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T-2756-83
Rans Construction (1966) Ltd., Joseph Rans, Lucilie Rans, Malcolm Rans, John Miazga (demandeurs)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: RANS CONSTRUCTION (1966) LTD. c. CANADA
Division de première instance, juge Dubé— Saskatoon, 29 septembre; Ottawa, 14 octobre 1987.
Pratique Autorité de la chose jugée Requête pour rejet des poursuites parce qu'elles sont futiles, vexatoires et un abus des procédures de la Cour Les demandeurs ont été condamnés pour fraude fiscale Actions civiles en vue de faire annuler ou réduire les avis de nouvelle cotisation Requête rejetée même s'il y a identité des parties et que les procédures pénales sont finales Les condamnations pronon- cées dans des poursuites pénales constituent une fin de non recevoir dans des poursuites civiles portant sur le même objet La question qui est censée donner lieu à la fin de non-rece- voir doit avoir été fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé La question soulevée dans les actions civiles de savoir si les sommes avaient été gagnées par les actionnaires n'était pas essentielle au maintien des condamnations lors des pour- suites pénales Des nouvelles questions touchant la triple imposition et certaines sommes qui n'ont pas fait l'objet de poursuites pénales sont soulevées.
Pratique Plaidoiries Requête en radiation Actions en vue de faire annuler ou réduire les avis de nouvelle cotisa- tion Les demandeurs ont auparavant été condamnés pour fraude fiscale Requête rejetée La cause ne jouit pas de l'autorité de la chose jugée Des questions différentes ont été tranchées lors des poursuites pénales La principale question dans les actions civiles de savoir si les sommes ont été gagnées par les actionnaires n'était pas essentielle au maintien des condamnations pénales Comme les actions ont été réunies et que l'une d'elles a été exclue de la requête, le procès aura lieu de toute manière.
Pratique Parties La Couronne agissait en qualité de procureur général dans les poursuites pénales et en qualité de ministre du Revenu national dans les poursuites civiles Mêmes parties La Couronne est indivisible.
Impôt sur le revenu Nouvelle cotisation Actions en vue de faire annuler ou réduire La question principale est de savoir si les sommes ont été gagnées par les actionnaires Les condamnations pénales pour fraude fiscale ne constituent pas une fin de non recevoir aux actions civiles car les questions soulevées sont différentes.
Il s'agit d'une demande visant à obtenir une ordonnance rejetant les poursuites des demandeurs parce qu'elles sont scandaleuses, futiles, vexatoires et qu'elles constituent un abus des procédures de la Cour car ces litiges sont chose jugée. Les demandeurs ont été poursuivis et condamnés pour fraude fis- cale. Les déclarations concluent à l'annulation ou à la réduction des avis de nouvelle cotisation.
Jugement: la requête est rejetée.
Les trois éléments fondamentaux du principe de la chose jugée sont: (1) identité des parties, (2) identité de l'objet du litige et (3) que la décision rendue antérieurement soit définitive.
On reconnaît que les poursuites pénales ne sont pas suscepti- bles d'appel. Même si dans l'action précédente la Reine agissait en qualité de procureur général du Canada alors que dans l'espèce elle agit en qualité de ministre du Revenu national, il y a identité des parties. L'institution que représente la Reine est indivisible et cette qualité est la même tant en matière civile que pénale.
La jurisprudence a clairement établi que les points en litige décidés d'une manière définitive par les cours de juridiction pénale ne peuvent être soulevés de nouveau devant les tribu- naux civils, en autant qu'il s'agisse des mêmes questions. Pour déterminer s'il s'agit des mêmes questions, la question qui est censée donner lieu à la fin de non-recevoir doit avoir été fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé. La question principale dans l'action civile de savoir si les sommes ont été attribuées aux actionnaires n'était pas essentielle au maintien des condamnations pénales. Également, plusieurs points ont été soulevés dans les actions civiles qui n'ont pas été examinés dans les procédures pénales. Toutes les sommes en litige en l'espèce n'ont pas fait l'objet de poursuites criminelles. La question de la triple imposition n'a pas non plus été tranchée dans les poursui- tes pénales.
