A-384-85
Arthur L. Jefford et/ou Jefford Industries Limited
(appelants)
c.
La Reine, ministre de la Consommation et des
Corporations du Canada (intimés)
RÉPERTORIÉ: JEFFORD c. CANADA
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et MacGui-
gan—Toronto, 15 janvier; Ottawa, 21 janvier
1988.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Mandamus
— Appel du rejet d'une requête en bref de mandamus obli-
geant le ministre de la Consommation et des Corporations à
faire respecter les dispositions législatives interdisant de
vendre de la mousse isolante d'urée formaldéhyde — Il n'y a
pas lieu à la délivrance d'un bref de mandamus à moins que le
ministre ait l'obligation d'agir — La Loi n'impose pas au
ministre l'obligation d'intenter des poursuites relatives aux
violations de la Loi sur les produits dangereux — La question
de savoir s'il y a lieu à poursuite relève du pouvoir discrétion-
naire du procureur général — Appel rejeté.
Produits dangereux — Appel du rejet d'une demande de
mandamus obligeant le ministre de la Consommation et des
Corporations à faire respecter les dispositions législatives
interdisant de vendre de la mousse isolante d'urée formaldé-
hyde — L'interdiction de vendre de la M.I.U.F. s'étend-elle à
la revente des bâtiments isolés avec ce produit? — Un bref de
mandamus ne saurait être décerné puisque le ministre n'est pas
tenu d'intenter des poursuites.
Il s'agit d'un appel du rejet d'une requête en bref de manda-
mus obligeant le ministre de la Consommation et des Corpora
tions à faire respecter les dispositions législatives interdisant de
vendre de la mousse isolante d'urée formaldéhyde (M.I.U.F.).
Les appelants ont soutenu que l'interdiction de vendre de la
M.I.U.F. comprenait celle de vendre les bâtiments isolés avec
ce produit. Le juge des requêtes a statué que l'annexe visait à
interdire la vente de la M.I.U.F., mais non à interdire ce
produit comme élément composant d'un bâtiment déjà existant,
puisque la Partie I de l'annexe n'en a pas expressément fait
mention. Elle n'a pas statué sur l'argument voulant que la Cour
n'ait pas compétence pour accorder le redressement sollicité
parce que la poursuite relative à des infractions sous le régime
de la Loi relève du pouvoir discrétionnaire du procureur
général.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
La Cour n'a pas compétence pour accorder le redressement
sollicité. La question de compétence était une question qu'il
fallait trancher d'abord et qui aurait dû être examinée avant
d'étudier le bien-fondé de la requête. Un mandamus ne sera
décerné que si la personne visée a l'obligation non discrétion-
naire de faire ce que l'ordonnance lui enjoint de faire. Ni la Loi
sur le ministère de la Consommation et des Corporations ni la
Loi sur les produits dangereux n'imposent au ministre l'obliga-
tion d'intenter des poursuites pour des infractions. Le législa-
teur a clairement voulu que le Code criminel s'applique à ces
infractions. L'article 2 du Code confie au procureur général la
conduite de ces procédures. En conséquence, un bref de man-
damus ne saurait être accordé à l'encontre du ministre de la
Consommation et des Corporations. Ce bref ne peut non plus
être accordé à l'encontre du procureur général qui, lorsqu'il
exerce ses fonctions accusatoires, fait usage de son pouvoir
administratif et, en agissant ainsi, n'est pas susceptible de
contrôle par les tribunaux, sauf en cas d'inconvenance fla-
grante. L'avènement de la Charte n'a pas modifié ce principe.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 2.
Loi sur le ministère de la Consommation el des Corpora
tions, S.R.C. 1970, chap. C-27, art. 3, 5, 6.
Loi sur les produits dangereux, S.R.C. 1970, chap. H-3,
art. 3, 4, 6, 9, 10, 11, 12, 13, 14, annexe, Partie I,
article 32 (ajouté par DORS/8l-30, art. 1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Balderstone v. The Queen in right of Manitoba et al.
(1983), 6 C.R.R. 356 (C.A. Man.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Re R. and Arviv (1985), 20 D.L.R. (4th) 422 (C.A.
