T-657-84
Waste Not Wanted Inc. (demanderesse)
c.
La Reine du chef du Canada, ministre de l'Éner-
gie, des Mines et des Ressources, Énergie atomi-
que du Canada Limitée (défendeurs)
et
James Reginald Forde, Norma Marlene Forde,
Eugenio Sarmiento, Corazon Sarmiento, John
Langcaster, Donna Langcaster, Christos Sofos et
Stauroula Sofos (intervenants)
RÉPERTORIÉ: WASTE NOT WANTED INC. C. CANADA
Division de première instance, juge Collier—
Toronto, l er , 2, 3, 4, 5, 9, 10, 11, 12, 15, 16, 17, 18,
19, 31 octobre, 12, 13, 14, 15, 16, 19, 20, 21, 22,
23, 26, 27 novembre, 3, 4, 5, 6, 7, 10, 11 décembre
1984; 8 janvier, 5 juin 1985 (dépôt des mémoires);
7 février (requête en réouverture), 16 mars (nou-
veaux éléments de preuve) 1986; Ottawa, 15 juin
1987.
Pratique — Parties — Qualité pour agir — L'association
demanderesse tente d'obtenir une injonction pour empêcher le
stockage de sols radioactifs dans un certain endroit — Consti
tution de la demanderesse en association par des résidents —
Droits de poursuivre cédés à la demanderesse — Celle-ci n'a
pas qualité pour agir — Une action pour nuisance est une
action personnelle, non cessible en droit — La demanderesse
n'a pas qualité pour intenter un recours collectif puisqu'elle
n'a aucun intérêt en commun avec les occupants — Les person-
nes physiques pourraient «réellement contester la loi» — Les
occupants auraient dü intenter une poursuite pour leur propre
compte.
Pratique — Res judicata — La question de la qualité pour
agir est-elle chose jugée compte tenu de l'injonction interlocu-
toire rendue précédemment? — La règle de la chose jugée n'est
applicable que lorsqu'une décision «définitive» a été rendue
dans un procès antérieur opposant les mêmes parties — L'in-
jonction interlocutoire qui interdisait aux défendeurs d'accom-
plir certains actes «jusqu'à l'instruction de la présente action
ou au prononcé d'une autre ordonnance» n'était pas
«définitive».
Couronne — Responsabilité délictuelle — Nuisance privée
— Requête de l'association visant à interdire aux défendeurs
d'entreposer des sols radioactifs dans le secteur proposé — Les
membres de la demanderesse ont cédé leur droit d'action — La
demanderesse n'est ni propriétaire ni occupante d'un bien-
fonds — L'action fondée sur une nuisance personnelle est une
action non cessible en droit — Demande devant être présentée
par les membres individuellement — Action rejetée en l'ab-
sence de qualité pour agir.
La demanderesse, une association à but non lucratif, tente
d'obtenir une injonction pour empêcher les défendeurs d'entre-
poser des sols radioactifs dans le secteur de Reesor Road de
Scarborough ou, à titre subsidiaire, un jugement déclaratoire.
Les sols devaient être transportés du secteur de Malvern au site
de stockage temporaire de Reesor Road. Les personnes habi-
tant près du site proposé se sont constituées en association en
raison de leurs inquiétudes pour la santé et la sécurité. Les
membres ont cédé à l'association leur droit d'intenter un
recours en injonction et en jugement déclaratoire mais aucun
droit ou titre foncier n'a été cédé. Il s'agit de déterminer si la
demanderesse a qualité pour obtenir le redressement recherché.
Une injonction interlocutoire avait précédemment été accordée
contre les défendeurs à l'exclusion de la Couronne fédérale. La
demanderesse prétend que la question de la qualité pour agir,
même si elle n'avait pas été soulevée lors de l'audition de la
requête en injonction interlocutoire, est maintenant chose jugée.
La demanderesse soutient notamment que le stockage consti-
tue une nuisance privée pour ses membres, qu'il y a violation
potentielle de leurs droits de riveraineté, que divers textes
législatifs et réglementaires fédéraux et provinciaux ont été
enfreints et que l'article 7 de la Charte a été violé.
Jugement: la requête devait être rejetée.
La question de la qualité pour agir n'est pas chose jugée. La
règle de la chose jugée ne peut s'appliquer que lorsqu'une
décision définitive a été rendue dans un procès antérieur oppo-
sant les mêmes parties. Elle ne peut s'appliquer à une décision
interlocutoire déjà rendue au cours de la même instance. Cette
opinion trouve appui dans l'ouvrage de Spencer, Bower et
Turner, The Doctrine of Res Judicata. Selon ces auteurs, les
ordonnances prononcées «jusqu'à l'instruction de l'action ou au
prononcé d'une autre ordonnance» constituent l'illustration la
plus évidente du genre de décisions qui sont censées, à première
vue, n'être que temporaires. L'injonction interlocutoire pronon-
cée dans la présente action assujettissait précisément les défen-
deurs à cette condition.
La demanderesse n'a pas qualité pour obtenir le redresse-
ment recherché. Elle ne peut invoquer les règles de droit
applicables à la nuisance privée puisqu'elle n'est ni propriétaire
ni occupante d'un bien-fonds. Elle ne peut non plus invoquer les
cessions que ses membres lui ont faites pour prétendre avoir
l'intérêt nécessaire pour agir. Une action pour nuisance est une
«simple action personnelle ... [non] cessible en droit»: Union
Gas Co. of Canada Ltd. v. Brown (1968), 67 D.L.R. (2d) 44
(H.C. Ont.).
On a établi une distinction avec les décisions Martell v.
Consett Iron Co. Ld., [1955] Ch. 363 et Trendtex Trading
Corpn. v. Credit Suisse, [1982] A.C. 679 (H.L.). Dans l'affaire
Martell, le tribunal a conclu que l'association qui soutenait
financièrement l'action des demandeurs avait un intérêt
reconnu par la loi dans l'objet du litige. En l'espèce, la deman-
deresse ne soutient pas financièrement une action intentée par
ses membres; c'est elle-même qui a entrepris d'intenter la
poursuite en invoquant les cessions de causes d'action que ses
membres lui ont consenties. L'arrêt Trendtex permet de soute-
nir que le cessionnaire ayant un intérêt commercial véritable à
faire valoir la demande d'autrui et qui, à cette fin, accepte
qu'on lui cède cette demande a le droit de poursuivre l'exécu-
tion de cette cession. En l'espèce, la demanderesse n'a aucun
intérêt commercial à faire valoir les droits de ses membres.
La demanderesse n'a pas qualité pour intenter un recours
collectif puisqu'elle n'a aucun intérêt en commun avec les
occupants des propriétés du secteur concerné. De plus, elle ne
tombe pas sous le coup des principes établis par la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Ministre de la Justice du
Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575. Les contes-
tations formulées ne concernent aucun des droits qu'elle pour-
rait avoir en vertu de la loi contestée. En l'espèce, il existe des
personnes physiques directement touchées «qui pourraient réel-
lement contester la loi». L'argument fondé sur l'article 7 de la
Charte est également rejeté: la demanderesse, en tant que
personne morale, ne peut subir d'atteinte à sa vie ou à sa
sécurité.
La bonne façon d'engager ce procès aurait été de demander à
un ou plusieurs occupants d'intenter une poursuite pour leur
propre compte et pour le compte des autres personnes dont les
droits à titre d'occupants sont susceptibles d'être lésés en raison
du site de stockage projeté et des actes ou des omissions des
défendeurs.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7.