Puisque toutes les actions ont été réunies et que l'une de ces actions a été exclue de la requête en radiation, le procès aura lieu de toute manière. Toutes ces questions sont interreliées au point d'être inséparables.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 3a), 15(1)(b) (mod. par S.C. 1977-78, chap. 1, art. 8), 18(1)a), 239(1)d).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419(1)c),).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Carl Zeiss-Stiftung v. Rayner and Keeler, Ltd. (No. 2), [1966] 2 All E.R. 536 (H.L.); Theodore v. Duncan, [ 1919] A.C. 696 (P.C.); Demeter v. British Pacific Life Insurance Co. and two other actions (1984), 13 D.L.R. (4th) 318 (C.A. Ont.); Hunter v. Chief Constable of the West Midlands Police, [1982] A.C. 529 (H.L.); German v. Major (1985), 39 Alta. L.R. (2d) 270 (C.A.); Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248; (1974), 47 D.L.R. (3d) 544; Spens v Inland Revenue Comrs, [ 1970] 3 All ER 295 (Ch.D.).
AVOCATS:
Peter Foley, c.r. et William A. Grieve pour les demandeurs.
Norman A. Chalmers, c.r. pour la défende- resse.
PROCUREURS:
Gauley & Co., Saskatoon (Saskatchewan), pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUBÉ: La présente demande entendue à Saskatoon (Saskatchewan) le 29 septembre 1987, vise à obtenir une ordonnance rejetant les poursuites intentées par les demandeurs l'excep- tion de celle concernant les années d'imposition 1975 et 1976 du demandeur John Miazga) parce qu'elles sont scandaleuses, futiles, vexatoires et qu'elles constituent un emploi abusif des procédu- res de la Cour au sens de la Règle 419(1)c) et j) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], et en outre parce que ces litiges sont chose jugée, ayant déjà fait l'objet d'une instruction au terme de laquelle les demandeurs ont été condamnés devant les cours de juridiction pénale de la Saskatchewan.
Il est admis que les demandeurs ont été poursui- vis sous dix-sept chefs de fraude fiscale et condam- nés le 28 octobre 1980 par le juge en chef Boychuk de la Cour provinciale de la Saskatchewan sous les chefs d'accusation 1, 2, 3, 8, 10 et 14, les princi- paux chefs d'accusation de fraude fiscale. (Les autres chefs ont été regroupés sous les six chefs d'accusation en question et ils ont fait l'objet d'une suspension d'instance.) En appel, les condamna- tions ont été confirmées le 3 mai 1982 par le juge Gerein de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan et sa décision a également été con- firmée par la Cour d'appel de la Saskatchewan. La permission d'interjeter appel de cette dernière décision a été refusée par la Cour suprême du Canada le 25 janvier 1983 [[1983] 1 R.C.S. xii].
La demanderesse Rans Construction (1966) Ltd., est une société qui, à toutes les époques en cause, exploitait dans l'Ouest canadien une entre- prise de canalisation d'eau et de construction d'égouts. Les autres demandeurs, Joseph Rans, Lucille Rans, Malcolm Rans et John Miazga sont les actionnaires de ladite société.
Les diverses déclarations produites par chacun des demandeurs dans des actions distinctes (et qui
sont maintenant réunies à la suite d'une ordon- nance de la Cour en vue du procès) concluent à l'annulation, dans chaque cas, des avis de nouvelle cotisation ainsi qu'au remboursement des intérêts sur l'impôt additionnel et de l'amende qu'ils ont versés sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63] du Canada et de la Loi de l'impôt sur le revenu de la province. Les demandeurs réclament en outre les montants versés à titre d'impôts à Revenu Canada ainsi que les autres versements effectués pour le compte des membres de la famille (et du demandeur Frank Pscheida), y compris l'intérêt sur ces sommes.
Les déclarations concluent en outre à une ordon- nance portant que les nouvelles cotisations de tous les demandeurs excluent l'impôt et les autres rete- nues versés directement à la défenderesse pour le compte des membres de la famille.
