satisfont pas aux exigences de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] puisqu'elles ne confèrent pas à un arbitre le pouvoir discrétion- naire de décider qu'une ordonnance d'expulsion ne devrait pas être prononcée eu égard à toutes les circonstances.
Il est de droit bien établi au Canada, à tout le moins depuis l'arrêt Martineau c. Comité de disci pline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, aux pages 626 à 629, que, sauf en ce qui a trait aux décisions purement législatives, il existe, selon les termes du juge Dickson (c'était alors son titre), une «obligation générale d'agir avec équité qui incombe à toutes les instances décisionnelles publiques», mais qu'il y a «un élément d'équité dans la procédure dont l'intensité variera suivant sa situation dans le spectre administratif». Avant la Charte canadienne des droits et libertés, à l'extrémité la plus purement administrative de ce spectre, l'objet de l'obligation d'équité se trouvait donc réduit au minimum.
La décision visée en l'espèce me semble apparte- nir précisément à cette catégorie. Selon moi, que l'on considère la décision du sous-ministre d'adres- ser une directive prévoyant la tenue d'une enquête à un agent d'immigration supérieur conformément au paragraphe 27(3), ou la décision subséquente prise par un agent d'immigration supérieur confor- mément au paragraphe 27(4) de faire tenir cette enquête, ou la décision parallèle prise par un tel agent conformément à l'article 28 de faire tenir une enquête, la décision examinée a un caractère purement administratif. L'agent d'immigration supérieur n'a même pas à réfléchir au sujet de la question en jeu; il est simplement l'intermédiaire qui, selon la Loi, déclenche la tenue de l'enquête. Le sous-ministre a seulement à décider que la tenue d'une enquête s'impose, ce qu'il peut faire sur le fondement d'une preuve prima fade. Sa décision est analogue à celle d'un procureur de la poursuite concluant qu'il poursuivra une accusa tion devant les tribunaux.
L'intimé a soutenu que l'analogie établie avec la situation du poursuivant n'est pas valable parce que la décision de poursuivre ne constitue aucune- ment une décision administrative mais un acte fait dans l'exercice de la prérogative du pouvoir exécu- tif, qui est assujetti à des règles différentes. Toute- fois, il ne s'agit pas du principal fondement sur lequel les tribunaux se sont appuyés pour décider que le pouvoir de poursuite d'un procureur général n'est aucunement soumis au contrôle judiciaire. Dans l'arrêt Smythe c. La Reine, [1971] R.C.S. 680, aux pages 685 et 686, le juge en chef Fau-
teux, parlant au nom de la Cour suprême, a dit que les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu «confèrent . .. au Procureur général du Canada le pouvoir de décider, selon son propre jugement et dans tous les cas, le mode de poursuite des infractions», et il a qualifié un tel pouvoir de «pouvoir discrétionnaire», non de pouvoir découlant d'une prérogative. La décision rendue par cette Cour dans l'affaire Doyle c. Commission sur les pratiques restrictives du commerce, [1983] 2 C.F. 867, la page 877, que l'intimé a citée, tend plutôt à appuyer le point de vue des appelants, puisque la Cour y a décidé que le législateur n'entendait pas que les principes de justice naturelle et d'équité s'appliquent à l'enquête tenue par un inspecteur agissant en vertu de la Loi sur les corporations canadiennes, «qui joue, dans cette enquête, un rôle qui ressemble à celui d'un procureur de la Cou- ronne dans une affaire criminelle».
De plus, l'intimé ne trouve aucun appui dans la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561. Ce tribunal ayant conclu que le pouvoir exercé dans cette affaire était de nature quasi judiciaire, la décision de la majorité de la Cour n'appuie pas l'argument de l'intimé selon lequel une audition cesse d'être nécessaire dans le cadre de procédures administratives uniquement lors- qu'est tenue subséquemment une autre audition au cours de laquelle pourront être discutées toutes les questions qui auraient pu être soulevées lors de la première audition. En l'espèce, la décision du sous- ministre ne satisfait pas aux critères applicables aux décisions de nature judiciaire ou quasi judi- ciaire: Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [ 1979] 1 R.C.S. 495.
À cet égard, il m'apparaît des plus importants que les décisions visées constituent simplement des décisions prises au sujet de (with respect to) l'in- timé, et non contre celui-ci. En fait, on pourrait dire que de telles décisions favorisent ce dernier, puisque celui-ci non seulement a droit à une audi tion mais, en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi, peut être représenté par un avocat. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'une décision privant l'intimé de sa vie, de sa liberté, de la sécurité de sa personne ou même de ses biens, de sorte qu'elle n'est pas visée par le principe selon lequel «une obligation de respecter l'équité dans la procédure
incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne», dont l'application était con- firmée par la Cour suprême dans l'arrêt Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, la page 653 (les souligne- ments sont ajoutés).