Loi sur le contrôle de l'énergie atomique, S.R.C. 1970,
chap. A-19, art. 10(1)c).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Union Gas Co. of Canada Ltd. v. Brown (1968), 67
D.L.R. (2d) 44 (H.C. Ont.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski,
[1981] 2 R.C.S. 575; Martell v. Consett Iron Co. Ld.,
[1955] Ch. 363 ; conf. [1955] Ch. 389; Trendtex Trading
Corpn. v. Credit Suisse, [1982] A.C. 679 (H.L.); Wiswell
et al. v. Metropolitan Corpn. of Greater Winnipeg,
[1965] R.C.S. 512; Palmer et al. v. Nova Scotia Forest
Industries (1983), 2 D.L.R. (4th) 397 (C.S.N.-É.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Fenerty v. The City of Halifax (1920), 50 D.L.R. 435
(C.S.N.-É.).
DÉCISIONS CITÉES:
Rockwell Developments Ltd. v. Newtonbrook Plaza Ltd.,
[ 1972] 3 O.R. 199 (C.A.); Thorson c. Procureur général
du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; Nova Scotia
Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265;
Rosenberg et al. v. Grand River Conservation Authority
et al. (1976), 12 O.R. (2d) 496 (C.A.).
DOCTRINE CITÉE
Bower, George Spencer and Turner, Sir Alexander King -
come, The Doctrine of Res Judicata, 2nd ed. London:
Butterworths, 1969.
Fleming, John G. The Law of Torts, 6th ed. Sydney: Law
Book Co., 1983.
AVOCATS:
David Estrin et H. Dahme pour la demande-
resse.
P. Evraire, c.r. et A. C. Pennington, c.r. pour
les défendeurs.
PROCUREURS:
David Estrin, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le directeur général a décidé de publier sous
forme abrégée les motifs du jugement de 79
pages du juge. Les 32 premières pages portent
sur les questions de la qualité pour agir, de la
règle de la chose jugée et des règles de droit
relatives à la nuisance et sont publiées en entier.
La Cour a conclu que la personne morale deman-
deresse n'avait pas qualité pour obtenir le redres-
sement demandé par voie judiciaire.
Au cas où cette conclusion se serait avérée
erronée, le juge Collier a décidé de se prononcer
sur le fond du litige. Cette partie du jugement est
remplacée par la publication d'un résumé des
principaux points soulevés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendu par
LE JUGE COLLIER: La demanderesse est une
association à but non lucratif. Elle a été constituée
sous le régime des lois de l'Ontario le 19 mars
1984.
Par son action, la demanderesse tente d'obtenir
une injonction interlocutoire et une injonction per-
manente pour empêcher le dépôt projeté de cer-
tains sols dans le «secteur de Reesor Road», dans la
ville de Scarborough, en Ontario. Elle sollicite,
titre subsidiaire, un jugement déclaratoire.
Une injonction interlocutoire a été accordée
le 16 mai 1984 contre tous les défendeurs,
l'exclusion de la Couronne fédérale.
Les sols en question («les sols Malvern») sont
présentement situés dans le secteur de McClure
Crescent, dans la ville de Scarborough. Les inter-
venants sont divers propriétaires ou résidents du
secteur McClure. Ils n'ont pas participé au procès.
Les sols Malvern ont été contaminés on ne sait
comment par des matières radioactives au cours
des années quarante. Pendant les années soixante-
dix, l'emplacement a été aménagé dans le cadre
d'un lotissement de la collectivité de Malvern. Il
n'est pas à mon avis nécessaire d'aborder la ques
tion de savoir précisément quand, pourquoi et à
cause de qui les sols ont été contaminés. Tout le
monde s'entend pour dire que les sols sont conta-
minés. Le litige porte sur le degré de contamina
tion, sur les risques et sur les mesures à prendre ou
à ne pas prendre.
En 1980, les autorités fédérales ont procédé à
des essais. A la suite de ces essais, on a décidé que
les matières incriminées (environ 4 000 tonnes)
devaient être transportées ailleurs en prenant les
précautions appropriées. Certaines propositions ont
été faites. La première a échoué. Il n'est pas
nécessaire que je relate ici ces faits. On en trouve
un bref résumé dans les motifs que j'ai prononcés
le 16 mai 1984 et dans lesquels j'ai accordé l'in-
jonction interlocutoire.
Après certains pourparlers, le gouvernement du
Canada («le Canada») et le gouvernement de l'On-
tario («l'Ontario») ont conclu le 3 novembre 1983
une entente, qui est désignée sous le nom de proto-
cole d'entente (extrait de la pièce 43). Les deux
gouvernements étaient d'accord pour transporter
les sols hors du secteur McClure; ils devaient
collaborer à leur enlèvement et à leur stockage. Ils
avaient l'intention de construire un site d'évacua-
tion permanent [TRADUCTION] «le plus tôt possi
ble», mais l'Ontario préférait enlever les sols sans
[TRADUCTION] «attendre la construction d'un site
d'évacuation permanent».
Les principales modalités de l'accord étaient les
suivantes:
a) Le Canada se chargeait de l'enlèvement et
de l'évacuation permanente des sols.
b) Le Bureau de gestion des déchets radioac-
tifs de faible activité («le Bureau»), qui dépend
de la défenderesse Énergie Atomique du Canada
Ltée (É.A.C.L.), devait remplir les obligations
du fédéral et être désigné comme mandataire du
Canada à cette fin.
c) L'Ontario devait désigner ou choisir le site
de stockage temporaire. Une fois que les deux
gouvernements s'étaient entendus sur un site
acceptable, le Bureau devait transporter les sols
hors du secteur McClure et les entreposer à
l'endroit choisi.
d) Le Bureau devait, en collaboration avec
l'Ontario, faire tout en son pouvoir pour établir
un site d'évacuation permanent.
Je reproduis en entier les paragraphes 6b) et 6c)
et 12 du protocole:
[TRADUCTION] 6. ...
b) Dans les cinq ans de la date du présent accord, le Bureau
devra, à moins qu'un site d'évacuation permanent n'ait été
établi, mettre à la disposition de l'Ontario et du Canada un
rapport résumant les progrès accomplis par le Bureau pour
établir un site d'évacuation des déchets radioactifs de faible
activité et donnant un aperçu de l'ampleur des mesures à
prendre, de la probabilité qu'elles soient mises en oeuvre et de
leur échéancier probable.
c) Tant qu'il n'y aura pas d'entente sur le choix d'un site
d'évacuation permanent, l'Ontario continuera à offrir sa
collaboration pour désigner, choisir et offrir un ou plusieurs
sites pour l'entreposage temporaire des déchets Malvern.
12. Le présent accord est conclu pour une période de cinq ans
à compter de la date de sa signature, à moins qu'à l'expiration
de cette période, il n'y ait pas d'entente sur le choix d'un site
d'évacuation, auquel cas l'accord sera reconduit de plein droit
pour une autre période de cinq ans. Dans ce cas, l'accord
prendra fin à l'expiration de la seconde période de cinq ans s'il
n'y a pas d'accord sur le choix d'un site d'évacuation perma
nent. La responsabilité du Canada à l'égard du stockage tempo-
raire des déchets Malvern prendra alors fin.