Les demandeurs font valoir aux termes de leurs déclarations qu'en retenant les sommes susmen- tionnées, Revenu Canada les soumettait à une triple imposition frappant les membres de la famille, les actionnaires et la société. Il est bon de souligner que ce n'est pas la totalité des sommes mentionnées dans les déclarations qui ont fait l'ob- jet des poursuites pénales.
Le principe de la chose jugée repose sur trois éléments fondamentaux: il faut qu'il y ait identité des parties, identité de l'objet du litige et que la décision rendue antérieurement soit définitive'. (Les demandeurs reconnaissent que les poursuites pénales ne sont pas susceptibles d'appel.)
En ce qui concerne la première condition, les demandeurs font valoir que les parties en cause dans les poursuites pénales ne sont pas les mêmes que celles dans les poursuites civiles: dans l'action précédente, la Reine agissait en qualité de procu- reur général du Canada alors que dans les présen- tes poursuites civiles, la Couronne est représentée par Sa Majesté la Reine agissant en qualité de ministre du Revenu national. À mon avis, cet argument est insoutenable. L'institution que repré-
' Carl Zeiss-Stiftung v. Rayner and Keeler, Ltd. (No. 2), [1966] 2 All E.R. 536 (H.L.), à la p. 550.
sente la Reine est indivisible et cette qualité est la même tant en matière civile que pénale'.
Il existe une certaine jurisprudence selon laquelle les condamnations prononcées dans des poursuites pénales constituent une fin de non rece- voir dans des poursuites civiles portant sur le même objet. Dans l'arrêt Demeter v. British Paci fic Life Insurance Co. and two other actions', une décision rendue en 1984 par la Cour d'appel de l'Ontario, le demandeur avait intenté une action fondée sur trois polices d'assurance-vie couvrant la vie de son épouse, après avoir été déclaré coupable du meurtre de cette dernière. La Cour a jugé qu'il était manifeste que le demandeur cherchait à débattre de nouveau la question même qui avait été tranchée en sa défaveur au terme de son procès criminel. La condamnation du demandeur équiva- lait à une preuve prima facie de sa responsabilité civile: recourir à une instance civile pour contester indirectement la condamnation criminelle en l'ab- sence d'une nouvelle preuve ou d'une preuve de fraude ou de collusion, constitue un abus de procédure.
Dans l'arrêt Hunter v. Chief Constable of the West Midlands Police 4 , la Chambre des lords a jugé que lorsqu'une décision finale a été rendue par une cour compétente de juridiction pénale, la règle générale d'intérêt public veut que le fait d'intenter une poursuite civile pour contester indi- rectement ladite décision constitue un recours abusif à des procédures judiciaires. La Cour a également décidé que la nouvelle preuve que le demandeur cherchait à produire au soutien de sa poursuite civile était loin de satisfaire au critère applicable lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a lieu de faire une exception à cette règle générale, qui est de savoir si la nouvelle preuve modifie totale- ment l'aspect du dossier. Il s'agissait d'une affaire de voies de fait qui auraient été commises par la police après une condamnation pour meurtre.
2 La défenderesse cite le vicomte Haldane dans l'arrêt Theo- dore v. Duncan, [1919] A.C. 696 (P.C.) la p. 706): [TRA- DUCTION] «La Couronne est une et indivisible dans toutes les parties de l'Empire et, dans les états qui s'autogouvernent, elle agit conformément à l'initiative et aux conseils de ses propres ministres dans ces États».
3 (1984), 13 D.L.R. (4th) 318 (C.A. Ont.). ° [1982] A.C. 529 (H.L.).
Dans l'arrêt German v. Majors, une décision rendue en 1985 par la Cour d'appel de l'Alberta dans un cas de poursuite abusive, le juge de pre- mière instance et un juge d'appel ont conclu qu'il y avait dans les procédures pénales une preuve prima facie établissant l'existence de motifs rai- sonnables et probables d'intenter une poursuite. La Cour a radié la réclamation intentée contre le défendeur pour le motif qu'il n'y avait aucun doute que l'action du demandeur était irrémédiablement vouée à l'échec. Le juge Kerans de la Cour d'appel a dit à la page 282:
[TRADUCTION] Les autres motifs de German ne sont rien d'autre qu'une répétition des arguments présentés lors de son instruction pénale et qui n'avaient pas vraiment été acceptés, ainsi que je l'ai fait remarquer.
