T-2602-86
Gerald French, Maria de Vries, Marquis Mander-
ville, Edith Tripp, Nigel McAlpine, William Qui-
gley et Association canadienne des maîtres de
poste et adjoints (demandeurs)
c.
Société canadienne des postes (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: FRENCH C. SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
Division de première instance, juge Addy -18 et
26 novembre 1987
Postes — Fermeture des bureaux de poste par la Société
canadienne des postes — La disposition législative «La Société
peut par règlement . prévoir la fermeture de bureaux de
poste...» confère un pouvoir facultatif non impératif — Le
pouvoir de la Société canadienne des postes est plus vaste que
celui du ministre des Postes sous l'ancienne législation.
Interprétation des lois — L'art. 17(1)p) de la Loi sur la
Société canadienne des postes confère à la Société le pouvoir
d'adopter des règlements concernant la fermeture des bureaux
de poste — L'art. 28 de la Loi d'interprétation énonce que le
terme «peut» exprime une faculté — Rien dans la Loi n'indi-
que une intention contraire.
Il s'agit d'une requête visant à faire trancher une question de
droit. La question est de décider si la Société canadienne des
postes a le pouvoir de fermer des bureaux de poste en l'absence
d'un règlement prévu à cette fin. Quoique l'alinéa 17(1)p) de la
Loi sur la Société canadienne des postes prévoit que la Société
«peut» adopter des règlements pour la fermeture des bureaux de
poste, aucun règlement n'a été adopté.
Jugement: la Cour répond à la question par l'affirmative.
L'argument portant que les pouvoirs accordés à la Société
par l'article 17 doivent être exercés par voie de règlements et
non par de simples décisions administratives, étant donné la
nature publique de la Société des postes, est rejeté. Mêmes les
ministères du gouvernement peuvent agir en l'absence de règle-
ments, à moins d'une interdiction ou d'une condition prévue
dans la loi.
L'article 28 de la Loi d'interprétation énonce que le terme
«peut» exprime une faculté à moins que le contexte n'indique
une intention contraire. Les demandeurs prétendent que le
paragraphe 17(8) (qui énumère les circonstances spécifiques
dans lesquelles la Société peut déroger aux règlements adoptés
concernant les tarifs de port) est inutile si le paragraphe 17(1)
confère un pouvoir facultatif. Le paragraphe 17(8) est néces-
saire d'un point de vue administratif afin de contourner la
nécessité de prendre des règlements à chaque fois qu'une
entente spéciale intervient pour un des motifs énumérés. Le fait
que les pouvoirs de la Société sont accordés sous réserve des
dispositions de la Loi (paragraphe 16(1) ne suffit pas à porter
atteinte au principe général selon lequel un organisme établi
par la loi n'est pas empêché d'agir simplement parce qu'il est
également habilité à prendre des règlements à cette fin. Le
paragraphe 17(1) n'est qu'un exemple des pouvoirs réglemen-
taires étendus de la Société.
La Loi sur la Société canadienne des postes diffère de la
législation précédente, la Loi sur les postes, qui énumérait
précisément les objets pour lesquels le ministre des Postes
pouvait agir et comment il devait le faire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 28.
Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap.
F-10, art. 69-78 (abrogés par S.C. 1984, chap. 31, art.
8).
Loi sur la Société canadienne des postes, S.C. 1980-81-
82-83, chap. 54, art. 5(1)c),(2)b),e), 6 (mod. par S.C.
1984, chap. 31, art. 14), 7 (mod., idem), 16(1) (mod,
idem), 17(1),(8), 20(1) (mod, idem).
Loi sur les postes, S.R.C. 1970, chap. P-14.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
CRTC c. CTV Television Network Ltd. et autres, [ 1982]
1 R.C.S. 530; Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement
du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; Capital Cities Communi
cations Inc. et autre c. Conseil de la Radio- Télévision
canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Brant Dairy Co. Ltd. et autre c. Milk Commission of
Ontario et autre, [1973] R.C.S. 131; (1972), 30 D.L.R.
(3d) 559.
AVOCATS:
Alan R. O'Brien et Dougald E. Brown pour
les demandeurs.
John B. Laskin et David P. Olsen pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour les deman-
deurs.
Torry, Torry, DesLauriers & Binnington,
Toronto, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ADDY: Les demandeurs en l'espèce
cherchent à obtenir un jugement portant que plu-
sieurs bureaux de poste récemment fermés par la
défenderesse, la Société canadienne des postes,
l'ont été illégalement et ils réclament de plus une
injonction forçant la défenderesse à les rouvrir.