Ont.); autorisation d'appeler refusée, [1985] 1 R.C.S. y;
Campbell v. Attorney -General of Ontario (1987), 58
O.R. (2d) 209 (H.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Vardy c. Scott et autres, [1977] I R.C.S. 293; O'Grady c.
Whyte, [1983] 1 C.F. 719 (C.A.); Karavos v. The City of
Toronto and Gillies, [1948] O.W.N. 17 (C.A.).
A COMPARU:
Arthur L. Jefford pour son propre compte.
AVOCAT:
Beverley J. Wilton pour les intimés.
LE REQUÉRANT POUR SON PROPRE COMPTE:
Arthur L. Jefford, Mississauga (Ontario).
PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Appel est interjeté d'une
ordonnance de la Division de première instance
[(1985), 11 C.L.R. 89; 3 C.P.R. (3d) 381] qui a
rejeté un avis introductif de requête déposé par les
appelants à l'instance. Il s'agissait d'une requête en
bref de mandamus obligeant le ministre de la
Consommation et des Corporations à faire respec-
ter les dispositions législatives interdisant d'annon-
cer et de vendre de l'«isolant thermique à base
d'urée formaldéhyde, expansé sur place, servant à
isoler les bâtiments», et à informer le public de son
intention de poursuivre tous les contrevenants.
La mousse isolante d'urée formaldéhyde
(M.I.U.F.) est réglementée sous le régime de la
Loi sur les produits dangereux, S.R.C. 1970,
chap. H-3. Voici le libellé de son article 3:
3. (1) Nul ne doit annoncer, vendre ou importer au Canada
un produit dangereux mentionné à la Partie I de l'annexe.
(3) Quiconque enfreint le paragraphe (1) ou (2) est
coupable
a) d'une infraction et passible, sur déclaration sommaire de
culpabilité, d'une amende de mille dollars ou d'un emprison-
nement de six mois ou à la fois de l'amende et de l'emprison-
nement; ou
b) d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de
deux ans.
On a modifié [DORS/81-30, art. 1] l'annexe I
en décembre 1980 en y ajoutant l'article 32: «Iso-
lant thermique à base d'urée formaldéhyde,
expansé sur place, servant à isoler les bâtiments».
La vente des produits énumérés dans la partie I de
cette annexe est absolument interdite. D'autres
produits figurant dans la partie II de l'annexe
peuvent être vendus dans des circonstances déter-
minées. Les appelants ont installé de la M.I.U.F.
dans un grand nombre de bâtiments. L'annonce
par le gouvernement de l'interdiction de vendre ce
produit a entraîné la fermeture de leur entreprise,
et ils ont été inondés de demandes de renseigne-
ments de leurs anciens clients.
Les appelants ont soutenu devant le juge des
requêtes que l'interdiction de vendre de la
M.I.U.F. comprenait nécessairement celle de
vendre les bâtiments isolés avec ce produit.
Le juge des requêtes a conclu que la M.I.U.F.
n'existait pas comme produit tant qu'elle n'était
pas placée dans les murs d'un bâtiment. On crée
l'isolant en faisant d'abord «mousser» dans la
cavité du mur la «mousse» à laquelle une résine est
alors ajoutée. Le mélange durcit ensuite pendant
une période de sept jours avant qu'on puisse affir-
mer que le «produit» est devenu de la mousse
isolante d'urée formaldéhyde; il constitue dès lors
une partie intégrante du bâtiment. Le juge des
requêtes a alors examiné la Loi, et elle a conclu
que lorsqu'un produit contenant une substance
interdite devait être visé par la Loi, l'annexe l'indi-
quait expressément. Elle a fait remarquer que, à la
différence d'autres produits interdits, l'annexe n'a
pas fait mention de bâtiments qui contiennent la
M.I.U.F. interdite. En l'absence d'une disposition
expresse contraire, elle a conclu que l'annexe en
question visait à interdire la vente de la M.I.U.F.
en vue de son installation, mais non à interdire ce
produit comme élément composant d'un bâtiment
déjà existant (D.A., page 37). Étant donné sa
conclusion sur ce volet de l'affaire, le juge des
requêtes a jugé inutile de statuer sur l'argument
quant à la compétence invoqué par les intimés. En
termes généraux, cet argument voulait que la Cour
n'aie pas compétence pour accorder le redresse-
ment sollicité, parce que la poursuite relative à des
infractions sous le régime de la Loi relève du
pouvoir discrétionnaire du procureur général.