La jurisprudence a donc clairement établi le principe selon lequel les points en litige décidés d'une manière définitive par les cours de juridic- tion pénale ne peuvent pas être soulevés de nou- veau devant les tribunaux civils, en autant qu'il s'agisse des mêmes questions. Cela nous amène à la deuxième et dernière condition pour invoquer le principe de l'autorité de la chose jugée, soit l'iden- tité de l'objet du litige.
Pour déterminer si les questions qui ont été tranchées lors des procédures pénales sont de nou- veau soulevées dans les poursuites civiles, il faut cerner les points sur lesquels la Cour a correcte- ment statué pour prononcer les condamnations pénales. Dans un arrêt de la Cour suprême Angle c. M.R.N. 6 , le juge Dickson [tel était alors son titre] formule la question en ces termes:
Est-ce que la question à être décidée en l'espèce ... est la même que celle que l'on a débattue dans l'affaire antérieure? Si elle ne l'est pas, il n'y a pas de fin de non-recevoir. Il ne suffira pas que la question ait été soulevée de façon annexe ou inci- dente dans l'affaire antérieure ou qu'elle doive être inférée du jugement par raisonnement ... La question qui est censée donner lieu à la fin de non-recevoir doit avoir été «fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé» dans l'affaire antérieure
Le juge Dickson poursuit en citant un extrait d'une décision de la Cour d'Angleterre Spens v Inland Revenue Comrs 7 :
5 (1985), 39 Alta. L.R. (2d) 270 (C.A.).
6 [1975] 2 R.C.S. 248, aux p. 254-255; (1974), 47 D.L.R. (3d) 544, aux p. 555-556.
7 [1970] 3 All ER 295 (Ch.D.), à la p. 301.
[TRADUCTION] ... si la décision sur laquelle on cherche à fonder la fin de non-recevoir a été »si fondamentale à la décision rendue sur le fond même du litige que celle-ci ne peut valoir sans celle-là. Rien de moins ne suffira».
Au début de l'audience, l'avocat des demandeurs a déposé un tableau qui énumérait les montants en litige dans les diverses accusations criminelles et ceux mentionnés dans les procédures civiles, et il appert que plusieurs sommes importantes récla- mées dans les actions civiles n'étaient pas compri ses dans les accusations criminelles. À titre d'exemple, les accusations criminelles portées contre Rans Construction (1966) Ltd. couvrent la somme de 145 753,66 $ alors que dans la poursuite civile, il est question d'un montant de 314 481,16 $. Évidemment, une ordonnance de radiation n'aurait aucun effet sur les montants réclamés dans les actions civiles et qui n'étaient pas visés par les poursuites pénales. Les exclusions faites par le procureur de la Couronne dans la présente requête relativement aux années d'imposi- tion 1975 et 1976 du demandeur John Miazga ne seraient pas non plus touchées par la radiation demandée par la défenderesse.
Toutefois, le principal argument de l'avocat des demandeurs est plus subtil et un peu plus com- plexe. Voici la façon dont je le comprends.
Les accusations de fraude fiscale qui ont abouti à la condamnation des demandeurs étaient fondées sur les infractions prévues à l'alinéa 239(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui prévoit:
239. (1) Toute personne qui
d) a, volontairement, de quelque manière, éludé ou tenté d'éluder l'observation de la présente loi ou le paiement d'un impôt établi en vertu de cette loi ...
est coupable d'une infraction et, en plus de toute autre peine prévue par ailleurs, est passible, sur déclaration sommaire de culpabilité ...