Suivant mon interprétation de cette convention,
le Canada et l'Ontario doivent s'entendre sur un
site d'évacuation permanent. Si, au 3 novembre
1993, ils ne se sont pas entendus sur le choix d'un
site, la responsabilité du Canada à l'égard de
l'entreposage temporaire prendra fin. Après cette
date, je ne vois aucune obligation juridique en
vertu de laquelle l'Ontario, ou n'importe qui d'au-
tre, pourrait forcer le Canada à transporter les sols
hors du site temporaire.
Le 5 octobre 1983, le Bureau a été informé que
l'Ontario avait choisi un site de stockage dans le
secteur de Reesor Road. Le 7 novembre 1983, un
communiqué de presse précisait que les sols
devaient être déplacés. Le secteur de Reesor Road
n'était pas mentionné expressément, mais le choix
de ce site est devenu un fait connu du public
presque sur-le-champ.
J'ouvre ici une parenthèse.
Lorsque la présente action a été introduite, la
Reine du chef de l'Ontario, le ministre des Affai-
res intergouvernementales de l'Ontario et la
Société de développement de l'Ontario étaient au
nombre des défendeurs. Le ministre ontarien avait
signé l'accord du 3 novembre 1983 au nom de la
province. La Société de développement de l'Onta-
rio était désignée comme propriétaire du terrain
sur lequel les sols devaient être emmagasinés.
L'É.A.C.L. avait conclu sur ce terrain un bail
prenant effet le l er janvier 1984. En fait, c'était la
Société foncière de l'Ontario qui était propriétaire
du terrain. Avant le procès, une requête en radia
tion de ces défendeurs a été présentée et accueillie.
Les motifs invoqués étaient que notre Cour n'avait
pas compétence pour entendre la demande intentée
contre ces défendeurs ontariens.
Je reviens aux faits.
Le docteur D. J. Cameron était le directeur du
Bureau. Des renseignements plus précis ont été
communiqués aux résidents du secteur de Reesor
Road au début du mois de novembre. Ils ont été
communiqués par le docteur Cameron lui-même
ou sous sa direction. Je reviendrai plus loin plus en
détail sur les communications et les conversations
échangées entre le Bureau et les résidents. Cer-
tains des résidents du secteur ont commencé à être
préoccupés par ce projet. Des réunions ont été
tenues. Finalement, on a décidé de constituer l'as-
sociation demanderesse.
L'intérêt pour agir de la demanderesse dans la
présente action et la question de savoir si elle peut
obtenir le redressement demandé.
J'adopterai l'expression «qualité pour agir», pour
reprendre le qualificatif que les parties ont donné à
cette question au procès et dans leurs mémoires.
C'est une question primordiale.
Comme on peut le constater, ce n'est que quel-
ques mois après que le choix du site d'évacuation a
été rendu public que la demanderesse a été consti-
tuée. Les requérants qui l'ont constituée et qui en
étaient les premiers administrateurs étaient Mari-
lynne Pitcher, Kenneth Deer et Betty Burkholder.
Mme Pitcher vit à Scarborough. M. Deer habite la
ville de Markham, au nord de Scarborough. Mue
Burkholder réside à Pickering, à l'est du site pro-
posé. Suivant le paragraphe 6 de ses statuts, l'asso-
ciation avait pour objet:
[TRADUCTION] a) d'étudier les effets du dépôt ou du stoc-
kage de matières ou de sols radioactifs ou de tout autre
déchet dangereux à tout endroit dans la municipalité de la
communauté urbaine de Toronto ou dans les régions de York
ou de Durham;
b) de mener des études ou d'autres recherches au sujet des
effets de l'installation d'un site d'enfouissement ou de stoc-
kage de déchets sur les résidents locaux ou sur l'environne-
ment local en général;
c) de mener des études ou d'autres recherches en vue de
désigner des sites d'évacuation permanents pour les déchets
dangereux ou radioactifs qui existent présentement ou qui
pourraient être produits à l'avenir;
d) de sensibiliser le public au sujet des problèmes écologiques
que comporte l'évacuation de matières radioactives ou
dangereuses;
e) d'offrir une tribune aux résidents locaux qui sont membres
de l'association pour qu'ils expriment leurs vues et leurs
opinions sur les questions ci-dessus mentionnées et de pren-
dre, au nom des résidents locaux et des membres de l'associa-
tion, les mesures licites qu'elle juge nécessaires ou opportunes
dans les circonstances pour exprimer leurs vues et protéger
leur environnement;
f) pour les fins susmentionnées, d'accepter des donations, des
dons et des legs.
L'association ne possède aucun terrain dans le
secteur de Reesor Road ou ailleurs et ne détient
aucun droit foncier.
Elle compte 163 membres. La plupart vivent
près du site ou dans un rayon de trois milles ou
moins. Quelques-uns habitent plus loin. La plupart
des membres de la demanderesse qui ont témoigné
au procès résident dans un rayon d'un mille et
quart ou moins de l'installation de stockage propo
sée. Plusieurs des membres ne sont pas propriétai-
res de terrains dans le secteur. Ainsi, les trois
administrateurs qui ont formé l'association vivent
sur des propriétés qu'eux ou des membres de leur
famille ont louées de la Société foncière de
l'Ontario.
Les membres de l'association demanderesse lui
ont presque tous fait des cessions. La clause essen-
tielle de l'acte de cession est ainsi libellée:
[TRADUCTION] À : WASTE NOT WANTED INC.
En contrepartie de l'engagement de Waste Not Wanted Inc.
de retenir les services d'un avocat pour intenter des poursuites
judiciaires en vue d'empêcher la réalisation du projet d'évacua-
tion de sols radioactifs dans le secteur de Reesor Road, le
soussigné, en sa qualité de propriétaire ou de locataire de la
propriété ci-après désignée, cède par la présente à Waste Not
Wanted Inc. ses droits d'intenter une action devant la Cour
fédérale du Canada ou la Cour suprême de l'Ontario, pour
obtenir une injonction et un jugement déclaratoire afin d'empê-
cher tout gouvernement, organisme ou personne d'établir un
site de stockage ou d'évacuation de sols radioactifs à proximité
de Reesor Road.
Certaines des cessions ont été signées, et d'autres
resignées, après l'ouverture du procès.
Il est important de noter qu'aucun droit ou titre
foncier n'a été cédé à la demanderesse.
J'en viens à la conclusion que la constitution en
association visait plusieurs objectifs: regrouper
officiellement ceux qui s'opposaient au transport
des sols sur Reesor Road; permettre à des particu-
liers d'unir leurs voix et de traiter, au sein d'une
seule association, avec les gouvernements et leurs
organismes. Il se peut qu'il y ait eu d'autres objec-
tifs. Mais, d'après moi, on cherchait aussi à mettre
les membres à l'abri de toute responsabilité finan-
cière personnelle pouvant découler de toute action
en justice qui pouvait être intentée. On cherchait
par exemple à les protéger de leur responsabilité
personnelle pour les dommages-intérêts ou les frais
de justice pour lesquels des tiers, comme les défen-
deurs ou d'autres défendeurs éventuels, auraient
pu les forcer à répondre sur leurs biens personnels
et notamment sur leurs biens-fonds. (Voir la pièce
61 et les pages 726 et 727 du témoignage de Mue
Burkolder.)
La pièce 61 est une copie du procès-verbal de la
réunion qu'ont tenue le 8 mars 1984 huit résidents
de Reesor Road. Le procès-verbal indique qu'il y a
été question d'une constitution en association et
des avantages qui pouvaient en découler. En con-
tre-interrogatoire, M"e Burkholder a déclaré que
personnellement elle ne considérait [TRADUCTION]
«pas particulièrement» la constitution en associa
tion comme avantageuse. Elle ne parlait toutefois
pas pour les autres résidents qui sont par la suite
devenus membres et elle n'exprimait pas leurs
vues.