Puisque la question de compétence est une ques
tion qu'il faut trancher d'abord, j'estime avec
égards qu'il y a lieu de l'examiner au commence
ment, avant d'étudier le bien-fondé de la requête,
parce que la conclusion que la Cour n'a pas com-
pétence pour accorder le redressement sollicité
rendrait inutile tout autre examen. Le bref de
mandamus vise à forcer l'exécution d'une obliga
tion publique. Un mandamus ne sera décerné que
si la personne ou l'organisme visé a l'obligation
non discrétionnaire de faire ce que l'ordonnance lui
enjoint de faire'.
' Voir: Vardy c. Scott et autres, [1977] 1 R.C.S. 293.
Voir: O'Grady c. Whyte, [1983] 1 C.F. 719 (C.A.), aux p. 722
et 723.
Voir également: Karavos v. The City of Toronto and Gillies,
[1948] O.W.N. 17 (C.A.), à la p. 18, le juge d'appel Laidlaw.
Dans la présente requête, les appelants con-
cluent à un bref de mandamus à l'encontre du
ministre de la Consommation et des Corporations
et de ses fonctionnaires. Il ressort d'une lecture
attentive des dispositions de la Loi sur le ministère
de la Consommation et des Corporations, S.R.C.
1970, chap. C-27, que le ministre est chargé de la
gestion et de la direction de son ministère (article
3). Ses devoirs et responsabilités sont énumérés en
détail aux articles 5 et 6 de la Loi. Cette Loi ne
prévoit aucune peine pour violation de la Loi. Pour
ce qui est de la Loi sur les produits dangereux, les
devoirs du ministre de la Consommation et des
Corporations consistent uniquement: à désigner
des inspecteurs de produits dangereux (article 4); à
agir, à titre d'intimé pour ce qui est des demandes
formulées par des propriétaires de produits saisis
en vertu de la Loi visant à obtenir une ordonnance
de restitution de la possession de ces produits
(article 6); à disposer de produits dangereux saisis
aux mains de personnes déclarées coupables d'in-
fractions prévues par l'article 3 (article 6); à créer
des commissions d'examen (article 9); et, en der-
nier lieu, à demander et obtenir une divulgation
relative à un produit ou substance qui, croit-on,
présente ou présentera vraisemblablement un
danger pour la santé et la sécurité publiques (arti-
cle 10). Il n'est prévu nulle part dans la Loi que le
ministre de la Consommation et des Corporations
doit intenter des poursuites relatives aux préten-
dues violations de cette Loi 2 .
Puisque ni l'une ni l'autre des lois précitées ne
prévoit de procédures de poursuite pour des infrac
tions, j'estime que le législateur a clairement
entendu que les dispositions du Code criminel
[S.C.R. 1970, chap. C-34] s'appliqueraient aux
infractions et aux poursuites sous le régime de la
Loi sur les produits dangereux. Ces poursuites
relèveraient du procureur général du Canada,
puisque l'article 2 du Code criminel confie à ce
ministre fédéral la conduite des procédures insti-
tuées «... sur l'instance du gouvernement du
Canada et dirigées par ce gouvernement ou pour
2 À la différence de la Loi sur le ministère de la Consomma-
tion et des Corporations, la Loi sur les produits dangereux crée
effectivement des infractions (articles 3 et 14). Les articles 11 à
13 inclusivement contiennent des dispositions relatives aux
poursuites pour des infractions sous le régime de la Loi. Ces
articles prévoient des procédures soit par voie de déclaration
sommaire de culpabilité soit par voie d'acte d'accusation.