La présente requête a été déposée par consente-
ment des parties afin de faire trancher la question
de droit suivante:
[TRADUCTION] La Société canadienne des postes a-t-elle le
pouvoir de fermer des bureaux de poste en l'absence d'un
règlement prévu à cette fin par l'alinéa 17(1)p) de la Loi sur la
Société canadienne des postes, S.C. 1980-81-82-83, chap. 54 et
ses modifications?
Il n'existe pas de règlement afférent à la ferme-
ture des bureaux de poste.
Le litige porte principalement sur certaines dis
positions des articles 16 [mod. par S.C. 1984,
chap. 31, art. 14] et 17 de la Loi sur la Société
canadienne des postes mentionnée plus haut (ci-
après appelée la «Loi»), et notamment:
16. (1) Dans l'exécution de sa mission et l'exercice de ses
fonctions, la Société a, sous réserve des autres dispositions de la
présente loi, la capacité d'une personne physique.
17. (1) La Société peut par règlement, avec l'approbation du
gouverneur en conseil, prendre toute mesure utile, dans le cadre
de la présente loi, à l'efficacité de son exploitation et,
notamment:
p) prévoir la fermeture de bureaux de poste et la suppression
de circuits ruraux ou de circuits urbains de livraison par
facteur;
Il s'agit de déterminer si le mot «peut» figurant
au paragraphe 17(1) ci-desus confère uniquement
un pouvoir facultatif ou s'il est au contraire impé-
ratif en ce sens que la Société canadienne des
postes devra nécessairement, avant de fermer des
bureaux de poste, adopter un règlement à cet effet
et qu'il ne lui sera pas possible de procéder par de
simples décisions administratives non fondées sur
un règlement.
L'avocat des demandeurs fait observer que la
mission de la Société canadienne des postes est très
publique (voir particulièrement les alinéas 5(1)c)
et 5(2)b) et e) de la Loi) et qu'elle est assujettie au
contrôle du gouvernement. A titre d'exemples, les
articles 6 [mod. par S.C. 1984, chap. 31, art. 14]
et 7 [mod., idem] de la Loi accordent au gouverne-
ment le pouvoir de nommer et de révoquer les
membres du conseil d'administration y compris le
président de la Société, le paragraphe 20(1) [mod.,
idem] enjoint à la Société de se conformer aux
instructions que le ministre peut à l'occasion lui
transmettre et le gouverneur en conseil, le ministre
et le président du Conseil du Trésor peuvent exer-
cer leur pouvoir de surveillance sur cette Société
en tant que «société mandataire» au sens de la Loi
sur l'administration financière [S.R.C. 1970,
chap. F-10], conformément aux articles 69 à 78
[abrogés par S.C. 1984, chap. 31, art. 8] de cette
dernière Loi.
On prétend par conséquent que, vu le caractère
très public des Postes et le droit du gouvernement
d'exercer une surveillance sur cet organisme, droit
qui découle en partie des droits exclusifs de manu-
tention et distribution du courrier accordés à la
Société, les actes que celle-ci est autorisée à
accomplir et qui sont prévus à l'article 17 de la Loi
doivent l'être publiquement en vertu de règle-
ments, c'est-à-dire par voie de législation déléguée
et non par de simples décisions administratives
prises dans chaque cas d'espèce.
Les activités des divers ministères du gouverne-
ment sont aussi publiques que celles de la défende-
resse et le contrôle exercé par le gouvernement sur
ces ministères est plus direct et plus total et pour-
tant, lorsqu'un ministère agit dans le cadre de ses
attributions, il peut le faire même en l'absence
d'un règlement, à moins d'une interdiction ou
d'une condition prévue dans la loi. Ni le caractère
public des activités d'un ministère ni le contrôle
exercé par le gouvernement sur ce dernier n'exi-
gent l'adoption d'un règlement pour que ledit
ministère puisse remplir son mandat. Je ne vois pas
pourquoi il devrait en être autrement dans le cas
d'une société de la Couronne.