Pour se prononcer sur l'argument relatif à la
qualité pour agir, il est nécessaire d'analyser les
causes d'action avancées par la demanderesse.
La demanderesse soutient que le stockage des
sols sur Reesor Road [TRADUCTION] «constituera
une nuisance privée pour la vie, la santé et les
biens des membres de la demanderesse ... » ( para-
graphe 21 de la déclaration). La nuisance privée
est également plaidée au paragraphe 23. La nui
sance est aussi alléguée aux paragraphes 22 et 24.
Les droits de riveraineté des membres de la
demanderesse sont invoqués aux paragraphes 19 et
24, ainsi que la violation potentielle de ces droits.
La demanderesse soutient que diverses infrac
tions à divers textes législatifs et règlements fédé-
raux et ontariens ont été commises. En outre, elle
prétend que certains règlements sont invalides.
Aux paragraphes 25 et 26, on prétend que, par
leurs actions et propositions, les défendeurs ont
manqué à leur devoir d'agir équitablement envers
les membres de la demanderesse ou ont violé les
principes de justice naturelle.
Finalement, la demanderesse invoque la Charte
[Charte canadienne des droits et libertés, qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)]; elle soutient que ses membres
ont, en raison des activités projetées des défen-
deurs et de leur défaut de fournir des renseigne-
ments et de tenir des audiences, porté atteinte à
leurs droits protégés par l'article 7 de la Charte.
Les défendeurs ont, à mon avis, résumé avec
exactitude les conclusions de la demanderesse de la
façon suivante:
[TRADUCTION] En conséquence de ces allégations, l'associa-
tion demanderesse sollicite une injonction permanente contre
les défendeurs ou, à titre subsidiaire, un jugement déclaratoire
portant que la défenderesse, et chacun des défendeurs, ne sont
pas légalement autorisés à déposer des matières radioactives sur
Reesor Road, qu'un tel dépôt constituerait une nuisance privée
envers les membres de la demanderesse qui résident dans les
alentours du site en question, que cela constituerait une viola
tion des droits de riveraineté des propriétaires et que, en tout
état de cause, un tel dépôt est illicite, sauf dans la mesure où les
principes de justice fondamentale sont respectés.
Avant d'examiner plus en détail la prétention
des défendeurs suivant laquelle la demanderesse
n'a pas la qualité pour solliciter le redressement
ci-dessus énoncé, j'aimerais m'arrêter à un argu
ment d'ordre général que la demanderesse a for-
mulé sur cette question. On a prétendu que la
question de la qualité pour agir était «chose jugée»
et qu'au moment où j'ai prononcé l'injonction
interlocutoire, la question de la qualité pour agir
était, en droit, tranchée, même si elle n'avait pas
été soulevée.
Je ne suis pas de cet avis.
Il est vrai que la question de la qualité pour agir
n'a pas été soulevée au moment où la requête en
injonction interlocutoire a été entendue. Il est fort
probable que les faits concernant la demanderesse
n'étaient pas tous connus à ce moment-là. L'action
n'avait été introduite que le 4 avril 1984. Sauf
erreur, les interrogatoires préalables n'avaient pas
encore eu lieu au moment où la requête a été
entendue.
Le 9 août 1984, les défendeurs ont demandé une
ordonnance fixant la date du procès. Le 16 août,
les parties sont tombées d'accord sur le 1er octobre
1984. Le juge en chef adjoint a refusé de fixer une
date, parce qu'un appel de l'ordonnance dans
laquelle j'avais accordé l'injonction interlocutoire
était en instance. Les défendeurs ont convenu de se
désister de l'appel. La date d'octobre a alors été
fixée.
Le 30 août 1984, les défendeurs ont produit une
requête en rejet de l'action en invoquant le défaut
de qualité pour agir de la demanderesse. Cette
requête a été rejetée, sans préjudice du droit des
défendeurs de soumettre cette question au juge du
procès.
Une requête en rejet semblable m'a été soumise
à l'ouverture du procès. J'ai statué que la requête
ne serait pas entendue à ce moment-là et que la
question pourrait être débattue une fois que tous
les éléments de preuve seraient versés au dossier.
Les défendeurs se sont désistés de leur appel sur
la question de l'injonction afin de hâter l'audition
de la présente action. Je ne vois ni renonciation, ni
fin de non-recevoir dans cela.
Ces données factuelles mises complètement à
part, j'estime que la demanderesse ne peut, en
droit, obtenir gain de cause sur l'argument tiré de
l'autorité de la chose jugée.
L'avocat de la demanderesse a cité l'énoncé
suivant formulé par Spencer Bower et Turner dans
leur ouvrage The Doctrine of Res Judicata, 2e éd.,
London: Butterworths, 1969, à la page 1:
[TRADUCTION] Introduction
I En jurisprudence anglaise, une affaire jugée, c'est-à-dire
une décision judiciaire définitive prononcée par un tribunal
judiciaire compétent sur la cause ou l'objet du litige et entre les
parties à ce litige, tranche une fois pour toutes les questions
jugées, de telle sorte qu'on ne peut par la suite les soumettre à
un juge pour qu'elles soient à nouveau débattues par les mêmes
parties ou leurs ayants droit. Une telle décision a deux effets.
Les parties sont irrecevables à alléguer le contraire
2 En premier lieu, la décision judiciaire empêche les parties
au litige de contester dans un procès ultérieur à l'encontre de
tout autre partie au litige le bien-fondé de la décision de droit
ou de fait déjà rendue. La même question ne peut être soulevée
à nouveau entre elles et ce principe s'applique à toutes les
questions de droit et de fait que le jugement, la décision ou
l'ordonnance a nécessairement établies comme fondement juri-
dique ou justification à la conclusion tirée par la Cour.
On a également cité l'extrait suivant de l'arrêt
Fenerty v. The City of Halifax (1920), 50 D.L.R.
435 (C.S.N.-E.), aux pages 437 et 438:
[TRADUCTION] La règle que je tire de la jurisprudence est que
le jugement prononcé entre les mêmes parties est définitif et
concluant non seulement en ce qui concerne les questions sur
lesquelles il porte, mais également sur les questions que les
parties ont eu l'occasion de soulever. Il ne fait aucun doute que
le demandeur doit présenter sa preuve lors du premier procès et
qu'on ne lui permettra pas, s'il perd sa cause, d'intenter un
deuxième procès au motif qu'il a d'autres éléments de preuve à
soumettre.
La demanderesse soutient que les défendeurs ont
eu l'occasion de soulever la question à l'étape de
l'injonction interlocutoire, qu'ils ne l'ont pas fait et
qu'ils sont donc irrecevables à le faire maintenant.
La règle de la chose jugée ne peut s'appliquer
que lorsqu'une décision définitive a été rendue
dans un procès antérieur opposant les mêmes par
ties. Elle ne peut, à mon sens, s'appliquer à une
décision interlocutoire déjà rendue au cours de la
même instance.
Cette opinion trouve appui dans l'ouvrage de
Spencer Bower et Turner, précité, à la page 132:
[TRADUCTION] Sens du terme «définitifs.