son compte, qui sont relatives à la violation ou à un
complot en vue de la violation d'une loi du Parle-
ment du Canada ... »
À mon avis, il s'ensuit donc que, pour les raisons
invoquées ci-dessus, un bref de mandamus ne sau-
rait être accordé à l'encontre du ministre de la
Consommation et des Corporations. Les appelants
seraient-ils en meilleure position si la requête en
mandamus avait visé le procureur général du
Canada? Je ne le crois pas. Mon point de vue se
trouve étayé par une jurisprudence abondante vou-
lant que le procureur général, lorsqu'il exerce ses
fonctions accusatoires, fasse usage de son pouvoir
administratif et que, en agissant ainsi, il n'est pas
susceptible de contrôle par les tribunaux, sauf en
cas d'inconvenance flagrante. Le juge en chef
Monnin a énoncé avec concision ce principe dans
l'affaire Balderstone 3 :
[TRADUCTION] J'estime de même que rien dans le Code ni
en common law ne permet aux juges d'examiner les activités du
procureur général lorsqu'il exerce ses fonctions accusatoires. Le
procureur général est un membre du conseil exécutif, et il en
relève pour des questions administratives et budgétaires. En
matière de poursuites criminelles, il est responsable envers
lui-même et les tribunaux pour son comportement ou celui de
ses mandataires. Parfois, il pourra se faire, en raison de sa ligne
de conduite, que l'Exécutif prenne connaissance de quelques-
unes de ses décisions, mais, en fin de compte, c'est une question
soumise à l'opinion des électeurs de la province.
Le judiciaire et l'exécutif ne doivent pas se mélanger. Il s'agit
de deux fonctions séparées et distinctes. Les agents d'accusation
déposent une dénonciation ou, dans certains cas, des actes
d'accusation. Les tribunaux ou les cours de justice connaissent
des affaires qui leur sont déférées et statuent sur celles-ci quant
au fond ou aux questions préliminaires valables. Si un juge
tente d'examiner les actions ou le comportement du procureur
général,—sauf en cas d'inconvenance flagrante—il se peut qu'il
outrepasse sa compétence et empêche le procureur général ou
ses fonctionnaires d'exercer leur fonction administrative et
accusatoire. Or c'est ce qu'un juge ne doit pas faire.
L'affaire Balderstone est un cas où le procureur
général a exercé son pouvoir discrétionnaire pour
déposer un acte d'accusation. Une décision plus
récente de la Cour d'appel de l'Ontario est parve-
nue à la même conclusion dans l'affaire Re R. and
Arviv 4 . Dans celle-ci, la Cour a statué que le dépôt
d'un acte d'accusation par un procureur général ne
3 Balderstone v. The Queen in right of Manitoba et al.
(1983), 6 C.R.R. 356 (C.A. Man.), à la p. 363.
4 (1985), 20 D.L.R. (4th) 422 (C.A. Ont.), le juge d'appel
Martin—autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du
Canada refusée [[1985] 1 R.C.S. v].
viole pas en soi la garantie prévue à l'article 7 de la
Charte [Charte canadienne des droits et libertés,
qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle
de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.)] quant à la justice fonda-
mentale. Il appert donc que l'avènement de la
Charte n'a pas modifié le principe énoncé ci-des-
sus. Les procédures criminelles dans lesquelles le
procureur général décide d'inscrire une suspension
d'instance représentent un autre exemple courant
de l'exercice qu'il fait de son pouvoir discrétion-
naire dans l'accomplissement de ses fonctions
accusatoires. Dans l'affaire Campbell v. Attorney -
General of Ontario 5 , le juge Craig de la Haute
Cour de justice de l'Ontario a conclu, après avoir
soigneusement examiné la jurisprudence perti-
nente, que le même principe s'appliquait à l'exer-
cice du pouvoir discrétionnaire par le procureur
général dans ces circonstances comme dans les cas
où un acte d'accusation avait été déposé.
Compte tenu de la jurisprudence discutée ci-des-
sus, je suis convaincu que les conditions préalables
à la délivrance d'un bref de mandamus ne seraient
pas remplies même si la requête avait visé le
procureur général du Canada 6 .
En conséquence, les faits me convainquent que
la Cour n'a pas compétence pour accorder le
redressement sollicité. Ainsi qu'on l'a vu, la légis-
lation applicable n'impose pas à un ministre l'obli-
gation non discrétionnaire d'accomplir l'acte men-
tionné dans la présente requête. J'estime donc que
l'appel doit être rejeté avec dépens.
LE JUGE MARCEAU: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
5 (1987), 58 O.R. (2d) 209 (H.C.).
6 Je tire cette conclusion en tenant pour acquise l'absence
d'une preuve d'inconvenance flagrante du procureur général.
Compte tenu du dossier, je ne vois aucun élément de preuve à
cet égard.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.