L'avocat des demandeurs s'appuie principale-
ment sur un arrêt de la Cour suprême du Canada,
Brant Dairy Co. Ltd. et autre c. Milk Commission
of Ontario et autre, [1973] R.C.S. 131; (1972), 30
D.L.R. (3d) 559. Il s'agissait toutefois dans cette
affaire d'une délégation et d'une subdélégation de
pouvoirs. De plus, un règlement avait été adopté
mais il avait été jugé inopérant puisqu'il ne faisait
que répéter les dispositions légales relatives au
pouvoir de déléguer. Une distinction concernant
les pouvoirs de déléguer a subséquemment été faite
par la Cour suprême dans l'arrêt CRTC c. CTV
Television Network Ltd. et autres, [1982] 1
R.C.S. 530, dans lequel le juge en chef déclare, à
la page 541:
L'arrêt Brant Dairy porte sur la tentative de déléguer à un
organisme subordonné un pouvoir attribué à un organisme
supérieur, ce pouvoir étant exercé (à tort, selon l'arrêt de cette
Cour) en vertu d'une délégation générale comportant les mêmes
modalités d'exercice. Ce n'est pas le cas en l'espèce où l'on
confère expressément un pouvoir de réglementer au CRTC et
un pouvoir d'attribuer des licences au comité de direction. Ce
que l'avocat de CTV semble avoir soutenu c'est que le pouvoir
de réglementer s'applique au contenu de la condition et dans ce
sens plutôt vague, ce pouvoir a été délégué au comité de
direction suivant les mêmes modalités d'exercice que celles
applicables au CRTC. Je ne suis pas d'accord avec cette
tentative d'application de l'arrêt Brant Dairy. Soit que le
comité de direction a le pouvoir qu'il a exercé en imposant la
condition, soit qu'il ne l'a pas. S'il ne l'a pas, la question repose
sur l'interprétation des dispositions pertinentes des art. 16 et 17
et non sur un principe quelconque de délégation et de
subdélégation.
La Cour suprême s'est à nouveau penchée sur ce
point dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c.
Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, une
affaire concernant la Loi sur les licences d'expor-
tation et d'importation [S.R.C. 1970, chap. E-17].
Dans son jugement rendu au nom de la Cour, le
juge McIntyre a confirmé la décision unanime de
la Cour d'appel fédérale [[1981] 1 C. E. 500] dans
laquelle le juge Le Dain a examiné les cas où
certains mots habituellement interprétés comme
accordant une faculté doivent être considérés
comme créant une obligation. Il dit, à la page 5:
J'estime qu'il ressort de ces dispositions prises dans leur
ensemble que l'article 8 de la Loi accorde au Ministre un
pouvoir discrétionnaire de délivrer ou de ne pas délivrer une
licence d'importation dans un cas donné. L'article 28 de la Loi
d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, exige évidemment que le
mot «peut» de l'article s'interprète comme exprimant une
faculté à moins que le contexte ne manifeste une intention
contraire. Voir les affaires McHugh c. Union Bank of Canada
[1913] A.C. (C.P.) 299; Smith & Rhuland Limited c. La Reine
ex rel. Brice Andrews [1953] 2 R.C.S. 95. La présente affaire
ne donne pas lieu à l'application du principe reconnu dans
l'affaire Julius c. The Right Rev. the Lord Bishop of Oxford
(1879-80) 5 App. Cas. 214, et mentionné dans l'affaire The
Labour Relations Board of Saskatchewan c. La Reine ex rel.
F.W. Woolworth Co. Ltd. [1956] R.C.S. 82, à la page 87, selon
lequel des termes accordant une faculté peuvent s'interpréter
comme créant un devoir s'ils confèrent un pouvoir dont l'exer-
cice est nécessaire pour donner effet à un droit. [C'est moi qui
souligne.]
Au soutien de sa proposition que le terme «peut»
utilisé au paragraphe 17 (1) ne confère pas simple-
ment un pouvoir facultatif, l'avocat des deman-
deurs fait remarquer que la Société est autorisée
en vertu de l'alinéa 17(1)d) à prendre des règle-
ments fixant les tarifs de port et il renvoie au
paragraphe 17(8) qui prévoit que «Malgré le para-
graphe (1), la Société peut fixer par voie non
réglementaire le tarif de port». Il prie la Cour de
conclure que si la Société n'était pas tenue d'adop-
ter des règlements relativement aux rubriques énu-
mérées aux alinéas a) à s) du paragraphe 17(1), le
paragraphe 17(8) serait totalement inutile.