164 Une décision judiciaire est réputée définitive lorsqu'il ne
subsiste rien qui puisse être tranché ou déterminé par la suite
par un tribunal, de façon à la rendre efficace et susceptible
d'exécution. Une décision est définitive lorsqu'elle est absolue,
complète et certaine et qu'elle n'est pas légalement sujette à
être ultérieurement rescindée, révisée ou modifiée par le tribu
nal qui l'a prononcée. Cette définition suppose l'existence de
deux types distincts de décisions non définitives, que nous nous
proposons d'examiner séparément. La première est la décision
judiciaire qui, à sa lecture même, est imparfaite, provisoire,
conditionnelle, indéfinie ou ambiguë, et l'autre est la décision
judiciaire qui, même si elle parait à première vue définitive, est,
suivant les règles de droit anglais (ou le cas échéant, étranger)
applicables, susceptible d'être par la suite rescindée, révisée ou
modifiée par le tribunal qui l'a initialement rendue.
Décisions non définitives au vu du dossier
165 L'illustration la plus simple et la plus évidente du genre
de décisions qui ne paraissent pas, à leur lecture, être autre
chose que temporaires, provisoires ou interlocutoires sont les
ordonnances prononcées «jusqu'à l'instruction de l'action ou au
prononcé d'une autre ordonnance», comme l'injonction interlo-
cutoire, ou l'ordonnance provisoire visant à conserver des biens
ou à maintenir le statu quo ...
L'injonction interlocutoire prononcée dans la
présente action contenait précisément cette men
tion et interdisait aux défendeurs d'accomplir cer-
tains actes «jusqu'à l'instruction de la présente
action ou au prononcé d'une autre ordonnance».
Je passe maintenant aux détails de l'argumenta-
tion relative à la question de la qualité pour agir.
Le principal moyen de contestation concerne les
règles de droit applicables à la nuisance. Pour
commencer, il faut se rappeler qu'une personne
morale est distincte des membres qui la compo-
sent. De la même façon, les biens que possède une
personne morale sont distincts de ceux de ses
membres, et vice versa. Voir Rockwell Develop
ments Ltd. v. Newtonbrook Plaza Ltd., [1972] 3
O.R. 199 (C.A.), à la page 212.
La demanderesse à l'instance n'est propriétaire
d'aucun bien ou d'aucun droit de riveraineté qui
pourrait subir une atteinte du fait du stockage des
sols Malvern. C'est cependant le cas de plusieurs
de ces membres. L'association ne peut prétendre
qu'elle risque d'être elle-même victime d'un préju-
dice physique ou psychologique. Seuls ses membres
le peuvent. On m'a soumis des éléments de preuve
en ce sens.
Les défendeurs s'appuient sur l'énoncé suivant,
formulé par Fleming dans son ouvrage The Law of
Torts, 6e éd., Sydney: Law Book Co., 1983, la
page 384:
[TRADUCTION] La nuisance privée se définit essentiellement
comme l'atteinte portée aux droits de l'occupant d'un bien-
fonds à jouir de celui-ci.
Ils invoquent également ce passage, qu'on retrouve
à la page 393:
[TRADUCTION] Le droit de se plaindre d'une nuisance appar-
tient exclusivement au possesseur réel du bien-fonds visé, tout
comme celui de se plaindre d'une atteinte à la possession.
En l'espèce, les défendeurs prétendent que la
demanderesse ne respecte pas ces conditions et
qu'elle n'est ni propriétaire ni occupante d'un
bien-fonds.
Je suis du même avis.
La demanderesse invoque les cessions (déjà
mentionnées) que les membres de l'association lui
ont faites pour prétendre qu'elle a l'intérêt néces-
saire pour agir.
En règle générale, la cession d'une simple cause
d'action est considérée comme invalide. Les règles
de droit sur cette question ont été examinées à
fond par le juge Moorehouse de la Haute Cour de
l'Ontario dans l'arrêt Union Gas Co. of Canada
Ltd. v. Brown (1968), 67 D.L.R. (2d) 44. Le juge
commence son exposé, à la page 48, en déclarant:
[TRADUCTION] On affirme, dans bon nombre de précédents,
que: «La cession d'un simple droit d'action est mauvaise» ..
Le juge poursuit, aux pages 49 et 50:
[TRADUCTION] Je suis convaincu qu'en l'espèce, la réclama-
tion est de nature délictuelle et que les faits semblent la faire
entrer dans la catégorie des nuisances privées ou des atteintes à
la possession. J'estime qu'il n'est pas nécessaire pour les fins de
l'espèce que je détermine de quelle catégorie il s'agit. A 15
C.E.D. (Ont. 2nd) je lis ce qui suit, aux p. 494 et 495:
La demande d'injonction visant à empêcher un dommage ou
une menace de dommage aux biens sur le fondement d'une
nuisance est une action purement personnelle à laquelle la
maxime actio personalis moritur cum persona s'applique.
Ceci étant posé, l'action ne peut, à plus forte raison, être
cédée: Preston v. Hilton (1920), 48 O.L.R. 172.
Voici ce qu'on lit, aux pp. 495 et 496:
En règle générale, une fois qu'il a établi l'existence d'un droit
reconnu par la loi et la violation de ce droit par le défendeur,
le demandeur a tout naturellement le droit (à moins que
l'affaire ne comporte un élément spécial) d'obtenir une
injonction pour empêcher que cette violation ne se repro-
duise. Dans une action pour nuisance, les dommages-intérêts
et l'injonction sont des redressements subsidiaires ou substi-
tutifs, même si les deux peuvent être accordés pour le même
délit.
Dans le jugement Preston v. Hilton (1920), 48 O.L.R. 172, la
p. 177, 55 D.L.R. 647, la p. 652, le juge Orde déclare:
Il est clair qu'une demande personnelle en dommages-inté-
rêts découlant d'un délit ne peut faire l'objet d'une cession et
que quels que soient les doutes qui pourraient subsister, à la
lecture d'une certaine jurisprudence anglaise et des opinions
de certains auteurs de doctrine, quant à la cessibilité d'un
droit d'action pour dommages aux biens (voir le jugement
rendu par le juge Anglin dans l'affaire McCormack v.
Toronto R.W. Co. (1907), 13 O.L.R. 656, la p. 659), le
jugement prononcée par la Cour divisionnaire dans cette
affaire a établi hors de tout doute que même une demande en
dommages-intérêts pour atteinte aux biens ne constitue pas
un droit d'action cessible.
En l'espèce, la demande en est une pour laquelle une injonc-
tion pourrait être accordée. Il s'agit d'une simple action person-
nelle et, en toute déférence, j'estime qu'elle n'est pas cessible en
droit. J'ai lu beaucoup de décisions et j'ai consulté bon nombre
d'ouvrages et dans aucun je n'ai pu trouver de cas où un
cessionnaire aurait obtenu réparation dans un cas comme celui
qui nous occupe. Parmi l'abondante jurisprudence que j'ai
consultée, je signale: Martyn v. Williams (1857), 1 H. & N.
817, 156 E.R. 1430; Hastings v. North Eastern R. Co. [1898] 2
Ch. 674; Cohen v. Webber (1911), 24 O.L.R. 171; Torkington
v. Magee, [1902] 2 K.B. 427, aux p. 433 et 434; infirmé sur les
faits à [1903] 1 K.B. 644; McCormack v. Toronto R.W. Co.
(1907) 13 O.L.R. 656, la p. 659; Dawson v. Great Northern
& City R. Co., [1904] 1 K.B. 277; infirmé pour d'autres motifs
à [1905] I K.B. 260. [C'est moi qui souligne.]