En fait, j'estime qu'il serait ridicule d'exiger même que, dans de telles circonstances, il soit permis à l'intimé de présenter des arguments par écrit concernant la décision d'accorder une audi tion. Si telle était la loi, pourquoi une audition antérieure ne serait-elle pas tenue relativement à cette décision de tenir une audition, et ainsi de suite, en reculant à l'infini? Pourvu que les déci- sions officielles aient été prises de bonne foi, je ne vois pas comment elles pourraient porter atteinte à l'équité, et le juge de première instance a conclu que la preuve ne révèle aucune mauvaise foi.
Ce qui me semble être l'erreur fondamentale commise par le juge de première instance procède de sa conception erronée de l'enquête en matière d'immigration. Il dit, aux pages 703 et 704:
Les procédures prévues à la Loi donnent-elles à la personne qui fait l'objet d'une enquête l'occasion d'exposer adéquatement sa cause et de connaître les éléments de preuve qu'elle devra réfuter? Je ne crois pas. Comme j'ai déjà souligné plus haut lors de l'examen des dispositions législatives concernant la procédure d'enquête, lorsque l'agent d'immigration supérieur agissant conformément à l'article 28 de la Loi est avisé qu'une personne est détenue en vertu de l'alinéa 23(3)a) ou de l'article 104, il «doit immédiatement faire tenir une enquête au sujet de [cette] personne». Étant donné que le requérant est visé par l'exception prévue au paragraphe 32(6), la seule question en litige à l'enquête tenue devant l'arbitre sera de déterminer si le requérant fait partie des personnes décrites 4u paragraphe 27(2). Une fois qu'il a répondu à cette question par l'affirma- tive, l'arbitre doit rendre une ordonnance d'expulsion contre cette personne; il ne jouit pas de la discrétion qu'il posséderait normalement en vertu de l'alinéa 32(6)a) pour décider qu'une ordonnance d'expulsion ne devrait pas être rendue eu égard aux circonstances de l'espèce. Ainsi, le requérant n'aura le droit à aucune étape de cette procédure d'exposer les circonstances particulières de son cas à une personne habilitée à considérer que lesdites circonstances sont pertinentes pour décider si une ordonnance d'expulsion devrait être rendue contre lui. La pro- cédure d'enquête étant ce qu'elle est à l'heure actuelle, j'estime que le requérant est privé de l'occasion d'exposer adéquatement sa cause et que, par conséquent, on lui refuse le droit à la justice fondamentale pour déterminer s'il devrait être expulsé.
Il est vrai que la seule question en litige devant l'arbitre de l'immigration lors de l'enquête serait celle de savoir si les allégations de fait présentées
contre l'intimé sont vraies. Dans l'affirmative, l'ex- pulsion doit s'ensuivre, puisque le paragraphe 32(6) de la Loi empêche l'arbitre de prendre en considération des circonstances spéciales lorsqu'il décide s'il prononcera une ordonnance d'expulsion dans une affaire comme celle-ci. Cependant, à cet égard, l'arbitre ne se trouve pas dans une situation différente de celle de tout autre juge des faits, comme le juge instruisant une affaire de meurtre, par exemple, qui n'a d'autre choix que d'imposer l'emprisonnement à vie si les faits sont établis. L'obligation de l'arbitre consiste à respecter scru- puleusement le principe de l'équité en prenant sa décision fondée sur les faits.
Il me semble que le juge de première instance a abordé la question comme il l'a fait parce qu'il croyait que l'intimé devait avoir la faculté d'expo- ser sa cause devant l'arbitre comme il l'aurait fait dans le cadre d'une audition en matière d'extradi- tion. Le juge de première instance a cependant déjà conclu que les procédures engagées en matière d'immigration étaient engagées de bonne foi. Ceci étant, l'intimé doit être jugé selon la Loi sur l'immigration de 1976 et ne doit pas se voir accorder, sous le régime de la Loi sur l'extradition [S.R.C. 1970, chap. E-21], une audition à laquelle il n'aurait normalement pas droit.
L'audition que la Loi sur l'immigration de 1976 prévoit relativement à une enquête respecte égale- ment, à mon avis, les exigences procédurales visant la justice fondamentale prévues par l'article 7 de la Charte: en effet, l'intimé, assisté d'un avocat, aurait l'entière possibilité d'exposer sa version des faits et de contester les faits présentés par l'autre partie. S'il était conclu que l'intimé est susceptible d'expulsion, le caractère équitable de l'audition ne serait aucunement affaibli par la prescription visant la peine.
De plus, lorsque j'accorde à l'article 7 une portée plus large que celle qui le limiterait à l'aspect de la procédure, ainsi que le prescrit la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire du Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985]
2 R.C.S. 486, la page 512 (le juge Lamer), lorsqu'elle dit que «des principes de justice fonda- mentale se trouvent dans les préceptes fondamen- taux non seulement de notre processus judiciaire, mais aussi des autres composantes de notre sys- tème juridique», je suis incapable de conclure à
l'injustice fondamentale d'une disposition législa- tive exigeant l'expulsion d'une personne dont il a été conclu qu'elle se trouvait illégalement au pays. Une telle décision a de fait toujours été considérée comme une sanction parfaitement adaptée à ce comportement illégal: l'expulsion rétablit la situa tion qui existait avant l'entrée illégale au pays.