L'avocat de la défenderesse réplique que le para-
graphe 17(8) accorde à la Société le droit et le
pouvoir de déroger à tout règlement adopté con-
cernant les tarifs de port dans les circonstances
spécifiquement énoncées au paragraphe 17(8),
savoir lorsqu'une entente est intervenue entre la
Société et une autre personne prévoyant des modu
lations du tarif pour l'expédition d'objets en
nombre, lorsque cette personne conditionne les
objets de façon à faciliter leur traitement, lorsqu'il
s'agit de prestations expérimentales, etc. Par con-
séquent, le paragraphe 17(8) a encore sa raison
d'être même si on interprète le paragraphe 17(1)
comme ne conférant qu'un pouvoir facultatif. Si
les Postes décidaient d'adopter des règlements
généraux fixant les tarifs de port, il est facile
d'imaginer que, du point de vue administratif, le
paragraphe 17(8) deviendrait vraiment nécessaire
pour qu'on ne soit plus obligé de prendre des
règlements modificatifs afin de satisfaire aux exi-
gences des cas particuliers où une entente spéciale
est envisagée pour l'une des raisons prévues audit
paragraphe.
Aux termes du paragraphe 16(1) de la Loi, la
Société canadienne des postes a la capacité d'une
personne physique. Le seul fait que cette capacité
soit accordée «sous réserve des autres dispositions
de la présente loi» ne doit pas, en l'absence d'inter-
diction ou de limites claires à l'effet contraire,
porter atteinte au principe général selon lequel un
organisme établi par la loi n'est pas empêché
d'agir, lorsqu'il n'existe pas de règlement dans un
domaine particulier faisant partie du cadre légal
de ses activités et que cela est jugé nécessaire ou
souhaitable pour la poursuite de ses objectifs, sim-
plement parce qu'il est également habilité à pren-
dre des règlements à cette fin. Lorsque des règle-
ments sont en vigueur, l'organisme doit
évidemment s'y conformer mais autrement, il
demeure libre de prendre les décisions administra-
tives qu'il juge utiles pour la poursuite de ces
objectifs (Capital Cities Communications Inc. et
autre c. Conseil de la Radio-Télévision cana-
dienne, [1978] 2 R.C.S. 141; CRTC c. CTV
Television Network Ltd. et autres, supra). Dans
l'arrêt Capital Cities, le juge en chef a exposé le
problème comme suit, à la page 170:
La question se pose donc de savoir si le Conseil ou son comité
de direction, agissant en vertu de son pouvoir d'attribuer des
licences, a le droit d'exercer ce pouvoir en se fondant sur des
énoncés de politique ou si son champ d'action, lorsqu'il traite de
demandes de licences ou de modifications de licences, se res-
treint à l'application de règlements. Je suis certain que s'il
existait des règlements en vigueur relatifs au pouvoir d'accorder
des licences, ces règlements devraient être suivis même si des
énoncés de politique les contredisaient. Les règlements prévau-
draient sur tout énoncé de politique. Toutefois, en l'absence de
règlement, le Conseil est-il tenu de ne rendre que des décisions
ad hoc sur les demandes de licences ou de modifications de
licences et lui est-il interdit d'annoncer les politiques sur les-
quelles il se fondera lorsqu'il examinera ces demandes?
La Cour a jugé qu'il n'était pas obligatoire
d'agir par voie de règlements.
La présente Loi diffère sensiblement de la légis-
lation précédente, la Loi sur les postes [S.R.C.
1970, chap. P-14], qui, au lieu de conférer un
pouvoir général, énumérait précisément les objets
pour lesquels le ministre des Postes pouvait agir et
comment il devait le faire.
L'article 28 de la Loi d'interprétation, S.R.C.
1970, chap. I-23 énonce que dans chaque texte
législatif, le terme « "peut" . .. exprime une
faculté». A mon avis, il faudrait beaucoup plus que
le simple énoncé du paragraphe 16(1) selon lequel
les pouvoirs étendus accordés à une personne phy
sique le sont «sous réserve des autres dispositions
de la présente loi» pour qu'on puisse conclure que
le terme «peut» figurant au paragraphe 17(1) doit
être interprété comme obligeant les Postes à adop-
ter des règlements avant d'agir dans l'un ou l'autre
des domaines énumérés dans la Loi.
Les dispositions spécifiques du paragraphe 17(1)
ne sont que des exemples des pouvoirs réglementai-
res étendus accordés par ledit article à la Société.
Je ne peux trouver ni dans la Loi elle-même prise
dans son ensemble, ni dans ses dispositions généra-
les et ni dans aucun des articles, quelque indice
pouvant justifier la conclusion suggérée à la Cour
par les demandeurs.
Pour les motifs ci-dessus, il y a lieu de répondre
par l'affirmative à la question soumise. Il n'y aura
aucuns dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.