Je souscris à l'énoncé souligné.
L'avocat de la demanderesse a cité le jugement
Martell v. Consett Iron Co. Ld., [1955] Ch. 363,
confirmé par la Cour d'appel d'Angleterre (aux
pages 389 431). On a prétendu que les faits de
cette affaire étaient semblables à ceux de la pré-
sente espèce. Ce n'est pas le cas. Les demandeurs
étaient des particuliers qui possédaient certains
droits de pêche dans les eaux d'une rivière. Ils
alléguaient que les travaux effectués par la compa-
gnie défenderesse polluaient la rivière. Ils ont
réclamé une injonction et des dommages-intérêts.
Avant que l'action ne soit entendue, la défende-
resse a demandé sa suspension, au motif qu'elle
était [TRADUCTION] «illégalement soutenue».
Ceux qui, selon ce qu'on prétendait, soutenaient ce
procès étaient un organisme sans personnalité
morale connu sous le nom de Anglers' Co-opera
tive Association et une compagnie liée à cette
association. Ces deux organismes avaient notam-
ment pour but de surveiller et de protéger la pureté
des eaux de pêche. L'association et la compagnie
ont constitué un fonds de lutte pour aider à payer
les frais de justice relatifs à toute action visant à
mettre un terme à la pollution ou à l'empêcher.
Les demandeurs sont devenus membres de l'asso-
ciation et lui ont demandé, ainsi qu'à la compa-
gnie, de les indemniser des frais de justice qu'ils
devaient engager ou payer pour leur procès.
La défenderesse a prétendu qu'il s'agissait là du
soutien d'une partie, c'est-à-dire d'une immixtion
dans le procès de quelqu'un d'autre [TRADUC-
TION] «pour lui accorder une aide pécuniaire ou
autre afin qu'il intente des poursuites ou conteste
celles intentées contre lui».
Le juge Danckwerts a rejeté la requête. Sa
décision a été confirmée par la Cour d'appel.
Les extraits suivants des motifs prononcés par le
lord juge Jenkins de la Cour d'appel montrent
clairement les caractéristiques qui distinguent
cette affaire de celle dont je suis saisi. Ces extraits
se trouvent aux pages 416 et 417:
[TRADUCTION] À mon avis donc, la véritable justification dans
les affaires comme British Cash doit être qu'en versant l'indem-
nité dans le cadre d'une opération commerciale légitime et
véritable, celui qui apporte son soutien a, dans l'issue finale du
procès, un intérêt commercial légitime et véritable qui suffit
pour le justifier à accorder son soutien au défendeur (comme
dans l'affaire British Cash elle-même) ou, comme cela est fort
possible aussi, au demandeur. Cela m'amène à conclure que la
personne qui a un intérêt commercial légitime et véritable dans
l'issue finale du procès doit être considérée, pour ce qui con-
cerne la règle interdisant le soutien d'une partie, comme ayant
un intérêt reconnu par la loi dans l'objet du litige.
Par conséquent, je statuerais qu'une association regroupant un
certain nombre de personnes qui sont individuellement intéres-
sées en tant que propriétaires riverains ou titulaires de droits de
pêche à la protection contre la pollution des cours d'eau se
trouvant dans les différentes parties du pays pourrait, sans être
coupable du crime ou du délit de soutien d'une partie, soutenir
avec les fonds dont elle dispose, les actions intentées par des
personnes physiques membres de cette association pour empê-
cher la pollution des cours d'eau auxquels se rattachent les
intérêts de ses membres. Dans ce simple cas hypothétique,
chaque membre de l'association aurait des droits reconnus par
la loi sur un cours d'eau donné. Chaque membre aurait le droit
de protéger ces droits en poursuivant quiconque polluerait
illégalement le cours d'eau en question et aurait un intérêt
commercial légitime et véritable lui permettant de contribuer
au soutien financier de toute action intentée par tout autre
membre pour protéger les droits que la loi reconnaît à cet autre
membre, qu'il s'agisse de ce cours d'eau ou d'un autre, et ce, en
raison du fait qu'en tant que membre de l'association, il s'at-
tend à recevoir de ses compagnons membres, au cas où ses
propres droits reconnus par la loi seraient violés, le même appui
pour intenter toute action qu'il pourra juger nécessaire d'intro-
duire en vue de protéger ces droits.
La demanderesse est, à mon avis, dans une
position tout à fait différente. Elle ne soutient pas
une action ou des actions intentées par les person-
nes physiques qui la composent et dont on dit que
les droits de propriété qu'ils possèdent à titre d'oc-
cupants ont été violés. C'est la demanderesse elle-
même qui a entrepris d'intenter la poursuite, en
invoquant les cessions de causes d'action que ses
membres lui ont consenties.
Dans l'arrêt Trendtex Trading Corpn. v. Credit
Suisse, [ 1982] A.C. 679 (H.L.), lord Roskill
déclare, aux pages 702 et 703:
[TRADUCTION] Vos Seigneuries, tout comme le droit a
assoupli sa conception de ce qui constitue un soutien licite, de la
même façon a-t-il assoupli sa vision des circonstances dans
lesquelles il est disposé à reconnaître la validité des cessions de
causes d'action et à ne pas les invalider au motif qu'elles
constituent des cessions de simples causes d'action. Lorsque le
cessionnaire acquiert par cession un droit de propriété et que la
cause d'action est accessoire à ce droit, la cession a été jugée
valide. L'arrêt Ellis v. Torrington [1920] 1 K.B. 399 en est un
exemple. Dans cet arrêt, le lord juge Scrutton a déclaré, aux p.
412 et 413, que le cessionnaire n'était pas coupable d'avoir
soutenu une partie ou d'avoir conclu un pacte de quota litis en
raison de la cession qu'il avait acceptée, puisqu'il l'acquérait
non pas en vue d'obtenir une cause d'action mais pour protéger
le bien qu'il avait acheté. Mais, Vos Seigneuries, suivant mon
interprétation de la jurisprudence, il n'était pas nécessaire pour
le cessionnaire de toujours démontrer l'existence d'un droit de
propriété pour défendre sa cession. Il pouvait accepter une
cession pour appuyer et accroître celle qu'il avait déjà acquise,
notamment en qualité de souscripteur par subrogation: voir
Compania Colombiana de Seguros v. Pacific Steam Naviga
tion Co. [1965] 1 Q.B. 101. Vos Seigneuries, je crains, avec
égards, de ne pouvoir souscrire à l'opinion du maître des rôles
lorsqu'il déclare, dans le cas qui nous occupe à [1980] Q.B.
629, à la p. 657: «Le vieil adage qui interdit de céder un "simple
droit d'action' n'existe plus." Je me risquerais à dire que cela
constitue toujours un des principes fondamentaux de notre
droit. Mais, de nos jours, il est vrai de dire qu'en droit anglais,
le cessionnaire qui peut démontrer qu'il a un intérêt commer
cial véritable à faire valoir la demande d'autrui et qui à cette
fin accepte qu'on lui cède cette demande, a le droit de poursui-
vre l'exécution de cette cession, à moins qu'aux termes de la
cession, il ne tombe sous le coup de nos règles de droit relatives
aux pactes de quota litis, lesquelles règles représentent, comme
on l'a souvent affirmé, une des branches de nos règles de droit
relatives au soutien d'une partie. Pour ma part, je ne vois en
droit anglais aucune raison pour laquelle Crédit Suisse n'aurait
pas dû accepter la cession que Trendtex lui a faite des droits
qu'elle possédait de réclamer contre C.B.N. les pertes impor-
tantes qu'elle avait subies à la suite de la répudiation par
C.B.N. de la lettre de crédit sur laquelle Crédit Suisse se fiait
pour refinancer les achats de ciment effectués par Trendtex
auprès de ses fournisseurs allemands.