Selon moi, nos tribunaux ne devraient pas, dans une affaire comme celle en l'espèce, prendre en considération les autres conséquences possibles de l'expulsion, telles la possibilité que l'intimé subisse la peine capitale. Une question similaire vient d'être tranchée par la Cour suprême dans l'arrêt États-Unis c. Allard, rendue le 14 mai 1987 [[1987] 1 R.C.S. 564], dans lequel la Cour a conclu que l'article 7 de la Charte n'empêchait pas l'extradition d'une personne aux États-Unis. Le juge La Forest a écrit au nom de la majorité de la Cour la page 572):
La seule question qui se pose vraiment en l'espèce est celle de savoir si les intimés se trouveront aux États-Unis dans une situation telle que le seul fait que le gouvernement canadien livre les intimés aux autorités américaines pour qu'ils y subis- sent leur procès constitue en soi une atteinte à la justice fondamentale. Comme je l'ai expliqué dans les arrêts Schmidt et Mellino, précités, le seul fait d'extrader, en vertu d'un traité, une personne accusée d'avoir commis un crime dans un autre pays pour qu'elle y soit jugée selon la procédure ordinaire applicable dans ce pays n'est pas, en soi, une atteinte à la justice fondamentale, en particulier quand on a établi devant un tribunal canadien que les faits en cause constitueraient un crime au Canada s'ils avaient eu lieu ici. Pour en arriver à la conclusion que l'extradition des intimés porterait atteinte aux principes de justice fondamentale, il faudrait démontrer que les intimés feraient face à une situation qui est simplement inacceptable.
La situation à laquelle nous faisons face en l'es- pèce est loin d'être «simplement inacceptable». Il est vrai que, en vertu de l'article 54 de la Loi, c'est vers les Etats-Unis qu'aura lieu, le cas échéant, l'expulsion de l'intimé. Il est également vrai que celui-ci a été déclaré coupable de meurtre au premier degré, d'enlèvement et de complot crimi- nel, qu'un jury a recommandé que lui soit imposée la peine de mort pour meurtre, et que la Cour de la Pennsylvanie n'est apparemment pas investie du pouvoir discrétionnaire d'infirmer la décision d'un jury recommandant la peine de mort (42 Pa.C.S.A. § 9711(g)). Néanmoins, l'intimé a le droit d'interjeter appel de cette condamnation devant la plus haute cour de la Pennsylvanie. Dans l'hypothèse la sentence de mort serait mainte-
nue par cette Cour, il aurait le droit de solliciter la clémence du pouvoir exécutif. La véritable imposi tion de la peine capitale est donc une question relevant du domaine des conjectures plutôt que du domaine des faits, et, ainsi que l'a écrit le juge Dickson (tel était alors son titre) au nom de la majorité de la Cour suprême dans l'arrêt Opera tion Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, aux pages 455 et 456:
L'article 7 de la Charte ne saurait raisonnablement être inter- prété comme imposant au gouvernement l'obligation de ne pas accomplir des actes qui pourraient avoir pour conséquence de porter atteinte ou de menacer de porter atteinte à la vie des individus et à la sécurité de leur personne.
La décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 58 N.R. 1, n'aide pas la cause de l'intimé parce que trois juges y ont conclu que l'article 7 était appli cable au processus de décision concernant le statut de réfugié sur le fondement du droit conféré à un réfugié au sens de la Convention par l'article 55 de la Loi de ne pas être renvoyé du Canada dans un pays sa vie ou sa liberté seraient menacées. Les trois juges qui ont invoqué l'alinéa 2e) de la Décla- ration canadienne des droits ont également fondé sur ce même article de la Loi leur opinion que l'affaire était d'une importance vitale pour les personnes revendiquant le statut de réfugié. En conséquence, la conclusion de chacun de ces six juges s'appuyait sur le droit à un processus de décision établi par le Parlement à l'égard des personnes revendiquant le statut de réfugié.
* * *
Je ne considère pas qu'il soit nécessaire d'exami- ner les objections fondées sur la procédure qui ont été soulevées par les appelants relativement au redressement accordé. Quant à l'argument de l'in- timé fondé sur l'article 12 de la Charte, le juge de première instance l'a apprécié de façon adéquate.
En conséquence, j'accueillerais l'appel, j'annule- rais l'ordonnance du juge de première instance et je rejetterais la demande de l'intimé fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. J'adju- gerais aux appelants les dépens relatifs aux instan ces ayant eu lieu devant cette Cour et devant la Division de première instance.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris à ces motifs. LE JUGE LACOMBE: Je souscris à ces motifs.
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