Les divers chefs d'accusation précisent que les demandeurs ont gonflé les sommes dans le but de bénéficier d'une déduction conformément à l'ali- néa 18(1)a) de la Loi qui énonce:
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles:
a) un débours ou une dépense sauf dans la mesure elle a été faite ou engagée par le contribuable en vue de tirer un revenu des biens ou de l'entreprise ou de faire produire un revenu aux biens ou à l'entreprise;
Selon l'affidavit déposé par le procureur de la Couronne, les poursuites pour fraude fiscale inten- tées contre les demandeurs ont soulevé les ques tions suivantes: les redressements de fin d'exercice pour les salaires dus aux membres de la famille étaient-ils des dépenses légitimes ou des déductions de la société et ces montants avaient-ils été attri- bués aux actionnaires au sens de l'alinéa 15(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu [mod. par S.C. 1977-78, chap. 1, art. 8]. Ledit alinéa prévoit:
15. (1) Lorsque, au cours d'une année d'imposition,
b) des capitaux ou des biens d'une corporation ont été attribués, de quelque manière que ce soit, à un actionnaire ou doivent servir à son profit, ou
le montant ou la valeur de celles-ci, sauf dans la mesure il est réputé constituer un dividende aux termes de l'article 84, est à inclure dans le calcul du revenu de l'actionnaire pour l'année.
L'affidavit poursuit en disant que les questions ci-dessus ont longuement été discutées dans les motifs du jugement de première instance et dans l'arrêt de la Cour du Banc de la Reine en appel. Les demandeurs soutiennent que la conclusion selon laquelle les montants ont été attribués aux actionnaires n'était pas nécessaire pour justifier la condamnation: les cours de juridiction pénale n'avaient qu'à décider si les sommes avaient été reçues par les actionnaires et si ces derniers les avaient déclarées comme revenu. Les demandeurs plaident que la conclusion selon laquelle les sommes ont été reçues par les actionnaires aurait être fondée sur l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu qui prévoit:
3. Le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, aux fins de la présente Partie, est son revenu pour l'année, déterminé selon les règles suivantes:
a) en calculant le total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l'année (autre qu'un gain en capital imposable résultant de la disposition d'un bien), dont la source se situe à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada, y compris, sans restreindre la portée générale de ce qui pré- cède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien. [C'est moi qui souligne.]
Autrement dit, les demandeurs prétendent que les sommes reçues par les actionnaires, et attri- buées à eux suivant la décision de la Cour, auraient relever de l'alinéa 3a), soit parce qu'elles faisaient partie du revenu du contribuable pour l'année soit parce qu'il s'agissait de l'un des
exemples énumérés dans ce paragraphe, et à tout le moins sous la rubrique «entreprise».
Le procureur des demandeurs soumet de plus que les cours de juridiction criminelle ont jugé que l'omission d'inclure ce revenu était contraire à l'article 15 (l'article portant sur l'attribution) et qu'elles ont tiré les trois conclusions suivantes:
1. L'argent a été reçu par les actionnaires;
2. Il n'a pas été gagné par les actionnaires; et
3. Il aurait être déclaré dans le revenu des actionnaires.
Les demandeurs allèguent que la deuxième con clusion (revenu non gagné) était tout à fait inutile pour justifier la condamnation. Il suffisait en effet de conclure que les sommes avaient été reçues par les actionnaires et que ces derniers auraient les déclarer dans leur revenu.
En d'autres mots, les demandeurs prétendent qu'en concluant à l'attribution, les cours criminel- les ont en fait tranché une question qui, de leur propre aveu, ne leur avait pas été posée. Le juge Gerein de la Cour du Banc de la Reine dit dans son jugement, à la page 48:
[TRADUCTION] Pour statuer sur la culpabilité ou l'innocence des accusés, le juge de première instance n'avait qu'à décider s'il y avait eu fraude. Il n'avait pas à se préoccuper de l'impôt évité et il n'a pas été saisi de la question de savoir si l'impôt a été payé plus d'une fois sur le même revenu. Cette question doit être tranchée par une autre instance.
En conséquence, les demandeurs allèguent que la question de savoir si les sommes en l'espèce avaient été gagnées par les actionnaires alors qu'ils travaillaient pour la compagnie n'était pas essen- tielle pour les fins des procédures pénales. La question fondamentale qui a été tranchée par les cours criminelles était que ces sommes n'avaient pas été gagnées par les membres de la famille. Il n'y a aucune preuve que les sommes n'ont pas été gagnées par les actionnaires alors qu'ils travail- laient pour la compagnie.