La demanderesse (cessionnaire) à l'instance n'a
pas, à mon sens, un intérêt commercial véritable à
faire valoir les droits des occupants des propriétés
du secteur de Reesor Road. Selon moi, la deman-
deresse n'a, dès le départ, aucun intérêt commer
cial.
L'avocat de la demanderesse prétend que cette
dernière a l'intérêt nécessaire pour réclamer une
injonction et un jugement déclaratoire en contes
tant le pouvoir constitutionnel et législatif des
défendeurs de procéder, en alléguant que des lois
et règlements fédéraux et provinciaux ont été
enfreints, que des principes de justice naturelle ont
été violés ou que l'obligation d'agir avec équité n'a
pas été respectée, et finalement, qu'on a contre-
venu à l'article 7 de la Charte.
En ce qui concerne ces questions, on prétend que
la demanderesse a qualité pour intenter effective-
ment un recours collectif. On a cité l'arrêt Wiswell
et al. v. Metropolitan Corpn. of Greater Winnipeg,
[1965] R.C.S. 512. J'estime que cet arrêt n'est
d'aucune utilité en ce qui concerne cette question.
Dans cette action, on demandait un jugement
déclaratoire pour invalider un règlement de zonage
municipal. Les demandeurs étaient trois proprié-
taires fonciers et résidents du secteur visé par le
nouveau règlement de zonage. Ils étaient tous trois
membres d'une association de propriétaires du sec-
teur. Ils avaient intenté l'action en leur nom propre
et au nom de tous les autres membres de l'associa-
tion. La question de l'intérêt pour agir ou du
recours collectif n'a jamais été soulevée ou
débattue.
Je ne crois pas non plus que le jugement Palmer
et al. v. Nova Scotia Forest Industries (1983), 2
D.L.R. (4th) 397 (C.S.N.-E.) vienne en aide à la
demanderesse. Dans cette affaire, la demanderesse
sollicitait une injonction quia timet pour empêcher
la défenderesse de faire des pulvérisations d'herbi-
cides sur onze secteurs fonciers différents. Les
demandeurs étaient tous des résidents de l'un ou
l'autre des onze sites. Ils ont chacun intenté des
poursuites pour leur propre compte et pour le
compte des personnes vivant sur les terrains en
question ou dans leurs alentours. La Cour a statué
que l'action constituait un recours collectif bien
fondé. Les demandeurs avaient dans cette affaire
un intérêt commun—un risque pour leur santé—et
un grief commun. Le redressement demandé était
avantageux pour tous.
En l'espèce, la demanderesse n'a aucun intérêt
en commun avec les occupants des propriétés du
secteur de Reesor Road. Un des principaux dan
gers allégués en l'espèce est celui des risques d'ir-
radiation et notamment des risques de fuites de
radon qui présentent un danger pour la santé. La
demanderesse ne peut se plaindre d'aucun risque
pour sa santé, ni d'ailleurs d'aucun préjudice.
La bonne façon d'engager ce procès aurait été
de demander à un ou plusieurs occupants d'inten-
ter une poursuite pour leur propre compte et pour
le compte des autres personnes dont les droits à
titre d'occupants sont susceptibles d'être lésés en
raison du site de stockage projeté et des actes ou
omissions des défendeurs sur lesquels se fondent
les demandes de redressement déclaratoire.
L'avocat de la demanderesse a cité la trilogie
d'arrêts de la Cour suprême relative à la question
de la qualité pour agir: Thorson c. Procureur
général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138;
Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976]
2 R.C.S. 265; Ministre de la Justice du Canada et
autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575.
Dans l'arrêt Borowski, le juge Martland a
résumé l'effet des arrêts précédents aux pages 597
et 598:
La loi que l'on veut contester vise directement les foetus
humains dont la gestation est arrêtée par des avortements
légalisés. Il est évident qu'ils ne peuvent être parties aux
procédures judiciaires, et pourtant la question, quant à la
portée de la Déclaration canadienne des droits sur la protection
du droit à la vie, est d'une importance considérable. Il n'y a pas
de façon raisonnable de soumettre la question à la cour à moins
qu'un citoyen intéressé n'intente des procédures.
Sur la base des arrêts Thorson et McNeil, je suis d'avis qu'il
y a lieu de reconnaître à l'intimé la capacité de poursuivre son
action. Dans l'arrêt Thorson, le demandeur, à titre de citoyen
intéressé, a contesté la constitutionnalité de la Loi sur les
langues officielles. La loi ne le touchait pas directement, sauf
en sa qualité de contribuable. Il avait tenté, sans succès,
d'obtenir que la question constitutionnelle soit soulevée par
d'autres moyens. On lui a reconnu la capacité d'agir. La
situation est la même en l'espèce. L'intimé est un citoyen
intéressé et un contribuable. Il a tenté sans succès d'obtenir une
décision sur la question par d'autres moyens.
Dans l'arrêt McNeil, le demandeur s'inquiétait de la censure
des films en Nouvelle-Écosse. Il avait tenté, sans succès, de
faire déterminer la validité de la Theatres and Amusements
Act par d'autres moyens. Dans cette affaire, il y avait d'autres
catégories de personnes directement touchées qui pouvaient la
contester. Néanmoins, on lui a reconnu l'intérêt pour agir parce
que la loi touchait également les droits du public. La position
de l'intimé en l'espèce est au moins aussi solide. En l'espèce, il
n'y a pas de personnes directement touchées qui puissent
réellement contester la loi.
Selon mon interprétation, ces arrêts décident que pour établir
l'intérêt pour agir à titre de demandeur dans une poursuite
visant à déclarer qu'une loi est invalide, si cette question se pose
sérieusement, il suffit qu'une personne démontre qu'elle est
directement touchée ou qu'elle a, à titre de citoyen, un intérêt
véritable quant à la validité de la loi, et qu'il n'y a pas d'autre
manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la
cour. A mon avis, l'intimé répond à ce critère et devrait être
autorisé à poursuivre son action.
À mon avis, la demanderesse à l'instance ne
tombe pas sous le coup des principes ci-dessus
définis. Les contestations formulées par la deman-
deresse ne concernent aucun des droits qu'elle
pourrait avoir en vertu de la loi contestée. En
l'espèce, il existe des personnes physiques directe-
ment touchées (les membres) qui pourraient «réel-
lement contester la loi».
Je me réfère également à l'arrêt Rosenberg et
al. v. Grand River Conservation Authority et al.
(1976), 12 O.R. (2d) 496 (C.A.), aux pages 501 à
507.
Finalement, on prétend, pour le compte de l'as-
sociation demanderesse, que celle-ci a l'intérêt
pour agir, parce qu'elle a le droit de mettre en
litige l'allégation suivant laquelle:
[TRADUCTION] ... les activités projetées ... porteront ou
porteront vraisemblablement atteinte, en contravention de l'art.
7 de la Charte canadienne des droits et libertés, aux droits que
possèdent les membres de la demanderesse à la vie ou à la
sécurité de leur personne et à celui de ne subir d'atteinte à ce
droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamen-
tale.
L'argument de la violation de la Charte repose de
toute évidence sur l'affirmation que la vie ou la
sécurité des personnes physiques membres de l'as-
sociation peuvent être touchées. En tant que per-
sonne morale, la demanderesse ne peut, dans les
circonstances de l'espèce, subir d'atteinte à sa vie
ou à sa sécurité.
Comme je l'ai déjà souligné, ces prétentions
doivent être avancées et présentées par des deman-
deurs qui sont des personnes physiques.
J'en viens à la conclusion que la personne
morale demanderesse n'a pas, dans les circons-
tances de l'espèce, le droit d'intenter la présente
action.
Au cas où cette conclusion serait erronée, je
statue sur le fond du litige.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Bien que les experts se soient tous entendus
pour dire que les sols Malvern étaient contami-
nés, ils n'ont pu s'entendre sur le niveau de
radioactivité ou sur les risques qu'ils constituaient
pour la santé et la sécurité. Le problème posé par
l'utilisation de ces sols a fait l'objet d'examens
pendant plusieurs années. Il comportait des con-
séquences politiques. On a pris la décision de
transporter les sols sur Reesor Road sans consul-
ter les résidents de la région. Les sols devaient
être placés dans une enveloppe de polyéthylène
et l'installation devait être protégée par des appa-
reils de contrôle et une clôture.
Le juge a souligné qu'il n'appartenait pas à la
Cour de s'immiscer dans le débat politique por-
tant sur le choix du site mais plutôt de décider si
l'installation temporaire causerait un préjudice aux
occupants des terrains du secteur de Reesor
Road. Le juge s'est référé à un passage de
l'ouvrage de Fleming, The Law of Torts, dans
lequel l'auteur signale que les atteintes préjudicia-
bles qui justifient les actions fondées sur la nui
sance peuvent consister en l'existence d'une
crainte raisonnable pour la santé ou la sécurité de
l'occupant. Ainsi, certains intérêts personnels qui,
pris isolément, ne bénéficient dans notre droit que
d'une protection limitée sont mieux défendus si
on les fait valoir en invoquant son droit à l'utilisa-
tion et à la libre jouissance d'un bien-fonds.
La Cour était convaincue que le site de Reesor
Road était raisonnablement adéquat sur le plan
hydrogéologique. Des psychologues ont témoi-
gné sur le stress subi par les résidents du secteur
semi -rural de Reesor Road en raison du projet
d'entreposer des déchets radioactifs dans leur
quartier. Les citoyens ordinaires, les petites gens
de la région ont également témoigné. Ils ont été
d'excellents témoins. Leurs craintes n'étaient ni
imaginaires ni dénuées de fondement. La deman-
deresse n'a cependant pas présenté de preuves
démontrant que leur santé était effectivement en
danger à cause de ces craintes.
Dix experts ont témoigné pour le compte des
défendeurs sur la question de la nuisance. Ces
témoins très qualifiés provenaient de divers
milieux et leur témoignage n'a pas été contredit
en contre-interrogatoire. La Cour a accepté le
témoignage d'opinion des experts médicaux des
défendeurs portant que si les sols étaient stockés
dans l'installation proposée, ils ne présenteraient
aucun risque pour la santé ou la sécurité humaine.
La Cour a également retenu la preuve présentée
par la défense selon laquelle l'enveloppe de plas-
tique serait, avec les autres éléments, adéquate
pour prévenir la fuite de matières de désintégra-
tion à teneur en radium pour la période projetée
de dix ans. La Cour a rejeté l'idée que des
animaux fouisseurs, comme les marmottes, per
cent l'enveloppe, car cela était peu probable.
En résumé, la demanderesse n'a pas prouvé
que l'installation porterait atteinte aux droits des
occupants des terrains du secteur de Reesor
Road.
L'association demanderesse ne peut se plain-
dre de l'absence d'équité due au fait qu'elle n'a
pas été entendue sur la décision de transporter
les sols à Reesor Road puisqu'elle n'existait pas à
cette époque. Les résidents pourraient s'en plain-
dre, mais ils ne sont pas parties à l'action. La
jurisprudence portant sur le droit municipal et les
changements de zonage n'a été d'aucun secours
à la demanderesse. On ne saurait affirmer qu'il y
a eu changement d'affectation foncière. Le sec-
teur n'a subi aucun changement quant à son
affectation foncière.
En ce qui concerne le moyen fondé sur l'obliga-
tion générale d'agir équitablement, la demande-
resse s'attaque aux mauvaises parties: c'est l'On-
tario qui a choisi le site de Reesor Road. La
décision de choisir le site de Reesor Road et de
ne pas en aviser les résidents préalablement fut
une décision politique prise par M. Tom Wells, le
ministre des Affaires intergouvernementales. Le
gouvernment de l'Ontario avait reçu des piles de
lettres lui demandant quand les sols Malvern
seraient transportés. La preuve n'appuie pas la
prétention selon laquelle Énergie atomique du
Canada Limitée avait participé au «plan» du
ministre. Le juge a signalé que les défendeurs
ontariens avaient été mis hors de cause pour le
motif que la Cour n'avait pas compétence. C'était
une situation regrettable mais une réalité de notre
système fédéral.
Il n'y avait pas lieu de critiquer les résidents de
Reesor Road, d'affirmer qu'ils réagissaient négati-
vement et faisaient preuve du syndrome «n'im-
porte où, mais pas chez nous». Le projet a pris
les résidents par surprise. Ils n'ont pas été con
sultés. Les citoyens et contribuables nord-améri-
cains ont souvent, au cours des dernières
années, été sceptiques quant aux mesures et
promesses de l'État. Des promesses, comme
celle de transporter les sols de Reesor Road à un
site permanent d'ici dix ans, ont souvent été
rompues. Le moyen de la demanderesse fondé
sur l'absence d'équité et portant sur l'équilibre
entre les avantages et les risques a dû être rejeté
puisque la preuve a révélé que le risque, s'il
existait, serait moins élevé grâce aux conditions
de contrôle envisagées à Reesor Road que dans
la situation actuelle. Aucune preuve présentée par
la demanderesse n'a établi une absence d'équité
au sens juridique.
En ce qui concerne l'argument que le projet
était assujetti à la Loi sur la protection de l'envi-
ronnement et à la Loi sur l'évaluation de l'environ-
nement, le juge a décidé qu'il n'était pas néces-
saire d'invoquer des précédents judiciaires pour
affirmer que, règle générale, la Couronne fédérale
n'est pas liée par les lois provinciales. La preuve
n'a pu appuyer la prétention que l'É.A.C.L. agis-
sait à titre de mandataire de l'Ontario. Le fait
d'agir en collaboration dans le cadre d'un projet
ne crée aucune relation de commettant-préposé.
Quoi qu'il en soit, la province avait, par règlement,
soustrait le projet des sols Malvern à l'application
des dispositions pertinentes des lois ontariennes.
La Cour n'a pas eu à examiner l'argument que le
règlement était nul puisque les défendeurs
n'étaient pas liés par ces lois.
C'était l'alinéa 10(1)c) de la Loi sur le contrôle
de l'énergie atomique, S.R.C. 1970, chap. A-19,
lequel accorde au ministre le pouvoir d'acquérir
des «substances prescrites», qui conférait aux
défendeurs le pouvoir de disposer des sols Mal-
vern. Le radium est visé par cet alinéa.
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