Les demandeurs soutiennent que la principale question dans les actions civiles est de savoir si lesdites sommes ont été gagnées ou non par les actionnaires, alors que les condamnations pénales des actionnaires pourraient être maintenues sans qu'il y soit nécessaire de conclure que ces sommes leur ont été attribuées selon les termes de l'article 15 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les demandeurs prétendent qu'on peut établir une dis tinction avec l'arrêt Demeter et les autres décisions
on a conclu que les points en litige étaient identiques dans les deux instances, alors qu'en l'espèce, la question de savoir si les sommes ont été attribuées aux actionnaires n'était pas essentielle pour qu'on puisse conclure à leur culpabilité. Comme il ne s'agissait pas d'une question essen- tielle pour les fins d'un verdict de culpabilité, rien n'obligeait les demandeurs à présenter quelque preuve que ce soit sur cette question au cours des procédures pénales.
En conséquence, les demandeurs soumettent qu'en décidant que les sommes en question avaient été attribuées aux actionnaires, les cours criminel- les ont conclu par inadvertance non seulement que les actionnaires ont éludé l'impôt payable sur ces sommes mais également que Rans Construction (1966) Ltd. n'avait pas le droit de réclamer lesdi- tes sommes à titre de dépenses déductibles du revenu gagné par les actionnaires. En d'autres termes, les cours de juridiction pénale ont conclu à l'assujettissement à l'impôt alors qu'elles n'étaient pas habilitées à le faire.
Les demandeurs prétendent de plus que la ques tion de déterminer si l'impôt a été payé plus d'une fois sur le même revenu est l'un des points en litige devant les tribunaux civils en l'espèce. Comme l'a déclaré le juge Gerein à la page 48 de son juge- ment, cette question n'a pas été tranchée par les cours criminelles:
[TRADUCTION] Le juge de première instance n'a pas été saisi de la question de savoir si l'impôt a été payé plus d'une fois sur le même revenu. Cette question doit être tranchée par une autre instance. [C'est moi qui souligne.]
Il faut garder à l'esprit que dans une procédure de radiation fondée sur la Règle 419 de la Cour fédérale, il doit être clair et évident que le deman- deur n'a aucune cause d'action, ou comme en l'espèce, que l'action des demandeurs est purement et simplement futile ou vexatoire, c'est-à-dire qu'elle soulève des questions auxquelles on a déjà répondu dans les procédures criminelles antérieu- res. Ce n'est pas au juge saisi de la requête à cette étape très préliminaire des procédures de prévoir l'issue du procès. Plusieurs points ont été soulevés dans ces actions civiles qui n'ont pas été examinés dans les procédures pénales.
Pour résumer, premièrement il me semble clair que plusieurs sommes considérées à la suite d'une nouvelle cotisation comme un revenu entre les
mains de Rans Construction (1966) Ltd. pour les années d'imposition 1973, 1974 et 1975 n'ont pas fait l'objet de poursuites criminelles mais sont incluses dans les présentes actions civiles. Deuxiè- mement, on prétend en l'espèce qu'il y a eu triple imposition, prétention à laquelle les cours de juri- diction pénale ont à bon droit refusé de répondre. Troisièmement, les demandeurs réclament la déduction de certaines sommes déjà versées au ministère du Revenu national, question qui n'était pas du ressort des tribunaux de juridiction pénale. Il manque donc une des trois conditions essentiel- les pour que le principe de l'autorité de la chose jugée puisse être invoqué, l'objet du litige n'étant pas le même dans les poursuites criminelles et civiles.
Qui plus est, sur le plan pratique toutes ces actions ont été réunies avec le consentement des parties et l'une de ces actions (qui concerne les années d'imposition 1975 et 1976 du demandeur John Miazga) a été exclue de la présente requête de la défenderesse, de sorte que le procès aura lieu de toute manière relativement à l'imposition de John Miazga et aux autres points qui n'ont pas été examinés par les tribunaux criminels. Toutes ces questions sont interreliées au point d'être insépara- bles et refuser aux demandeurs le droit de soumet- tre certaines d'entre elles dans les procédures civi- les comprometterait sérieusement la présentation de l'ensemble de leurs arguments lors du procès.
En conséquence, la présente requête est rejetée mais dans les circonstances, les dépens suivront l'issue de la cause.
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